J'ai besoin de l'oubli [Blue]

C'est par instinct que je me retrouvais devant chez Blue après tout ce qu'il s'était passé. Je ne me voyais pas rester au bahut, pas après cette humiliation. Je ne voulais plus croiser Blake aujourd'hui, c'était clair. Plus jamais même, mais en fréquentant la même école et en ayant les mêmes cours, cela risquait d'être un peu difficile. Mais pour aujourd'hui, au moins, je ne voulais plus voir son visage, ni entendre ses paroles mensongères. Ne pas croiser les regards des autres élèves, curieux de savoir où j'avais pu me faire cogner.

Rentrer chez Aaron? Ce n'était pas davantage acceptable. Il n'y aurait surement personne, mais je ne voulais pas prendre le risque de croiser quelqu'un. Et cette maison n'était pas un refuge et ne le serait jamais.

Non, mon refuge, aussi bizarre que cela puisse paraître, c'était chez Blue. J'y passais d'agréables moments, de complicité et d'apprentissage, sans me prendre la tête. J'y étais bien et c'était parce qu'il était là. C'était vers lui que je voulais me tourner cette fois. Je n'étais pas aussi proche d'Aaron et lui confier mes petits problèmes ridicules ne me semblait pas judicieux. Quant à Sorcha, c'était hors de question. J'étais son frère, pas envie de perdre la face devant elle.

Je sonnais donc chez Blue. Il était 10h30 du matin, j'avais tout le côté gauche du visage qui me lançait et un début de migraine. Sans compter cette souffrance lancinante d'avoir été prit pour un con et accusé à tort d'un truc que je n'aurais jamais fait... Ou bien au contraire, Blake avait-elle vraiment perçu ce baiser, cette intimité comme une intrusion? Elle m'avait avoué ne pas avoir confiance dans les hommes et les fuir. Et moi, j'avais transformé l'amitié en quelque chose de plus complexe... Avait-elle prit peur? J'avais eu tout le temps de repenser à cela et peut-être qu'elle n'avait pas voulu sauver sa réputation. C'était peut-être son mécanisme de défense devant mon geste, pas agressif, mais qu'elle n'avait pas su gérer... Je ne savais plus et je n'avais pas envie de me prendre la tête là dessus.

La porte finit par s'ouvrir sur un Blue à moitié dans le coaltar. Merde... J'avais complètement oublié qu'il dormait souvent à cette heure-ci. Je me sentis complètement con d'avoir été aussi égoïste et de penser que je ne le dérangeais pas.

- "Je te réveille, je suis désolé, j'ai oublié que tu te reposais à cette heure."

Je me passais une main dans les cheveux, dépité. J'allais finir par craquer avec toutes ces conneries. J'avais un trop plein d'émotions que je n'arrivais plus à contenir et tôt ou tard, elles allaient sortir. Je voulais juste que cela ne se fasse pas devant témoin... J'avais envie de hurler, de frapper, de me recroqueviller dans un coin, de pleurer comme un enfant. Mais je ne pouvais pas... Blue m'avait déjà vu triste, mais là, mon expression affichait une détresse qui allait bien au delà de la simple mélancolie qui m'était coutumière... Un appel à l'aide. Sans oublier l'hématome qui fleurissait sur mon visage.

- "Je... Je vais te laisser, j'aurais pas du venir, ou j'aurais du appeler... Désolé."

Encore une fois, c’est mon réveil qui prit. Direct dans le mur. Ca lui apprendra ! Sauf que…Ben c’était pas lui qui venait de sonner…Connerie ! Donc il fallut bien que je me lève, que je saute dans un pantalon en grommelant comme une idiote sur l’abruti qui venait me réveiller. D’ailleurs l’éclat de mes yeux sombres ne laissait pas de doute du tout sur le traitement que je réservais a cet empêcheur de dormir en rond ! Déjà que j’avais eu un mal de chien a m’endormir en vouant Sorcha a tout les démons possible et inimaginable, si en plus j’arrivais pas a finir une moitié de nuit…Bref. La main dans la tignasse, l’air pas franchement accueillant, j’ouvris donc ma porte prête a pourrir l’abruti…Sauf que l’abruti, je ne m’attendais pas du tout a ce que ce soit Kieran, ni même a ce qu’il arbore un superbe œil poché, et enfin, encore moins cette tête totalement décomposé.

Vu la mienne de tête, il était évident que je me levais mais ses excuses me passèrent au dessus de la tête, là sur le coup, j’étais totalement réveillée. Y avait un truc qui n’allait pas. Ca se voyait sur son visage et même dans sa façon de parler un peu hésitante.

Il fit mine de tourner les talons, mais je le retins par le t shirt.

« Entre. »

Ben ouais, il allait pas fort, ça se voyait, je ne savais pas ce qu’il s’était passé mais quelque chose me disait que je n’allais pas tarder a le savoir.

« Tu m’dérange pas. »

Ce qui était la stricte vérité, même si quelques minutes avant j’étais a deux doigts d’enfoncer mon pieds dans le fondement de l’empêcheur de dormir en triangle. Sauf que là, sur le coup, j’en avais plus du tout envie. Je laissais donc la porte ouverte en faisant demi tour pour fureter dans mon frigo, m’envoyer une lampée de lait avant d’ouvrir un placard, de sortir deux verres et une bouteille remplie d’un liquide ambré. Bonne ou mauvaise idée, j’en savais rien mais une chose était sur, il avait l’air totalement déboussolé. Etait ce Sorcha ? Non, je ne pensais pas. Elle ne lui avait rien dit. Aaron ? Peut être…Après tout, j’en savais rien. Je réprimais un bâillement en me laissant tomber en tailleur devant ma table basse, poussant mon lecteur mp3 du doigt pour poser la bouteille et les verres.

« Elle vient d’où ta blessure de guerre ? »

Fis je en pointant légèrement son œil ou sa pommette je savais pas trop l’hématome s’étalait pas mal en fait.

J'avais été idiot de venir directement là, sans penser à rien d'autre. Je m'excusai avant de tourner les talons, mais Blue ne me laissa pas partir et me fit entrer. J'étais soulagé qu'il ne me renvoie pas, parce que je ne savais pas du tout quoi faire ni où aller après ça. Il ajouta que je ne le dérangeais pas. J'eus un petit moment d'hésitation, tiraillé entre l'envie d'être égoïste et le sentiment de le forcer à accepter ma présence par politesse. Néanmoins, je ne m'encombrai pas de ce genre de sentiments avec Blue, c'était ça que j'appréciais avec lui et je ne me fis plus prier, entrant, pour aller m'asseoir, ou plutôt, m'effondrer.

Blue alla farfouiller dans la cuisine, avant de ramener du whisky et deux verres, s'asseyant à son tour en me demandant comment j'avais fait ça. Je ne répondis pas de suite, m'emparant de la bouteille pour me servir un verre et le vider cul sec, le remplissant de nouveau. Ça faisait du bien, ça réchauffait un peu. Cela chassait le froid intérieur qui s'était emparé de moi depuis les mots de Blake.

- "Du bahut. Je me suis fait cogner par un prof après qu'il m'ait surprit en train d'embrasser une fille de ma classe."

J'eus un rictus ironique. Mais quel con j'avais été... Les paroles de Hartwood tournaient dans ma tête. Un autre plan... Pour le pousser à bout. Et si Blake s'était servie de moi pour le rendre jaloux? C'était gagné. Mais c'était humiliant. Et si ce n'était pas le cas, s'entendre dire que je l'avais forcé ne valait pas mieux.

- "En fait, il a pété un plomb quand elle lui a dit que je l'avais embrassée et qu'elle ne voulait pas."

J'avais dit cela d'une voix tranchante. C'était faux, absolument faux, je ne l'avais pas forcée! Elle mentait... Ou bien étais-je tellement dérangé que je n'avais pas vu ce que j'étais en train de lui faire? Je bus une nouvelle rasade, avant de poser les coudes sur la tables et d'enfouir ma tête entre mes mains, respirant à fond pour lutter contre une vague de désespoir qui risquait fort de me faire perdre toute contenance devant Blue.

Wow ! Ca devait être coton pour qu’il s’enfile un verre cul sec ! Curieuse, je le regardais boire sans songer a me servir moi-même, attendant ces explications et celles-ci ne tardèrent pas. Je ne sais pas exactement ce que je ressentis a cet instant, mais c’était étrange. C’était un peu comme si je trouvais finalement qu’il avait mérité son œil au beurre noir. Je ne voyais pas pourquoi il avait trouvé utile de fourer sa langue dans la bouche d’une fille a problème…ou dans une fille tout court remarquez. Je retins des mots acerbes sur le bout de la langue, agressive malgré moi alors que je ne comprenais même pas pourquoi je l’étais. C’était idiot ! il avait le droit de se trouver une copine nan ? C’était un pote, juste un pote, je voyais pas ce qui me défrisais là dedans ! Enfin si, je voyais. Une copine, ça prend du temps, ça refuse que vous sortiez sans elle, ça exige toujours plus et dans ce cas là…Kieran n’aurait plus de temps pour moi. Comme un boomerang, je me repris en pleine face ce que j’avais dis a Sorcha quelque jours plus tôt et je réprimais un rire nerveux. Nan, en fait, c’était pas tout a fait la même chose, j’étais en colère contre lui oui, mais aussi contre moi parce que là, d’un coup, j’me serais bien vu a la place de l’autre nana…fallait être tordue.

« Dis donc, t’es doué pour les choisir tes copines toi. »

Oula, un poil trop agressif ! Décontenancée, je me levais subitement avant de retourner au frigo, cachant mon trouble trop incompréhensif dans la partie congel de l’appareil pour en sortir un bac de glaçon et en fourrer dans un torchon propre. Fallait que j’arrête de tourner en triangle avec lui, ça commençait a devenir grave…Je soupirais lourdement…avant de revenir vers la table, lui tendant les glaçons avec un léger sourire désolé au vu de mon agressivité première.

« Ouais, m’enfin, j’te vois pas forcer une fille Kieran, s’pas tellement ton genre quoi…Ton prof, il aurait pu s’ne rendre compte tout seul. Et pis, depuis quand ça cogne un prof ? »

Ouais non parce que là, j’avais l’explication de l’œil au beurre noir mais je voyais pas pourquoi il se l’était récolté…Bon a part l’autre gonzesse l’accusant limite de viol…C’est sur que sur le coup. En plus, je voyais pas ce qui dérangeait Kieran dans l’histoire. Ah moins que…Que…Je déglutis et me servis un verre a mon tour, ayant extérieurement l’air cool alors qu’en fait, j’étais en train de me traiter de tout les noms.

« t’es amoureux pour que ça te touche comme ça ? »

Je relevai brusquement le visage vers Blue quand il me rétorqua que j'étais doué pour choisir mes copines. Non pitié... Pas de jugement. Je n'étais pas venu ici pour qu'on me rappelle que j'avais été con. Et je n'avais pas choisi Blake, c'était venu tout seul. Et ce n'était pas ma copine. Je ne répondis rien, alors qu'il se levait, retournait dans la cuisine, pour revenir quelques instants plus tard avec de la glace. Oh l'idée lumineuse... Je m'en saisis avec gratitude, l'appliquant sur ma pommette et mon œil, non sans grimacer de douleur et à cause de la sensation glacée.

Blue retrouva un ton moins agressif et plus compréhensif, ce dont je lui fus gré. Et malgré moi, je lui fus reconnaissant de me dire que c'était pas mon genre de forcer une fille. Parce que là, je commençais sérieusement à en douter en fait. C'était terrible de connaitre la vérité, mais d'avoir finalement un doute, et de la retourner dans tous les sens en ne sachant plus ce qu'elle était au départ.

- "Non, c'est pas mon genre..."

Je soupirai, la tête posée contre la glace et je fermai les yeux.

- "On n'avait pas cours ce matin. Elle m'a entrainée avec elle dans une salle vide et elle s'est mise en tête de me dessiner. On en avait parlé y'a un moment, on avait plaisanté dessus, sauf qu'elle, elle était sérieuse. Alors j'ai laissé faire, curieux, tu vois. Ce que j'aime bien avec elle, c'est que c'est simple et elle me permet d'oublier un peu mes problèmes. C'est une artiste, on partage ce genre de truc... L'atmosphère était détendue, moi j'étais serein, ce qui ne m'arrive pas souvent. Je me suis levé pour aller admirer son oeuvre, je me suis retrouvé derrière elle et puis... Je sais pas, elle était face à moi, elle était jolie, j'avais envie de l'embrasser, alors je l'ai fait."

Je rouvris les yeux, les vrillant dans ceux de Blue pour reprendre avec conviction :

- "J'y suis allé doucement. Sérieusement, Blake, c'est pas une de ces filles de l'under... Elle se balade pas avec une tenue qui dit : je suis dispo ce soir. Je l'ai prévenue que j'allais l'embrasser et elle a pas bougé. Alors je l'ai fais. J'ai pas forcé... Non, je ne suis pas comme ça, même avec les nanas faciles."

J'avais besoin de vider mon sac, d'avoir un avis extérieur, parce que moi, je ne savais pas du tout quoi penser.

- "C'est là que le prof a débarqué, fou de rage. Il l'a limite traité de salope, après avoir demandé si c'était encore un plan pour le rendre dingue... T'en déduis quoi toi? Qu'il est amoureux d'elle et qu'elle essaie de le rendre jaloux? Qu'elle s'est servie de moi pour ça? On était dans sa classe après tout. Il n'y avait pas que celle là de libre... Mais je sais qu'elle a peur des mecs, alors est-ce qu'elle a eu peur de me dire non et que du coup, je l'ai vraiment embrassée alors qu'elle ne voulait pas? C'est ce qu'elle a dit au prof... "C'est lui qui m'a embrassé, je voulais pas moi!"... C'est là qu'il m'a frappé... Il a du penser que j'avais essayer de la culbuter sur la table. Non en fait, il l'a carrément pensé puisqu'il l'a dit. Pour quoi je passe moi? Sans compter que... Je ne m'attendais pas à ça de la part de Blake... Je pensais pas qu'elle me trahirait ainsi, alors que j'ai du mal à accorder ma confiance. Elle le sait."

Je parlais trop, livrant tout comme ça me venait et je n'étais pas sur que cela soit compréhensible pour Blue. Jamais je n'avais parlé autant de moi et de ce que je ressentais mais là, j'ouvrais les vannes et j'avais vraiment besoin qu'il me dise que je n'étais pas un connard, que j'avais pas profité de Blake. Même si cela ne m'empêchait pas de souffrir de cette amitié perdue. Sa question me déboussola un instant. Qu'est-ce que cela pouvait bien faire?

- "Non, je ne le suis pas. J'ai bien aimé l'embrasser, mais... Non, je ne l'aime pas, pas comme ça du moins. Ce qui me touche, c'est d'avoir été prit pour un con... Pour moi, l'amitié c'est sacré... J'aurais jamais cru qu'elle agirait comme ça. Je suis vraiment idiot."

Et hop, une troisième rasade de whisky. J'avais un peu d'entraînement, il m'en faudrait le double pour commencer à être vraiment imbibé.

Je me rendais compte au fur et a mesure qu’il parlait que je n’étais pas vraiment faite pour écouter ce genre de confidences…Mais en même temps, je l’avais cherché, je ne pouvais rien dire. Alors je me taisais, buvant a petite gorgée, l’écoutant me parler sans l’interrompre une seule fois. Et puis je me pris au jeu, c’est vrai. Après tout, c’était moi qu’il était venu voir, pas Sorcha, ni Aaron ni…enfin surtout pas cette Blake que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Adam.

Je ne voyais pas Kieran en violeur refoulé. En fait, même si je regardais souvent ailleurs dans les cas là, même avec les filles de l’Under, il forçait rien alors qu’il tente sa chance avec une fille de son lycée, de son âge…C’était pas bizarre ni insultant…Sauf que là, je me sentais pas a ma place soudainement, comme mise a part et je n’aimais pas cette sensation diffuse qui ne voulait pas me lacher. Clair que je ne serais jamais dans ce genre de situation, que je saurais sans doute jamais ce que ça faisait d’être normale, jolie et pétillante, assez pour qu’un type ai envie de vous embrasser. C’était débile comme pensée, vraiment. Ca faisait longtemps que j’avais fait ce choix, je ne pouvais pas revenir en arrière…J’aurais bien aimé aussi foutre tout sur le dos de la nana en question. Dire que c’était une manipulatrice, une salope qui c’était servit de lui mais…je ne le fis pas. C’était pas mon genre de juger sans savoir de toute façon, même si instinctivement, je ne l’aimais pas. C’était con et tellement pas moi.

Je faillis m’étouffer a son laïus sur l’amitié et je pensais un instant a Sorcha. Elle comme moi, on était dans la merde. Mais elle, elle s’en sortirait sans doute, moi, c’était moins sur…

« Moi s’que j’en dis, c’est que tu t’es retrouvé au mauvais moment au mauvais endroit. Enfin, j’veux dire que c’était p’tete pas prémédité, mais que dans l’histoire, toi tu as juste suivit ton envie. Une fille qu’a peur des mecs est soit tétanisée, figée soit morte de trouille et fond en larme. De s’que tu me dis, c’était plutôt l’option statue. Alors un prof qui déboule en rogne, forcément, ça aide pas non plus a être cohérent. T’a pas toute les cartes en main j’crois.»

Je me grattais la tempe, ébouriffant encore un peu plus les mèches volantes autour de mon front. Je tendis une main soudainement, la posant sur sa tête a lui, comme ça, sans la passer dans ses cheveux ou quoi.

« T’es pas un connard ni même un con, Kieran, sinon, tu s’rais pas chez moi. T’a juste tenté ta chance comme n’importe quel mec devant une nana qui lui plait s’tout, manque de pot, la nana trainait quelque casseroles…Ca tu pouvais pas savoir. Peut etre que tu t’es planté d’ami ou peut être pas, s’que j’en dis, c’est que c’est trop le bordel pour le moment pour démêler le vrai du faux. »

Et pourquoi je la défendais elle ? Bordel de merde…Mais d’un autre coté, j’voulais pas qu’il soit blessé comme ça. L’approcher était pas facile, il était comme moi, alors ouais, j’pouvais comprendre qu’il le prenne mal mais d’un autre coté, son jugement était plutôt bon, donc peut être que la nana avait pas tout les tords dans un sens…

« J’suis pas doué pour tout ça moi alors t’inquiètes pas si j’dis n’importe quoi. »

Finis je par achever en ramenant ma main vers moi, l’enroulant autour de mon verre.

« Tu t’souviens que tu m’avais dit que t’étais pas un lache qui fuit mais plutôt le genre a rentrer dedans ? Mets les points sur les « i » »

Mais vas y Blue, pousse le donc dans les bras d'une nana...Imbécile tiens. Finalement, le whisky avait bon gout.

Blue ne savait pas plus que moi ce qu'il fallait penser de ça. J'avais été au mauvais endroit au mauvais moment. C'était juste une coïncidence si je m'étais fait pincer à embrasser une fille qu'un prof convoitait dans sa classe? Mouais, un peu gros, mais je préférais ça à imaginer Blake me manipuler. Le contact de la main de Blue sur ma tête me sortit de mes pensées et je le regardais, surpris de ce contact. Il n'était pas très tactile. Nos contacts se limitaient à lui qui me tombait dessus ou me soutenait quand j'avais un pépin. Des trucs pratiques ou malencontreux. Là, c'était un geste de réconfort. Je n'étais ni un connard, ni un con, je n'avais pas eu de bol dans le choix de la nana et c'était trop le bordel pour pouvoir démêler le vrai du faux pour le moment. Il avait raison, ça servait à rien de me monter le bourrichon aujourd'hui. Il revint un peu sur ses paroles, disant qu'il n'était pas doué pour ça et disait n'importe quoi. Il retira sa main et je secouai doucement la tête, pas trop fort ou vite quand même, j'étais encore sonné.

- "Nan, tu dis pas n'importe quoi, tu as raison. C'est pas le moment de me pourrir l'esprit avec des questions sans réponses... Je ne voulais rien entendre de précis, je savais juste que toi, tu m'écouterais, sans me juger et que je pourrais cuver tranquille... La maison où je réside n'est pas mon foyer, ni un refuge. Ici, c'est différent."

Je n'avais pas envie de confier mes petits problèmes à Aaron qui avait déjà les siens et autrement plus difficiles à gérer. Et Sorcha était ma soeur, je ne pouvais pas lui parler de ce genre d'histoires là. Et Blake... Ben elle était la cause de mes soucis. Blue était le seul qu'il me restait et c'était naturel. On s'entendait bien, il était un peu un petit frère. Il me conseilla alors d'affronter Blake. C'est vrai, je n'étais pas un lâche, même si j'avais fui devant Hartwood et elle. Par sagesse je me disais.

- "Ouais, mais pas aujourd'hui. Là, je ne peux pas lui pardonner, je ne veux même pas la voir. Quant au prof... Je ne sais pas comment ça va se passer... Si jamais ça remonte aux oreilles de l'administration, je serais renvoyé. J'ai déjà foiré une année avec l'accident, je veux enfin en finir avec le lycée."

Et vas-y que je me ressers un verre et que je le vide une fois de plus. Voilà, je commençais à être ivre, j'allais enfin pouvoir lâcher prise, ce n'était pas trop tôt.

- "Il est pas mauvais ton whisky. Ça vaut pas celui de chez moi, mais il est bon."

Chez moi c’était différent ? En quoi ? Mais je ne voulais pas poser la question en fait. Si il venait chez moi, c’était qu’il en avait envie et qu’il se sentait bien avec moi. J’étais contente, enfin…je crois. A vrai dire, je ne savais plus trop quoi penser, c’était un peu le bordel dans ma petite tête, je me débattais avec des pensées et des sentiments que je n’arrivais pas a comprendre, ni a gérer, alors au lieu de ça, je préférais me concentrer sur lui. Il était visible qu’il avait été blessé, profondément même. Je ne le touchais que rarement, mais cette fois, je le fis, me contentant d’un contact léger, juste poser ma paume sur son crâne sans secouer la main comme on le ferait d’un gosse, sans passer mes doigts dans ses cheveux, comme le ferait une fille. Juste la poser pour l’oter par la suite.

« Bah, tu viens quand tu veux, ça m’gêne pas. »

Non pas du tout même, même si je commençais sérieusement a culpabiliser de lui mentir comme ça. Ca ne me plaisait pas. D’ordinaire, je n’aimais pas le mensonge, j’étais plutôt du style a dire tout haut ce que je pensais tout bas, mais là, a le voir ainsi…Je n’avais aucune envie de le blesser d’avantage…je crois que là, je compris l’expression « être otage de son propre mensonge ».

« Laisse toi le temps d’encaisser, mais faut rentrer dans l’tas, sinon, tu sera jamais fixé et tu auras toujours l’impression d’être un salop fini. S’que t’es pas du tout. »

Non clairement pas, même si je n’aimais pas la manière dont il traitait les filles, il ne pouvait pas être un salop. Je souris légèrement à sa remarque.

« Ouais ben désolé, la prochaine fois, je f’rais gaffe a prendre du whisky irlandais…Pourtant, le londonien est pas dégueulasse, tu s’rais pas un peu raciste nan ? »

Puis, je posais mon menton dans ma main, me resservant tranquillement avant de lever mes yeux sur lui. C’était dommage que son œil se ferme ainsi, il avait un regard absolument fascinant…Putain ! Arrête ça tout de suite !

« Ca va mieux ? »

Tu vas lui courir après ? Tu vas te rattraper ? Je vais devoir te perdre ? J’avais bien trop de question sans réponse qui me tournait dans la tête et picoler n’était sans doute pas le meilleur moyen pour y remédier, mais avec un peu de chance, je les oublierais dans quelques minutes. Je n’étais pas une soulote de base et je ne buvais pas énormément malgré ce que l’on pouvait penser..En fait, je buvais doucement, c’était ça qui faisait la différence.

« T’es un type bien, l’oublie pas. »

- "Sauf que je grignote déjà le peu d'heures de sommeil que tu as. Mais c'est sympa."

Moi même, j'avais quand même tendance à être une marmotte. Me coucher tard oui, mais me lever tôt... le calvaire. Surtout avec un sommeil agité. Je ne pouvais pas dire que je récupérais quand je fermais les yeux. J'avais beaucoup trop de pensées parasites qui m'empêchait de m'endormir. Et ces pensées se transformaient en mauvais rêves un peu trop souvent à mon goût.

- "Ouais, j'irais lui parler quand j'aurais digéré ce coup là..."

Blake avait des circonstances atténuantes, mais pour l'heure, j'en avais rien à foutre de ses problèmes et refoulements, pas quand elle pouvait me mettre dans la merde sans même s'en soucier. Elle m'avait touchée par ses confidences, par sa peur des hommes mais là, son comportement était trop bizarre et ambigu. Je n'avais pas envie de chercher à comprendre aujourd'hui, surtout avec cette douleur sourde sur le visage et cette migraine. Je préférais encore me concentrer sur la boisson, non sans laisser un petit commentaire un peu chauvin.

- "Les anglais et les irlandais, c'est une grande histoire de haine tu sais."

Ah ben non, il savait peut être pas en fait, s'il avait arrêté l'école. Un petit verre pour la route.

- "Pour faire court, l'Irlande a été conquise par les Anglais il y a des siècles, a affamé la population au 19e, laissant les irlandais crever de faim et provoquant ainsi l'émigration massive aux Etats-Unis."

Wouah, même avec 1g dans le sang, j'arrivais à faire un cour d'histoire cohérent. Allez encore un verre.

- "Enfin bref, l'Irlande n'est indépendante que depuis quelques décennies en fait. Donc ouais, on a une dent contre les anglais. En plus, ils savent pas cuisiner, c'est un désastre."

Ah la bouffe ici... Mais quelle horreur. On s'en ressert un? Le liquide ambré descendait à une vitesse folle dans la bouteille et pas vraiment à cause de la consommation de mon compagnon. Blue me demanda si ça allait mieux et je hochai la tête. Avant de me laisser tomber en arrière, afin de m'allonger à même le sol, passant un bras sous ma tête et l'autre main maintenant la glace sur mon visage.

- "Ouais, je commence à être bourré."

Il termina alors en disant que j'étais un type bien, que je ne devais pas l'oublier. Ouais, s'il le disait. Pfiou, j'avais bu la moitié de la bouteille un peu trop vite là. J'avais chaud, j'étais crevé, j'avais la tête lourde et pas seulement à cause de l'alcool.

- "Putain, il frappe fort cet enfoiré, on dirait pas comme ça..."

Bon ben si je me réveillais pas, c'est que j'avais une commotion cérébrale. Au moins comme ça, je serais tranquille, débarrassé de tous ces problèmes, de toutes ces déceptions. Ce ne serait pas si mal en fait. J'avais fermé les yeux et comme rarement, je m'endormis comme une masse, dans un endroit où j'étais bien, en compagnie de quelqu'un en qui j'avais confiance.

Je buvais doucement et j’me marrais de voir Kieran s’enquiller plus de whisky que je n’avais jamais vu. Je le laissais faire, j’étais pas une moralisatrice et puis, si il dérapait, j’étais là de toute manière. J’eus même droit a un cours d’histoire qui me fit rire.

« Alors qu’est ce qu’on fous autour de la même table hein ? »

Je bu une gorgée de whisky, remarquant a quelle vitesse la bouteille se vidait. Bon sang ù ! Sacrée descente quand même ! Je restais pantoise et sur le coup, je me demandais ce qu’avait cette Blake pour le mettre dans cet état. Il n’en était pas amoureux, il l’avait dit et j’en avais été soulagée, inexplicablement. Je le regardais se saouler la tronche avec un léger sourire aux lèvres, au moins, ses ennuis étaient passés, il oubliait un peu, même si c’était que temporaire.

« Sans blague ? »

Fis je avec un large sourire, me disant que j’étais bonne pour sortir l’aspirine. Il ne divaguait pas, enfin pas comme je l’avais déjà vu et lorsque je le vis tomber en arrière, je me redressais subitement. Qu’est ce qu’il foutait ? Qui frappait fort ? Arrête de me faire flipper merde !

« Kieran ? »

Pas de réponse, par contre, le sac de glace glissa pour finir par terre…

« Kieran ? »

Bon là, j’étais un peu inquiètes quand même. Alors je fis le tour de la table a 4 pattes avant de m’arrêter a coté de lui pour lui secouer l’épaule doucement. Sa respiration était régulière…Il…dormait ? Incrédule, je fixais son visage tuméfié et presque serein. Ouais, il dormait. J’en revenais pas ! Comment pouvait on s’endormir comme ça d’un coup ?! J’eus un petit rire, secouant doucement la tête. Finalement, tu tiens pas l’alcool si bien que ça hein ! Je m’accroupis a coté de lui, entourant mes genoux de mes bras, posant le menton sur mes bras. Je ne souriais subitement plus, bien au contraire. J’étais juste en train de constater a quel point j’étais dans la merde, enfermée dans mon propre mensonge. Je ne pourrais pas en sortir sans blesser, sans le blesser lui. Il me faisait assez confiance pour venir me voir quand ça allait pas, pour s’endormir comme une souche même et moi…Moi, je lui servais un joli mensonge en remerciement. Finalement, sa sœur avait sans doute raison. Je tendis une main un peu hésitante, avant d’effleurer son front, juste pour repousser une mèche qui s’y égarait. Je me demandais si il arriverait a pardonner si je lui avouais tout ? Sans doute pas et je n’avais pas envie de prendre ce risque. C’était de la lâcheté dans toute sa splendeur non ? Se faire avoir comme ça était vraiment stupide hein ? Totalement idiot. Je n’avais rien vu venir, rien du tout et maintenant ? Je faisais quoi ? Comme si de rien n’était hein, parce que je n’avais pas le choix. C’était bien beau tout ça, vraiment…Pour un peu, j’aurais eu envie de me souler aussi mais ça changerait rien.

J’aurais aimé que Crazy soit là, il aurait su quoi faire lui…Moi, je ne savais pas. Je savais plus. Finalement, je soupirais un peu tristement. Ca c’était le troisième effet kiss cool quand tu trompe ton monde. Je bougeais légèrement, me baissant pour effleurer son front de mes lèvres. Il dormait, il ne s’en souviendrait pas et moi, pendant deux secondes, je pouvais être une fille…N’importe quoi.

Je me reculais, regagnais ma place et fourrait dans mes oreilles les écouteurs de mon lecteur…Volume a fond…Batterie a fond…J’aurais vraiment du me souler.

J'étais en voiture. J'étais à l'arrière avec ma soeur. Papa conduisait, maman regardait le paysage. J'étais assis derrière elle, parce que j'avais plus de place que derrière le siège de mon père. Je ne voulais pas aller avec eux. J'avais une fête avec des potes, et je trouvais ça vraiment lourd de m'obliger à passer du temps en famille. Non mais franchement, je les voyais déjà tous les jours, c'est bon quoi... Et puis ce n'était pas comme si mes parents étaient super cool. Ils étaient stricts, chiants. Je me faisais engueuler à chaque fois que je faisais quelque chose et engueuler quand je ne faisais rien. Ils étaient désespérés de mon attitude. Et alors quand je sortais une clope, là, c'était la fin du monde et même ma soeur s'y mettait.

Ils me faisaient chier.

Je boudais. Ce que mon père remarqua et souleva. Mais putain, fous-moi la paix quoi. Laisse-moi écouter ma musique tranquille. Je n'avais pas besoin qu'on mette des sous pour faire repartir ma colère. Papa avait le sang chaud lui aussi. Alors forcément... La conversation monta vite dans l'habitacle. Trop vite. Excédé, il se tourna vers moi, menaçant, alors que je venais de l'insulter. Ma mère cria quelque chose... Attention je crois.

Et là... Le choc, le trou noir.

Je m'agitai dans mon sommeil alors que je revivais ce jour terrible où tout avait basculé. Je sentais même l'odeur de brûlé. Je revoyais tout ce sang... La voiture renversée, les éclats de verre, la douleur, la prise de conscience de toute l'horreur de la situation. Oh non, pas encore ça, pitié. C'était bon là, je saturais. Et Sorcha, qui me regardait accusatrice.

- "TU LES AS TUE KIERAN!"

Non... non! Un nouvel élément se greffa au cauchemar. Blake me regardait à son tour, les lèvres tremblantes, des larmes sur ses joues.

- "Comment as-tu pu me faire ça Kieran? Je ne voulais pas. Tu m'as embrassée et je ne voulais pas."

Là, c'était vraiment la goutte d'eau. Sans même le savoir, des larmes maculèrent mes joues alors que je hoquetais en gémissant. Et soudain, j'ouvris les yeux alors qu'on me secouait. Je me redressais brutalement et le regrettai aussitôt quand une violente nausée me prit. Je portais la main à ma bouche, pour réprimer cette nausée et je fermai les yeux en respirant à fond. Un cauchemar. C'était un putain de cauchemar. Et quand je rouvris les yeux, douloureux à cause de la lumière, Blue m'observait, assis près de moi. Je me rendis compte alors de mes joues mouillées et je m'essuyais précipitamment le visage. Avant de gémir avec l'impression que mon crâne allait se fendre en deux.

- "Putain, j'avais oublié comment on était mal après une cuite."

J'effleurai l'hématome de mon visage avec précaution. Ouais, ça faisait mal. C'était tout boursouflé, pas beau à voir et mon œil était à moitié fermé. La gueule que je devais avoir.

- "T'as pas un remède contre la gueule de bois? Je sais pas si c'est le whisky ou le coup, mais j'ai l'impression que mon crâne va se fendre en deux là."

Je n'osais pas aborder le thème du cauchemar, ni de cette façon lamentable de pleurer et de gémir comme une gonzesse terrifiée. J'avais soudainement trop honte.

J’ai mis du temps a tilter que quelque chose ne collait pas. Musique a fond dans les oreilles, je finissais mon verre lentement. Un seul, comparé a la dizaine qu’il avait ingurgité, une pécadille en somme. J’avais fermé les yeux et donc, je ne vis pas tout de suite qu’il avait plongé dans un cauchemar.

Et puis la batterie se calma entre deux musiques, c’est là que j’entendis quelque chose heurter la table basse, me faisant ouvrir subitement les yeux. Kieran s’agitait, les traits crispés par une douleur que je n’avais jamais vu. Il pleurait aussi, les larmes coulaient sur son visage déformé par la souffrance. J’ôtais mes écouteurs avant de les balancer sur la table. Il s’agitait de plus en plus et je dus même éviter un poing baladeur lorsque je m’approchais. Je posais une main sur son épaule, le secouant. Pas d’effet. Alors je le secouais plus fortement en l’appelant cette fois ci. Je ne savais pas la teneur de son cauchemar, mais je n’étais pas prête d’oublier ce que j’avais vu sur son visage. Etait ce possible d’avoir aussi mal ? Je n’en savais rien, même si je souffrais aussi, moins fortement, moins clairement. Je m’en rendrais compte plus tard je pense. Là, il me faisait peur et finalement, il ouvrit subitement les yeux, posant un regard hagard autour de lui avant de se focaliser sur moi. Il essuya ses joues et je fis celle qui n’avait rien vu, alors que ça resterait graver dans ma mémoire.

J’eus un rire un peu maladroit a le voir torturé par une nausée.

« ouais, la prochaine fois, tu réfléchira j’crois bien. »

Je haussais une épaule.

« Sans doute les deux va. J’ai de l’aspirine s’tu veux et de l’arnica j’crois pour ton œil. Au moins, ça dégonflera un poil…Tu vas expliquer ça comment au fait ? »

A ta sœur par exemple. Sœur que je devais aller chercher a la sortie du lycée demain…Putain ! Pourquoi j’avais dit oui ? J’avais envie de me gifler. Finalement, je me levais, allait chercher l’aspirine et la pommade ainsi qu’un verre d’eau. Je m’installais en tailleur a coté de lui avant de plier l’index en rythme.

« Tourne toi vers moi, j’vais te passer d’la pommade. »

Je souriais avec amusement…passer de la pommade…Double sens pour une fois pas scabreux du tout !

« Approche, j’vais pas te bouffer. »

Le rire moqueur de Blue me parvint alors que je me retenais de gerber et je lui lançai un regard noir. Alors là, ce n'était vraiment pas charitable!

- "Tu pourrais compatir... Et t'estimer heureux que je ne ruine pas ta moquette."

Ouais parce que, hein, je me trouvais bien sympa de lutter contre la nausée au lieu de me laisser aller. je savais que ça irait mieux après en plus. Mais ce n'était pas terrible quand même. Putain, il allait croire que je tenais pas l'alcool! Alors que j'avais juste avalé tout ça trop vite, à jeun, en étant fatigué et en ayant été frappé comme un punching-ball. Ça ne comptait pas. Alors que je demandais un truc pour me soigner, Blue me répondit qu'il avait de l'aspirine et de l'arnica. Ah ouais, c'était bien ça. Avant que je ne grimace à sa question.

- "Je n'en ai aucune idée."

Ouais, comment j'allais expliquer ça à Sorcha? Elle allait s'affoler en se demandant qui m'avait arrangé comme ça. Elle allait surement tirer des conclusions hâtives sur mes fréquentations et ce que j'avais fait. A moins que je ne dise la vérité... enfin, en partie.

- "Si je lui dis que j'ai embrassé une fille et que son copain a déboulé, pas content, ça passera, non? Et ce ne serait pas un mensonge."

Pas tout à fait. Parce qu'en simplifiant, c'était un peu ça quand même la situation. Sauf que le copain était un prof. Blue se leva, allant chercher de quoi me soigner dans son armoire à pharmacie. Il ramena un verre d'eau et de l'aspirine. Je pris le verre, bus un peu, avant de jeter les deux cachets dedans et d'attendre que cela se dissolve dans l'eau. Blue s'assit près de moi, me demandant de me tourner vers lui. Je souris à son expression, mais ne répondit rien, avant de consentir à offrir mon visage à ses mains. Je remarquai alors la finesse de celles-ci. J'avais des doigts fins, mais de grandes mains. Pas Blue.

- "Si tu n'avais pas été batteur, j'aurais misé sur pianiste, t'as vraiment des petites mains."

Enfin, je m'exprimais mal, parce qu'avoir des petites mains, c'était handicapant pour un pianiste. Mais l'idée était là au niveau de la... délicatesse? J'eus un petit mouvement de recul quand il mit la pommade sur ses doigts et approcha sa main de mon visage. J'avais légèrement peur d'avoir mal à son contact et je me crispai.

- "Vas-y mollo... Tsss."

Petit sifflement alors qu'il appliquait la pommade sur me pommette. Sans doute doucement, mais cela restait très sensible. Les filles avaient raison : les mecs étaient des chochottes.

- "Alors? Votre verdict docteur? Vais-je garder des séquelles et être atrocement défiguré? J'avoue que ça me ferait chier quand même."

Je plaisantais, mais je serrais les dents et tressaillais à chaque contact. Sauf qu'il fallait bien faire pénétrer la pommade. Je le regardais faire d'un œil, l'autre étant fermé à moitié à cause du bleu, à moitié par réflexe. Son visage était près du mien. Il n'avait pas une ombre de barbe. Les joues étaient complètement glabres. A son âge, moi, ça commençait déjà. D'ailleurs, mon rasage du matin n'était pas impeccable.

« Mais tu m’vois reconnaissant Kieran, sans déconner ! Tu aurais été obligé de nettoyer… »

Répliquais je sournoisement avant d’aller chercher ce qu’il fallait pour sa migraine et son œil. Je revins avec une interrogation auquel il répondit pas tout de suite. Et je hochais la tête alors qu’il répliquait…

« Ouais, s’pas totalement faux mais prépare toi a une morale carabinée de ta frangine. »

Ouais parce que embrasser la copine d’un autre, c’était pas franchement reluisant, mais c’était sans doute la seule histoire plausible qu’il pouvait lui servir restant le plus proche de la vérité tout en l’embellissant un peu. Je lui tendis le verre et il fit fondre les cachets pendant que je me proposait a le soigner. C’était une belle connerie que je faisais là. Mais je ne pensais pas a mal, juste a le soigner histoire que ça soit moins impressionnant pour sa sœur quoi.

Il fit une remarque étrange sur mes mains et, machinalement, je baissais les yeux dessus. Des petites mains ? J’avais les ongles courts et quelques calls dut au baguettes, mais effectivement, elles étaient fines et petites. J’eus envie de les planquer derrière mon dos mais cela aurait paru suspect je crois.

« J’ai tout d’petit t’façon…Et nan ! Je t’interdis d’y penser ! »

Parce que je le voyais bien me renvoyer la balle sous forme de taclage concernant le dessous de la ceinture. Alors je préférais en rire et prévenir. Je pouffais a le voir se crisper a mon approche.

« Tain mais t’es une chochotte quoi ?! T’encaisse une droite sans broncher mais là, t’es a deux doigts d’me claquer dans les pattes alors que j’te touche même pas ! »

Alors autant pour le viril là ! Quoique je trouvais ça mignon, cette vulnérabilité me plaisait, trop je pense. Là d’un coup, j’avais tellement vu de facettes de lui, tellement de visage qui me plaisait…Ca me faisait peur, c’était trop, beaucoup trop et je dus me faire violence pour ne pas reculer précipitamment lorsque je remarquais qu’il fixait mes joues. Je déglutis avec difficulté. Je me sentais comme mise a nue lorsqu’il me fixait comme ça. Son regard était trop perçant, beaucoup trop pour ma tranquillité d’esprit.

J’étais délicate dans mes gestes même si je remarquais assez rapidement que mes mains tremblaient légèrement. J’étalais le pommade par petite touche, évitant d’appuyer sur les chairs malmenées avant de me détourner comme une fuite, durant quelques secondes, j’avais été si attirée par ses lèvres que j’aurais été a deux doigts de faire une connerie.

« Ta belle gueule s’en sortira indemne ou presque. T’inquiètes, tu seras encore en mesure de faire des ravages ! »

Je remballais mon tube de pommade avant de le lui tendre, m’éloignant un peu.

« Tiens, garde là, faut en mettre demain aussi. »

- "Quand je dis que tu me feras crever..."

Même malade, il me ferait nettoyer. Tss... Bon en même temps, c'était normal. Je salopais, je nettoyais. Donc, raison de plus de se tenir tranquille et de ne pas se laisser tenter par l'envie de tout régurgiter. Au pire, les toilettes n'étaient pas très loin. Je détestais vomir. Je ne me rappelais plus la dernière fois où j'avais vomi. Si quand j'avais eu la gastro, je pense. Mais pas parce que j'étais bourré. Il me demanda alors ce que j'allais dire à ma sœur et j'optais pour la vérité. Je haussais les épaules quand il me répliqua que j'allais me faire engueuler.

- "Pour ce que ça change... Et à ma décharge, je la pensais vraiment libre... Si j'avais su que le prof lorgnait sur elle, je me serais tenu tranquille, j'aime pas les complications."

Carrément pas. D'où mes envies de lever une nana à l'under, sans me prendre la tête. Et pas une lycéenne. Si j'avais encore eu des doutes, avec le coup de Blake, j'étais douché. Pas envie de recommencer l'expérience. Il entreprit alors de vouloir me passer la pommade lui-même. J'acceptai, avant de remarquer la finesse de ses mains. Sa réponse me fit éclater de rire, ce que je regrettai aussitôt au vu de la douleur qui me vrilla la tête au même moment. Mais qu'il était con avec ses phrases scabreuses!

- "J'ai rien dis... J'ai rien pensé... T'as quand même le chic pour glisser des doubles sens de fous dans tes propos tu sais."

Sauf que j'étais loin d'être détendu là. Et que je reculais légèrement quand il approcha, en un geste de défenses idiot et puéril, aussi bien qu'inefficace. Et la remarque cinglante de Blue ne tarda pas.

- "Pff... Je ne suis pas une chochotte."

Bon un peu. Ce qui était paradoxal au vu des multiples traumatismes que j'avais pu avoir. La douleur, je connaissais. Mais je n'avais pas appris pour autant à l'encaisser.

- "Et la droite, je l'ai encaissée sans broncher parce que j'étais un peu choqué de me faire traiter de violeur en fait... En temps normal, je lui en aurais remis une. Cela dit, c'était sans doute préférable que je sois trop sur le cul pour répliquer... Mais je pensais pas qu'un prof pouvait avoir une telle force. C'est bon que je ne suis pas une petite nature, sinon, il m'aurait sonné."

Il était grand le Hartwood. Et il savait cogner. Ses doigts n'avaient pas craquer et il n'avait pas eu mal. Pas de fracture donc. Dommage. Moi j'avais déjà eu et ça faisait un mal de chien. Je sifflais de douleur quand il me toucha, mais je ne bougeais pas. Je préférais me concentrer sur son absence de barbe tiens. Et ses cheveux devaient avoir hérité du côté asiatique de l'un des parents parce qu'ils paraissaient tout fins. Sans compter ses yeux bruns et un peu bridés. J'avais tout le loisir de le passer à la loupe comme ça. Je sortis une connerie et il y répondit.

- "Ouf. Me voilà soulagé. J'ai déjà des cicatrices un peu partout, j'aimerais bien épargner le visage."

Il me tendit la pommade et je m'en saisis, hésitant.

- "Je pourrais aller en acheter en pharmacie, t'en auras peut-être besoin..."

Je marquai une pause, avant de boire mon verre d'une traite, grimaçant à cause du goût. Je reposai le verre sur la table et repris en le regardant :

- "Merci."

« Ouais, m’enfin, tu pouvais pas savoir non plus. Ca fait limite pédo de lorgner sur ces élèves…Encore un pervers quoi. »

Quoique, je n’avais aucune idée de ce a quoi il ressemblait, ni même a quoi elle ressemblait et j’aimais pas parler d’elle. Elle, elle était dans la normalité, elle avait une putain de chance pas possible que je n’aurais jamais. Merde ! Je devenais envieuse…

La dessus je pris le partit de l’humour lorsqu’il remarqua la finesse de mes mains. C’est vrai que je n’avais pas des mains de mecs, c’était assez risible. Les petits détails qui pouvaient faire le lien avec mon sexe, il les remarquait un a un mais il n’arrivait pas a les mettre bout à bout. Je trompais avec conviction helàs…J’avais vite compris que je ne devais rien lui dire, j’étais coincée quoique je fasse ou dise. C’était foutu. Je m’étais faite prendre sans même le voir et maintenant…Maintenant, j’étais engluée et obligatoirement muette…Je me détestais parfois.

« Si, si, si, je sais que tu l’a pensé ! j’y peux rien s’tu a l’esprit mal placé quoi ! »

Bien que là, j’avais dévier la conversation, essayant d’oublier ce qui me torturait dans le rire. Je le charriais et il répliqua aussi sec.

« Ouais, il t’a pas raté…Ca casse l’image du prof en fait. M’enfin, ça va que t’es resté zen, sinon, tu foutais ton année en l’air. Quoique…il doit pas être net ton guguss, si ça s’trouve, il aurait rien dit quoi… »

Enfin c’était assez spécial en fait comme situation mais un prof qui fantasme sur un élève, ça craint légèrement quoi ! Alors je le soignais, doucement, sans heurt. J’évitais de lui faire mal et je souris légèrement pour masquer ma gêne de le voir me fixer ainsi, encore un peu et je suis sure que j’aurais rougis et là…Ca aurait été la cata assurée.

« Parait qu’les cicatrices sont sexy remarque…Enfin pour s’que j’en sais. »

Je les avait vu, toute ou presque, elle ne me faisait pas peur, elles faisaient partit de lui quoi. Je ne l’avais pas connu avant son accident alors sans doute était ce pour ça que ça ne me choquais pas vraiment.

Je haussais une épaule.

« S’bon garde là, moi j’suis pas du genre a me faire taper d’sus je préfère esquiver alors t’vois, tu en a plus besoin qu’moi en fait. »

Le taquinais je tranquillement, me complaisant dans cette pseudo camaraderie qui me frustrait mais dont je ne pouvais me passer. C’était tout ce que j’aurais de sa part en fait et c’était peut être plus que certain. Je le vis grimacer en avalant l’aspirine. Bon c’est vrai que c’était dégueulasse. Je croisais son regard et eus un sourire…

« Me remercie pas, j’te l’ai dis, j’peux pas faire grand-chose mais l’peux que je fais, j’le fais. »

Je hochai la tête aux paroles de Blue concernant le prof. Pervers? j'en savais rien... Il était loin d'être un vieux prof bedonnant. Il était encore jeune après tout et pour ce que je pouvais en juger, plutôt beau. Même si je n'étais pas le plus à même de décider des critères de beauté masculins. Mais je pouvais comprendre que Blake soit attirée par un type comme lui. Et lui par une fille comme elle, même si leurs centres d'intérêts ne devaient pas être les mêmes au vu de la différence d'âge. Je lui souhaitais bien du courage quand même. Parce que Blake, qui avait l'air heureuse et simple était en fait un sacré paquet de nœuds avec un tas d'angoisses.

Blue se mit alors en tête de me soigner. Ce qui ne me mettait pas très à l'aise, alors forcément, je sortais des conneries. Ou je m'attachais à des détails. Après l'absence de barbe, la petitesse des mains. Sérieusement, Blue n'avait pas un gramme de virilité. Et je commençais à me dire qu'il était vraiment androgyne, que ce n'était pas juste un look. Qu'on lui coupe les cheveux correctement, qu'on le maquille et l'habille en fille et j'étais sûr qu'on y verrait que du feu. C'était flippant quelque part. Il fit un commentaire un peu scabreux, avant de me défendre de rebondir dessus, ce que je ne fis pas, même si je lui fis comprendre que cela ne m'avait pas échappé.

- "J'ai 18 ans. Évidemment que j'ai l'esprit mal placé."

Sans compter que je n'avais pas tiré un coup depuis des mois, alors ça me travaillait. Je n'étais ni obsédé, ni pervers, mais il y avait des envies qui démangeaient. Je fis la remarque que Hartwood y était pas allé de main morte... Je n'étais resté calme en face de lui que parce que Blake m'avait tué avec ses paroles. Ce qui n'était pas plus mal, lui casser la gueule aurait fait mauvais genre. Enfin, c'était peut-être lui qui m'aurait envoyé à l'hosto vu son crochet du droit.

- "Un mal pour un bien on va dire."

Je n'étais pas resté zen. Ce n'était pas très approprié, mais je ne dis rien à ce sujet, pas la peine d'expliquer que j'avais été tétanisé après tout. Je le laissais appliquer la pommade, avec une douceur assez inhabituelle chez un mec. Il me faisait mal, mais pas parce qu'il n'était pas délicat, juste parce que c'était sensible. Je plaisantais sur les séquelles que cela allait laisser et il me rassura. Non mais voilà, j'avais déjà été amoché ailleurs, si on pouvait éviter que cela monte au visage, merci. Il fit remarquer que les cicatrices étaient sexy à ce qu'on disait.

- "Ouais, je sais pas, ça doit faire genre le type qui a une vie dangereuse ou alors le rescapé de la mort. Ça doit titiller le besoin des filles de materner ou de s'acoquiner avec les mecs pas fréquentables."

Enfin, c'était ma théorie. Si ça se trouvait, ce n'était absolument pas ça. Il me fila la pommade et je refusais d'abord, arguant qu'il en avait besoin. J'eus un petit rire bref à sa réponse. Ah oui, c'était vrai, lui, il fuyait.

- "Je tiens à rétablir une vérité : d'habitude je ne me fais pas taper dessus. Là, j'ai été pris par surprise, je ne pensais pas qu'un prof pouvait tabasser un de ses élèves."

Non mais... Enfin bref, je bus mon verre avec l'aspirine, en espérant que cela serait efficace. Quelque chose me disait que j'allais rentrer, m'acheter un truc à bouffer et me recoucher pour la journée. Tant pis pour les cours. Je le remerciais alors et il balaya mes remerciements avec simplicité.

- "J'avais besoin d'un ami et tu étais là. Je n'oublierais pas Blue."

Je sentis une bouffée de tendresse m'envahir pour ce gamin qui avait eu une vie difficile mais avait le cœur sur la main. Je m'étais levé, doucement pour éviter le vertige. Il fit de même. Alors je le pris dans mes bras, comme un petit frère, comme ma sœur, pour témoigner ma gratitude et mon affection. Et il me semblait que l'alcool coulant dans mes veines m'aidait à être un brin plus démonstratif. Je le lâchai alors, ébouriffant ses cheveux.

- "Fais gaffe à toi."

Même si c'était moi qui vivais dangereusement ces temps-ci, lui, il baignait dans un milieu des plus néfastes. Je le déplorais. Il n'avait pas d'avenir, alors qu'il méritait vraiment d'être connu. C'était un type bien. Je me dirigeai vers la porte et lui fis un signe de main, avant de partir, de rentrer chez Aaron et d'aller cuver tranquillement.

» Besoin de toi [Sasha]
» Besoin d'un conseil [Liam]
» Sasha "Blue"
» Pretty Woman [Blue]
» Sasha "Blue" Erwin FINI