L'ange n'aura jamais d'ailes | Kieran

J'avais lutté, toute une partie de la nuit, pour ne pas m'endormir, pour guetter chaque signe de vie chez celle qui me ravirait le cœur si elle venait à rejoindre les anges. Ma discussion avec Sorcha m'avait troublé, peiné aussi, mais je l'endurais, parce que sa colère, sa rancœur, vis à vis de moi, étaient tout à fait légitimes. Je m'en voulais et elle m'en voulait, malgré ses assertions, malgré ses démentis successifs. Elle avait sans doute choisi le pire moment pour enfin être honnête, mais au moins était-ce fait. Je l'aimais toujours, énormément. Comme elle m'aimait, malgré tout. Les liens du sang étaient plus forts que tout.

Comme les liens du cœur. Un lien qui risquait de disparaitre, vaincu par quelque chose de plus puissant encore : la fatalité. La mort. Si Sasha me quittait, elle risquait d'emporter une partie de moi avec elle. Je ne pouvais pas continuer à me disloquer ainsi, à perdre des morceaux de mon âme et de mon cœur à chaque perte douloureuse.

Je m'endormis donc, vaincu par la fatigue, l'épuisement même. J'étais sur les nerfs, mais j'étais aussi las, terriblement las, quand tout s'écroulait autour de moi. Je m'endormis en serrant la main de Sasha dans la mienne. Et je me réveillai en sentant une pression sur ma main, relevant brutalement la tête alors que les machines s'affolaient brutalement, mais que le visage de Sasha restait serein, paisible... Endormi. Une pléthore d'infirmières et un médecin intervinrent, alertés par les alarmes et me repoussèrent pour examiner Sasha sous mon regard anxieux.

- Elle a serré ma main...

Je murmurais, avant de comprendre que c'était bon signe. Si elle pouvait serrer quelque chose, c'était que son cerveau fonctionnait correctement non? Je repris plus fort, complètement délaissé :

- Elle a serré ma main !

Une infirmière me regarda et sourit, une lueur maternelle dans le regard, mais rassurante en même temps. Ils finirent par laisser Sasha, non sans que le médecin m'assure qu'elle allait se réveiller, que ses fonctions cognitives semblaient en bon état, que c'était très encourageant. Là, elle dormait simplement. Ils l'avaient extubé et elle respirait. Je repris ma veille près d'elle, non sans envoyer des messages à Aaron, Sorcha et Blake. Pour les tenir au courant de l'évolution.

Je repris donc ma garde, refusant de m'endormir cette fois. Je murmurais quelques mots à Sasha, l'encourageant à se réveiller. Lui avouant tout mon amour, tout mon espoir. Et enfin... Enfin, j'entendis un filet de voix, SA voix alors qu'elle me sortait... Une connerie. J'ouvris des yeux ronds, avec une impression d'irréalité soudain. Alors voilà, c'était terminé l'angoisse, la peur? Elle était hors d'affaire et ces dernières 24h n'avaient été qu'un cauchemar? Je ne pus m'empêcher de rire soudain, alors que mes nerfs lâchaient et que des larmes se mêlaient au soulagement.

- Oh par Dieu Sasha...

C'était un soulagement tel que je me sentais presque vaciller, étourdi par cette sensation qui me submergeait. Je me redressai, avant de caresser son front, l'embrassant avec une infinie douceur.

- Tu m'as fait tellement peur... J'ai cru que tu... ne reviendrais pas. Comme mes parents.

Si elle était livide, moi j'étais complètement débraillé, une ombre de barbe se dessinant sur mes joues, des cernes violacées soulignant mes yeux sombres et toujours vêtu de ce haut d'hôpital. Je posai mon front contre le sien, ne lâchant pas sa main, celle qui avait serré la mienne, qui avait signé son retour à la vie.

Elle n'était pas morte. Elle avait été plus forte que cela. Comme Aaron, Blake et Sorcha l'avaient dit. Comme Freddie me l'avait affirmé. Des paroles réconfortantes qui n'étaient que du vent, simplement prononcées pour donner du courage, pour m'empêcher de sombrer dans l'abîme du désespoir alors que la moitié de mon âme s'enfonçait dans un ailleurs qui m'était interdit. La force, la violence de mes sentiments pour elle m'effrayait parfois. J'étais ainsi, un passionné, écorché vif, hypersensible, qui aimait avec autant de force qu'il haïssait. Je m'étais raccroché à Sasha et elle était devenue le centre de mon univers, en très peu de temps. Sans doute me prendrait-on pour un fou, un gosse immature, un Roméo de pacotille si j'avouais à voix haute ce que je ressentais quand elle était là, l'enfer que je vivais quand elle était loin. La petite mort que j'avais du vivre alors qu'elle oscillait entre la vie et la mort.

Mais Roméo avait été un inconstant, délaissant sa Rosaline dont il était fou, pour la pure et jolie Juliette. Je n'avais jamais éprouvé ça pour quiconque et ne le ressentirais plus jamais. Soulagé, brisé, épuisé, je lui avouais alors, à mots couverts, ma terreur pour elle et elle répliqua qu'elle ne se le serait pas pardonnée. Là où elle aurait été, aurait-elle pu me voir souffrir? Aurait-elle souffert à son tour? les anges existaient-ils? Les défunts gardaient-ils un œil sur nous comme l'affirmaient mes parents quand j'étais enfant? Aucune idée, mais c'était là une pensée réconfortante.

Elle murmura alors qu'elle m'aimait et je sentis la pression se relâcher alors que j'étouffais un sanglot dans un rire étranglé, qu'une larme solitaire dévalait ma joue et que je fermais les yeux pour les retenir.

- Tu es tout Sasha. Tout pour moi. Dire que je t'aime serait encore trop faible comparé à ce que je ressens pour toi, à ce que tu représentes pour moi.

Je soupirai contre ses lèvres, l'embrassant de nouveau, avant de m'écarter et de récupérer un verre d'eau, conscient de sa voix éraillée. Doucement, je glissai une main derrière sa nuque, l'aidant à se redresser et l'aidant à boire, aux petits soins pour elle, inquiet devant sa pâleur. Elle avait perdu tellement de sang... Je la relâchais, plongeant ma main dans ma poche, soudain songeur. Sans Freddie, elle serait morte. Qu'avait-il fait? Et qu'était-il au juste? Ma main effleura la plume grise et la sortit, intacte, argentée. Je la regardais un instant, avant de jouer machinalement avec.

- Tu as mal?

Elle s'était pris un coup de couteau dans le ventre... Elle avait été opérée. Elle devait souffrir maintenant qu'elle était réveillée.

Elle me supplia de ne pas pleurer et je pris brutalement conscience des larmes sur mes joues et de l’image complètement pathétique que je devais lui offrir à son réveil. Je m'essuyai rageusement les joues du revers de la main, avant de lui sourire, un sourire sans doute artificiel, un peu faussé, mais sincère. L'angoisse se devait de disparaître complètement, parce qu'elle n'avait désormais plus lieu d'être. Sasha allait s'en sortir. Il n'y avait aucune raison que cela en soit autrement n'est-ce pas? J'avais quand même développé un côté pessimiste qui me faisait tendre le dos en attendant la prochaine tuile. Elle était réveillée, oui, mais si sa blessure se rouvrait ? Si elle faisait une complication quelconque ? Une infection ? On ne pouvait pas être totalement certain que tout irait bien... Mais naturellement, je n'allais pas confier ces angoisses idiotes à Sasha. Non, j'allais être fort, le temps qu'elle se remette et tuant d'optimisme complètement feint.

Elle me confia avoir entendu ma voix et s'être souvenue de pourquoi elle vivait. Pour moi, sans doute. Résister à la facilité du néant, de la mort, pour se raccrocher à la vie, pas toujours facile, qui donnait des coups et se montrait parfois sans pitié. Une vie que nous affronterions ensemble, quoiqu'il arrive.

- Et jamais je ne te donnerais une occasion de regretter de t'en être souvenue.

Une promesse de faire de sa vie la plus belle qui soit. c'était sans doute pas vraiment évident pour le moment, nous étions encore jeunes, moi étudiant, elle travaillant comme elle pouvait, mais d'ici quelques années... Nous aurions la vie que nous voudrions et je me battrais pour cela. Je lui demandais alors si elle avait mal et elle ne sut vraiment répondre, sans doute encore engourdie par ce qui passait dans ses perfusions. Machinalement, j'avais sorti la plume échappée des ailes de Freddie, la tournant entre mes doigts, ce qui n'échappa pas à Sasha. Je lui montrai alors, lui révélant son éclat argenté, avant de souffler :

- La preuve d'un miracle.

Je relevai le regard vers elle.

- Tu aurais du mourir Sasha... Ta blessure était si grave, la perte de sang si importante, que tu aurais du mourir.

Ma voix vibrait, trahissant mon émotion à cette idée, qui m'était tout simplement insupportable. Mon univers sans elle? Inconcevable. Elle me demanda alors de rester avec elle et je la regardais avec surprise.

- Je n'avais pas l'intention de partir... De te quitter une seule seconde. Ces dernières heures ont été un enfer, je vais avoir besoin de temps pour me convaincre que c'est fini, que tu es bien là, avec moi.

La preuve en était que je ne la lâchais pas, sentant sa main un peu froide dans la mienne, la dévorant du regard comme si je la redécouvrais... Et peut-être était-ce le cas après tout. Je me souvins alors que d'autres personnes étaient suspendus à la vie de Sasha et je sortis mon portable de ma poche, écrivant rapidement un SMS que j'envoyai à Aaron, Sorcha et Blake, pour les rassurer. Et puis, une autre idée me traversa soudain et je regardai Sasha, confus :

- Je n'ai pas prévenu Adam... Je n'ai pas son numéro et en fait, je n'y ai même pas pensé...

Malgré moi, comme un gamin, je ne pus m'empêcher de lui tirer la langue avec un petit air malicieux alors qu'elle me répliquait que si je voulais vraiment sourire, que cela soit au moins sincère. Non, mais, c'était facile pour elle de dire ça... Bon, aussi un moyen de me dérider et de me faire dédramatiser la situation. Elle me connaissait bien. Son aveu que c'était ma voix qui l'avait fait revenir d'entre les morts me noua la gorge alors que je lui répondais que j'espérais faire en sorte que jamais elle ne regretterait ce choix. Elle doutait fort que je puisse lui faire regretter quoique ce soit un jour. J'espérais mériter cette confiance qu'elle avait en moi, qui était sans doute bien trop grande.

Elle s'intéressa à la plume avec laquelle je jouais depuis quelques secondes, me demandant ce que c'était. Je lui répondis le plus honnêtement possible. Le symbole d'un miracle et c'était effectivement le cas. Je n'allais pas lui balancer que son patron était une sorte d'ange qui avait déployé ses ailes, apposé ses mains sur elle et avait empêché une artère de trop saigner. Elle allait penser que j'avais eu un coup au crâne pour déblatérer de telles conneries. J'allais devoir parler à Freddie avant de faire quoique ce soit, parce que tout cela, ça venait poser pas mal de questions en fait. J'étais un fervent croyant, mais de là à croire aux anges quand même... il y avait un monde. Pas plus que je n'avais foi dans les miracles. Et là, j'avais assisté à un miracle, fait par un ange...

- Désolé, je divague, le manque de sommeil sans doute.

De toutes façons, elle ne semblait pas vouloir s'attarder sur ce sujet, la fatigue ayant raison de sa curiosité. Il lui faudrait bien des journées ici pour se remettre et je ne savais absolument pas quand elle sortirait de l'hôpital. Le fait était que je ne pouvais pas rester à ses côtés indéfiniment. Chaque heure de perdue dans mon programme de fou était préjudiciable et si je ne voulais pas passe 10 ans en faculté à force de redoubler mes années, je me devais d'être le plus assidu possible. Surtout que je n'allais pas vivre pendant des années avec l'assurance vie de mes parents. Je me devais de gagner ma vie et d'être responsable. Sasha travaillait déjà, moi, ce ne serait pas avant des années. Je resterais avec elle encore quelques jours.

Elle me dit alors que j'avais sans cesse l'impression de tout prendre d'elle et de ne rien lui donner, une impression erronée. Elle me disait que je lui donnais énormément. Un conversation que nous avions déjà eu. Elle m'avait redonné goût à la vie et moi, j'avais donné un sens à la sienne. C'était assez équitable en fait. Elle m'invita alors à dormir, se décalant en grimaçant alors que je faisais de même, par empathie... Imaginant sa douleur, sachant parfaitement ce que cela faisait de se retrouver cloué dans un lot d'hôpital... Je n'étais pas certain que les infirmières allaient apprécier que je dorme avec elle, mais tant pis. Je ne pouvais rien lui refuser. J'enregistrai le numéro d'Adam, avant de lui envoyer un SMS comme quoi Sasha avait été agressée, qu'elle était à l'hôpital et qu'elle venait de se réveiller, que la phase critique était passée.

Je vins me coller contre elle, glissant un bras sous sa nuque pour qu'elle vienne se nicher contre mon épaule, caressant doucement ses cheveux en un geste lent pour l'aider à s'endormir. Ce qu'elle fit, ne résistant pas longtemps. Doucement, je me dégageai, résistant au sommeil moi aussi, quittant la chambre à pas de loup pour rentrer rapidement chez les parents d'Aaron. Là, je retirai les vêtements que je jetai à la poubelle, pris une douche pour me débarrasser des traces résiduelles de sang... Son sang. Je laissai couler l'eau plusieurs minutes sans rien faire d'autre que revoir son corps inconscient et plein de sang.

Rageur, je fermai l'eau, rouvrant les yeux en chassant ces images macabres pour me sécher, me rhabiller rapidement et retourner à l'hôpital. les infirmières étaient passées par là, remettant de l'ordre dans la chambre et je me glissai de nouveau près de Sasha, embrassant doucement sa tempe en lui murmurant :

- Je t'aime.

Dors mon ange, je prendrai soin de toi.

- Ce que tu es intransigeante.

Bon d'accord, elle sortait d'un coma, avait perdu trois litres de sang... Moi, j'avais juste angoissé comme un fou pendant des heures, en attendant son réveil, comme si ma vie en dépendait et ne dormant qu'une poignée d'heures. Ce n'était rien à côté, évidemment... Mais je savais que cela n'était teinté que de tendresse et je répondis avec la même douceur, savourant son contact, sa voix, son regard, tout son être. Aussi ne protestais-je pas quand elle me demanda de dormir à côté d'elle, de rester avec elle. Je la laissais s'endormir, avant de m'échapper de son étreinte, pour rentrer chez moi et me doucher, me changer, effacer toute trace de cet horrible cauchemar avec une frénésie étrange. Ce n'était pas mon genre de perdre mon calme, mais en l'occurrence, mes nerfs craquèrent, loin des témoins.

Cela ne dura pas longtemps et je repris vite contenance, retournant à l'hôpital et récupérant ma place auprès de Sasha, me lovant contre elle alors qu'elle cherchait instinctivement ma chaleur. Je lui murmurai à l'oreille que je l'aimais, avant d'enfin me détendre, enfin lâcher prise et sombrer à mon tour dans un sommeil sans rêve. Et sans cauchemar. Sasha était hors de danger, tout irait bien désormais, je ne pouvais que me raccrocher à cette pensée rassurante.

Et le fait était que j'étais tellement épuisé, qu'elle se réveilla avant moi. Il lui suffit d'un mot pour me tirer du sommeil. J'ouvris les yeux soudainement, croisant son regard sombre. Elle était toujours pâle, mais avait l'air moins maladif, moins catégorique. Un sourire fleurit sur mes lèvres, spontanément.

- Bonjour.

Je la vis grimacer un peu et n'osai pas bouger de peur de lui faire du mal. Ses points de suture lui faisaient mal, surement. Elle reprit la parole en disant que Freddie allait la tuer, lui ayant conseillé de ne pas prendre ce raccourci. Je soupirai, avant de lui embrasser tendrement le front.

- D'un côté, il aurait raison, mais je le laisserais juste t'engueuler.

Pas la tuer. Surement pas. Même si c'était au sens figuré du terme. Mais qu'il lui passe un bon savon, ça, je ne l'empêcherait pas. Il avait eu aussi peur que moi, sauf qu'il avait bien mieux géré.

- Sans lui, tu serais morte.

Parce qu'il l'avait guéri, par je ne sais quel procédé. Parce qu'il avait dirigé les premiers secours, me guidant alors que je cédais à la panique.

Je ne répondis rien quand elle me rétorqua que Freddie faisait peur en colère. Il était... autre chose. Jusqu'à quel point était-il différent d'elle et moi? Lui qui avait des ailes argentées, lui qui pouvait guérir, quels pouvaient bien être ses autres pouvoirs? Oui, en colère, il ne devait pas être rassurant, mais il tenait trop à Sasha pour lui faire le moindre mal, j'en étais intimement convaincu.

- Si cela t'empêche de recommencer...

Enfin, la peur qu'elle avait eu et qu'elle m'avait fait devraient sans doute suffire. Elle avait failli mourir en n'écoutant pas les conseils de son patron, et elle en avait réchappé de justesse. Sasha n'était pas idiote, ni immature à vouloir défier l'autorité. Cela lui avait servi de leçon, je n'en doutais pas une minute.

Les muscles de mon ventre se contractèrent quand elle passa son bras autour de moi. Elle me faisait décidément toujours le même effet, même sans que le désir ne s'y mêle. J'étais trop crevé pour ça, et elle, pas franchement en état. Mais son contact réveillait mon amour pour elle, ma passion.

Je lui avouai que sans Freddie, elle serait morte et elle leva un regard grave vers moi, avant de me confier ne pas se souvenir de grand chose. Je soupirai quand elle se mit à ma place. Devenir folle? Mais oui, bien sûr que j'étais devenu fou et que je ne concevais pas mon avenir sans elle, ma vie sans qu'elle n'en fasse partie.

- Quand tu m'as... parlé dans l'ambulance...

Ma gorge se noua brusquement alors que me revenait en tête ce moment, pénible. J'avais cru la perdre à ce moment là et je m'étais senti mourir avec elle.

- Tu m'as fait tes adieux... Plus jamais Sasha... Ne me fais plus jamais ça.

J'étais peut être un peu trop franc et je regrettai presque mes paroles aussitôt que je les eus proféré. Je n'avais pas à lui parler de ça, à lui dire le mal qu'elle avait pu me faire en parlant ainsi, alors qu'elle se pensait perdue. Cela ne servait qu'à la faire culpabiliser et c'était bien la dernière chose que je souhaitais. Pour autant, j'étais incapable de lui mentir et il m'était aisé de poser des mots sur ce que je ressentais quand je lui parlais. Et ces mots d'adieux... Ils étaient gravés dans mon esprit au fer rouge. Jamais je ne les oublierais, sans doute, ni la douleur qui les avait accompagné alors que je l'avais perdue, l'espace de quelques secondes, ridiculement courtes pour tout le monde et horriblement longues pour moi.

Elle s'excusa alors, parlant de ce qu'elle avait ressenti à ce moment là. Pas de la terreur non, alors qu'elle s'en allait. Ce n'était pas comparable avec la mienne. Mourir, c'était oublier. Rester, c'était vivre avec ce manque atroce qui ne vous laissait jamais réellement de répit. Elle se nicha contre mon cou, sa voix tremblant et je resserrai doucement mon emprise sur elle.

- Non, c'est moi qui suis désolé, je ne devrais pas te parler de ça, ni te donner l'impression de t'en vouloir.

Elle me promit qu'elle ne m'abandonnerait jamais et j'eus un sourire, triste.

- Ne fais pas de promesses que tu ne pourras pas tenir Sasha. Ou précise que tu ne me quitteras jamais intentionnellement.

J'embrassai doucement son crâne, me voulant plus réconfortant.

- C'est bon, c'est terminé, n'en parlons plus, tu es sauve, tu vas te remettre, c'est tout ce qui compte désormais.

Et, avec une note malicieuse dans la voix, je lui soufflai :

- Et dés que tu iras mieux, nous irons tester les cabines d'essayage, depuis le temps...

- T'en vouloir ?

Je la regardais comme si elle avait perdu l'esprit. Comme si je pouvais lui en vouloir d'avoir été agressée. D'accord, elle avait tenté le destin en prenant ce raccourci déconseillé et mal fréquenté, mais de là à lui inculquer la faute de cet enfer, il y avait un pas, que je ne franchirais pas. Non, ce n'était pas sa faute, mais celle de ce type qui avait voulu lui voler son sac et l'avait poignardée au passage. J'espérais qu'on allait le retrouver et qu'il allait payer cet enfoiré...

- Je ne t'en veux pas Sasha. J'en veux à ce type qui t'a agressé. Et j'espère que la police va le retrouver.

Lui en voulais-je d'avoir prononcé ces paroles qui sonnaient comme des adieux? Non... Elle m'avait fait peur oui, mais ce n'était pas par égoïsme, même si je l'avais pris ainsi sur le moment. Avec le recul, je comprenais juste qu'elle s'était sentie partir et ne voulait pas me laisser sans me dire ce qu'elle avait sur le cœur, sans quelques recommandations. Sur le coup, cela avait été intolérable. Mais c'était naturel. Elle me promit de ne jamais me quitter et je lui fis corriger sa promesse. Il pouvait se passer bien des choses. Mais il était certain que je ne la quitterais jamais parce que je ne l'aimerais plus. Et cela semblait être son cas à elle également.

Je me sentais plus serein, plus apaisé alors qu'elle était blottie contre moi, le nez dans mon cou. Elle était ma moitié, mon autre, sans elle j'étais comme incomplet. Une telle osmose était difficilement croyable, et pourtant, elle existait, pour nous deux. Je préférais donc parler d'autre chose, abordant le sujet des cabines d'essayage. Depuis le temps que nous en parlions... Dés qu'elle serait de nouveau en forme, nous nous exécuterions. Et j'allais me creuser les méninges pour apporter un petit grain de folie dans notre vie. Pour la surprendre. Pour ne jamais lui faire regretter d'être restée parmi les vivants.

Elle commenta ses futurs essayages et me devança en parlant de petite jupe et non pas mini. J'eus pourtant un sourire triomphant.

- Ahah, c'est une nouvelle étape de franchie! J'arriverais à te faire porter une mini jupe, tu verras. Et j'aurais tout loisir d'admirer tes jolies jambes ainsi mises en valeur...

Si mon ton était humoristique au départ, il se fit plus chargé d'émotion à la fin, alors que je resserrais mon étreinte autour d'elle, sentant son épuisement. Elle devait se reposer, mais c'était un miracle de pouvoir lui parler après avoir frôlé de si près la mort.

- Tu devrais te reposer Sasha. Tu dois reprendre des forces. Je reste avec toi.