Il est un ange qui s'envole | Kieran

Je sentis Aaron s'asseoir à côté de moi, sa main se poser sur mon dos. Il était là. Il était bel et bien là. Lui qui ne devait pas passer l'été, il était à mes côtés, bien vivant, et même en forme. Plus que moi en cet instant, étrange ironie. Moi, j'avais l'air d'un mort vivant là. En même temps, mon cœur était suspendu à la vie de Sasha, ne battait qu'au rythme du sien et cesserait de battre quand elle quitterait cette vie. Aaron m'assura alors qu'elle s'en tirerait, parce qu'elle était forte. Comme Freddie, comme Blake... Tous semblaient persuadés que sa volonté suffirait à la tirer de là. Si seulement...

- "Elle semble si frêle perdue dans ce lit trop grand avec tous ces... tuyaux."

Aaron m'annonça qu'il resterait avec moi, si je le voulais bien. J'eus un pâle sourire.

- "Bien sûr que je le veux."

Je me redressai, passant une main dans mes cheveux en bataille, avant de le regarder.

- "Tu m'as manqué Aaron. Je n'osais pas croire à ton truc de traitement expérimental, par peur d'être déçu, mais ça a l'air de marcher... Tu es guéri?"

C'était une question dangereuse, parce qu'il pouvait piétiner mes espoirs le concernant en m'annonçant qu'il était en rémission, que le cancer était toujours là, mais maté pour un temps seulement.

- "Tu sais, j'ai l'impression étrange et sans doute stupide, que la mort m'entoure... Mes parents, toi, Sasha... Ça fait beaucoup. Beaucoup trop."

Dis moi que tu es guéri Aaron, dis-moi qu'il existe des miracles. Qu'une leucémie peut en effet disparaitre et te laisser vivre ta vie. Que Sasha peut donc en effet lutter contre la mort et se réveiller.

— Ils l'aident à tenir le coup … Et Sasha est forte, crois-moi.

Il accepta alors que je reste à ses côtés. Je voulais le soutenir comme il l'avait fait pour moi. Il me regarda alors, me disant que je lui avais manqué, ce à quoi je répondis par un léger sourire. Lui aussi, mais je devais m'éloigner … Du moins, j'allais devoir le faire lorsque Sasha sera remise. En attendant, il était hors de question qu'il se passe de ma présence. Il dit alors qu'il n'osait pas croire à cette histoire de traitement, il avait peur d'être déçu. Je comprenais. Il me demanda alors si j'étais soigné… Kieran …

— Je … Bientôt Kieran.

Ne pas dire non, mais ne pas non plus passer pour un miraculé. Il enchaina alors sur le fait qu'il pensait attirer la mort. Ses parents, moi et Sasha … C'est beaucoup pour lui et aujourd'hui il n'était pas en état de le supporter. Alors je devais être la, le soutenir. Ne pas le laisser seul.

— J'étais malade avant de te connaitre Kieran … Et je ne suis pas mort, Sasha non plus… La mort ne t'entoure pas, tu as juste tendance à nous enterrer un peu trop tôt…

Lui souriant doucement je repris.

— Ce qui est arrivé à tes parents est regrettable, mais des accidents ils en arrivent tout les jours et personne n'en ai réellement responsable. Sasha va s'en sortir, je te le promet et moi, je ne suis pas prêts de passer l'arme à gauche. Kieran, tu as sortie Sasha de l'enfer où elle s'était enfermé, tu l'as sauvé de l'underground, tu as fait d'elle quelqu'un d'exceptionnelle. Tu prends soin de ta soeur et la protège du monde. Tu m'as fait revivre et reprendre confiance en mes proches … Tu n'attires pas la mort Kieran … Tu nous sauves de nous-même, du monde…

Passant une main dans ses cheveux, j'y remis le désordre qu'il avait tenté de dissimulé.

— Tu nous as appris à être fort, et égoïstement, nous te demandons de faire de même pour nous. Et tu l'aies toujours… Kieran arrête de croire à de telles choses, elles sont fausses ! Sans toi je ne sais même pas si j'aurais tenté ce foutu traitement, je ne sais même pas si j'aurais accepter la chance de renaitre. Sans toi Sasha serait toujours Blue et elle n'aurait pas envie d'un avenir. Sans toi Sorcha serait sans aucun doute dans un couvant entrain de prier un dieu un peu trop égoïste. Alors tu vas la fermer, je ne veux plus t'entendre débiter de telles conneries … Tu n'es pas maudit Kieran ! Vraiment pas !

Me redressant un peu dans mon siège je tournais les yeux vers le patron de Sasha avant de revenir à Kieran. Tiens le coup mon grand … Elle y arrivera, elle peut le faire.

Je savais que toutes ces perfusions étaient là pour soigner son corps, pour la maintenir en vie, mais quelques fois, cela ne suffisait malheureusement pas. Il me répéta qu'elle était forte. Je l'espérais, je l'espérais vraiment. Que son désir de vivre serait plus puissant que la facilité de mourir. J'espérais qu'elle ne se réveillerait pas seule. Ni qu'elle mourrait seule. Je ne me pardonnerais pas de ne pas avoir été près d'elle, quelle que soit l'issue.

Cependant, pendant quelques minutes, je me focalisais davantage sur mon cousin que sur Sasha. Parce que lui, il avait l'air en pleine forme, alors que j'avais quitté un simulacre de cadavre quatre mois plus tôt. Inévitablement, à le voir ainsi, je lui demandai s'il étai guéri. Cela sembla le troubler et il bafouilla que c'était encore en cours. J'esquissai un mince sourire, ombre de celui que je pouvais avoir quand j'allais sortir une connerie :

- "Ah... Merde, tu vas finir par être plus balèze que moi à ce rythme."

Cela dit, impossible de chasser longtemps les pensées déprimantes qui m'agitaient et mon sourire mourut alors que je lui faisais part de mon sentiment d'attirer la mort autour de moi. Je savais bien que c'était ridicule comme raisonnement. Mais ça faisait beaucoup de coïncidence. Et puis, après avoir vu un ange à l'œuvre, franchement, se dire qu'on attirait la mort, ce n'était plus si délirant. Ma main plongea dans ma poche alors que je caressais la plume argentée, comme pour me convaincre de sa réalité et que je regardais Freddie. Aaron aussi lui jetait des regards. Pas des regards indifférents, mais comme s'il lui disait quelque chose.

Aaron répondit alors, me disant que j'avais tendance à les enterrer trop vite. Je soupirai. Non, pas vraiment, juste que j'avais conscience des choses et ne croyais plus guère aux miracles après ce qui m'était arrivé. Il reprit son argumentation, énumérant les faits et ce que j'avais bien pu faire pour aider mes proches. Il allait encore me faire pleurer à m'encenser comme ça. Alors que franchement, je ne me pensais pas si formidable. Ni aussi fort. Il me passa la main dans les cheveux, les ébouriffant au passage. Je leur apprenais à être fort et ils me demandaient de l'être aussi. Combien de fois m'étais-je effondré dans les bras de Sasha? ou même d'Aaron? Ce n'était pas de la force ça. Pourtant, il continua en me citant ce qui serait arrivé si je n'étais pas là.

- "Arrête, tu exagères, je ne suis pas un ange qui fait des miracles et remet les gens dans le droit chemin."

Petit coup d'œil à Freddie, en simultanée avec Aaron. C'était quand même bizarre.

- "J'espère que vous avez raison, qu'elle est effectivement assez forte... De toutes façons, je ne peux que m'en remettre à Dieu. Merci Aaron."

D'être là, de penser de telles choses de moi, même si c'était exagéré ou juste pour m'apporter un peu de soutien.

Plus balèze ? Peut-être pas, en fait si … Mais bon, c'était pour d'autre raison. Il avait besoin d'évacuer et je le laissais faire. Le laissant vider son sac avant de lui faire comprendre qu'il n'était pas un synonyme de mort. Il nous aidait … Il me dit alors d'arrêter. Selon lui il n'était pas un ange qui faisait des miracles et remettait les gens dans le droit chemin … Avec ce que je sais aujourd'hui je ne pouvais qu'abonder dans son sens. Kieran était tous sauf un ange. Il était bon. Ok il ne faisait pas de miracle, mais il aidait bien plus que certain ici.

Il dit alors qu'il espérait que nous avions raison. Qu'elle était forte. Il s'en remettait à dieu … Non Kieran, ne t'en remet pas à lui. Il me remercia et je lui souris dans le but de le réconforter. C'est alors que le patron de Sasha se leva. Indiquant qu'il allait prendre un café. Il informa Kieran qu'il avait régler les problèmes d'admission et que tout était bon. Il me regarda alors en me disant que j'avais l'air d'aller mieux depuis la dernière fois. Un miracle … Euh … Ce sentiment étrangement dérangeant ne serait pas un signe … Un appel pour me dire qu'il n'était pas ce qu'il paraissait être… Ma bouche s'ouvrit et j'aurais voulu le suivre pour savoir ce qu'il était, mais je devais être avec Kieran. Je devais le soutenir.

— Tu n'as pas à me remercier, tu as fait la même chose pour moi.

Posant ma tête contre le mur, je savais qu'il allait falloir attendre. Patienter le retour de la belle. Et si Azraëlle me cherchait ? Je risquais gros, mais je ne pouvais pas abandonner mon cousin. Il avait besoin de moi. Prions pour qu'elle soit trop occuper (IL EST DEDANS) pour venir me chercher. Car là … Je n'aurais plus vraiment le droit d'approcher Kieran.

— Sorcha doit venir ?

Comment ça parler d'un sujet à coté pourrait aider à lui changer les idées ? Ok, pas si à côté, je parlais de sa soeur quoi.

Je fus surpris quand Freddie posa sa main sur mon épaule, m'annonçant qu'il allait se chercher un café, se sentant complètement inutile. Hélas, il me semblait que nous étions tous dans ce cas. Moi aussi je me sentais inutile. Je ne pouvais rien faire pour aider Sasha à se réveiller, à vivre tout simplement. Je ne pouvais pas me battre à sa place. Je ne pouvais pas lui donner de la force pour qu'elle y puise le courage de revenir vers moi. Non, je ne pouvais faire qu'attendre et cela me rendait fou. La présence de Freddie et d'Aaron me faisait du bien, me sortant de ma morne veille au chevet de Sasha. Freddie continua en disant qu'il s'était occupé de la paperasse et je souris légèrement, un sourire forcé quelque part, mais j'étais quand même sincèrement reconnaissant qu'il se soit occupé de ça.

- Merci.

Il n'était vraiment pas obligé de faire tout ça. Sasha n'était qu'une stagiaire, dans sa boutique depuis à peine quelques mois et il la prenait en charge comme quelqu'un de sa famille. C'était vraiment sympa. Surtout que Sasha n'avait personne, mise à part moi et dans ce cas précis, c'étaient vraiment des formalités dont je pouvais me passer. Il y avait Blake aussi, mais cette dernière n'ayant toujours pas accepté leur lien de sang...

Freddie regarda alors Aaron, avant de faire une remarque sur son rétablissement. Je glissais un regard vers mon cousin qui ne répondit rien. Freddie tourna les talons pour se mettre en quête de son café tandis qu'Aaron me répliquait que je n'avais pas à le remercier, que j'avais fait pareil pour lui. Il me demanda alors si Sorcha devait venir. Je haussai les épaules :

- Je ne sais pas. Je lui ai dis qu'elle n'était pas obligée de venir, qu'il était déjà tard, mais bon, tu la connais comme moi, elle est têtue... Alors je pense qu'elle ne devrait plus tarder.

Je soupirai, avant d'ajouter :

- Je ne savais pas que tu connaissais le patron de Sasha. Le monde est petit.

Kieran m'avait systématiquement prévenu à chaque fois qu'il sortait. Il y avait même des périodes où c'était limite s'il ne me demandait pas l'autorisation, généralement quand nous nous étions disputés puis réconciliés, parce que nous n'avions plus que l'autre, parce que ça faisait trop mal d'être fâchés, parce que nous ne voulions pas risquer une entente fragile fraîchement retrouvée. Bien sûr, maintenant, il avait Sasha, alors ce n'était pas pareil qu'avant, mais de mon côté, je m'étais efforcée de me décrocher un peu de lui et de me faire de nouveaux amis, ici, à Londres. Il y en avait une en particulier, une fille de ma classe timide et discrète comme une souris qui était plutôt du genre solitaire et de qui je m'étais naturellement rapprochée, peu désireuse de tenter de m'incruster dans des groupes déjà créés. Il s'était avéré que le courant était très bien passé et nous avions gardé le contact pendant l'été. Elle suivrait une filière scientifique quand je passerais en littéraire, alors nous ne serions plus dans la même classe l'an prochain, mais j'espérais que cela ne nuirait pas à notre début d'amitié. Mes amies irlandaises me manquaient atrocement. Nous échangions par mail mais cela devenait de plus en plus froid et impersonnel, et lorsque Kieran et moi étions retournés chez nous, notre vrai chez-nous, je n'avais pas réussi à retrouver en les croisant cette complicité qui nous unissait autrefois. Quelque chose s'était brisé et je m'étais sentie atrocement seule en découvrant cela.

Blake avait Alice. Et le père de son enfant, sans doute. Kieran avait Sasha. Même Aaron avait Sarah, aussi hautement désapprouvais-je cette relation. Et moi, j'étais seule. Toute seule, désespérément seule. Je n'avais que Kieran, qui lui avait déjà commencé à se refaire une vie. Il était celui qui partait pourtant le plus mal et finalement... Finalement il s'était reconstruit quand j'étais encore sur pause.

Néanmoins il ne m'oubliait pas et il s'efforçait de partager équitablement son temps entre Sasha et moi, ce dont je lui savais gré. Avec la rentrée, la faculté, il avait bien moins de temps libre et c'était délicat de jongler avec tout cela mais il s'en tirait bien, et à vrai dire je n'exigeais pas grand-chose de lui. Rien que de travailler dans la même pièce que lui, rester silencieux côte à côte, ça me suffisait et cela m'encourageait. Je voulais suivre son exemple, réussir aussi à faire quelque chose de prestigieux, qui pourrait servir à l'humanité. Jusque là, je n'avais fait que trop de dégâts. Mais je n'avais pas d'idées. A part inventer des histoires, que savais-je faire de bien, finalement ? Et mes histoires, je ne pouvais même plus les écrire. J'y arrivais beaucoup plus difficilement avec un clavier d'ordinateur qu'avec un stylo, et j'avais depuis longtemps abandonné, me contentant de légendes saisies quelque part dans mon imagination et libérées doucement, dans une fraîche soirée d'été irlandaise...

Et il y avait une chose qu'il avait toujours pris garde de faire, c'était de me prévenir. Je savais toujours lorsqu'il était à une soirée, ou chez Sasha, ou même chez Blake. Il savait à quel point je m'inquiétais facilement depuis la mort de nos parents et jamais il n'aurait commis l'erreur de disparaître sans me dire où il était, pourquoi il partait. Je n'avais pas tellement besoin de détails, j'avais déjà conscience d'être plus qu'envahissante. Et pourtant, je ne parvenais pas à me sentir gênée de le surveiller comme ça, même si je ressentais régulièrement un pincement de culpabilité, parce que j'avais vraiment trop peur pour lui.

Et là, il avait totalement disparu de la circulation.

Je l'avais appelé dix-sept fois. Il n'avait jamais répondu. J'avais laissé treize messages. Je connaissais son répondeur par cœur maintenant. J'avais appelé chez Blake, chez Alice, j'avais même cherché dans l'annuaire le numéro de téléphone du lieu de travail de Sasha. Ça ne répondait pas là-bas et les filles ne savaient pas plus que moi où il était. J'avais appelé Aaron, sans grand espoir puisqu'il n'était plus là, il ne savait rien. Je tournais en rond dans la maison et j'avais même failli insulter ma cousine qui m'avait soufflé d'un air agacé d'arrêter de m'angoisser, qu'on se foutait bien d'où il était et que c'était un grand garçon. Imbécile ! Sa mère avait eu l'air d'approuver, seul mon oncle avait eu l'air de se sentir mal à l'aise pour moi mais il n'avait rien dit, et sa compassion avait vite laissé la place à l'indifférence sur son visage. Tant mieux, je ne voulais surtout pas de sa pitié, pas après avoir vu comment il avait traité Aaron. Et puis, j'avais réussi à l'avoir.

- KIERAN CAHILL ! J'étais totalement morte d'inquiétude ! Où es-tu ? Qu'est-ce que tu es en train de faire ? Pourquoi tu ne m'as pas prévenue ? Plus jamais tu ne me fais ça, Kieran, tu entends ! Plus jam...

Je dois avouer que sa voix d'outre-tombe - pourtant neutre quelque part, ce qui la rendait encore plus effrayante - me calma net. Je restai bouche bée et pris conscience que des larmes coulaient sur mes joues. D'inquiétude pour Kieran ? Peut-être un peu pour Sasha aussi. Cela avait très mal démarré entre nous mais le voyage en Irlande avait achevé de nous rapprocher. Je l'aimais beaucoup, je savais qu'elle convenait parfaitement à mon frère et je ne voulais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Et puis... Je savais que Kieran sombrerait de nouveau.

- Tu veux que je vienne ? demandai-je d'une voix très douce. Oui, je sais, mais ce n'est pas grave, ajoutai-je alors qu'il me parlait de mauvais souvenirs. Bon, tiens le coup, Kieran, d'accord ?

Je raccrochai et me jetai dans le métro. Non, je n'avais pas du tout envie de retourner à l'hôpital. Je détestais cela. C'était un lieu irrémédiablement lié à la mort pour moi, et ce serait pire encore avec Sasha qu'avec Aaron, parce que Sasha avait été blessée, accidentellement, comme nos parents. Mais je devais être là pour soutenir mon frère.

Ce furent les plus longues minutes de ma vie, et je manquai me casser la figure en grimpant quatre à quatre les marches qui me mèneraient au dehors. Je me renseignai rapidement à l'accueil et m'efforçai de reprendre mon calme en marchant un peu plus posément dans les couloirs. Je souris en entendant la voix d'Aaron et passai la porte de la salle d'attente.

- Oui, je suis là, fis-je avec un pâle sourire. Ça fait plaisir de te revoir, Aaron. On dirait que ton traitement fonctionne.

J'avais prié pour lui quand Kieran m'avait parlé de ce traitement expérimental, et visiblement mes vœux avaient été exaucés. Même pas besoin de demander, ça se lisait sur son visage. Je me rapprochai de Kieran, m'assis à ses côtés et lui pris la main.

- Elle va mieux ?

— Ouais, j'étais tombé sur son studio par hasard. Mais oui, le monde est petit.

Quand on parle du loup, j'avais à peine parlé de Sorcha que la voilà qui arrive. Me saluant avant de rejoindre son frère. Me levant alors, j'embrassais la joue de ma cousine pour la saluer. Lui laissant au passage ma place. Il avait autant besoin d'elle qu'elle de lui et je n'alliais les déranger plus longtemps. Je reviendrais en temps voulu. Ou quand Sasha irait mieux. J'avais une brutale envie de meurtre envers celui qui avait fait ça. Une pulsion que je devais garder au fond de moi, mais si je l'avais face à moi … Je le détruirais, sans aucun doute, cellule par cellule.

— Je vous laisse un moment, je suis pas loin ok ?

M'éclipsant alors, je me dirigeais inconsciemment vers la fameuse machine à café. Ça m'énervait de savoir que je le connaissais et d'en même temps … Ne pas le saisir entièrement. Soit il avait changé, comme moi, soit j'étais enfin capable de percevoir quelque chose que je ne pouvais sentir en étant mortel. En tout cas, sa réflexion m'avait clairement donné envie d'en savoir plus. C'est bien le suicide ? Et j'allais sans aucun doute me faire tuer par Azraëlle si jamais elle venait à apprendre que, de une, je n'avais pas coupé tous les ponts avec ma famille, et de deux, je fonçais vers l'inconnu en ayant une sale impression.

Sortant alors mon portable de ma poche, je priais pour n'avoir aucun appel manqué d'Azraëlle, ni de Ryu d'ailleurs. Et heureusement pour moi, ce ne fut pas le cas. Et puis, lentement, je relevais la tête, m'approchant de cette fameuse machine, je rangeais mon portable avant de m'arrêter à quelques mètres de lui. Ne le regardant pas vraiment.

— Si j'ai l'air d'aller mieux, vous avez bien changer depuis la dernière fois.

Moment de crise, incertitude sur ce qu'il était … bref, on vouvoie pour éviter de se foutre dans la merde.

Aaron se contenta de me répondre qu'il était tombé sur le studio de Freddie par hasard. Je lui jetai un regard suspicieux. Il y avait un truc un peu bizarre... Aaron avait regardé avec insistance Freddie et la petite phrase concernant la guérison miraculeuse d'Aaron n'était pas sortie par hasard à un presque inconnu, rencontré une fois dans une boutique.

Mais l'arrivée de ma sœur me fit oublier tout cela. Elle salua Aaron, faisant une remarque elle aussi sur son traitement, avant de venir s'asseoir près de moi. Ses grands yeux clairs luisaient d'inquiétude et de compassion. Aaron en profita pour s'éclipser et je hochai la tête, avant de regarder Sorcha. Je lui avais dit que ce n'était pas la peine de venir. Je savais son horreur des hôpitaux, puisque c'était la même peur que la mienne. Pourtant, elle était là. Nous étions unis dans l'adversité, nous étions là l'un pour l'autre quand il y avait des coups durs.

Je me souvins alors de sa question et répliquai d'une voix que je voulais atone et donc ne trahissant pas mon propre désarroi :

- Elle a été opérée... Ils ont fait ce qu'ils ont pu mais... Enfin, les prochaines 24h seront décisives en fait. Et ils ne savent pas quand elle se réveillera. Si elle se réveille.

Raté. Ma voix n'était pas du tout contrôlée et elle se fêla sur la fin, après avoir tremblé. J'avais toujours un nœud au niveau de la gorge, alors que les larmes n'étaient jamais très loin. Sauf que je ne voulais pas pleurer devant ma sœur. Je ne voulais pleurer devant personne en fait, mais je ne réussissais pas à contenir mes larmes, malheureusement. Sorcha ne m'avait-elle pas dit que c'était stupide de vouloir jouer au fort en sa présence? Que je pouvais montrer que moi non plus, je n'allais pas bien?

- Je ne pensais pas revivre ça... Quand je l'ai vue dans cette ruelle... Avec tout ce sang... j'étais tétanisé. Je ne pouvais rien faire Sorcha. Encore une fois, je ne pouvais rien faire...

Aaron me déposa un rapide baiser sur ma joue avant de s'en aller, nous laissant tous les deux. Je m'installai auprès de Kieran, lui prenant la main et il entreprit de me décrire ce qui s'était passé. Je parvins à ne pas me figer, à ne pas laisser mes yeux naviguer dans le vide, regardant des souvenirs atroces au lieu de la réalité, cependant, je ne pus m'empêcher d'atrocement pâlir. C'était dur, trop dur parce que ça me rappelait tout ce que les médecins nous avaient dit à propos de ma mère. Elle, elle ne s'était pas réveillée. Comment étais-je censée rassurer Kieran à partir de là ? J'étais trop bien placée pour savoir que ce n'était pas parce que les gens devaient vivre que leur corps les laissait faire.

Mais je ne pouvais pas laisser Kieran dans cet état. Ça ne servait à rien de venir si je n'étais pas capable d'être forte et de le soutenir. Je lui avais toujours dit qu'il n'avait pas à faire semblant d'être fort en ma présence... Néanmoins, voir des larmes couler sur le visage de mon frère me donnait l'impression que le monde s'écroulait. Je déposai un baiser sur sa joue, en effaçant une délicatement.

- Elle va se réveiller. J'ai prié pour elle. Il ne voudra pas te faire subir ça une deuxième fois. Ce ne serait pas juste.

Je me mordis la lèvre alors qu'il me parlait de ces souvenirs, encore, ces souvenirs qui m'assaillaient presque aussi fort que lui. C'était horrible d'avoir l'impression d'être téléporté ainsi plus d'un an en arrière.

- Tu peux y croire ! Crois en elle, en sa volonté ! On a tous fait ce qu'on pouvait. Elle a été opérée et ça s'est bien passé, c'est déjà bien, cela aurait pu très mal se terminer ! Maintenant il n'y a plus qu'elle et Dieu. Tu crois toujours en Dieu, Kieran ? Tu as toujours confiance en lui ?

Je le regardai en souriant :

- Moi, j'ai confiance. Parce que s'il t'a fait rencontrer Sasha, il ne te l'arrachera pas si facilement.

C'était difficile de me laisser aller avec Sorcha. Non pas que je n'ai pas confiance en elle, cela n'avait rien à voir, mais c'était surtout parce que j'étais l'aîné, que j'étais son frère et que c'était à moi de prendre soin d'elle. J'avais toujours essayé de paraître fort et assuré, comme si je savais exactement ce que je faisais pour nous, comme si je n'avais aucun doute. Ce qui était loin d'être le cas. Mais les parents donnaient toujours cette impression à leurs enfants et j'avais tenté de faire de même avec ma petite soeur.

Mais aujourd'hui, c'était moi qui avais besoin d'aide. Moi qui risquais de perdre Sasha. Je l'aimais trop, presque désespérément. Je m'étais raccroché à elle, quelque part et elle m'avait donné la force de relever la tête et de faire des projets d'avenirs. Je ne concevais pas qu'elle puisse disparaître de ma vie. Je ne pouvais pas l'imaginer tant cela me faisait suffoquer d'horreur et de solitude. Sorcha ne pourrait jamais remplacer Sasha et réciproquement. Elles n'avaient pas la même place dans mon cœur et l'une ou l'autre ne me suffisait pas. Elles se complétaient.

Sorcha m'embrassa alors doucement la joue, avant de m'assurer que Sasha allait s'en sortir puisqu'elle avait prié pour cela. j'eus un sourire amer à sa réflexion innocente, naïve.

- Tu crois que la vie est toujours juste?

La mort de nos parents était-elle juste? Non, elle ne l'était pas et celle de Sasha n'aurait pas davantage ou moins de sens. Parce que ça n'en avait aucun, quoiqu'on en dise. Et qu'on me sorte que les desseins du seigneur étaient impénétrables pour nous autres mortels, me donnait envie de hurler.

Il y avait trop de souvenirs dans les hôpitaux et que des mauvais. Sorcha avait vécu la même chose que moi, c'était tout aussi difficile pour elle, mais cette fois, égoïstement, je n'en tins pas compte. Sorcha m'enjoignit de croire en Dieu et d'avoir foi en lui. Sasha avait déjà survécu à l'intervention, c'était beaucoup. Oui, et Dieu pouvait décider de me l'arracher après m'avoir laissé espérer...

- Et si c'était parce que je n'ai pas le droit d'être heureux après ce que j'ai fait?

Avec Sasha, j'avais oublié ma mélancolie, mon malheur... Ma culpabilité. Peut-être était-ce une punition après tout.

- J'aimerais avoir cette confiance...

Ma main se porta à la fine croix que je portais autour du cou, la sortant de mon t shirt pour la montrer à Sorcha. Avais-je encore la foi? je n'en savais rien... Je priais, mais cela suffirait-il...

Bien sûr que non, la vie n'était pas toujours juste. Et c'était terriblement difficile de défendre un Dieu invisible, évanescent, face aux doutes insidieux de Kieran lorsque l'on avait subi quelque chose d'aussi atroce que cet accident qui nous avait coûté la vie de nos parents. Je n'avais jamais cherché à convaincre ou persuader les autres de l'existence d'un dieu, de les empêcher de mener une vie dissolue. Les gens faisaient ce qu'ils voulaient. Mais pour ce qui était de Kieran, j'avais toujours considéré important qu'il continue à avoir foi en nos croyances. Je ne savais pas pourquoi. Je considérais mon frère comme un pilier, mais aurais-je pour autant douté de Dieu si Kieran s'en était détourné ? Sans doute pas. Je ne savais pas vraiment pourquoi j'avais besoin qu'il continue d'y croire.

- Il faut qu'il y ait un équilibre ou tout s'effondrerait. Elle a été suffisamment injuste avec nous comme cela.

Ce n'était pas une explication. Ce n'était même pas une excuse valable. Et je doutais fort que cette phrase minuscule suffise à convaincre mon pessimiste de frère. Blake, ça lui aurait suffi. Blake réussirait sans doute mieux que moi à lui réconforter le moral, parce que quand elle disait des phrases de ce genre, elle y croyait dur comme fer. Moi, ce n'étaient que des paroles en l'air. Le seul soutien que j'avais trouvé...

- Kieran... Tu as été pardonné.

Je m'humectai les lèvres. Je n'avais pas tellement envie de dire ce que j'allais dire. J'avais cru Kieran coupable. Parfois, aujourd'hui encore, quand je pleurais silencieusement mes parents la nuit, je le haïssais de toutes mes forces d'avoir provoqué cet accident. Je lui mentais éhontément en lui affirmant qu'il n'y était pour rien, que je pensais qu'il n'y étais pour rien. Ce n'était pas vrai. Et j'avais demandé, comme je me doutais qu'il l'avait fait lui-même, j'avais demandé si pour cela il risquait de ne pas être pardonné par le Seigneur. Tu ne tueras point. Kieran avait tué nos parents, même involontairement.

- Tu ne l'as pas fait exprès. Et tu regrettes. Cela suffit. Tes remords sont une punition suffisante... On ne va pas t'arracher celle qui t'aime, que tu aimes, et qui parvient à te redonner goût à la vie.

Je posai ma main sur la sienne, entourant sa croix. Continue à la porter et à croire en ce symbole, Kieran...

- Quand elle se réveillera, tu pourras l'avoir. Parce que tu sauras que j'avais dit vrai.

Il faut un équilibre où tout s'effondrerait... J'aurais aimé être aussi certain que Sorcha qu'il y avait une justice dans les épreuves que l'on pouvait se voir infliger. Les prêtres disaient que Dieu ne nous infligeait jamais davantage que ce que l'on pouvait endurer. J'aurais aimé que cela fut vrai, parce que je savais que je ne me relèverais pas du départ de Sasha. Ce serait trop pour moi. Alors si vraiment c'était une vérité absolue... Sasha se réveillerait. Je me raccrochais à cette pensée magique, absurde, enfantine... j'avais eu ma période, je crois aux miracles, je crois aux fées et aux farfadets, mais c'était terminé depuis bien longtemps. Cela m'avait amusé de voir Blake y croire dur comme fer et Sorcha enjoliver encore davantage la réalité pour appuyer l'imagination de mon amie.

Enjolive ma réalité Sorcha...

Je relevai la tête vers ma soeur quand elle m'assura que j'avais été pardonné. Il y avait donc bien eu faute pour qu'il y ai pardon. Elle m'avait toujours assurée que ce n'était pas ma faute, qu'il n'y avait rien à pardonner... Simplement pour ne pas accroître encore ma culpabilité? Elle avait souffert elle aussi, elle gardait des séquelles de ce terrible jour, aussi bien psychologiques que physiques. Si elle, elle pardonnait, moi, je ne me pardonnais pas. Et je ne me pardonnerais sans doute jamais.

Elle continua, disant que mes remords étaient une punition suffisante et qu'on n'allait pas m'arracher Sasha en prime. Pourquoi sentais-je une condamnation silencieuse derrière se paroles? Punition... Je devais être puni et Sorcha le disait clairement. Sa main se posa sur la mienne, alors qu'elle me disait d'avoir la foi. Je fronçai les sourcils, avant de lâcher cette croix et de lâcher, plus comme une affirmation, qu'une interrogation :

- Tu m'en veux.

Je marquai une pause, pas certain de vouloir m'engager là dedans, mais c'était peut-être enfin le moment d'être honnêtes.

- Tu as toujours dit que non, mais tu me penses coupable de leur mort... Ce qui est vrai d'ailleurs.

Ne me condamne pas Sorcha...

J'avais hésité. J'avais vraiment hésité, parce que je connaissais Kieran par cœur. Son instinct, la façon qu'il avait de deviner des vérités se profilant derrière des mots. De plus, il avait toujours été convaincu que je le pensais coupable de mes parents, et m'employer à le convaincre que non alors qu'il avait raison avait été une lutte de tous les instants, un véritable acharnement. Mais s'il y avait une chose sur laquelle j'étais prête à mentir toute ma vie, c'était bien celle-là. N'importe quoi pour que mon frère se sente mieux et sache sortir de cette foutue dépression... Aussi coupable le pensais-je, j'avais besoin de lui et je l'aimais. Je savais bien qu'il n'avait pas assassiné nos parents, c'était un accident. Il était la seule famille qu'il me restait...

Il n'y avait rien à faire, c'était clair que Sasha était bien plus douée que moi pour le réconforter et lui redonner sa joie de vivre. Bien sûr que j'étais jalouse. Et même maintenant que j'avais appris à l'apprécier, j'éprouvais toujours un pincement au cœur lorsque je la voyais rire avec mon frère, ou pire encore l'embrasser, et je me consolais en me rappelant que c'était le cours normal des choses. Les frères et sœurs grandissaient, se trouvaient des petits amis, se séparaient, c'était ainsi. Moi-même, je serais bien contente que Kieran ait Sasha pour l'occuper quand je me trouverais quelqu'un, je le savais. Et l'important était que Kieran sourît à nouveau, peu importait qui en était l'instigateur. J'avais appris à passer outre.

Alors qu'était-ce donc le plus important... La sauvegarde de ce mensonge guère efficace ou bien qu'il croie en la survie de Sasha ? Il fallait qu'il y croie. Absolument. Seule cette pensée pourrait le réconforter. Et si jamais elle ne se réveillait pas, je passerais moi-même dans l'autre monde pour la tuer une deuxième fois, point. Elle n'avait pas le droit d'abandonner mon frère ! Cette fois, il n'échapperait pas à une réelle dépression, et je n'osais imaginer ce qu'il serait capable de faire de pire. Et encore, j'ignorais à quelle saleté il avait cédé la dernière fois...

J'avais préféré lui dire ces mots, quitte à ce qu'il devine ce que je pensais réellement. Et c'était soudainement beaucoup plus difficile de se souvenir de Sasha et du bien-être qu'elle lui apportait quand ses yeux d'obsidienne se rivaient ainsi à mes iris verts, implacables de vérité, m'empêchant de m'enfuir.

- Kieran...

Je ne savais pas quoi dire en vérité. Je n'allais tout de même pas lui répondre un simple oui !

- Kieran, écoute-moi...

Je ne savais même pas quoi lui répondre en vérité. J'espérais au moins que le gaélique l'attendrirait un peu. Pitié, Kieran, ne m'en veux pas... de t'en vouloir. Ça ne m'a jamais empêché de continuer à t'aimer... Cent fois j'aurais voulu être capable d'arrêter de te considérer comme le coupable de l'accident ! C'était un véritable supplice que de considérer sa dernière famille, son frère adoré, comme le meurtrier de ses parents.

Parfois, aux prises avec mes remords, je me disais que j'étais aussi coupable que lui dans mes mensonges.

- Ne dis pas ça, je t'en prie... C'est du passé maintenant. Il n'y a plus à s'en soucier. Tu dois arrêter de vivre dans ce souvenir... Papa et maman sont certainement heureux de voir que tu aies retrouvé le sourire grâce à Sasha. Tu imagines à quel point ils doivent avoir peur pour toi, en cet instant ? Ils sont forcément en train de veiller Sasha eux aussi, pour qu'elle se réveille, pour qu'elle puisse venir te réconforter... Concentre-toi sur ça. Uniquement sur ça.

Ma main s'était serrée sur mon propre pendentif, et en même temps que je priais, j'égrenais des prières dans ma tête. Je ne savais même plus à qui elles étaient adressées tellement j'avais peur ; au Seigneur, à mes parents, à Sasha, sans doute même à Kieran. N'importe qui ayant la possibilité de sauver la situation, de tout point de vue !

En cet instant, où j'avais besoin de soutien, plus que tout, de ma sœur, les révélations m'assommaient. Oh, j'avais toujours su, finalement, qu'elle m'en voulait, même si elle disait le contraire, mais se l'entendre ainsi confirmer faisait mal. Une blessure de plus... Je n'étais plus à cela près, mais cela faisait toujours aussi mal. Ce n'était pas la première fois que ma sœur me blessait cruellement... Et le pire était qu'elle ne le faisait même pas sciemment. néanmoins, je décidais de l'affronter, d'affronter ses griefs, une bonne fois pour toutes. Qu'au moins, nous laissions cela derrière nous. Sasha était entre la vie et la mort dans la pièce d'à côté et moi, je parlais de ma culpabilité quant à la mort de mes parents avec ma sœur.

Tout était parfaitement normal.

Sorcha n'avait sans doute pas songé que je pourrais déchiffrer ses accusations muettes derrière ses paroles et elle se retrouvait prise au dépourvu par ma soudaine accusation. Je frémis quand elle reprit en gaélique, lui jetant un regard acéré alors que ma mâchoire se contractait de contrariété. Je n'aimais pas qu'elle change de langue dans cette situation, comme si elle cherchait à m'amadouer. Et malheureusement, cela avait tendance à fonctionner alors que roulait cette langue qui n'appartenait qu'à nous. Nous rappelant qui nous étions et qui je n'oublierais jamais que j'étais. Dusse-je vivre 50 ans en Angleterre, je serais irlandais jusqu'à la fin de ma vie. Enfin, 50 ans, sans Sasha, ce n'était même pas la peine d'y songer.

Elle reprit alors, me disant de me concentrer sur le fait que nos parents seraient heureux de me voir sourire de nouveau, grâce à Sasha. Je la regardais, avec une réelle douleur dans le regard. Parce que dans ses paroles, elle ne parlait que des défunts. Pas des vivants. Pas d'elle. Pas de ce qu'elle pouvait ressentir elle. Je ravalais une bouffée de tristesse, avant de doucement glisser ma main derrière sa nuque, pour venir l'embrasser sur le front.

- Puisses-tu me pardonner un jour Sorcha. Ce n'est pas de la bienveillance des morts dont j'ai besoin, mais de la tienne. Je suis désolé.

Je soupirai, avant de la relâcher et de me relever.

- Je vais retourner près d'elle. Je te tiens au courant. Tu devrais rentrer, tu ne vas pas passer la nuit ici. Préviens Aaron qu'il peut s'en aller aussi s'il le désire. Merci d'être venus.

Je marquais une pause avant d'ajouter :

- Fais attention à toi.

Je lui souris, un sourire un peu figé, avant de retourner dans le service, m'asseyant sur un fauteuil près de Sasha, prenant sa main entre les miennes et lui parlant pour la faire revenir, lui disant tout ce que j'avais sur le cœur, tout ce que je voulais faire avec elle. Au petit matin, le sommeil eut raison de moi et je lâchais enfin prise.

Elle ne s'était toujours pas réveillée.

Je ne sus dire à quel point le soulagement m'envahit lorsque je vis qu'il n'allait pas se mettre en colère, soulagement presque aussitôt contrebalancé par la douleur que je voyais dans son regard. Je ne m'en sortirais pas aussi facilement. Peut-être qu'il ne me montrerait pas qu'il m'en voudrait, que je l'avais blessé, mais sa souffrance était mienne. Je baissai les yeux, incapable de soutenir son regard alors qu'il me demandait de lui pardonner. Cela m'était insupportable, alors que je lui avais menti si longtemps. N'était-ce pas plutôt à lui de me pardonner de n'avoir su être franche avec lui ?

- Je t'ai déjà pardonné, Kieran.

Je venais juste de le faire. Je réalisais à l'instant que je ne lui en voulais plus, qu'il avait effectivement largement expié sa faute par ses souffrances et ses remords. Je venais de lui pardonner, parce qu'il n'avait franchement pas à supporter le poids de mes reproches en plus de celui de sa conscience torturée et de Sasha entre la vie et la mort. Il ne méritait pas que sa sœur lui en veuille. J'avais aussi beaucoup de choses à me faire pardonner, ces derniers mois... Il était temps que je m'occupe de mon cas avant de vouloir gérer celui de mon frère.

- Je vais rentrer mais ne t'arrête pas à l'heure qu'il peut être ou d'autres stupidités si tu as besoin de moi. Tu m'appelles, c'est tout. Je serai toujours là pour toi, Kieran. Et Sasha sera à tes côtés aussi. On a beau être toutes petites, à nous deux, on devrait réussir à te soutenir.

Je déposai un baiser sur son front, lui adressant un ultime sourire d'encouragement avant de disparaître. Arrivée à la maison, je fus incapable de penser à autre chose qu'à Sasha et au désespoir de mon frère.

Non, Sasha, tu n'as pas le droit de faire une chose pareille. Seigneur, ne détruisez pas mon frère.