Pretty Woman [Blue]

Promis, pas de jupes ou de trucs trop filles. C'était le deal et je l'acceptais. De toutes façons, il fallait y aller doucement, par étapes. Si Sasha enfilait tout de suite les talons hauts et la mini jupe, elle se sentirait vraiment ridicule. Alors que j'étais quand même persuadé qu'elle ne le serait pas et que ça lui irait bien. Mais passons. Il allait falloir de la patience et du doigté et je n'étais dépourvu ni de l'un, ni de l'autre, fort heureusement. Je m'énervais vite, mais je savais aussi être patient. J'avais un but et rien ne m'en ferait dévier.

J'avais attendu que Sasha se rhabille en Blue, avant de l'entrainer dans Londres. J'étais pas très au fait des boutiques pour filles qu'il pouvait y avoir dans le coin, mais toutes les boutiques étaient les mêmes non? Il suffisait d'aller dans le centre et on trouverait forcément notre bonheur. Enfin, le sien. Je n'avais pas besoin de fringues, j'avais ce qu'il me fallait. C'était bizarre de me dire que j'allais me retrouver à conseiller une fille sur ses vêtements. Elle aurait du sortir avec une copine, sauf qu'elle n'en avait pas. J'aurais pu appeler Sorcha en renfort, ou même Blake, mais bizarrement, je ne voulais pas partager ça avec une autre personne.

Je trainais donc Blue dans le centre, avant de repérer une enseigne de vêtements que je connaissais pour avoir déjà fait le pied de grue avec Sorcha. C'était pénible de faire les magasins avec elle, elle mettait toujours trois plombes. Moi, je rentrais, je trouvais un truc, j'essayais, si ça allait, je repartais avec, sinon, non. Mais Sorcha, elle trainait de longues minutes, elle prenait un modèle, puis un autre, puis elle reposait le premier, elle allait essayer, ça n'allait pas, elle reprenait dans une autre taille. Le cauchemar.

Bref, je rentrais dans le magasin, Sasha sur les talons. Il y avait quantité de nanas là dedans et elles nous jetèrent des regards bizarres. Ah oui, on avait l'air de deux mecs qui rentraient dans le temple de la féminité. Je ne fis pas attention aux regards et parcourus le magasin des yeux, cherchant les jeans, avant d'y trainer Blue.

- "Je te propose simple : jean et T-shirt. Un pull, une veste. Ça devrait le faire. Regarde et prends ce qui te plait. tu iras essayer le tout après, ça évitera les allers et retours."

Je sentis Sasha s'agripper à ma manche et réclamer mon attention et je baissais les yeux vers elle alors qu'elle me glissait qu'on était le point de mire de tout le monde, avant que je n'esquisse un sourire amusé à son dernier mot.

- "Estampillé? On s'essaye à un nouveau jeu? Tu me balances le plus de mots compliqués en un minimum de temps, mais dans le bon contexte. C'est parti."

Je me fichais gentiment d'elle. J'appréciais que son vocabulaire s'enrichisse et surtout, qu'elle utilise ce genre de mots à bon escient. J'avais l'impression de ne pas travailler pour rien et mon admiration pour les capacités d'apprentissage de Sasha ne faisaient qu'augmenter un peu plus à chaque instant passé près d'elle. Je détestais faire les magasins, mais avec elle, je savais que j'allais apprécier. Parce que j'allais voir qui elle était vraiment et que je serais le seul. C'était notre secret et quelque part, je le chérissais.

J'étais résolu à lui faire essayer des trucs basiques. Féminins, mais pas trop. Cela ne la changerait guère de ses vêtements habituels sauf qu'ils seraient cintrés au lieu d'être informes. Sasha se plaignit du nombre de coupes différentes de jeans et je ne répondis rien, me contentant de la suivre, un sourire goguenard aux lèvres. Elle fit ses choix, avant de se diriger vers les cabines et de marquer un temps d'arrêt. Je l'encourageais à rentrer, ce qu'elle fit, avant de m'adosser à un mur, bras croisés et d'attendre. Il y avait plusieurs jeunes filles qui me jetaient fréquemment des coups d'œil mais je n'y prêtais pas attention. J'avais l'air calme, mais en fait, j'étais un brin nerveux. Impatient en fait.

Elle finit par sortir et ma mâchoire manqua se décrocher. Putain, mais c'est qu'elle était ravissante comme ça! Toute nue, elle était très bien, attention, mais là, c'était encore différent et elle faisait une fille vraiment bien. Elle bougonna que c'était trop serré. N'importe quoi. Elle me supplia alors de prendre deux tailles au dessus, avec une petite moue que n'aurait pas renié le chat potté. Je secouais lentement la tête en signe de dénégation.

- "Non, comme ça, c'est parfait."

Doucement, je la ramenais vers sa cabine, la forçant à se tenir debout devant le miroir. Je me tenais derrière elle, mes mains posées sur ses épaules. Je me penchais pour murmure à son oreille, regardant son reflet dans le miroir :

- "Regarde toi Sasha. Aucune chance que tu me fasses honte ce soir. Tu es jolie. Tu es vraiment jolie."

Je la lâchais et repoussait ses cheveux derrière ses oreilles, dégageant ainsi son visage, qui faisait bien plus féminin ainsi. Il suffirait d'effiler ses cheveux en une coupe plus féminine et le doute ne serait plus permis.

- "Je sais."

Oui, je le savais. Je sentais sa nervosité, sa perplexité devant cette inconnue dans le miroir. Elle ne se reconnaissait pas. Je pouvais le comprendre, vraiment. Moi non plus je ne la reconnaissais pas. Le petit Blue s'était métamorphosé. Voilà, elle était définitivement une fille dans mon esprit, si tant est que j'ai encore eu des doutes. Là, plus aucun. Sa poitrine menue était moulée dans le pull ajusté qui mettait en valeur sa taille et le jean soulignait ses hanches et ses fesses.

- "Je n'ai jamais dit que cela serait facile. Je pense même que cela sera difficile, mais c'est pour ça que je suis là."

Pour la soutenir et l'épauler. Pour qu'elle n'affronte pas ça seule, pour lui donner un coup de pied au derrière et qu'elle cesse de vivre au jour le jour sans aucune perspective d'avenir. Il était temps qu'elle se bouge et le prenne en main. J'allais juste l'aider à le comprendre. Elle se sentait nue et pas seulement à cause des fringues. Être une fille, ça révélait une certaine fragilité en elle.

- "Laisse toi du temps. C'est normal que tu ai du mal là. Ça fait des années que tu fais le mec, tu ne peux pas être fille en 5 minutes."

Et pourtant, pour moi, c'était bon, pas besoin de me convaincre davantage. Je cessais de regarder son reflet pour baisser les yeux vers sa nuque. Je réprimais une envie folle de relever la masse de ses cheveux, de dégager cette nuque fine pour y poser mes lèvres. Je déraillais... Je pouvais quand même être ami avec une fille sans avoir envie de l'embrasser, merde...

Elle se retourna, me faisant face, me demandant avec effronterie si elle pouvait ranger ces fringues sur leurs portes manteaux. Je secouais négativement la tête.

- "En effet. Tu vas prendre tout ça. Plus un jean noir, même modèle que celui que tu as maintenant et... attends moi deux minutes."

Je m'éclipsais, le temps de repérer les débardeurs, avant d'en dénicher un en taille 1, de couleur crème, avec le symbole des rolling stones dessus, à la coupe simple et au décolleté arrondi sans être profond. Il ne fallait pas brûler les étapes. Je revins à la cabine avec ma trouvaille.

- "Essaie juste ça. Ce soir, on va en boite et il faut être un minimum chic. Ça et le jean noir, ça devrait suffire en ce qui te concerne."

- "Hum?"

Je la dévisageais, surpris de sa réflexion. Intuitif? Oui, peut-être... Disons que j'avais l'impression de bien comprendre les autres. De pouvoir ressentir ce qu'ils ressentaient. C'était étrange comme sensation et je ne m'y attardais pas. Mes réflexions, je les délivrais comme elles venaient dans y réflechir avant.

- "Il parait. Je sais pas, ça vient comme ça. Mon cerveau fait des liens bizarres. J'ai une bonne mémoire, j'engrange les informations en vrac et je fais les liens au fur et à mesure que je récupère d'autres informations. Rajoute à ça que je suis assez... sensible, on va dire et ça fait un drôle de cocktail."

Je haussais une épaule. Je ne savais pas si c'était un bien ou un mal. Cela pouvait déranger les autres de se retrouver ainsi facilement mis à nus, découverts. Je ne recherchais vraiment pas à les gêner ainsi, ça sortait tout seul et comme j'avais tendance à être franc... Comme je l'étais avec elle aujourd'hui, en lui assurant que j'allais l'aider. Elle me répondit que c'était ça d'avoir un ami et je me contentais de hocher la tête. Ouais, c'était ça. Entre autres choses. Elle pensait ne jamais pouvoir s'y habituer et je l'exhortais à la patience. Il fallait du temps. Cela ne faisait que 5 minutes qu'elle avait ces fringues.

- "S'il le faut oui. En variant un peu bien sûr, sinon, ça va devenir monotone. T'inquiète pas, j'ai de l'imagination. Et je ne t'imposerais rien que tu ne puisses supporter."

Elle me supplia alors de ranger les affaires, de les laisser là, sans grande conviction. Elle avait raison, je ne lui accordais pas. J'entrepris d'essayer autre chose pour elle et alors qu'elle prenait le jean noir, je prenais un débardeur un peu plus fantaisie et festif. Sage, mais quand même un brin habillé. Je revins en lui donnant le débardeur et elle me demanda si elle devait essayer ça. J'eus un sourire narquois :

- "Évidemment non, c'est pour moi."

Je levais les yeux au ciel alors qu'elle retournait dans la cabine essayer sa tenue pour ce soir. Elle ressortis finalement et je souris en hochant la tête. Ça irait très bien.

- "Ça ira. Il y a plus chic, mais t'es pas encore prête à t'habiller ainsi, alors là, c'est ce qu'il y a de mieux dans la phase 1."

J'eus un petit sourire presque arrogant, alors que je rajoutais :

- "Je te montrerais ce que ça donne en version masculine."

Attention les yeux! Elle allait voir ce qu'elle allait voir. Rien à voir avec mon uniforme du lycée, ou ma façon de m'habiller dans l'under ou quand j'allais la voir. Elle sembla alors tilter sur notre destination ce soir et je souris.

- "En boite. Avec des centaines d'autres jeunes de notre âge. Avec surement un peu de drogue et de l'alcool, mais rien de comparable à ce que tu fréquentes d'habitude. Oh et on ira manger un bout avant. Je passerais te chercher vers 19h."

- "Peut-être... Mais je n'ai pas su déceler le tien pourtant..."

Ce n'était pas un reproche. Pas du tout. Juste une constatation. J'avais digéré ce mensonge, qui n'était pas servi qu'à moi, mais à tout le monde. Pas besoin de me sentir offensé... Pourtant, ne l'avais-je pas décelé inconsciemment? N'avais-je pas eu des doutes sur sa sexualité? Ne m'étais-je pas fait la réflexion que Blue était très imberbe, que ses mains étaient fines, son ossatures légère? Si. Juste que je n'avais pas poussé le raisonnement jusqu'au bout.

- "Quoique... Je l'aurais peut-être deviné finalement. Enfin, si mon cerveau avait pu admettre l'incroyable."

Je la rassurais sur son allure de fille, sur le fait que c'était normal d'avoir du mal à l'accepter et aussi sur le fait que j'allais l'aider à s'accepter et à cheminer vers la Sasha qu'elle aurait du être si sa vie n'avait pas été si merdique. Je souris alors qu'elle me disait d'y aller doucement. Pas de jupes ou de maquillage. Mon sourire se fit énigmatique. Si, ça viendrait, mais plus tard, beaucoup plus tard. J'allais lui chercher quelque chose pour ce soir et elle me regarda avec incrédulité, me posant une question stupide, à laquelle je répondis tout aussi stupidement.

- "C'est le drame de ma vie."

J'avais pris un ton fataliste en disant cela, entrant dans son chambrage en règles, avant de la laisser aller se changer dans la cabine, disparaissant de ma vue une deuxième fois. Je regardais autour de moi. Une femme croisa mon regard et sourit, comme attendrie de voir une jeune fille faire les magasins avec son copain. Ah mais non, on n'était pas en couple hein, c'était juste une copine... Enfin, je pouvais comprendre que cela prête à confusion, il n'y avait pas beaucoup de mecs qui faisaient les boutiques avec une copine. Un garçon, une fille, ensemble, forcément un couple.

Elle sortit et je l'admirais, le regard un peu plus brillant alors que j'approuvais sa tenue et lui expliquais pourquoi c'était important. Aller en boite semblait lui poser problème et elle me rétorqua qu'elle n'y était jamais allée.

- "Et bien ce sera une première. Comme de t'acheter ce genre de fringues."

Décidément, j'étais le mec de ses premières fois là... Euh non, pas dans le sens courant du terme. Stop aux pensées peu catholiques. Je lui annonçais le restau et le fait que je passerais la prendre vers 19h et elle rit soudainement, me promettant qu'elle serait habillée. J'eus un petit sourire en coin.

- "Merci, c'est charitable de ta part. Une deuxième fois m'achèverait, j'ai déjà du mal à me remettre de la première. Je sais que tu es une fille, je l'ai bien intégré, plus besoin de preuves aussi évidentes. Maintenant file te rhabiller."

Nous avions encore un petit détail à régler, avant que je ne la ramène chez elle. Elle se rhabilla alors et nous passâmes à la caisse où je sortis d'autorité ma carte pour lui payer ses achats. Elle pouvait bien protester, c'était mon idée, je savais qu'elle n'avait pas énormément d'argent et que je lui forçais la main. Et j'étais galant. Pareil pour porter ses sacs. Je l'entrainais devant la devanture d'un coiffeur, lui jetant un regard en coin.

- "Deuxième étape. On dégage ton visage. Je te demande pas de couper tes cheveux pour une coupe plus féminine pats tant que tu seras Blue dans l'under, mais qu'on fasse quelque chose de tes cheveux pour que tu ressembles définitivement à une fille. Je suppose qu'en les attachant avec des épingles tout ça, ça devrait le faire et sans toucher à rien de façon irrémédiable... T'es d'accord?"

Je savais bien qu'elle s'opposerait à ce que je lui paye ses vêtements. C'était bien pour cela que je m'étais imposé à la caisse, ne lui laissant pas l'opportunité de râler à ce sujet. Je payais la vendeuse, pris le sac avec un sourire, avant de sortir en compagnie de Sasha qui ne manqua pas de me faire remarquer qu'elle pouvait tout à fait se payer ses affaires toute seule.

- "J'en doute pas. Sauf que c'était pas particulièrement ton envie, mais un caprice de ma part. Normal que je paye."

Pas la peine d'épiloguer là dessus pendant ses années, la discussion était close en ce qui me concernait. Même si cela la faisait rager. Même si elle devait se demander comment payer sa dette. Parce que je ne doutais pas qu'elle avait un sens tordu de l'honneur à ce sujet. Rien n'était gratuit, elle ne pouvait pas laisser passer ça et simplement l'accepter comme un cadeau.

Je lui annonçais alors que je l'emmenais chez un coiffeur. Et étrangement, elle ne rechigna pas. S'était-elle résignée à ce que je mène la danse? Apparemment. Ou bien avais-je réussi à lui donner l'envie d'aller jusqu'au bout de la transformation? Je retins un sourire alors que je la laissais entrer en première, galant. Le coiffeur nous regarda entrer, venant nous demander ce que nous voulions. Le marmonnement de Sasha me fit sourire alors que le coiffeur se permettait un rire. Il devait trouver cette demande bizarre, mais il était assez professionnel pour ne pas critiquer. Il fit asseoir Sasha sur un de ses fauteuils, triturant ses cheveux, demandant ce qu'elle voulait. Le regard qu'elle me lança fut éloquent.

- "Juste une coiffure en fait. Relever ses cheveux, un truc dans le genre, si c'est possible."

Il me jeta un regard presqu'outré. Bien sûr que c'était possible, il était coiffeur, non? Je souris à Sasha, réconfortant, avant de m'asseoir dans le siège à côté, me tournant vers elle alors que le coiffeur sortait ses instruments de torture et commençait son art. J'aurais bien bouquiné en attendant, mais étant donné le niveau des revues présentes dans les salons de coiffure... Je préférais regarder le coiffeur s'affairer avec dextérité, dégageant peu à peu le visage de Sasha en une coiffure raffinée et savante, sans être trop originale. Je me levai, sortant 5 minutes pour aller fumer une clope. Quand je revins, Sasha avait terminé. C'est bon que je n'avais plus ma clope en main, sinon je l'aurais laissé tomber de stupeur. Ainsi dégagé, je remarquais ses traits fins, résolument féminins. Son regard aussi, semblait plus grand, plus beau. Tout était plus beau. A mon goût en fait. Elle était aussi jolie de corps que de visage.

Elle me rejoignit, avant d'avouer que ça faisait bizarre et de craindre de ne pas pouvoir conserver cette coiffure. Je souris, repoussant du doigt une petite mèche laissée là, libre, afin d'adoucir la coiffure.

- "Ce serait dommage de tout démolir. T'inquiète pas, c'est solide et il y a de la laque, ça tiendra, sauf si tu décides de dormir avec, évidemment."

Nous passâmes derrière le comptoir et cette fois, je laissais Sasha payer, avant de remercier le coiffeur et de me retrouver dehors avec elle.

- "Tu es... stupéfiante. Je me doutais que tu serais une jolie fille, mais je n'avais pas mesuré à quel point en fait... Je serais honoré de sortir avec toi ce soir Sasha."

Je m'étais emparé de sa main et la baisais comme un parfait gentilhomme, singeant une de ces scènes de cinéma archi connu et classique. Cela dit, le compliment n'en perdait pas pour autant de sa sincérité.

- "C'est drôle, tes origines asiatiques ressortent davantage ainsi."

J'avais souri doucement quand elle m'avait avoué m'avoir haï l'espace d'une seconde pour ce que je lui imposais. Oh, je pouvais le comprendre. On n'aimait pas être bousculé et changer ses habitudes. Et même si j'y allais en douceur, je ne lui laissais pas vraiment le choix. Je l'assumais totalement au demeurant. Je l'avais rassurée, en lui promettant de rester avec elle et de ne pas la laisser tomber, quoiqu'il arrive. Elle avait fait les frais de mon caractère emporté une fois, mais je m'étais promis de faire attention à l'avenir et de tenter de réflechir avant de péter un plomb et d'être excessif. Je la complimentais alors, sans arrières pensées. Elle était vraiment belle et sans fausse flatterie.

Je la ramenais chez elle, retournant chez mon oncle, attendant le soir avec une impatience que je dissimulais mal. Et je n'arrivais à me concentrer sur rien, si bien que Sorcha finit par me griller en me demandant ce que j'avais. Je lui avouais sortir avec une copine le soir même, sans m'étendre davantage là dessus. Soirée normale : restau, boite. Pas d'under, pas de drogue, pas de sexe. Ça la rassurait quelque part, c'était moins... dangereux.

A 19h, je me retrouvais devant sa porte. Nerveux. Quel con, je n'avais pas besoin de stresser, c'était une soirée détente... Et pourtant, j'avais mis un soin particulier pour m'habiller. Un jean bleu gris, une chemise blanche que je ne rentrais pas dans le pantalon et un pull en V sans manche gris. Sobre, mais classe. Ne lui avais-je pas promis? Je passais une main dans mes cheveux, alors que la porte s'ouvrait et souris en voyant Sasha, vêtue, coiffée, comme une fille. C'était définitivement Sasha. Blue n'existait plus.

Elle jura alors et j'eus un haussement de sourcil.

- "Quoi?"

Quelque chose n'allait pas? Je me regardais, dubitatif, avant qu'elle ne me lance un truc à propos des Rolling Stone. Mon sourire revint. Je posais un bras sur le chambranle de la porte, croisant les jambes et posant mon autre main sur ma hanche.

- "Content que ça te plaise, mais après m'être vanté, je devais bien assurer derrière."

Je quittais ma position, me campant devant elle, avant de demander :

- "Tu es prête?"

- "C'est sympa de flatter mon ego surdimensionné de macho irlandais."

Est-ce que j'étais macho en réalité? Non, pas vraiment. Enfin, j'avais quelques principes, comme le fait de ne pas montrer de faiblesses devant les filles, de ne pas pleurer, de frapper un mec qui embêterait une demoiselle ou me chercherait des noises, mais je n'allais pas jusqu'à penser que la femme était là pour me servir. Non, quand même pas. J'exagérais le trait. Elle referma la porter derrière elle et je ris doucement à sa réflexion.

- "Ne sois pas négative, il se pourrait que ça te plaise."

Je l'espérais en tous les cas. Il fallait absolument que cette soirée lui donne le goût de sortir en fille. Et j'allais tout faire pour lui donner cette envie de tomber le masque et de suivre une autre voie que celle qu'elle avait choisie, ou empruntée bon gré mal gré. Je voulais qu'elle ai un avenir, un vrai. Elle le méritait. Il était difficile d'entrer dans mon amitié, de devenir mon ami, mais après, je me pliais en 4 pour eux. Elle se colla devant moi en me demandant ce que j'avais prévu, me proposant un coin sympa, au cas où.

- "C'est bien mal me connaître que de penser que j'ai pu laisser quelque chose au hasard. Je t'emmène dans un vrai restaurant Sasha."

Pas un truc à la sauvette, une pizzéria, un kebab, un mac do ou que sais-je encore. Il existait des restaus sympa, pas trop guindés, où on mangeait bien sans que cela soit pompeux. Nous passerions très bien parmi la clientèle. En revanche, cela allait faire mal au portefeuille. J'étais toujours effaré du coût de la vie ici. De la folie. Mais bon, je mettais les petits plats dans les grands, pas question d'être radin.

Nous descendîmes dans la rue et je commençais à marche,r avant que Sasha ne m'attrape le bras pour me forcer à lui faire face. Elle m'avoua alors ne pas savoir danser. Cela semblait vraiment lui poser un problème et l'angoisser. Je posais une main sur la sienne, un sourire rassurant aux lèvres.

- "C'est bon? t'as fini de te monter le bourrichon? Arrête de te poser plein de questions Sasha. On verra bien quand on y sera. T'es batteuse non? Le rythme, ça te connait. Ben suffit de l'exprimer avec ton corps au lieu de simplement le donner avec tes mains. Ce n'est pas bien difficile. Et puis, tu verrais comment certains dansent... Franchement, tu ne peux pas être pire. Et même si tu étais ridicule, je m'en ficherais complètement. Mais oui, il y a des coins pour se poser. Mais si tu veux discuter, ça va être dur, il faut se péter les cordes vocales en général."

Je haussais une épaule, reprenant ma marche.

- "Te mine pas, ce serait con que tu te gâches la soirée avec des questions aussi triviales."

Je conduisis Sasha à travers les ruelles. Londres était géniale dans le sens où le centre était concentré et qu'on pouvait faire énormément de choses dans un périmètre restreint. Je l'emmenais dans un restaurant, la laissant déchiffrer l'enseigne, avant de pénétrer à l'intérieur et de demander une table pour deux. Il était tôt, nous n'étions que deux, c'était jouable. Gagné. On nous emmena dans un petit coin tranquille. Il y avait déjà quelques clients qui nous regardèrent passer avant de retourner à leurs discussions. Je m'assis alors, tandis que le serveur nous amenait la carte, s'éclipsant pour nous laisser choisir.

- "Et bien, joignons l'utile à l'agréable : déchiffrer la carte."

J'éclatais de rire quand elle déchiffra crevette, se plantant en beauté. Non, je ne me moquais pas, juste que c'était tellement absurde comme mot... Et j'étais stressé moi aussi, même si cela ne se voyait pas. En revanche, c'était flagrant chez Sasha. Je lui en demandais beaucoup d'un coup, je m'en rendais compte à présent. Je m'étais pris au jeu et comme elle ne freinait pas des 4 fers, et bien, je continuais. On me jeta un regard de reproche suite à mon éclat de rire et je cessais, mais mon regard pétillait d'amusement. Sasha pouvait se vanter de réussir à me dérider et ce n'était pas une mince affaire. Sasha releva le regard vers moi, disant s'être plantée.

- "Jolie déduction Sherlock."

Cela dit, je ne lui donnais pas la solution, la laissant chercher elle-même, c'était ainsi qu'on apprenait. Je ne devais pas l'assister à chaque fois où elle n'avancerait jamais. Elle finit par trouver le bon mot et je souris, applaudissant en sourdine, gentiment moqueur.

- "C'est mieux en effet."

Elle m'avoua alors être davantage habituée aux trucs qui se mangent sur le pouce, pas le temps de se poser. Je la regardais d'un œil critique.

- "Ben ça se voit pas. T'as plutôt l'air d'une fille qui se nourrit de salades et de crudités."

Elle était très mince. Pas un poil de graisse sur son corps anguleux. Je connaissais un tas de nanas qui auraient tué pour avoir une silhouette comme ça en se goinfrant de cochonneries. Sasha n'avait pas une morphologie à grossir, voilà tout. Comme moi. Je pouvais manger énormément, je ne grossissais pas.

- "Un peu stressée?"

J'esquissais un sourire narquois, reposant la carte à mon tour.

- "C'est un doux euphémisme."

Allons, ce n'était pas très sympa de la chambrer à ce sujet. Je repris, avec un peu plus de sérieux :

- "Tu n'as pas à t'excuser, c'est moi qui t'en demande beaucoup en peu de temps... Mais depuis que je sais que tu es une fille, j'ai cette envie de te voir vraiment comme telle. Voilà chose faite."

Adieu Blue, bonjour Sasha. Je n'étais pas assez buté pour ne pas remarquer que Blue et Sasha étaient pareils dans leur réaction, dans la complicité qu'il y avait entre nous, même si Sasha était plus angoissée. A cause de ce que je lui demandais. Le serveur revint, demandant si nous voulions un apéritif. J'acceptais l'apéritif maison, laissant Sasha choisir, avant de passer notre commande. L'apéritif fut servi dans la minute suivante. Rapide. Je pris mon verre, et le levais alors, en regardant Sasha.

- "Et bien, je crois qu'on peut porter un toast, non? C'est la journée des premières fois pour toi. Et pas des dernières, je l'espère."

- "C'est pour ton bien."

Il y avait toujours un éclat rieur dans mon regard et un pli amusé au coin des mes lèvres. Non, je n'avais pas honte le moins du monde et j'appréciais de pouvoir la chambrer ainsi, en toute camaraderie. Du moins, c'était ce que je voulais croire. Elle me fit remarquer qu'elle aimait bien mon rire, quand il n'était pas stoppé brutalement. Je riais si peu souvent aussi, elle ne l'avait quasiment jamais entendu, alors qu'avant... Je repoussais les fantômes, ce n'était pas le moment.

- "Tu peux bien te targuer d'être l'une des seules à le provoquer si facilement. Mais il n'est pas du goût de tout le monde, j'ai l'impression."

Je jetais un regard malicieux au bonhomme que j'avais offusqué. Bon il fallait quand même éviter le tapage, ce n'était pas select, mais les gérants aimaient pas qu'on soit trop bruyant et dérange la clientèle. Elle m'avoua ne pas être habituée à ce genre de restau, préférant la bouffe industrielle et rapide, bien grasse, ou pas très équilibrée. Ce à quoi je répondis qu'elle n'avait pas la silhouette de quelqu'un qui mangeait mal. Normal, elle brûlait toutes ses réserves.

- "Au moins, tu as un souci de moins."

Je l'embêtais de nouveau alors qu'elle m'avouait être stressée. Encore une fois, j'étais honnête avec elle, même si c'était dit sur le ton de la plaisanterie. J'avais bien remarqué qu'elle était stressée et c'était en partie ma faute. Entièrement ma faute même.

- "Impitoyable et incorruptible, il va falloir t'y faire."

Le serveur vint sur ces entrefaites, prendre notre commande, puis rapporter les apéritifs. J'avais légèrement soif, aussi lançais-je un petit toast pas trop long, histoire de goûter à mon cocktail. Elle me demanda si j'étais content, avant de confier que je prenais soin d'elle, donc que ça allait.

- "Je suis content oui. Je ne sais pas si tu as eu l'occasion de discuter avec ma sœur, à mon propos... Je suis quelqu'un qui a du mal à se lier, mais une fois que j'aime quelqu'un, je suis prêt à tout et je suis loyal. Sauf quand on me trahit, évidemment. Quoique même là, je peux passer outre..."

Je m'interrompis un instant, avant de reprendre, en la regardant :

- "Je t'aime bien Sasha, je t'apprécie énormément. Je te soutiendrais dans tes choix, je te laisserais pas tomber. Tu peux compter sur moi."

Voilà, comme ça, c'était clair et net, même si elle pouvait douter. Je lui laissais une ouverture. Si elle avait besoin, je serais là. Elle m'avait elle-même aidé, m'avait secoué. Je ne l'oublierais pas.

- "Je ne te traumatiserais pas, promis."

Je portais le verre à mes lèvres, buvant une gorgée. Hum, mais c'est que c'était bon ce truc!

- "Je ne regrette pas le choix, c'est délicieux. Va falloir que tu me freines, je ne voudrais pas finir dans le même état que la dernière fois."

Non, l'ivresse ne serait pas pour ce soir, pas à cause de l'alcool en tous les cas.

Je souris quand Sasha me rétorqua du tac au tac que mon rire était à son goût et que le reste n'avait pas d'importance. Je hochais la tête, en approbation. Elle avait raison, le reste, on s'en foutait. Je riais rarement franchement et spontanément et j'avais la fâcheuse tendance de me stopper net, non à cause de regards courroucés, mais parce qu'il me semblait mal de pouvoir rire quand j'avais tué mes parents. C'était... déplacé. Comme si je m'empêchais de pouvoir retrouver une vie normale. C'était la punition que je m'infligeais tout seul. Ridicule si certains s'en apercevaient ou l'apprenaient, j'en avais conscience.

Je la complimentais alors sur son poids. Enfin, sa silhouette fine alors qu'elle mangeait n'importe comment. Je ne disais pas franchement qu'elle était canon, mais cela se devinait derrière mes compliments détournés. Le percevrait-elle? Aucune idée. Sasha était intelligente, mais j'avais l'impression qu'elle était naïve sur certaines choses. Notamment tout ce qui concernait sa féminité. Elle me reprit sur le terme trahison et je haussais une épaule. Je n'étais pas d'accord avec sa vision des choses. On pouvait trahir quelqu'un sans forcément vouloir me blesser. Mais je n'avais pas envie d'épiloguer là dessus.

- "Une sacrée maladresse oui... venant de toi, encore, je comprends, tu ne me connais pas tant que ça, mais venant de Sorcha... j'ai du mal à penser que ce n'est que de la maladresse."

Parce que ma chère petite sœur savait exactement comment je pouvais réagir. Elle n'avait surement pas prévu que je pèterais littéralement un plomb parce que la coupe était pleine, mais elle aurait pu envisager que je le prendrais très mal. Raté. Sasha n'était pas du genre à s'enfuir dans s'expliquer et finalement, je me retrouvais plus liée à elle que jamais. Cet incident avait accéléré sa révélation de son sexe et je l'avais assez bien prit somme toute.

Je décidais alors d'être sincère et de lui avouer ce que je ressentais pour elle et le fait qu'elle pourrait compter sur moi, quoiqu'il arrive. Elle marmonna alors quelque chose que je ne compris pas.

- "Pardon?"

Mais si elle marmonnait, c'était peut-être justement pour ne pas que je comprenne. Elle me demanda alors comment je faisais pour être si franc. Je fronçais les sourcils, pas encore conscient qu'effectivement, je me livrais à cœur ouvert avec elle. Je pris le temps de la réflexion, avant de répondre lentement :

- "J'accorde difficilement ma confiance, mais quand elle est gagnée, je ne joue plus à faire semblant. Sauf avec ma sœur, mais c'est différent. Elle a besoin de moi, de stabilité, c'est à moi de la réconforter, pas le contraire. Je sais qu'être honnête avec elle, totalement honnête s'entend, pourrait lui faire du mal. L'être avec toi ne te blessera pas. Et puis..."

Je marquais une pause, triturant avec nervosité ma serviette, continuant sans la regarder :

- "Les dernières paroles que j'ai dite à mes parents étaient violentes et haineuses... Comme si je les détestais, alors que je les adorais. Je pense qu'inconsciemment, j'ai décidé de faire comprendre aux gens que je les aimais, pour ne plus vivre avec ce remord... Je déteste quitter quelqu'un fâché. Même si cela ne semble pas évident étant donné la façon dont je vous ai planté Sorcha et toi, l'autre fois, ou la façon dont j'ai pu quitter Blake. Si vous n'étiez pas venues me voir, j'aurais fini par vous parler, face à face, pour qu'on s'explique. Pour ne pas laisser la situation pourrir."

Je cessais de jouer avec ma serviette, alors que les cocktails étaient livrés et que j'y trempais les lèvres pour le déguster. Délicieux, vraiment. Et je plaisantais de mon ivresse avec elle, faisant allusion à ma cuite l'autre fois. Je souriais à moitié quand elle répondit, avouant qu'elle ne se saoulait pas, pour plusieurs raisons et aussi parce qu'elle était collante. Une Sasha désinhibée... J'aurais aimé voir ça. Mais il valait mieux être sages en effet.

- "Oui, soyons sages... Même si j'aurais aimé te voir perdre le contrôle, quelque part."

Je bus de nouveau, avant de demander :

- "Tu parles beaucoup de Crazy... Tu me le présenteras un jour?"

Qu'importe qu'il soit en prison. Il comptait pour elle, il l'avait sauvée de l'enfer, j'avais envie de rencontrer ce type.

Je n'ajoutais rien concernant ma sœur et je ne voulais pas vraiment connaître l'avis de Sasha à ce sujet, de peur qu'il soit négatif. Je pouvais critiquer Sorcha, mais j'acceptais mal que quelqu'un d'autre le fasse. Solidarité fraternelle... Sasha marmonna alors un truc qui m'échappa et qu'elle ne répéta pas quand je lui demandais. Bon, cela ne me regardait pas. Ou au contraire, ça me concernait mais elle ne voulait pas que je l'apprenne. Pas grave.

Elle me demanda alors pourquoi j'étais si franc, ou du moins, comment je faisais pour m'exprimer si librement à ce sujet. C'était clair que venant d'un garçon, c'était assez déroutant. Je n'étais pas du genre à m'épancher et à me plaindre, mais quand j'étais en confiance, j'avais tendance à être brut de décoffrage. A dire les choses, pour ne rien regretter ensuite. J'avais tiré une leçon de la mort de mes parents et c'était ce que j'essayais de lui expliquer. Peut-être un peu maladroitement.

Sasha commenta alors en me disant qu'elle aurait aimé pouvoir s'engueuler avec ses parents elle aussi, les envoyer chier... Avoir des parents tout simplement. Je pouvais le comprendre, même si j'avais envie de lui répondre brutalement que les miens étaient morts en pensant que je les détestais. J'avais du mal à me faire à cette idée, même si Sorcha m'assurait qu'ils savaient que je les aimais et que ce n'était qu'une dispute. Je ne répondis rien, un peu mal à l'aise face à sa réponse, me détendant quand elle m'avoua qu'elle aimait ce que j'étais devenu, malgré mon sale caractère. Je fus surpris en revanche qu'elle parle de ne pas être à la hauteur face à moi. Que j'étais exigeant et que je mettais ainsi la pression aux autres.

- "Je n'exige rien des autres... En quoi suis-je exigeant?'"

J'avais besoin de quelques éclaircissements à ce sujet, parce que je ne voyais pas ce qu'elle voulait dire par là. Je bus un peu mon apéro, le trouvant tout à fait à mon goût, plaisantant alors sur une éventuelle ivresse. Sasha ne semblait pas décidée à se saouler, puisqu'elle était collante bourrée, selon ses dires. Et ceux de son ami. Je retins un rire quand elle me raconta qu'il la comparait à un chimpanzé. L'image était cocasse. Et j'aurais vraiment aimé voir ça.

- "Surtout si t'étais attifé en mec, ça a dut faire bizarre."

Je lui demandais alors si je rencontrerais un jour son Crazy. J'avais envie de voir à quoi ressemblait ce mec, ce qu'il avait apporté à Sasha. Et malgré moi, je tressaillis quand elle me raconta pourquoi il était en taule. Cela sonnait comme un avertissement quant à ma propre conduite, bizarrement. Moi aussi j'étais impulsif, moi aussi je frappais, et un accident était vite arrivé.

- "Ça pourrait être moi..."

C'était juste un murmure, terriblement lucide. Aller le voir, ce serait comme de voir mon reflet, qui n'avait pas eu de chance.

- "Oui, j'aimerais bien rencontrer le mec qui t'a aidé et soutenu."

Le serveur revint alors avec nos entrées, les déposant devant nous, avant de s'éclipser de nouveau.

J'attendais qu'elle développe un peu parce que j'étais perdu là. Son avis m'intéressait. M'importait vraiment. Peut-être était-ce un trait de caractère qu'il me fallait atténuer, si cela mettait les autres mal à l'aise. Sasha tenta alors une explication et je compris à peu près ce qu'elle voulait dire. J'étais entier et inconsciemment, je voulais que les autres soient aussi sincères que moi. La façon dont j'avais pété un câble face à Blake ou Sasha et Sorcha en était un exemple flagrant. Je faisais confiance, je voulais que les autres fassent de même. Sauf que l'amitié, ça ne fonctionnait pas comme ça. Je donnais, mais je ne pouvais pas exiger des autres qu'ils donnent autant. Chacun contribuait selon ses moyens et sa personnalité. Je poussais les autres à se dépasser, parce qu'ils ne voulaient pas me décevoir. L'exemple de Sasha était flagrant. Elle acceptait ma lubie de paraître en fille et elle se livrait à moi comme elle ne l'avait jamais fait, sauf avec une personne. C'était une révélation assez brutale, je n'avais pas pris conscience de cela avant.

- "Merci de l'analyse... Pas loin de la vérité d'ailleurs. Sauf que je n'en avais pas conscience. Je vais essayer d'être plus... mesuré?"

Je savais prendre la critique et l'accepter quand elle était justifiée. Et là, Sasha avait bien argumenté son truc, rien à dire. Surtout qu'effectivement, ce n'était pas méchant. Et j'étais flatté qu'elle avoue que c'était pour ça qu'on pouvait compter sur moi. Car oui, on pouvait en effet me faire confiance, j'étais un soutien solide et indéfectible.

Le serveur se pointa alors avec nos commandes. Et j'en profitais pour parler d'ivresse, apprenant que Sasha était du genre koala quand elle était bourrée. Ça devait être trop mignon, même si cela avait du être bizarre quand elle avait fait ça en ressemblant à un gosse et en s'accrochant à un mec. Elle me contredit alors, expliquant que dans l'under, on s'en foutait des sexes. A oui, j'avais un peu oublié ce détail. C'était là un sujet qui ne m'était pas vraiment familier dans mon milieu ultra catholique et conservateur. Je n'en étais pas à vouloir brûler tous les gays, mais j'avais un peu de mal avec ça. Mais j'étais assez tolérant et ouvert d'esprit, donc ça passait.

Je lui demandais alors si je pourrais rencontrer Crazy. Elle me livra mieux : son mon et son histoire, qui me fit frissonner d'ailleurs, tant cela aurait pu être moi dans mes accès de colère. Sa main se posa sur la mienne, réconfortante et je la regardais alors qu'elle m'assurait que cela ne pourrait pas m'arriver, que même hors de moi, j'étais encore capable d'écouter et de raisonner, de m'arrêter avant de commettre l'irréparable. Quand je l'avais frappé, le cri de Sorcha m'avait figé, mais aussi son cri à elle alors qu'elle disait que je lui faisais mal. Les deux combinés avaient eu raison de ma violence.

- "J'espère que tu as raison. J'ai l'impression d'être instable depuis quelques mois et je déteste ça."

Je haussais les épaules alors qu'elle rajoutait avec malice qu'il ne me verrait peut être pas arriver avec malice. Mon sourire s'accentua.

- "Ah bon? Pourquoi? Il est du genre grand frère protecteur avec toi, comme je le suis avec Sorcha?"