Welcome to the family [PV Erin]

Je n'avais rien pu dire, rien pu faire. J'étais en larmes, sanglots incontrôlables qui me secouaient et m'empêchaient de tenir debout, et les phrases trop sèches de Miss Phillips n'étaient en rien faites pour me remonter le moral. Comment aurais-je pu arrêter de pleurer alors qu'elle venait de dcouvrir notre secret et qu'elle menaçait de renvoyer Liam ? Bon, techniquement, elle ne l'avait pas menacé, elle lui en faisait juste la remarque. Remarque qu'il approuvait d'ailleurs, à mon grand désarroi ? Ne pouvait-il pas se défendre ? Ne pouvait-il pas se justifier, nous justifier ? Son calme m'effarait.

Mais enfin, il dit à la conseillère les mots que je crevais tant de prononcer depuis si longtemps. Sa femme. J'étais sa femme, et on était libres de faire ce qu'on voulait. oilà. Mes sanglots s'espacèrent, refusèrent néanmoins de s'arrêter totalement, et je m'accrochai à lui comme à une bouée en pleine mer. J'avais envie de tout balancer à Miss Phillips, j'avais besoin de vider mon sac et c'était l'occasion idéale, mais je n'y arrivais pas, ma voix était étranglée et rien ne me frustrait tant que d'avoir l'air d'une petite fille au milieu de deux adultes qui s'expliquaient à mon sujet. Comme si c'étaient mes parents. Alors que j'étais mariée à Liam !

Et puis finalement, il me remit entre les bras d'Alice. Je me raccrochai à ma meilleure amie alors que la porte se refermait silencieusement dans mon dos et elle me prit dans ses bras, sans rien dire. Il était visible qu'elle savait qu'Erin était dans la salle et nous avait surpris. Nous ne nous éloignâmes pas vraiment alors qu'elle me serrait dans ses bras et j'entendis très nettement notre CPE claquer la porte de la salle avec fureur avant de s'en aller à grands pas. Je fis la grimace.

- Je devrais peut-être aller la voir.

Alice fit la moue, visiblement pas convaincue de cet état de fait, mais il me semblait que je devais au moins des explications à Miss Phillips. Je savais à quel point Liam pouvait être insupportable quand il était convaincu d'être dans son bon droit, et il n'avait pas dû accepter une seule seconde l'idée que notre couple n'était pas censé exister en face de sa collègue, pas alors que nous étions mariés en toute légalité désormais. Je n'avais pu m'empêcher de demander à Kieran de faire des recherches sur cette loi et il m'avait confirmé que notre union était tout ce qu'il y a de plus officielle.

Je me tirai des bras d'Alice et allai frapper, seule, au bureau de la CPE. A son ton sec, je compris qu'elle n'était pas de brillante humeur, mais je rentrai quand même, prenant mon courage à deux mains.

- Est-ce que je peux vous parler un peu ? murmurai-je, la tête basse.

J'étais toute retournée avec cette histoire quand même. Découvrir d'un estimé collègue a épousé une jeune élève et qu'il l'a mise enceinte, en secret, c'était quand même quelque chose de difficile à avaler et j'avais du mal à faire taire ma conscience. Je n'étais pourtant pas étroite d'esprit il me semble. J'avais une vie libérée, je savais m'éclater, j'avais déjà été ivre, j'avais touché à quelques drogues douces pour pouvoir profiter d'une soirée, sexuellement, j'étais totalement épanouie et j'avais des concepts assez libertins, mais là, j'étais choquée. Je faisais tout pour rationaliser alors que je maltraitais des dossiers, mais rien n'y faisait. Allons, Blake était majeure. Mais elle ne l'était pas l'an dernier quand il l'avait fréquenté... En attendant, je comprenais mieux la dégringolade de ses notes, même si cela n'expliquait pas vraiment les résultats décevants d'Alice. Avait-elle été perturbée par cette histoire elle aussi ? Enfin, merde, peut être que les deux jeunes filles avaient loupé leur bac à cause de Liam ! Ça ne lui avait pas effleuré l'esprit ? Et pis enfin, on ne couchait pas avec une adolescente sans la plus élémentaire des protections ? Comment espérer leur inculquer des valeurs si les adultes les bafouaient aussi facilement ? C'était cela qui me mettait en rage, davantage encore que leur relation réprouvable par la morale.

Et si encore Liam avait prit la peine de paraître gêné. Mais non, c'était trop demandé à ce foutu irlandais avec sa fierté exacerbée ! J'aurais sans doute été plus apte à passer l'éponge si il s'était montré un tant soit peu repenti. Mais non, que nenni, rien de rien ! Il m'avait toisé avec ce calme agaçant et voilà Erin, mange-toi ça et fais avec.

On frappa alors à ma porte et je répondis d'une voix sèche, ce qui n'était pas dans mes habitudes. j'étais en général la CPE sympa et ouverte, sérieuse, mais à l'écoute. Je crois que les élèves m'aimaient bien, mais aujourd'hui, je n'avais pas envie d'être sympa et à l'écoute alors le pauvre élève allait se manger toute ma colère, ça me défoulerait. Sauf que justement, l'élève en question était l'un des objets de ma colère. Miss Earl... Ah non, Madame Hartwood, j'oubliais. Blake était plus contrite que Liam et je me radoucis en la voyant baisser la tête et parler d'une toute petite voix.

- Ferme la porte et assieds toi.

Je résistais à l'envie puérile de lui demander si je devais la féliciter pour son mariage secret. Allons Erin, sois un peu professionnelle quand même. Je n'avais pas à accabler Blake avec ça.

- Je t'écoute.

Je fis un effort, croisant mes doigts pour éviter de tapoter nerveusement sur le bureau. Un léger sourire, un peu crispé néanmoins, était dessiné sur mon visage.

A vrai dire, je ne savais pas tellement pourquoi je voulais aller voir miss Phillips. Pour me justifier ? Il n'y avait hélas rien à justifier. Liam pouvait brandir notre mariage comme un bouclier à toutes les critiques du monde, il n'empêchait que notre relation était illégale tout du moins avant, par mon âge et par son statut vis-à-vis du mien. Si tout avait été aussi simple, on ne se cacherait plus. Si l'on continuait notre mascarade, c'était bien qu'il y avait quelque chose à dissimuler, non ? Lui présenter des excuses ? Mais je n'avais pas envie de m'excuser. C'était ainsi et c'était trop tard, et je n'étais pas désolée du tout de la situation, alors ce n'aurait été que mentir. Quoi donc alors ?

Je ne savais pas. Visiblement tendue, cela se voyait sur tout mon être, je m'avançai et pris une chaise, soulagée de pouvoir m'asseoir. Le lycée me faisait sans cesse bouger et, maintenant que j'arrivais à terme, c'était totalement épuisant. J'avais mal au dos dès que je restais debout plus de deux minutes. A la maison, je jouais au lézard sur le canapé pendant que Liam m'apportait tout ce dont j'avais besoin. (Il était vaguement possible que j'en rajoutasse un peu parfois pour la satisfaction de le voir s'occuper de moi. Et je le soupçonnais également d'en avoir parfaitement conscience et de se plier à mon jeu pour me faire plaisir.)

- En fait, je ne sais pas trop quoi dire.

Je me mordillai la lèvre, cherchant mes mots. J'évitais son regard, très concentrée sur le pli de son T-shirt au niveau de son épaule.

- Je suis désolée. Je ne suis pas désolée pour ce qu'on a fait, ce serait hypocrite. Mais je suis désolée de vous avoir mis au courant de cette manière et de vous mettre dans cette situation. Je sais que ça ne doit pas être confortable pour vous.

J'essayais d'évaluer comment dessiner la courbe de son épaule, avec ce T-shirt plissé par-dessus, mais les ombres me gênaient.

- Je sais que Liam, maintenant qu'on est mariés, est convaincu que nous sommes dans notre bon droit et assumera toujours en se moquant des regards. Et Dieu sait que je sais à quel point il peut être agaçant quand il est dans son bon droit. Il ne va même pas chercher à se justifier, parce qu'il a raison de toute façon, et si les autres ne comprennent pas pourquoi, tant pis pour eux.

C'était à cause de la lumière tombant directement de la fenêtre derrière elle sur le pli du tissu.

- Mais moi, je trouve que maintenant que vous êtes mêlée à cette histoire, fût-ce d'aussi loin, vous méritez des explications.

Je relevai la tête pour voir comment empêcher la lumière de passer et je me heurtai à son regard sombre et ses lèvres pincées. Prisonnière comme un insecte épinglé, je me figeai, attendant sa réaction.

Je haussai un sourcil face à l'adolescente qui m'avoua ne pas savoir quoi dire. Et bien magnifique, nous allions aller loin comme ça. Je n'avais pas réellement l'intention d'aider cette demoiselle qui s'était mise dans de sales draps toute seule. Javais découvert le pot aux roses et franchement, j'aurais préféré ne jamais rien apprendre, voilà tout. Je me faisais la complice de cette sinistre farce que la morale réprouvait vertement et je n'aimais pas du tout cela. Mon regard était noir et tout sauf amène alors qu'elle cherchait comment amorcer la conversation. Elle était ici parce qu'elle avait besoin de s'expliquer face à moi. Si Liam se fichait comme d'une guigne de ce que nous pouvions penser, ce n'était pas le cas de la jeune Blake, encore influençable.

Elle reprit alors la parole en s'excusant. Pas d'être en couple avec Liam, non, ça, j'avais bien compris qu'elle ne s'en mordait pas les doigts. Ils étaient amoureux apparemment. Cela n'excusait pas tout, mais on savait que l'amour rendait idiot. Même si je ne m'autorisais pas une telle bêtise, fuyant dés lors que je sentais mon petit cœur s'emballer.

- Non, ça ne l'est pas effectivement.

J'étais sèche. J'étais adulte, j'étais CPE et mon devoir était d'alerter les autorité compétentes. Même si, maintenant, ce serait stupide parce que Blake était adulte. Même si elle avait été mise enceinte en étant mineure. Mais ce serait un sacré nœud à problèmes et j'avais assez des miens sans me jeter là dedans. Et leur vie ne me regardait pas de toutes façons. Elle fit un portrait assez véridique de Liam et de son arrogance horripilante.

- Oui, j'ai cru remarquer. Il a de la chance de ne pas s'être pris ma main dans la figure d'ailleurs.

Je pouvais être sanguine parfois. Et là, il avait joué avec mes nerfs et ne devait finalement qu'au choc de ne pas s'être pris ma main dans la gueule, pour parler vulgairement.

- Tu es peut-être plus adulte que lui. Ou tu te sens plus coupable.

Cala dit oui, je méritais quelques explications.

- C'est pour cela que ton comportement a changé ? Que tes notes ont chuté, que tu as redoublé ? A cause d'un garçon ? Un de tes professeurs de surcroît ? Et Alice dans tout cela ? A-t-elle été affectée par tes problèmes ?

C'était ça que je voulais savoir. Si tout cela coïncidait.

Bon, d'accord, elle ne serait ni gentille ni compréhensive comme à son habitude. En même temps, je pouvais la comprendre. Elle devait choisir entre dénoncer Liam et le forcer à perdre son travail - car il était inutile de se faire des illusions, mariés ou pas, il serait renvoyé et je doutais qu'il puisse redevenir prof après ça - alors qu'il m'avait épousée et mise enceinte, ou bien rester complice de notre couple secret. Et je savais ce que son devoir était censé lui faire faire. Je pouvais déjà m'estimer heureuse qu'elle ferme les yeux, je n'allais pas en plus lui demander d'être aimable. J'eus un sourire tordu.

- Oh, la mienne, il se l'est prise plus d'une fois. Mais je crois qu'on se fait plus mal que lui, alors ce n'est pas tellement la peine.

Quand on n'était pas encore ensemble, quand on en était encore rendus au chat et à la souris, au « Fuis-moi, je te suis ». En un sens, je ne comprenais même plus comment on s'était débrouillés pour réussir à finir ensemble. Ces souvenirs étaient quelques peu flous dans ma tête et je ne savais plus comment j'étais passée de la haine à l'amour. Seigneur, ça faisait vraiment comédie musicale, là. Comme dans Roméo et Juliette... Ha !

Je rougis un peu lorsqu'elle me dit que j'étais plus mature que lui. Moi ? Comment pouvais-je être plus mature que qui que ce soit ? J'étais la nature même de l'immaturité et j'étais convaincue qu'une photo de moi à ce mot dans le dictionnaire n'aurait pas dépareillé. Non, je ne pensais franchement pas être plus mature. Moins fière, ça c'était certain. J'aurais voulu pouvoir être fière, fière d'être sa femme, fière de porter son enfant, mais je n'en avais même pas le droit. Alors même avec ceux qui étaient au courant, je me l'interdisais, et je ne pouvais pas jouir pleinement de notre relation. C'était empoisonnant.

- Non, je crois plutôt que je me sens plus coupable. C'est même une évidence. Il ne s'est jamais senti coupable de m'aimer... Enfin, pas depuis que je lui rends.

Je me fis la réflexion que mes paroles pouvaient être mal interprétées et je me mordis l'intérieur de la joue, me promettant de faire plus attention à mes formulations à l'avenir. Hors de question que je le fasse passer pour le séducteur pervers alors qu'il avait tout fait pour s'en empêcher. Mais la pluie de questions qu'elle me posa me déstabilisa. Je ne savais plus dans quel ordre y répondre. Et puis, formulé comme elle le faisait, ça faisait terriblement... puéril.

Enfin, c'était pas comme si j'avais pas l'habitude de l'être.

- Oui. C'était avant qu'on se mette ensemble et ça m'a complètement perturbée. Je ne savais plus où j'en étais ni comment me comporter vis-à-vis de lui. Mais lui, il n'y est pour rien. Je vous jure qu'il n'y est pour rien, miss Phillips !

Ma lèvre prenait cher sous mes incisives.

- Je me suis remise à travailler trop tard pour rattraper mon retard pour le bac, et puis j'ai appris que j'étais enceinte juste avant les rattrapages. Et comme avec moi c'est toujours tout ou rien et que je ne connais pas la demi-mesure... J'avais la tête enfoncée dans mes problèmes et j'ai été incapable de me préoccuper de l'école.

Je sentis le goût métallique du sang sur ma langue et cessai immédiatement de me martyriser.

- C'est quand j'ai commencé à être avec lui qu'on s'est fâchées, Alice et moi. Parce qu'elle m'avait soutenue avant quand... quand je le détestais, et elle ne comprenait pas que je puisse avoir un revirement comme ça. Pour ses examens, je ne sais pas trop si ça a joué. Je crois qu'il y a autre chose qu'elle ne veut pas me dire.

Bon, son tuteur, d'accord, mais quand elle m'en avait parlé j'avais eu l’impression de la voir blasée, résignée. Il y avait autre chose. Mais c'était Alice, elle ne fonctionnait pas comme moi, elle m'en parlerait quand elle m'en parlerait, c'était tout.

Je haussai un sourcil délicat. Je ne parvenais pas à me défaire d’une expression désapprobatrice qui ne m’était pas habituelle. Oh bien sur, je savais être sérieuse et prendre un air grave quand la situation l’exigeait et quand j’avais à faire aux élèves, mais je m’efforçais toujours de ne pas juger. J’avais eu 15 ans, ou même 17… Mais moi à 17 ans, je ne me faisais pas engrosser, je découvrais que j’étais atteinte d’une maladie incurable, dont l’évolution était incertaine mais inéluctable… De quoi doucher mon enthousiasme et me faire grandir brutalement non ? Je n’avais rien fait pour tomber malade, pour avoir cette saloperie de sclérose en plaques. Rien du tout. Alors que Blake et Liam avaient clairement déconné en oubliant la plus élémentaire des protections. Cela me révoltait, mais je devais me montrer un peu compréhensive et tolérante.

Cela dit, quand Blake fit remarquer qu’elle se confiait à moi par culpabilité, au contraire de Liam qui n’en éprouvait aucune, je sentis un brusque accès de colère m’étreindre, avant que je ne le ravale et me force à compter mentalement jusqu’à 10. Du calme Erin, du calme, pas la peine de monter sur tes grands chevaux… même si je trouvais gonflé que Liam n’éprouve aucun remord à avoir mis une gamine de 17 ans en cloque et en échec scolaire ! Il allait m’entendre celui-là. Quand je serais plus calme.

- Donc, cela fait un moment que Liam est amoureux de toi, si je comprends bien.

Merveilleux ! N’était-ce pas romantique tout ça ? Le prof et la lycéenne, tellement mignon… Ironique moi ? Non, quelle idée… Et forcément, je demandais si cette idylle avait perturbé Blake au point de lui faire rater son bac et Alice par la même occasion. Elle se défendit avec un peu trop d’empressement et j’optais pour un oui. Oui, cela l’avait perturbée et il avait été trop tard pour se ressaisir. Merci Liam. Très responsable comme attitude.

- Je vois.

Donc, trop de choses en même temps, elle s’était appitoyée sur ses malheurs et adieu le bac. Je ravalais ma furieuse envie de lui lancer qu’à son âge, j’apprenais que j’étais malade, que je ne pouvais pas guérir, que j’allais finir en fauteuil roulant un jour, dans 2 ans ou 20 ans, et que je m’étais pourtant battue pour garder les rênes de ma vie en main. Autre temps, autres mœurs. Blake se martyrisait la lèvre, très nerveuse et je ne l’aidais pas à se détendre, sévère.

Au moins, j’avais l’explication de pourquoi il y avait eu un froid avec Alice l’an dernier. Alice avait soutenu Blake dans sa haine de Liam, avant de se sentir trahie quand cette dernière s’était jetée dans ses bras. Alice, l’amie fidèle… Qui avait peut être ses propres soucis.

- Vous êtes amies. Vous ne vous dites donc pas tout ?

Apparemment pas, si Blake ignorait le soucis d’Alice. A moins qu’elle refuse de ne me le dire, ce ne serait pas la première fois. Je soupirais en me massant les yeux, soudain fatiguée et terriblement lasse.

- Si tu as terminé, tu peux t’en aller Blake. Je n’ai pas encore pris de décisions vous concernant.