Trahison ( Langage explicite ) ( Blake )

Deux jours. Deux jours que je n’avais pas parlé à celle qui se disait ma meilleure amie. Qu’elle ne m’avait pas approché plus que nécessaire. Je lui en voulais beaucoup, mais on aurait dit que je ne savais plus pourquoi. Parce qu’elle couchait avec notre professeur de littérature ? Parce qu’elle soutenait le détester alors qu’elle était en couple avec lui ? Parce qu’elle ne me l’avait pas dit. Pas un mot, pas un appel. Je me disais que c’était ça, le pire. Qu’elle n’ait même pas le courage de m’en parler. J’aurais peut-être pu le supporter, mais pas en ce moment. Meilleures amies. Officiellement, en couple. Merde, Blake, merde ! Je lui en voulais vraiment. Pour tout. Mais encore plus pour ne pas avoir été foutue de me le dire.

Je les avais vus. Il y a deux jours, après l’école, dans le stationnement. Je ne voyais que celle qui se prétendait ma meilleure amie et je pensais aller la rejoindre. Puis, il était arrivé. Ils s’étaient touchés. Même de loin, je voyais leurs lèvres s’effleurer. Mais personne d’autre n’était là. Personne pour me pincer, personne pour me dire que je rêvais. J’étais seule devant un cauchemar. Et Blake avait passé ses jambes derrière lui, sur sa moto, et ils étaient partis. J’avais eu envie de vomir.

Elle n’avait pas appelé. Le lendemain, elle avait voulu faire comme si de rien était. Pas moi. Moi, je ne pouvais pas. J’imaginais sa langue contre celle d’Hartwood…puis contre la mienne. Qu’allait-elle faire ? Nausée. C’était tout ce qui se passait. Mon cerveau avait cessé de fonctionner logiquement. J’avais fui. J’étais en colère. Et puis, si je pouvais facilement ne pas la voir en cours – pour une fois, je bénissais ces idiots – aux récréations, sur l’heure du midi, c’était autre chose. Ce n’était pas comme si j’avais des amis ici. Me voir sans Blake, c’était impossible. Deux jours que je m’enfermais dans les toilettes autant que je le pouvais. D’ici quelques jours, on me traiterait d’anorexique. Les rumeurs allaient si vite.

Mais là, je ne pouvais rien faire. J’étais coincée, parce que les vestiaires pour le cour d’éducation physique avaient été fermés alors que j’étais encore à l’intérieur. Enfermée pour la prochaine heure. Et Blake, Blake qui ne devait même pas être là, qui devait juste être allée aux toilettes innocemment, Blake sortit et me regarda avec surprise. À me voir tourner frénétiquement la porte, elle sembla comprendre. Nous étions seules. Seules et enfermées.

Elle s’avança quand même vers moi.

Je ne pouvais pas l’éviter. Je l’ai regardée s’avancer vers moi, mais lorsqu’elle se pencha pour m’enlacer, je ne fis rien. C’était naturel, pourtant. Les embrassades et tout ça. Nous étions tellement fusionnelles. Plus personne, au lycée, ne s’étonnait de nous voir s’embrasser sans pudeur. On était toujours collées. Je connaissais même la plupart de ses sous-vêtements, bon dieu. Mais je n’étais pas capable. J’ai retiré ma tête de son épaule, j’ai reculé d’un pas, mais mes yeux sont restés ancrés dans les siens. Je ne savais pas si je devais pleurer, crier, rester inexpressive. Ma voix me fit peur, on aurait qu’elle glaçait tout. Aussi froide que la mort.

- Je t’ai vue Blake.

[C'est court, c'est nul, c'est un message qui sert à rien, je vais me pendre.]

Crainte brutale. Je devais aller en lettres, et je n'avais pas eu le courage de soutenir son indifférence un jour de plus. J'avais renoncé, toujours aussi peureuse, et je m'étais rabattue sur le gymnase pour rester une heure à l'abri. Je n'avais pas pu le voir la veille. On n'avait rien décidé, et l'éclat de Kieran m'avait tout fait oublier, si bien que j'étais partie du lycée en trombe à sa suite pour le rattraper, sans seulement l'attendre. Aujourd'hui... Aujourd'hui, au moment de suivre ma classe pour le rejoindre, eh bien j'avais pris peur. je sentais que je n'aurais pas supporté qu'il m'ignore, je sentais que j'aurais craqué si j'avais dû être dans la même pièce que lui en devant l'ignorer réellement. Alors j'avais battu en retraite, j'avais fui, en bonne lâche, et je m'étais précipité dans le gymnase. Cachée dans une cabine de toilettes pendant que j'entendais des secondes hurler en faisant une partie de basket-ball. Je sortis seulement lorsque je fus certaine que tout le monde était sorti.

Et là, Alice.

Alice qui tournait la porte du vestiaire sans réussir à l'ouvrir. Bon Dieu. On nous avait enfermées parce qu'on pensait qu'il n'y avait plus personne ! Mais qu'est-ce qu'Alice foutait ici, hein ? Au fond, je m'en fichais. Mais j'étais blessée. Atrocement blessée de voir qu'elle essayait de m'échapper. De ne pas me voir, de ne pas me parler. Elle me manquait tellement. Atrocement. Deux jours que je ne lui avais pas parlé et j'avais l'impression d'être une droguée en manque. Alors je me suis précipitée vers elle pour la prendre dans mes bras. Brusquement, j'avais envie de me laisser aller. De tout lui avouer, peu importe comment. Pourquoi chercher une manière de le lui dire ? On s'était toujours tout dit, et ça sans fioritures. J'allais lui dire, comme ça, un point c'est tout.

Je frémis alors que je la sentais molle et immobile dans mes bras. Pourquoi ne répondait-elle pas à mon étreinte, alors que c'est censé être si naturel ? Je sursaute quand elle recule et me parle soudainement.

- Vu quoi ?

C'est presque du foutage de gueule à ce stade. Je sais parfaitement de quoi elle parle. Mais je n'arrive pas à le dire vraiment. Autant pour mes bonnes intentions, c'est trop tard maintenant. Comment croira-t-elle que je voulais lui dire justement à l'instant ?

Ou comment se foutre de la gueule de quelqu’un en deux mots. J’avais la soudaine envie de la secouer dans tous les sens pour qu’elle avoue que oui, elle sortait bel et bien avec notre prof’ de littérature. Notre prof, merde ! C’était tellement n’importe quoi. J’étais peut-être en train de rêver, pour ce que j’en savais. Enfin, pour l’instant, je devais ressembler à un poisson qui cherche son air, avec ma bouche ouverte et mon air incrédule. Elle osait. En plus de ne pas me l’avoir dit, elle faisait comme si de rien était.

Allez, Alice est conne, elle est Française de toute façon, elle comprend jamais rien. Mettons là avec les jeunes, faisons semblant d’être son amie, faisons n’importe quoi pour la mettre en confiance et abandonnons-la en riant de sa gueule. Avait-elle seulement déjà détesté Liam Hartwood ? J’en doutais sérieusement. Menteuse. Idiote.

- Sérieux, Blake, fais pas l’innocente. Tu comptais me le dire quand ? Avant ou après le baptême de votre troisième enfant ?

Qu’elle ne vienne surtout pas me sortir qu’elle voulait m’en parler. Elle avait eu deux jours pour le faire, pour venir me voir, pour me passer un coup de fil. Je l’évitais, mais elle ne s’était même pas donner la peine d’essayer. Elle ne m’avait pas acculée, elle n’avait pas débarqué chez moi à pas d’heure alors qu’elle le faisait si souvent d’habitude. Bien entendu, madame devait être avec son copain. Il était plus important que sa meilleure amie. Sa meilleure amie, on ne lui disait jamais rien ! Allez, on lui roulait des pelles pendant des semaines et quand on se trouvait une autre langue, on la jetait. J’étais un foutu bouche-trou et je m’en voulais d’avoir été si crédule.

- À moins qu’en fait tu joues à la pute ? Tes notes sont pas assez hautes et tu profites qu’il bande sur ton joli cul pour te remonter ?

Je savais bien que ce n’était pas ça. C’était même très injuste de seulement y penser. Blake était loin d’être nulle à l’école et elle ne s’abaisserait pas à faire quelque chose d’aussi immoral. Mais j’avais besoin de me défouler. Ma main s’écrasa d’ailleurs de façon sonore contre le mur. À croire que ça devenait une manie chez moi, de frapper les objets.

- Sérieux chérie, tu me trouves si conne que ça ? Tu pensais quoi ? Ouais, je t’ai vue Blake. L’embrasser avant de monter sur sa moto. Tu sais, celle que tu détestais y’a pas si longtemps ? J’espère au moins pour toi qu’il baise bien.

Je me retournai et tournai de nouveau la poignée qui ne voulait pas s’ouvrir. Peut-être que si je hurlais, on viendrait me délivrer. J’avais vraiment pas envie de passer une heure en sa compagnie, seule à seule. Déjà que la littérature, j'avais pas voulu y aller.

- Il ne va pas être heureux le pauvre, quand il va voir que ses deux élèves sèchent…Rassure moi, il ne va pas venir me frapper par jalousie au moins ?

Qu'elle me repousse me faisait mal. Son air choqué me faisait mal. Et ma lâcheté me faisait mal, d'avoir été infoutue d'aller lui dire me faisait mal. Alice était ma meilleure amie ! Elle aurait dû être la première au courant. j'aurais dû me jeter sur le téléphone à peine après l'avoir quitté puor tout lui raconter. Elle ne l'aurait pas mal pris, hein ? Elle aurait été choquée, surprise, elle n'aurait pas compris, mais elle n'aurait rien dit. Elle m'aurait laissé faire, parce qu'elle m'aimait et parce qu'on pensait toujours que l'autre avait raison. Enfin, je crois. Non, elle ne m'aurait rien dit, hein ?

En tout cas, elle m'aurait pas dit toutes les horreurs qu'elle me balançait maintenant à la figure. Totalement décomposée, je fus incapable de parler. Mais mon désemparement se transforma très vite en colère.

Sa vulgarité me faisait mal et je serrais les poings, rageuse. Elle n'avait pas le droit de dire des choses pareilles ! Elle ne savait rien de ce qui s'était passé, après tout ! Elle ne le connaissait pas vraiment, elle ne savait pas comment il pouvait être. Si son Laurys adoré lui avait dit de telles paroles, comme celles qu'il m'avait chuchotées, est-ce qu'elle n'aurait pas réagi pareil que moi, hein ? Sourcils froncés, les ongles rentrant dans les paumes de mes mains, je dis à voix basse :

- Va savoir. Peut-être qu'il pourrait le faire pour tout ce que tu viens de dire ?

J'explosai. Sans signe avant-coureur autre que mes poings serrés. Je me suis mise à hurler, si fort, sans même me soucier de savoir si on pouvait nous entendre.

- Putain, Alice, tu t'entends ? T'entends ce que tu me balances, là ? Meilleures amies, hein ? Alors je te cache un truc pendant une journée et ça y est, c'est fini, je suis le diable incarné ! Bonjour l'amitié ! Pourtant tu pourrais comprendre que c'est pas facile à avouer, non ? Ouais, je sors avec Liam Hartwood ! Et ouais, j'ai couché avec lui ! Voilà, t'es contente ? Je t'avais prévenue que je supportais plus la situation, qu'il fallait que ça change ! Eh bien ça a changé dans ce sens-là, c'est tout ! J'ai pas réussi à te le dire parce que tu ne l'aurais pas compris. Lui, tu ne l'as jamais compris, tu n'as jamais voulu croire qu'il allait mal !

J'étais essoufflée, rouge, décoiffée, je ne ressemblais à rien alors que je pleurais presque de rage.

- Qu'est-ce qui se passe, alors, pour que tu arrêtes de me soutenir d'un coup ? T'es jalouse, c'est ça ? T'es jalouse qu'un mec fantasme sur moi alors que toi, t'as toujours rien concrétisé avec ton mystérieux Laurys, tellement mystérieux que je sais même pas s'il existe ? T'es jalouse que je sois plus vierge avant toi ? Paraît que les françaises sont des filles faciles pourtant... Donc en fait c'est lui qui veut pas de toi, pas de bol !

Je ne réalisais même pas la cruauté de mes paroles, et puis de toute façon, je ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce ! Elle ne savait rien, rien du tout, elle ne savait pas tout ce qu'il m'avait dit, elle n'avait aucune idée de la force de ce qu'il ressentait pour moi et... et... Je repensai avec terreur à son indifférence de la veille. J'étais ici parce que je ne voulais pas subir ça de nouveau aujourd'hui. Il n'y a même pas dix minutes, je n'étais plus sûre de rien quant à son amour pour moi. Alors pourquoi je le défendais maintenant, hein ?

Elle ne me faisait pas peur. Elle n’était pas si grande, pas si grosse. D’accord, j’étais loin d’être une haltérophile endurcie, mais je la valais bien. Et j’étais tellement en colère que sa rage ne me faisait rien du tout. Au diable ses petits poings serrés. Au diable son air effarouché. Blake ne me ferait pas céder, je ne pleurerais pas. Je ne voulais plus rien savoir d’elle.

- Envoie-le. En plus d’être un pédophile, pourquoi pas un batteur de femme ?

Elle criait. Elle criait et c’était ma meilleure amie : au lieu de m’inquiéter, ça m’exaspérait. J’avais envie de lui en mettre une, de lui mettre un bâillon. Je voulais qu’elle se la ferme. Qu’est-ce que j’en avais à faire des jérémiades d’une pauvre folle, d’une sale pute dans son genre ? Oui, qu’elle aille crever. Mais je voulais lui fermer son clapet, je voulais qu’elle se réduise en excuses devant moi et je voulais la repousser quand même. On ne mentait pas. On ne se servait pas des gens ainsi. J’avais eu tord. Blake n’était pas différente des autres. Elle n’avait voulu être mon amie, jamais : elle voulait de l’attention, elle voulait que les gens la regardent. Liam Hartwood la voyait avec des yeux que les autres n’avaient pas, elle avait Kieran aussi maintenant. Que valait mon esprit féminin face à ces deux-là ? Elle n’avait aucune raison de continuer à me fréquenter. Grand bien lui fasse.

- Un truc ? UN TRUC ? Putain mais merde, j’ai fait une connerie et j’ai pas pu résister plus de trois heures avant de te dire tout, même en sachant ce que ça représentait ! Et toi tu couches avec un professeur, tu baises avec un putain d’adulte en position d’autorité et tu ne me le dis pas ? Pas de téléphone, pas de sous-entendus ? Et c’est moi qui est une mauvaise amie ?!

Mes ongles crissèrent sur le métal des cases. J’avais l’impression d’imploser. Elle osait me dire ça…alors que je n’avais fait qu’essayer de l’aider. Bon dieu, qu’est-ce qu’elle avait dans la tête ? Des âneries. Elle était folle, complètement toquée. Et notre enseignant l’était aussi. Merveilleux couple.

- Évolué ? Tu appelles ça évoluer, toi, devenir la catin d’un mec de 40 ans ? Ah ouais, excuse moi, mon esprit est pas aussi tordu que le tien ! J’en avais rien à foutre de lui moi, c’était toi qui comptais. Mais j’pouvais pas savoir que madame me mentait, non.

Mais elle osa. Elle osa ce qu’elle n’aurait jamais dû oser, à savoir me parler de Laurys. Elle ne pourrait jamais comprendre. Même si je lui disais la putain de vérité, elle me traiterait de cinglée. Et peut-être que je l’étais. Mais j’avais quand même envie de la lui faire fermer, parce qu’elle ne savait rien de ce qui m’unissait à Laurys. Lui et moi, on s’aimait. C’était seulement que la situation était délicate. Mais Blake se prenait pour le nombril du monde, elle pouvait pas comprendre qu’elle n’était pas la seule à vivre un amour compliqué. Pas à sens unique, non. Mais compliqué, ça oui. Je ne voulais pas qu’elle me parle de mon démon. Ça ne la regardait pas, c’était à moi. À moi et à moi seule.

- Quoi, de me faire éclater le cul par un prof ? Non merci, je te laisse ça ! D’ailleurs, parait que celui de sports est célibataire, si jamais Hartwood ne te satisfait plus !

Au fond de moi, je savais que ce n’était pas ça. Je savais qu’elle essayait de l’aimer. Mais je ne voulais pas comprendre. C’était plus facile de nier l’évidence. La rage était si forte, de toute façon. Mes paroles se firent murmures, grondement sinistre.

- Ne me parle plus jamais de Laurys. Tu ne le rencontrerais jamais, t’as raison. Je ne voudrais pas que ma soi-disant meilleure amie soit prise d’une envie de me le prendre en le voyant ! Pauvre Blake…un adulte que tu n’auras pas. Tu vas t’en remettre, au moins ?

- Arrête de l'insulter ! Ce n'est PAS un pédophile ! hurlai-je.

Ma voix était suraiguë. J'avais totalement oublié qu'il n'y a pas un mois, je le traitais de tous les noms avec elle, j'avais oublié que je me serais tuée pour Alice et que j'avais juré de toujours le haïr. Et je ne réalisais même pas la portée de ce que j'étais en train de faire. J'étais en train de prendre sa défense. J'étais en train de prendre sa défense contre ma meilleure amie. Si je n'avais pas été plongée dans la fureur la plus totale, je m'en serais voulue à mort de le préférer à Alice. Mais là, Alice n'était plus ma meilleure amie. Alice n'était qu'une pauvre imbécile qui ne comprenait rien à rien et qui s'en prenait injustement à nous !

- J'allais te le dire ! J'ALLAIS TE LE DIRE ! Mais quand je vois comment tu réagis là, je me dis que j'ai peut-être bien fait de m'abstenir finalement !

Je me retournai brusquement et écrasai mon poing contre le mur, fermant les yeux, le visage crispé, prête à pleurer de colère. Mieux valait le mur qu'Alice, mas ça ne me suffisait toujours pas. Il aurait fallu que je sprinte pendant une heure pour me calmer, et là je ne pouvais pas, or je ne voulais pas passer mes nerfs sur celle qui était censée être ma meilleure amie. Étant donné le bouillonnement en moi, si intense que j'avais l'impression d'être un volcan cherchant à s'empêcher d'entrer en éruption, elle n'y aurait pas survécu.

- Pour commencer, il a vingt-neuf ans, et ensuite, je ne suis pas une catin ! Je ne t'ai pas menti, Alice ! Je ne t'ai jamais menti, c'est arrivé il y a deux jours ! DEUX JOURS ! Et depuis tu m'as évitée, je n'ai pas eu l'occasion de te parler ! Ça ne s'annonce pas au téléphone un truc pareil !

Je brûlais. J'étais immobile alors que le silence se faisait brutal, envahissant la pièce. Mon poing était toujours contre le mur, me faisait mal, mais je m'en moquais éperdument. Je n'ai même pas eu conscience de me retourner et de la gifler. Simplement, j'étais face au mur, et d'un seul coup, j'étais face à elle, et ma main me faisait encore plus mal, et sa joue était rouge.

- Tu ne parles plus jamais de lui comme ça. Je t'interdis de l'insulter. Je t'interdis, tu entends ? Et jamais je ne voudrais de ton Laurys adoré : je ne suis pas une pute, MOI !

Des larmes de colère me montèrent aux yeux alors que j’enfonçais mes ongles dans mes paumes. Je les refoulai, je ne voulais surtout pas qu’elle pense que je pleurais. J’étais dans une rage totale, j’avais envie de la frapper pour toutes les énormités qu’elle me sortait alors que c’était sa faute, c’était entièrement sa faute. Pas la mienne.

- Tu allais tellement me le dire qu’on ne s’est pas parler une seule fois en deux jours ! Tu m’évites autant que je le fais ! Tu aurais pu m’appeler, me donnez rendez-vous, faire n’importe quoi ! Alors quand, Blake ? Quand allais-tu me le dire ?

Je regardai son poing s’écraser sans émotions. Elle me fait trop pensé à moi-même devant Hartwood…j’avais eu les mêmes réflexes face à ma colère grandissante. Et je ne voulais pas ressentir de la sympathie pour Blake, je voulais continuer à la haïr pour cette trahison. Ni plus ni moins qu’une trahison.

- Je me fiche qu’il ait vingt-neuf, quarante ou soixante-quinze ans ! C’est un adulte et tu disais que tu le détestais ! Il t’a lavé le cerveau ou quoi ? TU LE DÉTESTAIS IL N’Y A MÊME PAS UNE SEMAINE !

Je ne sentis pas le coup venir. Je ne l’ai même pas vue se tourner : tout ce que je savais, c’est qu’elle ressemblait maintenant à une totale furie et que je ne devais pas valoir mieux. Ma joue me faisait atrocement mal, je portai machinalement ma main à celle-ci. Elle avait giflé fort, assez fort pour que j’aie la marque sur ma peau, j’en étais convaincue. Alors elle osait me frapper ? Sa meilleure amie qui n’avait fait qu’essayer de la protéger. Petite menteuse, foutue salope.

- Je l’insulterai si je veux, t’es pas ma mère ! ET NE ME TRAITE PAS DE PUTE ! C’est toi la pute. T’as embrassé combien de mecs ces derniers temps, hein ? 2, 3 ? En plus de moi. C’est pas moi qui fais une collection de tous les célibataires de la ville, conasse ! T’es une pute, t’es une menteuse et je te déteste, t’entends ?

Je me jetai sur elle, butai sur le banc devant moi, mais parvint quand même à serrer son poignet où mes ongles s’enfonçaient. Je voulais lui faire mal mais je ne savais pas comment. Je ne me battais pas d’habitude. La mordre, la griffer ? C’était tout ce que je savais faire. Elle s’attendrait trop à ce que je la gifle et je ne savais pas comment lui foutre un coup de poing sans me faire mal. En hurlant de rage, je retombai sur les casiers étouffant le choc à l’aide de mes bras. Blake reçut un coup de pied dans les tibias, mais ça ne me suffisait pas.

- Pute, pute, PUTE.

- Je t'ai rejetée quand je t'ai vue, à l'instant ? Je suis venue vers toi, c'est toi qui m'a envoyée chier, pauvre idiote ! Tu ne m'as même pas laissé une chance de parler ! Si j'étais venue te voir avant, ç'aurait été exactement la même chose !

Nous hurlions, nous étions aussi rageuses l'une que l'autre, et je m'en foutais éperdument. Elle m'avait tuée avec ses insulte aussi sûrement que si elle m'avait enfoncé un couteau dans le cœur, parce qu'elle m'avait toujours prouvé qu'elle était à pour moi, qu'elle serait là, toujours, quoi qu'il advienne, quoi qu'il arrive. Et aujourd'hui elle me détestait. Parce que je n'avais pas réussi à lui avouer. En fait, elle me trahissait. Elle rompait nos serments d'amitié sans un regret, sans plus me comprendre alors qu'elle l'avait toujours si bien fait, elle oubliait tout et elle me trahissait.

Elle faisait tout ce que je craignais des hommes, elle faisait tout ce qu'une fille n'aurait jamais eu le droit de faire. Est-ce qu'on ne pouvait compter sur personne, alors ?

- Arrête de parler de lui, arrête ! Fous-lui la paix ! On s'en fout du temps que ça a pris, je ne le déteste plus maintenant, c'est tout ! Je l'aime, tu entends, JE L'AIME, et ça, tu n'y pourras jamais rien, espèce de sale garce française bouffie par l'orgueil ! Et si ça te plaît pas, t'as qu'à retourner dans ton pays pourri !

Je ne réalisais plus ce que je hurlais, je voulais juste lui faire le plus de mal possible. Elle ne se gênait pas, elle ! Je ne voyais même pas ce que je disais sur Liam, trop abrutie par la colère pour en prendre conscience.

- Tu me détestes ? braillai-je. Mais qui est la pute, alors ? Tu embrasses une nana que tu détestes juste pour faire monter ta cote de popularité ! Tu sais comment ça s'appelle des filles comme ça ? T'es qu'une salope, Alice ! Rien que de prononcer ton nom ça m’écœure, tiens ! Sale conne hypocrite !

Je ne sentais même plus la douleur alors que nous nous écrasions dans les casiers, ses ongles plantés dans ma chair. Ma main chercha son visage et mes doigts s'enroulèrent autour de son cou, serrant maladroitement, alors que je me relevais en lui piétinant les pieds, les chevilles, la bourrant de coups sur les jambes. Je ne m'étais jamais battue de ma vie, et je ne pensais pas que je me battrais jamais. Mon autre main agrippa ses cheveux, griffant sa peau. Jamais je n'avais souhaité à ce point faire mal à quelqu'un.

- Ouais, ouais ! Quand je t’ai dit que je t’avais vue, t’as fait semblant de rien. Si t’avais voulu me le dire, tu l’aurais fait là ! J’veux pas de tes explications. T’es qu’une pétasse.

Qu’importe la douleur dans ses yeux. Qu’importe qu’elle ait eu l’intention de s’expliquer. Elle ne l’avait pas fait et ça changeait tout à mes yeux. Blake ne servait plus à rien. Je n’étais pas son amie, elle ne m’avait jamais considérée comme telle. Je n’étais là que pour boucher les trous. Si Giulia n’était pas morte, je n’aurais jamais eu à parler avec elle ! Elle serait restée là, sans rien changer dans ma vie. Je la détestais. J’allais lui détruire le visage.

- Tu l’aimes ? Attends, faut que je te repasse toutes les conversations qu’on a eues ? Nan tu l’aimes pas Blake. Tu le détestes autant que moi. C’est juste tes hormones qui te travaillent. Voir ton prince se marier, ça t’as donné envie hein ? Pauvre conne.

Tout le monde devait nous entendre. On hurlait tellement fort que même l’isolation des gymnases ne devait pas y pouvoir grand-chose. Tant mieux. Qu’est-ce que j’en avais à cirer moi que les autres entendent ? Liam Hartwood serait viré et Blake aussi. Il serait peut-être même arrêté parce que c’était quand même pas très légal ce qu’ils faisaient. Blake elle-même avait avoué avoir couché avec son prof.

- J’suis pas une foutue salope ! Je pensais que je comptais à tes yeux, je t’aimais encore à l’époque ! Mais en fait tout ce que tu voulais c’était quelqu’un en attendant d’avoir un vrai mec à dominer, hein ? Toi t’es une salope ! Toi tu n’en avais rien à foutre, ça voulait probablement rien dire pour toi ! Tu me voyais comme une amie ou j’étais qu’une petite conne à utiliser avant de la jeter ?

Comment est-ce qu’on s’est retrouvées là ? Aucune idée. Je sentais ses mains qui me frappaient, ses pieds aussi. Je me sentis nettement la mordre au bras et lui arracher quelques cheveux, de même que ma main frappa assez durement sa joue. Je réussi à écraser ses orteils, mais je sentis quelque chose dans mon dos pour la peine. Je ne réfléchissais plus. Tant que je lui faisais mal, je me foutais de ma propre douleur.

La porte s’ouvrit.

- Qu’est-ce que… ? BLAKE EARL ! ALICE MANET ! Dans mon bureau ! IMMÉDIATEMENT !

Ben tiens. Maintenant je comprenais parfaitement l’Anglais, hein, madame la proviseure ? Je me relevai avec peine, suivant notre supérieure en furie dans le dédale de corridors, sans savoir si Blake nous suivait. Qu’est-ce que j’en avais à faire, de toute façon, des putes ?

- Avec qui étiez-vous ?
- Le connard de littérature.

Évidemment, elle ne comprenait pas le Français. Si ça faisait rire mon ex-copine avant, que je marmonne dans ma langue, je cru qu’elle allait me sauter dessus face à ce que je venais de dire. Ouais, j’avais enseigné quelques trucs à ma très chère amie…

- Assis. Je vous préviens les filles, vous allez passez les prochaines mois en retenues…Batailles, séchage de cours… C’est quoi votre problème ? Et allez vous me dire où vous étiez supposées être à la fin ?

Sous le bureau, j’écrasais le pied de Blake.

Nous nous battions comme des chiffonnières. Comme deux pétasses qui réalisent qu'elles partagent le même mec, et vont s'en prendre à l'autre nana au lieu de faire la tête au carré du mec. Sauf qu'ici, la situation était quelque peu bouleversée. J'étais celle qui les avait trompés, qui s'était partagée sans l'avouer à l'autre. Liam était au courant, Alice ne savait rien. Et je l'avais regretté, jusqu'à ce qu'elle me jette toutes ces horreurs à la figure. Je croyais qu'elle le détestait juste parce que je le détestais aussi, mais en réalité, elle le haïssait vraiment. Et visiblement, elle le haïssait plus qu'elle ne m'aimait.

Je m'en foutais éperdument alors que je la frappais, de toute mes forces, de toute ma colère, oubliant qu'elle avait été ma meilleure amie comme j'avais oublié à quel point je l'avais détesté, lui. Nous étions tellement furieuses que je crois qu'elle n'entendit pas la clé tourner dans la serrure, pas plus que moi. Et le cri fulminant de notre proviseure ne m'arrêta pas le moins du monde. Ce fut seulement lorsqu'une main me saisit au col, me traînant en arrière et m'étranglant à moitié, alors que je battais des pieds en sa direction pour continuer à lui faire mal, juste encore un peu, que je finis par m'arrêter, une fois qu'elle fut hors de portée.

La proviseure me lâcha en me repoussant rudement loin d'Alice et je rajustai mon uniforme, une expression mauvaise sur le visage qui ne l'impressionna pas le moins du monde. La suivre dans son bureau et devoir m'asseoir sagement à côté d'Alice alors que je ne rêvais que de vider mon énergie en la détruisant était proprement infernal.

Je lui jetai un regard incendiaire lorsqu'elle insulta lâchement Liam dans sa langue merdique. Ah, maintenant que t'étais devant un adulte, tu la fermais hein ? Pauvre conne ! Ma main s'était déjà levée pour la gifler, mais la proviseur frappant brutalement le bureau de sa paume me rappela vite à l'ordre. Je levai les yeux au ciel lorsqu'elle nous parla de retenues. Oh, pitié ! Comme si j'avais pas déjà assez donné avec la littérature ces derniers mois ! Bon, en même temps, je l'avais cherché, mais là je voulais pas être collée à cause d'une connasse qui avait prétendu être mon amie ! Je lui pinçai violemment la cuisse en retour, ouvris la bouche, et restai bêtement quelques secondes ainsi, cherchant quoi répondre. Je sentais que j'allais me trahir si je prononçais son nom, aussi me contentai-je finalement de dire bêtement :

- ... Lettres.

- Eh bien le professeur Hartwood va être absolument ravi de savoir à quelles activités vous vous livriez au lieu d'aller à ses cours... Vos parents seront prévenus par lettre, et je vous conseille de préparer le terrain parce que je ne serai pas tendre ! Vous écoperez aussi toutes les deux d'un avertissement.

- J'ai pas de parents, grognai-je. J'ai juste ma mère.

- Je te déconseille vivement de jouer à ça avec moi, Blake Earl ! L'excuse de l'hyperactivité ne marche pas toujours. Alice, cesse immédiatement ce petit jeu.

Nous cessâmes instantanément de nous chicaner sous la table. Elle nous regarda d'un air soudainement désolé :

- Mais enfin, les filles, que s'est-il passé ? Vous étiez tellement proches toutes les deux...

Étonnant quand même la force de la superviseure. Limite, la place où elle avait enserré mon bras avant de repousser Blake était plus douloureuse que toutes celles où mon ancienne amie avait frappé. Peu importait. Puisqu’elle avait été plus rude avec elle, elle devait avoir plus mal. Et tant que cette salope avait mal, je me portais très bien. Mes parents, j’en avais pas grand-chose à faire. Papa était probablement encore parti en voyage d’affaires…et maman, si forte sur le dialogue, préférait parler avec moi plutôt que de me punir. Point fort de mes parents : traiter l’enfant comme un adulte. J’étais sans cesse entourée de leur amour, même quand ils étaient partis. Je ne manquais de rien et c’était très bien ainsi, mais leur discipline n’était probablement pas de celles que souhaitait notre proviseuse. Mère serait plus du genre à m’offrir une fin de semaine en nature pour que je me redécouvre que de me priver de dessert. Il y avait Laurys. Laurys qui serait déçu, lui qui tenait tant à cette amitié. Il pensait que ça me faisait du bien de voir quelqu’un d’autre que lui. Tout redeviendrait normal. Si je le lui demandais, il ne parlerait pas. Il me prendrait dans ses bras et ça finirait là.

Alors qu’est-ce que j’en avais à faire de ses menaces ? Rien. Pas plus que Blake, me dis-je involontairement. Je faillis rire méchamment quand elle lui sortit un seul mot pour répondre. Tiens, elle ne le prononçait plus le nom de son cher amant maintenant ?

- Avec Liam Hartwood.

Évidemment, la proviseure savait. Il n’y avait pas trente-six professeurs de Lettres dans l’école. Mais ça m’avait amusée de voir la petite conasse sursauter et réagir en me pinçant violemment. On aurait dit que je venais de crier au meurtre, mais j’avais seulement mentionné le nom de son ô grand amour. Marrant. Totalement jouissif.

- Même si je vous le disais, m’dame, vous ne me croiriez pas…

Ou plutôt si, mais une part de moi aimait encore assez Blake pour que je ne la dénonce pas ainsi…de toute façon, il me faudrait des preuves et si je les vendais tout de suite ils n’en seraient que plus prudents. J’allais attendre, me comporter comme si je ne voulais plus la voir mais que je ne m’en mêlerais pas. Mais sérieux, c’était pour son bien à celle-là. C’était tout sauf sain cette relation. Il allait toujours avoir le contrôle. Preuve : en deux jours ils avaient déjà baisé. Et vu la peur chronique de Blake vis-à-vis des garçons, c’était pas elle qui avait eu l’idée. Je me tournai vers elle, les lèvres pincées.

- J’aime pas les hypocrites, c’est tout. Et les salopes non plus.
- Alice !
- Pardon m’dame.

Mais je n’étais pas désolée. Pas du tout désolée.

Je me tendis violemment lorsqu'elle nous demanda pourquoi nous nous étions battues ainsi. Je ne pouvais absolument pas lui dire la vérité. Liam était fichu si quelqu'un l'apprenait. C'était la première chose qu'il m'avait dite : être ensemble, d'accord, mais il faudra garder le secret. Quel secret ? Il y avait déjà deux personnes de plus au courant, et si j'avais tout à fait confiance en Kieran, brusquement, je n'étais plus aussi sûre d'Alice. A sa place, je nous aurais balancés direct, rien que pour mieux se venger. Enfin, je crois... Est-ce que j'aurais été capable de briser Alice à ce point ?

Oui. J'avais fait bien pire sous l'effet d'une rancune trop vive. Et Alice alors ?

Je fus à la limite du soupir de soulagement lorsqu'elle se contenta de dire que c'était trop incroyable pour être avoué. Elle avait pas tout à fait tort d'ailleurs. Je frayais trop peu avec les garçons pour qu'on croie que j'ose sortir avec un prof, et Liam était trop sérieux et distant avec les élèves pour qu'on imagine qu'il soit capable d'éprouver plus que le respect qu'un prof doit à ses étudiants et vice-versa. Néanmoins, la proviseure se contenterait pas de cette explication foireuse, le problème était que là, comme ça, j'en avais aucune toute prête à lui sortir. Je ne savais pas mentir, surtout pas lorsque j'étais prise de court comme ça.

- Y a aucune raison. Aucune raison qui vous intéresse.

Les insultes d'Alice ne me firent ni chaud ni froid. Je soutins le regard de la proviseure, mes yeux verts arborant une expression si mauvaise qu'elle préféra finalement ne pas insister. Ou alors, elle s'en foutait. Quel adulte les états d'âmes de deux adolescentes pouvaient bien intéresser ?

- Bon, très bien, capitula-t-elle. Si ça vous amuse de ne rien dire... Vous serez collées jusqu'à la fin de l'année avec le professeur Hartwood le samedi après-midi. Un avertissement dans le dossier, c'est bien les filles, si rapidement avant vos examens, c'est très sérieux, et j'envoie cette lettre à vos parents dès ce soir.

Finalement, ça changeait pas grand-chose pour moi. Les colles le samedi avec Liam ? J'y avais eu droit pendant un an et demi. L'avertissement ? L'excuse de l'hyperactivité fonctionnait toujours. La lettre ? De toute façon, je raconterais tout à ma mère dès ce soir. Elle se lamenterait plus sur la perte d'Alice que sur notre dispute en elle-même. Donc, rien de bien important. Ce qui m'énervait, c'était que je savais qu'Alice se fichait de tout ça tout autant que moi. J'aurais voulu pouvoir l'emmerder plus.

- Allez, filez. Et je ne veux plus entendre parler de la moindre vague venant de vous, c'est clair ?

- Oui m'dame, marmonnâmes-nous en cœur.

Nous nous levâmes et, une fois arrivées dans le couloir, nous partîmes automatiquement à l'opposé l'une de l'autre sans même nous adresser un regard.

Adieu, Alice.*

[*En français dans le texte - si, si !]