Houston, nous avons un problème [Laurys]

Il était temps de parler un peu du problème Alice. Je m'occuperais également de Blake en temps voulu, mais je ne pouvais pas tout faire. Ces deux bonnes élèves avaient semé le trouble dans le lycée, en se disputant violemment, jusqu'à en venir aux mains. J'étais chargée de découvrir ce qui leur arrivait. Elles ne pouvaient pas se comporter ainsi sans raisons. Il y avait plein de raisons pour voir deux amies se disputer, la principale étant un garçon. J'étais peut-être du côté enseignant, mais j'avais des oreilles. Les élèves étaient bien naïfs de penser qu'on ne savait pas ce qu'il se passait dans leurs vies. Nous savions qui sortait avec qui, quel couple était à la mode, lequel cassait... J'aimais bien écouter leurs histoires. J'aimais discuter avec eux, les écouter me confier leurs craintes de l'avenir, leurs espoirs. J'aimais les rassurer. Et souvent, je recueillais des confidences involontaires, mais jamais rien ne sortait de mon bureau.

Mais là, j'avais convoqué les parents d'Alice Manet, pour une petite mise au point. Savaient-ils que leur fille se comportait de manière étrange? Qu'elle défiait les professeurs, se montrait vulgaire? Quel dommage, cette jeune fille était prometteuse. Je n'avais pas le choix. Elle avait déjà le droit aux avertissements et cela n'était jamais bon dans un dossier scolaire. Je ne voulais pas lui attirer d'ennuis, loin de là, aussi me montrerais-je douce et pas du tout alarmante, pour éviter qu'elle soit punie, mais pour faire en sorte que ses parents la reprennent en main. Elle avait besoin d'autorité.

J'étais assise dans mon bureau, à remplir quelques paperasses. Je portais un slim, un débardeur et une veste noire cintrée. Mes cheveux étaient relevés en un chignon de fortune. Je faisais jeune ainsi habillée et coiffée. J'étais à peine maquillée, juste une pointe de crayon et de mascara. Je jouais avec mon stylo, qui m'échappa des mains quand on frappa à la porte.

- "Entrez."

Je récupérais mon bic par terre, avant de relever les yeux sur la haute silhouette d'un homme. Je me levais, tendant une main fine vers l'homme, un grand sourire aux lèvres :

- "Bonjour. Monsieur Manet, je présume? Votre épouse n'est pas là?"

Je détaillais l'homme. Il n'avait pas l'air commode, assez sévère en fait, mais dégageait une force tranquille qui me laissait penser qu'il pouvait tout résoudre avec doigté et diplomatie. Le genre d'homme qui inspire confiance car il donne l'impression d'être capable de tout. Impression réconfortante. Je m'assis, l'invitant à faire de même, d'un petit geste de la main.

« Monsieur de la Rochelle. Monsieur et Madame Manet sont en voyage a l’étranger actuellement. Je suis le responsable d’Alice. »

Rectifiais je doucement, sans hausser le ton malgré un certain agacement. Alice m’échappait parfois et je ne m’étais pas attendu a être convoqué. Enfin, la vérité serait plutôt que j’aurais sans doute du le prévoir mais malgré mes tentacules étendues partout, certains événements de l’humanité se dissimulait a ma vigilance. Je baisse les yeux sur cette femme. Elégante, simple, ouverte très certainement. Il n’y rien qui puisse trahir mes pensées a l’intérieur de l’azur sombre. Je ne fais que jouer un rôle. Celui de tuteur ou de nounou comme je l’avais déjà entendu. Général de Satan et nounou d’une humaine mais chaque moqueries traversent le temps sans jamais s’imprimer dans les consciences.

Mes doigts enserrent la fine main tendue, prenant garde a ne pas la briser par trop d’imprudence. Ma bouche se plisse doucement, lentement. Oh Alice…Que me feras tu faire ? J’observe ses gestes gracieux alors qu’elle m’invite a prendre place, face a elle. J’incline légèrement la tête, en signe de merci avant de m’installer, croisant les jambes comme si chaque mouvement étaient mesurés, travaillé. Peut être était ce le cas d’ailleurs. Tant d’années, de siècles, cela se ressent parfois dans mes gestes. Indélicatesse, il me faudrait faire attention. Je lève les yeux sur le visage qui me fait face.

« Je n’ai guère été surpris par votre convocation, mademoiselle Phillips. Oserais je même dire que je l’attendais ? »

Un sursaut de mes lèvres indique le léger rire qui s’invite dans ma voix. Je n’ai ni l’air inquiet, ni stressé. Je sais ce qu’il s’est passé, surement plus que cette femme. A moi de savoir biaisé ce qu’il fallait pour l’apaiser sans trahir mon Alice.

Je portais une main à mes lèvres, étouffant un petit oh confus alors qu'il me reprenait, m'apprenant qu'il y avait erreur sur la personne, qu'il était le responsable d'Alice alors que ses parents étaient en voyage. Je me demandais si une partie du problème ne venait pas de ça justement : des parents trop souvent absents, une adolescente livrée à elle-même...

- "Je suis confuse. Veuillez excuser ma méprise."

En même temps, je me disais que c'était mieux, parce que sinon je père d'Alice aurait vraiment été sexy... Que ce soit son tuteur en faisait peut-être un célibataire. Allez, on reste concentrée Erin, ce n'est pas le moment de songer à charmer le tuteur d'une élève. Au boulot. Je l'invitais à s'asseoir, l'observant à la dérobée. Très élégant. Et riche apparemment. En même temps, Alice n'était pas issue d'un milieu modeste.

Puisque je n'avais pas les parents, j'allais devoir me contenter du tuteur. Peut-être qu'il la connaissait mieux que ses propres parents après tout, cela ne m'aurait pas étonné outre mesure. Il s'installa avec élégance, avant de me dire qu'il n'était pas surpris d'être ici, qu'il l'attendait même. Je souris, soulagé qu'il se soit rendu compte qu'il y avait un problème avec la jeune fille.

- "Je suis soulagée que vous soyez conscient que quelque chose ne va pas avec Alice."

Je farfouillais dans mes dossiers, trouvant celui d'Alice, et notamment les billets de colle et les avertissements. Beaucoup en peu de temps. Quand les premiers mois s'étaient plutôt bien déroulés.

- "Alice s'était bien intégrée. Mais son comportement a changé ces dernières semaines. Elle est devenue plus insolente. Elle répond aux professeurs, a un langage choquant pour une jeune fille de son âge. Elle s'est violemment disputée avec une autre jeune fille et elles en sont même venues aux mains, avant d'être convoquées par la directrice en personne."

Je soupirais.

- "Comprenez-moi bien, je ne fais pas cela pour blâmer Alice, mais pour l'aider. Je trouve regrettable qu'elle se comporte ainsi et compromette son avenir. La fin de l'année approche, les mauvaises annotations dans son dossier risquent de lui porter préjudice pour son avenir. J'aimerais que nous trouvions une solution afin de l'aider à se reprendre."

Je marquais une pause. J'étais sincère et j'adorais mon travail. Venir en aide aux jeunes gens, les guider pour leur futur, les conseiller. J'étais une alliée, pas une ennemie.

- "Vous a-t-elle parlé de ses problèmes?"

Je souriais, aimable, hochant doucement la tête. Oui, j’étais conscient de tout ce qui la touchait. Elle n’en avait même pas conscience. Je savais ce qui la faisait pleurer, rire, s’énerver, hurler. Je savais tout ce qui la concernait. Mes yeux suivaient ses mains alors qu’elle fouillait dans ses dossiers, avant de sortir celui d’Alice. Ma douce Alice n’était plus une enfant et avec l’âge adulte arrivait les tourments qui allaient de paire.

Je l’écoutais. Attentif. Pourtant ce discours je le connaissais, je regardais ses lèvres bouger, former les mots, souriant intérieurement. Oui, je savais tout cela. Alice s’éveillait doucement, avait moins de prise sur ses sentiments. Se rebellait. Sa fougue devenait incontrôlable, instable, délicieuse. J’aimais ce qu’elle était, sans condition. Je la laissais parler. Sans l’interrompre. Cela aurait été impoli n’est ce pas ? Au-delà de ce récit, je pouvais distinguer un réel amour pour les enfants, sans doute était elle réellement attachée a chacun d’entre eux. J’avais vu tellement d’enseignants se désintéresser de leur élève, souvent trop indociles, trop rebelles. Elle ne m’avait pas l’air d’être ainsi. Je penchais légèrement la tête sur le coté, prenant le temps de la réponse avant d’ouvrir les lèvres.

« Connaissiez vous Guilia ? »

Cette amie qu’avait tant aimé Alice. Morte dans un incendie, quelque chose d’atroce. Elle avait pleuré si fort sur mon épaule que parfois, je sentais encore ses larmes se déverser sur ma peau, comme autant de douleur qu’elle m’obligeait a porter pour elle.

« Alice a été très affectée de sa mort. En Blake, car c’est d’elle que vous parlez, elle avait cru retrouver cette amitié brisée. Elle s’est ouvert a moi effectivement et j’espère que vous respecterez mon désir de ne pas dévoiler ses secrets aussi librement. Sachez seulement qu’il n’y a rien d’insurmontable. Chaque enfant traverse a sa manière une épreuve douloureuse. Alice a toujours été une enfant modèle, sage, trop peut être. Qu’elle exprime sa souffrance, même aussi maladroitement n’est ce pas mieux que de l’enfermer dans un coin sombre, muselé par le silence ? »

Je souris doucement avant de reprendre.

« Ne me pensez pas inattentif ou léger face a son mal être, ce serait totalement faux hélas, je ne peux pas remplacer une meilleure amie, quand bien même j’essayerai de toute mes forces. Je ne peux que l’écouter et tenter de la réconforter comme je le peux. Ses parents sont au courant et entoure leur fille du mieux qu’ils le peuvent malgré leur vie très occupée. Alice est une enfant choyée mais je ne peux la prémunir contre la vie elle-même. »

Une enfant…Ce mot me paraissait étranger parfois, surtout lorsque je le prononçais ainsi. Comme un écho lointain car d’enfant, elle n’avait plus rien. Je ne le voyais que trop chaque jour.

Il ne répondit pas tout de suite à mon petit discours, l'assimilant. Je n'étais pas offensée, au contraire, il écoutait, je le voyais à son expression. J'avais vu des parents se désintéresser complètement de leur progéniture et se moquer de mes inquiétudes. Ce n'était pas le cas de cet homme. Il parlait peu, mais il savait être percutant. Je me raidis quand il parla de Giulia. Oh par tous les saints, oui, je la connaissais. Pas énormément, bien sûr, mais sa mort était une tragédie qui nous avait tous ébranlé. Je me contentais de hocher la tête, attendant la suite; soudain plus pâle.

Il me répondit alors que Blake avait servi de substitut pour Alice. Une autre amie, comme Giulia, si précieuse à cet âge ingrat où l'on découvrait les horreurs du monde des adultes tout en étant encore des enfants. A 17 ans, on découvrait, l'amour, la trahison, la mort. Moi, j'avais découvert que j'étais malade et que je me paralyserais lentement. Cependant, quelque chose ne me convenait pas dans son explication.

- "Je comprends bien et j'entends cela mais... Le comportement d'Alice n'a changé que récemment. Pas juste après le décès de Giulia. Elle doit faire son deuil, surmonter cette perte terrible, mais il y a autre chose."

Je souris doucement, récupérant un stylo pour jouer avec, occupant mes doigts qui me faisaient mal en cet instant. Maudite maladie. Je m'humectais les lèvres.

- "Je ne demande pas à connaître ses secrets. Si vous m'assurez qu'il n'y a rien d'insurmontable, alors je vous crois. J'ai juste remarqué qu'Alice et Blake ne s'adressaient plus la parole alors qu'elles ont été inséparables... Vous l'avez dit vous-même, vous ne pouvez pas remplacé une meilleure amie et on en a terriblement besoin à cet âge-là. J'espère que vous avez assez d'influence sur elle pour le lui faire comprendre. Et pour qu'elle se domine un peu, la douleur doit s'exprimer, c'est vrai, mais elle n'excuse pas tout."

Et j'en savais quelque chose. J'avais tellement souffert, j'avais voulu cesser de vivre, j'avais déprimé, avant de reprendre le contrôle. Nos situations étaient-elles similaires? Non, je n'étais pas assez égocentrique pour me comparer aux autres sur l'échelle du malheur. J'ouvris le tiroir de mon bureau, sortant une petite bouteille d'eau.

- "Veuillez m'excuser deux minutes."

Je cherchais mes cachets dans mon sac, la douleur se faisant plus lancinante. Ils n'agissaient plus, si je ne prenais rien maintenant, j'allais déguster dans 20 minutes. Je pris alors mes médicaments le plus discrètement possible, même si monsieur de la Rochelle voyait très bien ce que j'étais en train de faire. Je reposais ma bouteille, passant une main tremblante sur mon front alors que j'avais soudainement chaud. Ça allait passer. Il fallait que ça passe.

« Pensez vous que le chagrin doit irrémédiablement se déchainer avec rapidité ? Elle a tenté de remonter la pente et la présence de Blake l’aidait. Cette jeune fille était un soutient précieux pour Alice. »

Je parlais toujours lentement, pouvant cacher mon accent français comme le laisser fleurir dans ma voix. Et pour l’heure il était audible, parfaitement maitrisé a ma guise.

« C’est exact, ce n’est pas excusable et elle connait parfaitement mon avis sur la question. Néanmoins, il n’y a pas trente six raisons pour que deux jeunes filles dans la fleur de l’adolescence en viennent aux mains alors qu’elles étaient si proches ne pensez vous pas ? »

Je souris, confiant alors que je mentais. Enfin mentir était un grand mot. Un homme se cachait effectivement derrière tout cela. La colère d’Alice et sa rancune. Mais ce n’était pas un banal triangle amoureux, non c’était bien plus profond que cela, mais je garderais cela pour moi. J’inclinais légèrement la tête lorsqu’elle me pria de l’excuser. Bien sur. Mes yeux ne la quittaient pas, épinglant les cachets, remarquant le tremblement de la main.

« Etes vous souffrance Mademoiselle Phillips ? »

Je n’usais que très rarement du mot anglais « miss » préférant toujours ce relent d’élégance française qu’était le mademoiselle. C’était ainsi, certaines habitudes avaient la vie dure.

« Voulez vous écourter l’entretient ? Je pourrais comprendre. »

Bien que je n’étais pas sur que ces craintes soient apaisées pour autant. Alice devrait apprendre a se dominer tout de même, mais une partie de moi souhaitait ne jamais voir sa fougue bridée, par n’importe quoi.

Je l'observais, ne sachant trop s'il me mentait en dissimulant un autre problème, ou s'il était sincère. Avais-je des œillères? Il était certain que la présence d'une amie permettait de remonter plus facilement la pente. Alice était française, une étrangère. Elle n'avait pas énormément d'amis. Ses amis étaient ceux de Blake et depuis leur dispute... J'étais heureuse de ne plus être adolescente, c'était si difficile. Cependant, il était d'accord avec moi quant au faut que son attitude n'était pas excusable, me laissant deviner pourquoi deux amies pouvaient se déchirer.

- "Un garçon."

Je soupirais, me passant une main sur le front.

- "C'est toujours la même histoire. Mais une réelle amitié ne peut pas prendre fin pour cela."

Normalement... Mais il était parfois des paroles qui dépassaient la pensée. Qui faisaient mal et restaient à jamais gravées dans le cœur. On pouvait pardonner, jamais oublier. Étaient-elles amoureuses toutes les deux du même garçon? Laquelle avait finalement pu sortir avec lui? Il faudrait que je me penche sur la question, cela ne serait pas bien difficile à savoir. Sauf que pour le moment, je sentais que je n'allais pas bien, rendant mon raisonnement complètement inefficace. Je priais monsieur de la Rochelle de m'excuser, le temps que je retrouve mes cachets et les prenne. Ce n'était pas le moment, vraiment. Naturellement, il s'inquiéta, mais je ne répondis pas, fermant les yeux pour lutter contre la douleur et cette sensation de perdre pied. Je retirais ma veste, ayant trop chaud. Je rouvris les yeux quand il parla d'écrouter l'entretien. J'eus un faible sourire.

- "Non. Je suis désolée, cela arrive de temps à autre, ça va passer."

Je levais une main tremblante à mon visage, essuyant la fine pellicule de sueur qui s'y était formée.

- "J'ai cru comprendre que les parents d'Alice étaient souvent absents. Ce n'est pas toujours évident à gérer pour une adolescente... Vous vous occupez donc d'elle quand ils sont absents? Cela fait longtemps que vous êtes au service de la famille?"

« Sauf pour deux jeunes filles comme elles. Alice est très entière et ne supporte pas la trahison quel quelle soit. Néanmoins, je ne pense pas que tout soit totalement brisé. »

La tranquille assurance qui se dégageait de moi était toujours parfaitement distillée. Non, il n’y avait rien d’irrémédiable, je le savais. Alice tenait trop a Blake et l’inverse était vrai aussi. La souffrance qui les tenaillaient était un crève cœur par bien des cotés, je ne supportais pas les larmes de ma fleur, c’était ainsi. J’étais capable de beaucoup pour les voir disparaitre, mais en l’occurrence là, il ne restait qu’a laisser faire le temps.

Je remarquais sa maladie, son malaise sans réellement en deviner le nom. Les humains souffraient toujours terriblement de la faiblesse de leur corps, mais pour nous demeurait la souffrance de l’âme, comme celle qui me déchirait en permanence, dissimulée habilement. Je souris légèrement alors qu’elle refusait mon offre d’arrêter ici notre entrevue. Si tel était son souhait avant de lui répondre.

« En vérité, je m’occupe d’elle depuis ses douze ans. Les parents d’Alice sont effectivement très occupés mais ils n’en oublient pas pour autant leur fille, il fut un temps où ils l’emmenaient souvent en voyage d’affaire mais dorénavant, elle a besoin de stabilité pour construire son avenir. Bien que le déménagement a Londres fut difficile pour elle, Anne, sa mère, a tout fait pour qu’elle se sente chez elle ici tout en profitant de ce dépaysement pour éveiller sa fille au monde qui l’entoure. L’expérience ne peut être que bénéfique parait il. Je suis resté son seul repère véritablement tangible et j’étais heureux qu’elle se fasse des amis ici. »

Je soupirais discrètement, j’avais toujours été là, dans l’ombre de son sourire. Son seul point d’ancrage, son roc et je le serais tout au long de sa vie avant de la détruire dans un sanglot.

« Elle arrive a un âge où elle doit s’émanciper et malheureusement, cela ne se fait pas sans heurt. Bien qu’une telle violence et une telle vulgarité soit terriblement décevant de sa part. »

- "J'espère que cela n'est pas irrémédiable en effet. Elles étaient plus heureuses ensemble."

Mais au moins se rendaient-elles compte de qui étaient leurs véritables amis dans cette épreuve. Alice était seule, elle n'avait pas les amies de Blake qui ne voyaient que Blake et cette constatation devait être amère. Elle était une étrangère et elle était mise au ban du lycée. Elle avait un caractère fort, Alice, je le savais, mais chacun avait ses limites. Toute forte soit-elle, la solitude pesait souvent lourdement.

Je sentis alors une petite crise et je m'empressais de prendre de quoi la faire passer rapidement, avant d'être mise KO. Des antalgiques, principalement. La douleur qui vrillait chaque nerf de mon corps était parfois insupportable et je devais me retenir de hurler. Ce n'était pas le moment, je ne pouvais pas flancher devant un inconnu, de quoi aurais-je l'air? Il ne dit rien pendant que je me soignais, mais il s'inquiéta de ma santé quand je m'excusais du désagrément. Je balayais son inquiétude d'une réponse banale, avant de reprendre le cour de notre entretien qui n'aurait jamais du s'interrompre. Je lui demandais s'il s'occupait d'Alice et depuis combien de temps. Je voulais qu'il oublie cet incident. Et il le fit. Ou du moins fit semblant, mais cela me suffisait.

Il s'occupait d'elle depuis qu'elle avait 12 ans. Bien, il était donc un élément stable dans l'environnement de la jeune fille. Il m'assura que les parents d'Alice ne la délaissaient pas. Comme s'il avait perçu un reproche muet dans mes paroles. Il n'y avait pas de reproches, juste une interrogation. Mais soit. Ils avaient décidé d'arrêter de la trimballer partout pour qu'elle ai un environnement enfin stable. Était-ce mieux de la laisser dans un pays étranger avec juste un tuteur comme élément familier?

- "Si ses parents sont souvent en voyage d'affaire, pourquoi ne pas avoir permit à Alice d'avoir sa stabilité en France?"

Je soupirais alors qu'il parlait de sa rébellion comme d'une simple émancipation. Cela me semblait un peu plus grave que cela. Il désapprouvait son comportement, moi aussi, au moins étions-nous d'accord.

- "Que diriez-vous de convier Alice à notre petite discussion? Je ne souhaite pas lui cacher m'être entretenu avec vous, ni vous avoir fait part de mes inquiétudes. C'est une adulte, elle doit assumer ses actes."

Bizarrement, je n’avais pas sentit la maladie de Miss Philips avant d’en voir les symptômes. D’ordinaire, je pouvais sentir la douleur ou le poison mais là, j’avouais ne pas avoir fait attention. Ce n’était pas très digne, me rendis je compte et ma foi, je ne pouvais rien pour elle, combien même je l’aurais voulu. J’avais accepté depuis longtemps la mort qui naissait de la maladie incurable. Nous n’y pouvions rien, même si nous étions capable de guérir une plaie. Au début, c’est frustrant, douloureux, par la suite, cela devient juste…lancinant.

« Tout simplement parce que monsieur et madame Manet ont déplacés leur affaires sur Londres. La France lui manque, je m’en rend parfaitement compte mais le dépaysement a du bon aussi parfois. Une fois qu’elle aura terminé ses études, elle sera libre de choisir l’endroit où elle désire vivre. »

Répondis je tranquillement, un sourire serein dansant aux coins de mes lèvres. Ma fleur avait énormément de mal a se faire a l’Angleterre, c’était un fait, mais je persistais a penser que cela lui serait bénéfique. A terme évidemment. Pour le moment, elle ne savait que pester après ses parents de l’avoir fait déménager. Pourtant, le Royaume Unis n’était pas dénué de charme, ou alors étais je trop blasé par mes pays d’adoption, bien trop nombreux maintenant, pour ressentir un manque certain. Bien que la France resterait toujours ma mère patrie. Serais je chauvin ? Cette pensée faillit m’arracher un rire que, malheureusement, Miss Philips n’aurait guère comprit.

Je haussais doucement un sourcil alors qu’elle me demandait d’inviter Alice.

« Alice est parfaitement au courant de ma venue, tout comme elle sait que je devrais en informer ses parents. Mais cela ne me gêne aucunement de la faire appeler. »

J’espérais juste qu’elle saurait faire taire ce qui dormait trop visiblement dans ses iris. Mais je lui faisais confiance, sans doute était ce un tord. Je ne savais pas vraiment.

Était finalement arrivé le jour où on avait décidé de ne plus me tolérer. Des semaines que j’essayais d’attirer l’attention, et chaque fois on m’excusait. Après tout, n’étais-je pas dépaysée, totalement laissée à moi-même ? Oui. Mais l’accumulation de mauvais caractère et de sarcasme poignant avait vraisemblablement fait son chemin, jusqu’à ce que plus personne ne le supporte. J’en souriais intérieurement, très heureuse du résultat. Jusqu’à ce qu’on m’annonce que je n’allais que voir la CPE. J’avais espéré plus. Qu’on m’expulse, que je sois directement envoyée en France. Au minimum, un renvoi temporaire, le temps que je forge un nouveau plan. Mais non, rien de tout ça. On me gardait.

Ce qu’on ne comprenait pas, c’était que je ne pouvais pas leur parler de mes problèmes. Mon ex-meilleure amie avec qui j’étais en couple couche avec son professeur de lettres et elle aime ça. J’ai moi-même couché avec un démon de 700 ans dont je suis amoureuse mais qui se refuse à moi sous prétexte qu’il va dévorer mon âme. Et sinon, j’ai du mal avec le devoir d’histoire. Il n’y avait qu’une personne avec qui je pouvais discuter de tout ça, et c’était précisément celle qu’ils avaient conviée.

Laurys. Ou plutôt mes parents, mais ils n’étaient pas là. Je ne souffrais pas de leur absence, j’avais l’habitude. Ils me manquaient, mais tout était parfait à leur retour. Quant à Laurys, il s’occupait si bien de moins qu’on pouvait difficilement lui reprocher quelque chose. J’étais au courant de sa venue, il ne me l’avait pas caché, mais je ne m’étais pas attendue à ce qu’on vienne me chercher au beau milieu de mon cours d’éducation physique. J’avais levé la tête, ennuyée, quand une petite secrétaire courte sur pattes était venue quérir ma présence. Une grimace plus tard, je la suivais – ou plutôt la devançait de cinq pas – dans le corridor, direction la conseillère. Pourquoi elle ? Qu’est-ce qu’elle en avait à faire de moi ?

Mon visage s’illumina, comme souvent, lorsque je vis Laurys. Le bonheur m’envahissait, je souriais comme une idiote et mes yeux étaient plus grands, plus ouverts. D’un simple hochement de tête il me fit comprendre que ce n’était pas le moment et je repris un minimum de sérieux, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir les yeux brillants. Je me dirigeai le plus possible vers lui, ne le touchant pas parce que j’étais certaine qu’il me repousserait de toute manière devant cette femme.

- Laurys, miss Phillips.

Le dépaysement a du bon parfois... j'avais envie de lui demander quel âge il avait pour pouvoir sortir cela aussi tranquillement. C'était bien un raisonnement d'adulte ça, de se dire que de déraciner un enfant pouvait lui faire du bien, qu'il s'adapterait. Bien sûr qu'il s'adaptait, mais ses parents auraient pu attendre qu'elle ai terminé l'école au moins. Là, elle était parachutée dans un pays étranger, avec une langue étrangère, l'année même où son avenir se jouait. Pas d'amis en arrivant, tout était à reconstruire. Ce n'était pas vraiment l'année pour cela. Oui, elle pourrait retourner en France ensuite, mais quels déplacements inutiles... A moins qu'elle ne finisse par se plaire en Angleterre. L'année n'était pas terminée après tout, elle pouvait encore se rabibocher avec Blake. Avoir d'autres amis.

Je demandais alors à monsieur de La Rochelle si je pouvais faire mander Alice. Je souhaitais qu'elle assume son comportement, qu'elle l'explique. Peut-être que la présence de son tuteur la pousserait à prendre conscience que son comportement ne lui vaudrait rien de bon si elle s'entêtait dans cette voie. Il me donna l'accord. Elle était déjà au courant de sa présence ici, il ne lui cachait rien. Bien.

Je souris doucement, me levant, avant de demander à une pionne d'aller me chercher Alice. En cours. Pas très discret, mais bon, elle n'était plus à cela prêt n'est-ce pas? Cela ne mit guère de temps et bientôt, on frappa à la porte. Alice passa la tête et je vis son visage se détendre en apercevant son tuteur. Je dirais même s'illuminer. Elle devait beaucoup tenir à lui... S'il s'occupait d'elle depuis plusieurs années alors que ses parents étaient toujours absents, c'était sans doute normal.

Alice entra alors et s'approcha de nous, saluant son tuteur, puis moi.

- "Bonjour Alice. Assieds-toi."

Je m'assis moi-même, joignant le geste à la parole, avant de reprendre la parole :

- "Tu sais pourquoi je t'ai convoqué et pourquoi monsieur de La Rochelle est présent aujourd'hui. Ton travail décline dangereusement, de même que ton comportement en cours et au sein de l'établissement. Le bac approche Alice, pourquoi risquer de souiller ton dossier? Il ne te reste que quelques semaines..."

Personnellement, je ne voyais pas de bon augure qu’elle me demande de m’asseoir. Ça voulait dire que l’entretien allait être long, probablement très pénible. Franchement, j’aurais préféré rester debout, échanger quelques mots et promettre que tout allait s’arranger avant de m’enfuir pour évacuer toute la tension en éducation physique. Courir longtemps, m’essouffler, donner mon cent-dix pourcent. La seule façon d’oublier que tout allait mal. Au moins, quand j’étais entièrement concentrée dans le sport, je pouvais oublier que Blake n’était plus la pour moi. Ça me vidait tellement l’esprit que, pendant quelques minutes, je n’avais plus l’image de Blake embrassant mon professeur de lettres. Ça faisait changement. Avec Laurys aussi j’étais plus détendue, la plupart du temps il m’aidait à être d’humeur égale et sereine. Sauf que là, en présence de miss Phillips, j’étais vraiment tendue. Je ne savais pas ce qu’elle allait me dire, mais à moins que ça concerne mon retour immédiat en France, je n’avais pas envie d’écouter. Pas plus que j’avais envie de subir un sermon sur mes notes ou mon comportement. Et surtout, surtout, je ne voulais pas parler de Blake. Niet. Nada.

Je pris place sur le fauteuil, écoutant ce qu’elle avait à me dire. Le Bac ? Ben tiens, vu comment les professeurs me prenaient pour une débile de première, vu le retard que j’avais sur la matière puisqu’on me traitait comme une gamine au début de l’année, jamais je ne l’aurais ce foutu bac. D’accord, mes notes étaient bonnes et tout, mais j’étais loin d’être major de promo, il fallait se l’avouer. Et puis franchement, passer ou non mon année était le cadet de mes soucis. Je m’ennuyais de ma maison, je m’ennuyais de la France, de mes amies, de mes parents aussi, et je m’ennuyais encore plus de cette salope qui se prostituait pour ses bonnes notes. Donc, franchement, que je me prenne un 10% ou un 15 %, je n’en avais absolument rien à faire.

- Je n’aurai pas mon bac, de toute façon. C’est pas un secret pour personne, alors pourquoi je devrais me forcer pour rien ?

Et puis je n’avais pas envie de me forcer, pas envie du tout. Tout ce que je voulais, c’était qu’on me foute la paix. Malheureusement, ça personne ne semblait le comprendre. Tu as des problèmes ? Viens nous en parler, on va t’aider, t’écouter, blablabla. Ce que personne ne pouvait savoir, c’était que je ne pouvais pas parler de ce qui me turlupinait. Alors je me la fermais et devenais totalement désagréable, point final.

- J’ai pas envie de les faire ces semaines-là…je veux juste retourner chez moi, c’est si difficile à comprendre pour vous ?

Je fus surprise de la réponse d'Alice. Elle partait battue d'avance, assurée de ne pas avoir son bac et donc, ne trouvant aucun intérêt à faire des efforts donc pour l'avoir. Je jetai un regard à son tuteur. Il ne pouvait pas rester insensible à un tel discours n'est-ce pas? Beaucoup étaient persuadé que le bac ne servait pas à grand chose, mais il était pourtant un passeport vers des études supérieures. Sans lui, Alice resterait bloquée au lycée l'an prochain et ne pourrait faire que des petits boulots sans envergure pour vivre. Je la pensais suffisamment intelligente pour comprendre cela.

- "Tu es bien négative Alice... Tu es une jeune fille intelligente, il ne te manque que la motivation et le travail."

Mais si tu penses que tu ne l'auras pas quoique tu fasses... Je ne pourrais rien faire pour cela. Je ne pouvais pas forcer les jeunes à travailler, ni à envisager un avenir. Elle me répondit un peu brusquement et je soupirai, agacée par ce comportement de petite fille capricieuse. J'espérais que son tuteur allait la reprendre un peu en main, que ce soit par la douceur ou la fermeté. Quel gâchis...

- "Je comprends, mais on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie Alice. Tu es coincée ici pour le moment, pourquoi te buter, au lieu de faire avec, d'obtenir ton diplôme et d'envisager de retourner chez toi pour étudier, avec ta nouvelle indépendance?"

Je secouai doucement la tête. Je ne pensais pas réussir à raisonner Alice, peut être que monsieur De la Rochelle aurait plus de chance que moi.

- "Réfléchis-y Alice. En attendant, je te prierais simplement de ne pas semer le trouble au sein de l'établissement... Même si j'ai l'impression qu'être exclue ne serait pas une punition... Dans ce cas, je serais contrainte de te faire faire quelques basses besognes, pour te passer tes envies de rébellion."

Tout cela dit d'une voix douce. Ce n'était pas une menace, juste un avertissement. Je ne lui donnerais pas ce qu'elle recherchait. Je regardai son tuteur, avant d'ajouter :

- "Je pense que j'ai terminé."

Je me levai, tendant une main fine afin de lui serrer la main en guise d'au revoir, ajoutant dans un sourire :

- "Au revoir Monsieur de La Rochelle. Alice, tu peux retourner en cours."