Quand le ciel se déchire | Iago

Disparue.

Sans laisser de traces.

Wilha n'est plus chez nous et personne ne sait où l'enfant est passée. Une enfant ne peut-elle donc pas jouer tranquillement dans un vaste jardin sécurisé sans se faire enlever? Ça ne pouvait être que cela, jamais la fillette ne se serait enfuie. Je l'avais cherchée partout, sans succès. Il m'était plus facile de retrouver Ciel à qui j'étais lié que Wilha.

Qui avait osé?

Et forcément, un nom s'imposa à moi. Elle... N'avait-elle pas promis de me prendre ce que j'avais de plus cher? Parlait-elle de l'enfant? une fois déjà, elle s'était attaquée à l'innocence, aurait-elle recommencé pour laver l'outrage? Je savais que j'allais déchainer son ire en ravissant ce qu'elle avait de plus cher. Sans doute aurais-je du la tuer dés que je m'étais emparé d'elle, débarrassant ainsi la terre et le ciel de l'un de ses pires fléaux. Jouer avec elle mettait Wilha et Ciel en danger, mais je ne pouvais me résoudre à mettre un terme définitif à ce jeu.

Une colère noire, sourde, s'empara de moi. J'enfourchai ma moto et partis jusque chez elle, renonçant à la voie des airs, trop théâtrale et visible. La nuit n'était pas assez avancée pour se permettre un tel luxe. Je me garai dans l'allée, descendant de l'engin et me dirigeant d'un pas décidé vers la porte. Je sonnai, impatient de devoir sauver les apparences quand je rêvais de pulvériser ses magnifiques baies vitrées et de serrer son cou de cygne.

Un homme m'ouvrit, un domestique, de la piétaille sans importance. J'entrai de force et le repoussai, alors qu'il se mettait à protester en disant que je ne pouvais pas entrer et que sa maîtresse s'apprêtait à sortir. Ah oui? Dommage. Je me retournai brusquement alors qu'il me tournait autour et lui saisis le col, plongeant mon regard noir dans le sien, un regard qui faisait filer droit bien des gens en général.

- "J'ai un problème urgent à régler avec ta maîtresse. Alors retourne à tes tâches. Pas la peine de m'accompagner."

Je le relâchai et filai jusqu'à Azraëlle, ouvrant la porte de sa chambre à la volée et la trouvant parée pour sortir, effectivement. Elle enlevait Wilha et elle jouait les mondaines ensuite? De qui se fichait-elle? Je refermai la porte dans un claquement rageur, avant de demander d'une voix basse qui suintait la colère prête à exploser :

- "Où est-elle?"

Je résistai à l'envie folle d'avaler les mètres qui nous séparent, de jeter son précieux bordeaux à terre, d'avoir la satisfaction d'entendre le verre exploser, juste écho de ma colère, mais je me contins, restant immobile alors qu'elle m'observe et met un temps infini à répondre. Une réponse qui ne me convint pas. Une étincelle de colère s'alluma dans mon regard devant son outrecuidance, mais je tins la bride à cette rage folle. Je ne voulais pas lui donner la satisfaction de me voir perdre un contrôle que je n'avais jamais perdu. Contrairement à elle. C'était mon avantage sur l'ange, je n'étais pas décidé à lui montrer que je pouvais, moi aussi, être faible.

La porte s'ouvrit derrière moi et je dédaignais le misérable insecte qui lui servait de domestique, alors qu'elle le congédiait de sa voix mielleuse qui m'horripilait. Réponds à ma question Azraëlle, je ne joue pas avec la vie d'une enfant innocente, je te l'ai déjà dit.

Pourtant, elle persista dans le déni de sa faute. Je m'approchai d'elle à pas mesurés, m'emparant de sa précieuse coup de vin que je portai à mes lèvres et vidai sans plus de cérémonies, avant d'insister :

- "Wilha. Elle a disparu et étonnamment, mes premiers soupçons se portent sur toi. Tu me l'as déjà ravie une fois. Laisse l'enfant en dehors de nos jeux."

Je posai le verre sur la table de nuit, mesurant chacun de mes gestes qui suintaient pourtant une colère retenue.

Je cillai imperceptiblement alors que l'ange ma répondait le plus naturellement du monde qu'elle n'avait pas prise Wilha. Je la dévisageais, incapable de deviner avec assurance si elle mentait ou si elle me disait la vérité. J'analysai l'historique de nos rencontres et je dus convenir que même si Azraëlle jouait avec la vérité et la réalité, elle n'avait jamais menti aussi franchement et effrontément. Se pourrait-il qu'elle dise la vérité? Je plissai les yeux quand elle renchérit que je le savais, me posant une question à laquelle je n'avais pas de réponses. Pourquoi en effet? Mais si ce n'était pas elle, qui? Qui avait osé s'en prendre à ma protégée? Qui était l'impudent?

Je restais figé alors qu'elle s'emparait d'une étole et se dirigeait vers la sortie, résolue à m'ignorer et à ne pas me laisser le loisir de bouleverser ses petits projets, sans doute passionnants. Avais-je fini? Sans doute, oui, si elle n'était pas la coupable, je n'avais plus rien à faire ici et contre toute logique, je choisissais de la croire innocente effectivement. Notre relation, certes complexe, reposait pourtant sur une certaine mécanique. Elle ne me mentirait pas de façon si flagrante si elle avait été coupable.

Elle s'arrêta pourtant avant de sortir, me regardant par dessus son épaule et me posant une question pertinente. Si elle n'était pas l'auteure de cet enlèvement, qui était-ce? J'étais un homme d'affaire et j'étais plutôt... impitoyable. J'avais de nombreux ennemis, sans compter les immortels. Une vengeance? Un moyen de pression? Des représailles? une menace? Il me faudrait des jours pour éplucher tous mes dossiers et faire le tri. Sans doute avais-je tort de me concentrer sur ma vie de démon et pas suffisamment sur ma vie de riche businessman.

Elle me demanda alors combien de temps il me faudrait pour la retrouver, pour retourner Londres, si toutefois, elle s'y trouvait encore. Mon cœur se serra à la perspective qu'il lui soit arrivé quoique ce soit... Elle était innocente et je comptais bien à ce qu'elle le reste. Et là, Azraëlle fit une proposition qui me prit au dépourvu. Retrouver Wilha. Pourquoi? Pour quelles raisons me viendrait-elle en aide? Méfiant, je demandai prudemment :

- "Pourquoi ferais-tu cela pour cette petite fille? Tu sais que je tiens à elle. Que veux-tu en échange de ce service?"

Elle ne répondit pas à ma question, se contentant de jouer, me demandant si j'oserais piétiner ma fierté et lui demander son aide. Je détestais cette impression de faiblesse, de la savoir toute puissante. Pourtant, le choix ne fut pas difficile : je ne sacrifierais pas Wilha par fierté. Si je devais courber l'échine devant cette chienne arrogante, je le ferais. Pourtant, je savais que cela ne serait pas sans conséquences. Qu'elle n'allait pas se contenter de la retrouver et de me la ramener gentiment, elle allait forcément me faire un coup tordu.

- "Très bien!"

Je crachai ces mots qui m'écorchaient les lèvres. Je détestais cette emprise sur moi, cette lueur de triomphe dans son regard. Je lui ferais payer cette humiliation.

- "Retrouve-là. Et ramène là moi. Je ne sais pas ce que tu mijotes, mais tu as intérêt à me la ramener sans lui faire le moindre mal et sans la moindre entourloupe."

Je lui en demandais sans doute trop. Mais ça ne coutait rien de la mettre en garde, même si cela allait sans doute beaucoup l'amuser. Je me rapprochai d'elle, la frôlant alors que ma main se posait sur la poignée.

- "Montre-moi donc l'étendue de tes relations, de ton réseau tentaculaire d'informations... Éblouis-moi mon ange."

Je lus la satisfaction dans son regard. Je ne rampais pas, mais je... m'écrasais néanmoins, autant que je le pouvais, pour sauver la vie d'une enfant. Encore une fois. La dernière, c'était l'œuvre d'Azra, son jeu, auquel je m'étais laissé prendre, avant de découvrir par Laurys qu'elle ne l'aurait sans doute pas tuée. Liée peut-être? Bénie? C'était encore pire. Et voilà qu'elle m'offrait son aide pour retrouver une enfant qu'elle ne connaissait qu'à peine. Qu'est-ce que cela cachait? Désir de sauver une petite vie innocente? Ou plutôt de pouvoir me prouver qu'elle avait un réseau d'informations titanesque et prendre l'avantage? A moins que ce ne soit pour me faire contracter une dette envers elle... Qu'importait la raison en vérité, je ne pouvais que lui demander de m'aider. Lui demander de façon un peu péremptoire et elle me fit d'ailleurs remarquer que je manquais d'humilité. Une ombre s'agita dans mon regard. Je ne ferais pas davantage. C'était déjà beaucoup trop.

Elle m'invita à prendre mes aises. Je lui lançai un dernier regard, avant de quitter la chambre et de me rendre dans le salon où je m'assis confortablement, appelant ce cher William et lui disant, non sans une certaine ironie, que sa maîtresse m'invitait à l'attendre ici et que je ne serais pas contre un petit verre. Tant qu'à patienter, autant le faire agréablement et je demandai une bonne bouteille de vin, celui que j'avais goûté était excellent.

Et l'attente commença. Interminable. J'étais nerveux au fur et à mesure que le temps passait, le dissimulant parfaitement cependant. Aux yeux du mortel qu'était William en tous les cas. Je ne savais toujours pas qui avait enlevé Wilha. Mais Azraëlle était partie très rapidement. Sans doute avait-elle eu des informations. Son réseau me laissait rêveur.

Et puis, elle revint. Je me levai à son approche, incapable de rester stoïque, surtout en voyant la petite endormie dans ses bras. Et en avisant la tenue si classe de l'ange, complètement ravagée. Sans compter cette blessure à l'aile, qui souille l'immaculé. Elle se para encore d'ironie, me révélant par là même ce qui avait valu cet enlèvement. Ma mâchoire se contracta de colère, avant que je ne m'approche d'elle et lui reprenne l'enfant.

- "Sont-ils tous morts?"

Je déposai Wilha sur le canapé, caressant son front et rejetant ses mèches folles de son visage, l'examinant avec avidité pour être certain qu'elle n'était pas blessée. Pourquoi était-elle inconsciente? Le choc? La fatigue? Une manœuvre d'Azraëlle?

- "Pourquoi est-elle inconsciente?"

Je quittai l'enfant un instant, me rapprochant de l'ange. Ces mots que je devais prononcer m'écorchaient les lèvres. Pourtant, je n'étais pas un ingrat.

- "Sais-tu ce qu'est l'honneur Azraëlle? Ce principe stupide qui me dit qu'aujourd'hui, j'ai contracté une dette envers toi..."

Très réjouissante cette perspective, vraiment. Doucement, ma main se porta à cette aile martyrisée. Arme à feux. Rien de mortel pour nous, mais douloureux pourtant. La colère était toujours présente, mais plus dirigée contre elle, plutôt contre ceux qui avaient fait cela et m'avaient forcé à demander son aide. Ma main ne fit que l'effleurer, avant de se poser à l'endroit de l'impact. Les démons avaient le pouvoir de guérison. C'était une hérésie de l'utiliser sur un ange, pourtant, c'était la moindre des choses pour la... remercier.

- "Tu es âgée, tu es femme. As-tu déjà ressenti cet amour pour un enfant? Dans ta longue existence, t'est-il arrivé de t'attacher à cette innocence, jouant un rôle que tu ne pouvais pas endosser naturellement?"

Elle était vierge, jamais elle n'avait procréé. En 2000 ans, n'avait-elle jamais ressenti ce besoin? Sans doute que si, sa façon de protéger ses bénies, celles à qui elle tenait et qu'elle cachait jalousement, était une façon de le prouver des plus éloquentes. Je cherchais toujours à percer ses motivations. Quitte à tâtonner un peu.

- "Ordonné?"

Je haussai un sourcil, alors que ma voix de basse vibrait, quelque peu semblable à un grondement de mauvaise augure. Allons donc, qu'est-ce que c'était encore que ce tour pendable? Azraëlle avait un pouvoir : la glace. Était-elle capable également d'user de suggestion? D'hypnose? Cela ne serait guère étonnant, mais qu'elle en use sur un esprit fragile comme celui de Wilha me déplaisait au plus haut point.

- "En effet."

Cela serait préférable, mais je n'aime pas ce que sous entendent ses paroles. Cela signifiait que ce service n'avait rien de gratuit et qu'elle avait déjà trouvé un moyen de me le faire payer. Pas de gratitude donc, mais ce n'était peut-être pas pour le mieux. J'étais viscéralement méfiant avec elle. Une sage précaution quand on connaissait cette femme. Je caressai d'une main légère son aile martyrisée, avant de laisser mon pouvoir de guérison irradier sa chaleur. Mais elle se déroba à mon toucher et je ne fis que rétracter ma main, avec un fin sourire aux lèvres.

Je lui parlai alors de l'amour que l'on pouvait ressentir pour un enfant. J'étais âgé, elle de même. n'avait-elle jamais ressenti le besoin de porter un enfant en son sein, de l'élever? N'était-ce pas ce qu'elle essayait de pallier avec ses apprenties, ses petites protégées?

- "Crois-tu que l'on puisse choisir ses faiblesses Azraëlle ? "

Je la regardai, un sourire amusé aux lèvres...

- "Je sais que tu as des protégées que tu dissimules aux yeux du monde, sur lesquelles tu veilles jalousement... Dois-je en déduire que menacer l'une d'elles ne te ferait absolument rien?"

Attention à ta réponse mon ange, rien n'est anodin quand nous discutions, n"est-ce pas? Ses petites chéries étaient sans doute plus aptes à se défendre que Wilha, mais il ne me serait pas bien difficile d'en venir à bout si j'y mettais toute mon ardeur. Elle me fit remarquer que je n'aimais personne d'autre que Wilha. Je la regardai un instant sans rien dire, avant de demander doucement :

- "Crois-tu?"

Interprète cela comme tu le veux mon ange... Pense que je bluffe, pense que j'ai une autre faiblesse, cherche donc, alors que je te livre une vérité absolue que je refuse même de proférer. Je revins vers le canapé, m'asseyant à côté de Wilha et passant une main dans ses cheveux emmêlés.

- "Mourir parce que j'ai trop aimé une enfant innocente... Quel déshonneur."

J'étais ironique. J'étais un démon arrogant, égoïste, imbus de lui-même, mais je n'étais pas une pourriture sans nom et malgré ma fierté, je valais mieux que tous ces déchets qu'étaient les anges.

- "Au moins y aura-t-il une personne pour me regretter. Peux-tu seulement en dire autant?"

Je fronçai les sourcils alors que l'ange se moquait de moi. Ordonné donc. Azraëlle pouvait ordonner à une enfant terrorisée de sombrer dans l'inconscience. Hypnose, suggestion, qu'importe le terme, je n'aimais pas ça du tout. Elle pouvait implanter trop d'idées dans l'esprit fragile d'une petite fille. J'avais une dette envers elle, mais comme elle le soulignait si bien, elle ne me laisserait pas lui devoir quelque chose et je pressentais qu'elle avait déjà placé ses pions sur l'échiquier pour reprendre l'avantage par rapport à la dernière fois. Je lui avais volé sa virginité. Ce n'était pas rien. j'avais gagné une sacrée bataille, mais la guerre était loin d'être achevée. Simplement, je ne savais pas ce qu'elle mijotait.

La blessure à son aile, m'attirait et je tentais de m'en approcher, de la soigner, quand Azraëlle se déroba. Par fierté? par dégoût? Par crainte de ce contact qu'elle affectionnait et redoutait en même temps? Un mince sourire en coin ourla mes lèvres, mais je ne fis aucun commentaire à ce sujet.

Non, je préférais faire vibrer le sentimentalisme chez elle. Sans doute bien caché, j'en conviens, mais elle pouvait comprendre mon attachement à cette petite fille. Elle qui avait aimé ses sœurs, elle qui avait engendré des anges qu'elle protégeait jalousement. Ses filles angéliques, je doutais qu'elle laisse quiconque leur faire du mal. Peut-être exposais-je ma faiblesse, mais les siennes étaient tout aussi évidentes. Restait à mettre la main sur ses petites protégées, ou du moins, l'une d'entre elles.

- "Me crois-tu capable de nuire à un enfant pour le simple plaisir de te battre?"

Me crois-tu de la même insensibilité que toi, de la même perversion? Oui sans doute. Probablement ne tuerais-je pas un innocent pour avoir le plaisir de la tenir entre mes griffes, mais jouer avec ça... Oui, c'était dans mes cordes. Je mêlais vérité et mensonge, doutes et certitudes. Mourir parce que j'avais aimé une petite fille, voilà qui était ironique, mais pas déshonorant.

- "Je ne te pense pas capable de perdre cette enfant, vois-tu."

Je la regardai intensément alors qu'elle disait se moquer des regrets. Moi aussi, mais savoir que j'aurais laissé une empreinte, même éphémère, était important pour moi.

- "La solitude est une force... et une terrible faiblesse."

Car seule, elle l'était. Davantage encore que moi. Elle était plus entourée, certes, mais trop crainte. Elle était une image mystique, une légende chez les anges. La directrice de l'école, l'un des anges les plus âgés. On la vénère, on la craint, on la respecte. Mais qui l'aime?

- "Toi qui as grandi, entourée de l'amour de tes sœurs et qui te retrouve aujourd'hui, l'objet de toutes les haines, de toutes les convoitises... Mais d'aucun amour."

Sauf, peut-être, celui d'un démon trop fou. Mais ce secret là restera enfui aux tréfonds de mon âme.

Je fis la grimace, faussement vexé qu'elle puisse me comparer à elle. Parce que même si je l'admirais et la respectais, ce n'était pas forcément flatteur d'être comparé à un ange, surtout de l'acabit d'Azraëlle. Malgré tout, même si elle pouvait jouer avec une enfant innocente pour obtenir ce qu'elle voulait, je ne la pensais plus capable de tuer cette enfant.

- "Inutile effectivement."

Wilha était un ange, dans le sens que tous ces ignorants donnaient. Une petite fille qui avait tragiquement perdu ses parents, mais qui vivait malgré tout sa vie d'enfant et s'était attachée à son oncle débarqué de nulle part, sans poser davantage de questions. Une enfant qui me regretterait si je venais à mourir, une pensée qui était mince, mais réconfortante quelque part, malgré tout. Azraëlle pouvait-elle se targuer de la même chose? Elle disait s'en moquer, mais la solitude, qui est une compagne chère à notre cœur, est aussi une traîtresse qui nous tue à petit feux. Une force, car personne ne peut nous atteindre. Une faiblesse également.

- "Cela serait avouer qu'éventuellement, tu puisses être importante pour moi."

Et elle l'était. De façon viciée, malsaine sans doute, mais le fait était qu'effectivement, Azraëlle avait prit une place importante dans ma vie, voire même centrale, au fil de nos affrontements et de nos rencontres. Et je ne niais pas cette envie qui me labourait les reins alors qu'elle était à moitié nue. L'ange me demanda alors si je voulais la clé de sa destruction et je fronçai les sourcils, pris au dépourvu par cette question soudaine. Et insistante.

- "Pourquoi poser une question dont tu connais la réponse ? Évidemment que j'aimerais détenir cette clé."

Mais pourquoi me la donnerais-tu? Quel jeu vas-tu encore inventer avec cette clé en récompense, hum?

Oui, il était préférable de rester dans les non dits, de ne pas formuler les pensées secrètes, dérangeants, qui viendraient troubler notre jeu. Je savais Azraëlle peu friande des confessions de ce genre. Elle préférait se dissimuler la vérité tapie au fond de son cœur, au creux de son âme, c'était tellement plus aisé de vivre et faire semblant que de devoir assumer des penchants contre nature, n'est-ce pas? Parce qu'un démon qui éprouvait quelque chose pour un ange, surtout aussi retors qu'Azraëlle, c'était insensé. L'heure n'était pas à l'analyse de ce quelque chose qui remuait en moi quand je me trouvais avec elle, quand je pensais à elle. Il y avait bien le désir, l'excitation, mais pas seulement. Je préférais employer la méthode d'Azraëlle et jouer l'autruche.

- "Rien n'est figé... Tout jeu a ses failles, toute règle peut être enfreinte, toute partie faussée. Ce n'est pas à toi que je vais l'apprendre."

Surtout pas à elle, qui était une joueuse hors pair et qui savait comme personne exploiter les failles. Il fallait prendre garde quand on jouait avec Azraëlle. Rien n'était laissé au hasard et il fallait anticiper ses coups. J'avais la désagréable impression de ne pas avoir appliqué cette règle cette fois et que j'allais m'en mordre les doigts par la suite.

Elle me demanda subitement si je voulais les clés de sa destruction, amenant une surprise réelle sur mes traits. Rien n'était jamais anodin, rien laissé au hasard, que me préparait-elle donc encore? Évidemment que je voulais cette clé et c'est avec méfiance que je la lui demandais. Sa réponse ne m'étonna pas. Je la possédais déjà. Débrouille donc toi avec ça Iago, je t'en ai déjà dis suffisamment, n'est-ce pas Azraëlle? Cela l'amusait. Je soupirai.

- "Question de point de vue."

Je trouvais cela plutôt agaçant en vérité. J'allais devoir retourner tout ce que je savais d'elle, de nous même, pour trouver cette fichue clé. Soudainement futile, elle pesta contre l'état de sa robe haute couture et complètement fichue.

- "Enlève-là."

Éblouis-moi de ta radieuse nudité. Éveille le désir au creux de mes reins...

- "Sans aucun doute. Ou le destin aime jouer de drôles de tours."

Si la vie était un gigantesque jeu, alors oui, les dés avaient été pipés. Comment expliquer autrement mon attirance pour elle? Une attirance contre nature, une fascination étrange. Elle était mon reflet chez les anges, j'étais le sien chez les démons. Différents, semblables, complémentaires. Nous pouvions faire semblant, nous pouvions nier, nous étions liés. Je ne saurais la tuer sans en éprouver des regrets et peut-être même du chagrin. Et il me semblait que c'était la même chose de son côté. Et aucun de nous ne pouvait prédire l'évolution de cette... relation? Un bien grand mot.

Elle rit de ma réponse, mais je ne m'en offusquais pas. J'avais apprit qu'avec elle, mieux valait ne plus se vexer de rien et ne pas se draper dans une fierté qui pouvait m'être fatale. J'esquissai un sourire, quand elle me pria de l'éblouir de mon intelligence. Grosse pression sur mes épaules, terrible défi, mais je le relèverais, comme tous les autres.

Elle se plaignit de sa robe saccagée, je lui ordonnais de l'enlever. Sa petite question aux allures innocentes m'amusa. Elle rit, avant de dégrafer sa robe qui tomba en corolle à ses pieds, ne laissant que son corps de déesse à ma vue. Son regard se posa sur Wilha, avant qu'elle ne déclare qu'elle ne s'éveillerait que si elle le désire. Comment ne pas y voir une invitation ? Aucun risque d'être surpris par l'enfant...

Elle se glissa vers la salle de bain et je me contentai de venir observer Wilha, endormie, paisible, me demandant ce qu'elle avait subi et surtout ce qu'Azraëlle lui avait fait. Je n'aimais pas l'hypnose, pas quand elle était maîtrisée, pas quand on pouvait manipuler un si jeune esprit. Finalement, je laissais Wilha à son sommeil, me pas me portant jusqu'à la salle de bain, bizarrement non verrouillée. Je me glissais dans la salle d'eau alors qu'Azraëlle effaçait toute trace de salissure. Je n'avais pas cherché à être discret, elle savait que j'étais là. N'était-ce pas son invitation?

Je résistai à l'envie de fondre sur elle, de la rejoindre sous la douche, de prendre ses lèvres et de ne lui laisser aucun choix. Si la première fois avait été conquérante, un peu brutale pour vaincre ses peurs, j'avais bien l'intention de faire en sorte que la seconde ne lui laisse absolument aucun regret. La question de cette clé restait en suspens. Elle n'en dirait pas davantage et c'était bien à moi de la trouver. J'avais sans doute une vague idée, mais cela serait admettre l'impensable ou pécher par arrogance.

Finalement, elle daigna s'apercevoir de ma présence et m'accorder un peu d'importance. Elle me demanda ce qu'il me resterait si je réussissais mon entreprise. Quelle entreprise au juste? Savais-je seulement que but je poursuivais en continuant le jeu avec elle? Était-ce seulement encore un jeu quand chaque fibre de mon corps réclamait sa présence, quand son avis me concernant me paraissait si important?

Je la regardai sortir de la douche, me harceler de cette question à laquelle je n'avais pas réellement de réponse. Que deviendrais-je si j'obtenais tout d'elle? Que deviendrait-elle? Son corps ruisselant, si proche du mien... Mes mains se refermèrent sur sa taille, l'emprisonnant, sans pour autant la forcer et je m'emparai de ses lèvres, cédant à cette envie primaire de la posséder encore. La dernière fois n'avait été qu'un avant goût et mon corps en réclamait davantage.

- "Le jeu cessera peut-être d'en être un à la toute fin et il faudra apprendre à vivre sans."

Mes mains glissèrent sur son corps, avec douceur. J'avais envie d'elle et elle avait envie de moi. Aurait-elle l'honnêteté de le reconnaître et de succomber ou dans un ultime sursaut de fierté, se déroberait-elle à moi?

- "Tu sais ce que je désire, mais toi, sais-tu seulement ce que tu veux?"

Difficile question. Pourrais-je vivre sans le prétexte du jeu? Pourrais-je avouer une passion réelle, dévorante pour elle, voire même un certain attachement, et autoriser nos rapports à évoluer autrement qu'en affrontement subtil? Le pourrais-je? Oui, si cela ne me menait pas tout droit au trépas. Oui, si je savais que la joueuse en face de moi me suivrait dans cette folie, sans chercher à en tirer profit à et me battre. J'avais déjà renié les miens, je m'étais déjà isolé, coupant avec les règles établies, ne vivant qu'au gré des miennes. Je n'avais plus aucune chaine, quand les siennes étaient trop nombreuses.

- "Oui."

Juste un souffle contre ses lèvres, avant que je ne reprenne, précisant :

- "Si j'étais certain de ne pas être le seul à cesser le jeu."

Faiblesse? Naïveté? Non, simplement une honnêteté limpide concernant ce que j'étais capable de faire. Pour elle. beaucoup trop pour cette femme qui ne méritait surement pas tant. A moins que, dépouillée de son pouvoir de joueuse, elle se révèle la femme que je devinais dans son passé de Vestale, dans ses vengeances, dans ses jugements.

Ses doigts s'affairaient sur ma chemise, révélant ma peau nue, alors que je la sentais fébrile, malgré le contrôle qu'elle exerçait sur ses sens. Un fin sourire répondit à sa question.

- "Rien mon ange, je ne veux aucune réponse de ta part. Je veux seulement que tu y répondes pour toi. Pas pour moi."

Je glissai mes mains dans la soie de ses cheveux humides, avant de baiser ses lèvres avec envie. Elle me faisait envie, tout mon être se tendait vers le sien. Ange et démon. Séraphin et Prince des Ténèbres. Serviteur dévouée de Dieu contre rebelle indépendant. Glace et feu. Autant de contraires qui s'attiraient, mâtinés de ressemblance dans nos comportements, dans nos réactions, dans nos analyses. Mes mains glissèrent sur les courbes voluptueuses de son corps, effleurant ses fesses avec délectation.