À force de chercher | Laurys

    Moira marchait d'un pas rapide, dans les rues du centre-ville. Si Elle avait pu s'y promener tranquillement en son temps, ce n'était pas le cas de la jeune écossaise qui, visiblement, n'appartenait pas à ce monde là. Bien que relativement propre, ses vêtements étaient froissés et abîmés par endroit. Un bonnet de laine noire venait cacher des cheveux légèrement gras, d'un blond tirant presque sur le brun. C'était une petite révolution pour la démone qui, deux mille ans durant, avait abordé une crinière blonde éclatante. Si elle n'avait pu se résoudre à abandonner cette couleur de cheveu, l'urgence de la situation l'avait poussé à la foncer un peu. Le résultat n'était pas pour lui plaire, mais ce n'était que temporaire.
    Tripotant ses mitaines, l'adolescente à problème jetait des regards noirs aux passants qui l'observaient avec circonscription. Jouer une mauvaise humeur perpétuelle n'était pas difficile, dans son cas, car de fait elle était de mauvaise humeur. Trois semaines avaient passé depuis que Caeso était mort et c'était trois semaines qu'elle n'était pas prête d'oublier. Son visage ayant été affiché sur la plupart des journaux et téléviseurs du pays — du monde ? — nombreux étaient les immortels à avoir pu la reconnaître. Avec la guerre qui couvait un peu partout, elle était devenue une cible privilégiée. Connue. Pire que tout, les événements de Jérusalem revenaient sur les lèvres et chaque jour, ceux qui savaient ce qu'elle avait fait avec Jésus de Nazareth étaient plus nombreux. Ce millénaire s'annonçait des plus délicats à gérer. Traversant la route sans même prendre la peine de regard — du moins en apparence — Moira s'engouffra dans une petite ruelle plus tranquille.
    En réalité, Moira ne se promenait pas au hasard pour évacuer sa frustration : elle était à la recherche de quelqu'un. Un ange, ou un démon, avec de grandes relations avec la police. Parce qu'il fallait qu'un ange ou un démon qu'elle ne connaissait pas se fût inviter à la petite fête qui avait eu lieu dans son appartement. Les policiers qui avaient dû voir ses ailes étaient morts. Tous. Sans qu'elle n'ait pu s'en charger. Cela n'empêchait pas les médias de l'accuser de ce massacre, mais c'était prévisible. Ce — ou ces — complice avait eu son rôle à jouer et la démone voulait savoir lequel. Caeso était sans doute facilement manipulable et si cela se trouvait, il n'avait été qu'un pion. Si c'était le cas, il lui tardait de trouver le Roi pour le mettre échec et mat. Violemment.
    Soudainement, elle se figea et se retourna. Entrant à son tour dans la ruelle, Laurys se rapprocha d'elle. Lui jetant un regard torve, elle l'accueillit sans sourire. « Tiens, tiens. Le choix en personne. » Se rendant compte que le pauvre concerné n'était pour rien dans ses malheurs, elle tâcha de lui offrir un visage neutre. Mais le cœur n'y était pas forcément.

« L’ironie te va mal, Âlma. »

Je n’étais que rarement en colère. Voir jamais. Contrarié oui sans doute, agacé, encore oui. Hors là, je me sentais bouillir. A peine quelques mois de présence et déjà cette démone mettait presque le monde ténébreux de Londres à feux et à sang.

Les mains dans les poches, je m’approchai, glissant plus que je ne marchais sur le sol. Mon regard sombre posé sur son visage. On aurait dit une ado. Une pauvre ado perdue comme il y en avait des centaines dans les rues de Londes. J’avais dû déployer des trésors de diplomatie, graisser des pattes pas forcément innocentes d’ailleurs. Je ne pouvais pas tout faire hélas et ce malgré ma position. Je ne pouvais pas être sur tous les fronts. En bref, je n’avais pas besoin de cela. Vraiment pas. Surtout en ce moment.

« Je suis au beau milieu d’une guerre dont je me serais passé. Une guerre dans laquelle tu ne voulais pas d’impliquer même si tu as accepté de me rendre service. Je suis empêtré dans un marasme impossible et toi…Bon sang, qu’est ce qui t’ai passé par la tête ?! »

Je ne haussais jamais la voix. C’était carrément impossible a obtenir de moi, mis à part Alice qui y arrivait bien trop facilement parfois. Mais pour l’heure, je ne pouvais pas me concentrer sur elle. Je ne le devais pas. C’était un talon d’Achille pour l’instant inconnu et je tenais à ce que cela reste ainsi.

« De plus, changer d’identité ne te servira à rien, tu es trop reconnaissable. »

Je me passai une main dans les cheveux, seul signe de nervosité ou d’agacement chez moi. Stoïque, je la fixais sans réellement de colère dans les yeux. Peut-être plus de la fatigue.

« J’ai tiré autant de ficelle que j’ai pu pour étouffer l’affaire mais il semblerait que tu ai des ennemis assez puissant et surtout dans nos propres rangs. Je ne peux pas gérer une guerre, une lutte intestine et te protéger en même. »

Je levai une main :

« Stop, je sais que tu ne m’as rien demandé, mais je ne peux pas te laisser dans cette situation. Est-ce que tu as au moins un endroit où te cacher ? »

    Dès qu'il ouvrit la bouche, Moira sut qu'elle allait avoir envie de le faire taire le plus rapidement possible. C'était vraiment la dernière chose dont elle avait besoin. Elle avait l'impression d'être revenue deux mille ans en arrière. Il n'était pas passé un jour sans qu'elle dût se battre, pas une heure sans qu'elle ne regardât derrière son épaule pour s'assurer de ne pas être suivie. Elle n'avait pas arrêté de chercher un ennemi qui n'existait pas et, par dessus tout, elle ne comptait plus ses heures passées autour de la maison d'Hannah à s'assurer que l'humaine allait bien. En plus de cela, elle n'avait jamais pu vraiment récupérer des deux semaines plus qu'éprouvantes qui avaient précédé son affrontement avec Cæso. Elle se tût, pourtant. Elle enfonça ses poings dans ses poches et se voûta, comme pour mieux se protéger le temps que l'orage passât. Moira était parfaite pour cela. Toujours sur la défensive, sans ami à qui se confier.
    Laurys semblait nerveux. Enfin, nerveux, c'était sans doute un bien grand mot mais il n'était pas tranquille. Alors comme ça, il avait tenté de l'aider ? Ce n'était pas vraiment surprenant, du moins l'imaginait-elle. Elle lui avait toujours trouvé un petit côté paternaliste, c'était bien là le nœud du problème. Âlma n'avait pas besoin de père. « Eh bien, je ne vais pas commencer à te plaindre pour ça, » répondit-elle quand il avança que, même si elle n'avait rien demandé, il ne pouvait pas la laisser seule affronter tout cela. « Par contre, j'imagine que je peux te remercier. »
    Il n'était pas la raison de tous ses problèmes, elle le savait bien. Bien entendu, se faire sermonner n'arrangeait pas son humeur, déjà massacrante, mais elle avait assez de recul pour se rendre compte qu'une partie des propos du rochelais était vraie : elle avait en effet dû lui apporter plusieurs problèmes. Bien entendu, de son point de vue, ce n'était pas vraiment sa faute. Sauf si, bien sûr, être quelque part pouvait être considéré comme une faute car c'était bien de cela dont il s'agissait. Elle avait été là et Cæso l'avait retrouvée. Tristement simple. Et il avait tout gâché, comme d'habitude.
    « J'ai largement assez de ressources pour me débrouiller, Laurys, ne t'inquiète pas pour moi. J'ai tout Londres pour me cacher. » Ce n'était vraiment pas cette partie là qui la préoccupait. C'était plus ce monsieur anonyme sur lequel elle ne parvenait pas à mettre de nom. « Même si je ne le montre pas, j'apprécie ce que tu peux faire pour moi. Vraiment » Elle remit une de ses mèches en place, derrière son oreille, et planta son regard dans les siens. « Mais ce n'est pas la peine. Ce n'est pas la première fois que je dois nager en eaux troubles. Contente toi de la guerre contre les anges et laisse moi démêler ma ficelle. C'est mieux pour nous deux »