Tu veux une rose ? | Erika

-"Ouais...Non, je ne sais pas si je pourrais respecter le temps imparti...Ben écoute, je fais ce que je peux, je te rappelle, je suis pas au studio là."

Je baissais le bras en refermant mon portable, me massant la tempe a deux doigts. Bon sang ! La peste soit des types qui pensaient que je pouvais faire des miracles en deux heures ! Fallait pas non plus déconner, l'état de la bande était telle que j'en avais minimum pour une nuit entière. Je me frottais la tête en rangeant mon téléphone dans ma poche. Je n'arrivais pas vraiment a me faire à ce jean, mais quelque par, la gamine avait raison, il était sans doute temps de changer de style. Idem, j'avais perdu l'habitude de voir correctement, n'ayant plus ma mèche tombante sur l'oeil. Sacrée transformation non ? D'ailleurs, j'avais du mal a me reconnaitre dans la glace parfois.

Je plongeai mes mains dans mes poches, traversant le parc d'un bon pas en direction d'un petit magasin d'audio. petit par la taille, grand par la réputation. C'était assez cher mais je savais que je ne trouverais pas mieux pour une nouvelle sono plus adaptée a ce que je faisais.

Je bifurquai a la droite d'un massif de rose lorsque je tombai sur une silhouette familière tranquillement assise sur un banc. Tiens, j'étais en train de me dire que cela faisait un bail que je n'avais pas vu Erika. A ce demander si elle ne m'évitait pas. Mais c'était idiot de le penser, elle devait sûrement être occupée avec ses concerts ou un nouvel album. Faut dire qu'elle les enchainait.

Tranquillement, je m'approchais d'elle, un léger sourire aux lèvres, perdue dans ses pensées, elle ne m'entendit pas arriver mais le son de ma voix lui fit prendre conscience de ma présence.

-"Salut Erika. Tu prend l'air ?"

Il y avait de l'amusement dans ma voix et une étincelle rieuse dans mes yeux bleus.

Besoin d'air, besoin de réflechir, alors que ma vie m'échappe encore, que je suis entrainée malgré moi dans un tourbillon que je ne peux maitriser. Pendant des mois, des années, j'ai rêvé de croiser de nouveau la route de Gabriel, afin de lui montrer que je lui avais échappé, afin de me venger de ses manipulations et de sa trahison. J'en ai rêvé, cela m'a permis de tenir le coup, de ne pas sombrer. Et la réalité est malheureusement toute autre. Gabriel est revenu dans ma vie et je ne parviens plus à distinguer le vrai du faux. Malgré ma méfiance, malgré tout ce que je sais de lui, il m'embrouille de ses paroles, de ses gestes tendres. Nous avons un contrat, il a un mois pour me prouver qu'il m'aime, qu'il a changé, qu'il m'a fait du mal pour se protéger lui-même.

Suis-je donc à ce point naïve que je bois toutes ses belles paroles? J'ai besoin de m'isoler. Je suis trop bien avec Gabriel, trop heureuse de ses attentions, de ses attitudes romantiques, de notre complicité. J'aime beaucoup trop cela et je sens que quelque chose cloche. Que je ne suis pas assez méfiante et qu'il joue encore avec moi.

Camden Town a toujours eu un effet lénifiant sur moi. Aujourd'hui n'échappe pas à la règle. Aujourd'hui, je suis l'Erika d'avant, vêtue sobrement d'un slim noir, de ballerines argentées et d'un chemisier crème, avec une petite veste noire pour compléter le tout. Mes longs cheveux blonds platines sont attachés à la va vite, sans réelle structure, et aucun but si ce n'était de ne pas me gêner. Seul un léger maquillage vient agrémenter mon visage, un trait de liner et un rouge à lèvres beige. Je ressemble à n'importe quelle étudiante anglaise.

Perdue dans mes pensées, c'est une voix connue qui m'en arrache. Un petit sourire fleurit sur mes lèvres, même si je suis mal à l'aise de me retrouver en compagnie de Freddie. Je l'ai complètement délaissé depuis que j'ai retrouvé Gabriel et que je me suis embarquée dans ce pari insensé. Je sais que Freddie désapprouvera quand il l'apprendra et je n'ai pas envie de m'engueuler avec lui aujourd'hui.

Je lève le nez vers lui alors que mon sourire vacille. Attendez... C'est qui ce canon? Freddie? j'ouvre de grands yeux ronds, surprise par cette apparition. Où est passé le jean slim? La teinture noire et la mèche qui lui cache l'œil? Les piercings? Où est le look émo adolescent? Devant moi, se tient un homme, incontestablement. Et très séduisant en plus.

- "Putain, Freddie..."

Je me lève pour le dévisager et le mater de haut en bas et de bas en haut.

- "T'as gagné une séance de relooking ou quoi?"

-"Non, une employée qui n'a pas la langue dans sa poche."

Répliquais je en haussant une épaule, soumis a l'oeil scrutateur d'Erika, je levai les yeux au ciel. Oui, bon, je veux bien que ça lui fasse un choc mais a ce point là quand même ! Cela dit, la gamine avait raison, comment vouliez vous que je me lance plus ou moins dans les affaires avec un look rétro / bizarre ? Bon, j'avais un peu de mal a m'y faire mais je faisais avec. J'avais tout de même gardé un petit diamant a l'oreille.

Je levai une main pour ébouriffer les cheveux d'Erika qui, pour une fois, étaient coiffés de manière plutôt soft, de même que son maquillage. Je la préférais comme cela d'ailleurs, plutôt que son masque de carnaval qu'elle enfilait pour ses concerts.

-"Dis donc, ça fait un bail que je ne t'avais pas vu. Le boulot te prend tant de temps que ça que tu n'ai même plus le temps de passer voir un vieux pote ?"

Demandais je en m'asseyant sur le banc, étalant mes jambes devant moi pour finir par croiser les chevilles, posant mes coudes sur le dossier, un sourire amusé aux lèvres. Finalement, je tapotai la place a coté de moi.

-"Assieds toi va, je te mangerais pas pour m'avoir abandonné a mon triste sort."

Ajoutais je avec un brin d'humour avant de regarder le ciel, pour une fois qu'il était bleu celui là, autant en profiter.

-"Tu vas bien ?"

Finis je par demander en plongeant dans son regard.

Un sourire amusé dansa sur mes lèvres quand il me rétorqua le plus naturellement du monde que ce n'était pas un relooking, mais le fait d'une employée... Ah oui? Une demoiselle lui avait dit que son look craignait un peu? Je l'avais toujours trouvé original et n'avais jamais rien trouvé à y critiquer, mais force était de constater que le classique lui allait encore mieux et mettait en valeur ce qui ne m'avait pas sauté aux yeux de prime abord.

- "Il faudra que tu me la présentes, je crois que je l'aime déjà ton employée."

Rien à dire, Freddie était... canon. Sexy. Des adjectifs qui ne me seraient jamais venus à l'esprit avant. Mignon oui. Sympa aussi. Mais pas de bombe sexuelle à l'horizon. Là... Pfiou, il allait se faire harceler par les femmes, en avait-il seulement conscience?

Il m'ébouriffa les cheveux et je protestai pour la forme. Je n'étais pas coiffée de toutes façons. Pas vraiment. C'était un truc fait à l'arrache pour me dégager le visage, rien de plus. Cela dit, mon sourire disparut quand il me demanda si le travail me prenait trop de temps pour donner des nouvelles. Je n'avais pas envie de lui mentir, mais je ne pouvais pas non plus lui avouer que ce qui me tenait éloignée de lui, c'était Gabriel. Il allait m'étriper.

- "Tu sais comment c'est, on a des journées de dingues et le temps file à la vitesse de l'éclair."

J'esquissai un petit sourire en coin pour cacher mon malaise, mais je n'avais jamais été une bonne comédienne. Il s'assit sur le banc et m'invita à faire de même, me pardonnant de l'avoir négligé.

- "Tu es trop magnanime."

Cela dit, je m'assis en tailleur sur le banc, jouant avec une mèche de cheveux, trahissant une certaine nervosité qu'il ne manqua pas de déceler. J'avais mal à l'estomac de devoir aborder ce sujet avec lui.

- "Ça va comme d'habitude... Ça répond à ta question?"

C'était une vérité et aussi une façon d'éviter le sujet. J'étais partagée, déchirée. J'aimais Gabriel, tout en sachant qu'il pouvait très bien se jouer de moi. Mais je désespérais qu'il m'aime vraiment et soit réellement attaché à moi. Et de l'autre côté, il y avait Freddie, toujours là pour moi, attentionné, gentil, qui devait bien m'aimer aussi... Je ne savais plus.

- "J'ai revu Gabriel."

La bombe était lâchée, je me recroquevillai malgré moi, regardant obstinément le sol, comme une enfant prise en faute.

-"Ouais, quand elle reviendra de vacances. Y a que moi pour donner des vacances a une employée qui est là que depuis deux semaines."

Bougonnais je avec une mine amusé. En vérité, si je lui avais donné des congés, c'était parce que c'était possible, sinon, elle n'aurait rien eut. On était dans la période de creux, bien qu'il n'y ai pas vraiment de période en fait, mais je pouvais m'en sortir sans elle pendant un mois.

Je lui passai une main joueuse dans les cheveux et sourit devant sa négation. Malgré tout, je compris assez vite que quelque chose clochait. Je lui avais donné une échappatoire avec cette histoire de concert, mais vu la nervosité avec laquelle elle agissait, je doutais franchement que ce soit ça le problème. Allons bon...Elle plongeait tête baissée dans la porte de sortie, mauvais plan, songeais je en plissant légèrement les yeux.

-"Ouais je sais."

répondis je un poil sceptique alors qu'elle s'enfonçait de plus en plus dans cette nervosité qu'elle semblait soudainement ressentir devant mes questions somme tout banales a la base.

Finalement, l'air de rien, je m'assis, l'invitant a faire de même, ne la quittant pas des yeux.

-"Plus ou moins."

Riais je doucement avant de renverser la tête en arrière fermant les yeux, inspirant profondément l'air avant que mes poumons ne se bloquent a sa petite bombe. Inutile de la regarder, je savais déjà quelle tête elle arborait a l'instant.

Je ne dis rien dans un premier temps, restant immobile, comme figé. Elle avait revu Gabriel. Sans même être prête pour ça. Voyons qu'avait donc bien pu faire la Main de Dieu ? Il ne fallait pas être un génie pour le deviner, surtout pour moi qui avait suivi ses cours durant quelques années. Une simple phrase et je n'étais plus qu'une statue de pierre.

Puis, un léger sourire qu'elle ne pouvait voir, s'imprima sur mes traits. Ma physionomie entière changea brusquement, se faisant plus souple, plus charmeuse sans doute avant que je n'ouvre de nouveau les yeux, empreint de regrets, de douleur, de peur aussi, que je ne redresse la tête. Ma voix charriant autant de velours que de douceur teinté de douleur.

-"Erika...Pardonne moi d'avoir dut te fuir il y a trois ans. Je me dois maintenant de te dire la vérité..."

Je me redressais totalement, me penchant un peu sur elle, même mon visage ne respirait que rédemption alors que je continuais.

-"Je ne nie pas que tu fus pour moi une proie de choix. Je n'ai fais que ça durant des millénaires...Comprends moi, je n'ai pas le droit de m'attacher...Mais là, en te voyant...Comment décrire ce qui me traverse, le coeur qui s'emballe, même ta voix me séduit encore plus...Je t'aurais fait du mal...Je t'ai fait du mal...Je ne voulais que te protéger, tu comprends ?"

Mes yeux n'étaient qu'amour a cet instant alors que je la forçais presque a lever les siens vers moi, avec douceur et tendresse.

-"Tu m'as quitté et je n'ai pas eu le courage de te retenir, qui étais je pour cela ? Je ne suis qu'un ange dément, mauvais...L'amour que tu me portais, je n'avais pas le droit de te le rendre et pourtant...Il est là. Toujours présent. J'ai eu peur."

Mon sourire se teinta de souffrance.

-"Tu as le droit de ne pas me croire mais...S'il te plait...Laisse moi te le prouver...Donne moi du temps, une autre chance...Je te prouverais que j'ai changé, la sincérité de mon amour pour toi...S'il te plait..."

Finissons en beauté sur une note suppliante tiens...Puis la souffrance déserta mon sourire, remplacé par de la froideur et une colère noire.

-"J'ai tout bon Erika ?"

Fini la tendresse, le douceur, les intonations suaves et la rédemption.

Je tressaillis. Violemment. Je m'étais attendue à beaucoup de réactions de la part de Freddie, mais celle-ci fut, finalement, la pire. Je le regardais brutalement en face, surprise de l'entendre me parler ainsi, comme s'il avait été dans l'hôtel, dans cette chambre, comme s'il avait été là et nous avait observé pour pouvoir, aujourd'hui, me ressortir cette discussion. Je n'aimais pas sa façon de me regarder, alors que je savais qu'il mentait, qu'il se fichait de moi, qu'il mimait un amour qui n'existait pas. Mes yeux s'agrandirent d'horreur quand il se rapprocha de moi, avec une expression terriblement sincère et qu'il continuait impitoyablement.

Arrête...

S'il te plait, arrête...

Mais non, il continuait, reprenant dans la même veine, continuant de tenir le même discours que Gabriel, cette rédemption, cet amour qu'il avait eu et n'avait pas su gérer, d'où la volonté de me détruire. Que Freddie le dise lui aussi me semblait intolérable. Je savais que Gabriel était un manipulateur hors pair, je savais qu'il pouvait se moquer de moi, jouer avec moi.

Mais je fus horrifiée de découvrir que Freddie en était également capable.

Je ne savais plus où j'en étais, qui je devais croire, qui je devais aimer. Il me semblait aller mieux depuis quelques temps et Freddie soufflait sur mes espoirs, comme on souffle que un château de cartes, faisant s'écrouler absolument tous mes espoirs, impitoyablement.

J'avais mal, de nouveau, cette douleur qui semblait me comprimer le cœur. C'était un trou béant dans ma poitrine, je ne voulais plus de ça, plus de faux semblants, plus rien ressentir. J'étais devenue livide, ma tête bourdonnait. L'expression de Freddie changea, alors qu'il semblait bouillonner de colère et aussi être fier d'avoir effectivement raison. Ah, tu es fier de toi? Tant mieux, tu avais raison, je ne suis qu'une pauvre idiote, qui encombre tout le monde, se fait manipuler par tout le monde. Pourquoi te soucier encore de moi?

Je me levai brutalement, ressemblant plus à une morte qu'à une vivante, prise de vertiges. Je vacillai en le foudroyant du regard. Il avait tout piétiné, tout anéanti. Jamais je ne l'aurais pensé capable d'autant de cruauté.

- "De tous ceux que j'ai fréquenté, Freddie, je ne pensais pas que tu serais celui qui me blesserais le plus cruellement."

Envolés les derniers espoirs. Rien, il ne me restait rien, même Freddie pouvait me faire du mal, lui qui avait juré de me protéger. Je reculai doucement, les lèvres tremblantes.

- "Tu sais quoi? Merci. Merci de m'ouvrir les yeux. Je ne serais plus une source de problèmes pour toi. Pour personne en fait. Qui regrettera l'insignifiante et stupide Erika?"

Je sortis alors un canif de la poche arrière de mon jean.

- "Rends-moi service. Arrache-moi le cœur, j'en ai assez de cette comédie."

Je plantai alors le canif dans ma poitrine, à l'endroit de mon cœur et m'écroulai subitement, espérant que mon calvaire se terminait enfin, que Freddie accomplirait le seul acte charitable qu'il puisse avoir pour moi.

Une douleur physique pour en chasser une, bien plus terrible encore. C'est facile de se donner la mort, si facile. C'est de la lâcheté, sans doute. Je suis incapable de supporter ces faux semblants, cette trahison. Jamais je n'aurais pensé Freddie capable de cette cruauté. C'était oublier qu'il avait été un ange, qu'il avait été à bonne école. Que je meurs donc, que je cesse de polluer cette vie avec ma stupidité, ma naïveté. Freddie a très bien su me le faire comprendre. La dague se planta dans ma poitrine, se logeant dans le cœur et je ressentis une vive douleur, avant de m'écrouler, emportée par la bienheureuse inconscience.

Arrache-moi le cœur Freddie. C'est le seul service que tu puisses me rendre. La plus belle preuve d'amour que tu puisses me donner.

J'ouvre les yeux, brutalement, je suffoque, avant de me retrouver prise dans l'étreinte de quelqu'un. Désorientée, je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, avant que la voix de Freddie ne parvienne à mes oreilles. Et voilà, encore une idiote. Mais je ne proteste pas, fermant simplement les yeux et pleurant doucement. Pourtant, quand il parle de manipulation, quand il parle de Gabriel, je le rejette brutalement, faisant un bond en arrière, toujours assise dans l'herbe. Tiens, nous ne sommes plus au même endroit. Freddie est plus pâle, son front couvert de sueur. La guérison est quelque chose de difficile pour lui. Pas suffisamment néanmoins.

- "J'ai compris Freddie! J'ai compris que tu ne me considères que comme une gamine idiote qui retombe dans les bras de celui qui l'a tant fait souffrir."

Je passais une main tremblante dans mes cheveux, avant de baisser la tête et de regarder mon haut maculé de sang. Mon sang. J'y portais ma main, avant de la regarder, fascinée par le liquide carmin.

- "Pourquoi ne m'as-tu pas arraché le cœur? Ce cœur stupide qui s'emballe quand il le voit et qui m'empêche de penser?"

Je léchais le sang, avec une fascination morbide, comme déconnectée de la réalité, avant de le regarder bien en face.

- "J'ai toujours su que tu avais été un ange. Mais entre le savoir et le voir, il y a une différence. Et je n'aime pas ce que j'ai vu."

-"Non tu n'as rien compris, c'est sans doute ça qui te rend aussi adorable."

Soupirais je. Non, elle ne comprenait vraiment rien. Trop entière, trop passionnée. Elle refusait d'écouter la raison, se blessait mortellement sur des futilités.

Je m'essuyais le front et remarquai mes doigts un peu tremblants. Je souris légèrement ironique en les regardant. Un jour, peut être que j'arriverais a guérir sans moi même me tuer...Peut être.

Je baissais ma main alors qu'elle, elle baissait les yeux sur son propre sang.

-"Parce que ce serait trop facile ?"

répondis je dans un premier temps alors qu'elle me demandait pourquoi je ne l'avais pas tué. Décidément. Elle était vraiment idiote parfois, mais cela en devenait attendrissant par certain coté.

-"Apprend a ton coeur a raisonner. D'ailleurs, est ce lui qui bat lorsque tu le vois ou ton ventre qui réclame sa présence ? Pose toi les bonnes questions, Erika."

Je réprimai une grimace alors qu'elle passait sa langue sur ses doigts poisseux. Si elle n'aimait pas mon image d'ange, je n'aimais pas ce coté morbide.

-"Ca fait partit de moi, que tu le veuille ou non..."

Et ce coté, elle semblait l'adorer chez Gabriel. Mais je me tus, soupirant doucement avant de lui tendre un mouchoir en papier, histoire qu'elle s'essuie.

-"Crois tu réellement que je ne suis qu'un type tolérant, trop gentil et adorable ? Tu aurais le droit de le penser, je ne t'ai jamais montré autre chose...Mais la réalité est différente."

continuais je en laissant ma tête se reposer sur le tronc d'arbre. Je sentais poindre une migraine...

-"Triste réalité non ? Oui, je peux être aussi mauvais qu'un ange mais la différence est sans doute que là où lui, jouira de ta douleur, moi...Elle ne fera que me blesser d'avantage."

Adorable. Ah bon? La stupidité était adorable? Première nouvelle. Ce n'était pas ça qui l'avait mis en colère il y a quelques minutes et conduit à me blesser cruellement? Il faudrait savoir au bout d'un moment. Je l'observais alors qu'il semblait payer le prix de son effort pour me soigner. Je ne l'avais jamais vu à l'œuvre, je n'avais jamais vu combien c'était difficile pour lui. Il était pâle, en sueur, un peu tremblant. Pas très en forme quoi. M'arracher le cœur comme je le lui avais demandé lui aurait coûté moins de désagréments. Une petite partie mesquine en moi ricana en disant que c'était bien fait, que c'était une maigre vengeance pour le mal qu'il m'avait fait subir en un rien de temps.

Je lui demandai pourquoi il n'avait pas fait ce que je lui avais demandé et il me rétorqua que c'était trop facile. Je fis la moue, avant de répliquer :

- "La facilité a ses avantages. Je n'ai jamais été une battante et je ne le serais jamais. Alors laisse-moi être lâche."

Il me suggéra alors d'apprendre à mon cœur à raisonner et me demanda si c'était mon cœur qui s'emballait quand je voyais Gabriel, ou mon ventre qui brûlait. Amour ou désir? Fascination? Goût prononcé pour l'auto destruction?

- "Je crois que les deux se mêlent..."

Je n'étais plus certaine de rien en fait. Freddie bouleversait mes repères. Ce que je savais, c'est que j'éprouvais pour Gabriel, des choses que je ne ressentais pas pour Freddie. Et réciproquement. Cœur d'artichaut, petite amoureuse idiote... Je n'aimais pas cette facette de Freddie et je le lui dis. Cela faisait partie de lui, il ne pouvait pas lutter contre, sauf qu'il ne montrait jamais ce côté là, quand Gabriel s'en servait tout le temps. Son aveu me fit pleurer de plus belle alors que j'étais sensible à sa douleur, ne sachant sur quel pied danser. Doucement, je m'approchai de lui à 4 pattes. Mes vêtements étaient ruinés de toutes façons, et je m'assis sur mes talons, posant mes doigts sur ses tempes, le soulageant de sa fatigue, de sa migraine, de ces stigmates qu'il endurait après m'avoir soigné. Je murmurai :

- "C'est ta gentillesse que j'aime. Ton soutien... Ton regard."

Je soupirai, posant ma tête contre son torse.

- "Pourquoi t'être attaché à une fille comme moi qui ne t'apporte rien de bien?"

Je soupirai. Freddie avait raison, avec une telle mentalité, je ne ferais jamais rien. J'avais l'air forte et sûre de moi avec les gens qui ne me connaissaient pas, mais mes proches et cela ne comptait que Freddie et Gabriel, savaient que ce n'était que de la poudre aux yeux et que j'étais terriblement fragile et mal dans ma peau, que je n'avais pas confiance en mes points forts. Et comment rivaliser avec un séraphin vieux de 2000 ans hein? Ou même avec un démon qui avait été un ange? Face à eux, je n'étais qu'une enfant.

- "J'espère... Je ne sais pas. J'ai longtemps cru que je me contenterais qu'il succombe à mon charme et que je piétinerais son amour avec une joie féroce. Mais je me suis leurrée. Ce que je voudrais, c'est être aimée, vraiment, totalement..."

Freddie me dit alors que je ne savais pas discerner le désir de l'amour. Peut-être... Étais-je amoureuse de Gabriel? Étais-je amoureuse de ce salaud sans cœur qui m'avait poussé au suicide? Non... Pourtant, il m'avait ouvert quelques portes de son âme, et en ces rares moments d'abandon, je l'avais vraiment aimé. Peut-être n'aimais-je qu'un mirage, un jeu d'acteur. Il était ce que je voulais qu'il soit. C'était trop parfait. Le raisonnement de Freddie me faisait mal. Une seule personne à blâmer. Moi. Effectivement, parce que j'avais été faible et naïve, je m'étais tuée. C'était ma faute, entièrement.

Je recherchais son soutien, avant de lui dire ce qui me plaisant en lui. Son rire de dérision, son ironie, ne me plurent pas. Qu'avais-je dit de mal? Se désolait-il d'avoir cette image auprès de moi? Ou bien me plantais-je encore totalement? Il ne me laissa pas le temps de m'interroger, me révélant quelle matière Gabriel enseignait, avant de me mettre en garde contre la Directrice qui n'aimait pas les fainéants. Je regardai Freddie, surprise, avant qu'il ne me demande quel délai je lui accordais.

- "Un mois."

Je me mordis la lèvre, avant de demander :

- "Je voudrais son amour, je voudrais le détourner du chemin qu'il a emprunté. C'est stupide, je le sais. Mais je suis incapable de m'éloigner de lui, il m'attire comme un aimant. Comment résister à son attraction?"

- "Me sentir importante et unique pour quelqu'un."

Être aimée, ou être aimée de lui... Une question pertinente, à laquelle je n'avais pas vraiment de réponses. Bien sûr que cela serait formidable que Gabriel soit épris de moi, mais je savais aussi que ce n'était pas forcément l'homme qu'il me fallait pour m'épanouir. Je savais qu'il était dangereux, je savais qu'il travaillait dans l'autre camp. Ce serait tellement plus simple que je me détache de lui pour tomber amoureuse d'un mec gentil, qui prendrait soin de moi. Mais ce n'était pas si simple.

Il demanda combien de temps Gabriel avait laissé et je lui répondis un mois. Il s'enquit alors de quelle porte de son passé il avait ouverte et je lui lançai un regard, consciente qu'il savait que Gabriel avait utilisé une technique, sans doute. Et qu'il tenait à me le faire savoir.

- "Il m'a parlé de son passé en tant qu'humain."

Freddie semblait agacé que je ne me raccroche pas à autre chose, que je ne passe pas à autre chose, que je ne me détache pas de Gabriel pour vivre ma vie. Trois ans, presque quatre que j'étais morte et rien n'avait changé. Il avait terriblement raison à ce sujet. Il me demanda soudainement si j'avais rendez vous avec Gabriel ce soir. Surprise, je hochais la tête, presque timidement. Est-ce que j'allais encore me faire engueuler? Il décréta que je n'irais pas et que je sortirais avec lui ce soir.

- "Quoi?"

Franchement surprise et prise au dépourvu, je le regardais avec des yeux ronds? Qu'est-ce qu'il avait en tête? Il me briefa alors sur ce que je devrais dire à Gabriel quand je l'appellerais pour annuler notre rendez-vous, espérant que je savais mentir. J'étais de plus en plus intriguée en fait. Il enchaina en me confiant que le problème était que Gabriel savait tout de moi et savait quand je mentais ou pas. Qu'on allait le rendre un peu fébrile. Quoi? Freddie allait m'aider à faire tourner en bourrique Gabriel? Pourquoi? Il reprit en me demandant si c'était lui que je voulais et que dans ce cas, il allait m'aider, mais selon ses règles.

- "Pourquoi tu m'aiderais? Alors que tu désapprouves complètement et me trouves idiote."

Pourtant, j'avais envie d'essayer... Il me demanda si j'avais confiance en lui et je le regardai longuement. S'il y avait une seule personne au monde en qui j'avais confiance, c'était lui.

- "Oui, j'ai confiance en toi."

Je sortis mon téléphone de ma poche, me mordillant la lèvre inférieure d'un air indécis, avant de composer le numéro de Gabriel, prenant une grande inspiration.

- "Gabriel? C'est Erika. Oui ça va. Juste... Je suis désolée, mais ce soir, je ne pourrais pas sortir avec toi. Freddie m'a invitée à sortir et ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu tous les deux. Mais nous aurons d'autres occasions. Il faut que je te laisse. Je t'appellerais demain, je sais pas quand je rentrerais. Bisous."

Je raccrochai alors, tremblante d'avoir du mentir. Et d'avoir éconduit Gabriel.

- "Et maintenant?"

D'accord. J'avais un allié pour battre Gabriel à son propre jeu. Simplement pour arrêter de me voir pleurer et parce qu'il préférait mes sourires. Tout était normal. Première étape : annuler mon rendez-vous avec Gabriel. Super. Je devais l'appeler et annuler. Je pris une grande inspiration, avant de composer son numéro et de l'appeler, parlant assez vite, tout en essayant de ne pas trahir ma propre nervosité et faire en sorte que cela soit naturel. Sauf que quand je raccrochai, j'avais le corps tout tremblant de ce que j'avais fait. Quelle conne vraiment. Freddie m'enjoignit de cesser de trembler. Non, je ne faisais rien de mal, c'est vrai. Je hochai la tête, prête à le suivre dans son plan. S'il en avait un. Il parla de se changer, avant de tendre brutalement la main pour me prendre mon portable. Je lui lançai un regard surpris, avant de m'exécuter docilement. D'accord, j'étais donc complètement injoignable pour les prochaines heures. La confiance régnait.

Je le suivis jusqu'à sa voiture et il me raccompagna chez moi, me demandant de porter quelque chose de décontracté et classe. Je fis la moue, avant de monter dans la salle de bain et de me délester de mes vêtements souillés, pour entrer dans la baignoire et laisser le jet couler le long de ma peau, délassant mes muscles, avant que je ne me savonne presque frénétiquement pour retirer le sang. Je sortis finalement de la baignoire, me séchant et allant jusqu'à ma chambre en peignoir. Là, je commençai à fouiller dans ma penderie. Il y avait un peu de tout, de tous les styles... Du jean et T shirt de base, aux corsets et trucs en cuir un peu trash. Je dénichai une petite robe noire, avec le col et les épaules en voile blanc. Courte, mais pas à outrance, assez classe et sage. Je me séchai les cheveux, avant de les lisser. Je me maquillai légèrement et finis par descendre rejoindre Freddie.

Il me détailla de la tête aux pieds, avant de m'avouer me préférer ainsi. Ça, je le savais, il me l'avait déjà dit. Là, je redevenais pas petite fille sage, l'élève studieuse que j'avais été. J'allai enfiler des escarpins avec une lanière autour de la cheville alors que Freddie me demandait de ne pas parler de Gabriel ce soir.

- D'accord.

Freddie s'effaça pour me laisser passer et nous grimpâmes de nouveau dans sa voiture. Je me laissai conduire et descendis pour découvrir un club. Le Twin. Je ne connaissais pas. Et je ne savais pas que Freddie fréquentait ce genre d'endroit. Nous entrâmes et je n'eus pas le temps de dire ouf qu'une brunette se jeta sur Freddie et l'embrassa à pleine bouche sous mon regard interloqué. Mais vas-y, ne te gêne pas surtout. Je remarquai alors une autre femme. Oh des jumelles. Surement les deux proprio au vu du nom de la boite. Dont une semblait avoir eu une relation avec Freddie et ne pas avoir compris que c'était fini. Enfin, était-ce seulement fini?

La jeune femme qui semblait plus pondérée me souhaita la bienvenue et je m'emparai de sa main, alors que Freddie me présentait. Et que la dénommée Eva me jetait un regard méprisant. Petite jalouse.

- Enchantée.

Eva se barra sans autre forme de procès alors que Freddie discutait avec Vivien, apparemment surpris que l'autre soit encore accroc à elle. Vivien excusa sa sœur et je souris.

- Ce n'est rien. La jalousie est mauvaise conseillère.

Je ne cherchais pas à la détromper concernant ma relation avec Freddie. Je ne savais même pas la définir moi même alors... Vivien tapa dans ses mains avant de s'adresser à Freddie concernant la table et la boisson, vu qu'il était un habitué.

- Euh la même chose.

Je ne savais pas du tout ce qu'était la cocktail, mais pas grave. Je suivis alors Freddie jusqu'à SA table. Nous nous installâmes et Freddie s'excusa pour le comportement d'Eva lui aussi.

- Sérieusement, je m'en fous de sa petite crise de jalousie. Pas la peine de vous excuser pour elle quand elle n'en a rien à faire de mon pardon. Ce n'est pas une ancienne petite amie éconduite qui va me gâcher la soirée, tu sais?

Je regardai autour de moi.

- Sympa. Je ne connaissais pas ce lieu.

Je jetai un regard en coin à Freddie alors qu'il se disait désolé qu'Eva se comporte ainsi alors qu'elle était fascinante. Fascinante, vraiment? Mais vas-y Freddie, fais moi donc la liste de ses qualités à ta merveilleuse ex qui se conduit comme une gamine face à une rivale. Ce qui était ridicule, je n'étais même pas en couple avec Freddie, nous étions juste amis. Alors pourquoi ce petit pincement de jalousie alors qu'il semblait vanter son ex ? Je devais reconnaître qu'elle était plus que jolie et avec un corps de déesse. Et là, c'était moi qui faisais figure de gamine en comparaison.

- Nous entendre? Et pourquoi?

Franchement... Je ne voyais pas, elle ne m'avait pas faire une super impression la Eva, mais bon. Je lui avouais alors ne pas connaître cet endroit et Freddie me narra comment il avait aidé Vivien dans ses débuts. Il se renfonça dans son siège et mon regard se posa sur ses longs doigts qui pianotaient sur la table alors qu'il me confiait aimer l'ambiance ici. Je levai le nez pour regarder, avant de hocher la tête.

- J'avoue, c'est plutôt sympa.

Il ajouta avec malice que Vivien préparait de supers cocktails. Il était complètement détendu, dans son élément. Et je le trouvais extrêmement séduisant. Vivien arriva et nous déposa les cocktails, s'excusant de ne pas pouvoir rester et filant aussitôt. Tant mieux, je n'avais pas envie de partager Freddie en fait. Égoïstement, je le voulais pour moi toute seule. Il porta alors un toast et je souris, levant mon verre en écho.

- A nous plutôt.

Je n'ajoutai rien, trempant mes lèvres dans le cocktail préféré de Freddie. Je me passai une langue gourmande sur les lèvres.

- Hummm, c'est excellent!

Je reposai mon verre, avant de reprendre, en jouant avec mon verre :

- Qu'est-ce qui t'a plus chez Eva ?

Je m'amusais à faire le tour du cylindre avec mon index, sans regarder Freddie. Ce n'était que de la curiosité, juste de la curiosité. Il n'y avait rien derrière cette question.

Lui parler d'art? Ah bon? Enfin, moi l'art... j'aimais bien ça, surtout niveau musical en fait. Côté tableau, peinture, sculpture, j'avais quelques notions, parce que j'avais adoré hanter les musées étant plus jeune, mais j'étais loin d'être une spécialiste. Alors comme ça, la volcanique Eva était une amatrice d'art... C'était peut-être de de ses facettes qui avait plus à Freddie?

Mon regard se promena sur le décor. j'aimais bien cet endroit et je comprenais qu'il plaise à Freddie. C'était chic et branché, mais un peu cosy et intime aussi. Loin de certains bars huppés archi-fréquentés et impersonnels. En fait, on se sentait bien ici, presque à la maison. C'était une sensation étrange, à laquelle je n'étais pas habituée. Parce que finalement, je ne me sentais chez moi nulle part, même pas dans ma propre maison. Et il me vint l'idée étrange que c'était peut-être parce que j'étais seule dans une immense maison ultra moderne et complètement aseptisée.

- Tes cuites les plus sévères? Olala, il faut absolument que je discute avec Vivien, je ne t'ai jamais vu saoul.

Et bien, imaginer Freddie saoul, ça faisait un drôle d'effet. C'était comme imaginer un hot dog sans saucisse quoi. Avec moi, du moins, en ma présence, il était toujours très calme et maître de lui, responsable. Je ne l'avais jamais vu déchiré. Vivien arriva sur ces entrefaites et déposé nos cocktails avant de nous laisser. Freddie porta un toast en mon honneur et je le corrigeai pour l'y inclure. Je goutai alors la boisson, la jugeant vraiment succulente. Freddie m'apprit alors qu'il était à l'origine de ce cocktail.

- Ah bon? Et comment tu en es arrivé à créer des cocktails, toi?

Décidément... Il y avait tout un pan de sa vie que je ne connaissais pas et qu'il me laissait entrevoir ce soir. Pour quelle raison exactement, je ne le savais pas. Peut-être pour me faire oublier Gabriel réellement. Peut-être pour que je le découvre lui, tout simplement. Je lui demandai alors ce qui lui avait plus chez Eva. Question indiscrète, mais bon, étant donné l'impression que j'avais d'elle, là... Je ne comprenais pas bien. Il me répondit alors avec un petit sourire qui m'horripila sans que je ne sache expliquer pourquoi. Il me fit son portrait : fougueuse, entière, passionnée, fragile aussi. Mélange détonnant. Je comprenais que ça lui plaise.

Je bus une nouvelle gorgée, avant de manquer m'étrangler quand Freddie se souvint qu'elle avait peint un nu de lui et qu'elle devait encore l'avoir. Je toussai violemment, avant de le regarder, interloqué :

- QUOI?

Je repris ma respiration.

- Elle a un portrait de toi à poil chez elle?

Freddie s'opposa vivement à ce que je discute avec Vivien de ses cuites... La meilleure façon de me pousser à lui demander plus ardemment encore. j'espérais bien qu'elle se ferait un plaisir de me raconter ses frasques. Avec moi, Freddie était toujours très correct et sérieux. J'avais très envie de connaître une autre facette de lui, qu'il ne me montrait pas. Aussi ne lui répondis-je que par un sourire éblouissant. Qui valait toutes les réponses du monde.

Nous portâmes alors un toast. A nous, à notre amitié, qui ne cessait de grandir et se renforcer, même si j'avais malmené Freddie bien davantage que je ne l'aurais voulu. Il avait toujours été là, à mes côtés. Si j'avais été d'abord la seule à m'approcher de lui, à cause de son statut d'ancien ange, il avait été très vite le seul à s'occuper de moi, à s'inquiéter pour moi. Trouvions-nous notre compte dans cette relation? Je ne savais pas. Elle me semblait terriblement déséquilibrée. Il prenait soin de moi et moi, je ne lui causais que des soucis. Et pourtant, il ne me tournait pas le dos. Jamais. Même quand il avait été dur, même quand il avait été blessant, il était resté.

Il m'apprit aussi avoir été l'instigateur du cocktail que je goûtais ce soir et qui était réellement délicieux. Je m'en étonnais et il se contenta d'expliquer que c'était né suite à un délire que Vivien avait prit au sérieux.

- Et bien, heureuse qu'elle t'ai pris au sérieux c'est super bon. Si jamais t'en as marre de ta boite, tu pourras toujours te reconvertir en barman...

Une idée me traversa alors l'esprit et je pouffais de rire, avant de compléter :

- Tu serais très sexy si tu te la jouais Tom Cruise dans Cocktail.

Oui, parce que Freddie était sexy quand il ne se cachait pas derrière un look d'adolescent attardé. Il était vraiment un homme, pas un gamin. Son déguisement l'avait soigneusement asexué à mes yeux, mais là, sa virilité me sautait aux yeux de façon violente. Et ses yeux bleus me faisaient toujours autant chavirer, c'était la seule chose qui n'avait pas changé et ne changerait jamais. Son magnifique regard azuré.

Avec un air de ne pas y toucher, je lui demandais ce qui lui avait plus chez Eva et il répondit très naturellement. Quelque part, j'étais jalouse qu'il la dépeigne ainsi. Et moi? Comment me décrirait-il si d'aventures, on le lui demandait? Surement pas de cette façon aussi flatteuse. Je n'étais pas solaire, je n'étais qu'une pauvre gamine apeurée et fade.

Cependant, quand il me parla du nu qu'elle avait dessiné de lui, je manquais m'étrangler. Elle l'avait peint entièrement nu? mais... Mais non. Enfin, c'était pas pensable un truc pareil! Il me rassura en disant qu'elle ne l'avait surement pas exposé et que de toutes façons, c'était juste son dos. Mais même... J'avais la mâchoire décrochée là. Que Freddie se prête à ce genre d'exercice, ça me sciait. Il continua en disant qu'elle était douée et qu'elle avait capté sa dualité. Je penchai la tête sur le côté, soudainement très curieuse.

- J'aimerais bien voir ça... Pour ce qui ressort du tableau, hein, ne va pas t'imaginer n'importe quoi!

Je secouai la tête avec amusement. Un bar ? Non merci, j’en avais assez fréquenté il fut un temps et, si mes souvenirs étaient bons, c’était dans l’un d’entre eux que j’avais rencontré l’ange responsable de ma bénédiction. Un professeur a la fac, rien de tel pour recruter des petits nouveaux n’est ce pas ? Sauf que je n’avais rien vu venir, on fait toujours instinctivement a un prof, trop facile finalement.

« Non ça ira, le studio me convient et je me vois mal le lacher maintenant qu’il décolle réellement. »

Parce que les premières années furent difficiles, il fallait se faire un nom pour commencer. L’industrie du film ou de la musique marchait beaucoup par les rumeurs, heureusement que cela faisait 50 ans que j’étais là dedans, depuis tout gosse en fait.

Je jetai un coup d’œil surpris alors qu’Erika partait dans un délire cinématographique et je plissai le nez.

« Oui mais non, je suis déjà plus grand que Cruise et sans doute plus sexy. »

C’était un fait, je n’aimais pas cet acteur. Si on passait le trip Eglise machin qu’il se payait, il était diamétralement con, moi, je n’aurais pas laissé tomber Nicole Kidman. Première erreur d’un gagnant du box office. On lachait pas une telle bombe. Je ne sais pas comment on en vient a parler d’Eva, sans doute parce qu’elle m’avait posé la question…Et je répondis sans hésitation, sans rien dissimuler non plus. Eva était une femme magnifique, fascinante mais aussi torturée, instable. Elle attirait oui, mais lassait très vite car rien ne la satisfaisait vraiment. Même moi quelque part.

Je haussai un sourcil lorsqu’Erika se rattrapa et je me permis un demi sourire en coin, regardant droit devant moi.

« Je n’imagine rien, ce n’est pas comme si tu me voyais comme un homme. »

Non, elle me voyait comme un ami, un confident, un grand frère certainement, mais pas comme un homme. La preuve en était de sa surprise face a Eva. Jamais elle ne m’avait vu de cette manière alors je doutais d’éveiller chez elle des pensées coupables, combien changerais je de style, même si je commençais a me faire a celui là. Finalement, Sasha n’avait pas eut tord de me bassiner subtilement. Ainsi vêtu, coiffé, j’attirais bien plus de clients, on me faisait confiance plus facilement. Bizarre que je n’y ai pas pensé avant…Certain de mes elèves les plus turbulents se taisaient maintenant…Amusant.

« Et je ne suis pas sur qu’Eva veuille le montrer…A moins que… »

A vrai dire, je n’en savais rien, elle était terriblement imprévisible, elle était capable de dire non, comme de dire oui. Le mieux étant de lui poser la question évidemment.

- C'est ce que tu aimes faire, ta passion.

Le studio, c'était un truc qu'il avait créé lui-même, son bébé, son projet, qui marchait bien maintenant, même si les débuts avaient été difficiles. Je plaisantais bien entendu. Je savais qu'il n'avait pas l'intention de se reconvertir, mais l'idée était amusante. D'ailleurs, je me l'imaginais jongler avec les bouteilles façon Tom Cruise et je devais avouer trouver cette image plus qu'intéressante. Même si elle ne semblait pas du tout du goût de Freddie. Roo, même pas drôle.

- Indubitablement plus grand et sexy.

Je le regardais comme si je l'examinais, répondant ainsi avec un grand sourire innocent, mais non moins sincère. Freddy était plus beau, plus sain aussi, parce que l'autre, avec ses idées délirantes liées à le scientologie... n'importe quoi. Quel dommage!

J'appris au cours de la discussion et même sans rien demander, que Freddie avait posé nu pour son ex, Eva la boudeuse, ce qui me mit sur le cul, avant que je ne sois intéressée par le talent de la jeune femme à faire ressortir la dualité de Freddie sur sa toile. Pas pour le voir à poil hein... Surtout que je l'avais déjà vu torse nu. J'avais même vu ses ailes argentées et je conservais précieusement la plume qu'il m'avait donné, comme un porte bonheur. Sa réponse me surprit alors qu'il me disait que je ne le voyais pas comme un homme. Euh... Avant non, maintenant, en revanche....

Je ne dis rien cependant, préférant demander à voir ce tableau, ce qui semblait difficile. Freddie n'était pas certain qu'Eva me laisse le voir...

- A moins que?

J'entendis alors une musique que j'aimais particulièrement et je vidais mon verre d'un coup avant de me lever impulsivement et de m'emparer du bras de Freddie.

- Allez, viens danser! J'ai envie de bouger et de me défouler!

Je le forçai à se lever, avant de l'entrainer à ma suite sur la piste de danse, assez petite, où il y avait quelques personnes qui dansaient tranquillement. Sans plus de cérémonie, je me mis à danser, oubliant tous mes soucis l'espace de quelques instants, profitant simplement de la présence agréable de Freddie. Agréable et réconfortante.