Vengeance | Hannah

« D’accord, d’accord. C’est pas comme si Dieu ou Satan allait m’inviter pour le thé, de toute façon. »

Elle en avait des bonnes, mon amie. Elle agissait comme si j’étais lente à la détente – enfin, j’en avais l’impression – mais en même temps, c’était beaucoup à digérer en très peu de temps. Je notais tout ce qui pouvait m’être utile, oubliait le reste. Si je survivais, il serait toujours temps de réclamer une histoire complète de la création et tout le toutim. Néanmoins, ça restait irréel de parler ainsi de la vie d’Elle il y a 2000 ans passés ou du fait que quelques démons par-ci par-là désiraient la tuer. À un point, je préférai faire abstraction de ça aussi, me concentrer sur la présente situation. C’était tout ce qui comptait.

« Fais ce que tu veux. »

Consciente que mon ton semblait découragé ou même agacé. Consciente aussi que je donnais plutôt l’impression de ne pas la vouloir près de moi…mais si j’avais eu le choix, je me serais éloignée. Peut-être pas pour toujours, mais le temps de digérer tout cela. Caseo ne me laissait pas de liberté, j’étais prisonnière de ses conditions à lui. Et c’était pire que tout. Pire que de voir Elle me promettre quelque chose sans savoir si elle pourrait tenir cette promesse. Pire que de voir une amitié plutôt solide s’effondrer en quelques mots. Pire…Au lieu de lui répondre, j’émis un espèce de gargouillement, à mi-chemin entre le sanglot et le grognement. Malgré ce qu’elle disait, je me promettais de mettre la main sur une pastille d’arsenic. Juste au cas où.

Elle s’avança vers moi , comme pour me faire un câlin, mais je passai à côté d’elle en l’ignorant superbement.

« Je vais appeler le chauffer de fader. »

Je n’aimais pas faire usage des domestiques, je préférais prendre le bus ou le vélo. Plus économique, moins polluant. Cependant, dans des cas comme celui-ci, il valait peut-être mieux laisser faire les principes. Elle se trompait, je n’avais rien à apporter au monde. Je constatais la désolation et m’en imprégnait. J’étais une dépressive, une négative, quand on se mettait à y penser.

« Je t’attends dehors. »

[J'avais mal compris où on était en fait, oublie la tasse de chocolat du post précédent /o/]

Il arrivait, même si la chose demeurait rare, que Elle regretta son apparence. Eut-elle été un homme de la stature de Caeso, elle était certaine qu'Hannah se serait fait moins de soucis. Encore que... Force était de constater que la demoiselle encaissait comme elle pouvait ce déluge d'informations qui lui arrivait. Peut-être la démone ne s'y prenait-elle pas de la meilleure des façons pour amener la chose, peut-être manquait-elle... d'humanité. C'était bien là le problème, Hannah pensait être l'amie d'une humaine banale et voilà qu'elle découvrait que derrière cette belle histoire se cachait un être surnaturel que l'on pouvait presque qualifier d'antique. Maudit Caeso, il allait lui payer cette mésaventure.

Il était clair, désormais, qu'Hannah n'adoucirait pas son humeur. Sans doute la suédoise avait besoin de temps pour encaisser ce lot d'improbables vérités et la présence de sa... « démone gardienne » ne lui permettait pas de prendre le recul nécessaire. Ne laissant rien paraître de sa contrariété alors qu'elle se faisait esquiver habilement, elle se contenta de lui emboîter le pas en silence. Encore une fois, le voyage fut tout en silence et en malaise ; la présence d'un homme étranger à toute l'affaire n'arrangeait pas les choses, d'ailleurs. Sans doute Hannah ne voulait pas prendre le risque qu'un humain fut mis en danger si elle ne tenait pas sa langue. Ou tout simplement, elle ne voulait pas être harcelée de question, ou bien effrayer son père.

Peut-être qu'elle espérait encore se réveiller. Elle pouvait-elle lui faire cette grâce ? La laisser s'endormir, partir en quête de Caeso, le tuer et disparaître. Tant pis pour la guerre, tant pis pour Laurys qu'elle avait promis d'aider, tant pis pour les plans qu'elle avait échafaudé bon grès mal grés depuis son arrivée.

Finalement, elles arrivèrent à bon port. Hannah la conduisit jusqu'à sa nouvelle chambre et l'y abandonna, à priori pressée de pouvoir faire le point en toute solitude. Elle prit sur elle et brisa le silence, lui assurant que même si Caeso ne tenait pas sa parole et les approchait avant les deux jours de grâce qu'il avait affirmé leur offrir, elle le saurait et agirait en conséquence. Cette déclaration pleine d'assurance ne sembla pas apaiser la demoiselle mais rendu où elles en étaient, Elle ne pouvait pas faire grand chose de plus.

Elle détestait être une proie. Elle n'avait qu'une envie : se mettre en quête de Caeso et le forcer à fuir. Aurait-elle été seule dans l'équation qu'elle l'aurait fait sans hésiter, malheureusement elle ne pouvait pas deviner ce qu'avait prévu le romain pour atteindre Hannah. Il savait ce dont elle était capable, il savait qu'il n'arriverait pas à l'arrêter si elle parvenait à s'approcher assez pour l'attaquer au corps à corps. Il devait avoir trouvé une parade. Le tout était de deviner laquelle. Elle devrait la deviner seule, d'ailleurs. L'idée de demander son aide à Laurys était exclue pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'elle ne tenait pas à mêler le français à des déboires qui dataient d'Israël. Ensuite parce qu'elle avait sa fierté et si elle était parvenue à se débrouiller seule pendant deux milles ans, ce n'était pas pour commencer maintenant.

Quand son smartphone indiqua minuit, elle se leva, excédée. Elle n'avait même pas chercher à fermer l'œil, ayant gardé ses vêtements de la veille et n'ayant pas cessé de tourner en rond depuis qu'elles étaient rentrées. Hannah était restée murée dans sa chambre, à la recherche de réponses sans doute. Sans faire le moindre bruit, la démone s'aventura dans les couloirs et s'approcha de l'antre de la jeune suédoise. Contrairement à ce qu'elle avait cru, elle ne dormait pas, bien au contraire. Il lui semblait entendre des bruits de reniflement et de sanglots étouffés. Depuis combien de temps pleurait-elle ?

Rebroussant chemin, Elle se mit en quête de la cuisine. Elle la trouva sans difficulté, après tout elle n'en était pas à sa première visite. Elle avait hanté les lieux plus d'une fois, concoctant un petit plas à l'artiste pendant que cette dernière peignait. Cette fois, la démone irait au plus simple. Un petit chocolat chaud, sans fioriture, qu'elle prépara en trois minutes à peine. Deux minutes plus tard, la porte de la chambre d'Hannah s'ouvrait légèrement et Elle déposait son cadeau à l'entrée, sans s'imposer.

Déjà, Elle retournait à sa chambre, avec la ferme intention de recommencer à tourner en rond.

« Mademoiselle Hannah. »

Je levai les yeux vers le chauffeur qui venait d’arriver. Son visage trahissait ses questions ; pourquoi diable décidais-je de faire appel à lui maintenant, qu’était-il arrivé, devait-il en parler au patron ? Il fallait dire que la dernière fois que j’avais fait demander la voiture, c’était parce que je m’étais cassé une jambe en deux endroits distincts et que je ne supportais plus rien. C’était son droit de s’inquiéter – son devoir, même. Malgré tout, j’aimais bien Georg. Il était sympathique et se plaisait à venir discuter avec moi. Il savait ma haine de la servitude, mais il ne se présentait pas comme un garde du corps. Il avait tenté d’être mon ami et somme toute, il avait bien réussi. Mais je ne lui parlais que lorsqu’il n’était pas en fonction, par pur principe. Il ouvrit la porte et je vis dans ses yeux qu’il avait compris que je désirais que tout cela reste entre nous. Elle suivit et le véhicule démarra. Devant Georg, j’agissais normalement. Devant les domestiques de la maison également. Je fis comme si rien de spécial n’était arrivé, laissant Elle s’installer dans sa chambre. Comme si elle n’était qu’une invitée de plus, fatiguée. Rien ne pouvait paraître.

Je me retournai, ignorant de nouveau ses paroles. J’avais besoin d’un temps que je ne pouvais pas créer, qui me manquait cruellement. Je n’avais même pas la force de m’installer dans mon atelier. C’était trop loin, trop difficile à atteindre. Je me laissai tomber sur mon lit, porte fermée, et arrêtai de bouger. Le temps allait peut-être se figer. Deux jours à vivre. C’était peu, si peu. Fader allait être triste, quand je mourais. Oh, on s’y attendait. Pour mettre la pression ou pour faire passer un message, rien de mieux que d’enlever/tuer la fille d’un officiel important. Oui, ils seraient tristes, mais ils concluraient que j’aurais dû accepter une protection spéciale et qu’il était trop tard pour réagir. Le ministre passerait à mon enterrement, dirait des mensonges pour émouvoir le public, sans jamais mentionner que toute ma vie j’avais abhorré sa politique. Personne ne parlerait de ça. Et une fois la tristesse passée, je ne serais plus rien. Une brise fraîche qui avait rencontré une tornade. Cette pensée était particulièrement insupportable.

Les larmes commencèrent à couler des heures plus tard, lorsque je compris pour de bon que je ne pouvais pas me réveiller. Que c’était fini. J’étais trop éloignée de la chambre de mes parents pour qu’ils entendent, donc personne ne viendrait me voir. De toute façon, je ne pourrais rien leur dire. Ils penseraient que j’avais le cœur brisé – et à quelque part, c’était vrai. Je sentais les morceaux tinter dans mon antre. Je n’étais pas prêtre à mourir, c’était la seule réalité. Je me demandai même vaguement si je n’allais pas vomir. Chaque fois que j’entendais un bruit, je sursautais, certaine que ma fin était venue. Pourtant, rien ne venait. J’étais toujours vivante. Tristement vivante.

Je faillis faire une crise cardiaque quand Elle ouvrit ma porte. Ça ne dura que deux secondes – elle était déjà partie. À quoi jouait-elle ? Ça me prit un bon cinq minutes pour me décider à me lever, trois de plus pour passer à l’acte. Finalement, je quittai mon refuge tranquille et prit la tasse. Du chocolat chaud. Génial ! Mourez en paix, vous avez du chocolat. C’en était ridicule. J’ouvris ma porte, gagnant celle qui jouxtait ma chambre. Enfin, elle était assez grande pour que la pièce voisine soit éloignée de plus mètres. J’entrai, restai sur le bord.

« Si je m’écoutais, tu recevrais une tasse par la tête. »

C’était la vérité. J’étais en colère contre Elle. C’était sa faute si j’allais mourir. Par ailleurs, je ne comprenais toujours pas pourquoi Caseo ne pouvait pas tuer Elle. C’était la démone qui lui avait fait du tort, pas moi ! Je haussai les épaules.

« Mais on ne gaspille pas la nourriture. »

Je me demandai vaguement si elle n’avait pas mis des somnifères ou quelque chose comme ça dans le breuvage. Au moins, ça pourrait m’aider à dormir. Il ne restait qu’une journée… Une journée à vivre. Et il y avait tant de choses que je n’avais pas faîtes. C’était déprimant. Je sentis les larmes couler de nouveau sans que je puisse y faire quoi que ce soit.

Essaie de ne plus y penser. Oui, merci, un ange millénaire a envie de me tuer, mais je ne dois pas y penser, parce que ça me rend malheureuse. Bon sang, pour ce que j’en savais, je vivais peut-être mes dernières quarante-huit heures ! Pour sûr que je m’inquiétais ! Je n’étais pas retournée à Sverige, je n’avais pas vu ma petite sœur depuis belle lurette, je n’avais pas dit à Fader que je l’aimais. Je n’avais pas envie de mourir maintenant. Ni jamais, d’ailleurs. Qui avait envie de penser à cela ?

Je me tassai légèrement, refusant réellement son contact. J’étais dans ces moments où juste un effleurement vous donnait envie de crier. De tuer quelqu’un, précisément. Je soupirai longuement. Pourquoi moi ? Et après tout, qu’est-ce qu’il y avait de mal à stresser ? Mais Elle avait raison, il fallait que je relaxe, que je réussisse à dormir, au moins. Il était plus facile de fuir quand on ne croulait pas de sommeil.

« D’accord. C’est probablement mieux que de ruminer dans le noir. »

J’appuyai ma tête au mur, buvant mon chocolat chaud en écoutant la voix d’Elle s’élever tranquillement. Oui, c’était mieux que rien. Je l’écoutai me parler de la vérité sur l’assassinat de Jules César, de certaines erreurs d’œuvres qui prouvaient qu’elles étaient postdatées, même me réciter un chapitre complet de la Bible à l’époque où elle avait été écrite. Je ne savais pas si j’étais vraiment rassurée, juste épuisée ou si Elle avait profité du moment pour glisser un somnifère dans ma tasse, mais je finis par m’endormir dans ma position accroupie, glissant sur Elle pendant la nuit. Ce n’était pas grand-chose, non, mais c’était tout ce que j’avais.

Parce que dans deux jours je serais morte.