Happy birthday ! ( Blake )

Dix-neuf ans. Le soleil s’était levé sur ma deuxième année en tant que majeure et je n’en revenais simplement pas. Si j’étais restée en France et que je n’avais pas pris tout ce retard dans mes études, j’aurais déjà quitté le lycée. Dix-neuf ans…en un sens, c’était logique, je le savais depuis longtemps. Seulement c’était bizarre, je devenais la plus vieille de l’école – parce que bon, l’avantage d’être née à la fin de l’année, c’était que mon âge passait inaperçu pendant la grande majorité du parcours scolaire. Mais dix-neuf ans ! Qu’est-ce que ça pouvait bien apporter comme âge ? J’avais déjà tous les droits, sauf celui de quitter l’Angleterre. Ça ne m’apportait strictement rien, j’aurais tout aussi bien pu faire une deuxième année en tant que jeune majeure.

Je n’avais pas envie de fêter. Personne n’allait m’y obliger. Déjà parce que n’ayant pas d’amies avec qui fêter, ça risquait d’être très ennuyant. Ensuite parce que mes parents n’étaient pas encore revenus et que je n’aurais qu’un coup de fil, ce à quoi je n’étais pas habituée. C’était la première fois qu’ils manquaient un de mes anniversaires. Mais j’étais assez vieille maintenant, de toute façon. On avait moins de remords à laisser sa fille de dix-neuf ans que celle de huit ans. Je soupirai. Restait Laurys, qui serait aux petits soins, comme d’habitude. Je souris. Peut-être que ça n’allait pas être si terrible, finalement.

J’étais en train de m’habiller lorsqu’on sonna à la porte. Je n’y fis pas attention, me disant que mon supposé tuteur allait répondre à ma place. La deuxième fois que la sonnette retentit, je descendis en finissant de brosser mes cheveux. S’il n’était pas allé ouvrir la porte, c’était qu’il savait que c’était pour moi, ou qu’il savait que c’était quelqu’un qu’il ne devait pas nécessairement voir. Mon cœur fit un bond. Peut-être, qu’après tout, maman et papa étaient rentrés et qu’ils voulaient seulement me faire la surprise. Je gambadai presque jusqu’à la porte, me tournai vers le miroir pour être certaine que je n’avais pas un filet de bave ou un trait de crayon sous les yeux. Satisfaite, j’ouvris la porte, prête à souhaiter la bienvenue à mes parents, au même instant que la cloche retentait une troisième fois.

Ce n’était pas mes parents. En un sens, j’étais déçue. J’aurais vraiment voulu serrer mon père contre moi et pas seulement entendre sa voix. Mais c’était stupide ; si ça avait été eux, ils seraient entrés, tout simplement. Mais j’étais contente aussi. Blake se tenait devant moi, l’air étonnamment piteux et triste. C’était maintenant la question primordiale : est-ce que je lui en voulais encore ?

Oui. La réponse était oui. Sauf qu’elle me manquait comme pas possible, c’était ma seule véritable amie. En fait la seule que j’avais. Mais je lui en voulais beaucoup. Je restais donc stupidement plantée devant elle, la moitié d’un sourire au visage, les yeux méfiants, me demandant si je lui fermais la porte au nez ou si je lui sautais dessus pour l’étreindre à l’en étouffer. Je devais ressembler à un poisson rouge perdu, mais avec ses yeux tristes elle ne donnait guère mieux.

Elle me manquait, définitivement, son absence me déchirait de l'intérieur. J'avais besoin d'Alice. J'avais terriblement besoin d'elle, autant que j'avais besoin de Kieran ou de Liam. Mais Alice avait été là avant eux. C'était Alice qui avait été la première à me consoler, à me soutenir. Liam me faisait grandir, voir certaines vérités en face, Kieran m'apprenait à avoir confiance en moi et en les autres. Mais c'était trop dur. parfois, j'avais besoin de redevenir une petite fille. Parfois, j'avais besoin qu'on dise amen à tous mes caprices. Parfois, je voulais m'abandonner à ma puérilité et ma naïveté, et ça, la seule à me le permettre, c'était Alice. Ma meilleure amie, et la plus ancienne. Ma petite amie, même. Que je sois en couple avec Liam ne changeait rien à ça. J'avais besoin de la serrer contre moi et de l'embrasser, pas pour les mêmes raisons, mais j'avais besoin de son étreinte autant que celle de Liam.

Seulement elle n'allait pas revenir vers moi. Et moi je ne savais pas comment revenir vers elle...

J'avais eu l'idée lumineuse deux jours plus tôt. Son anniversaire ! Je ne savais même pas comment je n'y avais pas pensé avant. Ce que j'allais lui offrir s'imposa de lui-même ; je passai deux jours enfermée dans ma chambre, après avoir dépensé toutes mes économies dans une grande toile, à user mes yeux sur la peinture que j'avais imaginée. Ce ne fut pas très difficile. Son visage, je le connaissais par cœur. Pour moi, je n'avais qu'à tourner la tête pour me voir dans le miroir. A la fin, j'avais obtenu une image de nous grandeur nature, notre visage et notre buste, souriantes, riant ensemble, bras dessus bras dessous. Comme nous avions toujours été. Comme nous aurions toujours dû être.

J'avais cru que la peinture ne serait jamais sèche à temps, mais finalement, j'avais pu emballer la toile, précautionneusement, avant de partir pour chez elle. Sa maison de princesse, tellement opposée à la mienne, mais jamais je n'avais été jalouse. Je m'en fichais. Parce que j'aimais ma mère et je n'aurais jamais eu l'idée de lui reprocher le niveau de vie qu'elle s'efforçait de maintenir pour moi, parce que j'aimais Alice et que lui reprocher d'être mieux lotie que moi ne pouvait pas m'effleurer l'esprit. Je déposai délicatement la toile sur le côté et sonnai. Une fois. Deux fois. Trois fois. La porte s'ouvrit juste comme j'appuyais.

Je restai figée. Elle aussi. Les yeux grands ouverts. Cherchant visiblement quoi dire. Pour moi, c'était plus facile, mais je mis tout de même un moment à m'en souvenir, trop bouleversée encore.

- Joyeux anniversaire, Alice.

Je pris le cadeau et le lui tendis, un sourire timide aux lèvres.

- J'allais quand même pas oublier ce jour-là.

Je cherchais vraiment quoi lui dire, quelque chose qui aurait pu changer l’atmosphère un peu tendue. Sauf que je ne trouvais rien. Bonjour ? Allons, quand ça faisait des semaines qu’on ne parlait plus à une personne, on ne lui disait pas bonjour aussi simplement. Et puis pour le reste, j’hésitais encore entre lui crier après ou me mettre à pleurer, trop heureuse de la revoir. Parce que ça faisait longtemps que je ne m’étais plus retrouvée si près d’elle, je l’évitais depuis qu’on s’était battues dans les vestiaires. Nous étions encore en retenues suite à ces évènements, d’ailleurs. C’étaient les seules fois où je la voyais, mais je faisais toujours bien attention à m’asseoir à l’autre bout de la classe, loin d’elle et de son nouveau copain qui supervisait, puisque c’était son cours que nous avions séché. Ces heures étaient très pénibles, mais je m’efforçais de ne pas les regarder, de peur d’intercepter un regard qui m’aurait fait fondre en larmes. De toute façon, si Hartwood ne me détestait pas, il m’ignorait clairement.

Elle parla avant moi, m’enlevant le fardeau de débuter cette conversation. Sauf que je ne compris pas tout de suite. Mon anniversaire ? Ah oui, c’était vrai. Elle était venue pour me souhaiter un joyeux anniversaire, c’était logique.

- Tu t’en es souvenue…

Première phrase idiote qui sortit de ma bouche. Comme si on oubliait des choses pareilles concernant sa meilleure amie. Je savais parfaitement à quelle date elle était née, je connaissais tout d’elle. Sa couleur préférée, l’heure de sa naissance, je connaissais même ses pinceaux préférés. Alors une date d’anniversaire ? Évidemment qu’elle s’en rappelait.

- Hm, tu veux entrer ?

Je me tassai pour la laisser passer, saisissant son cadeau au passage, intriguée. Je ne pris même pas la peine de lui ouvrir le garde-robe ou quoi que ce soit. Elle était quasiment chez elle ici, elle savait aussi bien que moi où se trouvaient toutes nos choses. Si elle le désirait, elle s’en servirait…parce que moi je ne savais pas si elle voulait rester ou si c’était seulement une visite comme ça. Je ne savais pas si j’avais envie qu’elle reste, pas encore.

J’ouvris son cadeau et mon cœur sembla se fendre en deux. Blake avait un tel talent pour le dessin… La scène que j’avais sous les yeux était parfaite. Nos corps qui se touchaient, nos yeux ouverts de plaisir, nos rires…je nous entendais presque. Elle n’aurait pas pu me faire de plus beau cadeau pour mon anniversaire. Parce qu’elle m’avouait ainsi que je lui manquais au moins autant qu’elle me manquait.

Je déposai délicatement la toile sur la table d’entrée, me tournai vers Blake qui semblait toujours indécise et m’approchai pour la serrer dans mes bras, pleurant ouvertement sur son épaule.

- Tu me manques, tu sais même pas à quel point tu me manques…

Il y eut un étrange flottement alors que nous étions si proches et si éloignées à la fois. Elle dedans, moi dehors. Nous n'étions pas encore ensemble. Elle ne m'avait pas encore acceptée. Et je faillis pousser un soupir de soulagement lorsque enfin elle m'invita à entrer. C'était déjà un premier pas. Je m'avançai dans le couloir et me blottis contre un mur, me mordillant la lèvre, incapable de savoir quoi faire. En temps normal, j'aurais déjà posé mon manteau sur un cintre et foncé vers sa chambre pour que nous puissions nous installer sur son immense lit et nous chuchoter nos secrets et nos jeux, mais là, je n'osais rien faire, totalement paralysée.

Je me contentais de guetter son expression alors qu'elle déballait la toile.

Je suis incapable de dire si c'est sa réaction première lorsqu'elle nous vit ainsi ou bien son pas vers moi, ses bras tendus et ses larmes qui m'ont fait pleurer.

Le résultat était le même. Nous étions là, deux idiotes en train de pleurer éperdument dans les bras l'une de l'autre, deux meilleures amies qui se retrouvaient en se maudissant de n'avoir su aller vers l'autre plus tôt, deux adolescentes qui comblaient un manque, parce qu'on était à l'âge où on avait terriblement besoin de ce soutien qu'était une meilleure amie. Alice et moi, nous nous étions trouvées tard, et ça aggravait sans doute encore les choses. Comme s'il fallait rattraper ces années d'enfance où nous ne nous étions pas connues. Alors que les sanglots ravageaient mon visage, je balbutiais en la serrant contre moi :

- Oh, si, Alice, si, je sais ! Je veux plus être séparée de toi, s'te plaît, s'te plaît... Je pensais pas tout ce que je t'ai dit l'autre jour, excuse-moi, j'ai été conne !

Sans doute qu'elle aimerait jamais Liam. Sans doute qu'elle approuverait jamais notre relation, qu'elle essaierait toujours de me convaincre de laisser tomber. Mais est-ce que ça pouvait vraiment nous empêcher d'être amies ? On n'était pas obligées d'être d'accord sur tout après tout. C'était normal qu'on ne puisse pas s'entendre partout, enfin je crois. Jusqu'à ce jour-là, on avait été des siamoises. Mais est-ce que c'était vraiment bon ? Je m'entendais très bien avec Kieran, pourtant on n'était pas forcément d'accord sur tout... Il me disait toujours ce qu'il pensait, et y allait franco quand il estimait que j'avais fait une connerie. Ça m'empêchait pas de l'aimer...

- On a plus le droit de se faire ça. On ne peut pas se disputer comme ça. On ne recommencera plus, hein, Alice ?

Prononcer son nom me convainquait qu'elle était bien là, dans mes bras, alors que je posais mes lèvres sur les siennes une fois, deux fois, trois fois, simples baisers terriblement avides d'affection. Elle m'avait tellement manquée !

Ça finissait souvent comme ça, on s’étreignait sans vouloir se lâcher. Sauf que la majorité du temps, nous n’étions pas en train de pleurer comme des madeleines, trop émues de se retrouver pour parler clairement. Blake m’avait manqué…chaque minute de chaque heure depuis que la colère s’était légèrement dissipée. Du moment qu’il y avait eu quelque chose d’autre, une place pour une autre émotion, c’était la peine qui s’était fait ressentir. Blake était ma meilleure amie. Celle avec qui je voulais passer toute ma vie, celle que je n’oublierais pas après le lycée alors que le nom des autres étudiants s’effaçait déjà. La seule qui me faisait apprécier l’Angleterre. Grâce à elle, j’allais peut-être rester ici et non pas me sauver en France comme dans mes plans. Laurys allait être heureux…

Elle s’excusa pour ses paroles et je me sentis mieux, heureuse de savoir qu’elle ne les pensait pas. Maintenant que je m’en souvenais, j’avais dit des choses plutôt horribles moi aussi. Ma meilleure amie n’était pas une pute ! Oh mon dieu, j’avais même prétendu qu’elle couchait pour ses notes…je m’en voulais tellement.

- Je sais ! Et toi non plus, hein ? Tu n’es pas…tu es…je t’aime. Pardonne-moi.

Et elle avait raison, on n’avait pas le droit de se chicaner comme ça, peu importe le motif. Blake m’avait sortie de ma dépression suite à la mort de Giulia, elle m’avait fait découvrir la joie d’être ici, m’apportait tant. Ce n’était pas un homme, qu’il ait dix ou soixante-dix ans qui allait se mettre au travers de notre route. D’ailleurs, j’étais bien hypocrite vu celui que j’aimais…sauf que Laurys ne m’aurait jamais fait de mal, alors que je doutais encore de Liam. Mais plus j’étais près de mon amie, mieux je pourrais la protéger et surveiller ce pédophile…le copain de ma meilleure amie.
- Je t’aime, répétais-je. Et je t’aime plus que je ne le déteste lui !

Je ne la repoussai pas lorsqu’elle m’embrasse, parce que ça me fit un bien fou. Mon cœur semblait enfin content, heureux d’avoir retrouver une amie sincère. Je souris et la gardai contre moi, incapable de me séparer d’elle une seule seconde. Il y avait tout de même une chose que je voulais savoir.

- On continue alors ? Tu veux que…que je sois un peu comme le camouflage de ta relation avec monsieur Hartwood ?

J'aurais cru que j'allais fondre en larmes alors qu'elle s'excusait, qu'elle me jurait regretter tout ce qu'elle m'avait dit, qu'elle m'affirmait que ce n'était que mensonges, si je n'étais pas déjà transformée en fontaine. Nous pleurions, nous trempions nos épaules et nos cheveux, et nous nous en fichions éperdument, parce que l'important était qu'on était avec l'autre, parce que l'important était qu'on s'était réconciliées, qu'on avait retrouvé notre moitié, qu'on ne se quitterait plus jamais. Alice, je t'aime, je t'aime, je t'aime. Comment j'avais fait pour tenir si longtemps sans elle ?

J'en étais à un point où je ne l'entendais même pas dire qu'elle détestait Liam. Je me fichais totalement de ce qu'elle pensait de lui, tant qu'elle m'assurait qu'elle m'aimait. Elle me laisserait faire tout ce que je voulais, comme d'habitude. Alice n'était pas une amie faite pour me guider sur le droit chemin. Alice était une amie présente pour dire amen à chacune de mes décisions, aussi mauvaises soient-elles. J'avais Kieran pour le raisonnable, et elle, elle avait Laurys. Laurys...

Ce que je m'en voulais d'avoir osé prétendre qu'il n'existait même pas ! Jamais elle aurait pu me mentir sur quelqu'un d'aussi important pour elle. jamais elle aurait été capable de s'inventer quelqu'un comme ça, juste pour me rendre jalouse. Et moi j'avais osé le piétiner, réduire à néant son existence ! Non, Laurys existait forcément. Je savais pas où il habitait, par quel miracle je l'avais jamais croisé, mais Alice m'avait dit qu'il existait ; ça me suffisait comme preuve. J'étais prête à tout croire aveuglément pourvu qu'Alice m'assurât que c'était vrai. Et si elle ne voulait pas que je le voie, eh bien tant pis. Je ne le verrais pas tant qu'elle ne le désirerait pas. Je n'exigerais jamais rien d'elle. Sauf qu'elle me soutienne dans mes décisions, et ça, elle l'avait toujours fait parfaitement.

Je soupirai alors qu'elle me demandait si on continuait on faire semblant de sortir ensemble pour que je cache mieux ma relation avec Liam. J'y avais jamais réellement pensé sous cet angle, mais ce que j'allais lui dire me paraissait tout d'un coup évident. J'encadrai son visage de mes mains, plantant mon regard dans le sien.

- Arrête, Alice. On fait pas ça pour amuser la galerie ou faire croire qu'on est lesb', ou en tout cas, on ne le fait plus. Je fais pas ça en me disant que je suis en couple avec toi, que du coup, j'ai pas le droit d'embrasser un autre gars. C'est sans doute pour ça que j'ai embrassé si facilement ce mec au bar, ou que j'ai pas réussi à repousser Kieran tout de suite. Je t'embrasse pas pour faire genre je suis amoureuse de toi ; je t'embrasse parce que j'ai envie de t'embrasser, parce que t'es ma putain de meilleure amie, pour toute la vie, et que des câlins ou de gentils bisous, ce serait pas assez pour le montrer. C'est tout.

Je souris timidement et essuyai ses larmes du bout de mes pouces.

- On va pas continuer pour m'aider à cacher une autre relation. On va continuer parce qu'on s'aime d'amitié, tellement forte qu'on a envie de s'embrasser. Moi j'ai envie de t'embrasser parce que t'es mon amie, ma seule vraie amie. Et toi Alice, tu veux ?

Ça me semblait important, ce consentement. J'avais besoin qu'elle voie notre relation du même œil que moi. Et en même temps, même si je savais que je serais jalouse si quelqu'un me la prenait, j'avais pas le droit de lui dire que parce qu'on s'embrassait, elle n'était pas libre d'avoir un vrai petit ami. Cette explication était nécessaire.

Franchement, je ne lui en aurais pas voulu de me répondre oui. J’étais à ce point en manque de sa présence que ça ne me dérangeait pas de dire à tout le monde que j’étais lesbienne ou bisexuelle si jamais ça pouvait la garder près de moi. J’avais compris que je ne pouvais pas l’éloigner d’Hartwood, alors j’allais faire avec. Si ça voulait dire lui rouler des patins toutes les cinq minutes pour que personne ne doute de notre amour sincère, alors je le ferais. De toute façon il n’y avait pas besoin de ça pour qu’on voit qu’on s’aime…on était continuellement en train de rire, de parler, toujours fourrées ensemble. On se touchait presque constamment, que ce soit nos mains qui se joignaient, nos épaules qui cognaient l’une contre l’autre ou alors nos corps entiers pris dans une étreinte passionnée comme maintenant.

J’aimais Blake, c’était une évidence. Pas de la manière dont on aime un homme, non. D’ailleurs l’attraction qu’exerçait Laurys sur moi ne pouvait être comparée à aucune autre ; c’était d’une manière différente. Pas non plus de la façon dont j’aimais mes parents absents et pourtant si présents dans ma vie, pas un amour inconditionnel comme le leur. Elle n’était pas toujours là, n’avait pas l’autorité sur moi. Pas de la manière dont j’aimais la majorité de mes amies, qu’elles soient Françaises ou…Françaises. Blake était un complément, comme si nos cœurs avaient été façonnés pour battre ensemble. Elle me faisait aimer la vie, était une constante dans mon ciel. Grâce à elle la pluie, le crachin anglais ne me semblaient plus si terrible. Grâce à elle, j’aimais être ici. J’aimais Blake et personne ne pouvait le nier. Alors pour elle, je l’aurais fait. Pour la protéger, même si ça protégeait Hartwood en même temps. Tout pour elle, ma sœur, mon amie, ma copine. Nous étions comme des âmes sœurs, mais chez des amies.

Le fait qu’elle essuie mes larmes ne changea rien, parce que je me remis à pleurer de plus belle après sa déclaration. Oui, je voulais l’embrasser pour les mêmes raisons qu’elle. Parce que ça semblait si naturel de le faire, parce qu’on s’aimait voilà tout et que les gens qui s’aimaient s’embrassaient. Nous n’étions pas des meilleures amies normales, on ne se contentait pas d’un texto ou d’une sortie un soir sur deux. On était toujours ensemble et quand on ne l’était pas, on trouvait un moyen de se parler. Être sur MSN et au téléphone en même temps, avec la cam ou peu importe quoi d’autre. Donc oui, je voulais l’embrasser. Pour montrer à tout le monde qu’elle était la personne que j’aimais le plus au monde ou presque, que j’aimais plus que moi il fallait le dire. Et j’étais tellement émue que ça soit pour moi qu’elle soit revenue et qu’elle ait envie de me retrouver comme avant et pas seulement pour dissimuler ses nuits chez Hartwood que je ne savais pas quoi répondre.

Je l’ai embrassée de plus belle, beaucoup moins chaste que Blake parce que je n’hésitais plus maintenant. Je savais qu’on était de nouveau inséparables et que rien ne pourrait plus changer ça. Si notre amitié pouvait survivre à une situation pareille, alors elle pouvait survivre à tout, simplement. Je reniflai, regardant le désastre des larmes sur nos visages en riant doucement – j’avais de nouveau envie de rire, oui. Parce que ma meilleure amie était de retour.

- Je le veux ! Et vous, voulez-vous m’épouser, mademoiselle Earl ?

Je me reculai légèrement pour mieux l’observer. Son visage m’avait manqué. Sur les photos, ce n’était pas pareil. Et lorsque je la croisais dans les corridors, j’étais trop occupée à la maudire et elle à bouder pour que ce soit la même chose.

- T’es ma meilleure amie Blake. T’es plus que ça. Je t’aime, c’est tout. Et j’ai envie de t’embrasser aussi, parce que je veux montrer au monde entier que t’es ma meilleure amie à moi et que t’es la meilleure chose qui soit arrivée dans ma vie. Sans toi, c’est nul, ça sert à rien.

J’étais d’ailleurs sur le point de faire mes valises avant qu’elle ne rentre chez moi. Parce qu’après mes études, je pouvais faire ce que je voulais, et sans Blake ce que je voulais c’était fuir très loin d’ici. Maintenant, je ne voulais plus de mes valises. Je voulais être ici et vivre toute ma jeunesse avec Blake et ne jamais l’oublier, aussi simple que ça.

- On est connes, hein ?

J’imaginais la tête de Laurys s’il rentrait ou s’il descendait. Deux filles avec le visage ruisselant de larmes, une peinture qui avait échoué sur le sol, deux adolescentes en pleine déclaration d’amitié/amour/fidélité pour le restant de nos jours. Mais si c’était ça être conne, je voulais être conne toute ma vie.

- Je le veux ! m'écriai-je en m'agenouillant devant elle, lui faisant un baisemain à la française comme elle me les avait appris.

Bon, OK, ça faisait belle lurette qu'on ne faisait plus de baisemain en France. Mais ce pays était réputé pour son romantisme et Alice adorait m'en étaler les qualités, parlant de la galanterie des hommes, m'évoquant ces époques anciennes où la femme dominait le mâle, se plaisant à l'envoyer guerroyer pour elle, ayant droit de lui demander tous les sacrifices qui lui chantaient afin qu'il lui prouve son amour. Alice pouvait bien me demander tout et n'importe quoi, pour elle, je le ferais. J'étais prête à tout, absolument tout, pour la garder près de moi. Te quitter, Alice Manet, plus jamais !

Et ses paroles me transportaient parce que c'était exactement ce que je pensais d'elle. Elle était ma vie, mon cœur, mon âme. Mon double. Si elle disparaissait de ma vie, elle m'arrachait une moitié de moi. Nous vivions en osmose. Nous disions souvent les mêmes phrases en même temps, nous gravitions autour de l'autre, la touchant sans cesse, bougeant si elle bougeait, riant si elle riait, pleurant si elle pleurait. Si j'étais chez moi et qu'Alice se sentait mal, je ne pouvais pas me sentir bien. Un fil nous reliait, incassable, nous étions des sœurs siamoises. Des âmes sœurs. Et cela, toutes les insultes du monde n'y pourraient rien changer.

- J'te quitterai plus jamais Alice. On restera toujours ensemble. Je te le jure sur... sur... sur ma mère, Kieran, Liam, tous les autres qui me sont chers !

Je l'embrassai à nouveau, terriblement fiévreusement. J'étais tellement avide de sa langue joueuse, de ses lèvres parfumées, elle m'avait tellement manqué !

- Ils sont rien comparés à toi. C'est toi la plus importante, Alice, ce sera toujours toi, toi, toi, seulement toi !

Mais nous finîmes par nous détacher l'une de l'autre. Histoire de pouvoir respirer un peu quand même. Encore que respirer était pas forcément très important dans ma vie comparé à avoir Alice près de moi. Nous nous tenions toujours par les épaules cependant. Il m'était impossible de renoncer à son contact physique, pas si vite, pas si tôt après l'avoir retrouvée. J'avais terriblement besoin d'elle, à en crever. Je comprenais même pas comment j'avais pu survivre ces derniers jours.

- On s'en fout d'être connes, Alice, tant qu'on est ensemble. C'est le plus important.

On serait toujours ensemble. A la vie à la mort. Je ne la lâcherais plus jamais. Et pour commencer, j'avais un anniversaire à lui fêter !