Jamais plus... [Adam]

La fin des cours avait sonné depuis plusieurs minutes déjà et je regardais les élèves s'échapper du lycée, retrouver leurs petites vies, loin des murs étouffants du bahut. Le silence s'installait peu à peu. Le silence... C'était bien quelque chose que je prisais parfois et haïssais à d'autres moments. Le silence me permettait de me reposer, mais cela ne faisait que me rappeler que j'avais toujours profité de ces moments là pour jouer et laisser la musique le combler.

La musique...

Je baissais les yeux vers mes mains, dépliant mes doigts lentement, faisant aller les articulations. Ma vue avait baissé, mes mains avaient perdu en souplesse. Et ce n''était que le début de mes misères. Peu à peu, j'allais tout perdre. Dont la marche. Comment je ferais quand je serais clouée dans un fauteuil roulant? Quand mes membres seraient si raides que je ne pourrais rien faire sans aide? Quand je devrais me sonder pour aller aux toilettes, parce que mon corps ne serait même plus capable de le faire seul? Quelle déchéance... Je ne voulais pas finir ainsi, impotente, assistée. Je refusais de laisser qui que ce soit entrer dans ma vie, qu'il assiste à cette déchéance humiliante, qu'il s'enchaine à moi. Ou pire, qu'il me quitte parce que je ne serais plus celle qu'il a connu. Et je crevais de peur à l'idée de finir seule. Paradoxal non?

J'avais un coup de blues. Cela ne m'arrivait pas souvent, mais quand ça m'arrivait, je frôlais la dépression. Je luttais pourtant, rangeant mes affaires dans ma sacoche, avant de quitter mon bureau. Je passais alors devant l'auditorium. Je cessais d'avancer, regardant autour de moi, avant de céder à une brusque inspiration et de pénétrer dans les lieux. Il y avait un tas d'instruments de musique. Mon cœur se serra violemment. J'aurais tellement aimé pouvoir enseigner encore cet art si exigeant, si beau.

J'avançais vers le piano, caressant sa surface noire et brillante du bout des doigts. Je laissais tomber ma sacoche par terre, cessant de réflechir. Je m'assis sur le tabouret, laissant mes doigts effleurer les touches. Une note s'éleva. Je me passais la langue sur les lèvres, avant de finalement commencer à jouer. J'avais eu une façon de jouer si fluide, il y a encore quelques années. Mais le piano ne s'oubliait pas, pas plus que le vélo. Doucement, la mélodie s'éleva, un peu hésitante, avant qu'elle ne se fasse plus assurée. Je fermais les yeux, retrouvant cette sensation familière et adorée, laissant mes mains créer. Pourquoi cette mélodie et pas une autre? Aucune idée, mais je me mis à fredonner doucement. J'avais une jolie voix à ce qu'on m'avait dit : douce, cristalline, pas du tout puissante.

Et puis, je sentis une crispation dans mes mains et la fausse note vint mettre fin à mes rêves d'autrefois. Je rouvris les yeux, une grimace de douleur sur le visage, alors que j'avais envie de pleurer. Je fermais brutalement le clapet, cachant les touches, cachant mes envies d'une autre vie, quand j'avais l'avenir devant moi. J'entendis un bruit et je tournais la tête pour découvrir Adam qui me regardait. Et je restais figée, comme une biche prise dans les phares d'une voiture.

Ça faisait une semaine que j'étais là, et finalement je m'y sentais plutôt bien. Bon, les cours m'emmerdaient profondément, mais s'il fallait ça pour rester en liberté, j'aurais été prêt à en suivre trois fois plus, et même si le boulot que je faisais à côté n'était guère passionnant, Erin était adorable. Après m'avoir pratiquement martyrisé pour que nous nous tutoyions et nous appelions par nos prénoms, le courant était très vite passé. Elle était joyeuse, heureuse de vivre, et je me prenais même à être intéressé pour une relation un peu plus que simplement professionnelle. C'était peut-être un peu déplacé, mais en même temps, j'avais vécu deux ans sans la moindre compagnie féminine, et vu ce qui s'était passé la dernière fois que j'avais été en couple... J'avais besoin d'une compagne sans prise de tête, et Erin était exactement ce type-là.

J'avais traîné ce soir-là, peu désireux d'aller m'ennuyer chez moi. Je n'avais rien à faire, très peu d'amis, n'ayant pas réellement cherché à recontacter les anciens pour le moment - j'avais Sasha, c'était suffisant, et puis il allait falloir que je fasse gaffe à elle avec son tourtereau. Cependant, alors que je m'étais enfin décidé à sortir du lycée, incapable de trouver une excuse supplémentaire pour rester davantage, j'avais entendu quelque chose qui m'avait figé sur place.

De la musique.

Ça me manquait tellement. Deux ans, deux ans sans jouer, sans le moindre concert, ma vraie drogue, elle était là. La musique. Je me dirigeai immédiatement vers la salle d'où montaient les notes, trouvant la bonne porte sans trop de difficultés avant de l'ouvrir discrètement, silencieusement, et de me glisser à l'intérieur de ce qui était visiblement un auditorium.

Erin.

Elle était belle, absorbée ainsi dans sa musique, aveugle au monde extérieur. Et elle chantait bien. Je fus pris d'une envie irrésistible de joindre ma voix à la sienne, mais je me retins, conscient que cela avait toutes les chances de briser l'instant magique auquel j'assistais. Et je me contentais de dévorer sa nuque et son cou penché du regard, appréciant les notes volant dans l'air.

Une grimace m'échappa lorsque le piano miaula une fausse note, et je sursautai quand elle ferma brutalement le couvercle sur le clavier. Je la voyais crispée, sans comprendre pourquoi. C'était juste une fausse note, non ? Pourquoi cela la dérangeait-elle autant ?

Je voulus me rapprocher d'elle et mon pied accrocha un pupitre. Elle se retourna et je me figeai, prisonnier du faisceau de son regard. Soudain, j'avais l'impression d'être un intrus. J'enfonçai les mains dans mes poches, rencognai la tête dans les épaules et fis d'une voix un peu bourrue, sans la quitter du regard :

- Tu joues bien.

Entendre sa voix, me permit de récupérer ma langue et de me détendre un peu. Je me sentais stupide à m'être ainsi laissée aller à rêver à quelque chose qui n'était plus accessible. Je me faisais du mal pour rien. Et en plus, j'avais un témoin de mon horrible façon de jouer. J'eus un petit sourire amer alors qu'il me disait que je jouais bien. Si tu savais Adam... Si tu savais comme c'était nul comparé à ce que je faisais avant d'être touchée par cette saloperie de maladie.

- "Merci. Même si tu as assisté à une catastrophe. Mais c'est gentil."

Je me forçais à conserver mon sourire, celui qu'il connaissait. Adam était arrivé depuis peu. Une petite semaine. Je savais qu'il était là parce que son agent de probation l'avait envoyé, afin qu'il puisse réinsérer dans la vie civile après son passage en prison. Je savais qu'il avait fait deux ans, mais je ne savais pas pourquoi. Je ne le lui avais pas demandé. Je ne voulais pas le connaître d'après des à priori. Ces maudites étiquettes qui vous collaient à la peau. Je ne disais pas que j'étais malade pour ne pas avoir cette étiquette qui viendrait fausser toute relation. Je respectais les secrets des autres. Même si ce n'était pas forcément un secret pour lui, je n'en savais rien.

Je me levais alors, récupérant ma sacoche tombée à terre et la posant sur le tabouret, avant de le regarder.

- "Je pensais être seule, je ne m'attendais pas à avoir un public."

Je me mordillais la lèvres, caressant de nouveau le piano avec envie et regrets. C'était toute une passion à laquelle je renonçais.

- "J'ai longtemps joué, je suis même allée au conservatoire."

Avant. Avant que mes mains ne me trahissent, que mes doigts perdent leur souplesse, que je ne sois plus capable de suivre le rythme, de pincer des cordes. j'étais fatigué,e si fatiguée... Tout le temps. Je dormais 10 heures par nuit et je m'épuisais pour un rien. Et la douleur... Toujours omniprésente, avec plus ou moins de force, mais jamais elle ne me laissait de répit. J'avais apprit à vivre avec.

Adam me regardait toujours. Taulard... Il avait peut-être volé, violé, tué, je n'en savais rien, même si je doutais qu'il fut sorti s'il avais commis un acte très grave. J'étais seule avec lui, à sa merci et je n'avais pas peur. Parce que cela faisait une semaine qu'on se côtoyait. Je le trouvais franc. Il n'y avait rien de pervers ou de sournois dans son regard. Peut-être un zeste de violence, mais contenue. Il était aussi incroyablement sexy. On s'entendait bien, le courant passait bien,pour ce qui était du boulot en tous les cas. Sinon, nous ne nous connaissions pas.

- "Tu sais jouer d'un instrument?"

Pourquoi cette question? Aucune idée. Quelque chose dans son regard, dans sa façon de regarder le piano, la guitare, le violoncelle... Une intuition aussi. Je ne savais pas, mais je n'avais pas envie de couper court à la conversation maintenant, je tenais une occasion en or d'en apprendre davantage sur lui.

Je la regardai avec une expression un peu surprise sur le visage. Catastrophique ? Bon, j'étais pas un expert et je n'avais jamais pris de cours traditionnels de musique, apprenant tout sur le tas, mais enfin, il me semblait qu'elle s'en était pas mal sortie du tout. Et j'aimais bien la chanson qu'elle avait jouée, même si elle était sans doute un peu trop mélancolique. Elle me rappelait les pertes que j'avais subies, sur un simple coup de colère. Foutue colère... Foutu emportement... Combien de fois m'étais-je maudit pour n'avoir pas su me contrôler ? Et Erin, la sage petite Erin, la frêle et jolie Erin, n'en savait rien du tout. Elle ne savait pas qu'elle était seule dans la même pièce qu'un meurtrier. J'eus la soudaine et douloureuse sensation de lui mentir. Mais avoir une simple relation d'amitié, même toute récente et juste amorcée, me faisait trop de bien pour que je daigne lancer ainsi une information qui terniraient ses yeux quand elle me regarderait.

- Tu as dérapé sur la fin, OK. Mais à part ça, c'était très joli, sincèrement.

Faisait-elle partie de ces gens qui se rabaissaient tout le temps alors qu'ils arrivaient pertinemment ce qu'ils entreprenaient ? J'espérais que non, cela m'aurait déçu. Et je ne la voyais pas du tout encline à se plaindre, bien au contraire, elle essayait toujours de profiter un maximum de la vie. Alors quoi ? Pourquoi trouvait-elle qu'elle jouait mal ?

J'eus un petit sourire lorsqu'elle s'étonna de ma présence ici.

- Pas depuis le début. Mais quand j'ai entendu la musique, je n'ai pas pu m'empêcher de chercher d'où ça venait, et je t'ai trouvée ici au piano. Je n'ai pas voulu te déranger.

Je regardai sa main étrangement raidie caresser le bois du piano en un drôle de geste. De regret. Que regrettait-elle ? J'avais de plus en plus l'impression qu'elle me cachait quelque chose, mais je n'avais pas l'intention de la cuisiner, pas alors qu'elle-même avait été si discrète à mon attention.

- Vraiment ? Pourquoi tu as arrêté ?

Je ne pouvais réussir à concevoir qu'on arrête un jour volontairement de jouer de la musique. Ç'avait été un tel supplice pour moi, lorsque j'y avais été contraint et forcé, que c'est limite si je n'aurais pas engueulé quiconque le stoppait par lassitude ou je ne sais quelle autre raison. Et être dans cette salle dédiée à la musique me faisait envie, terriblement, même sans l'ambiance électrisante de l'under, même sans le soutien de mon groupe. Je me sentais à la fois étrangement déplacé et terriblement à ma place. J'eus un petit sourire à sa question.

- Oh, pas grand-chose. Un peu de piano, un peu de guitare, un peu de batterie. Mais je ne joue pas très bien, je le laisse à d'autres qui ne font que ça, je préfère chanter, même si j'ai plus d'affection pour la guitare. C'est encore le meilleur instrument à utiliser avec sa voix, plus facile.

Je marquai une pause, posant ma main sur les cordes d'un violon. Un instrument beaucoup plus classique que je ne maîtrisais absolument pas. J'hésitai à prononcer les mots qui me vinrent à l'esprit, mais ils étaient trop évident et moi trop franc pour que je ne les dise pas :

- C'est ce qui m'a manqué le plus en prison. La musique. J'aurais pas tenu beaucoup plus longtemps sans.

J'eus un petit sourire un peu triste alors qu'il m'assurait que c'était très joli, alors que j'avais juste dérapé sur la fin. J'étais une perfectionniste, j'avais côtoyé les étoiles tellement je jouais bien, cette fausse note, c'était inacceptable, cela me renvoyait exactement à ce que je haïssais, cette incapacité de pouvoir lutter contre le temps.

- "Je suis exigeante avec moi-même."

Surtout quand j'avais été si douée. Mais ça, il ne pouvait pas vraiment le savoir n'est-ce pas? Je lui fis part de mon étonnement quant à sa présence en ces lieux et il me répliqua qu'il avait été attiré par la musique. Forcément, ce n'était pas très discret le piano. Ni le chant d'ailleurs. Je m'étais complètement laissée aller.

- "Tu ne me déranges pas."

Pas du tout même. Je me plaisais en ca compagnie. Il était presque... timide? Pourtant vu le gaillard, c'était assez étonnant. Et touchant. Comme s'il avait peur de m'effrayer. Pensait-il que le fait qu'il ai fait de la prison pouvait jouer en sa défaveur me concernant? Que je pourrais le craindre? C'était possible. S'il décidait de me faire du mal, je ne pourrais pas répliquer. Je lui avouais avoir longtemps joué et même fait le conservatoire. Pourquoi? Aucune idée... par fierté de ce que j'avais fait peut-être? Naturellement, cela attisa sa curiosité et j'eus un sourire doux amer, cessant de caresser le piano pour faire aller mes doigts traitres.

- "Parce que je ne pouvais plus. Mon corps me trahit."

J'avais répondu simplement avec douceur, sans le regarder, les yeux fixés sur ma main. Parce que j'avais du mal à lire une partition également, les lignes se confondant, se brouillant. Est-ce que je finirais aveugle en plus d'être paraplégique? Tuez moi maintenant...

Je m'intéressais alors à lui, lui demandant s'il jouait. J'avais deviné juste, il touchait un peu à tout, sans être excellent dans un seul domaine. Je souris pourtant quand il m'apprit qu'il chantait plutôt.

- "Vraiment?"

Je le vis caresser les cordes d'un violon, avant de m'avouer que c'était ça qui lui avait manqué le plus en prison. La musique. Comme je le comprenais.

- "Il te restait ta voix. Mais je comprends, c'est horrible de ne pas pouvoir assouvir sa passion."

Et j'en savais malheureusement quelque chose. Je n'osais pas lui demander ce qu'il avait fait pour aller en prison, pas maintenant, je ne voulais pas briser cette douce atmosphère. Alors j'allais chercher la guitare, la lui apportant, un grand sourire candide aux lèvres.

- "Montre-moi... Comment tu joues, comment tu chantes. Rattrape le temps perdu. S'il te plait."

- Je vois ça.

Je ne fis pas plus de commentaires. Être exigeant envers soi-même, c'était bien. Mais fallait-il réellement se rabaisser ainsi ? Oui, elle aurait pu faire mieux. Non, ce n'était pas une catastrophe. Oh, j'étais un peu de mauvaise foi, ça m'était arrivé d'être excessivement sévère envers les membres de mon groupe, ça m'était arrivé de trouver un concert raté alors que la foule était en délire, et plus souvent qu'à mon tour, parce que j'étais trop accroché à la musique et ne la tolérait que lorsqu'elle était au plus proche de la perfection. Mais néanmoins, j'aimais jouer juste comme ça, pour me détendre, me faire plaisir, et dans ce cas-là, je ne faisais pas spécialement attention à la qualité de mon jeu. Où aurait été la détente sinon ?

Un léger sourire effleura mes lèvres lorsqu'elle m'affirma que je ne la dérangeais pas, bien vite fané lorsqu'elle répondit très simplement à ma question par une réponse qui n'en était pas réellement une. Je ne pus empêcher mes yeux de glisser sur sa main raidie, toujours posée sur le piano. Un musicien n'avait jamais les mains raides, mais toujours excessivement souples. Même Sasha, qui ne faisait que s'écorner sur ses baguettes, avait de jolis doigts fins et souples. Idem pour les poignets. Pourquoi pas Erin ?

Mais je m'abstins de poser la question. Si elle ne me l'avait pas dit quand je lui avais demandé pourquoi elle avait arrêté la musique, c'est qu'elle ne voulait pas me le dire. Vieux réflexe de l'under, je crois. On avait tous des parcours très différents, généralement pas très joyeux, et on n'avait pas forcément envie de s'étaler dessus. Chacun se taisait, personne ne posait de questions, et ainsi nous pouvions cohabiter, tous ensemble, sans curiosité déplacée. Finalement, j'étais extraordinairement banal dans le genre. J'avais suivi des études normales, j'avais une famille normale, rien qui ne me pousse à aller dans ce milieu. Mais la musique... Elle était sublimée là-bas. C'était mon monde, et je m'y étais instantanément senti à l'aise. C'était comme ça, point. Ici, tout était artificiel, rien ne laissait place à l'improvisation, et c'était ça qui me mettait mal à l'aise. On ne pouvait pas réellement s'oublier.

Mais enfin, ça restait de la musique.

Je lui adressai un sourire cynique lorsqu'elle parla de ma voix :

- Vraiment, tu crois ? Si j'avais chanté en prison, tous les gars me seraient tombés dessus. C'est un peu stupide, mais parfois ça me fait penser à un lycée américain. Chacun a sa réputation, et on a plutôt intérêt à la maintenir si on ne veut pas se faire marcher dessus. Quand on n'a pas de groupe sur lequel s'appuyer, chanter, ça fait beaucoup trop maniéré pour que je puisse me le permettre.

On m'avait craint dès que j'étais arrivé. C'était une petite prison et il y avait peu de vrais durs à cuire, aussi avais-je pu vite prendre l'ascendant et j'en avais profité, sans remords. Sinon, ç'aurait été l'enfer, cela je l'avais très vite compris. Chanter ? Hors de question. Même pas sous la douche. Tout juste à mi-voix, de temps en temps, quand les autres dormaient.

Si bien que lorsqu'elle m'apporta cette guitare, je sus que c'était exactement ce dont j'avais besoin.

Je lui rendis son sourire et passai la lanière autour de mon cou. Les premières notes me vinrent sans que je réfléchisse vraiment à la chanson que j'allais jouer. Puis ma voix s'éleva et j'oubliai tout ce qu'il y avait autour de moi, y compris Erin.

Il n'y avait plus que moi et la musique.

Show me a smile then
Don't be unhappy, can't remember
when I last saw you laughing
If this world makes you crazy
And you've taken all you can bear
You call me up
Because you know I'll be there

And I'll see your true colors
Shining through
I see your true colors
And that's why I love you
So don't be afraid to let them show
Your true colors
True colors are beautiful
Like a rainbow

[Cette chanson me rend mélancolique. C'était tout indiqué (Et puis j'm'y connais pas assez pour trouver une chanson qui claque vraiment avec le perso !)]

Mon sourire s'était crispé alors qu'il répondait constater en effet que j'étais exigeante. Il ne pouvait pas comprendre que j'avais frôlé l'excellence et que je devais maintenant me contenter de la médiocrité. On ne pouvait pas être médiocre quand on jouait... Impossible. Il fallait que le public adhère, ferme les yeux et soit emporté. C'était terminé pour moi.

Je lui avouais alors qu'il ne me dérangeait pas, même si j'aurais préféré qu'il se signale avant que je ne commette la faute qui m'avait mis le cœur au bord des lèvres. Je lui confiais avoir fait le conservatoire et il s'étonna que j'ai tout arrêté. J'avouais à demis mots ne plus pouvoir jouer, parce que mon corps me trahissait. Ce n'était que l'entière vérité, mais je ne dévoilais pourtant pas tout et il eut la délicatesse de ne rien demander. Merci.

Je préférais changer de sujet, et son cas était bien plus intéressant que le mien. Il m'apprit qu'il jouait de quelques instruments et chantait, avant d'avouer que cela lui avait manqué en prison. J'ajoutais qu'il aurait toujours pu chanter là bas, si cela était vraiment intenable. Cela sembla l'amuser. Je me demandais si je ne venais pas de sortir une connerie. Il m'expliqua alors en quoi ma proposition était stupide. Ah ben oui, vu comme ça évidemment... C'est sûr que son image de gros dur en prenait un coup. Idiote.

- "Je suppose que tu avais plutôt la réputation du gros dur qu'il ne faut pas ennuyer?"

En même temps, si cela pouvait lui permettre de ne pas se faire emmerder, il avait eu raison. Il avait le physique de l'emploi... Les tatouages, la carrure, le visage dur... Mais des yeux à se damner, surtout par leur expression douce qui contrastait avec son physique. Je me demandais d'ailleurs à quoi il ressemblait sans vêtements.

Je souris pour moi-même, allant chercher une guitare et la lui tendant en lui demandant de jouer et de chanter pour moi. Juste retour des choses, il m'avait écouté, à mon tour maintenant. Nous avions un point commun et pas des moindres : l'amour de la musique. Je le laissais s'installer, et j'allais moi-même m'asseoir sur le tabouret du piano, croisant mes mains entre mes genoux serrés et l'observant avec attention alors qu'il commençait à jouer. Je fus surprise du choix de la chanson, belle et triste à la fois. Il avait une très belle voix, vibrante d'émotion. Je me surpris à fermer les yeux et à me laisser bercer, souhaitant que cet instant de grâce dure toujours. Je fredonnais même, très bas, pour ne pas le déranger. Mais toute bonne chose avait une fin, n'est-ce pas? Je rouvris les yeux, en souriant doucement.

- "Ta réputation en aurait vraiment prit un coup. Tu es un tendre au fond, je t'ai démasqué."

Je me reculais un peu, posant mes talons sur le tabouret et entourant mes jambes de mes bras, continuant à le regarder.

- "Très bon choix de chanson... Il aurait été dommage que je ne profite pas de ton talent Adam."

Je me mordis la lèvre, avant de finalement demander, à mi-voix :

- "Pourquoi as-tu été condamné?"

Il n'avait rien d'un assassin, d'un violeur, ou même d'un voleur... Drogue? Trafic? C'était ce qui me semblait le plus coller à sa personnalité en fait. Quoique drogué, non, même pas, sauf de musique... Mais après tout, je ne le connaissais pas du tout, peut-être qu'il n'était pas le gentil qu'il essayait de me faire croire.

- "Désolée si ma question est indiscrète, si tu ne veux pas répondre, je comprendrais... la direction sait sans doute tout sur toi, mais j'ai refusé de l'apprendre, je ne voulais pas avoir d'à priori sur toi. Je n'aime pas coller des étiquettes... Et je commence à me dire qu'il y a du y avoir une erreur. Je ne vois pas ce qui aurait pu t'envoyer en prison."

- Exactement. Et j'en ai profité sans remords. Je ne voulais pas risquer de me faire marcher sur les pieds.

Je haussai les épaules, écartant le sujet. Je n'aimais pas me souvenir de ça. C'étaient deux années que je souhaitais jeter au loin, le plus rapidement et efficacement possible. Le bracelet enserrant ma cheville me rappelait déjà trop bien que je n'étais pas vraiment, pas encore, tout à fait libre. J'avais l'impression d'une longue chaîne me reliant à la prison, sur laquelle on pouvait tirer à n'importe quel moment pour me ramener là où l'on estimait qu'était ma place. C'était infernal. Je n'aspirais qu'à me débarrasser de ce foutu bracelet. Ce n'était que comme ça que je pourrais aussi me débarrasser de mes souvenirs, même si je devrais toujours traîner mon casier judiciaire.

Et je décidai de profiter de l'occasion qu'elle m'offrait de jouer pour tout noyer dans la musique. Je laissai les notes me porter, ma voix voguer sur les notes sèches de la guitare. J'oubliai Erin et l'environnement, me concentrant entièrement sur mes doigts et ma voix pour une poignée de minutes. Cela me fit un bien fou, et je regrettai intensément la fin de la chanson lorsqu'enfin elle arriva.

La réaction d'Erin me fit sourire.

- Peut-être bien. Je ne me suis jamais vanté d'être un salopard, et j'espère bien ne jamais l'être. Merci, ajoutai-je lorsqu'elle me complimenta plus franchement.

Il régnait une étrange atmosphère dans l'air, une sorte de sphère d'intimité qui s'était créée sans que je décèle exactement quand - peut-être au moment où je lui avais avoué ma passion pour la musique ? Ce fut cette ambiance dédiée aux confidences qui m'empêcha d'être surpris quand elle m'interrogea à propos de la question que chacun devait se poser ici. Ce ne fut pas pour autant que je répondis spontanément.

Je marquai une pause, cherchant comment formuler la réponse. Je n'avais pas envie de la lui refuser ; de toute façon, j'assumais la vérité, et si cela effrayait les gens, c'était tant pis pour moi. Je n'avais jamais été un menteur et ne le serais jamais. Elle reprit la parole alors que je réfléchissais, et je ne pus m'empêcher de rire, un rire léger, neutre, ni ironique ni joyeux. Elle était adorable en cet instant, naïve comme une enfant. Elle ne devait pas se faire d'opinions si rapidement sur les gens, elle se ferait avoir...

Je m'humectai les lèvres, posai lentement la guitare, me levai et croisai posément les bras.

- Homicide involontaire.

Je la regardai droit dans les yeux. Si elle voulait la vérité, il fallait qu'elle la regarde en face, elle ne pouvait pas fuir maintenant.

- Après un concert, je suis rentré chez moi en pensant trouver ma petite amie qui m'attendrait dans le lit, endormie. Elle me promettait toujours qu'elle resterait réveillée pour me dire bonne nuit mais n'y arrivait jamais, ça me faisait rire. Je lui disais toujours que le jour où elle serait réveillée, je me méfierais et chercherais à voir si ce n'était pas parce qu'elle avait vu un autre homme en m'attendant. Je ne croyais pas si bien dire. Je les ai trouvés nus tous les deux, pas en pleine action mais limite. C'est peut-être même ça qui m'a envoyé en prison. Si le type avait été habillé, il aurait pu se défendre. Mais là, il a cherché ses vêtements par réflexe, et moi je lui ai donné un coup de poing en pleine face. Il a titubé, trébuché en arrière, et s'est brisé la nuque sur le rebord de la table, mort sur le coup.

Je haussai les épaules, tentant d'effacer tout cela par un simple geste dérisoire. Ça non plus, je n'aimais pas m'en souvenir. La rage noire qui m'avait aveuglée, la prise de conscience lorsque j'avais compris qu'il ne respirait plus, l'effondrement total quand la police était arrivé et avait envahi la pièce, alors que je comprenais que je venais de ruiner toute ma vie pour cinq malheureuses secondes d'emportement. J'étais resté hébété, le regard dans le vide, incapable de parler, de me défendre ou même de me rebeller. Et ensuite, c'était trop tard, j'étais enfermé, accusé d'homicide. Involontaire, oui, mais homicide quand même. J'avais tué un homme. Et quels que soient les griefs que j'avais eus, jamais je n'avais voulu une telle chose.

- Huit ans de prison. Mais j'y étais depuis seulement deux ans. Je suis en liberté surveillée.

Je souris et ajoutai un peu cyniquement :

- Tu crois qu'il y a une erreur ? Que j'aurais dû y échapper parce que ce n'était pas dans mes intentions de commettre un meurtre ?

Je hochais la tête. Je savais que la prison, ce n'était pas très gai comme endroit et qu'il y avait intérêt à être un dominant qu'un dominé. Les sévices étaient monnaies courante entre détenus. Adam avait la carrure pour être intimidant et jouer les chefs. Il avait eu raison d'en abuser pour éviter de se faire maltraiter. Mais alors que je lui proposais de jouer et de chanter pour moi, alors que je me laissais guider par son timbre mélodieux et ses doigts agiles, je me surpris à songer que derrière ses airs de gros durs, c'était en fait un homme à la sensibilité à fleur de peau. C'était obligé. Il ne pouvait pas mentir avec la musique, il ne pouvait ni tricher, ni faire semblant et je vibrais à l'unisson de ses notes.

Quand cela se termina, je ressentis une grande tristesse et pas seulement en rapport avec la chanson qui n'était pas spécialement joyeuse. Et je lui fis part de mon sentiment sur sa sensibilité. Cela le fit sourire et il me répliqua qu'il ne s'était jamais vanté d'être un salopard. Et qu'il espérait ne jamais le devenir. J'approuvais. De ce que j'avais vu de lui, il était loin d'être un salopard. Et j'espérais également qu'il ne le deviendrait pas. Si on lui foutait la paix et le laissait vivre sa vie, cela n'arriverait pas. Je le complimentais et il se contenta d'un simple remerciement. De rien, j'étais sincère.

Et naturellement, j'en vins à lui demander ce qui l'avait conduit en prison. Cela na cadrait pas avec l'image que j'avais de lui, avec ce talent à l'état brut, avec cette sensibilité émouvante. J'avais peut-être mis les pieds dans le plat, rompu un moment de complicité naissante... Je repris la parole, excusant ma curiosité. Il n'avait pas à répondre s'il n'en avait pas envie, je n'exigeais rien qu'il ne m'offre de son plein grés.

Le silence s'était installé, inconfortable, alors qu'il semblait réflechir à la façon de m'envoyer galamment sous les roses ou de me formuler sa réponse sans me foutre la trouille... j'attendis, un brin nerveuse. Je n'aurais pas du demander, je n'aurais pas du empiéter sur sa vie privée. Il se leva, reposa la guitare, avant de me lâcher la réponse de façon laconique. Homicide involontaire. Heureusement que j'étais assise, mes jambes m'auraient lâché. Il avait tué? Il ne l'avait pas fait sciemment, mais il avait ôté la vie... Cela ne m'effrayait pas. Pas vraiment. J'étais juste désolée pour lui, dans un sens.

Il me regarda droit dans les yeux et je ne cillais pas, ne détournais pas le regard, l'affrontant moi aussi. j'avais demandé, je serais prête à encaisser la vérité. Et il me la délivra. Adultère... Crime passionnel, dans un sens. Il avait frappé l'amant de sa copine et manque de bol, il s'était tué en tombant. Ce n'était pas volontaire, ce n'était pas prémédité, il ne l'avait pas sauvagement agressé d'un coup de couteau, avec un flingue ou en le battant à mort. c'était un accident. Il avait pété un plomb en apprenant être trompé, comme n'importe qui.

Je restais muette, ne trouvant pas quoi dire de pertinent. Il haussa les épaules, comme si cela n'était rien, mais ce n'était pas rien. 8 ans de prison, seulement deux ferme. Il était en liberté surveillée. Normal. A la moindre connerie, il retournerait à l'ombre. Cela devait être terrible. Il me posa alors deux questions et je retrouvais l'usage de ma langue.

- "Je pense juste que c'était un accident et que tu n'avais pas l'intention de le tuer. Cela ne change pas grand chose à l'acte commis, mais beaucoup aux yeux des hommes. A mes yeux."

Je soupirais.

- "Tu as frappé un mec qui te piquait ta gonzesse, c'est normal. Qu'il se tue en se fracassant le crane, c'était une composante non prévue, qui n'aurait pas du arriver ou aurait pu arriver à n'importe qui... 8 ans, je trouve cela cher payé... Tu dois le regretter tous les jours."

J'eus un petit sourire incertain. Je n'avais pas peur de lui et j'étais soulagée d'apprendre qu'il était en prison pour un accident.

- "Cela ne change rien à ce que j'ai dis. Je pense que tu es un type bien, qui n'a pas eu de chance. Et je suis contente de te connaitre Adam."

Je me rendis brusquement compte à quel point j'étais tendu. Sa question, bien que venue se fondre assez naturellement dans la conversation, avait brisé ma sérénité, faisant remonter tous ces souvenirs à la surface, et je sentais mes muscles se crisper, de regret, de colère, principalement contre moi-même mais aussi contre mon ex et son putain d'amant, un mec qui était mort juste parce qu'il était au mauvais endroit au mauvais moment. Tout le monde savait à quel point j'étais jaloux. Tout le monde savait qu'approcher un peu trop ma copine était extrêmement risqué. Mais finalement, ce qui faisait le plus mal, c'était sa trahison, à elle. Il l'avait draguée... elle avait accepté. Et dans mes accès de colère, je regrettais de ne pas lui en avoir foutu une à elle aussi.

J'étais pas le genre de mec à être traumatisé dès qu'il touchait une fille - Blue en était la preuve vivante, même si Blue était un cas particulier - mais néanmoins, jamais, jamais je n'avais levé la main sur ma petite amie. Il fallait vraiment qu'elle m'ait blessé au cœur. Erin avait raison, au fond, j'étais assez sensible, simplement je ne savais pas l'exprimer. Quand j'étais blessé, je ne pouvais pas discuter, je répondais automatiquement par la violence. Et aujourd'hui, j'avais douloureusement conscience que si je retombais amoureux - je ne voulais surtout pas retomber amoureux - la fille aurait un sacré pouvoir sur moi. Parce que je craindrais terriblement le moindre nouveau pas de travers.

Je n'avais jamais eu peur de rien. Maintenant, j'avais peur de mon impulsivité.

- Ça ne change rien aux yeux des miens. C'est tout le problème, Erin. Chaque fois que je me regarde dans la glace, je vois un meurtrier. Chaque fois que je suis heureux d'être en liberté, je pense à ceux qui ont dû faire leur deuil de ma victime, et qui voudraient que je sois en prison à perpétuité. Et je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est normal, après tout.

Tout s'effaçait lorsque je revoyais Sasha, ou lorsque je pouvais faire de la musique, et même quand je travaillais aux côté d'Erin ou que je suivais un cours. Mais lorsque j'étais désœuvré, à tout instant, cette culpabilité pouvait me tomber dessus, comme un chat de gouttière plantant ses griffes dans ma peau pour me rappeler que, peu importe combien de fois je le chasserais, il serait toujours là pour me faire souffrir.

- Huit ans... Je ne savais pas que je pourrais être libéré si vite, mais maintenant que je suis dehors, je me demande comment j'aurais fait pour ne pas devenir fou au bout de huit ans. Et tu sais quoi ? Quand je pense aux amis, ou à la famille de ce type, je me dis que huit ans, c'était largement mérité. Que je devrais m'en vouloir de m'en sortir si facilement, juste en ayant été bien sage, juste parce que je regrette. C'est pas les regrets qui répareront ce que j'ai fait.

Je haussai les épaules. J'avais l'air d'un pauvre gars qui pleurait sur son sort, le mec altruiste qui voulait s'enfermer pour le bien de la société, c'était un peu pitoyable. Je souris alors qu'elle me disait qu'elle était heureuse de me connaître... Ça... ça, personne ne me l'avait jamais dit, à part Sasha bien sûr.

- On ne peut pas dire que tu me connais vraiment. Je ne suis pas si morose d'habitude. Faudra qu'on aille déjeuner un jour, entre collègues, histoire de mieux faire connaissance.

Je me mordis la lèvre quand il me répliqua que cela ne changeait rien à ses yeux, qu'il voyait un meurtrier quand il regardait dans le miroir. Qu'il se devait de payer pour la famille du type assassiné. Oui, naturellement, vu comme ça mais... je le trouvais vraiment dur avec lui même. Ou bien était-ce moi qui étais trop tendre? Il n'avait pas tort. Il avait tué, la famille de la victime méritait qu'il soit puni, même s'il n'avait pas voulu cela. Je le trouvais très mûr en fait, très réfléchi. Ce n'était pas un voyou. C'était un mec bien, qui avait fait une erreur de parcours.

Non, les regrets ne réparaient pas ce qu'il avait fait, les regrets ne ramèneraient pas cet homme à la vie. Mais le conducteur qui écrasait un enfant pour un instant d'inattention était-il aussi coupable qu'Adam? C'étaient des accidents de la vie, des choses banales qui se révélaient tragiques par un concours de circonstances malheureux. Je le trouvais bien dur avec lui-même, mais j'aurais sans doute été choquée qu'il ne se sente pas coupable. Cela aurait voulu dire qu'il n'avait pas de conscience. Hors, il en avait une et elle le torturait.

Je me levais alors m'approchant de lui, avant de me mettre à sa hauteur, posant une main sur son bras, un petit sourire aux lèvres. Oui, j'étais heureuse de le connaître, de découvrir cet homme torturé, sensible. Ce gros dur au cœur tendre. Il me touchait. Il était sexy, bien sûr, mais il y avait davantage.

- "J'adorerais."

Oui, sortir du cadre professionnel, apprendre à se connaître, voire davantage si affinités. Je n'étais jamais contre une relation sexuelle avec un beau mec. Un truc sans prise de tête, juste pour se faire du bien. Un sex friend comme on disait maintenant. Cela me convenait bien. Mon autre main vola vers sa joue, la frôlant délicatement, alors que je reprenais :

- "Rester en prison jusqu'à la fin de tes jours aurait-il changé les choses? Non, pas davantage que de sortir maintenant. Ta culpabilité est une punition suffisante... C'était un accident Adam, un malheureux accident... Il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien, c'est comme ça. Ça devait arriver."

Comme ma maladie. Ce n'était pas juste, je n'avais rien fait pour mériter cela, mais voilà, j'étais malade, je devais composer avec ça. Chaque jour de ma vie, je me battais pour éloigner le spectre de la fatalité, mais je ne gagnerais pas. Je pouvais repousser l'inéluctable, mais je ne gagnerais pas contre le temps.

- "Si on sortait samedi soir? Tu as besoin de te changer les idées."

Et moi aussi. Sortir, m'amuser, oublier le temps de quelques heures que cette fois pouvait aussi bien être la dernière où je me tiendrais debout...

J'eus un léger sourire lorsque Erin accepta mon invitation. Elle était sympa, elle gagnait certainement à être connue en dehors du travail. Légère, pas prise de tête, elle me ferait du bien. Et puis une nouvelle connaissance ne me ferait pas de mal. Je ne voulais pas retourner dans l'under tout de suite... Même si je ne touchais à rien de ce qui y traînait, ça me cataloguerait direct d'aller traîner là-bas si vite. Et je risquais de mettre des gens moins regardants que moi dans la merde. Même si ça signifiait attendre encore un peu avant de revoir mes anciens amis, je ne voulais pas prendre le risque, mais du coup, qu'est-ce que je me faisais chier, putain !

Un haussement d'épaules accueillit sa remarque sur ma culpabilité. Oui, finalement, rien n'y changerait jamais rien, que je reste à jamais en prison ou que je sois gracié, il ne reviendrait pas à la vie. Il fallait trouver un juste milieu entre les deux. Deux ans de condamnation suivis d'une liberté surveillée, oui, ça semblait un juste milieu. N'empêche que je risquais pas de m'approcher trop près du frère du mec, qui s'était fait un plaisir de m'enfoncer au procès.

- J'aime pas croire au destin. C'est une excuse un peu trop facile. Ça devait arriver... Ça aurait pu ne pas arriver.

Je finis par chasser cette conversation d'un geste désinvolte de la main, peu désireux de m'attarder encore là-dessus.

- Enfin, le passé, c'est le passé, faut que je passe outre si je veux avancer. Ça sert à rien de se morfondre.

Sortir... Depuis le temps, j'avais oublié comment faire. Et puis mes sorties d'autrefois, elles se passaient dans l'under. J'allais tout de même pas traîner Erin là-bas. Toutes mes copines étaient tirées de ce monde, et si parfois elles m'avaient harcelé pour un restau un peu chic, globalement, toutes nos sorties se passaient dans le métro londonien. Alors elle voulait aller où ? D'un coup, j'étais déstabilisé. Et puis une sortie entre amis, avec simplement une fille et moi... Je savais pas comment faire, ni comment me comporter. Pourtant, je lui avais proposé ça naturellement, sans envie particulière de la draguer.

- Je passe te prendre à huit heures ?

Elle acquiesça avant de chercher un bout de papier et un stylo pour me noter son adresse. Elle n'habitait pas très loin du lycée, ce serait facile à trouver. Je cessai mon combat intérieur en décidant de l'emmener tout bonnement dîner dans un pub avant de chercher une quelconque boîte où finir la soirée en s'amusant. Ça conviendrait parfaitement. Et puis après tout, si elle voulait davantage, rien ne m'empêchait de la raccompagner. Ça faisait deux ans que j'avais pas connu de fille, merde ! Tomber amoureux, non, plus jamais. S'octroyer un peu de plaisir, pourquoi pas ? N'ayant jamais réellement travaillé, je n'avais jamais pensé à ces histoires de mélanger vie privée et vie professionnelle. Je m'en foutais éperdument : Erin était potentiellement une bonne amie, je voulais continuer pour savoir si je m'entendrais bien avec elle, c'était tout.