Depuis quand tu mets du 36 ? [PV Sasha]

Première journée hors de prison. Je respirais, c'était fou ! Même les gaz d'échappement londoniens me donnaient l'illusion d'un air frais de campagne. Deux ans enfermés entre quatre murs, non, c'était proprement insupportable. Quand je pensais que j'aurais dû y rester encore six ans. Pire, quand je pensais que des gars y resteraient toute leur vie ! Bon, OK, ils l'auraient mérité. On n'était pas condamné à perpétuité quand on commettait des crimes involontairement, du moins, je ne pensais pas. Mais ça devait être simplement invivable.

Je n'avais pas encore eu l'occasion de réellement profiter de ma liberté retrouvée. On m'avait conduit directement au lycée où je devrais travailler un peu en même temps que je suivrais des cours, et de là, j'avais eu un long entretien avec la directrice, afin qu'elle accepte de me prendre. Je supposais que j'avais de la chance. Aux yeux de n'importe quel quidam, j'étais un meurtrier. Pas d'excuses, pas de pardon. Je savais que j'en baverais lorsque je n'aurais plus la loi derrière moi pour m'assister et que je devrais à nouveau me débrouiller avec un casier si lourd. Finalement, ma meilleure arme était ma franchise. Expliquer les choses clairement et simplement, telles qu'elles s'étaient passées. C'était une pure bêtise que de mentir sur ça, c'était si facilement vérifiable. Et visiblement, j'avais fait bonne impression à la directrice. Elle avait accepté de me laisser ma chance. Le fait que j'aie suivi une scolarité normale jusqu'à mon bac avait aidé, me confia mon gardien, au moins avait-on l'assurance que je n'étais pas vraiment un pur voyou. Si j'avais su que ce foutu examen me servirait à quelque chose un jour !

Puis, on m'avait lâché sous la tutelle d'Erin, une jolie jeune femme qui tenait le rôle de CPE, à l'opposé des vieilles revêches qu'on voit habituellement dans ce rôle. Elle était adorable, bon vivant, et j'avais apprécié son regard franc et sa discrétion. Elle n'avait fait preuve d'aucune curiosité déplacée et ne m'avait pas dévisagée comme une bête de foire, ça changeait agréablement. Mais plus l'après-midi s'écoulait, et plus j'étais inattentif. En réalité, depuis la seconde où l'on m'avait annoncé ma remise en liberté conditionnelle, je n'attendais qu'une seule et unique chose.

Revoir Sasha.

La prunelle de mes yeux, que j'avais éduqué dans l'under à coups de taloches et de concerts, et qui était ma plus grande fierté. Je ne savais pas où je pourrais la trouver. Je n'avais jamais retenu son emploi du temps compliqué, mais je savais où elle habitait, et j'avais la ferme intention d'écumer tous les tunnels londoniens si elle ne se trouvait pas chez elle quand je frapperais. Sa petite bouille de sale gamin me manquait affreusement, cela faisait près de trois semaines qu'elle n'était pas venue. Je me plaisais à l'imaginer se dire qu'elle me reverrait bientôt, dans la fausse intimité d'un parloir, alors que j'allais débarquer en chair et en os devant elle, sans le moindre barreau pour nous séparer...

Je sortis du lycée, un peu gêné aux entournures par mes fringues de tous les jours qui me paraissaient terriblement étranges après un uniforme de prisonnier, et me mêlai à ces gosses délicieusement innocents sur le trottoir. Bon. Trouver un bar-tabac, déjà, histoire de pas taxer ma puce. J'avais besoin de clopes, à défaut d'autre chose de moins légal - ça, c'était clair que je n'étais pas prêt d'y retoucher, je ne voulais pas prendre le moindre risque pour le moment. Mes yeux parcoururent la rue et s'arrêtèrent deux secondes sur une jolie fille aux traits asiatiques avant de continuer. Puis de revenir sur ce visage.

Bon Dieu, je connaissais cette fille.

Mon esprit mit quelques secondes à ajuster les liens entre eux. Et puis d'un seul coup, le flash. Mais genre le super-flash ! Qui vous allume dix ampoules de BD au-dessus de la tête ! J'ai carrément hurlé en traversant la rue sans faire attention aux voitures :

- SASHAAAAAAAAA !

Ça devait ressembler à ces scènes qu'on voit dans les films. Les gens courent au ralenti, une expression extatique sur le visage, bras tendus vers l'autre, et la salle de cinéma résonnent de rires étouffés. Mais je me foutais d'avoir l'air ridicule, je me foutais qu'on se demande qui était ce dingue qui hurlait comme ça en traversant la rue, je me foutais de tout ! J'avais retrouvé ma Sasha chérie, plus resplendissante que jamais ! Ma joie éclata vraiment lorsque je l'entendis crier mon prénom à son tour. C'était elle ! C'était vraiment elle ! J'étais pas victime d'une hallucination dû à un trop-plein d'oxygénation - j'étais persuadé qu'on appauvrissait l'air des cellules, c'était pas possible autrement.

Et lorsqu'elle bondit à mon cou, décollant carrément du sol en nouant ses bras et ses jambes autour de moi, je compris que c'était vraiment la pure réalité ; elle l'avait fait trop de fois, ce geste spontané, pour que je reconnaisse pas le p'tit Blue sauvage que j'avais traînassé à travers tout l'under et qui était bien différent maintenant. Elle était devenue une vraie femme, nom de Dieu ! Pas un gosse de treize ou quatorze ans, non, une vraie femme assumant pleinement ses formes - enfin, son physique, dirons-nous plus justement - et affichant sa maturité. Mais c'était quoi ce plan foireux ? Elle était pourtant toujours bien Blue la dernière fois que je l'avais vue !

Oh la conne, voilà qu'elle chialait. Me fais pas ça, Sasha ! J'avais pas envie de pleurer, et pourtant, je sentais les larmes monter à mes yeux. Parce que c'était quoi, discuter à travers la vitre d'un parloir, comparée à cette étreinte qui m'avait tellement manquée ? Je la reconnaissais, même après deux ans. C'est qu'il était mémorable, son mode chimpanzé !

- Eh, je pourrais te retourner le compliment ! Tu t'es vue un peu ? Tu es tombée sur la tête depuis la dernière fois qu'on s'est vus ou quoi ?

J'éclatai de rire et la fis tourbillonner dans les airs, telle une gosse de quatre ans riant avec son père - ou son frère.

- Oh putain, ce que ça fait du bien de pouvoir te serrer dans mes bras ! Mais qu'est-ce que tu fous là ? Et dans cette tenue ?

J'avais même pas conscience que ma présence ici était sans doute plus étrange que la sienne, mais à l'instant je n'avais plus vraiment le sens des réalités. J'admirais juste ce que mon petit protégé était devenu. Le changement était saisissant, mais tellement réussi !

Kieran. Et c'était qui celui-là ? La première réponse qui me vint à l'esprit, évidente, fut que c'était son petit ami, pensée que je rejetai instantanément. Blue ne pouvait pas avoir de petit ami, pas alors que tout le monde la prenait pour un mec, et un simple gamin avec ça. Cependant, tout de suite après, je fis le lien avec l'évidence : je n'étais pas avec Blue, ici. J'étais avec Sasha. Et pas Sasha en mode gamine, non, une vraie jolie jeune fille, tout à fait susceptible d'avoir un copain. Oh, ma petite Sasha, t'aurais pas osé faire ça dans mon dos, hein ? Bon, en même temps, pas comme si elle avait le choix. Je fronçai les sourcils, un sourire amusé aux lèvres :

- Et c'est qui, ce Kieran ?

Je savourai son étreinte un peu plus sage, ébouriffant ses cheveux sans la moindre considération pour ses cheveux soigneusement peignés, pour une fois. Question d'habitude. Ça m'avait manqué de ne pas lui foutre en l'air ses mèches noires et raides, foutues mèches qui retombaient toujours à plat quand je voulais lui donner une tête un peu plus en folie !

- J'ai pas pu ! Je suis sorti seulement ce matin. Je vais bosser ici, fis-je en désignant du menton le lycée, alors il a fallu que je subisse toute une batterie de question, qu'on m'explique ce que j'allais faire et tout... Enfin, tout un programme quoi !

Je la regardai, les yeux brillants de joie :

- Mais tu penses bien que j'allais foncer te retrouver juste après. Si j'avais su que tu serais là, à attendre devant ! Si je croyais à toutes ces conneries, je dirais que c'est un signe !

Un grand rire me secoua alors qu'elle parlait de m'en mettre une pour ne pas l'avoir prévenue de ma sortie. Allons bon, elle pouvait largement le faire ! Ça faisait un bout de temps que j'étais au courant, mais je n'avais pas osé lui en parler quand elle était venue la dernière fois parce que rien n'était moins sûr, et je n'avais pas voulu lui donner de faux espoirs.

- Vas-y, essaye, spèce de crevette ! Ça te défoulera au moins !

Pas comme si elle risquait de me faire mal. Rien qu'une petite fourmi, mais peu importait ce qu'elle était, je l'adorais. Et elle m'attendrissait toujours autant, et ses réflexions me faisaient toujours autant rire.

- Ben j'me suis évadé, c'te question !

Je lui donnai une bourrade dans l'épaule - petite, la bourrade, pour une crevette, quand même - avant de me reprendre et de répondre plus sérieusement :

- Tu sais, avec les remises de peine, la bonne conduite, et plein d'autres paramètres dont j'en connais pas la moitié, ça monte assez vite en fait... Circonstances atténuantes, on savait que je regrettais, on a vu que j'étais motivé, alors on a décidé de me laisser ma chance. Ch'uis pas vraiment libéré, hein ! Liberté conditionnelle, je suis surveillé, mais à peu près peinard.

Je soulevai ma jambe de pantalon, lui montrant le bracelet qui enserrait ma cheville. Je ne pouvais pas m'en aller et échapper à la vigilance de la police, mais peu m'importait. Tant que j'étais dehors et pouvais vivre ma vie !

- Je l'ai su y a assez longtemps en fait, mais c'était tellement flou, il aurait suffi d'un rien pour que tout s'annule, donc j'ai préféré me taire. Maintenant, je suis quelques cours ici, et je bosse pour la CPE. Et le soir... je retrouve Blue ! rugis-je en la serrant si fort contre moi qu'elle dut probablement décoller du sol.

Elle était si candide, si mignonne ! Elle me sortait qu'elle avait un petit ami le plus naturellement du monde, et pensait que je n'allais rien dire ? Mais c'est que mon petit Blue était devenu grand ! Je comprenais mieux à présent la tenue dans laquelle elle était. Nul doute que son petit copain la préférait ainsi. Elle était belle, ma Sasha. Ça aussi j'en étais fier, presque comme si c'était ma fille. C'était un peu ridicule, je n'étais pas responsable de grand-chose chez Sasha, mise à part sa désintoxication. C'était certes un gros morceau, mais après, elle avait su se remettre d'aplomb seule. Enfin, mon je n'avais plus mon frère sur qui veiller, et elle, elle n'avait jamais eu de famille... Ça nous faisait du bien à tous les deux, après tout.

- Tu vas me le présenter, ce type, hein, bougonnai-je d'une voix bourrue. Je ne vais pas te laisser à n'importe qui !

Je disais ça pour la forme, je faisais confiance à son jugement. Mais je voulais quand même le connaître. Savoir au moins quel genre de mec m'avait piqué mon gamin aux joues de bébé !

Sa mine ahurie lorsque je lui dis que je travaillais au lycée me fit exploser de rire ! Eh oui, j'étais peut-être pas l'élève le plus assidu autrefois mais comme quoi, tout était possible. J'avais un diplôme qui servait proprement à rien et voilà qu'il allait finalement s'avérer utile, un miracle. J'espérais quand même pouvoir vite retrouver quelque chose qui me correspondait plus. Peut-être effectuer des remplacements comme Blue, puis tenter de me retrouver un vrai groupe. Chanteur et batteur déjà, un bon guitariste ne serait guère difficile à trouver. Un claviériste peut-être ? Ça ce serait plus difficile, mais enfin, ça se trouvait. Oui, je rêvais déjà. Comment ne pas rêver quand on est libéré avec six ans d'avance et que l'on tient sa petite protégée dans ses bras ? Il faisait même beau, un véritable miracle à Londres. Tout le monde s'était ligué pour m'offrir la plus belle journée de ma vie.

Mais pour l'instant, je ne décidais de rien. C'était ça la réinsertion. D'autant que je n'étais pas vraiment libre, je ne pouvais pas faire la fine bouche. Et vous savez quoi ? Je m'en foutais éperdument. L'important était qu'on me laisse voir ma Sasha. Le reste, on verrait après. Quel reste ? L'under par exemple, l'under dans lequel je ne refoutrais pas un pied tant que je n'aurais pas Blue suspendu à mes basques, comme toujours. Et, parole de Crazy, ça ne tarderait plus très longtemps !

- T'inquiète pas ma puce. Je vais être sage comme une image. Je ne supporterai pas d'être renvoyé là-bas !

Bon sang, voilà, cette petite idiote m'avait mis les larmes aux yeux. Je les ravalais férocement, me refusant à pleurer en public. Ouais, un brin macho, mais bon, tant que je pensais pas que les femmes n'étaient bonnes qu'à faire la cuisine et le ménage, hein ! Je la repris dans mes bras, plus doucement cette fois-ci, et déposai un baiser sur ses cheveux, tendrement.

- Ça fait du bien de te voir en vrai, de pouvoir te serrer dans mes bras. Après deux ans passés à se parler séparés par une vitre...

Les cours se faisaient de plus en plus espacés. Fin d'année rimait avec bac et la plupart des profs avaient fini leur programme ou le terminaient. Mais je préférais rester au bahut pour réviser. Chez Aaron, je n'arrivais à rien et je n'avais pas la discipline nécessaire pour être hors des murs du lycée et résister à l'envie de voir Sasha. Et une fois avec elle, hors de question de réviser, naturellement. Je ne la voyais pas autant que je l'aurais souhaité. Je devais ménager les études, ma sœur et Sasha. Un vrai casse-tête. Pas forcément idéal dans la conjoncture actuelle. Quoique je pouvais surement allez chez Sasha et y réviser, je la voyais bien rester à côté de moi et lire par dessus mon épaule certaines notes, me poser des questions sur ce qu'elle apprenait. Cela ne lui ferait peut-être pas de mal, lui donnant un avant goût de ce qui l'attendait si elle décidait de se lancer dans des études. De reprendre là où elle s'était arrêtée. C'était à réflechir, je lui demanderais.

Néanmoins, j'avais quelques craintes pour l'avenir. Si j'avais effectivement mon bac, j'irais à l'université. Je ne savais pas encore laquelle, même si les réponses ne devraient plus tarder. Là, j'aurais davantage de travail encore, moins de temps libre. Surtout si je voulais réussir et être dans les meilleurs. J'en étais tout à fait capable. Avec de l'assiduité. Je savais pouvoir compter sur Sasha pour ne pas me distraire et me remettre dans le droit chemin quand il le faudrait.

C'était incroyable comme elle avait prit une place prépondérante dans ma vie en l'espace de quelques semaines. De quelques jours même, depuis notre première nuit ensemble. Mes projets, je les faisais en fonction d'elle, pensant toujours à elle, à la place qu'elle y prendrait. C'était sans doute stupide et mes parents n'auraient pas manqué de me faire remarquer qu'on se construisait une avenir une seule fois, quand on pouvait avoir des copines à la pelle. Ne pas sacrifier sa vie pour une fille qui n'en ferait plus partie dans deux mois. Sauf que Sasha ferait partie de la mienne, je ne concevais pas que nous puissions nous quitter.

Quand enfin il fut l'heure de sortir, je remballais mes livres, non sans aller voir le prof pour lui poser quelques questions sur les intégrales. Je n'étais pas un petit génie en mathématiques, malheureusement, étant davantage littéraire. Mon esprit préférait décortiquer une phrase que résoudre une équation. Dommage. Même si je me débrouillais bien attention. Mais ce n'était pas inné.

Je finis par franchir les portes du lycée, les mains dans mes poches de mon uniforme, l'étui de ma guitare sur le dos. Je la prenais pour aller en cours, me déstressant en jouant quelques airs de temps en temps, surtout pendant midi. Blake adorait, cela l'apaisait. Moi également. J'aurais pu passer à côté d'eux sans les voir, si je n'avais reconnu une petite touffe de cheveux bruns et une silhouette fine que je connaissais par cœur.

Sasha?

Je marquais un temps d'arrêt alors qu'elle était dans les bras d'un grand type trop musclé à mon gout. C'était quoi ce délire? Qu'est-ce qu'il faisait à tripoter MA copine? Je me dirigeais résolument vers eux, avant de m'éclaircir la gorge de façon audible.

- "Je dérange?"

Leurs regards se tournèrent vers moi. Oh, mais je l'avais vu ce type. Il bossait au lycée. Et il était bien trop vieux pour Sasha. Je lui jetai un regard méfiant et noir, avant de me tourner vers Sasha, incertain. Non, ce n'était pas son genre de me tromper, pas si vite, pas après tout ce que nous nous étions dit. Pourtant, le doute se lisait dans mes yeux sombres, avant que je ne m'approche d'elle et glisse une main sur sa joue, l'autre l'attrapant dans le dos pour l'embrasser. Un besoin irrépressible de la toucher. Et de signifier qu'elle était à moi. Très primaire comme réaction, mais c'était mieux que de faire la gueule ou de mettre mon poing dans celle de ce mec. Même si je n'étais pas certain de m'en sortir indemne vue la carrure du bestiau. Je cessais de l'embrasser, faisant un pas de côté, sans que ma main ne quitte ses reins.

- "Tu me présentes ton ami?"

Je n'étais pas aussi détendu que j'en avais l'air, cela s'entendait dans ma voix, dans la colère que je maîtrisais.

- Je suis ravi d'envahir tes nuits, répondis-je malicieusement.

Je me moquais d'elle, je savais bien que ce n'était pas ce qu'elle avait entendu par rêver. Moi aussi j'avais imaginé ces retrouvailles, et finalement rien n'avoir été orchestré, parce qu'elle ne savait pas que je sortais, et parce que j'étais tombé sur elle complètement par hasard. C'était totalement spontané, et du coup, c'était sans doute encore plus sincère. Voir la surprise totale puis la joie se peindre sur son visage m'avait touché plus que je n'aurais su le dire. Mais enfin, je l'avais toujours taquinée, c'était quelque chose qui ne changerait jamais, et certainement pas aujourd'hui alors que je retrouvais ma petite sœur chérie.

Et puis je desserrai légèrement mon étreinte en entendant un voix masculine frapper mon dos avec une pointe acérée de sarcasme. Oh oh. Je compris à la mine enjouée de Sasha qui finit de rompre le contact avec moi pour aller contre lui qui il était. Et là j'ai franchement bien cru que j'allais exploser de rire.

« Non, tu tombes super bien ! » Franchement, Sasha ! C'était clair comme de l'eau de roche que ton mec crevait de jalousie, et s'attendait à ce que tu rougisses, balbuties, prise en flagrant délit de tromperie ! Enfin, c'était bon signe. J'adressai un clin d’œil au gars, plutôt joli garçon même si voir les élèves coincés dans leur uniforme me stressait au possible, et laissai à Sasha le plaisir de me présenter. Je notai au passage qu'elle avait prévu de l'emmener me voir la prochaine fois qu'elle viendrait me visiter, et j'en fus flatté. J'étais assez important à ses yeux pour qu'elle embarque son petit ami en prison... Ça faisait plaisir. Pas une preuve d'attachement très joyeuse, mais enfin, c'était touchant.

- Enchanté, Kieran, fis-je en lui tendant une main désinvolte. Irlandais ?

Ça s'entendait dans son prénom, dans son accent. Il ne devait pas être là depuis très longtemps, d'ailleurs. J'avais hâte de le connaître un peu plus. Je ne lâcherais pas Sasha comme ça !

- Relax, si elle t'a parlé de moi, je pense que tu comprends que tu n'as aucun souci à te faire. Je suis content de rencontrer quelqu'un qui a su mettre sa vraie nature au grand jour... Vous avez beaucoup de choses à me raconter, tous les deux !

Non parce que le p'tit Blue cachait si férocement son secret que je ne voyais simplement pas comment elle avait pu se décider à le lui révéler, à moins bien sûr qu'il l'ait surprise à poil mais là... [AH AH AH !] C'était devenu un réflexe, elle n'avait plus à y réfléchir. Elle parlait comme un mec, s'habillait comme un mec, se comportait comme un mec, et mis à part son désintérêt pour les filles que l'on imputait toujours à son âge apparent, nul ne pouvait réellement la percer à jour. Même chez elle, elle gardait toujours un peu de cette attitude qu'elle s'était créée, et interprétait bien finalement, même si on était venu me voir plus d'une fois en plaisantant sur l'amour fou que le gosse que je traînais partout me portait. J'avais hâte de savoir comment ces deux-là avaient mis la vérité à nu, et en étaient venus à sortir ensemble. Même si j'étais fier que ma Sasha ait décroché si rapidement un petit ami après avoir révélé sa féminité. Pas mal, la petite, pas mal.

Parfois, la... naïveté de Sasha me laissait pantois. Je lui demandais avec une certaine jalousie si je ne dérangeais pas alors qu'elle faisait des mamours avec un type plus âgé et elle, elle me répondait le plus naturellement du monde que je tombais très bien. Au moins, cela me rassurait. Ce n'était pas ce que je pensais. Pas de gêne de la part de Sasha... Soit elle mentait à merveille, ce dont je doutais (quoique avec l'histoire de son identité cachée, elle avait été une très bonne menteuse), soit c'était un... pote, très apprécié. Je me penchais pour l'embrasser, marquant un peu mon territoire, je le reconnais. Je me tournais vers le type alors que Sasha me le présentais. Pardon? Adam? Le Crazy qui était en taule et qu'elle devait m'emmener voir la semaine prochaine? Celui qui avait prit un paquet d'années? Et il était devant nous aujourd'hui? Travaillant au bahut? Ben dis donc, les remises de peine, c'était cool. Et Sasha était naturellement enchantée. Enfin, tout s'expliquait. Elle l'avait retrouvé par surprise alors forcément, il y avait eu effusions. Elle l'aimait comme un frère et c'était réciproque... D'après elle.

Elle me présenta ensuite à Adam et je décelais un changement de ton dans la voix de Sasha. De la fierté, de l'amour aussi. Je me détendis, même si je me demandais si lui, il la voyait comme une petite sœur... Voilà que je devenais jaloux. N'importe quoi. Je condamnais rarement sans savoir.

Il me tendit la main avec nonchalance et je m'en emparais, la serrant alors qu'il se disait enchanté... Avant de me demander si j'étais irlandais. Ben oui, mon accent me trahissait encore, mais je ne voulais pas le perdre au profit de celui, anglais, que je trouvais beaucoup moins chantant. J'étais fier de mes origines, je ne m'en cachais pas.

- "Bien vu."

Il me demanda alors de me détendre. Je souris légèrement. Oui, elle m'avait parlé de lui et en effet, il y avait des choses à raconter, parce que la transformation de Sasha était spectaculaire. Il y a deux semaines encore, c'était un garçon manqué. Et là, c'était une jolie adolescente aux traits asiatiques.

- "Je sais qui tu es, oui. Sasha m'a beaucoup parlé de toi. Tu es très important pour elle. Et même si j'arrive après la bataille, merci d'avoir pris soin d'elle quand ça n'allait pas."

Oui, j'étais au courant pour sa cure forcée de désintox et je le remerciais sincèrement de l'avoir malmenée pour la sortir de là et lui permettre de me rencontrer et de devenir une jeune femme épanouie. Sans lui, sa vie se serait probablement achevée misérablement dans un caniveau.

- "Finalement, c'est un peu grâce à toi si j'ai pu la rencontrer aujourd'hui."

J'avais posé ma main au creux de la taille de Sasha, par besoin de la toucher, d'affirmer aussi qu'elle était à moi, ce dont j'étais très fier.

- "Je crois qu'effectivement, Sasha a un longue histoire à te raconter... Je croyais que tu avais encore quelques années à faire, tu es sorti grâce aux remises de peine? Je t'ai vu au lycée. Si j'avais su que c'était toi Crazy..."

Jamais je ne m'en serais douté, même si il avait quand même le profil du taulard. Quelque chose dans son visage, son attitude, un peu brutale, alors qu'il se montrait pourtant assez discret et respectueux.

Au premier contact, Kieran me plaisait bien. Jaloux, mais pas trop - il avait laissé tomber la bataille dès qu'il avait su qui j'étais - attentionné, mature, voilà qu'il me remerciait même pour les baffes que j'avais foutues à sa petite amie. Une chance pour toi, mon gars, je n'aurais pas laissé Sasha à n'importe qui. J'étais protecteur avec elle, je l'avais toujours été, mais jamais je ne m'étais imaginé un jour l'éventualité qu'elle ait un petit ami. Forcément, vu comment mademoiselle avait choisi de vivre sa vie ! Mais au moins avait-elle bien choisi.

- De rien. Cette petite a de sacrées capacités, inutile d'aller les gâcher pour une connerie aussi profonde que la drogue. Ça en valait la peine, hein ? fis-je en couvant ma protégée d'un regard fier.

Sasha était un peu mon œuvre, un peu la sienne. Moi, je n'avais pas réussi à faire remonter à la surface son côté fille, simplement à l'extirper d'un cercle vicieux dégueulasse et à faire transparaître son intelligence noyée sous ses piquouzes. J'étais pas le genre à me dire que c'était du gâchis qu'elle n'ait pas été à l'école, alors que j'avais moi-même tout laissé tomber sitôt le bac en poche et une majorité nécessaire pour gagner ma vie. Mais elle avait un tel don pour le rythme, la batterie... Elle avait la musique dans la peau. Je pouvais pas la laisser pourrir ça.

Et Kieran avait réussi à percer son secret, et à le faire s'épanouir dans toute sa splendeur. J'aimais ce qu'il avait fait d'elle. Son visage enfin dégagé était exquis, non plus poupin mais simplement délicat. Ses cheveux noirs brillaient à la lumière fade du soleil londonien, et sa fine silhouette, sans être pulpeuse, était définitivement féminine - et jolie. Je n'avais jamais vu Blue sous cet angle, jamais je ne m'étais demandé à quoi elle ressemblerait si d'un coup d'un seul je décidais de lui faire enfiler une robe. Quand je visualisais ça, je voyais un garçon ridiculement déguisé en fille. Kieran avait trouvé la petite touche qui faisait la différence. J'aurais été incapable de dire ce que c'était, mais c'était là, et c'était beau.

- Crazy ! Ça fait une éternité qu'on m'a pas appelé comme ça. S'fait plaisir, tiens, depuis le temps ! J'ai l'impression d'avoir oublié qui j'étais avant.

Enfonçant les mains dans mes poches, j'ajoutai :

- Les remises de peine s'accumulent plus rapidement qu'on pourrait le croire, en fait. Je bosse pour votre CPE, et je suis quelques cours aussi, donc peut-être qu'on se croisera en classe. J'ai l'air ridicule sans uniforme, surtout qu'en plus les profs sont jeunes ici et ont presque tous mon âge, mais je préfère cent fois ça à la prison.

Peut-être même que je préférais ça à l'uniforme, songeai-je en regardant tous les garçons affluant encore à la sortie. Je ne m'étais pas encore prononcé, mais puisque je n'avais pas le choix, dans le doute, on allait dire qu'il ne m'irait pas au teint et que c'était beaucoup mieux comme ça.

- Bon allez Sasha, assez parlé de moi. Comment il a réussi ce miracle ?

Un demi sourire ombra mes lèvres alors que je baissais le regard vers Sasha, répondant simplement :

- "Oui, ça en valait la peine."

La preuve en était qu'elle était aujourd'hui une magnifique jeune fille, épanouie, saine de corps et d'esprit. Sasha était reposante. Un refuge. On ne se prenait jamais la tête. La seule fois où ça avait clashé entre nous, c'était bien quand j'avais pensé qu'elle sortait avec Sorcha. Et quand elle m'avait choppé en train de me droguer, évidemment. Quel con... Mais malgré mes dehors assurés, bien que renfermé, j'étais encore fragile. Je n'avais pas surmonté aussi bien que cela la mort de mes parents et je ne supportais pas la trahison. Comme le disait Sasha, j'étais trop entier, tout était noir ou blanc, pas de gris. j'étais violent dans mes passions, dans mes amours, dans mes haines, dans mes réactions, bien que je savais être rationnel la plupart du temps. Heureusement. Elle m'avait assuré, que jamais je ne pourrais finir comme Crazy à tuer quelqu'un dans un excès de violence. Je l'espérais sincèrement.

Je lui avouais alors être surpris de le voir dehors. Je savais ce qu'il avait fait, je ne cherchais pas à le cacher. Je savais une paire de choses sur lui, Sasha me les avait confié, parce qu'il était important pour elle, faisait partie de sa vie, comme moi désormais. Je savais qu'il l'avait sortie de la drogue, je savais qu'il avait tué. Et qu'il devrait encore être en prison. Mon ton aurait pu paraître brusque, mais c'était juste ma franchise. Il s'avoua heureux que je l'appelle Crazy et Sasha laissa un petit commentaire en passant à ce sujet.

Il m'apprit ensuite qu'il bossait pour la CPE, qu'il avait eu des remises de peine. Il allait en cours aussi et je hochais la tête quand il parla d'assister peut-être à des cours communs avec moi, avant de se plaindre de ne pas porter d'uniformes, qu'on le distinguait trop.

- "Pour être honnête, je préférerais ne pas en porter moi, je vois pas comment on peut être plus ridicule qu'en étant fagoté comme un pingouin tous les jours."

Sasha renchérit en parlant des pantalons en cuir qu'il portait et je lui jetais un regard en coin, avant de murmurer, amusé :

- "Et toi, c'est ton trip le pantalon de cuir?"

Adam demanda alors comment j'avais réussi à la transformer en fille et je fus curieux d'entendre sa réponse. Réponse un peu... décousue? Le pauvre, il ne devait rien comprendre. Je ne pus m'empêcher de rire devant le résumé ultra rapide et pas forcément clair de Sasha.

- "Si tu as compris Adam, je te paye un verre."

Un sourire amusé flottait toujours sur mes lèvres. Finalement, je décidais de compléter un peu :

- "En fait, j'ai connu Blue dans l'Under. Je l'ai revue en dehors, en train d'essayer d'apprendre à lire seule. Je lui ai proposé de l'aider et nous avons eu quelques cours tous les deux. Pis je l'ai chopée à attendre ma soeur à la sortie du lycée. Comme aujourd'hui, en fait, sauf qu'à ce moment là, je pensais que c'était un mec. Un mec de 14 ans qui sort avec ma soeur de 16 ans. J'ai vu rouge. Finalement, on s'est expliqué et j'ai découvert qu'elle risquait pas de sortir avec Sorcha, puisque c'était une fille... Tu imagines le choc... J'ai décidé de la sortir un peu, loin de l'Under, une sortie normale, pour une fille... Et bon, voilà quoi... j'adorais la personnalité de Blue... j'ai découvert en plus que Sasha était encore mieux. Et surtout, que c'était une fille... Ça a tout changé."

Je haussais une épaule. Voilà le résumé, même si je passais sous silence mon pétage de plomb avec la drogue. Je n'en étais pas fier et je n'étais pas certain qu'Adam apprécie d'apprendre cela.

- Oh, ça va, hein ! ris-je un peu trop légèrement.

Oui, je l'aimais, ce surnom, et c'était vrai qu'il m'allait bien. Mais ses paroles me rappelaient brusquement que cette part-là de mon caractère était ce qui avait bousillé deux ans de ma vie - et certainement plus encore, je n'allais pas retrouver mon existence d'auparavant en un coup de baguette magique. Je ne voulais plus en garder que les aspects positifs désormais. Une bonne impulsivité, une motivation sans bornes, et de l'inspiration pour vivre ma vie uniquement par la musique. C'était pas mal, ça, non ? Un sourire ironique étira mes lèvres lorsque Kieran avoua qu'il aurait franchement préféré ne pas en avoir, lui.

- Pourtant, le style pingouin te va très bien !

Puis Sasha essaya de m'expliquer comment la transformation s'était passée. Il avait cru qu'elle sortait avec sa sœur, puis elle le lui avait avoué comme ça parce qu'elle voulait pas qu'on la traite de menteur et... je n'ai rien calculé à ses explications. Cependant Kieran vit visiblement que j'avais lâché en cours de route et éclaircit un peu les choses. Pas mal de petits détails dans son histoire me fit plaisir. A commencer par le fait que Sasha voulait apprendre à lire. J'étais content qu'elle soit motivée pour apprendre. Cette fille était intelligente, elle pouvait tout faire si elle le décidait. Le deuxième point concernait Kieran.

- Tu as l'air sacrément protecteur avec ta sœur. C'est bien. Elles s'en rendent pas compte mais elles ont toujours besoin de nous, fis-je en ébouriffant une énième fois les cheveux de Sasha. Bon, et puisque je n'avais effectivement rien compris à la première explication, c'est moi qui vous paye un verre !

Nous continuâmes à parler tous les trois en nous dirigeant vers un café. Kieran me parla de ce qu'il apprenait de Sasha, m'affirmant qu'elle était très bonne élève, curieuse et intéressée, et il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer l'étincelle de fierté qui brillait dans mes yeux alors que je la regardais. Nous enchaînâmes sur ce que lui-même comptait faire de son bac, visiblement plus sérieux que moi, il comptait bien s'en servir. Sasha me parla de son nouveau travail, m'arrachant un soupir de regret - je lui fis promettre de m'y emmener un jour.

Nous passâmes toute la soirée ensemble et lorsque je rentrai chez moi, je ne pus qu'être pleinement satisfait de mes retrouvailles avec Sasha. Ma petite sœur avait pris son envol et s'était trouvé un nouveau protecteur avec qui je m'entendais à merveille... Mes nouveaux jours de liberté s'annonçaient à merveille.