Et maintenant ? [PV Liam]

La journée était passée à la fois terriblement vite et affreusement lentement. J'avais hâte de le revoir, je brûlais de me convaincre que ce n'était pas un rêve, que ce n'était pas une feinte de mon cauchemar récurrent qui faisait cela pour mieux revenir à la charge ensuite en utilisant les faux espoirs implantés en moi. J'avais envie de croire en ce qu'il éprouvait pour moi, j'avais envie de croire qu'il ne me voulait que du bien, même si j'avais un mal fou à m'en persuader. C'était tellement plus facile quand j'étais dans ses bras et qu'il me jurait qu'il ne voyait que moi ! Beaucoup plus difficile à imaginer quand le prof d'histoire parlait de cours en partenariat avec monsieur Hartwood, votre professeur de littérature qui a une approche très intéressante de la vision historique des faits dans le roman que vous étudiez actuellement. Ben voyons.

C'était ce qui me crispait le plus, finalement. Comment devrions-nous réagir lorsque nous nous croiserions au lycée ? Je ne me croyais pas capable de dissimuler une chose pareille. J'étais tactile, être dans la même pièce que lui sans pouvoir le toucher me rongerait, croiser son regard sans me trahir par mon expression serait mission impossible. J'étais trop franche pour ça. Comment arriverais-je à mentir ? Et puis je pensais aussi à Alice. Elle s'était jetée corps et âme dans ce combat et je balançais tous ses efforts aux orties en lui cédant. Elle me tuerait quand elle saurait. J'avais tourné et retourné dans ma tête cent manières de lui avouer sans jamais trouver la bonne.

Et lui, est-ce qu'il ne regretterait pas d'avoir franchi la barrière ? Est-ce qu'il serait seulement là ce soir ? Non, certainement, il s'était dit qu'il valait mieux renoncer, et reprendre une relation banale de prof à élève. Inutile de prendre des risques, à trop jouer avec le feu on finit par se brûler. Nous étions déjà tellement consumés, autant sauver le peu qu'il restait. J'étais bourrelée de doutes maintenant que je ne l'avais plus sou les yeux, et je voulais déjà être à la fin des cours.

Mais en même temps, ce serait franchir un cap que de le voir là. Ce serait admettre que nous étions... ensemble. En couple. Tant d'expressions étranges qui ne me paraissaient pas vraiment correspondre à notre situation. Le trac me nouait le cœur alors que je tournais en rond entre les voitures en l'attendant. Je ne pouvais pas rester immobile, je me tordais les mains, et à chaque seconde écoulée je craignais davantage qu'il ne vienne pas.

Et puis, je le vis. Gênée soudain par mon activité permanente, je me figeai, toute droite, et nouai mes mains dans mon dos pour m'empêcher de gigoter. Qu'est-ce que je devais faire, maintenant ? Venir vers lui et l'embrasser ? Pouvais-je le prendre dans mes bras ? Devais-je me laisser faire et attendre de voir comment il agirait envers moi ? Je me sentais gauche, maladroite. J'avais envie de le toucher, pourquoi pas de l'embrasser, mais je n'arrivais pas à aller le faire naturellement. Je me mordillai la lèvre alors qu'il s'approchait de moi.

- J'ai eu peur que vous ne veniez pas.

La prudence aurait voulu que je me rétracte. Que j’oublie ce faux pas. Que je me convins qu’il n’y avait rien eut. Là, debout devant mes élèves de seconde, je n’arrivais pas a me faire a l’idée qu’elle était l’une d’entre eux. Elle ne provoquait pas ce qu’ils provoquaient…ce mélange sain et correct d’attention et de chaleur. De respect mutuel. Non, elle…Elle c’était la passion, trop farouche pour être domptée. Elle, c’était de la folie pure, violente. Non, je ne pourrais jamais revenir en arrière, c’était comme ça et je ne pouvais pas en être plus convaincu qu’en les regardant eux. Pourtant, elle n’était qu’une enfant par bien des côtés, pouvais je l’entrainer avec moi ? Risquer son avenir avec autant de facilité ? J’avais gouté a sa peau, ses soupirs…Je ne pouvais pas oublier, même pour son bien. J’étais un égoïste, un fou égoïste et pourtant, depuis très longtemps, je me sentais en paix avec moi-même.

Je refermais mon livre avec un léger sourire, libérant ma dernière classe qui s’éparpilla dans un léger chahut. Je regardais l’horloge murale en me détournant, marchant vers mon bureau pour y ranger mes affaires. Je nageais entre deux eaux, le calme, étrange, savoureux qui côtoyait cette tempête qui ne s’était jamais réellement calmée. Elle avait hoché la tête lorsque je lui avais dit de venir, mais il se pouvait aussi qu’elle préfère la fuite, elle fuyait si facilement. Elle pouvait ne pas être là et sans doute que je serais incapable de lui en vouloir. Elle pouvait être là et elle retrouverait sa place contre moi. Je croisais Helen dans les couloirs, une prof d’anglais plutôt jolie et amusante. Elle me faisait rire parfois par ces pitreries et ses bêtises. Elle avait une manière de raconter sa vie pleine d’humour et d’audace, mais je crois que cette fois ci, elle fut surprise de ne pas me voir m’arrêter. Elle fut sans doute surprise de me voir filer sur un au revoir lancé dans l’air. Pourtant, je refusais de courir. Cela ne servait a rien.

J’entendis ses pas avant même de la voir. Je l’imaginais très bien tourner en rond, tentant tant bien que mal d’évacuer l’énergie qui la parcourait, décuplée par le stress, l’indécision. Elle ne s’arrêta que lorsqu’elle me vit, comme une statue qui se pétrifiait sous mes yeux. Elle avait eu peur disait elle, mes lèvres s’incurvèrent. Moi aussi disait mes yeux. Mais je pouvais comprendre pourquoi elle avait eu peur. Le mot abandon raisonnait si fort dans son silence qu’il m’était impossible de ne pas l’entendre. Je m’approchais d’elle, déposais mon sac a mes pieds avant de glisser mes doigts sur son visage, mes paumes sur la rondeur de ses joues. Je levais son visage vers le mien, ses lèvres vers les miennes.

« Je ne te donnerais pas de raison d’avoir peur. »

Je souris contre ses lèvres, caressant doucement sers cheveux. Je me réfrénais, contenais la passion qui me brulait les reins pour ne pas l’effrayer. Mais je brulais…

Il n'hésita pas, lui. Il se dirigea droit sur moi et je me sentis fondre quand il prit mon visage entre ses paumes. Je dévorai son visage du regard, ce nouveau visage qui m'était totalement inconnu, parce qu'il était si franc ! J'y lisais le soulagement, évidemment. Il avait eu la même crainte que moi. Ça me faisait un drôle d'effet d'être sur la même longueur d'ondes que lui. On s'était bien trop déchirés pour que je m'y adapte si facilement. Mais il me comprenait. Il savait pourquoi j'avais peur. Pourquoi je ne pourrais jamais m'en empêcher. Il partait avec plus de données qu'il n'aurait dû en avoir, peut-être était-ce une bonne chose finalement.

Il n'y aurait pas de quiproquos, pas de malentendus. Si je me braquais, il comprendrait pourquoi. Si j'avais peur, il saurait trouver les mots pour m'apaiser. Maintenant, il fallait encore qu'il supporte cela. Je savais que j'étais difficile à gérer, je l'avais toujours été. J'étais persuadée qu'il se lasserait de moi bien plus vite que le contraire. J'hésitai à l'embrasser, consciente qu'après tout, des gens pouvaient débarquer à tout moment, mais cette sensation terrible qui me tordait le ventre eut très vite raison de moi et je me laissai aller, me tendant vers lui, goûtant avidement sa bouche. Nous finîmes par cesser de nous embrasser, et je constatai que j'avais passé mes bras autour de lui sans même m'en rendre compte. Je poussai un triste soupir, baissant les yeux :

- J'aurai toujours peur. Je n'ai jamais eu besoin de raison pour ça. Vous allez me supporter quand même ?

Et j'aurais tellement plus peur avec lui. Parce que ce n'était pas orthodoxe, parce qu'il avait deux fois plus de raisons que n'importe qui de m'abandonner, parce que je savais trop à quel point je l'avais fait souffrir et mis en colère. Je recommencerais, même involontairement, j'en étais certaine. Je me blottis contre lui. Il faisait une bonne tête de plus que moi, si bien que mon visage se trouvait quelque part contre sa poitrine, et je m'émerveillai d'entendre son cœur battre, alors que j'avais été intimement convaincue pendant si longtemps qu'il n'en avait pas. Mes bras formaient un cercle de fer autour de lui, cercle qu'il n'aurait certainement eu aucun mal à briser mais auquel il ne touchait pas. Pour l'instant.

Et moi, quand est-ce que je fuirais ?

« Je sais. »

Je savais qu’elle avait toujours peur. Pour un oui, pour un non. Elle faisait la forte, la puissante mais au fond elle n’était que fragilité, cristal. Je plongeais mes doigts dans la masse voluptueuse de ses cheveux. J’avais toujours aimé ses cheveux, me rendis je compte soudainement. Sans doute parce qu’ils étaient libre, bien plus que je ne le serais jamais. Ce que nous faisions là était dangereux, trop mais je n’arrivais pas a me résoudre a la lâcher, pourtant n’importe qui pouvait arriver, nous découvrir ainsi enlacer, en tirer des conclusions plus qu’évidente. Elle risquait le renvoi, moi sans doute pire. Ce n’était pas prudent, vraiment pas.

« Tant que tu viens vers moi si tu as peur, je pourrais le supporter… »

Je baisais le haut de son crâne, si petite entre mes bras. Elle me faisait peur aussi, elle ne s’en rendait pas compte, mais elle me terrifiait terriblement. Finalement, j’inspirais doucement, enivré de son parfum, savourant encore pour quelques secondes ce moment qu’il me faudrait briser car trop dangereux. Je glissais mes mains sur ses épaules, doucement avant de la forcer a me lacher sans brutalité. Je ne la repoussais pas, elle devait le comprendre alors je gardais mes doigts posés a la naissance de sa gorge.

« On ne peut pas rester là, quelqu’un pourrait arriver.»

J’aurais aimé l’emmener chez moi mais je craignais qu’elle ne le prenne de travers. Je me sentais totalement gauche et idiot, c’était risible moi si assuré d’ordinaire. Mais tant que nous n’aurions pas parlé, réellement parlé, on ne pourrait pas avancer. J’en étais conscient mais l’était elle seulement ? Ce serait difficile, douloureux, on s’engageait sur un chemin chaotique et je ne pouvais m’empêcher d’y aller avec le sourire. Le jade de ses yeux était hypnotique et je n’arrivais pas vraiment a m’arracher a leur contemplation.

« Allons ailleurs…Où tu veux. »

Et puis, j'eus un petit sourire amusé, enfantin par certain coté.

« Et arrête de me vouvoyer. »

Ses doigts glissant des mes cheveux étaient agréables. De toute façon, le moindre geste qu'il avait envers moi était agréable, parce qu'il n'avait jamais été comme ça, parce que c'était l'inverse de ce que j'avais toujours pensé de lui, parce que ça faisait une éternité que j'avais besoin de cette douceur. Mais sa main s'enveloppant de ma chevelure, ou me caressant doucement le visage, était encore le contact que je préférais, sans trop savoir pourquoi.

- Je vais essayer.

Sans lui dire que je ne le pourrais pas toujours, parce que je pourrais aussi avoir peur à cause de lui. Inutile de l'inquiéter alors que je l'avais tellement fait souffrir ces derniers jours. Inutile de noircir le tableau avec mes craintes enfantines et stupides.

Je fis la moue quand il me repoussa légèrement, une moue d'enfant que l'on prive de son jouet, mais je savais qu'il avait raison. En fait, je n'avais pas vraiment envie de parler, je voulais juste profiter de sa présence, pas m'engager dans une conversation qui risquait de m'effrayer, de nous faire réaliser que nous nous engagions dans un chemin impossible à traverser. Je voulais garder mes œillères pour le moment.

Un demi-sourire m'échappa soudain :

- Je veux bien, mais c'est pas si facile que ça, vous savez. Et je dois vous appeler... t'appeler... Merde. Je t'appelle Liam, alors ?

Les nuages, qui régnaient sur le ciel en intermittence avec le soleil depuis ce matin, s'écartèrent de nouveau, laissant une pluie de lumière tomber sur Londres. Éblouie, je reculai légèrement, puis j'eus soudain l'illumination - et c'est le cas de le dire !

- Oh ! Vous m'emmenez à la mer ?

Je n'avais jamais vu la mer. Trop loin, pas le temps. Mais puisqu'elles avaient la réputation d'être populaires lorsqu'il y avait un grain de soleil, c'était l'occasion, non ? La journée avait déjà été tellement singulière, autant finir en apothéose.

Elle était hésitante et j’aimais ça quelque part. Je souris un peu plus, creusant ma cicatrice alors qu’avec cette douceur, elle perdait de son agressivité.

« Liam oui, se serait un bon début. »

Mon prénom prononcé par elle était étrange a entendre mais ça me plaisait. L’entendre glisser sur sa langue, s’échapper de ses lèvres. Mais malgré mon désir du contraire, je ne pouvais pas oublier où nous étions, ni même ce que nous risquions. Impossible de parler ici, l’école n’était pas vide encore et je ne voulais pas prendre le risque de nous faire surprendre, pas avant d’avoir discuter avec elle, pas avant d’avoir profiter de son étreinte et de son souffle.

La surprise me saisit un instant alors qu’elle parlait de la mer…Allez a la mer ? Pourquoi pas…Deux heures en motos, qu’est ce que c’était finalement ? Et puis j’avais besoin de ça, nous avions besoin de ça. Alors je lui saisis la main et l’entrainais a ma suite…Elle avait de la chance, j’avais toujours deux casques avec moi, on ne savait jamais. Je nous entrainais vers un coin du parking où dormait mon engin. C’était un plaisir que je m’étais fait, sur une impulsion, un coup de tête, j’adorais tout oublier dans la vitesse, ne plus penser a rien. Je décrochais un casque du guidon et le lui tendit.

« Va pour la mer…Essayes le, je ne suis pas sur qu’il soit a ta taille mais ça fera l’affaire. »

Je la touchais toujours un peu, je ne pouvais pas m’en empêcher, c’était comme s’assurer qu’elle ne fut pas un rêve, ou une illusion. Comme pour m’assurer que nous avions réellement basculer. C’était irréel, elle n’avait que 17 ans, j’en avais presque 30…Il y avait tant de différences entre nous…J’effleurais ses lèvres avant qu’elle n’enfile le casque, ensuite, je lui donnait ma veste de cuir, elle serait trop grande mais ce n’était pas grave.

C’était une sportive, faite pour la vitesse, j’espérais juste que Blake n’aurait pas peur.

« On y sera dans deux heures et surtout, Blake, ne me lache pas… »

Autant pour la moto que pour mon âme désormais entre ses mains.

Liam. Je l'avais appelé Hartwood, monsieur, professeur Hartwood, Liam Hartwood dans mes meilleurs jours. Prononcer son prénom seul provoquait un effet étrange, comme une formule magique interdite, scellant ce que nous avions décidé de faire dans une folie prohibée. Je n'y arriverais pas tout de suite, cela, c'était sûr. Pour lui c'était plus facile, il ne faisait pas partie de ces professeurs qui nous vouvoyaient et nous appelaient par nos noms de famille, rien ne changeait à ses habitudes précédentes. Mise à part son attitude avec moi. Oh seigneur, je me demandais combien de temps il me faudrait pour comprendre que c'était la pure réalité.

Je dus avouer que je regrettai un peu de lui avoir proposé ça quand je vis sa moto. Elle était peut-être plus fameuse encore que sa cicatrice, même s'il ne venait pas toujours avec, et toutes les filles du lycée avaient dit au moins une fois qu'elles auraient adoré qu'il les emmène en balade. Allons bon, encore une fois, c'était celle qui n'avait rien demandé à personne qui gagnait le jackpot. Pas que j'avais peur, enfin, il ne me semblait pas, mais... Fallait bien avouer que l'engin, s'il était impressionnant quand on était à côté, il devenait inquiétant quand on était dessus.

Sa main et ses lèvres toujours à l'affût d'un contact avec moi me plaisaient. Ça me plaisait parce que finalement, c'était une preuve plus ou moins concrète de la réalité des faits. Je savais qu'il faisait ça parce qu'il avait les mêmes inquiétudes que moi, parce qu'il voulait se convaincre que ce n'était pas un rêve, mais est-ce qu'un rêve essaye de se convaincre qu'il est réel ? Je ne pensais pas. Alors c'était bien que je ne rêvais pas. Mon corps noyé dans le blouson de cuir qui devait être à peu près deux fois plus large que moi, je m'accrochai à lui fiévreusement. Je n'avais pas peur, enfin... pas beaucoup. Mais la chute risquait d'être douloureuse, aussi m'agrippai-je sévèrement à lui.

Je poussai un léger cri de terreur lorsqu'il démarra, bien vite réprimé, et m'accrochai davantage à lui, si c'était possible. Je devais l'étouffer, si tant était que je pouvais y arriver avec ma force si dérisoire comparée à la sienne. Néanmoins, lorsque nous quittâmes Londres et entrâmes sur l'autoroute, je commençai à y prendre goût et me détendis un peu, relâchant mon étreinte. Il était strictement impossible de parler, de bouger, mais l'énergie qui brûlait en moi était entièrement consommée par l'ivresse de la vitesse et du vent fouettant mon corps. Finalement, j'adorais ça.

Et puis nous arrivâmes au bord de la plage. Fascinée, j'ouvris de grands yeux éblouis sur l'immense étendue grise, qui se confondait avec le ciel. Elle n'était pas bleu turquoise comme sur les photos des agences de voyage, mais enfin, c'était la mer quand même, et voir les vagues fouetter la plage me subjuguait. A peine sommes-nous descendus que je jetai mes ballerines de deux coups de pied et que je courus à la rencontre du sable en riant comme une petite fille. J'avais besoin de peu de choses pour retomber en enfance.

J'avais tout oublié, même lui, il n'y avait plus que la mer et le sable. Le sentir couler, parfois froid, parfois brûlant, selon les caprices des nuages et du soleil, entre mes orteils me procurait une étrange sensation, et je me laissai finalement tomber en arrière sur le dos. Rien du tout, forcément, j'étais toujours empêtrée dans ce blouson de cuir. Je le défis, et dans la foulée, enlevai ma veste et ma chemise d'uniforme, me retrouvant en soutien-gorge à défaut de maillot de bain. Et je me laissai aller, bras en croix, dans le sable, savourant le contact des grains roulant sous ma peau. Je fermai les yeux et dis à haute voix, sans même savoir si quelqu'un m'entendait :

- C'est le plus beau jour de ma vie.

Je sentais son étreinte, ses bras autour de moi alors que le paysage défilait a une vitesse folle. Si au début, j’aurais pu la sentir trembler de peur, une fois l’univers urbain de la ville laissé loin derrière nous, elle se détendit. Je pus même la voir sourire par truchement du rétro. La vitesse, la moto, c’était enivrant, grisant, une impression de liberté que ne donnerait jamais la voiture. J’avalais les kilomètres. Elle voulait voir la mer, trésor qu’elle n’avait jamais vu, je pouvais lui offrir cela, je pouvait lui offrir beaucoup mais je savais que j’en réclamerais tout autant. Pouvait on vivre ainsi ? Je n’en avais pas la moindre idée et je ne voulais pas y penser, pas maintenant, cela viendrait bien assez tôt, trop tot.

Je quittais soudainement l’autoroute avant de m’engager sur des chemins bien moins fréquentés, plus tranquille, je roulais moins vite aussi, était elle déjà sortie de Londres ? Je n’en avais pas la moindre idée, me rendais je compte. Deux heure et quelques minutes plus tard après que nous ayons quitté le lycée, je m’arrêtais prêt d’un promontoire surplombant la mer. Grise malgré ce soleil, elle en devenait diamant grace a lui. J’aidais Blake a descendre et, à peine l’eus je lacher qu’elle se mit a courir en direction de la plage en contre bas, zigzaguant sur le petit chemin qui y conduisait. Amusé, je m’appuyais a ma bécane la laissant faire. Elle m’avait totalement oublié de toute manière et je n’en étais pas vexé. Le vent me portait son rire et je fermais un instant les yeux, levant le visage au ciel. En cet instant, elle n’était réellement qu’une enfant qui découvre la mer.

Je les réouvris à l’instant où elle se débarrassa de mon blouson, de sa chemise pour pouvoir embrasser le sable et je fis par descendre a mon tour. Nous étions seuls pour le moment mais je refusais qu’un autre découvre ces trésors. J’otais mes chaussures avant de me laisser tomber sur le sol a coté d’elle, posant mes coudes sur mes genoux pliés, enfonçant mes orteils dans le sable. Sa réflexion me fit sourire…

« Il y en aura d’autre. »

Comment pouvais je être aussi sur de moi ? Rien n’était écrit, ni décidé mais sans doute était ce juste là ce que je voulais. Je n’osais pas la toucher, c’était risqué de céder, trop risqué. Sa peau me tentait, les formes de son corps me tentaient et il était difficile d’étouffer ce qui me vrillait les chairs.

Je la laissais profiter de la mer, de cet instant sans rien dire durant un long moment et finalement, je brisais le silence…

« Blake…Tu sais qu’il faudra nous cacher…T’en penses tu capable ? »

- On a le droit d'avoir plusieurs plus beaux jours de sa vie ?

Je souriais. Ça me tentait bien, en tout cas. Je ne connaissais rien de la vraie vie, Londres était tout mon univers, et encore, mon univers se résumait à mon quartier et à celui du lycée. S'il voulait me faire découvrir d'autres merveilles, il n'avait que l'embarras du choix. Je rouvris les yeux et me relevai, plongeant mes doigts dans le sable sans cesser de jouer avec. Et puis vint la question. Allons bon, il faudrait bien que je la subisse un jour, cette fameuse discussion...

Je réfléchis sincèrement à la question. Se cacher... Se cacher, ça voudrait dire qu'on ne pourrait pas se parler. Qu'il faudrait éviter de se regarder, et surtout, surtout, qu'on ne pourrait pas se toucher. Bon, déjà, c'était mission impossible. Rien qu'à l'idée de devoir subir un cours avec lui, en l'ignorant totalement, je me rendais compte que je n'y arriverais pas. Seulement si je lui disais, est-ce qu'il ne risquait pas de tout laisser tomber ? Je me rendais brusquement compte de tous les risques qu'il prenait en acceptant d'être avec moi. J'étais à quelques centimètres de lui seulement, mais je n'osai pas aller contre lui. Et ne pas le toucher alors que j'étais si proche était déjà un supplice. Hésitante, je préférai répondre par une autre question :

- Si on apprend que... tu es avec une élève... mais qu'elle est consentante, il se passe quoi ?

Je n'aimais pas dire ça. Ça me rappelait les insultes que je lui avais lancés à la figure. Accusations de viol et menaces de renvoi - que je n'avais jamais été capable d'appliquer d'ailleurs - m'avaient appris par sa bouche même ce qui lui arriverait si je le prouvais, mais je n'avais pas la moindre idée de ce qui se passerait si l'on apprenait que j'étais volontairement avec lui. Je supposais que ce ne serait guère plus tendre. Et à moi, qu'est-ce qu'on me ferait ? Pouvait-on nous empêcher d'être ensemble ? Je n'en savais rien du tout. Après tout, je n'étais pas majeure, mais j'avais la majorité sexuelle, donc je pouvais être avec un adulte. Me vint soudain une question beaucoup plus terre-à-terre. Je le regardai en fronçant les sourcils, sans parvenir à y répondre par moi-même.

- Tu as quel âge ?

Je notai que le tutoiement me venait plus naturellement alors que nous étions en dehors du lycée, dans une petite sphère privée que n'importe qui aurait pu avoir, et qui n'était braquée par aucune règle ni aucun interdit. Il était jeune, ça c'était sûr, toujours trop âgé pour moi mais enfin, la barrière n'était peut-être pas si grande.

"Il parait oui."

Sa question me faisait sourire, elle dénotait d'une naïveté déconcertante alors même qu'elle pouvait être retorse parfois. Finalement, elle n'avait sans doute pas eu souvent l'occasion d'être heureuse, surment même. En étais je capable moi ? Je n'en savais rien, mais j'essayerais.

Je la laissais savourer le silence juste brisé par le ressac avant d'ouvrir la bouche, je m'en voulais presque de devoir le faire, mais je n'avais pas le choix. Je la vis se redresser, sans doute un peu inquiètes par ce que je sous entendais et lorsqu'elle parla, je soupirais doucement avant de me glisser doucement derrière elle, de la caller entre mes jambes, l'entourant de mes bras. Mon menton sur son épaule, je réfléchis. Non même si elle était consentante, ça ne changerait rien, elle était lycéenne et moi son professeur. J'avais l'autorité, l'ascendant sur elle, on dirait qu'elle avait été aveuglée et que j'avais tout orchestré. J'étais fou de prendre ce risque non ? Mais quelle folie délicieuse.

"Il se passera la même chose. Je n'ai pas le droit d'être avec toi, même si tu me poursuivais de tes assiduités, je n'en aurais pas le droit. Si on avait été a la fac, cela aurait été différent mais on est au lycée...Je me ferais certainement radié du système éducatif et encore, ça c'est la partie gentille si je puis dire..."

Je déposais un baiser au creux de son oreille avant de reprendre :

"Tu sera majeur dans un ans...Mais en attendant, nous devons être discrets. Ce ne sera pas facile...Pourras tu le supporter ?"

Moi, je le pourrais parce que je saurais la retrouver plus tard, lorsque les grilles se ferment, lorsque la cloche sonne, même si nous serions obligés de faire attention, j'étais capable de le faire. Mais elle ?

Un petit rire me traversa lorsqu'elle me demanda mon âge.

"Trop vieux pour toi...J'ai 29 ans...Ca te fait peur ?"

Je poussai presque un soupir de soulagement lorsqu'il se glissa derrière moi et me prit dans ses bras. Comme si je pouvais enfin relâcher la tension qui me disait d'aller contre lui. Je me laissai aller en arrière, contre son torse, et fermai de nouveau les yeux, alors que mes mains crochaient ses bras, comme pour m'assurer qu'il les laisserait là. Ses paroles me vinrent de loin, brisant mon bonheur. Tout aurait été tellement parfait s'il n'avait fallu parler de cela...

- Le problème ne sera pas de le supporter. Le problème sera d'y arriver.

J'avais besoin de le toucher. J'avais toujours été possessive envers les gens que j'aimais, et j'étais tactile, trop, on me le disait souvent. Je ne pouvais pas me mentir ; avoir cours avec lui serait un supplice, essayer de l'éviter dans le lycée très difficile, parce que je serais bien obligée de le faire, même si j'aurais envie de croiser son regard. Ce serait la seule manière certaine d'être discrets. Je me connaissais, sinon, je me trahirais nécessairement. Lui, il avait l'habitude depuis le temps qu'il se dissimulait, moi pas. Je me redressai légèrement contre lui et tournai la tête, la posant sur son épaule, ma bouche contre son cou. Sentir ma voix vibrer contre sa peau était agréable, la chaleur de ses bras protégeant ma peau nue du vent froid aussi.

- Je vais avoir du mal, soufflai-je. Mais bon, je n'ai pas tellement le choix. Je préfère encore ça plutôt que de changer de lycée.

Ne plus le voir du tout ? Se contenter de soirées volées ici ou là ? Non, ça n'irait pas, et ça ne lui suffirait pas, il me l'avait dit lui-même. Je restai songeuse lorsqu'il m'annonça son âge. Ce n'était pas que j'avais peur, non, mais...

- Ça me fait bizarre, surtout. Ma mère a quatre ans de plus que vous seulement. Alors même si vous n'avez pas tout à fait l'âge d'être mon père, eh bien... ce serait quand même plus logique que vous soyez avec elle qu'avec moi.

Je ne m'expliquais pas très clairement, comme toujours, mais enfin, les faits étaient là. Douze ans d'écart avec moi, quatre avec ma mère, le calcul était vite fait et marquait la barrière qui nous séparait. C'en était déprimant. Je me pris soudain à haïr mon physique de gamine. Il ne m'avait jamais dérangé auparavant, mais là, il ne faisait qu'accentuer notre différence d'âge. J'avais dix-sept ans, j'en faisais quatorze, quinze les bons jours, et je me demandais comment il pouvait apprécier une fille comme moi. Et moi, qu'est-ce que j'appréciais chez lui ? me demandai-je soudain. Je n'aurais su dire comment j'avais basculé. Il y a un mois encore, je le détestais, et maintenant j'étais sur une plage avec lui, contre lui, en sous-vêtements. Mes doigts tapotaient ses bras, mes pieds jouaient avec le sable. Mon hyperactivité était toujours décuplée par le stress, et rester immobile, assise ainsi par terre, était incroyablement difficile. Seule son étreinte me retenait de me lever et d'aller plonger une bonne fois dans l'eau pour me rafraîchir les idées. Enfin, on allait éviter, je ne savais même pas nager. J'aurais hurlé de terreur si une vague m'avait renversée.

" Ce sera dur pour toi ?"

Je ne connaissais pas cette facette là d'elle, je ne pouvais imaginer ce qu'elle endurerait. J'étais capable de faire comme si de rien n'était, comme si elle n'était qu'une elève parmi tant d'autre. Peut être que cela la choquerait, sans doute même. Je pouvais la prendre dans mes bras, l'embrasser et faire l'indifférent deux heures plus tard. Ce n'était qu'a ce prix que ça fonctionnerait. J'aurais aimé lui dire que tout allait s'arranger, que ce n'était pas grave, mais cela serait lui mentir et elle n'était pas assez bête pour gober un mensonge pareil.

Je fermais les yeux au contact de ses lèvres sur ma peau, réprimant un frisson, cachant l'éclat de mes yeux devenu plus enflammé. Elle n'avait aucune idée de ce que j'endurais a cette minute, sa chair étalée, ses attentions...Je souris comme ça, sans vraiment de raison, non, elle ne savait pas.

"Je t'aiderais d'accord ? Tu seras sans doute choquée et sans doute que tu te mettras a douter par mon attitude mais ça ne change rien."

Parce que le décalage risquait de lui faire un sacré choc. Elle déjà mal assurée pouvait se mettre a douter subitement, de moi ou de nous et je voulais qu'elle y soit préparée. L'aveu de mon âge sembla la rendre muette durant quelques seconde et je ne pus m'empêcher de rire a sa réponse.

"Je ne suis pas logique et je ne veux pas l'être. C'est toi et personne d'autre. Ce serait sans doute plus facile si tu avais un ou deux ans de plus mais ce n'est pas le cas. Je fais avec...Et tu grandiras de toute manière."

Et tu deviendrais une femme superbe que sans doute j'aimerais toujours.

- Est-ce que ce sera dur de vous voir jouer les indifférents juste après m'avoir juré que vous ne me laisserez jamais, et faire comme si je m'en fichais ? C'te question. Et puis sans même parler de ça, je suis trop franche, j'aurai trop besoin de vous parler ou de vous toucher. Le théâtre sur scène, aucun problème. Dans la vraie vie, je ne connais pas.

Je ne me rendais pas compte des frissons parcourant sa chair, ni de ce que je pouvais éveiller en lui en me blottissant dans ses bras dans cette tenue. Je n'étais pas prude, ni pudique, assez paradoxalement à mes frayeurs d'ailleurs, tout simplement par ignorance. J'étais naïve et je n'avais jamais eu envie d'aller plus loin qu'un simple baiser avec un homme. J'avais eu deux petits amis, avant de me renfermer définitivement et de jeter tous les hommes qui m'entouraient hors de ma vie, si bien que je n'avais absolument pas conscience de leurs envies ou de leurs besoins. Ça ne changeait pas aujourd'hui, alors que je pivotais d'un quart de tour, glissant mes jambes sous la sienne, et nouais mes bras autour de son cou, relevant le visage vers lui.

- Vous avez l'air de penser que ça ne s'arrêtera jamais. Qu'on restera ensemble, jusqu'à ma majorité, jusqu'à ce que je cesse d'être une gosse, et plus longtemps encore après. La façon dont tu en parles... ça, ça me fait peur.

C'était trop absolu. Trop définitif. Je ne disais pas ça pour le blesser, ou pour lui dire que je romprais d'ici une semaine, mais c'était ainsi. Son attachement à moi avait quelque chose de trop fort pour que je le discerne totalement. Que m'avait-il dit, déjà, tout à l'heure ? Que je ne savais pas aimer... Non, comparé à lui, je ne savais certainement pas aimer. Je réalisai que j'étais passée de nouveau au vouvoiement puis au tutoiement, et renonçai à trouver une logique entre les deux. Ça viendrait comme ça me viendrait, et c'était tout.

Sa bouche était si douce sous la mienne...

Elle m’enfonçait un poignard dans le cœur. Je savais ce que je lui demandais, j’en étais conscient. Ce ne serait pas facile mais je ne pouvais tout de même pas lui demander de changer de filiale, juste pour moi. Non, je ne pouvais pas. Tout comme elle ne voulait pas changer de lycée. Je la serrais un peu plus contre moi.

« Ne crois pas que je ne sais pas ce que je te demande, Blake. Tu douteras forcément, je te connais assez pour savoir ça. Je pourrais t’assurer mille fois que je suis a toi, tu douteras quand même. Je t’ai dis que je t’aiderais, je le ferais. Je ne te demande pas une confiance absolue, quand bien même tu le voudrais, tu n’y arriverais pas totalement. Laisse moi juste faire et ça se passera bien, d’accord ?»

Elle bougea contre moi et je baissais les yeux pour la regarder. La timidité se peignait encore sur ses traits, ainsi qu’une innocence qui était en train de me crucifier. J’étais capable de me contenir, je le savais surtout si je devais le faire pour elle, j’étais quelqu’un de passionné malgré mes dehors froids et, maintenant qu’elle m’avait accepté, mon corps avait beaucoup de mal a ne pas s’enflammer.

« Ca fait deux ans Blake. Deux ans déjà. Pour moi, oui, ça ne s’arrêtera pas. Peut être qu’un jour tu en auras assez, ou que tu aimeras quelqu’un d’autre, ce sont de choses qui peuvent arriver. Je me battrais pour te garder et même si je perds, ça ne s’arrêtera pas. Tu n’as pas a avoir peur, je ne t’obligerais jamais a rien. »

Je la laissais effleurer mes lèvres, fermant a moitié les paupières sous la caresse qui marquait ma peau au fer rouge.

« Je suis exigeant, je le serais toujours. Je ne peux pas me contenter d’une moitié de toi, tu comprends ? Mais je ne peux pas aller contre ce que tu veux quand bien même cela ferait mal. »

- J'espère, répondis-je hésitante. J'essaierai... J'essaierai d'avoir confiance.

Mais ça faisait tellement mal de faire confiance. J'avais fait confiance à Kieran et j'avais tout détruit à cause d'un quiproquo. Je préférais avoir toujours peur et être rassurée le soir plutôt que de vivre perpétuellement dans un bonheur mièvre pour m'écrouler plus bas que terre lorsqu'il romprait cette confiance. Parce qu'il la romprait forcément un jour ou l'autre , non ? Ils sont tous comme ça. Ils sont tous comme ça...

Cette obsession débordante dont il faisait preuve à mon égard me dépassait. Pourquoi moi ? Pourquoi s'était-il accroché obstinément à moi, moi et personne d'autre ? Je n'avais rien de spécial. Je ne lui avais jamais montré d'intérêt particulier. Il ne pouvait quand même pas être comme ça juste parce que j'avais trop bien interprété Juliette dans ses bras, si ? Je n'y croyais pas, il y avait forcément quelque chose, quelque chose que je n'arrivais pas à voir et à saisir.

- Mais pourquoi moi, hein ? Qu'est-ce que j'ai de plus que les autres finalement ?

Ça me dépassait. Le pire était sans doute que s'il me retournait la question, je n'aurais pas su quoi répondre. Pourquoi avoir cédé, l'avoir accepté ? J'en avais pas la plus petite idée. Simplement, ça s'était imposé à moi comme une évidence quand je n'avais su profiter du baiser de Kieran et qu'il était arrivé juste derrière. C'était ça que je voulais depuis tellement de temps, c'était ça que je devais faire pour arrêter de pleurer et d'être poursuivie la nuit.

Mais alors pourquoi, ça, bernique !

Je le trouvais paradoxal. Il me disait qu'il ne pourrait pas se contenter d'une part de moi, qu'il me voulait tout entière - le diable si je comprenais ce qu'il voulait réellement dire par là. Mais aussi qu'il ne me forcerait à rien. Alors quoi ? Si je ne parvenais pas à lui donner tout ce qu'il me demanderait, que ferait-il ? Il faudrait bien qu'il s'en contente s'il se refusait à m'obliger à quoi que ce soit.

Ou alors c'était tout ou rien, et il me laisserait si je n'arrivais pas à suivre ses envies. Sous le coup de cette idée glaçante, je retirai brusquement mes mains de son cou et en entourai mes jambes, genoux remontés contre mon menton, soudainement recroquevillée, blottie dans ma coquille.

- Et tu feras quoi, alors, si je ne peux pas te donner ce que tu veux ? Tu me laisseras ? Qu'est-ce que tu attends de moi que je pourrais ne pas te donner ?

Je devais me contenter de ça. Pour le moment du moins. Elle essayerai. C’était déjà quelque chose, même si je devais me retenir de lui demander encore plus. Je hochais la tête, sans rien dire de plus. Pour le moment, je ne pouvais exiger plus que ça. Alors je rongerais mon frein. Tenter de lui faire comprendre ce que moi je ressentais était difficile, même si j’étais doué avec les mots, même si je savais les retourner pour en faire des armes. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu’elle était pour moi. Ni même comment j’avais pu m’intéresser a elle.

« Et pourquoi pas ? »

Je souriais a moitié. Je ne savais pas pourquoi elle, mais c’était juste une évidence que j’avais tenter de repousser de toute mes forces. Horrifié parce que cela voulait dire, terrifié quelque part par ce lambeau d’âme qui lui demeurait attaché, quoique je fasse, quoique je dise.

« Pourquoi devrais je en regarder une autre ? Pourquoi devrais je en aimer une autre ? »

Oui pourquoi ? Je ne le pouvais pas de toute manière. Elle était encore jeune, son corps n’avait pas ces formes voluptueuses qu’arborait une femme faite. Elle n’était ni calme, ni posée. Peureuse. Mais aussi passionnée, battante, terriblement indécise. Je ne savais pas ce qui me plaisait exactement, sans doute tout cela mit ensemble, ce qui faisait d’elle ce qu’elle était. J’acceptais tout sans conditions, sans me poser de question tant je savais que jamais je n’y trouverais de réponses.

Je pouvais percevoir sa crainte a travers ces mots. Elle était là, caché, bien dissimulés au creux de sa voix. J’eus froid soudainement lorsqu’elle me lâcha, comme un avant gout de la blessure qu’elle me ferait si elle décidait de me quitter.

« Tu m’as mal compris Blake. Je veux tes larmes, tes rires, ta passion, ta colère, ta tristesse, ta peur, ta timidité, ton innocence, tes hésitations. Je veux tout ça. Je veux ta confiance. Toi, tes défauts. Je veux pouvoir te faire l’amour chaque jour, je veux pouvoir être témoin de tes réussites, de tes défaites. Je veux pouvoir sécher tes larmes et te faire rire. Et si tu ne peux pas me les donner, alors c’est que tu ne pourras jamais m’aimer. C’est aussi simple que ça. Et contre ça, je ne peux rien. »

Pourquoi pas ? Je restai totalement interdite devant une telle réponse. J'avais oublié à quel point il savait manier les mots, ne se retrouvait jamais pris au dépourvu. Au fond, qu'il ne me réponde pas clairement était bien une preuve qu'il n'avait pas vraiment de raison, mais sur le coup, je fus bien trop surprise pour lui opposer un tel argument. il gagnait toujours la bataille des mots quand il prenait la peine de s'y attarder. Je prenais conscience qu'il m'avait laissée vaincre, la plupart du temps, ces derniers mois, sans doute seulement pour faire cours plus rapidement tranquillement.

- Eh bien... Parce que je ne suis pas bien pour vous ! Je suis trop jeune, trop sur les nerfs, trop peureuse ! Je vais vous excéder avant que vous n'ayez le temps de dire ouf. Il y a des tas de filles meilleures que moi !

Et puis j'eus cette crainte brutale, trop brutale pour que je la supporte réellement, rompant tout contact.

Ses mots me choquèrent, me marquèrent au fer rouge, s'imprimèrent dans mon esprit. Tout ce qu'il me demandait là, j'ignorais comment les lui donner réellement. Mais je sentais, confusément, vaguement, que c'étaient sans doute les mots les plus sincères qu'il m'avait dits jusque là. Il fallait juste que je vive, et que je vive avec lui. Et là, je ne sais pas ce qui m'a pris. Une vague brûlante est montée dans mon ventre et m'a jetée, littéralement, sur lui. Et alors que nous tombions à la renverse dans le sable, que je baisais passionnément sa bouche, je balbutiais, essoufflée, m'interrompant cent fois pour l'embrasser :

- Je te donnerai tout ça. Je te donnerai tout ce que je peux, parce que je veux t'aimer, je veux effacer ce que je t'ai fait. Je veux réussir à t'aimer comme tu le fais... Je veux réussir à te faire confiance !

Une main plaquée contre sa nuque, l'autre posée quelque part sur sa hanche, je dévorais sa bouche, ses joues, son cou. Je n'étais plus maîtresse de moi-même, je savais juste qu'à l'instant précis, j'avais une soif brûlante et incontrôlable de lui.

« Ca c’est a moi d’en juger Blake. »

Fis je avec détermination. Elle ne pouvait pas juger qui était bien ou pas pour moi. Elle ne pouvait pas déterminé qui était pour moi ou non. Moi seul. Moi seul pouvait le dire et je savais…je savais juste que bien ou mal, elle serait mon poison, qu’importe le reste.

Je la laisse m’échapper. Quitter le refuge de mes bras, dévoiler sa peur, sa crainte. Elle ne le sait pas encore mais elle me donne tellement. Incapable de tricher, de simuler, elle était si transparente que je pouvais tout lire d’elle. Cette peur stupide que je voulais effacer, semblait si puissante, si forte comparer a moi, mais moi, je l’aimais. Trop. Contre tout et tous. C’était une folie qui m’avait prit, enivré, courant dans mes veines au rythme de mon cœur, de mon âme. De ses sourires sans doute. Je lui demandais elle. Juste elle. Entière. Sans voiles, sans tromperies. Elle dans sa brutalité, sa douceur. Elle ne pouvait réellement comprendre, réellement imaginer et la surprise s’invita dans mes iris alors qu’elle se jetait sur moi, que j’ouvrais les bras pour la recevoir. Mon dos épousa le sol, le sable se creusant pour devenir un reflet de mes formes, de ma dureté.

Ses lèvres heurtèrent les miennes, son souffle se mêlait au mien, hiératique, fou. Sa bouche, si pleine, si ronde, s’ouvrait sur des mots que j’avais peine a croire, que je voulais croire. Peut être qu’elle regretterait demain, ou dans un an ou dans dix, je m’en fichais parce que là, maintenant, je voulais qu’ils ne soient que vérité. Ma chair s’embrasait là où elle l’effleurait. Et je gémis doucement, glissant mes mains sur ses reins, la serrant toujours plus prêt de moi, encore plus prêt. Mes doigts remontèrent sur ses joues, guidant ses lèvres sur les miennes, elle me rendait fou, d’elle de désir, d’amour, je n’en savais plus rien. J’avais envie d’elle. Terriblement. Plus qu’aucune autre avant elle. Je voulais qu’elle s’oublie dans mes bras, qu’elle devienne femme juste sous mes paumes. Elle provoquait ma passion, mon envie, et si je pouvais me contenir, j’y arrivais de moins en moins.

Sa peau nue sous mes doigts, sa chair blanche, sa poitrine frémissante contre la mienne…Mais je réussis a m’arracher a ses lèvres, juste un instant, qu’elle lise dans mes yeux ce qu’elle était, ce que je voulais qu’elle soit. Mon amante. Mon double. Mon propre reflet bien que diamétralement opposé. Je voulais lui faire l’amour, me perdre au creux de son ventre, un désir égoïste de l’aliéner a moi…

« Blake…Arrête moi… Je veux me perdre en toi…Je veux que tu sois a moi, maintenant…Je veux que tu te donne à moi…Mais je veux que tu me le dise… »

Il y avait comme une souffrance dans ma voix, dans mes prunelles qui dévoraient son visage, brulantes…Je savais que si je continuais, je ne pourrais plus m’arrêter, plus du tout. Je me consumais de l’aimer, d’aimer son corps, elle tout entière…

Des vagues de sensations ne cessent d'affluer en moi. Si j'étais plus expérimentée, je saurais que c'est du désir. Un désir lancinant et poignardant, un désir qui doit être assouvi immédiatement si je ne veux pas qu'il m'empoisonne pour toujours. Mais je n'en ai pas la moindre idée alors que j'avance à tâtons, laissant ses mains parcourir ma peau nue et me noyant entièrement dans le contentement que me procure son contact. Un soupir de plaisir m'échappe alors que je le sens gémir contre moi. Son souffle est rauque, irrégulier, je le sens battre contre ma peau et il me fait frissonner violemment, tout comme ses mains qui remontent de mes hanches après m'avoir plaquée si sévèrement contre lui, frôlant mon dos et se posant sur mon visage, amenant ma bouche à goûter de nouveau à la sienne, avidement, férocement.

Et puis il s'arrête, il cesse de m'embrasser, il repousse mon visage, et l'expression furieuse que je lui lance pourrait mettre le feu à la mer. Tout du moins jusqu'à ce qu'il parle. Sa voix est haletante et si désirable que ce qu'il dit, je le comprends à peine. Peu m'importe les conséquences, j'oublie absolument tout, j'oublie que ce matin je ne savais pas encore que je l'aimais, j'oublie que n'importe qui pourrait nous surprendre ici, j'oublie qu'il est un professeur et moi son élève, j'oublie notre différence d'âge et j'oublie enfin que je suis vierge, et que je risque fort de regretter de faire l'amour si vite, bien trop vite en réalité. Tout mon corps est embrasé et je gémis presque de protestation et de peur alors que je réponds :

- Mais je ne veux pas t'arrêter !

Je me redresse légèrement, à califourchon sur lui. Je ne suis plus qu'instinct, ma raison est morte dans les flammes du désir qui me consume, et c'est naturellement, presque automatiquement, que mes paumes fraîches se glissent sous sa chemise, effleurant sa peau, son torse, apprenant à le découvrir. Frustrée dans mes mouvements, frustrée de ne rien voir aussi, je m'agace sur les boutons du vêtement, presque rageuse lorsque certains refusent de se laisser faire. Alors que j'ouvre enfin sa chemise, que mes paumes se promènent sur tout son torse, je dis haletante :

- Je veux être à toi. Maintenant, tout de suite.

Je ne sais même pas ce que ça veut dire réellement, alors que je bascule sur le côté, l'entraînant avec moi pour qu'il me surplombe, obéissant frénétiquement à cet instinct dominateur de ma raison qui coule dans mes veines et m'embrase. Je l'attire à moi et capture de nouveau avidement ses lèvres, alors que mon bassin se lève pour aller à la rencontre du sien et que mes mains savourent ses muscles, me rendant terriblement désireuse de me soumettre à lui, à sa force. Je me suis laissée entièrement posséder par ce désir qui me guide et assure mes gestes malgré mon inexpérience. Je ne comprends pas ce que je fais, je suis maladroite très certainement, mais je m'en moque. Plus rien n'a d'importance que lui, lui et ses muscles, lui et sa peau, lui et sa bouche, lui et ses mots. Et ce désir, ce désir que je nomme enfin pour ce qu'il est et qui me consume les reins pour se répandre dans tout mon corps, claquant comme un fouet, me faisait me tordre de plaisir et gémir d'envie.

Je devrais l’arrêter de moi-même. Etre assez fort pour la repousser, pour empêcher ses mains de parcourir mon ventre qui se comprime sur son passage. Assez fort pour ignorer l’éclat fiévreux de son regard. Assez fort pour rester indifférent sous le rythme langoureux et hiératique de son souffle, jumeaux du mien. Sait elle seulement ce qu’elle fait ? Ce qu’elle dit ? Ces quelques mots que j’attendais, que je n’aurais même pas dut lui demander parce que je savais confusément qu’elle n’en comprendrait pas le sens. J’aurais du faire tout ça mais il était déjà trop tard pour moi. Je veux aimer son corps, comme j’aime ce qu’elle est.

Parcourir sa peau du bout de la langue, découvrir les trésors qu’elle me cache encore du bout des doigts. Je refuse de penser a demain ni même a plus tard. Je refuse de songer au sable, a cette vue exposée. Je me noie dans son regard. Tant pis pour les conséquences, je ne peux pas lui résister, je ne le peux plus. Alors je soupire en sentant sa peau contre la mienne, sa chaleur qui m’embrase. Je la sens m’appeler, je voudrais être sourd mais je ne le peux plus. L’azur si souvent froid de mes iris devient brasier lorsque je la contemple sous moi, parfaite a mes yeux. Je perd littéralement le sens des réalités lorsque mon souffle effleure sa poitrine, glissant sur les pointes magnifiques de ses seins. J’ai envie d’elle. Tellement. Profaner le sanctuaire de son ventre, qu’elle soit totalement a moi. Mes doigts glissent sur la peau satinée de ses cuisses, repoussant le tissus, saisissant sa hanche qu’elle imprime contre moi, ondulante, sirène totalement envoutée par son propre corps, par ses sensations qu’elle ne contrôle pas, que je ne maitrise pas plus. Mes sens se saoulent de son parfum, de ses gémissements, de sa chair. Je goute son ventre, dégrafe sa jupe, la faisant glisser le long de ses hanches, de ses cuisses qui se découvrent a moi. Je la délaisse de ses derniers remparts de tissus, nue contre moi, j’y aspire tellement. Elle frémit. Gémit. Je pose ma bouche au creux d’elle. Amoureux. Ses doigts s’enfoncent dans mes cheveux, se crispent. Je ne veux pas la brusquer, pas lui faire mal mais je ne peux plus contenir mon envie d’elle. Alors je remonte, doucement, fébrilement, ne laissant pas une once de sa peau libre de mes lèvres. Mon bras glisse sous ses reins alors que je m’installe entre ses cuisses, je niche mon visage contre son cou…

« Je vais te faire mal Blake… »

Un murmure rauque, je sais que je vais lui faire mal, je ne peux pas faire autrement. Elle est trop innocente, je sais qu’elle n’a connu personne, maladroite, sensuellement maladroite…J’ai tout oublié sauf elle a l’instant où j’ai pris sa chair. Me fondant en elle, implacable malgré sa douleur. Je tremble, je l’embrasse et j’attends, j’attends qu’elle se fasse a ma présence en elle, que son ventre m’accepte…

« Tu n’auras plus mal… »

Des milliers de frissons courent le long de ma peau, je goute la perfection …

Caresser son torse, embrasser sa nuque et son visage, c'est facile, c'est naturel. Se tordre sous ses mains parcourant mon ventre, mes cuisses, me plaquer contre lui désespérément, cela se fait si instinctivement ! Je ne me contrôle pas et je ne réfléchis pas. Je ne suis plus que sensations et je me laisse totalement guider, par lui et par tout ce qui m'assaille sans me laisser prendre le temps de respirer. Ce ne sont jamais que des caresses. Si prudes et pourtant si enflammées. Ses soupirs contre ma peau me font vibrer de plaisir et gémir davantage encore.

Ce n'est pas la même chose lorsque sa bouche glisse sur ma poitrine. Brusquement, je me contracte. Je recommence à avoir peur. Je suis dévorée par le plaisir et pourtant j'ai peur, je suis déchirée entre l'envie atroce de m'oublier dans ses bras et de lui demander de tout arrêter, tout de suite. Mes mains griffent le sable, tout à la fois sous l'effet déchirant du désir que je ne sais comment combler et de cette frustration d'être incapable de prononcer un mot et de lui dire d'arrêter. Est-ce qu'il peut seulement s'arrêter ? Moi, je suis terrifiée, et pourtant une moitié de moi me hurle de cesser de jouer les peureuses et de m'abandonner à lui. Alors lui, pourquoi s'arrêterait-il ? J'ai peur, et pourtant je gémis de plaisir, alors que tout mon corps se crispe sous ses doigts. Mais pourquoi ? De terreur ou de jouissance ?

Je tremble alors que je prends soudain conscience de ma nudité. Je suis nue, et il est là, au-dessus de moi, goûtant si avidement mon corps que je me demande comment il est possible que j'y survive. Mon ventre se contracte sous sa bouche et, presque automatiquement, mes mains se glissent dans ses cheveux, si noirs, si doux, maintenant férocement ses lèvres contre mon corps, alors que je voudrais le supplier de ralentir et de me laisser davantage de temps pour me faire à l'idée. Je frémis de frayeur alors que son visage descend plus bas encore, suivant les courbures de mon corps, et s'arrêtant enfin sur mon intimité, le sanctuaire de mon corps, inviolable, qu'aucun homme n'a jamais vu, et je rougis en songeant à la promesse que je m'étais faite, qu'aucun homme ne le verrait jamais. Je n'ai pas de père, pas de frère, je ne voulais pas davantage d'amant. A-t-il seulement conscience de ce que cela représente, que je le laisse ainsi découvrir tout mon corps ? Certainement pas.

Je gémis de plus belle alors que sa langue me caresse, je veux me noyer dans ses soupirs mêlés aux miens. Je vais devenir folle si la panique, ou l'envie, ne s'éteint pas sur-le-champ. Les deux opposées si diamétralement me font perdre la tête, je ne sais plus quoi faire. Mon corps se cabre par réflexe, amenant mes reins à la rencontre des siens, lorsqu'il passe son bras sous moi. Je ferme les yeux, j'ai peur, j'ai tellement peur, cela se lit sur mon visage. Je balbutie, éperdue :

- Oh non, s'il te plaît... Me fais pas ça...

Ne me fais pas mal ? Ou ne me fais pas l'amour ? Je ne sais plus ce que je veux, et de toute façon c'est trop tard. J'étouffe un cri. Ça me fait mal, oui, un peu. Pas tant que ça, mais ce n'est pas agréable. Il m'embrasse, fiévreusement, mais je réponds à peine à ses lèvres. J'ai les yeux fermés hermétiquement, mes ongles ne sont pas loin d'être plantés dans son dos, mon corps est tellement crispé que mes nerfs doivent être en train de se nouer entre eux. Il ne bouge pas, il reste immobile malgré les frissons ardents qu'il me communique.

Détends-toi, me souffle une voix.

Comment est-ce que je peux me détendre avec une pareille intrusion ? pensé-je presque rageusement.

Détends-toi, et l'intrusion deviendra un complément. Respire, profondément. Comme quand tu dois maîtriser l'énergie qui court dans tes veines. Décrispe-toi. Laisse-toi aller. Tout ira bien si seulement tu arrives à cesser d'avoir peur.

Je souffle légèrement, je commence à me détendre, juste un peu. Mes doigts cessent de labourer son dos, de nouveau mon corps devient chaton caressant et non plus toutes griffes dehors. J'ouvre les yeux et je heurte son regard brûlant de plein fouet. J'emprisonne sa bouche dans la mienne, fiévreusement, sans me rendre compte que mon corps reprend vie en même temps, allant à la rencontre du sien. Et puis je lui oppose farouchement :

- Je n'ai pas mal !

Plus mal serait plus juste. Et je ne suis pas encore tout à fait à l'aise en le sentant en moi. Mais je veux le goûter tout entier, je veux réussir à aimer ça. Et je sais que je peux y arriver.

Je l’ai entendu…Son souffle qui me dit d’arrêter, maintenant. Mais il est trop tard, je ne peux pas, je ne peux plus. Je la sens se contracter violemment, se crisper, haleter. Et pourtant, je ne bouge pas, pas encore. Mon souffle rauque se répercute dans l’air, le sang bat a mes tempes, mais je réfrène encore mon impatience, tellement fort que j’en tremble.

Je chuchote a son oreille, a peine sensible a ses ongles qui pénètrent ma peau. Je caresse doucement son flanc, frémissant au dessus d’elle. En elle. Sa chair m’entourait et je fermais les yeux. Et puis, je la sentis se détendre. Doucement, lentement, comme si elle menait un combat intérieur, je gémis alors que ses hanches se soulevaient vers moi. Je posais mon front brulant contre sa peau avant de la regarder elle de lire l’ombre de la peur dans ses prunelles jade. J’aurais tout donné pour qu’elle n’est pas a me craindre, mais cette peur là était légitime et je l’embrassais doucement, soupirant mon attente contre ses lèvres avant de bouger avec lenteur en elle. M’appropriant suavement mais surement son corps tout entier. Je restais attentif a elle, ses gémissements ou le moindre signe de douleur. De ma main libre, je caressais sa peau, lui faire oublier que je l’avais blessée, je voulais juste ça pourtant, je ne pouvais pas contenir mes sursauts en soupirant a son oreille. Le plaisir montait si fort, trop fort, jamais je n’avais autant aimé qu’a cet instant là. Juste l’impression d’avoir retrouvé cette autre moitié de moi perdue depuis des siècles. Mais malgré mon urgence, je l’attend, regardant son visage, voulant pour moi l’instant où ses yeux chavireront, où sa bouche s’ouvrira en corolle délicate.

Elle est magnifique et son image me brule la rétine, se grave au plus profond de mon âme, comme une marque faite au fer rouge sang…Je veux qu’elle m’accepte, entièrement. J’approfondit mon étreinte, m’enfonçant toujours plus loin en elle et pourtant je reste doux malgré le sang qui bouillonne, malgré ma conscience qui se laisse peu à peu emportée…

« je t’ai tellement attendu.. »

Il commence à bouger, et alors que je commençais tout juste à me détendre, je me crispe de nouveau. Pourtant, maintenant, cela n'a plus rien à voir avec la douleur ou un quelconque malaise. J'ai juste peur, mais je ne sais de quoi. Il est attentif, il est doux, lent, pourquoi est-ce que je suis incapable d'en profiter ? Je préfère me concentrer sur main traçant des arabesques légères sur ma peau frémissante. Là, il n'y a que plaisir et douceur. Là, il n'y a qu'amour et tendresse. Mon dos se cabre sous les frissons qui m'assaillent. Il bouge encore, et un gémissement m'échappe sans que je me contrôle réellement, alors que je m'efforce de me laisser aller. J'y parviens, tout doucement.

Mes mains se promènent sur son dos en caresses hésitantes. Ma cuisse remonte le long de la sienne, mon corps s'imbrique au sien, parfaitement, totalement. J'expire un autre soupir et tâche de tout percevoir ; sa main, son corps en moi, tout son contact sous lequel je me noie. Sensations électrisantes, trop dangereuses pour moi ! Un léger cri, presque de surprise, alors qu'une vague m'emporte et me fait tout oublier, à part son corps contre le mien et toutes les attentions qu'il m'octroie. Je m'essaye à bouger en rythme avec lui. Timidement, je finis par m'enhardir, alors que mes jambes s'enroulent autour de lui, que mes bras l'emprisonnent farouchement. Il est à moi et à moi seule ! Malgré toutes celles qui lui tournaient autour, c'est moi qu'il a choisie. Et c'est à moi qu'il est en train de faire l'amour. J'ai la soudaine sensation d'être unique, parfaite, et je le lis dans ses prunelles enflammées. Ses yeux, ils ne s'enflamment que pour moi. Ces mots, il ne les prononce que pour moi. Je clos les paupières, en extase, et me laisse enfin totalement porter.

Il m'aime, j'en ai la certitude, une certitude tellement forte qu'elle en est presque effarante. Mon ego se gorge de cet amour, mon corps en tire tout le plaisir possible. Et à cet instant, je ne regrette plus du tout d'avoir sauté le pas. Jamais je n'aurais pu trouver quelqu'un de plus attentif et de plus aimant.

En ce moment, je lui voue une confiance pleine et entière.

Elle s'éveillait sous moi et je buvais ses souffles brulants comme un nectar, ses gémissements étaient d'une harmonie absolue pour moi, raisonnant a mon oreille avec douceur. Je sentais sa chair prendre vie autour de moi. La surprise s'invita dans sa voix alors qu'elle faisait connaissance avec le plaisir que je pouvais lui donner et pourtant, je ne me brusquais pas, je ne la brusquais pas, me forçant a une lenteur cruelle, une torture que je supportais juste pour elle.

J'embrassais sa gorge, sa bouche, comme si c'était la dernière fois que je devais la toucher, l'aimer. Je parcourais sa peau, m'imprimais en elle a chaque mouvement, creusant un peu plus son ventre pour le faire mien. Peu à peu, son corps suivit le mien, entrant dans la danse.

L'accompagnant, m'attirant dans un tourbillon de délices brulants. Je m'enflammais. Perdant la conscience de ce qui n'était pas elle, oubliant le ressac, l'air qui me fouettait le corps. J'aimais regarder le plaisir s'inscrire sur son visage, cette surprise qui se lisait dans ses yeux, remplaçant la peur, la douleur.

Mon étreinte devint plus possessive, plus impérieuse mais toujours cette tendresse imprimée en moi. Mon coeur sembla s'arrêter, d'un coup, comme ça alors que je resserais mes bras autour d'elle, un objet précieux, parfait. Je m'oubliais en elle si fort que mon corps gardera longtemps l'empreinte du sien, un souvenir douloureux et extatique. Son prénom m'échappa tandis que je mourrais contre ses lèvres. Elle n'était qu'a moi, en cette seconde, elle n'était qu'a moi, juste moi...

Haletant, la peau encore frémissante, brulante, je tentais désespérement de retrouver les bouts de mon âme envolés au quatre vents de la jouissance. La pressant contre moi, encore et encore. Je ne voulais plus jamais quitter sa chaleur, sa chair. Je posais doucement ma bouche sur la sienne, rougie de ma passion déchainée.

"Tu es si belle"

Ce n'était pas si mal, finalement. Plus les secondes s'égrenaient, et plus l'inconfort devenait plaisir. Cette admiration sans bornes que je lisais dans ses yeux y était pour beaucoup. Sa douceur était si agréable, si surprenante ! Je n'avais pas tellement l'impression de faire l'amour avec un prof. Il était trop différent de celui que j'avais connu. Ses iris de glace étaient enflammés d'amour et de plaisir, et une incommensurable satisfaction me traversait tout entière, me faisant frissonner de plaisir, quand je pensais que j'en étais la seule cause. Il me mettait sur un piédestal en me regardant comme ça, et j'aimais ça, plus que tout, moi qui m'étais toujours sentie si minuscule face à lui.

J'étais secouée de vagues incontrôlables, et j'avais définitivement perdu tout contrôle alors que je gémissais à chacune de ses allées et venues en moi. Ses mains caressantes me brûlaient, ses baisers me faisaient devenir folle. Folle de désir, folle d'amour. Est-ce que je l'aimais aussi ? Avant, je n'aurais pas été capable de répondre à cette question. Maintenant, ça me semblait évident. C'est-à-dire qu'étant donné la force avec laquelle il m'aimait, eh bien je ne pouvais que faire de même en retour. C'était évident, une puissance contre laquelle je ne pouvais pas lutter, encore plus forte que le plaisir qui m'emportait à présent, noyant ma raison avec lui.

Il me serrait contre lui, si fort, si fort, gémissant mon prénom...

Ses lèvres fines se perdirent sur ma bouche pulpeuse, gonflée et rouge de plaisir. J'étais essoufflée. Un rire nerveux m'échappa à sa phrase. Je me sentais particulièrement étrange. Je ne parvenais pas réellement à croire à ce que je venais de faire. Je réalisais encore moins avec qui je venais de le faire. Incapable de trouver comment réagir vraiment, je soufflai :

- J'me sens bizarre.

Ça c'était de la répartie. Mon cerveau émergeait petit à petit de son hébétude, et je parvenais à prendre conscience, un peu seulement, de ce qui venait de se passer. Je peinais à respirer sous son poids, et je tentai de me décaler légèrement sous lui, savourant le frottement de sa peau contre la mienne. Une main perdue dans le sable, l'autre glissée dans ses cheveux - ce que je pouvais aimer toucher ses cheveux - je constatai, un peu naïvement :

- On a fait une connerie, là, non ?

Naaan, coucher avec ton prof de littérature, tu penses que c'est une connerie ? Chapeau bas, Blake, tu as gagné le concours de culture du mois.