Toi aussi, Brutus | Raphaël

Je ne savais pas. Je ne savais plus. J’étouffais. Lentement. Sûrement. Vêtue de cette robe fourreau, étincelante, escarpins de grands prix aux pieds, sanglées d’une fine lanière de cuir soulignant ma cheville délicate. Une coiffure sophistiquée, des boucles folles et éparses autour de mon visage. Un visage sublimé par un maquillage délicat. Oui, j’étais belle. Oui, je le savais. Mais je ne souriais pas. Pas encore du moins.

Je n’avais pas oublié la promesse faite a Raphaël, ni son numéro. Alors, sur une impulsion, je l’avais appelé ne lui proposant pas une entrée VIP mais carrément de venir avec moi. Il avait rit et relevé le défi. Un homme qui n’avait pas peur des flash, désinvolte. Je crois que j’avais besoin de…liberté. D’inconscience. De rire. De folie. De grand n’importe quoi. Besoin d’oublier un instant ce que j’étais, ce qu’il me fallait faire chaque jour. Retrouver peut être un peu de cette humanité qui me quittait chaque jour un peu plus.

Etonnement, le petit film intimiste avait bénéficié d’une propagande digne d’un blockbuster. Gabriel devait surement être derrière tout ça. Je ne m’en plaignais pas, bien au contraire, mais si cela surpris beaucoup de monde, personne ne posa réellement de questions. J’avais donné quelque interviews, pour la promotion du film. Mon visage commençait a se voir, mon nom a circuler. Mon égo a gonflé peut être ? Sans doute. Mais je restais une sale petite peste lorsque je m’y mettais. M’afficher avec un autre homme était…Un petit tour mesquin. Je ne cherchais pas a provoquer la jalousie, pas du tout, c’était bien au délà. Prouver que sa cage ne me retiendrait pas toujours…Mais c’était puéril d’une certaine façon. Qu’importe ! Raphaël m’avait laissé un bon souvenir, je n’allais pas me priver d’une soirée ne sa compagnie, même entouré de beaucoup pour des questions pratiques et idiotes.

Penchant la tête sur le coté, je me regardais dans la glace. Allait il me trouver changée ? C’était quelque chose qui me turlupinait parfois. Ceux qui m’avait connue humaine et les autres. Un journaliste m’avait dit que mon éclat avait décuplé. Etait ce mon talent ou mon aura ? Je ne le savais pas. Je m’en fichais en fait.

L’interphone grésilla et la voix du portier me parvint. Mon..cavalier était arrivé. Parfait. Je souris, un peu faussement, envoyant un baiser a mon reflet, je quittai l’appartement dans un nuage parfumé. Ce soir était a moi, qu’importe ce que je ferais ou dirais. Juste a moi sans son ombre, sans son aile au dessus de moi. Ce soir, c’était parfait.

Ou pas.

Je le sus a l’instant même où la silhouette de Raphaël se dessina devant moi. Durant quelques secondes, ma démarche perdit son rythme sans perdre sa grâce. Eberluée, je ne pouvais que ressentir l’aura qui l’entourait, bien trop semblable a celle de Gabriel pour que je ne comprenne pas immédiatement. Arrivée a sa hauteur, je le regardai longuement avant d’esquisser un sourire.

« Un très bon acteur…Je le confirme. »

Je devais reconnaître une qualité à Naya : elle tenait parole. C'est à moitié surpris que je décrochai quand je vis son numéro s'afficher, alors qu'elle m'invitait à me rendre à son bras à une soirée. Carrément. On dépassait le stade de la simple offre de pass VIP là... Je me demandais ce que la jolie blonde avait derrière la tête... Soit je lui avais fait forte impression et la perspective de 'afficher à mon bras et passer la soirée en ma compagnie l'enchantait, soit elle avait d'autres projets que je ne parvenais pas encore à discerner. J'en saurais sans doute davantage quand je l'aurais en face de moi. Plusieurs semaines étaient passées depuis la dernière fois et elle avait sorti son film, dont les critiques étaient plutôt bonnes. Sans compter que son charmant minois commençait à bien circuler dans les magazines. Elle était sur la pente ascendante de la gloire, attention à ne pas se perdre en route et dégringoler entre temps, cela serait dommage.

J'enfilais un costume noir, satiné, très chic et bien sûr incroyablement cher, une chemise blanche immaculée. Très classique, mais cela restait le must du chic et j'avais un goût prononcé pour tout ce qui pouvait être luxueux, même si ce n'était pas toujours évident, surtout dans la peau d'un adolescent. Cela dit, ainsi vêtu, difficile de m'imaginer au lycée. C'était très pratique de pouvoir ainsi jouer de son âge à sa guise... Un jour 17 ans, le lendemain 25, sans aucun soucis, sans aucun effort. Une ombre de barbe ombrait mes joues pour accentuer le tout et j'étais fin prêt.

Ponctuel, je vins chercher Naya. Naya qui était époustouflante dans sa robe très glamour, qui soulignait ses divines courbes. Je sentis tout de suite qu'elle était devenue un ange, son aura avait changé, sa beauté s'en était trouvée sublimée, de même que son charisme. Elle irradiait, mais je sentais pourtant une ombre dans ce tableau idyllique. Gabriel n'avait pas perdu de temps. Je ne retins pas un petit rire grave quand elle me qualifia de sacré acteur, sans doute écrasée par mon aura d'archange. Je me fendis d'une petite révérence moqueuse, tel le bouffon du roi.

- Merci, mais je n'ai aucun mérite, cela fait des années que je peaufine mon jeu.

Des années... c'était un euphémisme. Des siècles, des millénaires... Je m'emparai de sa main en un baisemain élégant.

- Le cadeau de Gabriel te va à ravir ma chère... Bienvenue parmi nous. Ce cher archange n'a pas perdu de temps... Est-il toujours à tes côtés ? Il a une fâcheuse tendance à abandonner ses poupées une fois qu'elles ne lui servent plus.

« Des siècles plutôt non ? »

Répliquai je en posant un regard neuf sur lui. Etrangement, il dégageait autre chose que la dernière fois, si on oubliait l’aura angélique évidemment. C’était écrasant de bien des façons. Moi qui avait pensé passer une soirée amusante…Quoique…C’était peut être un ange, donc versé dans la démonologie, mais moi aussi. Quel intérêt aurait Raphaël a me faire du mal ou me manipuler ? Aucun. Je me détendis légèrement, dissimulant parfaitement une légère crispation a la mention de Gabriel.

Je préférai rire légèrement alors qu’il effleurait le dos de ma main du bout des lèvres. Un amusement certain traversa mes iris tandis que j’inclinai la tête, mutine. Enfin, faussement mutine parce que mon humeur ne s’y prêtait pas forcément. Mais j’étais bien décidée a ce que cela change.

« Merci, de ta part cela ne peut être qu’un compliment. »

Puis, je secouai légèrement la tête, un sourire moqueur dansant au coin de mes lèvres.

« Je suis exceptionnelle parait il, mais certainement pas au point de briser 2500 ans d’habitude, Raphaël. Mais je ne vais pas me plaindre, il m’a laissé assez d’occupation pour le millénaire qui vient. »

Bizarrement, je ne savais même pas si je mentais ou non sur le coup là, sous entendant que Gabriel était passé à autre chose, le confortant dans sa réputation. D’ailleurs, je ne savais même pas pourquoi je le faisais mais bref ! Je n’avais pas l’intention de passer ma soirée a parler du Séraphin, ni même a y penser. Raphaël, si on oubliait certainement un âge vénérable, je ne me faisais plus d’illusion, m’avait laissé le souvenir d’un type charmant, amusant et magnifique ce qui ne gâchait rien.

« Alors ? Prêt a passer de l’ombre à la lumière pour une soirée ? »

Repris je avec un léger rire dans la voix, un petit clin d'oeil a notre discution. Glissant du côté de la voiture, j'attendis avec un petit sourire malicieux qu’il m’ouvre la portière. Chose qu’il ferait j’en étais certaine, par amusement.

- Oui des siècles... Je ne dirais pas combien, je préférerais ne pas passer de jeune premier à vieux croûton tout de suite.

Quoique c'était un secret de polichinelle. Étant donné ma petite notoriété, aucun doute qu'elle saurait très vite que le jeune homme d'une vingtaine d'années qui se tenait devant elle en avait en fait 2000 de plus. Je me demandais d'ailleurs si elle avait fait le rapprochement entre moi et l'ange Raphaël que l'on citait dans la Bible, l'ange guérisseur, Maître des Vertus et bla bla bla. Je supposais qu'elle l'avait fait avec Gabriel, mais si c'était la même chose avec moi, elle se gardait bien d'y faire allusion.

Je la complimentais alors sur son apparence. Oui, devenir un ange lui allait comme un gant, la sublimant. Et ce n'étaient pas des paroles en l'air, bien que j'en ai profité pour glisser une petite allusion perfide concernant Gabriel. Autant qu'elle soit mise au parfum tout de suite si elle ne l'était pas. Combien de filles ainsi abandonnées après avoir été bénies ? Et si elle restait auprès de lui, alors cela m'indiquerait qu'il y avait quelque chose de spéciale chez cette demoiselle, ce qui ne manquerait pas d'éveiller mon intérêt, bien évidemment.

Naya me répondit alors en biaisant. Elle était exceptionnelle, sans doute d'après les dires de Gabriel, mais pas assez pour briser de vieilles habitudes. Je lui jetai un regard scrutateur, avant d'aviser le bâtiment qu'elle occupait. Qui appartenait à l'archange au passage... Il ne l'avait pas encore abandonné... J'allais devoir garder cela à l’œil, si jamais Naya devenait une faiblesse de Gabriel, je tenais à le savoir. peut-être ne serait-elle qu'une jolie poupée de plus. Et peut-être pas. mais je n'étais pas ici ce soir pour ourdir quelques sombres plans. Je ne répondis donc rien, laissant échapper le sujet alors qu'elle-même changeait de sujet en me demandant si j'étais prêt à passer de l'ombre à la lumière.

- Pas vraiment, mais je suppose que c'est le prix à payer pour accompagner une star montante du cinéma.

Nous avançâmes vers la voiture, luxueuse, avant que je ne lui ouvre la portière, galant jusqu'au bout et non sans un sourire complice et malicieux. 2000 ans avez-vous dit ? A me voir, il était bien difficile de l'admettre. Je refermai la portière, avant de venir m'asseoir à ses côtés.

- Je n'aime pas ces ombres dans ton regard Naya. Oublie tout, tu passes la soirée avec moi et crois-moi, il n'y a pas de place pour la morosité, Darling.

Lentement, mon regard le balaya de haut en bas, puis inversement avant que je ne secoue légèrement la tête, un léger rire aux lèvres.

« Vieux croûton…Impossible ! »

Non, ce n’était pas possible, combien même pouvait il être âgé de 3000ans, il ne pourrait passé pour cette image de vieux grabataire ridé. Trop beau pour être honnête, n’ayons pas peur des mots et trop charismatique pour ça. C’est sans doute là que je tiquai légèrement. Gabriel, d’accord…Raphaël…De mieux en mieux. Donc si je regardais bien, je n’étais entourée que d’homme ayant une réputation et une aura absolument écrasante. Gabriel refusant que j’aille a l’école, je ne pouvais même pas cotoyer ceux de mon…comment dire…âge ou de mon niveau de puissance. Remarquez, avoir des amis puissants étaient toujours est il, si tant est que l’on pouvait parler d’amitié chez les anges, c’était difficile a savoir.

Raphaël me souhaita la bienvenue et j’acceptai son compliment avec amusement avant de biaiser très largement sur la présence ou non de Gabriel prêt de moi. Le fait était qu’il ne me lâchait pas, le fait était que je ne savais pas si j’adorais ou si je haïssais. Le fait était que j’aurais aimé qu’il soit avec moi ce qu’il était avec les autres, tout en les jalousant parce qu’elles étaient passées dans son lit…C’était trop étrange et démesuré pour que j’ai envie d’oublier durant une soirée.

« D’autant plus qu’ils auront l’attention focalisée sur vous, non sur moi. »

Joueur, Raphaël m’ouvrit la portière et je le remerciai d’un geste de la tête gracieux et d’un sourire amusé. Galant. Encore une qualité a lui ajouter. Une fois dans l’habitacle, il reprit la parole, me surprenant légèrement. Ainsi, il était perspicace pour deviner que mon humeur n’était pas aussi légère qu’elle ne le laissait paraitre ? Cela ne m’étonne guère d’une certaine façon, on ne vivait pas aussi vieux sans apprendre a connaitre les méandres de l’esprit humain, surtout pour les anges dont le talent était la manipulation. Une étincelle de rire s’alluma dans mes iris.

« Je n’ai d’autre choix que de faire confiance au Vénérable Maitre. »

Des Vertus, ajoutai-je intérieurement avant d’ajouter songeuse.

« Ainsi, la bible n’est pas si fausse que cela…A vrai dire, n’étant pas catholique, je l’ai a peine survolée. »

Avouai je avec une petite moue mutine. Gabriel savait que j’étais juive, il l’avait toujours sut. Même si j’avais ouï dire de la hiérarchie divine, nous ne prônions pas la même. De même que la manipulation Jésus avait clairement eu des ratés avec nous.

« Tu sais quoi ? On passe l’épreuve du feu, ensuite, on s’éclipse, on va s’encanaillé dans un Casino, ça fait longtemps que j’ai pas joué et on attend les premières critiques, tu en dis quoi ? »

Je me fendis d'un petit sourire, qui voulait simplement dire, merci, mais pourtant, je suis bien vieux. Enfin, j'étais à jamais figé dans cet aspect de jeune premier au physique avantageux et je n'allais pas m'en plaindre. C'était pour cela que je préférais tuer mes bénis quand ils étaient dans la fleur de l'âge. Personnellement, j'aurais été bien désappointé de devoir à jamais vivre dans le corps d'un vieux. C'était plus facile d'être jeune, même si cela avait aussi des inconvénients. Heureusement que j'étais doué pour me grimer et changer d'aspect avec quelques astuces simples et une bonne dose de charisme que je dosais comme il le fallait. L'effet ne devait pas être le même venant d'un lycéen ou venant d'un jeune homme.

Et ce soir, j'étais un jeune homme, peut-être même un galant qui accompagnait une jeune actrice en plein essor. Je devais être à la hauteur. Je me demandais ce que Gabriel allait penser de tout cela. J'espérais qu'il allait vite s'en apercevoir, j'avais très envie de me confronter à lui. De façon civilisée bien entendu, mais j'aimais taquiner son égo démesuré. Il était tellement collet monté parfois, impossible de lui apprendre à être cool.

Naya fit remarquer à juste titre que les regards risquaient d'être attirés par moi et j'étouffai un petit rire.

- Pas trop quand même, il ne faudrait pas que je te vole la vedette.

Je lui ouvris la portière, la laissant s'engouffrer dans la voiture, avant de la suivre à mon tour et de continuer notre petite conversation dans l'habitacle luxueux de la voiture. Avec chauffeur naturellement. La petite vitre de séparation était baissée et nous étions donc totalement seuls.

- Vénérable... Hum, ça fait vieux bonze, oublie ça. Par contre, je veux bien que tu m'appelles Maître.

Je souris, moqueur, alors qu'elle parlait de la Bible et de ses faibles connaissances.

- Pas catholique ? Ah oui, tu es israélienne c'est vrai... Juive alors ? enfin bref, il y a du vrai dans la Bible. Pour les noms des anges et... ben c'est tout en fait.

Je la devinais morose et je lui promis de faire en sorte qu'elle soit heureuse ce soir. Elle me proposa alors de vite nous éclipser pour aller au Casino.

- Quel programme alléchant. Crois-tu que ton Cerbère te laissera filer en ma compagnie s'il traine dans le coin ? Enfin, si je décide de t'enlever, Gabriel n'y pourra rien. Et un casino... Quelle merveilleuse idée, surtout que j'ai une chance insolente, je pourrais t'offrir une rivière de diamants avec mes gains ma belle.

« Me voler la vedette ? Non, je dirais le contraire moi, il suffit d’afficher un petit air mystérieux et je te garantis que l’on va parler de nous durant quelques semaines. »

Eclatai je de rire, parce que c’était tout à fait ça ! Il fallait savoir se servir des médias et même si ce n’était pas dans cette idée que j’avais téléphoné a Raphaël, je devais dire que nous n’avions pas fini d’alimenter la presse a torchon. Enfin, ce n’était pas bien grave en soi, c’était plutôt de la publicité gratuite. Je pourrais dire ce que je voudrais, qu’il était un ami proche, une connaissance, les journaux ne pourront pas s’empêcher d’imaginer autre chose. C’était assez pathétique d’une certaine manière.

Je m’installai a l’arrière de la luxueuse berline, drapant ma robe pour qu’elle ne se froisse pas et fis une petite moue adorable de soumission travaillée.

«Ma confiance va a mon Maître évidemment. »

Susurrai je d’une voix totalement esclave avant de sourire un peu plus frondeusement.

« Si il n’y a que cela pour te faire plaisir ! »

Ajoutai je avec un rire avant de me rendre compte que, si je pensais donner admirablement bien le change, ce n’était pas véritablement le cas avec lui. Mais, quelque part, je n’étais pas étonnée.

« Juive oui. Ah ça…Je crois que j’ai bien compris que ça n’avait rien a voir mais je suis en train de me dire que vu le nombre d’Archanges, il va falloir que je m’attende a d’autre surprise et je sais pas si je vais aimer. »

Un demi sourire amusé ombrait mon visage parce que bon, le panthéon angélique était tout de même bien fourni si mes souvenirs étaient bons. Ca craignait un max comme dirait le fils de mon ex gouvernante. Je haussai un sourcil délicat et effaçai toute amertume dans mes mots, énonçant juste un fait.

« Oh Gabriel n’est pas si possessif si ? Et puis j’y vais avec toi, il n’a donc pas a s’inquiéter. Il trouvera certainement de quoi s’occuper. »

Puis mon sourire se plissa de malice.

« Une seule ? C’est tout ? Pfff…Les Archanges ne sont plus ce qu’ils étaient, je suis déçue ! »

Mais je ris ouvertement, je me fichais des diamants, je n’étais pas spécialement matérialiste, même si j’aimais mon confort. Et niveau confort, l’hôtel de Gabriel était au taquet, je ne pouvais pas dire que je n’en profitais pas a fond.

« Mais j’ai hâte de voir ta fameuse chance a l’œuvre quand même ! Je parie que tu es un très bon tricheur en plus ! »

- Je préfère en effet que l'on coopère plutôt que de tirer chacun la couverture de son côté...

Du moins pour ce soir et en sa compagnie. Parce qu'il était évident que je n'étais pas du genre généreux ou particulièrement altruiste, mais je n'avais pas envie de lui jouer une entourloupe ce soir, simplement la dérider un peu, passer du bon tôt avec cette jeune ange, voire en apprendre davantage sur elle et sur Gabriel, par son biais, même s'il ne serait pas du tout le centre de la conversation. Mais je savais me montrer bien plus subtil. Nous nous installâmes donc et je sentais Naya détendue, pas du tout sur ses gardes ou sur la défensive. Tant mieux, je préférais ce naturel. J'aimais sa répartie. Parfois, elle me rappelait Holly dans sa façon frondeuse de répondre, dans son tempérament volcanique. Je devais avoir du goût pour les chieuses.

Je ris doucement quand elle me rétorqua que sa confiance allait à son Maître et donc moi en cet instant. Pas sûr que Gabriel apprécie, mais comme il n'était pas là, il fallait en profiter. Quelque part, j'espérais le croiser, avec Naya à mes côtés, radieuse, heureuse. Juste pour narguer mon cher collègue.

- Je me contente de peu ma chère.

Je lui souris de façon complice. J'étais quelqu'un d'assez simple en définitive. malgré mon âge, ma réputation, mes titres ronflants et pompeux, je savais me satisfaire de peu et m'amuser de n'importe quoi. Je ne pensais pas être difficile à vivre ni de mauvaise compagnie. Donc, oui, malgré tout cela, j'étais resté simple et je ne me prélassais pas dans une villa hors de prix ou un hôtel privé. Je ne visais personne, naturellement.

J'appris donc que Naya était juive. Non pas que cela m'étonne, c'était même logique au vu de ses origines.

- N'as-tu donc pas le goût des surprises Naya ?

Mais non, il n'y aurait pas que des bonnes surprises, ça c'était certain. Même si, apparemment, Gabriel n'avait pas vraiment menti sur ce que nous étions réellement. La Bible, ce n'était qu'un tissu d'âneries, de la propagande, savamment orchestrée. Mais nous étions les rois et reines du mensonge après tout.

- Gabriel ? Pas possessif ?

J'éclatais d'un rire bref.

- Nooon, bien sûr que non. Pourquoi s'en ferait-il de voir sa bénie en la compagnie de son grand ami ?

Dit avec ironie, bien évidemment. Nous n'étions pas amis. Pas ennemis non plus cela dit, nous étions dans le même camp. Mais nous nous défions l'un de l'autre et si nous pouvions mettre des bâtons dans les roues de l'autre...

- Mais tu es en sécurité avec moi. Si lui peut en douter, toi, n'en doute pas.

Je ricanais quand elle sembla trouver une rivière de diamants trop peu.

- Et les jeunes anges sont trop gourmands !

Elle rit de bon cœur, ma mission de la dérider semblant en bonne voie et j'eus un sourire énigmatique :

- La chance se provoque. Je t'apprendrais si cela t'intéresse... Tu as tant à apprendre et un merveilleux potentiel. L'école t'apprendra énormément, mais pas tout...

Il semblait d’accord avec moi. Bon point pour lui ! Archange ou pas, je l’appréciais réellement. Il était caustique, avait de l’humour, même si je me doutais qu’il n’était pas que cela, c’était cette image là qu’il m’avait montré. Il n’avait aucune raison de s’en prendre à moi donc, effectivement, je me sentais à l’aise en sa compagnie. Il allégeait mon humeur. C’était étrange à constater. Je savais pertinemment que nous allions croiser Gabriel a cette soirée. Est-ce réellement de la provocation que d’avoir choisit un autre homme pour m’accompagner ? Je ne savais plus vraiment mais la partie rebelle qui me faisait souvent faire des conneries m’assurait que oui.

Cerise sur le gâteau, Raphaël était lui-même un ange et il connaissait Gabriel. Une ombre en moi jubila littéralement. Mais je décidai de tout oublier, de ne profiter que de cette soirée, de rien d’autre. Badiner avec Raphaël en faisait partit. Cela me faisait du bien, terriblement de bien, tant le miasme dans lequel je nageais m’oppressait.

« Des surprises ? Si, malheureusement…Je ne suis pas assez naïve pour penser qu’elles soient toutes bonnes. »

Fis je avec un sourire en coin. Non, je ne me leurrais pas. Le monde dans lequel Gabriel m’avait jeté n’était pas rose, n’était pas doux. Il était dangereux, sulfureux, sensuel d’une certaine façon. Une partie de moi l’adorait, je ne pouvais pas le nier, une partie sombre que j’avais ignoré jusqu’à présent. Cependant, il s’inquiéta des réactions de Gabriel et, n’étant moi-même pas certaine de ce qu’il dirait, je décidai qu’il s’en moquerait. Chose qui ne sembla pas convaincre Raphaël qui répondit avec ironie, s’attirant un coup d’œil inquisiteur.

« Ne viens tu pas de me dire qu’il avait tendance à abandonner ses bénies ? je vis chez lui parce qu’il n’a pas le choix selon les lois que de m’offrir le toit, le repas et…Tiens de magnifiques robes Lancôme. »

Fis je en agitant du bout des doigts le tissus vaporeux de ma robe. Néanmoins, je n’étais pas si sûre de moi que cela.

« Je le sais, de toute façon quel serait l’intérêt de me faire du mal hum ? »

J’avais beau réfléchir, je n’en voyais aucun, mais qui sait…Je ris a sa suite, l’esprit plus allégé soudain.

« Oui, nous sommes des insatiables que veux tu ! »

C’était une moquerie, en fait, je m’en fichais. Des diamants ne m’intéressait pas, bizarre non ? mais c’était le cas. Cependant, sa réponse me surpris un peu.

« Un bon potentiel ? Qu'est ce qui te fais penser cela ? »

Non, je n’étais pas a la pêche aux compliments, Gabriel me l’avait déjà dit mais quelque part, je crois que je doutais.

« Quand à l’école, encore faudrait il que j’y aille. »

Repris je en plissant légèrement les paupières. J’avais l’impression que les questions de Raphaël n’étaient jamais innocentes…Mais peut être étais je trop méfiante alors que cela n’aurait pas dut être. Je me secouais mentalement.

« Quoiqu’il en soit, oui, apprends moi donc a tricher efficacement ! Je suis sûre que je vais adorer ! »

- Elles ne le seront pas.

Je ne voulais pas la décourager, mais je ne voulais pas la bercer d'illusions non plus. Et la naïveté n'avait pas cours chez les anges, elle l'apprendrait bien vite. On la piétinait, on arrachait tout sentiment de remords, de regrets, de culpabilité, pour ne laisser que l'esprit de manipulation, l'ambition, la fourberie, le calcul... Certains humains y avaient toujours été prédisposés, comme moi, d'autres révélaient des capacités exceptionnelles, jamais exploitées du temps de leur mortalité comme Holly. Je me doutais que Naya était comme ma bénie. C'était une femme ambitieuse, qui avait les pieds sur terre et ne reculait devant rien pour atteindre son objectif.

Naya tenta de noyer le poisson en me rétorquant, alors que je parlais de la réaction de Gabriel, qu'il abandonnait ses bénies de toutes façons et devait bien se moquer de son sort. Je souris en coin. Certes, mais n'empêche qu'un archange n'appréciait pas spécialement qu'un autre approche sa création. Question de possessivité et de méfiance également. Je n'aimais pas qu'on rôde près de mes protégés, même si je ne les couvais pas non plus.

- Si tu le dis. Espérons que nous ne déclencherons pas la troisième guerre mondiale.

Bien que cela serait surement très divertissant. mais c'était suffisamment le bordel comme ça, inutile d'en rajouter n'est-ce pas ? Nous avions passé l'âge de nous battre comme des chiffonnières par jalousie...

- Tu ne sais pas encore mentir de façon convaincante Naya. C'est bien pour duper les humains, mais face à un archange de 2000 ans, c'est insuffisant.

Il y avait de l'amusement dans ma voix, mais je ne dis rien de plus. Juste qu'elle ne craignait rien en ma compagnie. Cette fois, elle était totalement sincère en me répondant qu'elle le savait. Il était vrai que j'avais l'air totalement inoffensif. On avait tendance à me sous estimer. Une erreur grave dont je tirais parti, pas assez arrogant pour en prendre ombrage et exiger que l'on tremble à la simple évocation de mon nom, comme Azraëlle.

- Aucun intérêt, pour le moment... c'est vrai. Mais s'il s'avérait que tu sois un moyen d'atteindre Gabriel, alors là, ce serait une autre histoire. Mais aucune raison, puisqu'il se fiche de ses bénies, n'est-ce pas ?

Une lueur malicieuse dansa dans mes iris alors que je répondais avec une trace d'ironie. Je lui promis alors une rivière de diamants avec mes gains au casino et elle répliqua que ce n'était pas assez en riant. Insatiable, oui, mais je supposais qu'elle connaissait déjà le luxe, entretenue comme il se devait par notre cher Gabriel.

- Naya... Cela fait deux millénaires que je bénis, que je déniche des humains qui feront des anges corrects, voire exceptionnels. Alors je suis bien placé pour deviner le potentiel de chaque mortel. Et Gabriel ne s'y est pas trompé. J'avoue qu'il a tendance à faire n'importe quoi pour le simple plaisir d'avoir un record de bénis, mais cette fois, il y a de la qualité.

Je marquai une pause, avant de reprendre, galant :

- Tu es une très belle femme. Tu es déterminée et ambitieuse, du genre à écraser les obstacles sans remords. Je l'ai senti dés notre première rencontre. Quand tu auras perdu toute ton humanité, tu seras un ange exceptionnel.

Encore fallait-il s'en débarrasser de cette humanité, un concept qui faisait souvent peur aux jeunes. Qui les entravait et les empêchait de se révéler des Séraphins. De quel bois était fait cette chère Naya ? Mais j'appris qu'elle n'allait pas à l'école. Bien. Gabriel se chargeait donc de son éducation, et évitait de la laisser côtoyer les autres élèves... Intéressant.

- Alors, Gabriel ne s'occupe pas de ton éducation et tu ne vas pas à l'école ? Tu es livrée à toi-même ?

Il y avait une fausse candeur dans cette question, naturellement. Elle semblait enthousiaste à l'idée d'apprendre de moi et je me fendis d'un sourire.

- Et bien soit. Jouons le jeu quelques temps et éclipsons nous quand tu seras lassé princesse. Ce soir, je t'enlève.

« Déclencher la troisième guerre mondiale serait m’accorder trop d’importance non ? Donc je me ferais peut être punir pour avoir fini la soirée avec un autre grand ponte que lui mais se sera sans doute pour avoir légèrement effleuré son égo. »

Ou pas. Je n’étais vraiment pas sûre de ce qu’il dirait, ni de ce qu’il penserait. Il demeurait encore trop nébuleux pour moi, instable. Une parole pouvait le faire sortir de ses gonds comme une autre l’adoucir étrangement. Il pouvait me caresser la peau avec douceur ou m’arracher la tête, je marchais sans cesse sur un fil tenu, fragile, oscillant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Peut-être était-ce comme ça qu’il agissait et s’assurait de me tenir en laisse. Honnêtement, y penser me filait la migraine de toute manière. Et une partie de moi espérait bien qu’il éructe tiens ! Jeux dangereux si il en est.

Un demi-sourire ironique vint danser un instant sur mon visage. Ne pas savoir mentir ? Oui sans doute, ou très mal mais au moins, il venait de confirmer plus ou moins son léger interrogatoire.

« Ah, il semblerait que j’ai loupé l’examen cependant, pour l’heure je suis totalement inintéressante en plus d’être inoffensive. »

Fis je avec amusement avant de m’étonner qu’il puisse, lui aussi, me trouver du potentiel. Attentive, je l’écoutais, affichant une petite moue lorsqu’il parla de mon humanité. Etais je déjà en train de la perdre ? Oui sans doute. Je me découvrais cruelle et j’aimais cela. Je me détestais d’aimer cela mais je n’y pouvais rien. Avec le temps, sans doute ne me haïrais je plus, sans doute me noierais je dans cet amour pervertis. Je haussai une épaule. Un instinct me disait que je n’en avais que trop dit, mais changer de sujet serait une manœuvre maladroite.

« Il dit que pour le moment, j’ai d’autre choses à faire avant de pouvoir espérer foutre un pied à l’école et vu mon programme…Je pense qu’il n’a pas tout à fait tort. »

Je parlais bien de mon métier, de ma carrière qui explosait soudainement. J’étais invitée sur les plateaux télé, à des séances de dédicaces…Le bureau de Gabriel commençait à s’empiler de proposition de rôle, de synopsis, de contrats aussi. Amusant non ? Mais pour l’heure, ce n’était pas pour cela que j’étais dans cette voiture, pas pour cela que j’avais demandé a ce que Raphaël soit mon cavalier.

Je souris très largement au mot enlèvement.

« Tu me laisseras quand même signer quelques autographes hein ? »

Pouffais-je avant de m’installer plus confortablement. J’avais hâte d’être à cet étrange after.

- Soit tu ne mesures pas vraiment l'étendue de la possessivité de Gabriel, soit tu me prends pour un idiot.

D'accord, parler de troisième guerre mondiale était peut-être un peu abusé, mais je n'étais pas certain que Gabriel soit très enthousiaste à l'idée que je sorte avec sa petite protégée. Et Naya pouvait bien prendre cela à la légère, elle ne savait pas encore à qui elle avait à faire contrairement à moi qui côtoyais le lascar depuis quelques millénaires. Et je le connaissais assez pour me rendre compte que cette fille là avait quelque chose de particulier, qu'elle avait un traitement de faveur par rapport à toutes les autres bénies de l'archange volage.

- Je trouve que tu te donnes bien du mal pour paraître transparente et indigne d'intérêt. N'en fais pas trop, tu attires l'attention au contraire.

Je lui décochais mon plus beau sourire, charmeur, puis espiègle. Pourtant, c'était un conseil d'ami. Qui lui servirait face à d'autres anges moins bien intentionnés à son égard que mon illustre personne. Cela dit, tout ce qu'elle m'apprenait par son attitude et ses dénégations restait dans un coin de mon esprit, soigneusement engrangé, prêt à resservir à un moment donné.

- C'est étonnant de la part de Gabriel...

Laisser à Naya le temps de s'accomplir en tant qu'actrice et pas en tant qu'ange ? Je n'y croyais pas une seconde. Il allait s'occuper personnellement de la jeune femme, la façonnant selon ses envies, tout simplement et sans que personne à la Lux ne vienne lui prendre son jouet. Il le ferait sans en avoir l'air et elle ne le verrait sans doute pas venir, mais le résultat serait là.

- Dis-moi Naya, as-tu déjà commencé à bénir ? Gabriel t'a-t-il trouvé une proie facile pour commencer en te donnant des conseils ou en t'observant faire ?

Sans doute et si ce n'était pas le cas, cela n'allait pas tarder, j'aurais pu en jurer. Nous parlâmes alors de ce que nous allions faire tous les deux alors que je l'enlevais, ce qui semblait la ravir.

- Désolé mais non, incognito ma chère, ton ego va devoir faire avec. Pour les prochaines heures, tu n'es qu'à moi, loin de ton quotidien.

Je me penchais vers elle, caressant son visage du bout des doigts, avant que ne se matérialise une pièce de monnaie entre mes doigts, comme le plus doué des magiciens. Impossible de voir d'où elle venait, elle semblait être apparue comme par magie, alors que je la lui tendais.

- Pour ta mise. Laisse moi t'éblouir Naya, tu ne regretteras pas le voyage. Après ça Gabriel te semblera un bien triste sire.

Qui étais-je pour tromper un archange de plusieurs siècles voir millénaire ? Evidemment que je n’étais pas crédible, évidemment qu’il ne me croyait pas. Mais le pire de tout étant sans doute cette façon qu’il avait de lire entre les lignes. Intriguée, peut-être un peu vexée sans doute aussi, je le fixais sans ciller. Essayant de voir au-delà sans réellement y parvenir. Un sourire en coin ourla mes lèvres et une étincelle s’alluma légèrement dans mes iris sans pour autant que cela ne veulent dire quelque chose d’ailleurs. J’étais persuadée que Raphaël était aussi insaisissable que pouvait l’être Gabriel ? Et que dire du sourire qu’il me balança. Aussi séducteur que dangereux et je n’étais qu’une femme, j’avouais aisément que ce sourire me fit légèrement frémir. Ce n’était rien face au ras de marée qu’était capable de provoquer Gabriel mais…Peut être que cela me rassurait de savoir qu’un autre homme pouvait me faire frissonner…Même faiblement.

« Disons que je préfère la première solution, quelque chose me dit que tu n’aimes pas que l’on te prenne pour un idiot. »

Répondis-je avec un sourire angélique et innocent, oui parfois, on pouvait me donner le bon dieu sans confession que voulez-vous. J’avais bien conscience de me faire piéger et de ne rien pouvoir y faire. Etrangement, je ne m’en sentais pas agacée. Disons qu’il était bon d’apprendre de ses ainés n’est ce pas ? Même si je n’oubliais pas que celui là pouvait parfaitement se servir de moi pour ses propres intérêts. Je haussais un sourcil surprise néanmoins.

« Ah bon ? Tiens, je me disais que j’avais la place de la favorite pour l’instant, mais si tu me dis que c’est exceptionnel… »

Jouant celle qui pourrait se servir de cette information. Je le savais. D’une certaine manière, je le savais mais l’admettre, c’était autre chose. Je préfèrais ne pas m’apesantir sur le sujet en lui-même. Ce que je voulais, c’était mettre le plus de distance entre lui et moi. Me retrouver moi sans son influence écrasante. Sans son regard scrutateur. Il n’aimerait peut être pas, mais tant pis. La question de Raphaël me sortit de mes pensées et je posais les yeux sur son visage racé.

« Ne le connais tu pas assez pour savoir comment il œuvre ? »

Je lui adressais un sourire amusé avant de soupirer.

« Deux. Ils étaient deux. Sans doute des proies faciles pour toi. Et non, il m’a regardé faire. Si tu veux tous savoir, c’était en Israël…5 en une semaine. »

Etais je fière de cela ? Je ne savais pas vraiment en fait. Etais je si exceptionnelle que cela ? Est-ce que mon résultat était normal ou ne l’était pas ? Le fait que Gabriel me maintienne a l’écart des autres ne m’aidait pas a savoir si j’étais douée ou non. Et puis j’allégeais l’atmosphère avant de faire une petite moue enfantine parfaitement travaillée.

« Dur en affaire n’est ce pas ? »

Puis je ris légèrement, n’esquissant pas même un geste de recul alors que le bout de ses doigts touchait ma joue, l’effleurait et que n’apparaisse une pièce ? Cette fois, je haussais les deux sourcils.

« Magicien en plus de cela…Je confirme mon jugement premier, tu es définitivement très intriguant. »

Et non, je ne draguais pas, riant avant de me saisir de la pièce et d’en embrasser la face avec un regard mutin.

« Et tu n’es pas homme ou ange a décevoir. »

Cela me rappelait notre première rencontre et, tandis que la voiture filait sur la route, dans la nuit, je décidai d’oublier. Tout. Absolument tout. J’étais en compagnie d’un homme exquis, séduisant et intriguant. N’importe quelle femme aurait aimé être à ma place…

La présence de Raphaël à mes côtés provoqua une nuée de question de la part des journalistes que j’évitais avec subtilité et souplesse. Oui, c’était un ami. Non, ce n’était pas mon petit ami. Ah, ah, vous êtes trop curieux. Rendez vous dans la salle de projection car c’est pour cela que nous sommes là…Bla bla bla…

Et puis vint le moment de s’éclipser. Nous le fîmes avec adresse, enfin, Raphaël le fit avec adresse, preuve qu’il en avait l’habitude et nous filâmes tout aussi vite dans les rues de Londres. Quelques minutes plus tard, les portes du plus grand casino de la capitale s’ouvraient devant nous. Je brandis ma pièce sous le nez de mon compagnon.

« Un baiser pour la chance ? »

Rieuse, joueuse, amusée, j’attendais patiemment.

- Bonne intuition.

Non, je n’aimais pas qu’on me prenne pour un idiot, elle avait totalement raison. C’était bien, elle resterait peut-être en vie plus longtemps avec une telle attitude. Le sourire angélique qu’elle me décocha m’assura qu’elle savait très bien jouer les innocentes pour tromper son monde. Ah, l’art délicat de jouer la comédie, de n’être qu’apparences. Devenir un ange était sûrement le rôle le plus difficile de sa vie.

- Tu joues bien les idiotes. Mais il va falloir approfondir ton jeu d’actrice.

Cependant, je n’ajoutais rien alors qu’elle continuait de brouiller les cartes, de tenter de me tromper. Sa question m’arracha un sourire amusé :

- Gabriel est doué pour brouiller les pistes. Puis-je affirmer le connaître ? Non. Tout comme il ne me connaît pas. On s’ennuierait si nous savions tout de nos ennemis, non ?

Oui, Gabriel était mon ennemi. Nous étions dans le même camp et pourtant, nous ne nous faisions pas confiance, étant des alliés de circonstances, sans s’apprécier pour autant. S’il pouvait me planter une dague dans le cœur, il le ferait sans sourciller et il en allait de même pour moi. Je parlais de son apprentissage et elle m’apprit comment elle avait commencé à bénir. A la chaîne, avec du menu fretin, mais cela faisait grimper la jauge, quitte à les éliminer sitôt devenus anges.

- Je vois.

Et ce fut tout. Je ne lui indiquais pas ce que j’en pensais ou comment je procédais. Pas ainsi en tous les cas, mais passons. Je lui proposais de fuir, dans l’anonymat, juste tous les deux, pour s’amuser, pour agacer l’autre emplumé également. Ma façon d’être intransigeant, de poser mes conditions l’amusa.

- Tu ne sais pas à quel point.

Je lui lançais de la poudre aux yeux, parfait comédien, charmeur, bien loin du rôle de lycéen que je pouvais endosser et qu’elle ne pouvait même pas imaginer.

- Et il te faudra l’éternité pour percer mon mystère.

La soirée permettait d’être amusante. Je me présentais à son bras, séducteur, plein de charisme, homme sorti de nulle part aux bras d’une star montante qui se fit un plaisir de répondre aux questions tout en les esquivant et en cultivant le mystère. Et quand cette comédie nous lassa, je l’enlevais, direction le casino. Nous pénétrâmes dans les lieux alors que Naya me demandait un baiser pour la chance. Je baisais cette pièce escamotée, avant de baiser sa tempe, tout en glissant ma main au creux de ses reins.

- La chance n’a rien à voir avec le jeu. Ce soir, je vais te donner une leçon made in Raphael. Regarde et apprends.

Je lui décochais un sourire éblouissant. Avant de m’installer à une table. Tricherie, naturellement, tout n’était que tricherie et manipulation. Et de quoi éblouir une apprentie avide de pouvoir et d’ambition comme Naya, même si elle n’était pas ma bénie et que Gabriel la récupérerait bien assez vite.

« Je vais prendre ça pour un compliment. Je ne peux peut être pas te tromper mais le commun des mortels y succombe facilement. Pour l’instant, c’est tout ce dont j’ai besoin. »

Sous entendais je qu’un jour je tromperais même les miens ? Possible. Gabriel ne m’avait pas appris la loyauté envers eux. Envers lui oui, envers Dieu, encore oui mais je me surprenais a préférer Raphaël dans le rôle d’ami plutôt que cible ou obstacle à abattre. Prudence ? Peut-être ou alors mon intuition comme il le disait si bien. Je ne pus retenir un ricanement narquois lorsqu’il m’apprit que rien en eux sauf Dieu ne les liait les uns aux autres.

« Ennemis…C’est vrai, sa loyauté ne va qu’a Dieu, comme la tienne je suppose….Comme la mienne. »

J’avais presque hésité parce que jusqu'à présent, je ne m’étais pas demandé ce que je ressentirais face à Dieu. Un Dieu si différent de celui que l’on m’avait appris a adorer et a louer. C’était étrange. Pourtant, je ne niais pas vouloir briller dans ce monde, voir plus que briller. En étais je seulement capable ? Je n’en savais rien et Raphaël ne m’éclaira pas de ses lanternes, se contentant de commenter laconiquement mon début d’éducation. Je ne pouvais même pas me mesurer a d’autre, n’ayant comme exemple que des êtres qui me surpassaient. Qui me surpasseraient encore longtemps. Atteindrais je un jour leur puissance ? peut-être, si je vivais assez longtemps mais même alors, je serais toujours si faible en comparaison. Pourtant j’apprenais, à la chaine, parce que je n’avais pas le choix, augmentant sans cesse une puissance toujours si petite, si dérisoire. Il ne dit rien et je crois que je préférais. Etait ce bien ? Mal ? Je m’en fichais, ces limites étaient devenues trop floues, Gabriel les brouillaient sans cesse alors je préférais ne pas savoir finalement.

Je ris. Vraiment.

« Et encore, je ne suis pas sûre que cela suffise ! »

Allons soyons logique, je n’avais que quelques mois, c’était quoi fasse a des millénaires ? Rien, une goutte d’eau dans un déluge. Et finalement, même si ce devait être une erreur a payer chèrement, même si tout cela n’était qu’une comédie qu’il me servait, je décidai de m’amuser. De m’amuser réellement, comme avant, sans l’ombre de Gabriel, sans ses yeux sur moi…Raphaël était parfait pour cela, magicien, théatral, dangereux, joueur. Une aura de sulfure qui me plaisait, dont j’avais besoin. Juste oublier un peu dans le jeu et la perversion.

De fait, il me rendit riche. Joyeuse aussi a le voir tromper son monde. Apprendre ? Oui, sans nul doute mais lorsqu’il me déposa devant chez moi, aux petites lueurs du jour, je savais déjà que j’entamais une nouvelle partie.


[Terminé]