En... famille ? [Liam, puis Blake]

J'avais décidé de me remettre au sport. C'était bien de stimuler mon cerveau avec les études, mais j'avais toujours été sportif quand j'étais en Irlande et depuis que j'étais arrivé à Londres, je n'avais plus rien fait. Le foot, c'était clairement terminé, mon genou ne me permettant plus ce genre d'exercice hélas. Et s'il m'avait fallu du temps pour faire une croix là dessus, j'étais maintenant décidé à m'accorder deux ou trois heures par semaine en salle de sport. Une initiative qui ravissait Sasha qui pensait que c'était une bonne idée de se défouler. On disait que le sport était excellent pour la santé et que cela permettait d'évacuer le stress. Et je vérifiais qu'effectivement, après avoir tapé comme un sourd sur un sac d'entraînement, je me sentais plus serein.

J'arrivai donc à la salle de sport, mon sac sur l'épaule et allai me changer dans le vestiaire, enfilant un pantalon de survêt et un débardeur noir, avant de me rendre dans la salle. Je bifurquai sur une machine de musculation, commençant à soulever des poids, avant de me relever au bout de 20 minutes pour aller dans la salle de boxe. Je pris des gants avant de me figer en remarquant un homme qui tapait dans le sac avec hargne.

Hartwood.

Je le regardais, fasciné et un peu mal à l'aise alors qu'une pensée stupide me venait en tête. Il avait une sacrée droite et finalement, je devais m'estimer heureux qu'il ne m'ait pas mis KO la dernière fois. D'ailleurs, nous ne nous étions pas reparlé depuis. J'avais suivi ses cours de façon totalement impersonnelle, étant résolument mutique. Et maintenant, je n'étais plus au lycée, il avait épousé ma meilleure amie et elle n'allait pas tarder à accoucher alors... Sans compter que Blake était la sœur de Sasha, donc, au final, Liam et moi étions... beaux-frères. Sauf que je me voyais mal, lui donner du Liam tu... Il restait le professeur Hartwood pour moi. Mais il était peut-être temps de nous expliquer un peu, nous étions restés sur un malentendu stupide.

Finalement, je pris mon courage à deux mains, avant de m'approcher de lui et de lâcher, d'une voix amusée :

- Finalement, vous vous êtes retenu la dernière fois...

Quand je voyais comment il malmenait le sac... Mais cela expliquait sa formidable droite.

- Je voulais juste vous dire que j'étais désolé d'avoir embrassé Blake l'année dernière, j'étais paumé, elle était sympa avec moi, je me suis emballé, voilà tout. Elle reste précieuse à mes yeux, mais comme une très bonne amie.

Tentative d'enterrer la hache de guerre. Pour ma part, cette histoire était loin derrière moi.

"Oui."

Un simple mot. Ni trop sec. Ni trop froid avant que je n'arrête le balancement du sac d'une poigne sûre. Une légère sueur coulait le long de ma peau et si Kieran abordait un débardeur, moi j'étais totalement torse nu, légèrement haletant aussi. Me saisissant d'une serviette qui trainait par là, je la jetai sur mes épaules avant de faire face a mon élève, le regardant de haut en bas. Je ne savais pas que Kieran c'était découvert un amour pour les salles de sport mais sans doute était ce le mieux.

Un demi sourire ombra mon visage, creusant la cicatrice de ma joue alors qu'il s'excusait mais cela n'empêcha pas une étincelle farouche d'illuminer un instant mon regard. J'étais beaucoup plus vieux que Blake, qu'est ce qui l'empêchait de trouver un semblant d'interet a un jeune de son âge ? Pas grand chose mais...Kieran n'avait pas a faire les frais de mes doutes de toute manière. Je crois que j'avais déjà largement déconner avec lui. Je soupirai légèrement.

"Et Blake a une tendance disproportionnée a ne pas savoir s'exprimer sans double sens."

Remarquais je en m'essuyant pensivement la joue.

"Ca va Kieran, elle m'a expliqué, néanmoins, j'aurais sans doute dû venir de moi même te présenter des excuses."

Parce que je savais très bien que j'avais outre passé mes limites avec lui. Rongé de colère, de rage même, parce que je n'avais pas su supporter ces mains sur elle. la jalousie sans doute alors qu'il avait cent fois plus que moi le droit de la toucher.

"Disons que la fierté irlandaise s’accommode mal d'excuse."

Je connaissai Sorcha, m'exprimant parfois avec elle en gaëlique, je supposais donc que son frère le parlait aussi n'avais je absolument pas hésité a en user. Je ne tenais pas a ce que le club sache que ma femme avait douze ans de moins que moi, qu'elle était mon élève, la mère de ma fille...Les rumeurs étaient vicieuses lorsqu'elles s'y mettaient.

J'eus un petit rire nerveux. Au moins comme ça, c'était clair. Il s'était retenu de me mettre au tapis, voire de me massacrer tout court. Super, quel petit veinard j'étais ! Je ne pouvais pas nier que Liam m'impressionnait, même s'il n'était pas tellement plus baraqué que moi. En fait, nous avions la même corpulence. On se ressemblait même, si on exceptait mes yeux sombres et les siens, azurés. Sauf que j'avais les traits plus fins. Quoiqu'il en soit, c'était stupide de rester sur ce malentendu. Parce que je n'étais pas qu'un gamin qui pelotait une fille dans une classe et il n'était pas qu'un prof amoureux de cette fille et qui frappait un élève.

Et puis, quand même j'allais être le parrain de sa fille, donc c'était mieux qu'on s'entende non ? Blake ne m'avait jamais rien demandé à ce sujet, n'en parlant pas en fait. Je ne savais pas si elle était honteuse encore de ce qu'il s'était passé ou si cela la mettait mal à l'aise et qu'elle préférai encore un statu quo que de bousculer la situation. De toutes façons, connaissant Blake... Il ne valait mieux pas compter sur elle pour faire avancer les choses, ce n'était pas son truc.

Je souris à mon tour quand Liam rétorqua que Blake avait tendance à faire des phrases à double sens qui prêtaient à confusion.

- Ah, je suppose que vous en avez été victime vous aussi.

Il balaya mes excuse d'une phrase, affirmant qu'il aurait sans doute du venir s'excuser de m'avoir mis un pain avant. Ben ouais, surement, j'aurais bien aimé, mais bon... On était Irlandais et souvent trop fiers. je sursautai en l'entendant parler gaëlique, avant de sourire, ravi d'entendre cette douce mélodie.

- C'était justement ce que j'étais en train de me dire.

Finalement, je retirai mes gants et passai la ficelle autour de mon cou, avant de lui tendre la main en signe de paix.

- Pour elle, je pense qu'il serait préférable que nous nous entendions, vous ne pensez pas ?

"On peut dire cela."

Se retrouvait accusé de viol alors même que l'on était juste entrainer par la passion que pouvait suciter sa femme avait été un sacré seau d'eau froide. Mais maintenant, j'étais plus ou moins blasé, trop habitué a la manière qu'avait Blake de gérer les difficultés sans doute. Malheureusement, il était presque impossible de lui en vouloir.

Lentement, l'azur de mes yeux jaugèrent Kieran avant que les mots ne passent mes lèvres. Effectivement, j'aurais dû m'excuser depuis longtemps, voir le remercier d'une certaine manière. Il avait bousculer Blake d'une manière brutale pour lui ouvrir les yeux, une manière sans fiortures mais efficace. Si cela était venu de moi, sans doute aurait elle fuit a l'autre coté de la planère, mais venant de Kieran, elle y avait réfléchit. Je n'étais pas assez obtus pour ne pas reconnaitre mes tords, même devant un jeune homme aussi séduisant que Kieran. Je n'étais pas spécialement porté sur les mecs, mais je n'étais pas aveugle et tout a fait conscient qu'il lui aurait parfaitement convenu si le destin en avait décidé autrement.

Je baissai les yeux sur la main tendue avant de la serrer en souriant légèrement.

"Voilà une belle preuve de maturité...Je comprend mieux ce que Blake te trouve finalement."

Ce n'était pas une critique, juste une constatation. Il me semblait avoir la tête sur les épaules et un sens des responsabilités développé pour quelqu'un de son âge...

"Il parait que tu seras le parrain de ma fille...Et mon beau frère au passage."

Blake m'avait parlé de cette soeur tombée du ciel, surexcitée et intenable, tellement que le souvenir de ce passage là amena un soupir épuisé sur mes lèvres.

Il accepta cette main tendue, cette offre de paix et je soupirai, soulagé que les choses s'arrangent aussi facilement. Mais en même temps, pourquoi est-ce que cela n'irait pas ? Je n'avais aucune vue sur Blake. Et si je pouvais me fier à mon amie, je devinais que Liam était au courant que j'étais en couple avec sa demie-sœur et que j'en était raide dingue. Je comptais sur la jeune fille pour les détails et même enjoliver la vérité, même si, de ce côté-là, il n'y avait pas besoin d'exagérer. Mon histoire avec Sasha était si parfaite qu'elle en était presque irréelle. Jamais de dispute, jamais de coups de gueule, toujours en parfaite harmonie, en parfaite osmose.

Il me répliqua alors que je faisais preuve d'une certaine maturité et qu'il comprenait mieux ce qui plaisait à Blake. Un sourire malicieux se dessina sur mes lèvres alors que mon regard pétillait soudainement.

- Cela contrebalance avec Blake qui est une vraie gamine.

Je me retins de dire qu'elle pouvait aussi me trouver séduisant, mais de une, je ne voulais pas passer pour un vantard, de deux, je ne souhaitais pas raviver sa jalousie. En plus, Blake ne voyait que Liam, les autres mecs n'existaient pas alors bon... Liam parla alors de nos liens familiaux et de ma nomination au rang de parrain. J'eus un petit rire grave.

- C'est complètement fou non ? Que ma meilleure amie et ma petite amie aient le même père et ne l'aient découvert que l'été dernier, tout à fait par hasard.

Moi, je trouvais cela complètement fou.

- Cela vous dérange ? Que je sois le parrain je veux dire... Parce que connaissant Blake, elle n'a pas du vous demander votre avis à ce sujet...

Je ne pus m'empêcher de ricaner légèrement alors que Liam semblait plus dubitatif concernant la gaminerie de Blake. Je supposais que pour lui, elle ne l'était pas tant que ça. Il ne valait mieux pas qu'elle le soit d'ailleurs, parce que là, ça virait franchement pédophile et malsain. Et si j'avais été moins catégorique qu'Alice concernant cette relation, il n'empêchait que j'aurais quand même préféré que Blake sorte avec un mec de son âge ou légèrement plus vieux, pas pas avec 10 ans de plus. Voire même davantage. Et j'avais beau adorer Blake, je ne la voyais absolument pas comme une femme qui pouvait exciter le désir. Je l'avais embrassé par tendresse, pas parce que je désir m'avait étreint le creux des reins. Ce qui était très différent de ce que je ressentais pour Sasha, alors même qu'elle avait le même âge que Blake, qu'elle avait encore moins de forme... Bizarre non ? mais son corps un peu androgyne, ses courbes menues me faisaient un effet fou. Peut-être parce qui se dégageait d'elle ? Ou tout simplement parce que j'avais Sasha dans la peau.

Je n'insistai pas sur ce terrain, un peu délicat, préférant plutôt parler du lien de parenté entre ma copine et ma meilleure amie, ce qu'il commenta. Je hochai la tête, assombri. Je savais combien Blake avait souffert de l'abandon de son père et combien il lui avait été difficile d'admettre qu'en plus, il avait été infidèle à sa mère en concevant Sasha dans la même période. c'était à cause de lui qu'elle se méfiait des hommes, même si ça s'était calmé. Elle m'avait très rapidement fait confiance et faisait maintenant confiance à Liam. Et pourtant, c'était loin d'être gagné d'avance.

- C'est marrant, elle m'a très vite confié qu'il les avait abandonné et que du coup, elle prenait tous les mecs pour des lâches et des salauds. Ce que je me suis acharné à démentir.

Et ce n'était pas peu dire. Mais naturellement, Blake s'était ouverte à moi. Je ne savais pas ce qui lui avait donné ce courage ou cette impression qu'elle pouvait le faire, mais j'étais heureux d'avoir pu le faire et d'avoir été le premier mec à prendre une place dans sa vie. Même avant Liam qui avait eu plus de difficultés à y entrer, même s'il y était désormais bien ancré.

Mais la preuve était qu'il n'était pas encore totalement intégré alors que Blake choisissait les parrains et marraines sans le consulter. Je lui demandai donc si cela le dérangeait et sa réponse fut limpide.

- Elle me l'a demandé en Irlande. Je savais bien que vous n'étiez pas au courant... j'ai essayé de lui faire comprendre que désormais, les décisions devaient être prises à deux. Vous et elle. Je crois qu'elle a compris maintenant.

J'esquissai un sourire en entendant ses doutes sur Alice.

- Alice est une vraie amie, qui défend corps et âme sa copine, sans chercher à savoir qui a tort et a raison. Blake a besoin de ce soutien indéfectible, besoin d'entendre Alice lui dire qu'elle a raison et que tous les autres peuvent aller au Diable. Solidarité féminine je dirais. C'est pour ça qu'elle ne se tourne pas toujours vers moi quand ça ne va pas, ou du moins pas en premier, parce que je suis moins tendre avec elle. Mais inversement, elle vient me voir quand elle sait qu'elle a merdé et qu'elle a besoin que je la remette sur les rails. Finalement, elle a trouvé son équilibre entre Alice et moi.

Je penchai légèrement la tête, avant de demander :

- Vous vous êtes décidés pour le prénom ? C'est que ça commence à devenir pressant maintenant.

Je haussai les épaules alors qu'il acceptait, sans doute à contre cœur, le fait que j'avais réussi à gagner la confiance de Blake. Avant lui. Et je n'en étais pas peu fier. Je me demandais s'il était jaloux de ça... De ce lien entre Blake et moi, qui ne serait jamais le même que celui qu'il avait avec elle. j'espérais que non, c'était un adulte, il ne serait pas bêtement jaloux de ce genre de choses n'est-ce pas ? Surtout que j'avais quand même pas mal œuvré pour leur couple. Je ne savais pas si Blake lui en avait parlé, mais je l'avais pas mal aiguillée et donné de quoi se comporter de façon plus mature et faire confiance à Liam qui lui avait prouvé maintes fois son amour. Elle devait absolument l'incorporer dans leurs décisions et j'espérais que le message était passé. Il abonda dans ce sens en me confiant lui avoir signalé qu'il avait des frères. Des frères qui auraient du être le parrain. La marraine aurait été Alice, pour Blake et le parrain, un des frères de Liam. C'était logique, même si j'aurais détesté me faire spolié de ce privilège.

Je confiai alors au prof mon point de vue sur l'amitié entre Blake et Alice et Blake et moi. Une sorte de triangle dans lequel Blake trouvait son équilibre entre le subjectif et l'objectif. Je ne fus pas surpris qu'il me confie préférer qu'elle me demande mon avis plutôt que celui d'Alice. Je savais combien cette dernière pouvait être excessive, même si ce n'était pas évident de prime abord quand on la côtoyait. Mais pour Blake, elle aurait tout fait, même les pires conneries.

- Ah ça...

Je n'ajoutai rien. j'étais plutôt d'accord avec lui, même si j'admirais la loyauté dont faisait preuve Alice envers Blake. Elles étaient amies, et même peut être plus. C'était difficile à expliquer, une sensation qu'elles partageaient énormément de choses. Je m'enquis alors du prénom de leur fille, avant de sourire et de répéter le prénom avec délectation, le prononçant à la gaélique, mieux que ne le ferait jamais Blake tant il était de nos racines.

- Eibhlin... C'est bien choisi. C'est une excellente idée de lui donner un prénom gaélique, je ne peux qu'approuver le choix.

Quinze jours. Plus que quinze jours. Dans quinze jours, je devais accoucher, le douze mars précisément, et dire que je commençais un peu à paniquer relevait du doux euphémisme. Je commençais de plus en plus à m'affoler, et si je me contenais pour ne pas inquiéter Liam, je n'allais pas tarder à craquer, à exploser, et à lui balancer toutes mes frayeurs à la figure.Et quand j'étais dans cette situation-là, je ne souhaitais à personne la dure tâche de me rassurer. J'avais peur de tout ; peur de ne pas avoir le temps d'aller à l'hôpital, peur que la sage-femme soit en retard, que l'obstétricien soit bourré, peur aussi du moment où je ressentirais les contractions, peur que Liam ne puisse pas être présent, ou même Alice... J'inventais mes frayeurs le jour, j'en cauchemardais la nuit, et Liam ne comprenait pourquoi je dormais si mal. Non pas qu'il n'était pas habitué à mes cycles de sommeil bizarroïdes - j'avais passé quatre mois à dormir douze heures par nuit, comme une souche, puis deux à me tourner et me retourner sans cesse, puis deux autres enfin à faire des rêves très étranges que je confondais ensuite avec la réalité. Mais enfin, ce n'était que des rêves, qui m'avaient énormément fait parler dans mon sommeil, mais certainement pas réveillée en pleurs.

Je ne m'étais confiée à personne, curieusement. Même pas à Alice. Je l'avais juste suppliée d'être présente à l'accouchement et elle me l'avait promis, quoi qu'il advienne, à mon grand soulagement. Aujourd'hui, cependant, j'avais réussi à éloigner mes craintes ; du moment que Liam était parti à la salle de sport, j'avais ouvert toutes les fenêtres de l'appartement en grand, mis de la musique à fond, et m'étais attelée au ménage, que j'avais très vite abandonné pour me retrouver à danser - ou plutôt me dandiner - autour de mon balai en me servant du manche comme d'un micro.

Whell you hurt where you sleep
And you sleep where you lie
Now you're in deep and
Now you're gonna cry
Got a woman to your left
And a boy to your right
Start to sweat so hold me tight

Somebody mixed my medicine
I don't know what I'm on
Somebody mixed my medicine
Now baby it's all gone
Somebody mixed my medicine
Somebody's in my head again
Somebody mixed my medicine again, again, again, again, again...

Je chantais à tue-tête, secouant la tête, mes cheveux tout emmêlés retombant sur mon visage, une main soutenant mon ventre tandis que l'autre tenait le balai. J'avais éparpillé toute la poussière que j'avais ramassée, à force, mais je ne m'en rendais même pas compte, quand soudain, mon dernier « again » se brisa sur un cri de douleur.

L'air interdit, je baissai les yeux sur mon ventre, fronçant les sourcils.

- Ben alors ma chérie, tu me fais quoi là ?

J'avais pris l'habitude de lui parler, et j'étais capable de mener des discussions entières avec elle sans sourciller le moins du monde. Au lieu du coup de pied ou de poing auquel je m'attendais, il n'y eut rien, rien du tout, et en haussant les épaules, je retournai à mon ménage sur les notes de Factory Girl, nettoyant les bêtises que j'avais faites auparavant.

- Si tu es aussi capricieuse que ta mère, on va pas s'entendre !

A ce moment, une autre douleur immense traversa mon corps comme une lame de fond, me pliant en deux. Je me mordis la lèvre. Je commençais à m'inquiéter, pour le coup, me demandant si cette souffrance atroce n'était pas... n'était pas...

En fait, je ne préférais pas prononcer le mot, ça n'aurait fait que concrétiser la chose. Ce fut au moment où je me disais cela qu'une troisième arriva, me sciant les reins.

OK, Blake, on ne panique pas. tu peux le faire. Tu es toute seule, d'accord, mais Liam est à trente mètres, ton sac est prêt, tu ne vas pas accoucher au lycée comme tu le craignais, et...

- AÏE, BON SANG ! hurlai-je. Attends un peu, Eibhlin, je réfléchis, là !

Mais c'est bon ! Pas la peine de réfléchir, hein ? Il fallait juste que je prenne mon sac, que j'aille chercher Liam à la salle de sport, et qu'il m'emmène à l'hôpital ! Tout allait bien se passer. D'ailleurs, ce n'était pas si douloureux que ça. Qui avait parlé de péridurale ? Je savais que je pourrais accoucher naturellement ! Et je le ferais, peu importe ce qu'on me dirait. C'était... Bon, d'accord, ça faisait très mal, c'était la pire souffrance que j'eusse jamais connu de ma vie, mais je pouvais la gérer, j'en étais sûre. Marcher, par contre, ça allait être assez intenable, mais je n'avais pas le choix.

Je ne sus comment je parvins à descendre les trois étages avec mon sac à dos et la crispation de mon corps tout entier dans l'attente d'une nouvelle contraction, mais arrivée dans la rue, je poussai un soupir de soulagement - vite coupée par une nouvelle vague. Je fixai mon regard sur l'enseigne de sport et décidai de me concentrer uniquement sur ça. Juste ça. Je parcourus la rue en serrant les dents, me marquant cette foutue enseigne dans la rétine, et quand enfin j'arrivai à la salle, je vis Liam et Kieran qui sortaient des vestiaires. Est-il mesquin de préciser que je ne me rendis même pas compte de la présence de Kieran, ne songeant pas un instant à m'interroger sur ce qu'il faisait avec mon mari, entièrement concentrée sur Liam ?

- J'ai des contractions, balançai-je tout de go sans même un bonjour.

Et pan, un nouveau gémissement de douleur pour souligner mes paroles alors que les larmes perlant à mes yeux se mettaient à couler sous la souffrance.

- J'ai... Oh, Liam, il faut que tu m'emmènes à l'hôpital...

Un peu hagarde, je regardai la rue à travers la vitre, prenant conscience que j'allais devoir la remonter.

- Ah, je suis stupide, j'aurais dû aller directement dans la voiture et t'appeler... J'ai pas réfléchi...

Mais allez réfléchir lorsque vous êtes sur les nerfs en attendant à chaque seconde qu'un étau vous broie le ventre ! Hein ? Que le début ? Comment ça, très peu douloureux ?

Je passai ma serviette sur ma tempe, essuyant une goutte de sueur dévalant ma peau, un demi sourire amusé aux lèvres. Non Alice n'était pas forcément de bon conseil, même si elle restait un soutiens pour Blake. Pourtant, je n'avais jamais tenté de les séparer mais je me souvenait encore du temps qu'il m'avait fallu pour regagner sa confiance.

"Je crois qu'elle est d'accord avec cette origine, elle a adoré l'Irlande, même si elle n'en a vu que les bons cotés."

Parce que l'Irlande possédait sa part d'ombre, d'horreur, de massacre. Les amours contrairent d'un peuple. La recherche d'une indépendance. Je saisi les pans de ma serviette en me redressant légèrement avant que mon regard ne se porte par dessus l'épaule de Kieran. Je blanchis légèrement en voyant ces traits paniqués, elle trottina jusqu'a nous, les deux mains sur le ventre et jeta tout de go qu'elle allait accouché. Je vacillai en écarquillant les yeux.

"Quoi ?"

Balbutiai je sur le coup, baissant les yeux sur son ventre rond que je devinais terriblement durcit. Elle gémit et je me précipitai vers elle, glissant un bras robuste autour de sa taille. Elle paniquait. Moi aussi d'une certaine manière. Ce n'était pas possible, l'accouchement était prévu dans une semaine, voir deux ! Pas maintenant !

"Calme toi."

lui dis je d'une voix apaisante avant d'attirer l'attention de Kieran.

"Reste avec elle, Kieran s'il te plait, je vais chercher son sac et avancer la voiture."

Mon coeur battait a tout rompre et je devais lutter pour garder mon calme, j'attendis que Kieran fasse ce que je demandais en massant les reins douloureux de ma femme aux traits crispés.

Je hochai la tête alors qu'il me répliquait qu'elle avait aimé l'Irlande, mais vu les plus beaux côtés. Oui, en effet, mais je n'avais pas eu envie de lui montrer les mauvais, parce que c'étaient des vacances, une sorte de pèlerinage pour Sorcha et moi, une épreuve aussi. Il fallait revenir après avoir changé de vie, affronter nos démons et les fantômes du passé. Cela avait été difficile, mais nous étions bien entourés et ça avait atténué la peine.

- Ce voyage n'étais pas tout à fait innocent en ce qui nous concernait Sorcha et moi, nous avions des choses à régler, un chapitre à clore.

Je savais que Sorcha parlait parfois gaélique avec Liam, et qu'elle l'appréciait beaucoup. Il connaissait mieux ma sœur qu'il ne me connaissait. Mais il devait connaître notre histoire, pourquoi nous étions en Angleterre. Sans les détails, quoique, avec Blake, tout était possible. Quoiqu'il en soit, le sous entendu était clair : nous avions besoin de tourner la page, en nous y rendant tous ensemble.

Liam fixa alors quelque chose derrière moi et sembla perdre quelques couleurs. Je me retournais à mon tour pour voir surgir Blake, apparemment paniquée. Je la laissais rejoindre Liam avant de comprendre qu'elle avait des contractions et que je bébé était pour bientôt. Déjà ? C'était flippant là, tout à coup. Elle ne me calcula même pas, laissant les rênes à Liam et, fort heureusement, il ne paniqua pas et là, je devais le féliciter quand même, parce qu'à sa place, je n'aurais sans doute pas été aussi calme.

Il me demanda alors de m'occuper d'elle alors qu'il allait chercher la voiture. Quoi ? Et si le bébé venait entre temps ? Je ne voulais pas me retrouver seul à gérer ça, mais en même temps, ce n'était pas moi le père, alors ce n'était pas à moi de paniquer. Je hochai la tête, prenant Blake contre moi et regardant Liam partir en trombe.

- On dirait qu'Eibhlin est aussi impatiente que maman. Respire calmement Blake, ça va bien se passer.

Je passais une main apaisante dans son dos, essayant de la rassurer, avant de l'encourager, en gaélique. Même si elle ne le comprenait pas, je savais qu'elle adorait la musicalité de cette langue et j'espérais que cela lui rendrait un peu de sérénité. Et moi, je guettais avidement la porte, avant d'aider Blake à se déplacer jusqu'à la sortie, histoire de gagner du temps.

Quoi ? Quoi quoi ? NON ! Toi, Liam Hartwood, toi perdre ton sang-froid en un moment aussi critique, tu n'en as pas le droit ! Recommence à être celui que je détestais, froid et en pleine maîtrise de la situation quoi qu'il advienne. C'était bien clair ? La lueur de panique qui brilla dans mes prunelles s'effaça bien vite cependant alors qu'il se précipitait vers moi et soutenait ma taille de son bras, me parlant comme on parle à un animal blessé pour qu'il ne nous griffe pas. Je voulais bien être traitée comme un chaton blessé si ça avait une chance de me faire garder mon calme. Moi, garder mon calme ? Alors que j'étais en train d'accoucher ? AH, AH, AH !

- Je suis calme. Je suis parfaitement calme, ça ne se voit pas ? m'écriai-je d'une voix stridente.

Qu'il s'y colle, tiens, il verrait si c'était facile de rester calme ! OK, donc la technique de la voix douce et apaisante, ça ne fonctionnait pas. Noted. Mais qu'est-ce qui pourrait bien fonctionner avec moi, en fait ? Mon cœur battait à tout rompre et j'avais l'impression qu'il pourrait s'arracher à tout moment de ma poitrine. Mon ventre était déchiré par ces lames de douleur et j'allais bientôt forcer mon bébé à quitter un cocon de paix, de sécurité et de bonheur calme pour le propulser dans un monde bruyant, sale et dangereux où il n'y aurait que mes faibles bras pour le protéger. Et les bras de Liam. Où était Liam ?

- Tiens, salut, Kieran, balbutiai-je en voyant le visage de mon meilleur ami.

Je ne me demandai même pas ce qu'il foutait là et pris conscience des mains puissantes de mon mari en train d'essayer de soulager ma douleur.

- Oh, on s'en fout de ça, de toute manière, tu ne pourras pas m'empêcher d'avoir mal ! Va chercher cette putain de voiture ! hurlai-je en bondissant en avant, m'échappant de ses doigts et finissant étalée contre Kieran.

Hum, euh, certes, pas très aimable. Je naviguais entre la peur, la colère et tout plein d’autres émotions que j'étais totalement incapable de contrôler. L'agressivité, à court terme, avait toujours été un moyen efficace de se débarrasser d'un trop-plein de sentiments. Et vous savez quoi ? Aujourd'hui, ça ne marchait pas du tout. Liam était parti chercher la voiture et je me retrouvais dans le hall d'une salle de sport, avec à peu près tout le monde qui me regardait de travers, à attendre avec terreur le moment fatidique de la naissance de mon enfant. Mais c'était merveilleux, dites-moi. J'avançais, lentement, me laissant aller de tout mon poids - qui n'était pas léger - sur l'épaule de Kieran, et nous finîmes par nous retrouver sur le trottoir. Je poussai un soupir de soulagement en voyant la voiture de Liam arriver à toute bringue et se garer à la va-vite devant nous. Je regardai Kieran avec un faible sourire :

- J'capte rien de ce que tu me dis, tu sais.

Mais il pouvait continuer. Le fait était qu'entendre du gaélique serait toujours la meilleure manière de me faire garder le contrôle. Ou un semblant de contrôle.

Je hochai doucement la tête, comprenant a demi mot les mots de Kieran. Je le trouvais fort tout a coup, parce que je ne savais pas si moi, je pourrais y retourner les yeux fermés. Oublier les douleurs et les souffrances que m'avait valu ce pays, combien pourrais je l'adorer. Un mélange de haine et d'amour. D'attirance et de répulsion.

"Blake aimerait y vivre..."

Répondis je légèrement songeur sans vraiment m'étendre sur le sujet. Moi, je ne savais pas tant ce pays pouvait provoquer en moi des sentiments contraires, difficiles d'une certaine manière. Mais Blake avait adoré, elle m'en parlait souvent, suppliant que je lui apprenne le gaëlique, s'obstinant a vouloir le parler, a faire écouter cette langue a notre fille. Blake qui...Apparaissait soudainement devant mes yeux en se tenant le ventre.

Je dois dire que sur le coup, je perdis un peu de ma superbe, balbutiant comme un adolescent alors que je comprenais brusquement qu'elle allait accoucher. Une partie de moi hurlait que ce n'était pas le moment, que ce n'était pas la date, mais allez faire comprendre cela a ma fille ! Aussi impatiente que sa mère ! Malgré moi, je souris légèrement en l'entendant me hurler dessus. Tant qu'elle hurlait, c'est qu'elle n'était pas aux portes de la mort, c'était déjà ça.

Je hélai Kieran, qu'il s'occupe d'elle un instant, le temps pour moi d'aller chercher la voiture, ce que je fis en un temps record, les voyant déjà sortir de la salle de sport, le jeune irlandais soutenant ma femme. J'avais pensé a tout, même a rajouter un pyjama que Blake avait oublié de mettre dans sa valise...Et surtout, le premier ensemble qui acceuillerait le corps tout menu de notre fille...Elle l'avait laissé dehors pour pouvoir l'admirer a loisir, total, encore un peu et nous partions sans !

Je sortis de la voiture, ouvrant la portière passager.

"Installe la dans la voiture Kieran. Veux tu venir avec nous ?"

Ce n'était pas vraiment une question en l'air, rien dans mes mots ne l'étaient d'ailleurs, mais je savais que Blake serait rassurée avec lui, plus qu'avec moi remarquons et cela m'aurait sans doute vexé si je ne la connaissais pas aussi bien. Je me penchai vers le siège passager, passant la ceinture a Blake avant de lui caresser doucement la joue, cherchant ses yeux, deux grands yeux larmoyants et emplit de panique.

"Ca va bien se passer Blake. Respire et ne pense qu'au moment où tu tiendras notre fille dans tes bras d'accord ? Cela t'aidera a supporter la douleur."

Et moi avec tiens !

Il y avait quand même des jours où la vie jouait de drôles de tours... Quelle était la probabilité pour que je tombe sur Liam aujourd'hui, que nous discutions et enterrions la hache de guerre et que dans le même temps, ma meilleure amie et donc sa femme, débarque, et menace d'accoucher ? Cela aurait pu se passer hier, demain, dans quelques heures, quand je ne serais plus là, mais non, on aurait dit que Blake ou sa fille, au choix, avait décidé d'attendre que les deux hommes qui comptaient le plus dans sa vie soient réunis pour décider d'accoucher ou de sortir. Quand je disais que la fille devait être aussi chiante que la mère, ça se vérifiait déjà. Mais j'adorais Blake comme ça, attention.

N'empêche que je me retrouvais soudain avec ma meilleure amie complètement paniquée entre les bras et son mari qui allait chercher la voiture, me laissant seul avec Blake qui menaçait d'accoucher là, sur le plancher de la salle de sports. Bon, allez, on respire un grand coup, ça n'arrive que dans les films ça, d'accoucher en catastrophe! On aurait bien le temps de l'emmener à l'hôpital. Quoique connaissant Blake hein, il ne fallait dire jamais dire jamais et penser que tout pouvait bien se passer, elle avait un don certain pour les emmerdes.

Elle sembla s’apercevoir que j’étais finalement là et j'aurais pu en être vexé, en d'autres circonstances. Je pris le parti de m'en moquer pour le moment et surtout de tenter de l'apaiser, en lui racontant n'importe quoi, en gaélique. Elle avait toujours adoré cette langue. Cela lui avait toujours paru apaisant, alors espérons que cela fonctionne pour cette fois encore. Elle me répliqua qu'elle ne comprenait rien à ce que je racontais et je laissai échapper un petit rire nerveux :

- Ben alors ? Qu'est-ce qu'il fout Liam ? Ton gaélique est vraiment pas terrible, va falloir remédier à ça ! Ta fille parlera mieux que toi.

Je conduisais Blake à l'extérieur et fus soulagé de voir débarquer Liam et la voiture. Il ouvrit la portière, et j'installai Blake, alors qu'il me demandait si je voulais venir avec eux. Je ne pris même pas la peine de réfléchir et acquiesçai, avant de m'engouffrer dans la voiture à mon tour, derrière Blake. Je n'étais pas le père, je n'avais aucun lien de parenté avec Blake... Ah si, j'étais son presque beau-frère en fait, mais j'étais surtout comme son frère. Liam tenta de la rassurer, mais je n'étais pas certain que même avec toute son imagination, elle soit capable de faire abstraction de la douleur aussi facilement. Je sortis mon portable et décidai d'envoyer un sms à tous ses proches... Alice, Sasha, ma sœur. Il y avait sa mère aussi, même si je n'avais pas le numéro.

- Blake, donne ton portable, que je prévienne ta mère.

Il y avait un statu quo avec Liam et étant donné comment elles étaient proches, il était naturel qu'elle soit prévenue quand même.

- Je ne peux même pas prononcer son prénom correctement... grimaçai-je comiquement.

Quand je l'avais dit à ma mère, elle l'avait trouvé très joli. Moi pas. Je le trouvais laid, souillé par mon accent anglais et mes lèvres maladroites, alors qu'il était cent fois plus adorable quand Liam le prononçait. Alice, elle, le disait à la française, Évelyne, mais ce n'était pas tout à fait ça non plus, et je n'arrivais pas à trouver ce juste milieu entre le b et le v comme le faisait si facilement mon mari.

Après ce qu'il me sembla être une éternité, ou une seconde peut-être, Liam arriva et les deux hommes de ma vie m'aidèrent à m'assoir. Ses yeux bleus si rassurants s'ancrèrent dans mes yeux verts fluctuants et je lui adressai un pâle sourire :

- Ça marche que quand j'ai pas mal.

Ce n'était pourtant pas faute de manquer d'imagination, mais dès que la douleur survenait de nouveau, la pensée du tout petit corps de ma fille pressé contre ma poitrine s'évaporait instantanément et il n'y avait plus rien que cet étau infernal qui me broyait le ventre et les reins. Je tapotai ma poche de jean de la main pour indiquer à Kieran où était mon portable - j'aurais été bien en peine de me tortiller avec mon gros ventre douloureux pour le saisir - et fus prise d'un flash si soudain que j'en eus mal.

- Alice... Alice ! Kieran, j'ai besoin d'Alice ! Je veux qu'elle vienne aussi, j'ai besoin qu'elle soit là !

Même si je ne pouvais la voir ou lui parler, j'avais absolument besoin de savoir qu'elle était là, qu'elle m'attendait, qu'elle me soutenait. Il fallait qu'elle vienne ou la panique finirait de me submerger. J'avais beau avoir peur, c'était encore une peur sensée, et je parvenais à juguler la frayeur irraisonnée qui menaçait de me submerger à la frontière de mon esprit. Si Alice ne venait pas, je n'y arriverais pas.

Tout le monde était prévenu, nous arrivions à l'hôpital. J'avais Kieran, j'avais le père de mon enfant qui, contrairement à ma mère, serait là pour me tenir la main - et se faire broyer la sienne. Mais Alice n'était toujours pas arrivée. Il me fallait Alice. Je ne pourrais rien faire sans elle.

C'était la seule chose qui me paraissait totalement évidente alors que Liam me soutenait en entrant dans l'hôpital.

Evidemment, j’aurais sans doute dût me douter que Blake aurait besoin d’Alice, mais je laissai Kieran gérer cet appel-là, j’étais trop occupé a nous conduire à l’hôpital le plus vite possible et en entier. Quelque minute plus tard, je freinai devant l’hôpital avant d’aider ma femme a sortir de la voiture. D’un coup d’œil je m’assurais que Kieran avait bien téléphoné à Alice puis, je la conduisis jusqu’aux urgences. Nous n’eûmes pas longtemps à attendre qu’une infirmière se présentait avec un fauteuil roulant, son regard allant de moi à Kieran, de Kieran à moi. Apparemment, elle devait se demander si j’étais le père ou le grand père sur le coup. Marrant. Je lui répondis par un sourire froid et ironique.

« C’est ma femme, pas la sienne. »

Elle sursauta au son de ma voix, pinça légèrement les lèvres et fini par installer Blake sur le fauteuil. Nous la suivîmes et, en quelques minutes, Blake fut installée en salle de travail pour oscultation.On fit sortir Kieran mais moi, je crois que l’on ne s’y risqua pas. La sage-femme hocha pensivement la tête avant de déclarer que c’était imminent, aussitôt, il y eut un nouveau ballet médical et cette fois, on m’habilla d’une blouse, on me fit me laver les mains tandis que l’on installait Blake sur la table d’accouchement. Alice arriva a ce moment-là et je dus véritablement foudroyer des yeux la sage-femme qui ne voulait pas la laisser rentrer pour qu’au moins, elle puisse voir Blake quelques minutes. Finalement, lorsque le travail commença véritablement, je perdis la notion du temps, focalisé sur le visage crispé de douleur de ma femme, sur ses cris aussi, oubliant même la douleur de ma main ou les murmures encourageants de la sage-femme qui la priait de pousser, de pousser encore. Je ne sais pas combien de temps elle souffrit ainsi mais je crois que ma bulle explosa au moment du premier cri de ma fille. Puissant, vigoureux. Une boule atroce d’émotion se bloqua dans ma gorge alors qu’on la déposait dans les bras de sa mère, la félicitant pour le travail, lui assurant que c’était une magnifique petite fille en pleine forme. Je coupai le cordon un peu absent, répondant machinalement aux questions que l’on pouvait me poser. Son nom, son prénom, de la paperasse en somme. Soudainement, j’étais épuisé, vidé même mais en même temps tellement heureux.

« Elle est belle. Tu es belle. »

Soufflai je en me penchant pour baiser le front trempé de ma femme, une si petite fille qui devenait soudainement femme par la magie de la maternité. Je baisai une dernière fois ses lèvres la laissant entre les mains des infirmières pour me glisser dans le couloir, retrouver Alice et Kieran qui attendait.

« Tout va bien, tout s’est bien passé…Avec de la chance et si Blake n’est pas trop épuisée, vous pourrez allez la voir dans une heure ou deux. »

Ma bouche était plissée en un énorme sourire qu’il était rare de voir sur mon visage.

J’étais…Père.


[Terminé]

En temps normal, j'aurais engueulé Liam de sortir un truc comme ça avec une telle froideur. Bon, OK, je l'aurais pas engueulé - pas comme si ça lui faisait vraiment quelque chose - mais je lui aurais jeté un regard flamboyant de reproches. De toute façon il savait très bien ce que j'en pensais. On ne pouvait pas reprocher aux gens de se tromper et c'était pas la peine de les allumer parce qu'ils faisaient confusion. Il était toujours temps de le faire quand ils critiquaient - et même là, vieille habitude de notre relation interdite au lycée, j'avais encore du mal à leur en vouloir.

Même si j'apprenais. Merde, je n'allais pas avoir honte toute notre vie de notre mariage.

Enfin bref, tout ça pour dire qu'aujourd'hui en revanche, ce fut à peine si j'entendis la réplique qu'il jeta à la figure de l'infirmière sur un ton assassin. A vrai dire, je m'en foutais comme de ma première chaussette, tout ce que je voulais là c'était... une PUTAIN de péridurale !

Dire que j'avais voulu accoucher naturellement.

Je paniquais toujours, à cause d'Alice désormais. Je ne me rendis pas compte tout de suite qu'elle était arrivée ; ce fut seulement en entendant Liam engueuler je ne sais qui dans le couloir que je compris, entre deux contractions. Je me mis littéralement à hurler :

- SI VOUS NE LA LAISSEZ PAS ENTRER, JE SAUTE PAR LA FENÊTRE ET JE VAIS ACCOUCHER CHEZ ELLE !

J'imaginais très bien le sourire satisfait de mon mari alors qu'ils laissaient entrer ma meilleure amie. Je lui pris la main, un pâle sourire sur le visage, et la lui broyai brutalement alors qu'une nouvelle contraction me prenait. Ce fut le signal du départ.

Combien de temps je restai sur cette table d'accouchement, avec le visage de Liam et les voix des sages-femmes comme seules focalisation ? Je n'en eus rigoureusement aucune idée. Tout ce que je sais, c'est la vague de bonheur qui me traversa lorsqu'on me la posa dans mes bras et les larmes qui se mirent brutalement à couler sur mon visage sans pouvoir m'arrêter.

- Arrête, je ne dois ressembler à rien. Elle par contre... C'est le plus beau bébé du monde.

Voilà. J'étais maman. A dix-sept ans, mariée et mère.

Et c'était la chose la plus belle du monde.