And if you go, I wanna go with you [PV Erin]

J'avais réfléchi. Longtemps. Très longtemps. J'en avais parlé avec Sasha, énormément, à Kieran parfois lorsque je le croisais - c'était quelque chose de curieux que de confier ses problèmes de coeur à un gamin dix ans plus jeune que vous, déjà fiancé de surcroît, mais Kieran ne faisait pas son âge, il était bien plus mature. J'avais été quelque peu choqué d'apprendre leur engagement, mais heureux aussi pour eux aussi. Ce n'était pas comme s'ils voulaient se marier demain, ou même commencer à le planifier. C'était une promesse, tout simplement, et une belle promesse à tenir si jeune, selon moi. J'espérais qu'ils ne s'étaient pas trompés mais je ne pensais pas.

Enfin, actuellement, mon souci n'était pas le potentiel mariage de Sasha, mais ma relation avec Erin, relation qui, depuis sa crise m'ayant appris sa maladie, se réduisait au strict minimum professionnel. Nous étions aimables l'un envers l'autre quand nous nous demandions des choses et c'était tout. Mais quand bien même il aurait semblé à des yeux extérieurs que nous ne nous intéressions plus à l'autre, en réalité mon esprit avait durement carburé pendant cette beaucoup trop longue période où elle avait été loin de moi.

J'avais pesé le pour et le contre, envisagé toutes les situations, de la meilleure (qui ne me posait strictement aucun problème) à la pire (dont je ne savais vraiment estimer si elle consistait en Erin paralysée et dépendante de moi, ou Erin morte). J'avais tenté d'imaginer ce que serait ma vie si je devais entièrement me consacrer à une personne dont la survie dépendait de mes soins, j'avais tenté d'imaginer si j'aimerais suffisamment Erin pour que mon amour survive à voir ma petite délurée adorée immobilisée à jamais ou si ce n'était qu'une affection trop faible pour tenir contre ça.

J'en avais conclu que j'aimais Erin, réellement, du plus profond de mon coeur, et que quelles que soient les épreuves qu'elle traverserait, je serais toujours présent pour elle. Quoiqu'il advienne. J'en étais intimement convaincu. Et c'était quelque chose qui, en soit, me terrifiait. C'était la jalousie effrayante provoquée par l'amour qui m'avait fait commettre un meurtre, qui m'avait envoyé en prison la première fois. Erin le savait... Pour elle cependant, j'étais prêt à prendre ce risque. Mais la terreur qui me broyait le coeur lorsque je décidai enfin d'aller lui parler était malgré cela bien présente.

Avant d'avoir peur de l'amour, j'avais surtout peur de moi.

« Erin, j'ai bien réfléchi. Je l'ai fait le plus longtemps et le plus sérieusement que je pouvais, parce que je voulais être absolument sûr de moi, parce que je ne voulais pas risquer de te laisser tomber au moment où tu en aurais le plus besoin. Et après toutes ces semaines loin de toi à réfléchir aux conséquences de ta maladie sur moi et sur notre couple, si l'on devient un couple, j'ai conclu que j'étais prêt à supporter ça. Je voudrais qu'on se revoie. Au moins en souvenir du bon vieux temps. »

Ce n'était pas très difficile à dire, non ?

Je fus incapable de me rendre chez elle, ni de lui dire en face dans le cadre si impersonnel du lycée, et je finis par lui laisser ces mots sur un message vocal.

Absolument pitoyable.

« Erin, j'ai bien réfléchi. Je l'ai fait le plus longtemps et le plus sérieusement que je pouvais, parce que je voulais être absolument sûr de moi, parce que je ne voulais pas risquer de te laisser tomber au moment où tu en aurais le plus besoin. Et après toutes ces semaines loin de toi à réfléchir aux conséquences de ta maladie sur moi et sur notre couple, si l'on devient un couple, j'ai conclu que j'étais prêt à supporter ça. Je voudrais qu'on se revoie. Au moins en souvenir du bon vieux temps. »

Je restais figée, le combiné entre ms doigts crispés. J'étais comme frappée par la foudre. Mon cœur s'emballait comme un fou, alors que mon cerveau me disait d'effacer ce message et de cesser d'y penser. Pourtant, Adam me manquait... C'était idiot, vraiment, j'avais tout fait pour installer une distance entre nous. Nous continuions à nous fréquenter au travail, mais c'était tout. Nous ne nous voyions plus en dehors des heures au lycée. Il était en réinsertion et je m'étais promis de ne rien faire qui puisse le mettre en situation délicate. Il faisait du bon boulot et nos parties de jambes en l'air ou la fin de notre relation ne devaient surtout pas le renvoyer en prison ou lui faire perdre son boulot, je ne pourrais pas dormir en étant la cause de cela.

Mais le côtoyer tous les jours n'était pas facile. Je sentais mon corps brûler pour lui, se tendre vers lui et je rêvais de ses lèvres sur ma peau, de caresser son corps puissant. C'était une torture que je m'infligeais là, mais les choses étaient claires entre nous : il était hors de question qu'il m'assiste, qu'il se retrouve à s'occuper de moi comme si j'étais une infirme et lui mon garde malade. Je voulais un compagnon, un amant, pas une béquille. Question de fierté. Et voire quelqu'un se détourner de moi parce que je me retrouvais diminuée m'était insupportable, me poussant à frapper avant qu'on ne me frappe, tout simplement.

Je pensais que le message était passé. J'avais bien essayé de me détendre, de l'oublier dans d'autres bras, mais le cœur n'y était pas... Pauvre petite Erin, naïve petite Erin qui avait cru que l'on pouvait contrôler les élans du cœur, décider de qui et quand on tombait amoureux et de cesser de l'être. Mais cela ne fonctionnait pas ainsi et je craignais de m'être éprise de cet homme sensible derrière ses airs de dur. J'avais passé de merveilleux moment avec lui, oubliant que j'étais en sursis...

Je me surpris à réécouter ce message, alors que des larmes coulaient sur mes joues. Finalement, je saisis un coussin de mon sofa, le serrant contre moi, avant d'y enfouir mon visage, pleurant et sanglotant même devant le sort qui m'avait nantie de cette maladie qui faisait de ma vie un enfer. Je pouvais faire des crises et m'en sortir indemne et je pouvais garder des séquelles, c'était cette donnée aléatoire qui me rendait folle. Parfois, je me disais qu'il ne m'arriverait rien ou presque et d'autres fois, quand je croisais d'autres malades en fauteuil roulant, j'avais juste envie de hurler.

Qui pouvait me comprendre ?

Je pleurais ainsi longtemps, avant que mes larmes ne se tarissent... Et finalement, je me relevais, n'effaçant pas le message et allant me laver dans la salle de bain. Je me maquillais, arrangeais mes cheveux, mis une petite robe blanche à volants et des escarpins à lanière immaculés également. Les mains tremblantes, je pris mon téléphone portable, avant de taper un sms laconique. Un mot, un seul.

Viens.

Et j'attendis, le cœur au bord des lèvres, assise dans le canapé, triturant l'ourlet du coussin nerveusement.

Le temps qu'elle me réponde, au fond, je m'étais déjà résigné. De toute façon, comment pouvait-elle avoir l'assurance que je disais la vérité ? Que j'y avais réellement réfléchi ? Que, tout simplement, je m'étais cherché un autre plan cul que j'avais échoué à trouver, me retournant donc de nouveau vers les vieilles habitudes ? Non, Erin ne me croirait pas comme ça, si ? Après tout...

Non, non, non. Je voulais croire qu'elle continuait à me faire confiance. Je voulais qu'elle sache que chaque mot prononcé avait été pesé et réfléchi, et que j'étais sûr à cent pour cent de ce que je lui avais affirmé. Elle n'était pas obligée de me croire. Elle pouvait penser que je me trompais. Mais elle ne pouvait pas penser que je lui mentais.

Mais même si elle croyait que je me trompais... Même dans ce cas, elle ne me rappellerait pas. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Elle se dirait sans doute « Oui, Adam, peut-être que tu crois y avoir réfléchi, mais tu ne l'as jamais vécu et tu ne sais pas ce que c'est. Tu ne peux pas t'avancer ainsi, et moi je ne veux pas prendre le risque. Arrête, c'est vraiment fini. » Est-ce qu'elle me le dirait, à moi, ou est-ce qu'elle se contenterait de m'ignorer ? Je ne savais pas vraiment ce qui serait le pire.

Je me jetai sur mon téléphone lorsqu'il vibra, le lâchai, le fis rebondir entre mes mains en tentant de le rattraper pour finir par le voir se fracasser par terre. Merde ! Je le ramassai et constatai que l'écran était complètement fêlé. Putain... J'ouvris avec fièvre le message qui venait bien d'Erin et sentis une brusque vague de soulagement me traverser comme une lame de fond.

Pour un peu, je me serais presque mis à danser de joie. Qui pouvait se soucier d'un portable cassé, hein ? Je fonçai chez elle et un flot de paroles jaillit de mes lèvres sans que je puisse les contrôler lorsqu'elle m'ouvrit la porte :

- Tu sais, Erin, je m'étais juré que je n’éprouverais plus jamais ça et que je ne dirais plus jamais ces mots quand j'ai été condamné. L'amour, ça va de pair avec la jalousie, l'amour, c'est ce qui m'a fait commettre un meurtre, a gâché ma vie, a gâché la vie d'une famille qui n'avait rien demandé à personne, d'un type qui méritait certainement une bonne raclée mais pas de crever comme ça. Je déteste l'amour. J'm'étais juré que j'aimerais plus jamais et pourtant Erin, ce que je vais te dire, je peux te jurer que je le pense le plus sincèrement du monde. Je t'aime, Erin.

Je la regardai en faisant la moue.

- Et j'ai cassé mon téléphone.

Quand la sonnette retentit, quand j’allai ouvrir pour voir la haute silhouette d’Adam se découper dans l’embrasure, je sentis mon cœur faire une embardée. J’étais si faible… toutes les belles résolutions que j’avais prises s’étaient envolées devant la solitude atroce qui s’était emparée de moi au cours des dernières semaines. Adam me manquait, c’était aussi simple que cela et il m’avait semblé si sincère alors qu’il parlait de ma maladie, de ce que cela impliquait. C’était une situation à laquelle je me préparais depuis que je savais être malade. Ne pas imposer mon impotence aux autres. Ne pas devenir un fardeau, ne pas me faire plaquer parce que j’étais un poids mort, ma fierté de femme ne s’en serait pas remise.

Adam ne me laissa pas vraiment le temps d’en placer une. Il débita tout un tas de paroles très rapidement, m’étourdissant presque. Depuis combien de temps préparait-il cela ? Combien d’heures à ressasser notre situation, à trouver une solution, à prendre une décision nous concernant ? Nous étions restés en bons termes, mais quand même, il y avait une gêne entre nous, si étrange alors que nous avions été si proches.

Il m’annonça alors qu’il s’était juré de ne plus jamais éprouvé cela, pour ne pas commettre l’irréparable. Il avait tué par jalousie. C’était un accident, provoqué par la colère, mais c’était arrivé, il avait du sang sur les mains, même si je ne lui en avais jamais tenu rigueur. Et doucement, je commençais à me demander jusqu’à quel point il tenait à moi. Nous n’étions pas que le plan cul de l’autre, c’était nous mentir que d’affirmer cela. Nous étions amans, amis… nous avions été à des soirées ensemble, au restaurant, au cinéma. Ce que font les couples normaux. Il avait raison à ce sujet.

Et là, PAN. Il me dit m’aimer, tout simplement. Comme ça, à la suite de sa diatribe sur l’amour passionnel. Il m’aimait. Nous étions tombés dans le piège de l’amour. La relation libre et consentie s’était muée en quelque chose de bien différent. Et moi, est-ce que je l’aimais ? En voilà une curieuse question… je tenais à lui, j’étais bien avec lui et je me voyais bien faire un bout de chemin avec lui. Mais j’avais peur de l’abandon, peur de la trahison… Mes peurs devaient-elles m’empêcher de vivre ? Je profitais de la vie oui, sans avoir d’attaches… Il fallait prendre une décision. Mais maintenant ? Je ne savais pas… Je ne savais plus et je restais muette. De stupeur. J’avais l’impression que mes cordes vocales s’étaient rétractées. Plus aucun son ne sortait.

Et avant que je ne puisse répliquer, il m’annonça avoir cassé son téléphone. Je levais la main, comme pour imposer le silence.

- Attends deux secondes… Qu’est-ce que tu as dit ?

Qu’il m’aimait ? J’avais peur de ces mots et peut-être était-il en train de se demander s’il n’avait pas fait un impair en parlant si franchement. Je ne le savais pas moi-même.

- Et je parle pas de ton téléphone.

Redis-le moi. J’aime entendre ces mots, autant que je les crains. Et mon cœur s’emballait lui aussi, sans doute plus conscient que moi de ce qu’il se passait et de ce que je ressentais.

Je restai un instant interloqué mais ouvris docilement la bouche pour lui expliquer :

- Ben en fait, il m'a échappé des mains quand j'ai voulu voir ton message et...

Ah. Elle ne parlait pas du téléphone. Je pris quelques secondes pour remettre de l'ordre dans mes pensées. De quoi parlait-elle, alors ? De ma tirade juste avant ? Je ne savais même plus ce que je lui avais dit dedans. Probablement que des conneries profondes. C'était pas prévu, c'était sorti tout seul, et Dieu savait que je n'étais pas doué pour les discours et la parlote. J'aurais mieux fait de fermer ma grande gueule ! Je ne pouvais plus tout lui balancer avec la même verve, maintenant que ce n'était plus spontané.

- Ben... En fait... Ce que je voulais dire, c'est que j'aime pas l'amour. Et je voulais pas tomber amoureux. Mais je l'ai fait. Pas exprès. Et ça m'emmerde vraiment, au fond, parce que j'ai peur de recommencer. De recommencer, bah, tu sais de quoi je parles. Enfin, c'est pas que je suis pas heureux de l'être de toi, hein ! Mais j'ai peur que ça recommence. Euh, je te l'ai déjà dit.

Mes pensées s'embrouillaient et si ma tirade précédente me semblait floue, alors là ça devenait une collection d'impressionnistes. Je n'arrivais plus du tout à exprimer ce que je voulais dire et j'avais juste l'impression de m'enfoncer. Pourquoi donc était-ce si difficile de dire simplement les choses ?

- Ce que je veux dire, c'est que si je l'accepte, et que je viens te le dire, c'est que je suis prêt à l'assumer. Et étant donné mon passif, que je sois prêt à l'assumer peut t'être présenté comme une vraie garantie de sécurité. Voilà.

Apparemment, je n'avais pas dit les bons mots. La mine d'Erin était encore toute tristounette, avec cette petite lueur d'espoir brillant au fond de ses yeux. Bon sang. Moi et la psychologie féminine, c'était vraiment pas ça... D'autant que la psychologie d'Erin, elle était pas tellement normale.

Et puis brusquement, mon visage s'éclaira. Ah ben oui bien sûr ! Je la regardai droit dans les yeux et lui dis le plus sérieusement et sincèrement du monde :

- Je t'aime, Erin Phillips.

Je n'en avais rien à foutre de la façon dont il avait cassé son portable. Ce que les hommes pouvaient être idiots quand ils s'y mettaient ! Il venait de me dire qu'il m'aimait suite à une tirade improvisée et voilà qu'il commençait à me parler de son portable, sautant du coq à l'âne et ne me laissant même pas le temps d'assimiler les informations. Je le coupais donc dans ses explications stériles, simplement pour qu'il répète qu'il m'aimait, pour qu'il me convainc. Qu'il parvienne à me convaincre, que l'on pouvait croire à l'amour, que je pouvais me laisser aller avec lui, qu'il serait là pour me soutenir, qu'il ne m'abandonnerait pas à cause des difficultés, qu'il ne me laisserait pas tomber quand je ne serais plus celle qu'il avait connu. Cet abandon me ferait si mal... Je n'avais déjà pas une grande estime de moi-même, en sachant ce vers quoi j'allais, alors si en plus on me larguait à cause de ça...

Il répondit alors. Disant qu'il n'aimait pas l'amour, qu'il ne voulait pas tomber amoureux, mais que ça, ça ne se choisissait pas vraiment. Hélas, j'en faisais l'amère découverte aussi. J'étais déjà tombée amoureuse, ou du moins, j'avais senti que cela arrivait et j'avais fui. Et j'avais fait pareil avec Adam, sauf qu'en bossant ensemble, c'était difficile. On se côtoyait, on s'appréciait et il demeurait une tension sexuelle entre nous. Il m'avoua avoir peur de péter de nouveau les plombs par jalousie. Il s'embrouillait.

Pouvais-je le rassurer ? Rien n'était moins sûr. La stabilité et moi, ça faisait trois. Je n'avais jamais eu de relation de couple durable, je n'étais pas plus fidèle que cela, parce que je n'avais jamais réellement tenu à quelqu'un non plus sans doute. Pourtant, il voulait tenter, malgré son passé, que je connaissais depuis le début, ou presque. Tuerait-il de nouveau dans un accès de rage ?

Et soudain, il me redit m'aimer, tout simplement, sans fards. Je n'en demandais pas davantage. Je n'avais pas besoin de grandes déclarations d'amour à la Shakespeare. Et j'étais totalement terrifiée.

- Adam...

Ma voix s'étrangla et je toussotais pour essayer de retrouver l'usage de la parole.

- Je peux pas te garantir que tu ne recommenceras pas... je sais pas si je peux être fidèle, si je te ferais pas souffrir, parce que j'ai jamais rien vécu de stable, jamais rien tenté dans ce sens, je ne sais même pas ce qu'est la vie de couple... Je peux tout faire pour chasser tes démons et jamais te laisser faire quelque chose que tu regretteras ensuite, comme tu promets de me supporter, même avec ma maladie.

Doucement, j'approchais du jeune homme et passais mes bras autour de son cou, avant de poser ma tête simplement contre son épaule, cherchant sa protection, sa chaleur, sa force.

- Je suis terrifiée...