Run Liam run ! [PV Liam, Emilia]

[Marie-Audrey a eu l'idée du titre, j'assume pleinement de l'avoir accepté, MWAHAHAHA *va se pendre*]

Blake Earl ou l'art d'accumuler les mauvaises nouvelles.

D'une, j'avais loupé mon bac. Enfin, tout n'était pas totalement perdu, je devais passer aux rattrapages, mais j'avais énormément de points à rattraper. Je m'étais plantée d'une manière magnifique en philosophie et en mathématiques, et seules des révisions intensives de dernière minutes en littérature m'avaient fait avoir la moyenne, parce que je ne voulais pas décevoir Liam. J'avais été acceptée aux Beaux-Arts, et je me débrouillais pour rater mon bac ! Je ne voulais pas, je ne POUVAIS pas redoubler. Il fallait absolument que je m'en sorte, jamais je n'aurais supporté de rester une année de plus au lycée. A subir l'indifférence de Liam.

Et de deux, la cerise sur le gâteau, le plus beau de l'histoire, j'étais enceinte.

Je ne m'étais pas inquiétée. Sur la plage, après notre première fois, j'avais paniqué, puis j'avais tout enfoui au fond de moi, loin, très loin, pour tout oublier et renier la vérité. Même deux jours plus tard, quand nous avions passé cette soirée débridée en oubliant totalement de prendre nos précautions, je n'avais pas eu peur, pas cette fois-là. J'avais tout occulté. Et là, il avait fallu que j'aie plus d'une semaine de retard pour daigner faire un test de grossesse. Je l'avais oublié dans le lavabo tout l'après-midi avant d'y repenser le soir en allant prendre ma douche. Je l'avais pris en étant convaincue que je n'y verrais rien d'intéressant.

Enceinte.

J'étais restée figée, tétanisée, pendant cinq longues, très longues minutes. Paralysée, mes yeux fixés sur l'écran du test. Et puis je m'étais écroulée par terre et j'avais fondu en larmes, hystérique, la main sur mon ventre, hoquetant, sanglotant, incapable de m'arrêter jusqu'à ce que j'entende ma mère rentrer. Alors j'avais foncé sous la douche, continuant à pleurer sous le jet d'eau chaude, y restant jusqu'à ce que l'eau ait fini par absorber et effacer totalement mes larmes.

Enceinte.

J'avais coupé les ponts avec Liam. Ça faisait trois jours que je ne le voyais plus, que je refusais ses appels, que je ne répondais pas à mes messages. Et comme une idiote, je ne pouvais m'empêcher, chaque soir, d'écouter tous les messages vocaux qu'il m'avait laissés, parce qu'il me manquait à crever, parce que j'avais besoin d'entendre sa voix, à défaut de l'avoir tout entier. Et alors qu'il me disait qu'il ne comprenait pas, que je lui manquais, que j'entendais sa colère, sa haine, son désespoir, je pleurais, sans cesse, détrempant mon oreiller et mes draps, je pleurais et je rageais de penser que dès qu'il saurait la vérité, je ne lui manquerais plus, parce qu'il en profiterait sur-le-champ pour m'abandonner. N'est-ce pas ?

Enceinte.

Et aujourd'hui, je ne pouvais plus lui échapper. Il était mon professeur principal. Je devais avoir un rendez-vous avec lui et ma mère pour discuter des matières que je prendrais au rattrapage. Non seulement je serais face à lui, mais en plus nous serions obligés de faire comme si de rien n'était, continuer à jouer notre rôle, quoi qu'il m'en coûte. Je ne pourrais pas. Jamais je ne parviendrais à faire illusion. Faire croire à ma mère que tout allait bien était déjà un supplice. Car si je m'étais toujours confié sur tout à elle avant, cela je ne pouvais pas lui dire... Elle me tuerait. Elle me tuerait pour avoir commis exactement la même erreur qu'elle, l'erreur contre laquelle elle m'avait mise en garde pendant dix-sept ans. Parce que je savais déjà que je n'avorterais pas.

Enceinte.

J'évitais son regard alors que nous entrions dans sa salle de classe, les yeux obstinément fixés sur mes chaussures. Je refusais de le voir ou je craquerais. J'avais passé trois jours à pleurer, trop atterrée par le parallélisme qui existait entre ma mère et moi. Enceinte à dix-sept ans. D'un homme de plus de dix ans plus vieux. Et l'impossibilité d'avorter. Elle m'avait toujours dit qu'elle ne regrettait pas, que jamais elle n'aurait pu se débarrasser de moi ainsi. Je comprenais maintenant ce qu'elle voulait dire. Ce bébé qui était en moi, que je n'avais pas voulu, qui allait me séparer de Liam... j'étais déjà folle de lui.

Trois jours. J’allais la tuer ! Trois jours, sans un appel, sans même qu’elle ne m’attende a la fin des cours, ni même a venir chez moi par surprise alors qu’elle en avait prit l’habitude prenant Alice en excuse la plupart du temps. Je me demandais quand même si sa mère était réellement conne ou si elle le faisait exprès, sans doute trop prise par Lyam. Ouais, ça devait être ça. Il n’empêchait que j’étais dans une rage noire, froide, le genre de colère qui ne se sentait pas, qui ne se voyait pas mais qui bouillonnait intérieurement. On disait les mecs salops, elle était la première a le dire et là, je me demandais qui abandonnait qui dans l’histoire. Elle avait peur que je la quitte ? Ben voyons, ne pas donner de nouvelles durant trois jours, c’était avoir peur. La peur avait toujours été une excuse facile chez elle. Toujours. Et ces excuses, j’avais véritablement envie de les lui foutre dans la Tamise. Je lui avais laissé des messages sur son répondeur, l’avait appelé alors que je savais que ce n’était pas le truc à faire, pas discret, trop dangereux mais pour elle, je l’avais fait et rien. Elle venait en cours, repartait. Point. Par-dessus tout, elle avait trouvé le moyen de louper son bac.

Je savais qu’elle avait passé la littérature avec justesse et seulement parce que je l’y avais forcé. Pour le reste, elle s’était planté. Pourtant, j’attendais avec impatience ce moment où elle ne serait plus mon élève, où tout me serait permis, autorisé ou presque. Mais non, Blake restait Blake, elle loupait son bac et se cachait. Seulement là, elle n’avait pas le choix, plus le choix, elles étaient convoqués, elle et sa mère avec moi. Je savais ce qu’elle avait raconté a Lyam durant leur entretient, je n’avais rien dit, mais j’imaginais déjà la tête de sa mère ou son regard me fusillant. Enfin, j’avais le dos large, je m’en fichais, mais elle…Trois jours sans nouvelles…J’allais la tuer, me tuer en même temps, mais j’allais le faire.

L’heure arriva et, la mâchoire serrée, j’allais ouvrir, tombant nez à nez avec Emilia Earl, suivit de Blake. Blake qui n’osait même pas me regarder en face, qui regardait ses chaussures, le sol, n’importe quoi mais pas moi. La glace de mes iris s’intensifia alors que je me retenais d’exploser. J’avais toujours été bon comédien, là, je méritais un oscar, littéralement. Je tendis la main a la femme a l’air fatiguée qui accompagnait celle que je rêvais de tuer.

« Madame Earl ? Bonjour, je suis monsieur Hartwood, le professeur de littérature de Blake. »

Je l’invitais a entrer, cherchant le regard de Blake sans le trouver. Elle avait l’habitude de fuir, là, elle m’en donnait un exemple flagrant. Je conduisis donc Madame Earl et sa fuyarde de fille que je rêvais d’embrasser aussi fort que de tuer, a mon bureau, les invitant a s’assoir avant de prendre ma place. Mon visage demeurait neutre, sans expression particulière, j’avais tellement l’habitude de porter un masque que celui-ci ce mettait en place tout seul, comme un reflexe bien rodé.

« J’ai sous les yeux les résultats de Blake a son examen. Autant le dire, je suis surpris qu’elle ai réussis a le rater. »

Entamais je d’une voix tranquille, surfant sur les rythmes habiles de la conversation polie mais importante, attentive.

« Ce n’est pas catastrophique, néanmoins, une seconde année reste nécessaire. »

La tête basse, refusant de lever les yeux, je ne compris ni les tentatives de Liam ni celles de ma mère pour accrocher mon regard. J'étais incapable de la moindre réaction. Je n'osais pas bouger, ouvrir la bouche, dire quoi que ce soit parce que je savais que je craquerais à nouveau. Et je ne pouvais surtout pas craquer devant ma mère, parce que je serais obligée de lui dire la vérité, et qu'elle allait me tuer. Devant Liam en plus ? Je me, nous trahirais forcément. Alors je me taisais, tête baissée, amorphe, déconnectée du monde qui m'entourait.

La voix de Liam, douce, plate, neutre, désespérément neutre, me poignarda lorsqu'elle s'éleva, et ne fit que conforter ma certitude qu'il me laisserait tomber dès qu'il serait au courant. Il jouait trop bien, beaucoup trop bien la comédie. Je passais outre mes doutes, toujours, quand je le revoyais en privé, mais en classe, j'étais toujours à deux doigts de me lever et de lui hurler « Mais tu te fiches de moi ou quoi ? » Là, c'était la fois de trop, le moment où il n'aurait jamais dû être indifférent. Je n'avais même pas conscience d'être injuste, terriblement. Je n'avais pas conscience que c'était moi qui l'avais laissé tomber ces derniers jours et qu'il n'avait pas la moindre idée du pourquoi de mon silence. Je n'avais pas conscience qu'il ne savait pas que j'avais besoin de réconfort et de soutien, terriblement, et je n'avais pas conscience qu'il était obligé de se comporter ainsi devant ma mère.

Je ne réagis même pas lorsqu'il parla d'une seconde année. En temps normal, je me serais outragée, affirmé que j'avais encore les rattrapages, et ajouté que de toute façon le bac était absolument inutile pour avoir les capacités d'entrer aux Beaux-Arts, mais là je restais molle et silencieuse, refusant de prendre part à la conversation sous peine de fondre en larmes. Je ne pensais même pas à quel point ma mère devait avoir peur, craindre terriblement que tout redevienne l'enfer de ma jeunesse. Mon regard était vide alors qu'elle me forçait à le tourner vers elle en encadrant mon visage de ses mains.

« Je ne suis pas sourde », eus-je envie de rétorquer. Mais mes lèvres restèrent closes, et j'échappai à son étreinte pour baisser la tête à nouveau, me cacher derrière un rideau de cheveux bruns, serrant fort les bras sur ma poitrine comme pour me protéger du monde extérieur - mais c'était déjà trop tard.

Et j'étais tellement obsédée par ce secret, par la nécessité de le garder par-devers moi envers et contre tout, que alors que j'ouvrais la bouche pour lui répondre, cherchant quelque chose à dire, n'importe quoi, la seule phrase qui me vint aux lèvres fut l'information qui me rongeait en permanence depuis trois jours, empoisonnant toutes mes pensées et mon existence :

- Je suis enceinte.

Je jetai un regard éperdu à Liam et éclatai en sanglots.

Elle était QUOI ?!

Non, non, rembobinons la machine. Alors on en était au coté, elle a raté le bac, ok…Elle allait faire le rattrapage, ok mais je n’avais pas d’illusion, elle serait obligée de repiquer. J’avais un peu du mal a avaler la pilule. Carrément du mal. Sans compter les trois jours sans nouvelles. Trois longs jours sans nouvelles, le silence radio total. J’avais laissé des messages, mais elle ne m’avait pas rappelé. Et là, pendant que sa mère lui attrapait le visage entre ses mains et qu’elle lui hurlait de réagir sous mon regard surpris et légèrement réprobateur, là pendant qu’elle avait le regard vide…

Enceinte…

Je changeais littéralement de couleur, passant du rouge au pâle le plus transparent. Braquant un regard ahuri sur son visage aussi blanc que le mien. J’avais oublié la mère qui hurlait, secouant sa fille et moi, je la regardais, elle. Rien qu’elle.

Enceinte…

Non, c’était impossible. Non. Impossible. Mes doigts se crispèrent sur mon stylo et celui-ci se brisa dans un craquement sinistre, un petit bout de plastique pénétra mon derme mais ce n’était rien contre le choc qu’elle venait de provoquer. Mais…Non, c’était impossible !

« Pardon ? »

Expression incrédule et murmure estomaqué…C’était impossible ! Enfin si, cela l’était. Mais…Elle ne pouvait pas le garder. Non, elle ne pouvait pas. Elle était trop jeune, on se cachait, non, elle ne pouvait pas. Elle avait encore son avenir a construire, son bac…Ses larmes me déchiraient, me lacéraient le cœur et je ne pouvais rien faire. Vraiment rien faire. Ni la prendre dans mes bras, lui essuyer les joues, la rassurer et ça je ne pouvais pas le faire. Je serrais les poings, incapable de faire quoique ce soit. J’avais un méchant bug. Je refusais cette idée. Non, elle ne pouvait pas être réelle. C’était un cauchemar, un véritable cauchemar…

Pardon ? Pardon quoi ? Qu'est-ce qu'il disait pardon là ? J'eus la soudaine envie de me lever et de lui en coller une. Quoi, pardon ? Faut que je te rappelle toutes les fois où on s'est envoyés en l'air sans protection ? Espèce d'idiot ! C'était de sa faute si j'étais enceinte, il avait tout fait pour ça juste pour avoir une excuse pour me quitter quand il en aurait marre, j'en étais sûre ! Je l'ignorai totalement, secouée de sanglots, le visage enfoui dans mes mains, et je relevai le visage vers ma mère lorsqu'elle prit la parole. Il n'y avait qu'elle, rien qu'elle. Lui, je ne voulais pas le voir. Surtout plus jamais le voir !

- Enceinte ! criai-je, hystérique. Je suis enceinte, je vais avoir un bébé ! C'est pas assez clair, non ?

La phrase suivante et la gifle magistrale qui s'ensuivirent ne me surprirent absolument pas, et je n'aurais même jamais eu l'idée de me défendre. Si j'avais trouvé celle qu'elle m'avait assénée le premier soir où j'étais rentrée si tard de chez Liam injuste, là, je comprenais cent fois sa réaction. A sa place, j'aurais carrément assommé ma fille pour la ramener chez moi et la ligoter à sa chambre. Me tenant ma joue rougie de la main, je m'écriai :

- Je suis désolée, maman ! Je suis désolée !

Je me laissais secouer, incapable de vraiment me défendre, ne le voulant même pas. Elle avait raison, cent fois raison, j'avais fait la pire connerie de ma vie alors qu'elle m'avait prévenue, mise en garde des milliers de fois. Mais je ne savais rien faire d'autre que pleurer et me laisser faire, répétant sans cesse les mêmes mots. Enceinte et désolée. Qu'est-ce que je pouvais bien dire d'autre ?

Ah ouais. Le père.

J'ai enfin daigné prêter attention à Liam, pour lui jeter un regard carrément terrifié. Heureusement, elle était tellement choquée par la nouvelle qu'elle ne risquait pas de s'en rendre compte. J'ouvris la bouche, restai muette, cherchant désespérément quelque chose à répondre. Qui était le père ? Je ne pouvais pas lui dire qui c'était. Mais rien ne me venait à l'esprit. Sanglotante, d'une voix incompréhensible, je balbutiai :

- Je-je sais pas !

Je réalisais même pas ce que mes paroles signifiaient. Je savais juste que je pouvais absolument pas dire la vérité. De toute façon Liam la connaissait lui, et trop bien, même.

Je ne réalisais pas les mots qui étaient sortis de sa bouche que j’avais vénérée mainte fois. Non, c’était impossible qu’elle soit enceinte ! Enfin, si c’était possible dans un sens mais je me sentais blessé qu’elle ne soit pas venue me voir. Totalement estomaqué, je la regardais les yeux grands ouverts sur un océan de pensées contraires. Elle rate son bac. Elle tombe enceinte. Elle allait me tuer. Littéralement. C’est le cri de sa mère qui me réveilla soudainement et je braquais mes yeux glace sur elle alors qu’elle venait de gifler sa fille. Je me levais subitement et écrasa ma paume sur mon bureau, qu’elle se la ferme, que plus jamais elle ne la touche, plus jamais.

« Madame Earl, je vous déconseille de recommencer auquel cas je vous sortirais de cette pièce manu militari. »

Grondais je d’une voix basse, mais qu’elle ne s’y trompe pas, je le ferais sans hésiter, vraiment pas. D’ailleurs cela m’arrangerait fortement de le faire. Je voulais discuter avec Blake, la secouer aussi au passage, même si sa mère s’en sortait très bien pour moi là.

Et la question. LA question. Celle du père, évidemment. Malgré moi, mon corps entier se tendis, non pas par peur qu’elle lâche le morceau, j’étais carrément au dessus de ça là, mais juste parce que j’eus un instant d’hésitation. Et si ce n’était pas moi ? Si sa peur des hommes s’en était allé avec mes baisers ? Si…Mais cette hésitation mourrue d’elle-même. Non Blake ne m’aurait pas trompé, je le savais, tout comme elle savait que moi non plus je ne la trahirais pas.

J’ouvris la bouche comme un poisson hors de l’eau alors qu’elle répondait qu’elle…qu’elle ne savait pas ?! Oh mon dieu Blake ! Je pouvais comprendre quelque part, elle était tenu par le secret qui nous liait et avait répondu la première chose lui traversant l’esprit, mais ce rendait elle compte de ce qu’allait penser sa mère ?! J’étais sous le choc et, a vrai dire, mon cerveau avait bien du mal a joindre les deux bouts là. Je n’arrivais pas a accepter cette réalité qu’elle me balançait en pleine figure, devant sa mère en plus après un magnifique silence de trois jours entiers ! Bon sang ! Ne lui avais je pas dit de venir me voir ? Qu’elle pouvait tout me dire ? Mais Blake restait fidèle a elle-même n’est ce pas ? J’étais sur qu’elle avait cru que si elle me parlait, je la fuerais. N’est ce pas ? Je n’avais même pas besoin de lui poser la question pour savoir la réponse.

« Depuis quand tu le sais Blake ? »

Je n’avais pas le choix, j’étais obligé de lui parler ainsi, avec tendresse mais aussi reserve, ce n’était qu’une elève de plus pour sa mère alors que pour moi, c’était la femme de ma vie. Mais la situation était si difficile, tellement…Trois jours. J’étais sur de ça mais je voulais l’entendre de sa bouche.

« Ne t’avais pas dit que tu pouvais venir me parler n’importe quand si tu avais des problèmes ? »

Cela pouvait passer, en tant que professeur principal, j’étais apte a écouter les problèmes de mes élèves si je voyais que ceux-ci interferait dans leur étude avec trop d’efficacité, mais Blake comprendrait tout de suite de quoi je voulais parler. Je lui en voulais de ce mutisme, de ce silence…terriblement.

Si ma mère ne réagit pas au coup de Liam sur son bureau, moi, j'y réagis. C'est-à-dire que je sursautai si violemment qu'une nouvelle crise de larmes se déclencha, se mêlant à la première. Je lui jetai un regard de reproche à travers mes cheveux, mes prunelles lançant des flammes. Il connaissait très bien ce regard, avait dû le supporter pendant deux ans. Il n'avait pas intérêt à toucher ma mère ! Il ne la connaissait pas, il ne me connaissait pas non plus lorsque j'étais enfant, il ne savait pas ce que j'avais été pour elle ! Il disait me comprendre mais il ne connaissait rien à notre vie. J'aurais fait bien plus que gifler ma fille si elle m'avait sorti comme ça qu'elle était enceinte, à dix-sept ans. Il ne pouvait pas la juger alors que c'était la première fois, ou presque, qu'il la voyait.

Néanmoins, je répondis à sa question. Difficilement, parce que j'avais la gorge tellement nouée que j'en avais mal, et l'impression d'étouffer. Je répondis, comme s'il ne le savait pas, comme si ce n'était pas évident pour lui :

- Trois jours.

Ça faisait trois jours que j'avais pleuré dans les bras d'Alice. Trois jours que je pleurais tout court d'ailleurs. Trois jours que je devais supporter ses appels incessants qui me crevaient le cœur. Trois jours que j'étais convaincue d'être seule. Toute seule.

Je relevai vivement le visage vers lui lorsqu'il me rappela soudain ces paroles sur la plage. Oui, je m'en souvenais. Toute cette rencontre s'était inscrite au fer rouge dans mon esprit, et j'aurais été capable de réciter le moindre de nos mots, de nos gestes. Il m'avait dit que quoi qu'il arrivait, je pouvais m'ouvrir à lui. Et qu'avais-je répondu ? Que ce ne serait pas la peine. Qu'on s'inquiétait pour rien. Qu'il ne se passerait rien. Quelque chose comme ça, oui. Avant de fondre en larmes et de dire que de toute façon, quoi qu'on fasse, ils finissaient toujours par nous abandonner.

J'avais raison, non ? Sa voix était froide. Son regard compassé était trop neutre. Franchement, si vraiment il s'était inquiété pour moi, il aurait jeté la comédie au placard, non ? Il continuait à y penser, obstinément, il faisait comme s'il n'était qu'un professeur parmi d'autres. Je ne savais pas ce qui me retenait de me lever et de cracher la vérité à ma mère. Et je ne pensais pas que, peut-être, c'était la même chose qui le retenait lui. Cet interdit. Cette peur obstinée d'être punis, séparés.

Finalement, je fus soulagée que ma mère prenne la parole, le coupant sans ménagement. Je ne voulais pas lui répondre, je ne savais pas quoi répondre. Je ne réagis même pas lorsqu'elle écorcha son nom, je m'en foutais totalement à vrai dire. Je me levai vivement lorsqu'elle amena nos yeux à se rencontrer et lui pris la main, la serrant à l'en briser.

- Viens maman, on s'en va s'il te plaît.

Je la forçai à se lever et me dirigeai le plus rapidement possible vers la porte, la tirant à ma suite. Je l'avais dédaignée ces dernières semaines, parce que je ne pouvais plus rien lui dire de ma vie, de mes problèmes, qui n'étaient plus du tout de menus soucis d'adolescente. C'était fini maintenant. J'avais besoin de ma mère, j'avais besoin des conseils de celle qui me comprenait le mieux, qui me comprendrait toujours, de celle qui avait vécu la même chose que moi. Lui, je ne voulais plus le voir.

[Et juste parce que j'ai adoré la réaction de Vaness :

[3:43:57 PM] Norah Mancinelli: MA FILLE EST GENIALE, DANS TES DENTS LIAM

Mais je t'aime, Marie, n'en doute jamais ]

Qu’elle me regarde donc, même avec ces yeux là. Qu’elle s’offusque tiens ! Alors qu’elle me rejetait aussi simplement que si je n’avais été qu’un souvenir, une passade. C’était ça Blake ? Dis moi. Parce que c’est ainsi que je le ressentis, douleur atroce qui me lacéra le cœur devant son silence, son manque de confiance, encore. Ces sentiments, les miens, qu’elle piétinait sans vergogne, m’opposant un mur. Condamné sans aucun procès hein ? C’était si facile, cela lui ressemblait tellement. Mais cette fois, je ne pardonnerais pas. C’était mon enfant qu’elle portait et pourtant, elle me refusait la voix au chapitre, me claquant purement et simplement la porte au nez. La fuite encore et toujours. Elle avait oublié ce que je lui avais dit, tout oublié. Parce que c’était plus facile ainsi, parce qu’elle était tellement persuadée de mes intentions qu’elle prenait les devants. Très bien Blake. Je ne ramperais pas devant toi. Je ne m’abaisserais pas a cela, je te l’ai dis, je ne suis pas un gamin depuis longtemps.

Je reportais les yeux sur sa mère avec un demi sourire glacial.

« Vous avez sans doute raison, Madame, ceci est une affaire qui ne regarde que vous deux. Je l’ai bien compris. »

Je me sentais totalement trahit et la trahison avait un gout d’amer, terriblement acide. J’étais raide lorsque je me levai, les accompagnant a la porte sans un seul coup d’œil pour elle. Je l’aimais atrocement mais pas au point de la laisser me faire du mal sciemment. Puisqu’elle ne voulait pas de moi dans sa vie, elle ne m’aurait tout simplement pas. Je savais reconnaitre ma défaite. Le pire étant que je ne perdais pas contre un autre, pas contre une colère légitime, non, je perdais contre ma propre chair qu’elle me refusait sans une once d’hésitation. Alors qu’est ce que j’avais été au final ? Juste un type bon a lui faire passer sa trouille des mecs ? M’avait elle seulement écouté ? J’en doutais. Elle foulait au pied tout ce que je pouvais ressentir avec une telle facilité que j’eus presque envie de la haïr. Cela serait plus facile n’est ce pas ? Elle me faisait mal avec une telle désinvolture que j’en venais a douter d’elle aussi fort qu’elle doutait de moi.

« Je vous souhaite de pouvoir trouver une solution rapidement. Madame Earl ? je vous ferais par de la décision du lycée concernant l’avenir de votre fille, même si tout ceci semble bien dérisoire face a ce qui vous attend. »

Puis, je lui serrais la main et les invitai a sortir, refermant la porte dans un geste qui sonnait un glas intemporel.

[ moi aussi je t'aime chérie ]

Je voulais partir d'ici, je ne voulais surtout plus l'avoir sous les yeux, parce qu'en fait, j'avais beau le détester à l'instant précis, je crevais quand même d'envie de me jeter dans ses bras. Je rêvais de me blottir contre sa poitrine, de sentir ses bras puissants m'entourer, véritable armure contre le reste du monde. Je m'étais toujours sentie protégée quand il me tenait contre lui. Je voulais qu'il me prenne dans ses bras, qu'il caresse mes cheveux, et qu'il me dise que tout irait bien, qu'il ne me laisserait pas. Et je me détestais d'espérer encore parce que je savais parfaitement que ça n'aurait jamais lieu. Qui avait déjà fait ça ? En tout cas, mon père m'avait donné le parfait exemple. Pourquoi Liam aurait-il été différent ? Parce qu'il m'aimait ? Qu'est-ce qui me prouvait qu'il m'aimait ? En cet instant, rien, rien du tout. Et sa voix glaciale, neutre, qui s'enfonçait en moi avec la même douleur qu'une lame, ne faisait que me persuader qu'il n'en avait plus rien à faire de moi. Logique, quoi.

Une affaire qui ne regarde que nous deux. Ce qui NOUS attendait. Pas ce qui l'attendait, lui, moi, non, ce qui nous attendait avec ma mère. Il ne se comptait même pas dedans. Je le savais. Je l'avais dit à Alice ! Je lui avais dit que je ne pouvais pas lui dire ! Elle ne connaissait rien des hommes, elle. Elle, son père s'était marié avec sa mère, ils avaient décidé ensemble d'avoir un enfant, elle avait été pourrie-gâtée, elle ne savait pas ce que c'était qu'un père qui apprenait qu'il allait l'être alors qu'il ne l'avait pas voulu. Moi, je le savais ; j'en avais subi les conséquences toute ma vie. Et ça continuait maintenant... J'étais juste de l'autre côté du tableau. Est-ce qu'on était poursuivies par une malédiction ou quoi ? Est-ce que moi aussi j'allais avoir une fille, qui reproduirait exactement le même schéma ? Je n'étais pas loin d'y croire.

Je marchai machinalement dans le lycée, sans même savoir vers où je me dirigeais, et entrai dans la première salle ouverte que je croisai. Je poussai maman sur une chaise et m'effondrai à genoux à côté d'elle, posant ma tête sur ses cuisses. Les larmes recommençaient à couler, silencieuses cette fois-ci. Je saisis sa main, la serrant fort dans la mienne. Je m'en voulais tellement... Je m'en voulais pour tout. Je m'en voulais pour avoir cru à ses serments d'amour, je m'en voulais pour lui avoir cédé si facilement, je m'en voulais pour être celle qui lui avais proposé cette histoire impossible, je m'en voulais pour n'avoir même pas pensé à nous protéger malgré ma crise de frayeur la première fois, je m'en voulais pour avoir oublié les conseils de ma mère une seule fois, une seule fatale fois. Je reniflai et relevai la tête quand je l'entendis ouvrir la bouche. Je relevai mes prunelles émeraudes larmoyantes vers elle. J'avais besoin qu'elle dise quelque chose. N'importe quoi. J'avais besoin qu'elle me rassure. J'avais besoin qu'elle me dise quoi faire, qu'elle sèche mes larmes et prenne la situation en main.

C'est pour ça que j'ai littéralement explosé quand elle m'a simplement demandé ce qu'on pouvait faire. Ce que j'avais fait. Je me suis relevée brutalement et je me suis mise à crier. Et peu m'importait qu'il y ait d'autres personnes dans le lycée qui puissent m'entendre. J'en avais plus rien à foutre, j'avais plus rien à faire de RIEN !

- Mais tu te fous de moi ? hurlai-je. C'est à toi de me le dire ! C'est toi, l'adulte responsable, c'est toi qui dois prendre les choses en main ! Alors pourquoi tu le fais pas au lieu de poser des questions débiles, hein ? Qu'est-ce que j'ai fait, à ton avis ? J'ai couché avec Liam Hartwood, voilà ce que j'ai fait ! J'ai couché avec... Lia... oh merde...

Je m'effondrai sur une chaise, le visage entre mes mains, totalement effarée par ma propre révélation.

- Je suis tellement désolée, maman... balbutiai-je. Je sais que j'aurais pas dû faire ça, mais il était... Il était tellement persuasif... J'ai pas cru qu'il pouvait me mentir... J'ai essayé, j'ai vraiment essayé, en pensant à toi et papa mais... Suffisait qu'il me tienne dans ses bras pour que j'oublie tout... Je suis tellement, tellement désolée !

J'en revenais pas d'avoir été assez conne pour lâcher son nom comme ça, alors que j'avais réussi à tenir tout le temps où j'avais été en face de lui. J'avais tout fait pour pas craquer et une fois que le danger s'éloignait enfin, je perdais bien et balançais tout comme ça, de la manière la plus débile qui soit. Mes nerfs avaient sans doute trop accumulé, il y avait un moment où on ne pouvait plus se contenir. J'attendais une réaction de sa part, n'importe quoi. Une autre gifle, certainement. Ou un sermon. Ou un effondrement, aussi. En tout cas, je m'attendais pas à cette question. Je relevai les yeux et la fixai d'un air totalement incrédule :

- Pardon ?

C'est seulement après coup que je me suis maudite de ne pas avoir rebondi et saisi la balle au vol. SI elle n'avait pas retenu le nom de mon prof, j'aurais pu sauter sur l'occasion, mais j'étais tellement déstabilisée que j'étais incapable de réagir. Ce qui me fit vraiment réagir, finalement, c'est quand elle me posa cette question tellement incongrue. Totalement désorientée, me demandant si ma nouvelle ne l'avait pas rendue un peu dingue, je répondis :

- Mais... Non... Comment veux-tu que je le voie alors qu'il s'en fiche de moi ?

Et c'est reparti pour un tour. J'étais de nouveau en larmes, rien qu'à repenser à ça. J'aurais adoré voir mon père, même en cachette de ma mère ; au moins ça aurait signifié qu'il se serait intéressé à moi, même en m'ayant rejeté avant ! Bon, est-ce que je l'aurais accepté s'il avait essayé de revenir aujourd'hui dans ma vie ? Sans doute pas. La haine que j'éprouvais pour lui était bien au-delà de celle que j'avais éprouvé pour n'importe qui d'autre, même pour Liam, ce qui n'était pas peu dire. Mais la question n'était pas là. Là, j'avais plus urgent à gérer. Je n'aimais pas du tout cet air de soudaine compréhension mêlé à ce je ne sais quoi d'incrédule qui venait d'apparaître sur son visage.

Je fus incapable de répondre alors qu'elle me demandait confirmation. Je me contentai de me tasser un peu plus sur ma chaise, me rencognant sur moi, échappant à son regard, refusant de savoir ce que je pourrais y lire. Et puis brusquement je sentis une poigne sur mon bras qui me fit me relever soudainement, et j'intégrai les paroles qu'elle venait de prononcer.

- Oh non, maman, je t'en prie, je ne veux plus le voir ! criai-je en me débattant comme une folle alors qu'elle me traînait presque le long du couloir. S'il te plaît, est-ce qu'on ne peut pas régler ça toutes seules ? On s'est toujours débrouillées toutes les deux, on va pas changer ça aujourd'hui !

C'est à ce moment-là que je me rendis compte qu'on s'était arrêtées, face à Liam qui venait juste de sortir de sa salle de classe. Je me pris son regard de glace de plein fouet et il me fit aussi mal qu'une gifle. Émettant un couinement de souris prise au piège, je me dégageai de l'étreinte de ma mère et m'éloignai vivement, prostrée contre un mur. Pourquoi est-ce qu'on ne pouvait pas me ficher la paix ?

Maman m'avait toujours laissé faire ce que je voulais. Elle ne m'avait jamais contrarié, jamais, quand je désirais quelque chose. C'est-à-dire que je n'étais pas exactement une enfant gâtée. Je n'avais pas été couverte de jouets, je ne réclamais pas monts et merveilles pour Noël ou mon anniversaire, mais enfin, elle m'avait toujours laissé une pleine et entière liberté. Je pouvais sortir quand je voulais, je pouvais voir les amis que je voulais - enfin, techniquement non, mais en fait jamais personne ne lui avait déplu - j'avais une quantité astronomique d'activités qu'elle payait en se saignant aux quatre veines, enfin bref, malgré notre train de vie un peu particulier, je n'étais franchement pas à plaindre. Et si tout avait été comme d'habitude, là, nous ne nous serions pas dirigées vers Liam. Non, si tout avait été comme d'habitude, elle m'aurait prise dans ses bras, se serait excusé, m'aurait chuchoté tout en me caressant les cheveux que si vraiment je ne le voulais pas, on ne le ferait pas, et on serait rentrées à la maison, toutes les deux, on se serait fait un chocolat chaud à partager et on aurait discuté de ce qu'il faudrait faire, de comment on s'en sortirait, pour finalement aller dormir toutes les deux ensemble. Quand j'étais avec Liam, j'étais une adulte. Il suffisait d'un rien pour que je me transforme en enfant de les bras de ma mère. Je ne connaissais pas l'entre-deux, c'était soit l'un soit l'autre.

Et là, elle refusait de m'écouter. Pour la première fois de ma vie, ma mère refusait de m'écouter, de protéger sa fille, refusait de faire ce que je voulais. Pourquoi elle ne voulait pas m'aider à me sentir mieux ? Pourquoi elle ne voulait pas comprendre que je n'avais plus envie de le voir ? C'était trop tard ! Depuis quand me forçait-elle à affronter ce que je voulais fuir ? Elle aurait dû m'aider à m'éloigner de lui... Pourquoi juste aujourd'hui ?

J'entendis ses menaces à l'adresse de Liam, et j'hésitai presque à ce moment-là à relever la tête et le défendre. Je voulais lui dire que ce n'était pas de sa faute, que c'était moi qui avais passé le cap, qui avais fini par provoquer notre relation, qui lui avais demandé à coucher avec moi, qui... qui... J'ai failli lever les yeux, expliquer à ma mère que ce n'était pas la peine, que ce n'était pas de sa faute. Et puis brusquement, je me suis souvenue que je ne l'aimais plus, que je ne voulais plus de lui, que je me fichais de ce qu'il pourrait bien advenir de lui.

N'insiste pas, fous-moi la paix. Laisse-moi tranquille. Mais elle restait en face de moi, me tendait la main, obstinément, et je ne pus continuer à l'ignorer plus longtemps. Je me relevai sans lui prendre la main et restai les yeux fixés sur mes chaussures alors que je les suivais de nouveau dans le bureau. Je ne voulais surtout pas participer à la conversation, je ne voulais pas avoir à l'affronter.

Son regard me brûlait. Terriblement. Je sentais qu'il me regardait et cela me faisait trembler de rage et de frustration. Je ne savais plus si je voulais le gifler ou me blottir contre lui pour qu'il me rassure et me dise que tout allait bien. Mais ce n'était pas possible, non ? Il ne voudrait jamais... Ils ne voulaient jamais... Je redressai brusquement la tête pour me retrouver face à son regard furieux. Mais comment, comment se permettait-il d'être en colère ? C'était à moi d'être furieuse ! Il avait bousillé ma vie juste pour satisfaire sa libido !

J'ai craqué. J'ai totalement craqué. Je me suis jetée sur lui, me prenant le bureau quelque part à hauteur des cuisses, me suis à moitié étalée au travers et ai commencé à le frapper. Partout. Sur les épaules, sur le torse, sur le visage, tout ce que mes poings serrés pouvaient atteindre, je le heurtais. Et dans le même temps, je criais, je pleurais, sans même savoir si ce que je disais était compréhensible :

- Arrête de me regarder comme ça ! Tu n'as pas le droit, pas le droit, pas le droit ! Comment tu peux être en colère alors que c'est... toi... qui... m'a... fait... ça ?

Je marquais chaque mot d'un nouveau coup, et j'avais beau avoir vaguement conscience de devenir totalement hystérique, je ne pouvais plus m'arrêter. J'avais juste besoin de lui faire payer ce qu'il m'avait fait !

Peut être aurais je pardonné qu’elle me trompe. Je ne sais pas. Peut être aurais je pardonné qu’elle ai peur. Peut être aurais je pardonné qu’elle s’enfuit. Mais je ne pas pardonner qu’elle me nie. Parce que c’était ce qu’elle faisait. Alors j’avais fermé la porte sur elles, sans un soupir, sans un remord. Je m’étais adossé contre celle-ci passant une main nerveuse dans mes cheveux. Un enfant. Juste un enfant, le mien, qui grandissait en elle. Une part de nous. Le meilleur. Mais j’étais réaliste, elle ne pouvait pas le garder. C’était impossible. Non. Combien j’aurais aimé un enfant d’elle, Blake était trop jeune, trop immature pour le garder. Son avenir était encore a construire. Malheureusement, elle ne m’avait pas donné voie au chapitre, elle m’avait purement et simplement oublié. Pour moi, c’était fini. Je pouvais supporter la douleur, la souffrance, je l’avais fait pendant deux ans, mais je ne pouvais pas m’imposer. Pas comme ça.

Je me décollai de la porte, marchant vers mon bureau, il me restais a faire et pourtant mon esprit était ailleurs. Perdu. Trop. Je n’arrivais pas vraiment a réfléchir correctement, sereinement et uin rire amer me traversa. C’était d’une stupidité sans nom. Vraiment. J’étais pathétique au final.

Je rassemblai mes affaires avant de sortir de ma classe, tombant nez à nez avec Madame Earl. Allons bon. Ces mots me firent l’effet d’une gifle et je tournais le regard sur Blake. Blake recroquevillée dans un coin, tentant sans doute de disparaitre dans le mur. Imbécile. J’opposais un regard surpris a sa mère.

« Entrez. »

En m’effaçant. Mon visage était de pierre, de marbre et mon regard n’était que glace. Je ne savais pas ce qu’elle avait pu dire ou faire. Je savais une seule chose. Je n’étais rien a ses yeux. Vraiment rien. Je reculai jusqu'à mon bureau, y posant mon sac avant de regarder emilia sans vraiment la voir. Non elle, je m’en fichais. Qu’elle pense me contrôler a loisir, elle risquait d’être un peu surprise. Puis, mes yeux glissèrent sur Blake. Qu’elle parle. Qu’elle me regarde. Dis moi que je me suis trompé. Mais tu ne le fera pas. Non, elle préférait fuir, encore et encore. Nier. M’oublier.

Et puis, elle explosa, se jetant sur moi, martelant ma poitrine de ses petits poings. Je la laissais faire une minute ou deux avant de lever les mains, d’enrouler mes doigts autour de ses poignets.

« Suffit Blake. »

Ma voix claquait comme un coup de fouet alors que je plongeais littéralement dans le jade de ses iris. Arrête. Qu’elle arrête. Qu’elle arrête de nier. De mentir. De croire ce qui n’est pas.

« Fais quoi ? »

Répondis je dans un feulement.

« Vas y je t’écoute. Fais quoi ?! Je ne t’ai rien fais Blake. Rien que tu n’ai voulu. Mais ça, tu as vite fait de l’oublier je crois. Veux tu que je te rafraichisse la mémoire ou tu peux le faire toute seule ? »

J’avais oublié sa mère. D’ailleurs, je m’en fichais. Elle n’existait plus. Sa voix n’était qu’un silence, il n’y avait qu’elle. Juste elle.

Risible.

Ce qui me fascinait le plus, finalement, était qu'il réussisse encore, toujours, obstinément, désespérément, à rester neutre. Comment pouvait-il être de marbre alors que ma mère le menaçait de renvoi ? Alors qu'il était évident qu'elle était au courant désormais ? Ses yeux que j'avais longtemps cru de glace, ah ça non, ils n'étaient pas neutres. Ce n'était qu'une fausse impression qu'il opposait à ceux qui ne le connaissaient pas, mais moi désormais, je savais lire en eux, pas forcément justement sans doute, mais suffisamment pour savoir quand il arborait un masque ou pas. Et assez ironiquement, autant en classe je peinais à le remarquer, cherchant désespérément à accrocher son regard, autant là je ne voyais que ça alors que j'aurais préféré qu'il ne cherche pas à me voir. Forcément. Parce que la souffrance, la colère que je devinais en lui, m'empêchait de l'ignorer tout à fait. Parce que je comprenais, inconsciemment, qu'il n'avait pas l'intention de me laisser partir si facilement. Qu'il me voulait encore près de lui.

Quelque part, le frapper était déjà avoir un contact physique avec lui. Il m'avait atrocement manqué pendant ces trois jours. Sans doute aurais-je dû être à ses côtés pendant qu'il me rassurait, au lieu d'être seule à pleurer, mais dans mon esprit, c'était une situation de non-sens total. Ça ne pouvait absolument pas se passer ainsi. Alors maintenant je le frappais, de toutes mes maigres forces comparées aux siennes, je le frappais pour me forcer à remettre en cause mes convictions, et je le frappais aussi et surtout pour pallier à l'envie de me jeter dans ses bras pour retrouver son étreinte protectrice. Ses mains sur mes poignets m'immobilisèrent facilement, mais pas aussi sûrement que sa voix de fer qui avait claqué avec force dans l'air.

Je me suis figée, d'un seul coup, les yeux grands ouverts, prisonniers des siens. Je ne pouvais plus m'échapper. J'étais à sa merci et ça me paniquait, sans que je sache réellement pourquoi. S'il m'en voulait de l'avoir fui, de ne pas lui avoir dit la vérité plus tôt, c'était qu'il ne comptait pas me laisser tomber, non ? Impossible, impossible, impossible, répétait une voix dans mon esprit ressemblant étrangement à celle de ma mère.

- Lâche-moi ! gémis-je, me maudissant pour être incapable de fermer les yeux.

Je tentai de libérer mes bras, vainement. Sa poigne, sans être douloureuse, était ferme et je ne faisais pas le poids contre lui. Sa voix me tuait, la souffrance indicible que je devinais à travers ses mots me tuait. Je détestais le savoir en colère ainsi, à cause de moi, contre moi. C'était précisément ce que je n'avais pu supporter avant que nous ne soyons ensemble. Et il me faisait peur. C'était toujours ou tout l'un ou tout l'autre avec lui. Soit je me sentais rassurée, protégée de tout, soit il m'effrayait terriblement et alors c'était de lui que j'aurais voulu qu'on me protège. Mais la seule ici présente était ma mère. Et que pourrait bien faire ma mère contre un Liam en colère ? Pas grand-chose, cela c'était certain.

- Je ne parle pas de ça ! Mais... c'est toi l'adulte responsable ici ! Tu aurais dû y penser ! C'est de ta faute si je suis enceinte ! Maintenant je vais devoir me retrouver à élever un bébé toute seule, laisser tomber mes études, de toute façon elles démarraient déjà mal, me trouver le premier job qui voudra accepter une ado déjà mère, supporter une sale gosse hyperactive pendant dix-huit ans qui me demandera régulièrement pourquoi son père ne voulait pas d'elle et moi, tout ce que je pourrai lui répondre, c'est que sa mère a simplement été trop conne et s'est fait avoir comme une idiote. Comme sa mère avant elle !

Mes mains avaient réussi à s'approcher de lui, et je ne me rendis pas vraiment compte que j'avais agrippé sa chemise jusqu'au moment où je l'attirai à moi, m'accrochant fiévreusement à lui, blottissant mon visage dans son cou.

- Me laisse pas... Me laisse pas... suppliai-je d'une petite voix étouffée par les larmes.

On y était. Elle se trompait. Elle se voyait déjà mère célibataire. Ne lui avais je jamais donné de preuves de ce qu’elle était pour moi ? N’avais je pas bravé les moralités pour elle ? Ne jouais je pas ma carrière pour elle ? Et malgré tout, elle ne voyait qu’une seule chose. J’allais l’abandonner. Parce que c’était ce qu’il faisait tous n’est ce pas pas Blake ?

Elle tenta de se défaire de mon étreinte, sans succès, je n’allais pas la lâcher si facilement. Ce qu’elle disait avait un sens, c’est vrai. Mais moi j’étais capable d’assumer mes propres choix comme mes propres erreurs, pas elle. Alors il était plus facile de tout me mettre sur le dos hein Blake ! Que je passe pour le méchant adulte qui a abusé d’une enfant et pourquoi pas m’accuser de viol pendant qu’on y était ! L’iris de mes yeux s’étrécit sous la colère, l’amertume aussi, la souffrance sans doute. Je n’avais toujours pas regardé la mère et, a vrai dire, elle aurait tout aussi bien pu disparaitre que je n’y aurais pas fait attention. Elle s’agitait, partait dans un délire que je ne pouvais pas cautionner.

« Arrête ça. »

Sifflais je entre mes dents alors qu’elle se revoyait déjà revivre le calvaire de sa mère. Mais je n’étais pas son père, je ne le serais jamais. Mais elle n’arrivait pas a le comprendre, non, elle était si persuadée que je l’abandonnerais qu’elle ne m’avait même pas donné voix au chapitre, me condamnant sans même avoir de procès.

Elle fini par s’accrocher a ma chemise, sanglotant, se serrant contre moi. Je soupirais lorsqu’elle se fit suppliante. Me priant de ne pas la laisser. Je ne pourrais jamais la laisser. Elle le savait. Je l’aimais trop pour ça. Et malgré tout, tout ce qu’elle m’avait fait, cette gifle immonde qu’elle m’avait asséné en plein tête, je ne pu m’empêcher de la serrer contre moi, aspirant a sa présence qui m’avait manqué durant trois jours. Trois jours où elle avait décidé de souffrir seule, d’avoir peur, seule. Sans soutient ou presque. Trois jours. Cela paraissait peu mais c’était une éternité pour moi. Une de mes mains caressait ses cheveux, un mouvement lent et doux.

« Je te l’ai déjà dit Blake…Pourquoi oublie tu sans cesse mes propres mots ? »

Murmurais je le nez dans ses cheveux, elle semblait tellement fragile a cet instant que j’avais peur de la briser a trop la serrer contre moi.

Je l'aimais. Je l'aimais, bon Dieu, je l'aimais vraiment, il fallait que je l'aime pour m'obstiner encore à rêver d'être avec lui alors que tout était gâché désormais. J'aurais dû le laisser tomber avant que ce ne soit lui qui ne le fasse, le faire souffrir pour ne pas souffrir moi-même lorsqu'il le ferait à ma place. Égoïste ? Je l'avais toujours été au fond, et surtout avec lui. Mais le problème, c'était qu'il suffisait que je me fasse capturer par son regard pour ne plus parvenir à le jeter loin de moi. Je l'aimais, il m'aimait, trop pour notre propre bien.

Et alors que je craquais pour de bon, l'attirant à moi, nouant mes mains autour de sa nuque, laissant mes larmes couler sur son cou, je sentais la glace se faire douce et tendre, je sentais la carapace s'effriter et s'effacer, et enfin tout mon être criait de bonheur alors que sa main caressait doucement mes cheveux, en un geste habituel chez lui, presque machinal, mais pourtant si plein d'amour que je ne pouvais plus que le croire. Et assez curieusement, mes sanglots n'étaient plus dus au désespoir. Il y avait eu une transition que je n'avais su comprendre où ils étaient passés à la joie et au soulagement. J'étais de nouveau dans ses bras. Je lui faisais confiance. C'était aussi simple que ça.

- Excuse-moi... Excuse-moi...

Je balbutiais d'une petite voix étouffée dans son cou ces paroles, sans trop bien savoir de quoi je m'excusais. Sans doute de ne pas lui avoir fait confiance - ses mots, je m'en souvenais, à la lettre près. Je ne pouvais même pas prétendre l'avoir oublié. J'avais retenu la plus petite de ses promesses, et il suffisait que je ne sois plus avec lui pour ne plus y croire... Pourquoi, hein ? Pourquoi je n'arrivais pas à lui faire définitivement confiance ? Y arriverai-je seulement un jour ?

Je n'entendis pas vraiment ma mère m'appeler. Enfin si, je l'entendis, mais je ne me rendis pas vraiment compte de ce qu'elle disait, que c'était à moi qu'elle adressait la parole. Je me sentais simplement légère, immensément soulagée, j'en avais presque mal physiquement tellement cette terreur que j'avais eue pendant trois jours s'était évaporée brusquement. C'était une sensation trop étrange pour être agréable mais finalement tellement apaisante ! Mais je finis par (vaguement) comprendre qu'elle m'avait interpellée lorsqu'elle saisit mon bras et je la laissai me détacher de lui, sans toutefois le quitter du regard, me rapprochant d'elle, hochant la tête à ses paroles.

- D'accord. Je t'attends. D'accord.

Pas à la maison. Si elle croyait que j'allais m'éloigner comme ça, c'était hors de question. Sa phrase suivante acheva de me convaincre et je devins encore plus pâle que je ne l'étais déjà, si c'était possible évidemment. Je murmurai, tête baissée :

- Nan, s'il te plaît... Ne lui fais rien. Je pars, mais laisse-le tranquille.

Je pris mon sac et jetai un dernier regard quelque peu apeuré à maman, puis à Liam, avant de finalement partir en fermant la porte derrière moi. Puis de revenir silencieusement sur mes pas pour coller mon oreille à la porte.

-Arrête de pleurer.

J'avais murmurer a son oreille, tandis que mes doigts faisaient des allers retours dans ses cheveux, lentement, une caresse apaisante alors même que les alentours avaient disparus. Même sa mère s'était effacée de mon esprit et pourtant, elle était là, présente, témoin du spectacle que nous donnions ainsi enlacés. Pourquoi avait elle ce pouvoir immonde de me faire passer de la rage a la tendresse en un claquement de doigt ? Etre avec elle, c'était comme un tour de grand huit, les émotions s'enchainaient si fortement que cela en devenait épuisant parfois. Mais je tenais bon, j'avais toujours tenu bon et je tiendrais encore même si moi même, je me sentais assommé par son aveu, lâché comme ça, sans aucune préparation. Par sa mère soudainement au courant alors même que je voulais reculer l'échéance a sa majorité. Décidemment, rien ne tourne réellement comme on le voudrait.

J'entendis a travers un brouillard la voix d'Emilia, appelant sa fille, mais ni elle ni moi ne réagissons réellement. Finalement, j'écartais les bras, la laissant suivre le mouvement que lui imprimait sa mère.

-" Vas y, je te téléphone plus tard."

J'aurais sans doute préféré qu'elle m'attende chez moi, mais lui donner les clés de mon appartement devant sa mère serait un peu la provoquer plus que de raison. Même si j'avais aussi des choses a lui dire, je me devais de les taires pour le moment.

Son murmure a sa mère faillit me faire rire, mais je me contins, laissant mon regard dans le vide le plus complet jusqu'a ce que la porte ne se referme sur mon coeur.

Je me passai une main dans les cheveux, soupirant lourdement avant de marcher au devant de la fenêtre, laissant mon regard errer sans vraiment le voir, sur le paysage. Bras croisés, je fini par me retourner, m'adossant a la vitre.

-" Je vous écoute."

Autant commencer et je savais déjà par avance ce qu'elle allait me dire. Je m'y étais préparé depuis l'instant où Blake avait posé ses lèvres sur les miennes. La différence d'âge, l'influence parce que j'étais son professeur, cette grossesse surprise et que je ne saurais dire agréable ou non, tellement elle m'avait laissé anesthésié.

« Je vous regarde, Mademoiselle Earl. »

Commençais je en la regardant effectivement. Elle ne pouvait rien lire dans mes iris, pas même deviner mon humeur a l’heure actuelle. Je pouvais affronter la colère d’une mère et sans doute même, avait elle raison sur certain point. C’était exact. Mais le terme pédophile commençait un peu a me sortir par les trous de nez en vérité.

« Cependant, je vais me permettre de rectifier un point concernant le mot pédophile, la pédophilie exprime une attirance envers des enfants prépubères et a ce que je sache, votre fille ne l’est pas. Donc, j’aurais un petit bémol a mettre la dessus. Quand au terme pervers, il désigne une déviance sexuelle et, excusez moi, mais ce que vous trouveriez normal chez un ado de 20 ans n’est pas plus pervers chez lui que chez moi. »

Continuais je tranquillement avant de m’assoir a mon bureau.

« Cependant, si vous pouviez reporter vos insultes et menaces a un peu plus tard, cela m’arrangerait, bien que vous ayez souligné que c’était une affaire de famille, il se trouve tout de même que ce bébé est le mien et je trouve que cela est un peu plus important d’évoquer l’avenir de Blake avant de m’agonir d’injures de toute sorte et de me menacer n’importe comment. »

Je croisais les doigts et posai mon menton dessus, je n’étais ni moqueur, ni mesquin, juste incroyablement précis. Qu’elle déverse sa colère, d’accord, mais pour l’heure, il y avait plus urgent.

« Et j’espère que vous avez conscience que Blake est certainement en train d’écouter derrière la porte… »

Là par contre, j’esquissai un léger sourire amusé. Je la connaissais assez pour savoir qu’elle ne pourrait pas rester dans l’ignorance sinon, elle se rongerait les sangs et..voyons…Redécorerait l’appartement pour évacuer le stress ?