La réponse | Erin

    La veille, Orpha s'était égarée dans un centre commercial. Ce jour là, c'était dans un lycée que ses pas l'avaient menée. Ainsi en allait-il pour l'enfant-démon, lorsqu'un rituel approchait. Ces choses là se prévoyaient longtemps à l'avance, ils ne laissaient guère de place à l'improvisation et si le choix du... sujet, dirons-nous, arrivait en dernier, il n'en demeurait pas moins très important et elle y passait beaucoup de son temps. En l'occurrence, elle n'avait eu aucun coup de cœur lors de sa précédente tentative et elle avait voulu tenter de chercher dans une population plus jeune ; pas qu'elle aimât particulièrement torturer et sacrifier des enfants ou des adolescents, mais ils avaient l'avantage d'apporter une contribution très... symbolique. Pure, diraient certains, même si c'était oublier la vitesse avec laquelle la jeunesse de 2012 se dépravait.
    Dans tous les cas et peu importait ses motivations, il n'en demeurait pas moins qu'Orpha errait dans les couloirs d'un lycée dans lequel elle n'avait rien à faire... en témoignait sa tenue, loin de l'uniforme réglementaire. En plus de son jeune âge, ce dernier petit détail attirait bien plus l'attention que sa frimousse parfaitement inconnue ; en tout cas, elle avait supputé, vu la taille de l'établissement, qu'il n'était pas inquiétant qu'on ne la reconnût pas. Pour l'heure, on l'avait néanmoins laissé tranquille, les mortels avaient tendance à se tenir tranquille en sa présence. Pas qu'elle les impressionnât particulièrement, au contraire, mais elle dégageait néanmoins quelque chose d'étrange qui devait parler à leur inconscient. Une histoire d'instinct de survie, elle ne savait pas trop.
    Son exploration prit un tournant inattendu quand elle capta la présence d'un immortel... et pas de n'importe lequel. Elle était incapable de mettre un nom dessus, elle pouvait seulement supposer qu'il s'agissait d'un ange — sans avoir vraiment de certitudes — et qu'il était a priori puissant. Bien entendu, les auras n'étaient pas une science exacte, il y avait des immortels qui étaient passé maîtres dans l'art de la manipuler... C'était un peu comme s'ils étaient devenus des sortes de caméléons. Dans le doute, elle préféra ne pas trop s'en approcher. Elle se pensait relativement protégée par les étudiants qui déambulaient autour d'elle, mais avec les emplumés, on ne pouvait jamais être sûre.
    Le hasard de ses errances la mena devant les portes d'un bureau et elle prit la peine de lire l'écriteau avant d'esquisser un sourire ironique. Une CPE, hein ? Elle n'avait jamais eu l'honneur d'en rencontrer (elle n'avait jamais été dans le moindre collège ou lycée, d'un autre côté) mais il lui semblait que les CPE avaient plutôt mauvaise réputation. Quelque chose qui oscillait entre ennui mortel et inutilité flagrante. Le hasard voulu que la porte s'ouvrît justement à ce moment là et Orpha se retrouva donc nez à nez avec la fameuse Erin quelque chose. Enfin, nez à nez, elle devait lever la tête pour pouvoir la regarder dans les yeux, mais c'était toujours le cas. À bien la regarder, l'enfant-démon lui trouva un air fatigué et potentiellement déprimé... Mais ce n'était pas comme si les états d'âme de l'éducatrice l'intéressait plus que ça.
    « Bonjour, » dit-elle pour la forme avant de faire mine de partir. Elle se figea cependant et porta un regard nouveau sur la jeune femme. « On dirait que vous avez vu un fantôme. »

Ma vie était loin d'être rose ces derniers temps... j'avais cru que je pouvais mener une vie normale, mais finalement, cela n'était qu'un leurre. Adam avait été une étincelle d'espoir, mais elle avait tôt fait de s'éteindre face à la réalité. Promettre de vivre avec une femme malade et vivre réellement avec, étaient deux choses bien différentes. J'avais été folle d'y croire. Et il me semblait que je ne lui avais pas non plus laissé beaucoup de chances d'y parvenir. Je m'étais éloignée de lui, encore et cette fois, je ne le laisserais plus entrer dans ma vie. J'avais refait une crise qui m'avait encore conduite à l'hôpital pendant une bonne semaine, avant que je ne retrouve l'usage de mes membres. Ma vue diminuait malgré tout, mes jambes me semblaient moins sensibles... Doucement, mon corps dégénérait. Chaque jour me rapprochait d'un fauteuil roulant, d'un réel handicap.

Alors je me perdait dans les plaisirs éphémères, je me rendais dans l'underground. J’enchaînais les coups d'un soir. Je brûlais la chandelle par les deux bouts quelque part... un comportement sans doute totalement irresponsable, mais qu'est-ce que cela changeait ? Rien. Je voulais m'enivrer de plaisir, juste cela. Oublier que j'étais en sursis, que cela ne me serait peut-être plus possible. Je vivais à 200 à l'heure. J'essayais d'oublier mon cœur malmené. Pourtant, je m'étais refusée le droit de tomber amoureuse, de m'attacher, j'avais toujours fait en sorte de fuir. Mais il fallait croire que je n'étais pas plus maligne qu'une autre.

J'étais dans mon bureau, à regarder un peu les choix de filières des élèves. Certains rêvaient de grandeur, d'autres étaient plus modestes, certains visaient bien au dessus de leurs capacités, d'autres, trop en dessous. Il allait falloir réorienter tout ce petit monde. Il y avait aussi ceux qui ne savaient pas du tout quoi faire. A 15 ans, c'était excusable. J'avais toujours voulu être une artiste et finalement, la maladie m'avait enlevé ce rêve, me forçant à me reconvertir à un boulot moins vibrant, moins glorieux. Enrichissant pourtant, quand les élèves acceptaient l'échange.

J'avais besoin d'un bon café. Je dormais mal, j'avais des douleurs, souvent la nuit, et les antalgiques ne m'aidaient pas toujours à les soulager. J'avais vraiment besoin d'un petit remontant. Je me levais alors, laissant là mes dossiers, avant de me diriger vers la porte et de l'ouvrir à la volée, pour sursauter en croisant le regard d'une jeune fille que je ne connaissais pas et qui ne portait pas l'uniforme de l'école. Elle me salua, avant de tourner les talons, pour se raviser et me dire que j'avais l'air d'avoir vu un fantôme. Je restais coite devant cette gamine qui faisait courir des frissons sur ma peau, sans aucune raison apparente, avant de secouer la tête lentement.

« Non, mais une jeune fille qui n'a rien à faire ici, en revanche oui. A moins que tu ne sois une nouvelle élève, mais j'en aurais été informée. »

Alors qui était cette petite blonde inconnue qui me regardait avec aplomb ?

    « Hum, c'est étrange, répondit sans la moindre gène l'enfant-démon. je pensais que tous les détails avaient été réglés. » Une CPE, c'était exactement ce dont elle avait besoin, finalement. Qui mieux qu'elle connaissait les élèves, qui mieux qu'elle pouvait l'aiguiller vers la perle qu'elle cherchait ? Elle avait accès à tous les dossiers, récoltaient même parfois les confidences si cela se trouvait. Malgré son air un peu ahuris, elle avait l'air du genre de personne qui faisait ce qu'elle devait faire avec application. « On m'a dit de venir vous trouver. Mais nous serons sans doute mieux à l'intérieur de votre bureau. »
    Quelques secondes plus tard, la porte se refermaient sur elles, coupant ainsi court au brouhaha du couloir et des envies de remontants de l'adulte. Pour le moment, elle n'avait pas encore réagi mais, pour sa défense, elle ne devait pas souvent rencontrer des pré-adolescents comme Orpha. Quoique, ce n'était même plus sûr dans cette triste époque où l'enfant se rebellait toujours plus facilement. Combien d'impertinents, combien d'insolents devait-elle gérer ? Trop sans doute, mais la démone n'était ni l'un ni l'autre, elle était juste... confiante. C'était comme si elle pénétrait dans son propre bureau et accueillait la CPE et non l'inverse.
    « Ainsi vous ignoriez mon arrivée ? » continua-t-elle sur sa lancée alors qu'elle s'asseyait sur un des deux sièges en face du bureau. C'était à peine si elle ne l'invitait pas à prendre place en face d'elle. « Tout s'est décidé un peu à la dernière minute aussi ce n'est guère étonnant. »
    L'air de rien, la démone laissait son regard traîner un peu partout. Elle capta quelques effets personnels qui lui en apprirent un peu plus sur son interlocutrice mais ce n'était pas la CPE qui l'intéressait. Elle repéra quelques dossiers et crut deviner leur provenance. Tout cela était parfait.

La jeune fille se contenta de trouver la situation étrange alors que j'arquais un sourcil. Comment ça étrange ? Et quels détails ? Apparemment, la jeune fille venait bien d'intégrer l'école, mais les papiers n'avaient pas suivi. Je trouvais tout de même cette adolescente étrange... Sûre d'elle, avec quelque chose de désuet dans sa façon de parler, de trop mûr pour une jeune fille de son âge. Ou bien n'étais-je habituée qu'aux demoiselles trop frivoles ? C'était possible aussi après tout. Elle reprit en disant qu'on lui avait dut de venir me voir, avant de s'inviter dans mon bureau, le plus naturellement du monde.

Soufflée par son aplomb, je la laissais pénétrer à l'intérieur, avant de refermer machinalement la porte, pour nous retrouver seules toutes les deux. Je quittais la porte pour faire le tour de mon bureau et venir m'asseoir en face de la jeune fille, lui montrant le siège en face de moi tandis qu'elle me disait que j'ignorais son arrivée.

« Oui, comme je te l'ai dis. Sans doute une erreur de l'administration. »

Ou bien sa lenteur. Ou le dossier avait été perdu. Cela arrivait malheureusement. Un peu trop souvent à mon goût. Et depuis qu'on était passé à l'informatique, c'était presque pire, il suffisait d'un bug du serveur ou une fausse manip... Enfin bref, je poserais des questions à ce sujet plus tard.

« Je vois. »

Si tout avait été fait à la va vite, les papiers suivraient peut être sous peu.

« Commençons par le commencement : quel est ton nom ? Quel âge as-tu ? Et d'où viens-tu ? »

Il me fallait quand même quelques renseignements sommaires, alors que j'ouvrais mon logiciel sur mon PC, prête à entrer quelques données. Je ne savais même pas dans quelle classe elle devait être affectée. J'allais devoir appeler le secrétariat pour résoudre ce petit problème.

    L'air de rien, Orpha ne pouvait s'empêcher de jauger son interlocutrice même si, pour l'heure, elle n'avait pas beaucoup d'éléments sur lesquels s'appuyer. Une seule chose était réellement sûre, la brave CPE ne semblait pas avoir l'habitude de gérer des adolescentes comme l'enfant-démon. Qui pourrait lui en vouloir, d'un autre côté ?
    Orpha accueillit ses questions avec un sourire poli. Elle n'avait pas pris la peine de s'imaginer une quelconque identité factice avant de venir et avait bien l'intention de s'épargner cette peine ; l'immortelle ne comptait en effet pas revenir après cette entrevue et l'idée d'être dans les petits papiers de l'administration humaine, fusse sous un faux nom, ne l'enchantait guère. Elle chercha d'ailleurs du regard un semblant d'appareil photo ou de webcam, certaine que ce qui suivrait le « commencement » serait une petite photo pour accompagner le dossier. Aussi balaya-t-elle les questions de l'éducatrice avec fermeté — mais sans manquer de respect, là était le secret. « J'ai déjà répondu à toutes ces questions trop souvent ces dernières semaines. Une première fois quand je suis partie de chez moi, une autre quand je suis arrivée, sans compter l'emménagement et mon premier entretien ici. » Elle esquissa un léger sourire avant d'ajouter : « Mon dossier d'inscription doit bien être quelque part ; il finira par vous trouver, comme je vous ai trouvée. »
    En parlant de dossier, les yeux de la démone se remirent à se balader un peu partout dans la pièce. Pour obtenir une idée d'ensemble des élèves potentiellement intéressant de ce petit lycée minable, elle était au bon endroit, c'était désormais certain. Restait à voir comment elle obtiendrait les informations qui l'intéressaient. Elle pouvait très bien neutraliser la CPE, bien entendu... mais en même temps, avoir une alliée dans un lieu pareil avait certains avantages. Restait à savoir comment l'atteindre.
    « Vous travaillez ici depuis longtemps ? » demanda-t-elle finalement et c'était comme si elle reprenait la main. « Vous semblez en tout cas bien installée. Je me suis toujours demandé tous les secrets qu'une personne dans votre genre pouvait accumuler, ne serait-ce qu'en une année de cours. »
    Et d'ajouter, soudainement pensive : « Vous croyez en la magie ? » Cette question déstabilisait toujours les adultes. Cela lui ferait sans doute gagner quelques précieuses secondes et ferait oublier ses questions à cette brave demoiselle.

Je haussais un sourcil quand l'adolescente ne daigna pas répondre à mes questions, me répondant simplement qu'elle y avait déjà répondu maintes fois, trop à son goût et que nous finirions bien par trouver son dossier d'inscription. Voilà qui ne me plaisait guère. Il y avait une assurance chez cette jeune fille qui était presque déroutante. J'étais l'adulte, elle était l'enfant, je posais les questions, elle y répondait, mais au lieu d'exiger des réponses comme j'étais d'ailleurs en droit de le demander, je préférais sourire.

« Très bien mademoiselle l'anonyme. Puisque apparemment, livrer un nom et un âge sont tellement épuisants pour une jeune fille de ton âge... »

Mon ton restait aimable, mais mon regard s'était durci. J'étais quelqu'un se sympathique de base, réellement, mais il ne fallait tout de même pas trop tirer sur la corde ou me prendre pour une conne et je n'appréciais pas les manières de miss X qui n'était même pas fichue de me donner son prénom et son âge. A croire que c'étaient là des informations qu'elle ne voulait pas partager avec moi.

« Si j'étais méfiante, je dirais que tu te fiches complètement de moi, que tu n'as rien à faire dans ce lycée et que tu évites les questions en comptant sur une assurance à toute épreuve. Et s'il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c'est qu'on se paye ma tête. »

Et voilà que la demoiselle, me demandait si cela faisait longtemps que je travaillais ici, inversant totalement les rôles. Non décidément, je ne parvenais pas à lui faire confiance... Bien entendu, ce n'était pas ce qu'on me demandait, surtout de la part d'adolescents enjôleurs et menteurs, mais tout de même.

« Suffisamment longtemps pour savoir déceler la nature de certains élèves en tous les cas. En quoi la quantité d'informations que je puisse avoir obtenu peut-elle bien t'intéresser ? »

Et là, elle me demanda de but en blanc si je croyais en la... magie ? Qu'est-ce que c'était que cette question ? On, bien sûr que non. Je pouvais m'émerveiller des tours de magie, mais ce n'étaient jamais que des trucs, de la prestidigitation. La véritable magie n'existait pas. Cette gamine était-elle dérangée en plus d'être bizarre ? Notons que l'un pouvait expliquer l'autre.

« Non. »

Je la regardais avec méfiance. J'étais prête à appeler l'administration pour savoir si nous avions un dossier en attente ou quelque chose dans le genre et le cas échéant, renvoyer cette gamine hors des portes du lycée. Une dealeuse peut-être ?

    « C'est intéressant. Vous pensez pouvoir déceler ma véritable nature ? » demanda l'Enfant-démon avec, soudainement, un sourire des plus étrange. Il n'était pas forcément malsain ou mauvais, mais on sentait qu'elle ne croyait pas une seconde que la CPE pût répondre par l'affirmative.
    Orpha ne s'était pas laissée démontée par la méfiance croissante de son interlocutrice, ce n'était pas comme si elle n'avait pas l'habitude. Elle n'avait jamais eu la patience requise pour « jouer l'humaine », surtout que dans ce cas, cela signifiait se faire passer pour une adolescente. Elle avait appris à obtenir ce qu'elle voulait autrement et il n'allait pas sans dire que la chose était rarement agréable pour les mortels qu'elle coinçait dans sa toile. La magie. Voilà comment elle tenait les humains. En leur montrant ce qu'elle était. Ils avaient peur, ensuite. Et la peur était bien plus puissante que l'amour, de son point de vue. Aussi eut-elle un petit rire quand elle entendit l'éducatrice répondre qu'elle ne croyait pas en la magie. « Tu sais ce qui est triste, avec ce monde ? » demanda-t-elle, apparemment de bonne humeur. Elle avait sciemment abandonné le tutoiement en même temps que l'idée de faire les choses « biens », comme aurait dit Saskia. Comprendre, en douceur. « Ses habitants rêvent tous secrètement que leur vie s'améliore de façon miraculeuse, mais aucun n'a le courage de croire en la magie. »
    Se relevant tranquillement, comme si de rien était, elle rejoignit la porte et la verrouilla. Elle crut entendre le bruit d'un téléphone que l'on décrochait, mais peut-être avait-elle rêvé. Dans tous les cas, elle ajouta : « Inutile de déranger quelqu'un, tout se passera très vite. » Au besoin, elle fut assez rapide pour forcer la demoiselle à raccrocher avant qu'il ne fût trop tard. « Dis-moi, si tu devais faire un vœu, là, tout de suite et maintenant. Si tu devais demander quelque chose pour améliorer ton petit quotidien, qu'est-ce que ça serait ? Dis-le moi et je te le donnerai. Ou ne dis rien, continue de penser que je suis folle, comme je le lis dans tes yeux. Cela ne change rien, pour moi. J'obtiendrai ce que je suis venue chercher, libre à toi d'en profiter pour... vivre un miracle. »
    Si vraiment la demoiselle faisait la sceptique, Orpha l'aiderait à croire. Tous finissaient par céder, quand elle dévoilait ses ailes.

Cette gamine était vraiment bizarre et à vrai dire elle me faisait même presque peur dans sa façon calme d'appréhender les choses, dans ce qu'elle sous entendait alors qu'elle me demandait si je serais capable de déceler sa vraie nature... Quelle nature ? De quoi parlait-elle ? Était-elle une petite délinquante, une voleuse, une dealeuse en repérage ? Je fronçais les sourcils à sa question.

« Je ne cherche pas à savoir, je sais juste que tu me caches quelque chose. »

Pourquoi avais-je soudain l'impression d'être enfermée, d'être piégée ? J'étais une adulte, elle n'était qu'une enfant, c'était ridicule ! A croire que mes états d'âme influençaient grandement sur mes capacités de réflexion, voilà qui était quelque peu gênant pour assurer mon travail. Si je commençais à être impressionnée par la première gamine venue qui avait un peu de culot, je pouvais aussi bien démissionner, on gagnerait du temps.

Elle me demanda alors si je croyais en la magie. Évidemment que non ! Cela commençait à être ridicule et sans doute le sentit-elle, alors qu'elle me demandais si je savais ce qui était triste dans ce monde. Elle se mit à me tutoyer et je sentis que quelque chose changeait, que notre rapport changeait et qu'elle se révélait... Sa nature comme elle l'avait dit si tôt. Je secouais négativement la tête, prudente, alors qu'elle reprenant en disant que l'on rêvait tous que notre vis s'améliore sans pour autant croire aux miracles.

« A quoi bon croire en l'impossible, sinon à être déçus ou à se faire plumer par trop grande crédulité ? »

Où voulait-elle en venir ? Doucement la jeune fille se leva et nous enferma. Ma main vola vers le combiné alors que je commençais à prendre peur. On pouvait avoir 16 ans et être psychopathe... Et je n'avais pas d'arme, mis à part mon coupe papier. La jeune fille me dit que c'était inutile, que tout irait vite et soudain j'eus peur de mourir, là maintenant... Trop rapidement, elle raccrocha à ma place et je plongeais dans ses yeux.

Elle me demanda alors ce que je souhaiterais si je pouvais faire un vœu. Elle continua et je me mis à douter.

« Et qu'es-tu venue chercher ? »

Je ne répondis pas à sa question, toujours sceptique et surtout me demandant ce que cette détraquée me voulait à moi... Pourquoi moi d'ailleurs ? Avait-elle senti mon désarroi ? Perçu quelque chose chez moi qui l'avait attirée ?

    « Si seulement vous vous contentiez de ne pas y croire... Mais non, malgré tout, vous finissez toujours par l'espérer, » répondit-elle avec une ironie évidente ; elle avait usé à dessein d'un vous qui montrait clairement qu'elle ne s'associait pas aux « habitants de ce monde » qu'elle avait évoqué quelques secondes plus tôt. L'éducatrice avait parlé de pouvoir deviner sa nature, c'était un nouvel indice. Aussi inutile que les précédents, mais quand elle saurait, elle se demanderait comment elle avait pu imaginer le contraire.
    Finalement, Orpha se décida d'offrir un vœu à cette CPE dont elle ne savait trop encore ce qu'elle lui inspirait ; grand mal lui en pris, la jeune femme l'ignora tout simplement, cherchant juste à connaître la raison de sa présence. Un instant, l'Enfant-démon hésita à lui dire simplement la vérité. C'aurait pu être amusant, de voir l'horreur s'installer dans ses grands yeux quand elle entendrait son interlocutrice parler de sacrifice humain. Mais quelque chose la retint, peut-être était-ce l'éducatrice, peut-être était-ce autre chose, elle n'aurait su le dire. Toujours était-il qu'elle se contenta hausser les épaules. « Vraiment, tu ne vas rien me demander d'autre ? demanda-t-elle avec détachement. Je t'offre la chance de peut-être réaliser un de tes rêves sans rien te demander en échange et toi, tu ne la saisis pas et pourquoi ? Peur d'être déçue ? D'être ridicule ? »
    D'un pas tranquille, elle se dirigea finalement vers l'objet de ses désirs : les fameux dossiers étudiants. Elle en saisit un au hasard et commença à le feuilleter, non sans garder un œil sur une éducatrice qui devait se demander comment réagir. Qu'elle restât dans l'expectative, Orpha ne demandait pas bien. Pensivement, elle répondit finalement à la demande : « Voilà ce que je suis venu chercher. Un regard sur vos chères petites têtes blondes. » Refermant le dossier, elle le posa négligemment avant de revenir à la charge. Elle promena avec beaucoup d'attention son regard sur l'ensemble du bureau, à la recherche d'une caméra qu'elle ne trouva pas. « Dis-moi, si je te donnais une raison de croire, t'y risquerais-tu ? »

Je n'aimais pas ce que cette gamine insinuait. Ni son assurance. Ni le fait qu'elle ai totalement raison. Bien sûr qu'au fond de nous, il y avait toujours une part qui voulait espérer, qui voulait croire, désespérément, qui voulait un miracle. Pourtant, je savais que c'était de la folie, les médecins m'avaient prévenu il y a plusieurs années. Il n'y avait pas de guérison possible, on pouvait stabiliser mon état un temps, avant qu'il n'empire. Cela pouvait se compter en terme de mois ou d'années, mais cela arriverait, c'était ainsi. Personne ne pouvait lutter contre. Et sûrement pas cette gosse bizarre avec son discours sur la magie. C'était n'importe quoi.

Je ne voulais pas faire de vœu, je voulais savoir ce qu'elle me voulait, ce qu'elle fichait ici. Avec ses discours étranges, avec son regard d'un autre âge, son assurance qui ne collait pas à une gamine de 15 ans... Elle me répliqua alors qu'elle n'allait rien me demander d'autre, avant de renchérir en disant qu'elle m'offrait la chance de réaliser un de mes rêves sans rien demander en échange... Et j'allais gâcher cette chance.

Est-ce que j'avais peur d'être déçue et ridicule ? Évidemment ! Puisque ce qu'elle disait était totalement ridicule, y croire ne ferait que me faire passer pour le dindon de la farce.

« Dans la vie on n'a rien sans rien, aucun service n'est gratuit. »

J'étais plus que méfiante et je ne répondais pas directement à ses questions, qui sonnaient plutôt comme des accusations d'ailleurs. L'adolescente se dirigea vers les dossiers et en saisit un qu'elle se mit à feuilleter avec détachement, avant d'avouer que c'était cela qu'elle voulait : des informations sur les élèves. Elle referma le dossier et le reposa, comme si finalement, cela n'avait aucune importance. Et là, elle me demanda si je me risquerais à croire si on me donnait une raison de le faire. Je sentis mon cœur battre sourdement à mes oreilles, alors que mon estomac se tordait soudain de peur, mais je me surpris à hocher la tête. Oui, oui, si on me donnait des preuves, oui, je voudrais y croire.