Il est un ange qui s'envole | Kieran

Terminées les vacances et l'insouciance que cela avait fait renaitre en moi. Il avait bien fallu refermer cette parenthèse enchantée. J'avais adoré et chéri ces vacances avec les personnes qui comptaient le plus pour moi. Il n'avait manqué qu'une seule personne : Aaron. j'avais pensé avec angoisse qu'il serait mort pendant mon absence, mais il avait pu bénéficier d'un traitement expérimental et inédit, par je ne sais quel miracle et finalement, cela avait semblé fonctionné. A vrai dire, je m'étais trop accroché à cet espoir pour réellement me poser des questions au sujet de ce traitement et de sa disparition. Il m'avait tenu régulièrement au courant et cela avait suffi à alléger ma conscience et à profiter pleinement de ce voyage. Voyage mouvementé s'il en est avec son lot de révélations fracassantes. Entre la grossesse de Blake et le lien familial entre elle et Sasha... Il y avait eu de quoi faire.

Et pourtant, malgré les chamailleries, les quelques froids entre nous, cela était vite passé et les filles avaient amplement profité de ce séjour. Elles avaient néanmoins été heureuses de rentrer, surtout Blake, ne serait-ce que pour retrouver son Liam, lui raconter tout ce qu'elle avait vu, dessins à l'appui et aussi pour parler du bébé. Je n'avais fait que lui seriner de l'intégrer à sa grossesse. Elle s'y efforçait. Je ne pouvais pas lui en demander davantage.

Sasha avait reprit son boulot, toujours avec le même plaisir. Sorcha était retournée au lycée, de même que Blake et Alice qui faisaient une nouvelle terminale. Et moi, j'étais le seul à amorcer un réel changement. La faculté, ça n'avait absolument rien à voir avec le lycée et je m'étais choisi un programme tellement chargé que j'étais déjà épuisé après ce premier mois. J'enchainais les heures de cours, allais souvent aux cours du soir, cumulant plusieurs matières, afin de ne pas passer 10 ans dans les études. Je cumulais la psycho et le droit, avait des pavés à apprendre par cœur. Je savais que cela était dur, je ne me plaignais pas, mais je n'avais surement pas imaginé à quel point j'aurais du mal à tenir le rythme. Je jonglais entre mes amies, que je délaissais par manque de temps, ma famille, Sasha, les cours... J'avais l'impression qu'il n'y avait pas assez d'heures dans une journée. Je voyais moins Sasha également et cela me minait. Je m'efforçais de passer du temps avec elle, mais bien souvent, elle était à côté de moi tandis que je révisais, me soutenant sans faillir et ne se plaignant jamais de mon manque de disponibilité.

Aujourd'hui, j'avais quitté plus tôt. J'avais un cours à 21h, mais je profitais de ces quelques heures de liberté pour aller chercher Sasha à son travail et profiter un peu de sa compagnie. Elle quittait à 17h et je me retrouvais à entrer dans la boutique, observant l'intérieur et cherchant surtout Sasha. Ce fut un type qui m'accueillit. Sans doute le patron. Ça m'avait faire rire d'apprendre que Sasha l'avait relooké. Comme je l'avais relooké elle.

- "Je cherche Sasha. Elle quitte à 17h, j'espère qu'elle n'est pas déjà partie..."

Il manquerait plus que ça. Enfin, son patron allait pouvoir me renseigner non? Je ne me sentais pas très à l'aise et j'étais incapable de définir pourquoi, une brusque angoisse me saisissant à la gorge, sans aucune raison.

Je me contentai de hocher la tête quand il me demanda si j'étais bien Kieran. Apparemment, Sasha lui avait parlé de moi. Je n'étais jamais entré dans la boutique, me contentant parfois d'accompagner Sasha jusqu'à l'entrée, mais il avait du me voir à travers la vitre. Je n'étais pas spécialement discret quand je lui disais au revoir avant de la lâcher là. Il m'apprit qu'elle n'était pas là et qu'il l'avait envoyée chercher une maquette. Il sembla se rendre compte de l'heure, s'étonnant qu'elle ne soit pas déjà rentrée. Il n'y avait absolument aucune raison de ressentir cette boule d'angoisse au creux de l'estomac. Aucune.

Pourtant, j'avais appris à faire confiance à mon instinct. J'avais connu assez de malheurs dans ma vie pour savoir que quand on avait un mauvais pressentiment, c'était rarement un simple tour de notre esprit. Il me fit remarquer qu'elle serait déjà là si je l'avais prévenue. Je haussai les épaules.

- "Je voulais lui faire la surprise."

C'était peut-être une mauvaise idée. Je sortis mon portable de la poche de mon jean et vérifia si je n'avais pas de message, machinalement. J'avais soudainement très envie de l'appeler, juste pour me rassurer. Et elle se foutrait de moi et de mes inquiétudes idiotes. Freddie me dit alors que je pouvais l'attendre ici et je le remerciai, tripotant mon portable, nerveux. Je ne l'avais pas imaginé comme ça, son boss. Elle m'avait dit qu'il était assez jeune, qu'il avait un look emo pas terrible et qu'elle l'avait conseillé. Il était plutôt pas mal son patron. J'aurais presque pu être jaloux si je n'avais pas eu si confiance en elle.

Soudain, Freddie se précipita vers la porte, l'ouvrant à la volée et semblant alpaguer quelqu'un. Je sursautai, surpris, manquant de faire tomber mon portable que je remis dans ma poche et je regardai par la vitre, avisant un mec qui courait... Il y avait quelque chose de bizarre en fait... Je pâlis brusquement alors que Freddie se retournait et me disait de ne pas bouger d'ici... Je rêvais où bien le type en fuite avait un sac qui ressemblait à celui de Sasha? Freddie se mit à courir et machinalement, je lui emboitai le pas.

Je courrai, moins vite que lui, malheureusement. La faute à cette putain de raideur du genou. Je savais que j'allais payer cet effort plus tard, mais là, je n'en avais rien à foutre. Il bifurqua brutalement dans une petite ruelle sombre qui ne me disait rien qui vaille. Ça me rappelait cette ruelle qu'Aaron nous avait montré le jour où nous étions arrivés, Sorcha et moi. Le genre de ruelle mal famée, coupe gorge, avec des camés partout.

Soudainement, je cessai de courir, pétrifié. Devant Freddie et moi, il y avait une silhouette inconsciente et ensanglantée. Il y avait du sang, beaucoup trop pour une corps aussi frêle. Sasha... C'était Sasha. j'eus l'impression que le sol se dérobait sous mes pieds, alors que Freddie s'agenouillait près d'elle, fouillant fébrilement dans ses poches à la recherche d'un téléphone qu'il n'avait pas.

Quand il s'adressa à moi, cela eut le don de me faire sortir de ma catatonie. Je pris mon portable et composai le numéro des secours, attendant que l'on daigne décrocher. Mais putain, c'était quoi cette musique d'attente de merde! Sasha était en train de mourir! Je me précipitai de l'autre côté de son corps, repoussant les cheveux de ses yeux, atterré par sa pâleur.

- "Sasha!"

J'avais beau caresser son visage, elle ne réagissait pas. Freddie semblait plus calme que moi, il semblait aussi savoir quoi faire. Enfin, on décrocha. Les mots se bousculèrent dans ma bouche. Jeune femme de 17 ans, blessée par arme blanche, visiblement, inconsciente. J'indiquai la ruelle alors que mon interlocuteur me demandait de me calmer, me demandant mon nom. Mais qu'est-ce qu'on en avait à foutre de mon nom? Il me demanda ensuite si elle respirait. Je jetai un regard angoissé à Freddie.

- "Elle respire?"

Ma voix avait des accents affolés, limite hystériques. Après mes parents et la crise où j'avais failli perdre Aaron, c'était au tour de Sasha? Qu'est-ce que j'avais fait pour mériter ça? Oui, elle respirait encore. On m'informa alors qu'il fallait comprimer la plaie et que les secours étaient déjà en route. Je raccrochai, défait, avant de ranger mon portable. Freddie était déjà sur la plaie et moi, je m'emparai de la main de Sasha, caressant son front fébrilement, tout en murmurant :

- "Sasha, s'il te plait, me fais pas ça..."

Il y avait bien Freddie avec moi, et heureusement, j'étais trop paniqué pour réflechir, mais j'avais l'impression d'être seul au monde, complètement seul avec ma peine. Et ma terreur de la perdre.

Je réprimai une crise de panique quand j'entendis Freddie jurer. Ah non, il ne devait pas perdre son calme lui, ou sinon, j'étais foutu. Mais mon regard accroché le flot de sang, le fait que sa main semblait avalée par le liquide carmin. Je me sentis mal. Non, je n'allais pas tourner de l'œil. Ce n'était pas la vue du sang qui me faisait peur, mais le fait d'être douloureusement conscient que perdre une telle quantité de sang était souvent fatal. Je vis Freddie passer son pull par dessus la tête pour le coller sur la plaie, mais très vite, la laine se teinta de sang. Mais ce n'était pas possible que ça coule encore! On avait beau comprimer, ça ne changeait rien, absolument rien. Je sentis des larmes me piquer les yeux, mais je refusai de les laisser couler. Pourtant, plus je la regardais, plus je voyais la vie la quitter. Elle ne pouvait pas se vider de son sang sans qu'on ne puisse rien faire! Elle ne pouvait pas mourir, disparaitre de ma vie... Nous avions encore beaucoup trop de choses à faire ensemble. Elle était ma vie. Si elle disparaissait, que me resterait-il?

Freddie jeta le pull, relevant le top de Sasha et révélant sa blessure. Assez indistinct dans tout ce sang, mais on voyait quand même que le sang jaillissait d'un trou béant. J'eus un hoquet d'horreur, le temps qu'il cache la plaie avec ses mains.

- "Oh mon dieu, c'est n'est pas possible, c'est un cauchemar..."

Réveillez-moi. Sortez-moi de là. Mais pourquoi était-elle passée par cette ruelle déserte? Et si Freddie n'avait pas vu passer ce type avec le sac à main, elle serait morte avant qu'on ne la retrouve... Une nausée me saisit, née de l'horreur. Freddie ferma soudainement les yeux et je me demandais ce qu'il fabriquait... Il priait? Pourquoi pas après tout? N'était-ce pas ce que j'étais en train de faire depuis que j'avais raccrocher ce téléphone? Mais pourquoi est-ce que cela prenait tant de temps?

- "Mais qu'est-ce qu'ils foutent?"

Je regardai autour de moi, espérant que cela les ferait venir plus vite, avant de regarder de nouveau Freddie et de tomber soudainement sur les fesses, tant ce qui arriva me stupéfia. Des ailes avaient poussé... Freddie avait des putain d'aile argentée qui sortaient de son dos, c'était quoi ce délire? Merde, je devenais dingue. Je le regardais, ébahi, avant de regarde sa main posée sur le ventre de Sasha, qu'il retira. Déjà, cela saignait moins. Je délirais... Freddie n'était pas un ange qui venait de guérir Sasha, hein? Ça n'existait pas ces trucs là... Malgré moi, je posai ma main sur ma poitrine, là où pendait la croix offerte par ma mère à ma communion. Avant de faire un signe de croix, abasourdi. J'étais déconnecté de la réalité là... Freddie ne semblait pas aller bien, yeux clos, respiration haletante, teint pâle, sueurs... Vivement, je récupérai la plume que j'avais vu tomber au sol et la fourrai dans ma poche... Si j'étais fou, dans quelques heures, je verrais bien que c'était une hallucination... Dans le cas contraire...

Il rouvrit les yeux et me demanda de prendre le pouls de Sasha. J'essayai de le prendre à son poignet, sans résultats. Alors j'appliquai mes doigts sur sa gorge, cherchant frénétiquement quelque chose et soupirant quand je le sentis... faible et pas très régulier.

- "Il faut qu'ils se dépêchent..."

Je le regardais avec méfiance. La plaie saignait toujours. Je retirai mon T-shirt à mon tour, en faisant une boule et l'appliquant contre la plaie. Le tissu ne se teinta pas de rouge aussi vite que précédemment, signe qu'il s'était passé quelque chose.

- "Qu'est-ce que vous avez fait?"

Je baissai le regard sur Sasha, avant de lui dire d'une voix ferme :

- "Tu vas te réveiller maintenant! Tu m'entends! Sasha, tu te réveilles. Tu as promis. Tu as promis qu'on ne se quitterait pas, alors tiens ta promesse."

Voix ferme qui vacilla dangereusement et s'approcha du sanglot étouffé alors que je reprenais :

- "Tu sais que c'est toi qui as donné un nouveau sens à ma vie... Ne la rends pas de nouveau inutile. S'il te plait, regarde moi Sasha. Respire, bats-toi. S'il te plait..."

J'attendais les secours avec impatience et pourtant, j'étais complètement obnubilé par Sasha, cherchant à déceler des signes de vie chez elle, malgré la cyanose de ses lèvres, malgré tout ce sang sur elle et sur le sol, malgré sa pâleur mortelle et ses yeux obstinément clos. Elle ne répondait à rien, ne semblait même pas m'entendre. Que Freddie ai déballé des supers ailes d'ange, qu'il ai réussi à amoindrir le saignement de Sasha, ça me posait évidemment pas mal de problèmes et soulevait son lot de questions. J'étais très croyant, mais de là à penser que les miracles existaient ou que les anges pouvaient s'incarner et vivre parmi nous... Plus tard, je penserais à cela. Mais pour le moment, je me foutais que Freddie ai des ailes de pigeons ou des cornes sur la tête, franchement.

Si seulement il pouvait guérir Sasha... S'il pouvait l'empêcher de mourir. Mais apparemment, ça, ce n'était pas dans ses cordes, sans compter qu'il n'avait pas vraiment l'air dans son assiette... Le pouls était bien présent, mais faible, si faible. Je ne m'étais jamais rendu compte qu'elle était si petite, si frêle, si fragile, parce qu'une formidable envie de vivre, une détermination sans faille l'animaient. Mais là... C'était une jolie poupée de porcelaine totalement désarticulée.

J'appuyai sur sa blessure avec mes deux mains, craignant de la briser en appuyant trop fort, ayant peur de ne pas être assez efficace. Je ne cessais de lui parler. Peut-être m'entendait-elle dans les brumes de son inconscience? Qu'elle sache que j'étais là et que je ne la laisserais pas partir sans me battre. Et le cas échéant... Mon cœur se contracta violemment de douleur, mais le cas échéant, et bien je serais là aussi...

Je relevai la tête quand j'entendis Freddie appeler pour guider les secours. Il revint vers moi, suivi des ambulanciers, médecins, infirmières, bref, de tout le personnel compétent. Il m'agrippa par les épaules et me fit relever. Je n'opposai aucune résistance, complètement vidé de mes forces... Détaché de la réalité, en quelques sortes. Comme quand je me fumais un joint, ce qui me permettait d'accéder à un autre état de conscience, moins douloureux. Cela ne dura pas, pas quand ils s'affairèrent sur Sasha, la mettant sur un brancard avant de l'embarquer dans l'ambulance. Je me sentis pousser en avant pour monter avec elle. Ce que je voulais vraiment faire. Mais j'étais figé, tétanisé... Et Freddie le sentit peut-être.

Si bien que je me retrouvai dans l'ambulance, à côté de Sasha, mais sans pouvoir la toucher, alors que les médecins tournaient autour d'elle. Je me retrouvai relégué dans un coin, dévoré d'angoisse, avant qu'on me fasse signe que je pouvais approcher. Je m'emparai de sa main, remarquant que la mienne était couverte de sang. Son sang.

- "Tu te souviens de ce qu'on s'est dit dans ce lac? On doit en visiter plein d'autres tous les deux Sasha... Et je dois encore t'emmener faire du shopping."

Je murmurai prêt de son oreille. Nous nous étions dis tant de choses... légères et beaucoup plus sérieuses.

- "C'est toi la femme de ma vie, Sasha, il n'y en aura pas d'autre. Je ne veux pas faire ma vie avec une autre. Je ne veux pas que tu me laisses. T'es une battante, tu l'as toujours été..."

J'entendis soudainement sa voix et j'eus un regain phénoménal d'espoir dans toute cette noirceur. Elle était sauvée. Les urgentistes avaient fait leur boulot, ils lui avaient mis un perfusion, il y avait même une poche de sang qui passait dans son organisme, sans compter les électrodes reliées à l'électrocardiogramme. J'eus un rire nerveux, un rire de soulagement aussi, alors qu'elle réagissait à mes propos concernant les magasins. Et cette foutue mini jupe. Je retenais mes larmes, autant de peur que de joie de constater qu'elle m'avait entendu. Et surtout, qu'elle était réveillée.

- "Même pas pour le plaisir de l'essayer et que je te l'enlève?"

Comme avec Aaron, je déconnais, alors que le moment ne s'y prêtais pas du tout, mais c'était cela ou fondre en larmes tellement j'avais un nœud dans la gorge. Elle murmura mon prénom, d'une voix éraillée. Je vis un des médecins nous regarder et ce que je lus dans son regard ne me plut pas. Cela me rappelait trop de souvenirs douloureux. Je voyais la compassion, l'empathie, la compréhension que je vivais quelque chose de difficile... Et une sorte de résignation. Non, elle parlait, ça allait aller mieux. Ça devait aller mieux. Sauf que je n'aimais pas cette intonation de sa voix alors qu'elle m'appelait. Pas plus que je n'aimais ses excuses. Cela sous entendait trop de choses douloureuses... Inacceptables.

Je me crispai quand elle continua dans sa lancée. Je me mordis la lèvre. Non, arrête... Ne me fais pas tes adieux, ne parle pas comme si tout était fini. Toi et moi, ça ne fait que commencer, ça ne peut pas se terminer bêtement ainsi, ce n'est pas possible.

- "Sasha, s'il te plait... Ne parle pas comme ça. Comme si... c'était la dernière fois."

Que je lui promette de sourire toujours. Alors que je n'avais qu'une envie, pleurer et hurler de douleur et de frustration. Ce n'était pas juste. Et ça ne pouvait pas arriver.

- "Je peux pas sourire dans un monde où tu ne serais pas. Me fais pas ça, Sasha. Reste."

Je portai sa main à mes lèvres :

- "Ma vie ne sera rien après toi..."

Et soudainement, ce bruit caractéristique, que j'ai entendu mille fois dans les séries hospitalières, synonyme de mort. Ce bip insupportable, alors qu'elle lâche prise.

- "SASHA! NON!"

Non, non, elle ne pouvait pas mourir! Mais déjà, ils se précipitaient sur elle et me reléguaient dans un coin. Je captais vaguement des mots. pas assez stable pour être transportée, réanimation d'urgence... Ils la choquèrent, une fois, deux fois. Elle s'enfonce. Comme un zombie, un spectateur silencieux et horrifié, je regarde son corps s'arc bouter et retomber sans pour autant que son corps ne reparte... Adrénaline, intubation... Tous ces mots barbares alors qu'on martyrise son corps, qu'on force son âme à demeurer avec nous. Je tombai assis sur la banquette, me recroquevillant comme un enfant, sans la quitter des yeux, tenant ma croix dans une main, la plume argentée dans l'autre, priant comme jamais auparavant. Face à la mort, je n'étais qu'un enfant, démuni, me raccrochant à ma foi, à ces mécanismes de pensée magique illusoires... Si je compte jusqu'à 20 et que son cœur bat, elle vivra... Je commençai le décompte et à 18, on annonça qu'il y avait un pouls.

Encore un faux espoir? Je n'en savais rien. Nous arrivâmes à l'hôpital où on prit le brancard de Sasha. Comme un automate, je descendis à mon tour, sans qu'on fasse vraiment attention à moi. Jusqu'à ce qu'une infirmière ne m'attrape et ne m'examine, s'interrogeant surement sur le sang, avant de me demander ce qu'il s'était passé. Je lui narrai, alors que Freddie se pointait et m'annonçait que Sasha avait été amenée au bloc. L'infirmière m'informa que la police ne tarderait pas à venir poser des questions. Il y avait trop d'informations... Beaucoup trop. Et je ne réagissais toujours pas.

- "Ça recommence..."

Je ne connaissais que trop tout cela. Les questions des policiers, l'attente, les soins...

- "Elle est morte... Durant quelques secondes, elle était morte..."

Je relevai le regard vers lui.

- "Elle ne peut pas mourir..."

Freddie me reprit. Chose dont je me serais bien passé. J'avais besoin de croire qu'elle, elle pouvait échapper à ce qui nous attendait tous, qu'elle, elle avait encore le droit à un sursis. Qu'elle était immortelle, quelque part. C'était idiot, c'était puéril et cela ne me ressemblait absolument pas de me voiler la face, mais il y avait des pensées trop intolérables pour être acceptées. Oui, Sasha avait de la volonté... Mais à sa façon de me dire adieu dans l'ambulance, je doutais que cela suffise.

- "Elle m'a fait ses adieux dans l'ambulance... Juste avant que son cœur ne cesse de battre et qu'elle ne se réveille plus..."

Comme si elle-même avait abandonné le combat... La volonté ne suffisait pas. La volonté ne pouvait pas faire battre un cœur qui manquait de sang. Elle ne pouvait fermer une blessure mortelle. Elle ne pouvait empêcher le sang de s'échapper de son corps...

La police finit par arriver, s'adressant d'abord à moi, avant que Freddie ne leur réponde à ma place, beaucoup plus calme et lucide. Rarement j'avais été aussi proche d'un état de catatonie. J'avais l'impression que mon cerveau était totalement engourdi. Mes sens endormis. Sans doute pour ne pas ressentir cette terrible perte. Un mécanisme mis en place dés que j'avais apprit la mort de mes parents. Et ça recommençait... Freddie finit par revenir s'asseoir, m'invitant à faire de même. L'attente serait longue... angoissante. Je jetai un coup d'œil à l'horloge murale. 18h32. Déjà une heure et demie que cela était arrivé.

Je m'assis. L'attente commença. Ponctuée d'interventions du personnel soignant. Une infirmière qui nous invita à nous débarbouiller. C'est vrai que nous avions du sang partout. Nous la suivîmes et je frottai ce sang comme un damné, pour en éliminer toute trace, avant qu'elle ne nous donne des chemises de bloc. Ah oui, j'avais oublié que mon T shirt était mort, imbibé de sang, comme le pull de Freddie. On nous apporta aussi quelque chose à manger, mais je n'avalai rien. Malgré les reproches de Freddie.

21h07.

On s'approcha de nous. Un médecin, à la mine sombre. Je me levai d'un bond, le moindre battement de cœur suspendu à ses lèvres, à ce qu'il allait dire. L'intervention s'était bien passée, mais elle était dans le coma et il était impossible de savoir quand elle se réveillerait. Si elle se réveillait. Il fallait déjà qu'elle passe la nuit, ce serait un bon indicateur. Elle était en soins intensifs et les visites n'étaient pas autorisée. Là, je repris ma verve. impensable qu'elle reste toute seule alors qu'elle risquait de mourir! Je plaidai ma cause. Elle n'avait pas de famille, j'étais son petit ami, je devais rester près d'elle. Je ne gênerais pas les soins et me ferais oublier... Freddie me donna un coup de main et le médecin accepta finalement.

Mais je n'avais pas encore le droit d'y aller. Je devais patienter. Nerveux, je sortis de l'hôpital, allumant une clope pour m'occuper les mains et je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche. J'y jetai un regard, avant de remarquer tous les appels en absence. Je décrochai. C'était Sorcha. Qui commença à m'engueuler en me demandant où j'étais, alors que ça faisait une heure qu'elle essayait de me joindre.

- "Sasha a été poignardée. Je suis à l'hôpital, elle vient de sortir du bloc et elle est dans le coma."

Tout cela dit très posément, trop calmement, mais avec une certaine dureté dans la voix. Il y eut un silence de l'autre côté du fil, alors que Sorcha reprenait, très doucement qu'elle était désolée et me demandait si je voulais qu'elle vienne.

- "Cela risque de te rappeler des mauvais souvenirs..."

L'hôpital... C'était il y a un an et demi. C'était trop proche et cela remuait déjà trop de choses en moi... Elle promit de venir et je raccrochai. Bizarrement, on aurait dit que cela était le top départ. Nouveau coup de téléphone. Blake. Même discours, mais elle, elle ne répondit pas laconiquement ou par le silence, mais se fit un devoir de me faire tout une argumentation sur pourquoi Sasha ne pouvait pas mourir. Merci Blake. Adorable Blake qui croyait aux farfadets. J'avais aussi besoin de sa naïveté, de son optimisme.

Je finis par rentrer, me dirigeant vers le services de soins intensifs. M'installant dans le fauteuil près de Sasha et l'observant, bercé par le bruit des machines qui étaient le relais de sa vie.

Quatre mois, quatre mois que j'étais mort et que j'étais revenu à la vie. Quatre mois que je suivais des cours à la Lux, quatre mois que je n'étais plus tout à fait le même. J'avais d'abords vécu chez Azraëlle avant qu'elle ne m'envoie dans un appartement. J'avais l'impression d'être un gosse de riche, j'avais l'impression d'être un autre. Pourtant je m'y pliais sagement, devenant lentement ce qu'elle voulait que je sois. La drogue n'était plus qu'une arme que j'utilisais contre les épaves de ce monde. Pour le reste, je venais de reprendre les cours. Je n'aurais jamais cru pouvoir le faire. Et pourtant ... Je me dirigeais bien vers mes 18 ans... Premier anniversaire qui ne sera pas marqué sur mon corps.

La vie avait bien changé pour moi. J'avais réellement coupé les ponts avec ma pseudo famille, mais pas avec Kieran et Sorcha. Toutefois, je ne donnais que peu de nouvelles. Entre les cours à la fac et la Lux ... Je n'avais plus franchement le temps ... Ou je ne voulais pas m'en donner. Aller contre la volonté d'Azraëlle n'était pas forcement bon pour mon espérance de vie. Alors imaginez ma tête lorsque je reçus un appel de Sorcha.

Sauf que ce qui aurait dû être une simple prise de nouvelle tourna au drame. Kieran n'était pas rentré, il ne répondait pas à ses appel, Sasha non plus et l'on avait appelé afin de demander ou était Kieran. Sorcha était complètement paniqué, elle me demandait si je savais, si je pouvais l'aider. Je la rassurais en lui disant que Kieran et Sasha s'occupaient peut-être comme deux adultes consentant, et que donc, ils ne pouvaient pas forcement répondre. Mais entre nous ... C'était juste pour la calmer, car dès lors que j'avais raccroché, c'était Kieran que j'appelais à nouveau. Mais en vain. Dix, quinze, vingt tentative qui confirmèrent mes pensées, il ne s'envoyait pas en l'air. Si c'était le cas, il aurait décroché à en voir l'acharnement que j'avais mis.

C'était donc plus grave. Passant une veste, je sortie de l'appartement sans savoir ou j'allais. Visage bien vivant, cheveux décoiffés, mais tenu soigné. Je pris mon portable et commença à appeler les hôpitaux de la ville. En vain, la moitié n'avait pas reçu de Kieran ou de jeune homme de 18 ans. Fait chier ... Et puis je fis ma dernière tentative, et là... Il y avait bien à Kieran Cahill, mais il n'était pas en soin, il accompagnait... Sasha ...

Je ne fus jamais aussi rapide, j'arrivais rapidement à l'hôpital, l'on m'informa de la situation, me disant que je ne pouvais pas aller voir la blessé. Une femme partit alors me chercher Kieran. Il arriva alors, il était entrain de se décomposer et un mec qui me disait vaguement quelque chose n'était pas loin.

— Kieran !

Arrivant comme une balle devant lui, j'allais lui demander ce qui s'était passé lorsque mon regard se figea sur le mec à ses côtés ... Ses yeux ... On aurait dit le gars chez qui j'avais fait nettoyer une bande. Sauf que c'était un Emo et que là, j'avais l'impression de voir un mec de la haute ... Enfin ce n'était pas lui le principale, et j'avais beau avoir un drôle de pressentiment, il n'était pas important. Retournant le regard vers mon cousin, je le pris brusquement dans mes bras.

— Sorcha essaye de t'appeler depuis plusieurs heures ... Il s'est passé quoi ?

Ok, j'étais censé être à Bristol, mais pas grave ... Il ne serait pas capable de relever de toute façon ... Azraëlle par contre ... Va faire froids ... Me détachant alors de lui, j'étais entrain de me dire qu'il ne méritait vraiment pas ça ...

Il me semblait que je somnolais quand une infirmière rentra dans la chambre en me disant que quelqu'un était là. Ah? Sorcha? Blake? Il était déjà tard, ce n'était pas la peine de se déplacer en pleine nuit, cela ne changerait rien. Je me levai cependant, suivant la jeune femme, sortant du service, non sans la peur irrationnelle que Sasha en profite pour mourir, quand je ne serais pas là, pour m'épargner ça. C'était déjà arrivé. Beaucoup de personnes attendaient que leurs proches soient absents pour partir. Seules. A la toute fin, on l'était toujours, même entouré.

J'ouvris la porte battante, avisant Freddie qui attendait dans la salle d'attente, n'ayant pas le droit d'entrer avant le lendemain après midi. Et surtout, je vis... Euh... Aaron? Enfin, une version améliorée d'Aaron en fait. J'avais l'impression de voir mon reflet quelque part, à quelques détails prêt. Si notre ressemblance était avérée avant, cette fois, elle était plus que frappante. Parce que là, se tenait un Aaron habillé élégamment (ça sentait la fringue hors de prix à plein nez), au teint rosé d'une personne en bonne santé, avec quelques kilos en plus... Niveau corpulence, on se valait maintenant. Attendez... 4 mois de traitement expérimental et voilà le résultat? Il était guéri?

Il regarda Freddie avec un drôle d'air, avant de s'en désintéresser et de se précipiter sur moi, me prenant dans ses bras. Je me raidis instinctivement, assez mal à l'aise avec ces démonstrations d'affection entre nous, qui étaient pourtant très naturelles, avant de me détendre complètement. Je le serrai contre moi, submergé par mes émotions, que je retenais depuis le début. Entre Sasha mourante et Aaron ressuscité... c'était trop. Il me demanda ce qu'il s'était passé et je relâchai mon étreinte.

- "C'est Sasha... Un type l'a agressée et lui a volé son sac. Il l'a... poignardée. Je l'attendais et je discutais avec son patron quand on a vu passer le type avec le sac. On l'a retrouvée inanimée dans une ruelle sombre. Et tout ce sang... Il y avait beaucoup trop de sang. Les secours son arrivés et je suis monté avec elle dans l'ambulance, elle s'est réveillée, juste pour me... me dire adieu. Et elle a sombré. Putain Aaron, elle a fait comme toi, son cœur a cessé de battre. Et je ne pouvais rien y faire."

C'était terrible cette impuissance. Je l'avais ressenti pour Aaron. Et de nouveau pour Sasha. Deux fois, j'avais assisté à leur mort, même quelques secondes. Je commençais à me dire que c'était mauvais signe que tous ceux que j'approchais aient la fâcheuse tendance à aller mal et mourir.

- "Ils l'ont opéré, elle est dans le coma... Ils savent pas si elle va se réveiller..."

Je relevai le regard vers lui. Cette fois, les rôles s'inversaient. Il devenait le grand frère et moi celui qui avait besoin d'être rassuré que tout irait bien maintenant. Et entre nous planait la promesse que je lui avais faite de continuer à vivre quoiqu'il arrive. Même dans un monde où elle ne serait pas. Je n'avais pas envisagé que cela puisse arriver. Que cela puisse arriver si tôt, quand je n'avais toujours pas fait mon deuil de mes parents. Et Sasha qui me demandait de continuer à sourire... Pourquoi demandaient-ils cela? Pourquoi demandaient-ils l'intolérable?

- "Comment je vais faire sans elle?"

Ma voix trembla. Je finis par reculer pour m'asseoir sur un des sièges, avant d'enfouir ma tête entre mes mains, anéanti. Dans un coin de mon cerveau, je relevais qu'Aaron était guéri, ou du moins en rémission, que lui, il ne pourrait pas. Mais je n'avais pas encore le courage de lui demander si j'avais raison ou si ce n'était qu'un faux espoir.

il lâcha rapidement le morceau en m'informant que Sasha avait été agressé. Un mec lui avait volé son sac et l'a poignardée... Tout cela c'était passé alors qu'il discutait à son patron. C'était voir le gars passer avec son sac qui l'avait alerté. Et la il l'avait retrouvé dans une ruelle. Et là, il commença alors à succomber à la panique. Elle c'était réveillé pour lui dire adieu et là, elle était partie, elle avait sombré. Elle avait fait comme moi, son coeur l'avait lâché alors qu'il ne pouvait rien faire. Encore une fois.

Il ne méritait vraiment pas ça ... Il méritait d'être heureux, mais le monde semblait s'acharner sur lui. Il me dit alors qu'il l'avait opéré et qu'elle était dans le coma. Le problème étant qu'il ne savait pas si elle allait se réveiller ... Merde... j'avais une brutal envie de buter celui qui lui avait fait ça. De le détruire, de le pousser vers la mort... De l'anéantir complètement. Mais ce n'était pas lui le sujet ... C'était lui et elle.

Je vis ses yeux monter vers moi. Il avait besoin de moi, de mon soutien, de ma présence. Et je serais là comme il l'avait été pour moi. c'était bien beau de lui faire des promesses, mais je devais aussi assurer derrière. Il me demanda alors comment il allait faire sans elle. Se reculant tremblant vers un sièges ou il s'assit avant de cacher son visage dans ses mains. Il était détruit sans elle. Il ne savait pas ou aller. Il était perdu ... j'avais mal pour lui. L'accompagnant alors, je m'assis à côté de lui, lançant un regard vers le patron de Sasha. Ca ne pouvait être que le mec qui m'avait aidé, le regard était trop ressemblant... Enfin bref. Une main se posa sur son dos, me faisant rassurant.

— Elle va s'en tirer, elle est forte.

Elle avait grandi seule et en avait vu bien des pires. Elle pouvait, non elle devait le faire. Elle ne devait pas laisser Kieran seul.

— Je vais rester ici et attendre avec toi, du moins si tu veux bien ?

Je sentis Aaron s'asseoir à côté de moi, sa main se poser sur mon dos. Il était là. Il était bel et bien là. Lui qui ne devait pas passer l'été, il était à mes côtés, bien vivant, et même en forme. Plus que moi en cet instant, étrange ironie. Moi, j'avais l'air d'un mort vivant là. En même temps, mon cœur était suspendu à la vie de Sasha, ne battait qu'au rythme du sien et cesserait de battre quand elle quitterait cette vie. Aaron m'assura alors qu'elle s'en tirerait, parce qu'elle était forte. Comme Freddie, comme Blake... Tous semblaient persuadés que sa volonté suffirait à la tirer de là. Si seulement...

- "Elle semble si frêle perdue dans ce lit trop grand avec tous ces... tuyaux."

Aaron m'annonça qu'il resterait avec moi, si je le voulais bien. J'eus un pâle sourire.

- "Bien sûr que je le veux."

Je me redressai, passant une main dans mes cheveux en bataille, avant de le regarder.

- "Tu m'as manqué Aaron. Je n'osais pas croire à ton truc de traitement expérimental, par peur d'être déçu, mais ça a l'air de marcher... Tu es guéri?"

C'était une question dangereuse, parce qu'il pouvait piétiner mes espoirs le concernant en m'annonçant qu'il était en rémission, que le cancer était toujours là, mais maté pour un temps seulement.

- "Tu sais, j'ai l'impression étrange et sans doute stupide, que la mort m'entoure... Mes parents, toi, Sasha... Ça fait beaucoup. Beaucoup trop."

Dis moi que tu es guéri Aaron, dis-moi qu'il existe des miracles. Qu'une leucémie peut en effet disparaitre et te laisser vivre ta vie. Que Sasha peut donc en effet lutter contre la mort et se réveiller.

— Ils l'aident à tenir le coup … Et Sasha est forte, crois-moi.

Il accepta alors que je reste à ses côtés. Je voulais le soutenir comme il l'avait fait pour moi. Il me regarda alors, me disant que je lui avais manqué, ce à quoi je répondis par un léger sourire. Lui aussi, mais je devais m'éloigner … Du moins, j'allais devoir le faire lorsque Sasha sera remise. En attendant, il était hors de question qu'il se passe de ma présence. Il dit alors qu'il n'osait pas croire à cette histoire de traitement, il avait peur d'être déçu. Je comprenais. Il me demanda alors si j'étais soigné… Kieran …

— Je … Bientôt Kieran.

Ne pas dire non, mais ne pas non plus passer pour un miraculé. Il enchaina alors sur le fait qu'il pensait attirer la mort. Ses parents, moi et Sasha … C'est beaucoup pour lui et aujourd'hui il n'était pas en état de le supporter. Alors je devais être la, le soutenir. Ne pas le laisser seul.

— J'étais malade avant de te connaitre Kieran … Et je ne suis pas mort, Sasha non plus… La mort ne t'entoure pas, tu as juste tendance à nous enterrer un peu trop tôt…

Lui souriant doucement je repris.

— Ce qui est arrivé à tes parents est regrettable, mais des accidents ils en arrivent tout les jours et personne n'en ai réellement responsable. Sasha va s'en sortir, je te le promet et moi, je ne suis pas prêts de passer l'arme à gauche. Kieran, tu as sortie Sasha de l'enfer où elle s'était enfermé, tu l'as sauvé de l'underground, tu as fait d'elle quelqu'un d'exceptionnelle. Tu prends soin de ta soeur et la protège du monde. Tu m'as fait revivre et reprendre confiance en mes proches … Tu n'attires pas la mort Kieran … Tu nous sauves de nous-même, du monde…

Passant une main dans ses cheveux, j'y remis le désordre qu'il avait tenté de dissimulé.

— Tu nous as appris à être fort, et égoïstement, nous te demandons de faire de même pour nous. Et tu l'aies toujours… Kieran arrête de croire à de telles choses, elles sont fausses ! Sans toi je ne sais même pas si j'aurais tenté ce foutu traitement, je ne sais même pas si j'aurais accepter la chance de renaitre. Sans toi Sasha serait toujours Blue et elle n'aurait pas envie d'un avenir. Sans toi Sorcha serait sans aucun doute dans un couvant entrain de prier un dieu un peu trop égoïste. Alors tu vas la fermer, je ne veux plus t'entendre débiter de telles conneries … Tu n'es pas maudit Kieran ! Vraiment pas !

Me redressant un peu dans mon siège je tournais les yeux vers le patron de Sasha avant de revenir à Kieran. Tiens le coup mon grand … Elle y arrivera, elle peut le faire.

Je savais que toutes ces perfusions étaient là pour soigner son corps, pour la maintenir en vie, mais quelques fois, cela ne suffisait malheureusement pas. Il me répéta qu'elle était forte. Je l'espérais, je l'espérais vraiment. Que son désir de vivre serait plus puissant que la facilité de mourir. J'espérais qu'elle ne se réveillerait pas seule. Ni qu'elle mourrait seule. Je ne me pardonnerais pas de ne pas avoir été près d'elle, quelle que soit l'issue.

Cependant, pendant quelques minutes, je me focalisais davantage sur mon cousin que sur Sasha. Parce que lui, il avait l'air en pleine forme, alors que j'avais quitté un simulacre de cadavre quatre mois plus tôt. Inévitablement, à le voir ainsi, je lui demandai s'il étai guéri. Cela sembla le troubler et il bafouilla que c'était encore en cours. J'esquissai un mince sourire, ombre de celui que je pouvais avoir quand j'allais sortir une connerie :

- "Ah... Merde, tu vas finir par être plus balèze que moi à ce rythme."

Cela dit, impossible de chasser longtemps les pensées déprimantes qui m'agitaient et mon sourire mourut alors que je lui faisais part de mon sentiment d'attirer la mort autour de moi. Je savais bien que c'était ridicule comme raisonnement. Mais ça faisait beaucoup de coïncidence. Et puis, après avoir vu un ange à l'œuvre, franchement, se dire qu'on attirait la mort, ce n'était plus si délirant. Ma main plongea dans ma poche alors que je caressais la plume argentée, comme pour me convaincre de sa réalité et que je regardais Freddie. Aaron aussi lui jetait des regards. Pas des regards indifférents, mais comme s'il lui disait quelque chose.

Aaron répondit alors, me disant que j'avais tendance à les enterrer trop vite. Je soupirai. Non, pas vraiment, juste que j'avais conscience des choses et ne croyais plus guère aux miracles après ce qui m'était arrivé. Il reprit son argumentation, énumérant les faits et ce que j'avais bien pu faire pour aider mes proches. Il allait encore me faire pleurer à m'encenser comme ça. Alors que franchement, je ne me pensais pas si formidable. Ni aussi fort. Il me passa la main dans les cheveux, les ébouriffant au passage. Je leur apprenais à être fort et ils me demandaient de l'être aussi. Combien de fois m'étais-je effondré dans les bras de Sasha? ou même d'Aaron? Ce n'était pas de la force ça. Pourtant, il continua en me citant ce qui serait arrivé si je n'étais pas là.

- "Arrête, tu exagères, je ne suis pas un ange qui fait des miracles et remet les gens dans le droit chemin."

Petit coup d'œil à Freddie, en simultanée avec Aaron. C'était quand même bizarre.

- "J'espère que vous avez raison, qu'elle est effectivement assez forte... De toutes façons, je ne peux que m'en remettre à Dieu. Merci Aaron."

D'être là, de penser de telles choses de moi, même si c'était exagéré ou juste pour m'apporter un peu de soutien.

Plus balèze ? Peut-être pas, en fait si … Mais bon, c'était pour d'autre raison. Il avait besoin d'évacuer et je le laissais faire. Le laissant vider son sac avant de lui faire comprendre qu'il n'était pas un synonyme de mort. Il nous aidait … Il me dit alors d'arrêter. Selon lui il n'était pas un ange qui faisait des miracles et remettait les gens dans le droit chemin … Avec ce que je sais aujourd'hui je ne pouvais qu'abonder dans son sens. Kieran était tous sauf un ange. Il était bon. Ok il ne faisait pas de miracle, mais il aidait bien plus que certain ici.

Il dit alors qu'il espérait que nous avions raison. Qu'elle était forte. Il s'en remettait à dieu … Non Kieran, ne t'en remet pas à lui. Il me remercia et je lui souris dans le but de le réconforter. C'est alors que le patron de Sasha se leva. Indiquant qu'il allait prendre un café. Il informa Kieran qu'il avait régler les problèmes d'admission et que tout était bon. Il me regarda alors en me disant que j'avais l'air d'aller mieux depuis la dernière fois. Un miracle … Euh … Ce sentiment étrangement dérangeant ne serait pas un signe … Un appel pour me dire qu'il n'était pas ce qu'il paraissait être… Ma bouche s'ouvrit et j'aurais voulu le suivre pour savoir ce qu'il était, mais je devais être avec Kieran. Je devais le soutenir.

— Tu n'as pas à me remercier, tu as fait la même chose pour moi.

Posant ma tête contre le mur, je savais qu'il allait falloir attendre. Patienter le retour de la belle. Et si Azraëlle me cherchait ? Je risquais gros, mais je ne pouvais pas abandonner mon cousin. Il avait besoin de moi. Prions pour qu'elle soit trop occuper (IL EST DEDANS) pour venir me chercher. Car là … Je n'aurais plus vraiment le droit d'approcher Kieran.

— Sorcha doit venir ?

Comment ça parler d'un sujet à coté pourrait aider à lui changer les idées ? Ok, pas si à côté, je parlais de sa soeur quoi.

Je fus surpris quand Freddie posa sa main sur mon épaule, m'annonçant qu'il allait se chercher un café, se sentant complètement inutile. Hélas, il me semblait que nous étions tous dans ce cas. Moi aussi je me sentais inutile. Je ne pouvais rien faire pour aider Sasha à se réveiller, à vivre tout simplement. Je ne pouvais pas me battre à sa place. Je ne pouvais pas lui donner de la force pour qu'elle y puise le courage de revenir vers moi. Non, je ne pouvais faire qu'attendre et cela me rendait fou. La présence de Freddie et d'Aaron me faisait du bien, me sortant de ma morne veille au chevet de Sasha. Freddie continua en disant qu'il s'était occupé de la paperasse et je souris légèrement, un sourire forcé quelque part, mais j'étais quand même sincèrement reconnaissant qu'il se soit occupé de ça.

- Merci.

Il n'était vraiment pas obligé de faire tout ça. Sasha n'était qu'une stagiaire, dans sa boutique depuis à peine quelques mois et il la prenait en charge comme quelqu'un de sa famille. C'était vraiment sympa. Surtout que Sasha n'avait personne, mise à part moi et dans ce cas précis, c'étaient vraiment des formalités dont je pouvais me passer. Il y avait Blake aussi, mais cette dernière n'ayant toujours pas accepté leur lien de sang...

Freddie regarda alors Aaron, avant de faire une remarque sur son rétablissement. Je glissais un regard vers mon cousin qui ne répondit rien. Freddie tourna les talons pour se mettre en quête de son café tandis qu'Aaron me répliquait que je n'avais pas à le remercier, que j'avais fait pareil pour lui. Il me demanda alors si Sorcha devait venir. Je haussai les épaules :

- Je ne sais pas. Je lui ai dis qu'elle n'était pas obligée de venir, qu'il était déjà tard, mais bon, tu la connais comme moi, elle est têtue... Alors je pense qu'elle ne devrait plus tarder.

Je soupirai, avant d'ajouter :

- Je ne savais pas que tu connaissais le patron de Sasha. Le monde est petit.

Kieran m'avait systématiquement prévenu à chaque fois qu'il sortait. Il y avait même des périodes où c'était limite s'il ne me demandait pas l'autorisation, généralement quand nous nous étions disputés puis réconciliés, parce que nous n'avions plus que l'autre, parce que ça faisait trop mal d'être fâchés, parce que nous ne voulions pas risquer une entente fragile fraîchement retrouvée. Bien sûr, maintenant, il avait Sasha, alors ce n'était pas pareil qu'avant, mais de mon côté, je m'étais efforcée de me décrocher un peu de lui et de me faire de nouveaux amis, ici, à Londres. Il y en avait une en particulier, une fille de ma classe timide et discrète comme une souris qui était plutôt du genre solitaire et de qui je m'étais naturellement rapprochée, peu désireuse de tenter de m'incruster dans des groupes déjà créés. Il s'était avéré que le courant était très bien passé et nous avions gardé le contact pendant l'été. Elle suivrait une filière scientifique quand je passerais en littéraire, alors nous ne serions plus dans la même classe l'an prochain, mais j'espérais que cela ne nuirait pas à notre début d'amitié. Mes amies irlandaises me manquaient atrocement. Nous échangions par mail mais cela devenait de plus en plus froid et impersonnel, et lorsque Kieran et moi étions retournés chez nous, notre vrai chez-nous, je n'avais pas réussi à retrouver en les croisant cette complicité qui nous unissait autrefois. Quelque chose s'était brisé et je m'étais sentie atrocement seule en découvrant cela.

Blake avait Alice. Et le père de son enfant, sans doute. Kieran avait Sasha. Même Aaron avait Sarah, aussi hautement désapprouvais-je cette relation. Et moi, j'étais seule. Toute seule, désespérément seule. Je n'avais que Kieran, qui lui avait déjà commencé à se refaire une vie. Il était celui qui partait pourtant le plus mal et finalement... Finalement il s'était reconstruit quand j'étais encore sur pause.

Néanmoins il ne m'oubliait pas et il s'efforçait de partager équitablement son temps entre Sasha et moi, ce dont je lui savais gré. Avec la rentrée, la faculté, il avait bien moins de temps libre et c'était délicat de jongler avec tout cela mais il s'en tirait bien, et à vrai dire je n'exigeais pas grand-chose de lui. Rien que de travailler dans la même pièce que lui, rester silencieux côte à côte, ça me suffisait et cela m'encourageait. Je voulais suivre son exemple, réussir aussi à faire quelque chose de prestigieux, qui pourrait servir à l'humanité. Jusque là, je n'avais fait que trop de dégâts. Mais je n'avais pas d'idées. A part inventer des histoires, que savais-je faire de bien, finalement ? Et mes histoires, je ne pouvais même plus les écrire. J'y arrivais beaucoup plus difficilement avec un clavier d'ordinateur qu'avec un stylo, et j'avais depuis longtemps abandonné, me contentant de légendes saisies quelque part dans mon imagination et libérées doucement, dans une fraîche soirée d'été irlandaise...

Et il y avait une chose qu'il avait toujours pris garde de faire, c'était de me prévenir. Je savais toujours lorsqu'il était à une soirée, ou chez Sasha, ou même chez Blake. Il savait à quel point je m'inquiétais facilement depuis la mort de nos parents et jamais il n'aurait commis l'erreur de disparaître sans me dire où il était, pourquoi il partait. Je n'avais pas tellement besoin de détails, j'avais déjà conscience d'être plus qu'envahissante. Et pourtant, je ne parvenais pas à me sentir gênée de le surveiller comme ça, même si je ressentais régulièrement un pincement de culpabilité, parce que j'avais vraiment trop peur pour lui.

Et là, il avait totalement disparu de la circulation.

Je l'avais appelé dix-sept fois. Il n'avait jamais répondu. J'avais laissé treize messages. Je connaissais son répondeur par cœur maintenant. J'avais appelé chez Blake, chez Alice, j'avais même cherché dans l'annuaire le numéro de téléphone du lieu de travail de Sasha. Ça ne répondait pas là-bas et les filles ne savaient pas plus que moi où il était. J'avais appelé Aaron, sans grand espoir puisqu'il n'était plus là, il ne savait rien. Je tournais en rond dans la maison et j'avais même failli insulter ma cousine qui m'avait soufflé d'un air agacé d'arrêter de m'angoisser, qu'on se foutait bien d'où il était et que c'était un grand garçon. Imbécile ! Sa mère avait eu l'air d'approuver, seul mon oncle avait eu l'air de se sentir mal à l'aise pour moi mais il n'avait rien dit, et sa compassion avait vite laissé la place à l'indifférence sur son visage. Tant mieux, je ne voulais surtout pas de sa pitié, pas après avoir vu comment il avait traité Aaron. Et puis, j'avais réussi à l'avoir.

- KIERAN CAHILL ! J'étais totalement morte d'inquiétude ! Où es-tu ? Qu'est-ce que tu es en train de faire ? Pourquoi tu ne m'as pas prévenue ? Plus jamais tu ne me fais ça, Kieran, tu entends ! Plus jam...

Je dois avouer que sa voix d'outre-tombe - pourtant neutre quelque part, ce qui la rendait encore plus effrayante - me calma net. Je restai bouche bée et pris conscience que des larmes coulaient sur mes joues. D'inquiétude pour Kieran ? Peut-être un peu pour Sasha aussi. Cela avait très mal démarré entre nous mais le voyage en Irlande avait achevé de nous rapprocher. Je l'aimais beaucoup, je savais qu'elle convenait parfaitement à mon frère et je ne voulais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Et puis... Je savais que Kieran sombrerait de nouveau.

- Tu veux que je vienne ? demandai-je d'une voix très douce. Oui, je sais, mais ce n'est pas grave, ajoutai-je alors qu'il me parlait de mauvais souvenirs. Bon, tiens le coup, Kieran, d'accord ?

Je raccrochai et me jetai dans le métro. Non, je n'avais pas du tout envie de retourner à l'hôpital. Je détestais cela. C'était un lieu irrémédiablement lié à la mort pour moi, et ce serait pire encore avec Sasha qu'avec Aaron, parce que Sasha avait été blessée, accidentellement, comme nos parents. Mais je devais être là pour soutenir mon frère.

Ce furent les plus longues minutes de ma vie, et je manquai me casser la figure en grimpant quatre à quatre les marches qui me mèneraient au dehors. Je me renseignai rapidement à l'accueil et m'efforçai de reprendre mon calme en marchant un peu plus posément dans les couloirs. Je souris en entendant la voix d'Aaron et passai la porte de la salle d'attente.

- Oui, je suis là, fis-je avec un pâle sourire. Ça fait plaisir de te revoir, Aaron. On dirait que ton traitement fonctionne.

J'avais prié pour lui quand Kieran m'avait parlé de ce traitement expérimental, et visiblement mes vœux avaient été exaucés. Même pas besoin de demander, ça se lisait sur son visage. Je me rapprochai de Kieran, m'assis à ses côtés et lui pris la main.

- Elle va mieux ?

— Ouais, j'étais tombé sur son studio par hasard. Mais oui, le monde est petit.

Quand on parle du loup, j'avais à peine parlé de Sorcha que la voilà qui arrive. Me saluant avant de rejoindre son frère. Me levant alors, j'embrassais la joue de ma cousine pour la saluer. Lui laissant au passage ma place. Il avait autant besoin d'elle qu'elle de lui et je n'alliais les déranger plus longtemps. Je reviendrais en temps voulu. Ou quand Sasha irait mieux. J'avais une brutale envie de meurtre envers celui qui avait fait ça. Une pulsion que je devais garder au fond de moi, mais si je l'avais face à moi … Je le détruirais, sans aucun doute, cellule par cellule.

— Je vous laisse un moment, je suis pas loin ok ?

M'éclipsant alors, je me dirigeais inconsciemment vers la fameuse machine à café. Ça m'énervait de savoir que je le connaissais et d'en même temps … Ne pas le saisir entièrement. Soit il avait changé, comme moi, soit j'étais enfin capable de percevoir quelque chose que je ne pouvais sentir en étant mortel. En tout cas, sa réflexion m'avait clairement donné envie d'en savoir plus. C'est bien le suicide ? Et j'allais sans aucun doute me faire tuer par Azraëlle si jamais elle venait à apprendre que, de une, je n'avais pas coupé tous les ponts avec ma famille, et de deux, je fonçais vers l'inconnu en ayant une sale impression.

Sortant alors mon portable de ma poche, je priais pour n'avoir aucun appel manqué d'Azraëlle, ni de Ryu d'ailleurs. Et heureusement pour moi, ce ne fut pas le cas. Et puis, lentement, je relevais la tête, m'approchant de cette fameuse machine, je rangeais mon portable avant de m'arrêter à quelques mètres de lui. Ne le regardant pas vraiment.

— Si j'ai l'air d'aller mieux, vous avez bien changer depuis la dernière fois.

Moment de crise, incertitude sur ce qu'il était … bref, on vouvoie pour éviter de se foutre dans la merde.

Aaron se contenta de me répondre qu'il était tombé sur le studio de Freddie par hasard. Je lui jetai un regard suspicieux. Il y avait un truc un peu bizarre... Aaron avait regardé avec insistance Freddie et la petite phrase concernant la guérison miraculeuse d'Aaron n'était pas sortie par hasard à un presque inconnu, rencontré une fois dans une boutique.

Mais l'arrivée de ma sœur me fit oublier tout cela. Elle salua Aaron, faisant une remarque elle aussi sur son traitement, avant de venir s'asseoir près de moi. Ses grands yeux clairs luisaient d'inquiétude et de compassion. Aaron en profita pour s'éclipser et je hochai la tête, avant de regarder Sorcha. Je lui avais dit que ce n'était pas la peine de venir. Je savais son horreur des hôpitaux, puisque c'était la même peur que la mienne. Pourtant, elle était là. Nous étions unis dans l'adversité, nous étions là l'un pour l'autre quand il y avait des coups durs.

Je me souvins alors de sa question et répliquai d'une voix que je voulais atone et donc ne trahissant pas mon propre désarroi :

- Elle a été opérée... Ils ont fait ce qu'ils ont pu mais... Enfin, les prochaines 24h seront décisives en fait. Et ils ne savent pas quand elle se réveillera. Si elle se réveille.

Raté. Ma voix n'était pas du tout contrôlée et elle se fêla sur la fin, après avoir tremblé. J'avais toujours un nœud au niveau de la gorge, alors que les larmes n'étaient jamais très loin. Sauf que je ne voulais pas pleurer devant ma sœur. Je ne voulais pleurer devant personne en fait, mais je ne réussissais pas à contenir mes larmes, malheureusement. Sorcha ne m'avait-elle pas dit que c'était stupide de vouloir jouer au fort en sa présence? Que je pouvais montrer que moi non plus, je n'allais pas bien?

- Je ne pensais pas revivre ça... Quand je l'ai vue dans cette ruelle... Avec tout ce sang... j'étais tétanisé. Je ne pouvais rien faire Sorcha. Encore une fois, je ne pouvais rien faire...

Aaron me déposa un rapide baiser sur ma joue avant de s'en aller, nous laissant tous les deux. Je m'installai auprès de Kieran, lui prenant la main et il entreprit de me décrire ce qui s'était passé. Je parvins à ne pas me figer, à ne pas laisser mes yeux naviguer dans le vide, regardant des souvenirs atroces au lieu de la réalité, cependant, je ne pus m'empêcher d'atrocement pâlir. C'était dur, trop dur parce que ça me rappelait tout ce que les médecins nous avaient dit à propos de ma mère. Elle, elle ne s'était pas réveillée. Comment étais-je censée rassurer Kieran à partir de là ? J'étais trop bien placée pour savoir que ce n'était pas parce que les gens devaient vivre que leur corps les laissait faire.

Mais je ne pouvais pas laisser Kieran dans cet état. Ça ne servait à rien de venir si je n'étais pas capable d'être forte et de le soutenir. Je lui avais toujours dit qu'il n'avait pas à faire semblant d'être fort en ma présence... Néanmoins, voir des larmes couler sur le visage de mon frère me donnait l'impression que le monde s'écroulait. Je déposai un baiser sur sa joue, en effaçant une délicatement.

- Elle va se réveiller. J'ai prié pour elle. Il ne voudra pas te faire subir ça une deuxième fois. Ce ne serait pas juste.

Je me mordis la lèvre alors qu'il me parlait de ces souvenirs, encore, ces souvenirs qui m'assaillaient presque aussi fort que lui. C'était horrible d'avoir l'impression d'être téléporté ainsi plus d'un an en arrière.

- Tu peux y croire ! Crois en elle, en sa volonté ! On a tous fait ce qu'on pouvait. Elle a été opérée et ça s'est bien passé, c'est déjà bien, cela aurait pu très mal se terminer ! Maintenant il n'y a plus qu'elle et Dieu. Tu crois toujours en Dieu, Kieran ? Tu as toujours confiance en lui ?

Je le regardai en souriant :

- Moi, j'ai confiance. Parce que s'il t'a fait rencontrer Sasha, il ne te l'arrachera pas si facilement.