C'est mon jouet, rends-le moi !(Liam)

‘’ Votre épreuve unique d’écriture aura...’’ Je relève les yeux vers le professeur d’anglais. Ce maudit imbécile. Je déteste ce pays. Ils passent leur temps à m’humilier ! Déjà que me mettre avec des enfants (il n’y en avait pas un qui avait plus de quatorze ans, et encore) était une belle punition… Franchement, les tests, ça ne leur disait rien ? Pas un de ces laquais de la Reine ne s’était donné la peine de remarquer que mes notes étaient de loin supérieures et pour cause ! Mais non. L’enfant de la France. Terrifiant. Alors, mine de rien, on m’avait refilé l’examen de niveau faible de l’année précédente ! Mon dieu, j’en avais mal au cœur.

‘’ Vous aurez trois heures pour écrire votre texte et le corriger. Pour les élèves en difficulté…’’ La dernière partie était surlignée. C’était trop pour moi. Je n’étais pas en difficulté ! Bien loin de l’être, même. Je surpassais de loin les mômes de la classe : évidemment, le cours d’Anglais pour gamin à peine pubère, je l’avais suivi il y a quelques années. J’étais sur le point de pleurer. Au moins, même si les profs de mon niveau étaient plus sévères, ils me donnaient du respect. Ils comprenaient que j’étais presque adulte, que même si j’étais perdue au début, tout allait bien maintenant. En grande partie grâce à mes deux seules amies ici… et aux cours intensifs de niveau adapté d’un certain démon.

Sans prévenir, je me levai et ramassai mes affaires, sans même avoir écrit quoi que ce soit. Le truc qui me servait d’enseignant me suivit dans le corridor en se dandinant.

- Miss Manet ( dans sa bouche, ça sonnait comme Ménite ), c’est trop difficile pour vous ? Je pourrais…

Je lui lançai un regard noir et me retournai.

- Je comprends très bien l’Anglais, monsieur, j’aimerais que quelqu’un s’en rende compte un jour !

Certains auraient dit que j’étais capricieuse, mais avouez que des mois à se faire traiter comme une enfant qui ne comprends rien à rien, c’est épuisant. J’en avais marre, c’était tout. Maman comprendrait. Ce n’était pas comme si mes notes ne me le permettaient pas. D’ailleurs, je me demandais si cela n’était pas dû à la pitié du professeur. Lisait-il même mes travaux, merde ?

Totalement fâchée, je m’arrêtai et balançai mes livres et mon sac contre le sol, avant de mettre un coup de pied bien senti dans les casiers.

- Connards ! Putain de connards de merde ! Je vous déteste !

J’avais laissé une amie finir son café seule. Ce n’était pas mesquin ni méchant, elle me comprenais de toute manière. Etre prof n’était pas de tout repos, surtout en ce moment. J’étais sur les nerfs, beaucoup trop et j’appréhendais chaque heure passée avec la classe 3-A. Connerie ! J’avais perdu mon sang froid une fois et il m’était impossible de le récupérer. Chaque sonnerie de fin de cours me voyait vidé, fatigué, mais je faisais avec. Jouer la comédie était quelque chose que je faisais assez bien. Tromper mon monde, les leurrer. Facile. Trop facile sans doute.

Tournant paresseusement les pages de mon livre de cours, je traversais le couloir sans réellement prêter attention a ceux qui le traversait. Pressés…Trainant des pieds…Jacassant…Riant comme des dindes. Vraiment, cela me passait au dessus de la tête. Je ne dormais pas beaucoup sans doute était ce cela. J’étais qu’un pauvre ado boutonneux en fait, lorsque je posais un regard cynique sur mes propres gestes et actes. J’avais gardé le t shirt qu’elle avait porté, juste parce qu’il portait son parfum. Etais je si perdu ? Sans doute, lorsque les heures les plus sombres apportent la douleur. Le soleil voyait la renaissance de ma comédie mais la nuit…C’était autre chose. J’aurais aimé m’arracher le cœur parce que le sentir battre sourdement, rythmant le tempo de ma douleur était intenable.

Un bruit sourd me fit soudainement tourner la tête et j’eus la surprise d’admirer Alice tirant un penalty sur un pauvre casier qui ne lui avait rien fait. Je fronçais les sourcils. En général, cette fille était assez calme et posé, se contrôlant a merveille, elle ne laissait entrevoir sa personnalité endiablée qu’a de rare occasion et j’en avais malheureusement fait les frais. Alors pourquoi l’approcher ? Je ne sais pas.

« Un problème Alice ? A moins que ce pauvre casier innocent t’ai insulté bien sur. »

Je ne prenais jamais de gant avec mes élèves et celle-ci ne dérogeait pas a la règle. L’anglais n’était pas sa langue d’origine mais elle la parlait avec assez d’aisance pour que je m’adresse a elle comme a un compatriote. Ma main se referma soudainement sur elle-même, faisant se fermer mon livre avec un « clap’ » étrange. Je ne souriais pas et mon regard ne possédait pas la chaleur des mers tropicales, je n’oubliais pas ce qu’elle avait fait, ce qu’elle avait cherché a faire. Je n’oubliais pas que c’était la meilleure amie de Blake…Que lui avait elle dit ?

Je dois dire que le juron sonore qui m’échappa était de toute beauté. Diable, il allait vraiment falloir que je me contrôle un peu plus. On aurait dit que mes sautes d’humeur de ces derniers jours me menaient obligatoirement au mal. Ben voyons. Il ne fallait pas un diplôme universitaire pour savoir que 2+2=4. En l’occurrence, pied + casiers = mal. Et jamais pour le casier, non. Pas de foutues chance qu’il ait renfoncé, l’objet de malheur. En revanche, je voyais déjà mon orteil devenir totalement bleu. Mon poing se crispa et je me retournai, tombant sur la dernière personne que j’avais envie de voir.

Quand je disais que ma vie en Angleterre était une blague ! Non contente d’être traitée comme une gamine, j’avais également fait la rencontre de Liam Hartwood, le pédophile le plus en vu du lycée ! Forcément, c’était le seul que je connaissais aussi. Quoi qu’à bien y réfléchir, le prof’ d’éducation physique n’était pas très net à nous toucher comme ça pour nous expliquer des choses simples…enfin ! Quand on crie au connard, le connard débarque. Preuve, s’il en fallait une, que j’avais bien raison.

Et comme je n’en avais rien à foutre qu’il ait mal. Blake, d’accord. Lui ? Avant d’être gentille avec lui, j’allais me marier avec Hitler oui !

- Malheureusement pour moi, le casier n’a pas ouvert la bouche. Encore qu’il soit de compagnie agréable, comparémment à certaines personnes…

Je ne le visais pas du tout.

- Monsieur, me forçai-je à ajouter. Mais sinon, la vie est tout bonnement merveilleuse ! Voyez, je m’entraine même pour le championnat de soccer.

Merde. Il me faisait peur avec cette tête et ses yeux-là.

« Et on dit l’humour anglais des plus surfaits, finalement, il ne vaudra jamais l’humour français n’est ce pas ? »

Je n’avais même pas sourit. Je n’en avais pas envie. Non, j’avais envie d’embarquer Alice dans un coin, de la secouer dans tout les sens pour qu’elle me dise, qu’elle m’avoue comment se sentait Blake. Oh je pouvais la voir en cours, oui, mais je ne l’avais plus approcher, l’évitant même alors que ça ne me ressemblait pas. En être réduit a demander a sa meilleure amie me sidérait et m’affligeait. Finalement, je baissais les yeux sur ses pieds, glissant une main dans ma poche de jean.

« Cela dit, il n’est pas prouvé que ton orteil approuve la manœuvre. »

Ajoutais je d’un ton indifférent. Un groupe d’ado me passa dans le dos et j’entendis a peine leur messes basses. A vrai dire, rien ne me surprenait plus. Elles étaient en train de se demander si je n’allais pas manger Alice comme j’avais mangé Blake. Pensez vous ! La cheerleader du lycée était soudainement muette devant un prof que tout le monde savait qu’elle haïssait, de quoi vous faire élaborer des scénarios encore plus tordu que Barbra Cartland. Je ne savais pas trop ce qui se disait mais la vérité était dans la bouche d’Alice. Du moins, je le pensais.

« Tu ne m’as pas habitué a l’hypocrisie Alice… »

Soufflais je tranquillement en sachant très bien où taper pour qu’elle réagisse. Je dardais l’azur de mes yeux sur son visage, sans rougir, sans frémir. Je n’avais rien a me reprocher ou presque et ce presque, il restait dans ma mémoire, fiché dans mon cœur comme une aiguille empoisonnée.

- Je vous avouerai que je suis très peu touchée par les revendications de mon orteil.

Je n’aimais pas être ainsi coincée. Puisque j’avais quitté mon cours à l’avance, je ne pouvais pas prétendre que je voulais y retourner ou que j’en avais un. Seuls les plus vieux, qui suivaient tous les bons cours, avaient des périodes libres. Quant à moi… inutile de même y songer. Certes, un corridor, ce n’était pas une classe, mais il était tellement grand face à moi que je me sentais dominée et que j’en perdais mon sens critique. Les rires des adolescents me firent reprendre conscience de la situation. Ou tout bonnement des yeux semblables à un iceberg fixés sur moi. Je me sentais tout à coup comme le Titanic dans ses derniers instants.

Gloups !

- Bien entendu, monsieur. Mais il me semblait qu’un professeur tel que vous devrait être apte à faire la différence entre l’hypocrisie et l’ironie, je me trompe ?

Je lui adressai un sourire horriblement faux, comme ceux que les gens adressent à leurs professeurs lorsqu’ils se quémandent une bonne note. Je me dégoutais moi-même. Enfin, l’insistance de ses propos et son air me dissuadèrent de jouer davantage. Quoi que… il voulait que je sois franche ? J’allais l’être ?

- Vous m’excuserez, mais il me semblait que vous n’apprécierez pas que je crie à tout vents quel pédophile vous étiez. Ou à quel point je vous détestais, vous le connard qui avez détruit ma meilleure amie. Mais peut-être êtes-vous masochiste, Hartwood ? Il fallait m’en informer plus tôt. Je peux vous aider.

Avec, cette fois, un sourire complaisant à souhait, je fis un pas de côté pour le dépasser légèrement et attendis qu’un groupe passe, ce qui ne fut pas long. Ignorant délibérément le souffle agité que j’entendais dans mon dos, je les hélai en criant le plus fort possible :

- EH ! Tout le monde ! Écoutez ça…

« En l’occurrence, tu fais de l’ironie hypocrite. Cela te convient mieux ? »

Et bien allons y pour un petit tour dans les filets d’Alice déchainée, mais ce n’était pas comme si je ne l’avais pas provoquer, une chose facile lorsque l’on connaissait un petit peu la demoiselle qui me faisait face. Je savais qu’elle allait me rentrer dedans, restait de savoir de quelle manière. Et elle n’y allait pas de main morte. Ceci dit, de son beau laïus je ne retins qu’une seule chose capable de me toucher véritablement. Détruire Blake ? Le reste me passa au dessus de la tête. Mon visage ne frémit pas, ni colère naissante, ni agacement soudain.

Je retins un soupir sans doute. Le mot pédophile aurait même pu me faire rire quelque part, il ne me convenait pas vraiment, mais si Alice voulait voir son amie comme une gamine, c’était elle que ça regardait pas moi. Sans doute aurais je aimé la voir comme une enfant aussi…Mais je pouvais fermer les yeux, je ne voyais pas une enfant.

« La pédophilie désigne une attirance ou préférence sexuelle d'un adulte envers les enfants prépubères ou en début de puberté…Je te laisse comprendre par toi-même l’idiotie de ta remarque, Alice. »

Fis je sans elever la voix, sans même dévier mon regard de son visage courroucée la suite me surprit un peu. Elle héla le hall tout entier et un demi sourire ombra mes lèvres alors que je m’adossais aux casiers, la laissant faire sans même intervenir. A ce petit jeu là, Alice, tu n’es pas si douée que tu viens bien le laisser croire.

Je la regardais pendant qu’elle parlait, je ne l’ai pas interrompu. J’observais parfois les réactions et hochait la tête, comme si je les approuvais et lorsqu’elle se tut. Je me décollais des casiers, applaudissant doucement.

« C’était parfait Alice, bien que le sujet sois porteur de confusion, c’est exactement ce que j’attends de l’interprète de ce rôle. Phèdre sera magnifique incarnée par toi »

Réfléchit a ce que devint Phèdre a force de mensonge et de faussetée Alice. Tu ne sais rien, tu ne comprends rien et tu juge. Idiote.

- D’accord, je vous l’accorde. Mais il reste que c’est un détournement de mineure, que vous êtes notre professeur et donc que votre position de force et d’autorité rends tout ceci, ma foi, complètement illégal. Vous conviendrez que ‘’ pédophile’’, c’est moins long à dire.

Marrant. N’importe lequel autre professeur m’aurait déjà emmenée dans le bureau du directeur, collée en retenue ou directement expulsée de l’école. Je pouvais dire n’importe quoi et on ne faisait pas attention à moi, mais les insultes…là, on considérait que je parlais très bien Anglais ! Enfin, il était certain qu’il ne pouvait rien faire sans que j’aie à expliquer pourquoi je le traitais de pervers-détourneur-de-mineure-professeur-débridé. Pédophile, quoi.

Je me doute bien que, s’il me laisse faire, c’est qu’il a un plan. Mais je ne peux pas m’arrêter là, non ? Je pourrais toujours changer mon plan, mais à vrai dire, je n’en aurais l’air que plus idiote. Et il rirait de moi, puisque je perdrais toute crédibilité.

- J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Ce professeur, celui-là même pour qui vous avez tous bavé, est un pervers qui aime violer ses élèves ! Si j’étais vous, je ferais attention pour ne pas rester seule avec lui… à moins que… Dites, vous aimez les petits garçons aussi ?

Je l’écoute énoncer ce qu’il avait déjà décidé bien avant ma tirade, j’imagine. Brillant, je dois l’avouer. Puisqu’il est responsable de nombre des pièces de théâtre…Enfin, j’espère qu’il ne compte pas vraiment me faire jouer pour supporter son mensonge, parce qu’autant le dire tout de suite, j’acte comme un pied. En revanche, tourner mes yeux vers lui pour lui jeter un regard noir, je sais faire. Je pense que si je pouvais le réduire en cendres, je le ferais. Puisque le couloir est toujours fréquenté, je lâche innocemment :


- Voyez-vous professeur, j’ai présentement une envie très malsaine de vous considérer comme un casier.

Pour lui faire mal, pour lui monter ce qu’il a fait à Blake. Merde. Si je pouvais l’attraper par l’oreille comme un garnement et le tirer devant mon amie en exigeant ses excuses, je le ferais. SI je pouvais lui mettre un coup en plein dans son visage d’ange sans que ce soit moi qui aie mal aux jointures, je le ferais. Je n’ai que les mots contre lui. Et malheureusement, il est très habile de ses mots – peut-être plus que moi, même si j’ai peine à le dire.


- Jouerez-vous Hyppolite, alors ? Que m’importe le suicide si vous êtes déjà mort et enterré.

« Intéressante position, alors je te suggère d’ouvrir tes livres de droits, si tu en as, autrement, n’essayes pas sur moi un jargon que tu ne maitrise pas, Alice. »

Je ne l’avais pas violée. Je ne l’aurais jamais pu d’ailleurs, combien même elle fut désirable cette nuit là, combien étais je a deux doigts de craquer, de l’allonger sur le lit et d’oublier ne serait ce qu’un instant ce qui nous séparait pour m’endormir au creux de son ventre. Non, jamais je ne pourrais la violer. Mais c’était peine perdue de l’expliquer a sa pseudo petite amie. Alice était fidèle en amitié, je ne pouvais lui retirer ça, mais elle l’était tellement qu’elle en perdait tout sens commun, dérapant plus d’une fois et ce fut le cas encore aujourd’hui.

Je la laissais faire et mon attitude dut sans doute la surprendre mais elle ne se dégonfla pas. La fierté n’était pas la meilleure des qualités, sans doute l’apprendrait elle plus tard. Je n’eus qu’un demi sourire tandis que je défaisais ce qu’elle avait tenté de faire et sa petite menace aurait sans doute pu me faire rire si je ne me retenais pas.

« Je n’en doute pas Alice, mais tu te retiendras n’est ce pas ? »

Ironie ? Si peu ! Qu’elle me frappe devant témoin serait problématique, beaucoup plus qu’une explication auxquelles elle n’avait pas de preuves. J’étais fatigué de devoir lutté contre elles. Tellement campée sur leur position qu’elle ne voyait rien, ni n’entendait rien. C’était risible, comme si j’allais me défendre tiens.

« Cela fait des années que je ne joue plus et je ne ferais pas exception pour toi. Mais je prends note avec quelle facilité tu souhaite la mort d’autrui, je te savais enflammée mais pas cruelle. Tu m'excuseras, j'ai autre chose a faire que débattre d'un sujet qui, au final, ne te regarde en rien. »

Finis je en haussant une épaule, me décollant du casier pour lui tourner le dos. Je n’avais plus rien a lui dire et je repartais tranquillement vers ma salle de classe qui ne tarderait pas a se remplir d’ailleurs.

- Je ne sais pas si je me maitrise suffisamment pour cela, monsieur.


Je n’osais plus croiser son regard. Je détestais y lire la supériorité. Non pas qu’il le fit exprès, du moins je le croyais, mais parfois lorsque mes paroles ne faisaient pas mouche, je me sentais vexée. Je n’aurais pas dû, puisque rien ne l’atteignait. Merde, je l’avais embrassé et il n’avait pas réagi, alors pourquoi est-ce que quelque chose d’aussi futile l’aurait décampé ? Non. Je détestais avoir tord. Et puis, je ne voulais pas le regarder parce que je me sentais vulnérable. Exposée à sa maturité. Parfois, il me faisait peur avec sa façon de parler, d’agir. On aurait dit qu’il n’avait pas de sentiments. Dernière raison, même : je n’avais absolument aucune envie de lire en lui la souffrance dont parlait Blake. Je m’en étais gardée jusqu’à présent, mais qui pouvait dire si l’espace d’un moment une étincelle de douleur passerait ? Je ne voulais rien qui vienne de lui, pas même de la pitié pour lui. Il était pathétique, rien de plus.

- Mais oui. À moins qu’on ne parle de Roméo ou de Léonte, peut-être, je marmonne dans ma barbe.


Suis-je cruelle, comme il le suppose ? Non. C’est seulement que mon rapport à la mort est biaisé par la connaissance que j’ai de l’après. Les âmes ne sont pas perdues. Une mort c’est un renouveau continu. Je ne peux que lui souhaiter. Peut-être que, plus tard, il se réincarnerait en quelque chose de toute à fait sain. Un bout de roche. Bien parfait. De toute façon, il est injuste. Comment pourrait-il me reprocher cette haine alors que lui-même refuse de me considérer sérieusement ? Il comprend parfaitement, je n’en doute pas. Si je souhaite sa mort ? Après tout la mort, dans le tarot, n’est que le changement. Si je le tuerais ? Non. J’espère juste qu’il déménage très loin, si possible grâce à moi. Je saurais vivre avec les remords. Peut-être confond-il l’imaginaire avec la réalité. Après tout il est amoureux d’une adolescente parce qu’elle joue bien Juliette. Ridicule, à mon avis.

Je le regarde s’éloigner sans bouger pendant plusieurs secondes, me ressassant ses dernières paroles. Je suis sous le choc. Ça ne me regarde pas ? D’accord, ce n’est pas moi qui ai dormi dans son lit, je veux bien. Mais oui, ça me regarde. Parce que c’est ma meilleure amie qu’il détruit à petit feu. Il est aveugle s’il ne voit pas quel pilier je fais. Alors il dira ce qu’il veut, je ne l’excuserai pas. Que sa conscience joue le reste, mais moi je me battrai tant qu’il le faudrait pour rendre un semblant de bonheur à Blake. Je m’élance à sa suite, pense saisir son poignet mais arrête mon geste. Je n’avance plus, mais il n’est qu’à quelques pas de moi. Je lance calmement, sans haine, la voix aussi déchargée d’émotions que lui. Je me surprends presque à rester aussi éloignée. Mais s’il n’en a cure, pourquoi ferais-je une crise ?

- Vous n’avez pas le droit de dire ça. On voit bien que ce n’est pas dans vos bras qu’elle pleure tous les jours.

Je ne sais même pas s’il a entendu.

Je n’eus qu’un sourire amusé a sa réponse. Elle n’aimait pas se battre contre plus fort qu’elle, contre quelqu’un qui refusait d’entrer dans son jeu et je le faisais d’une manière qui la coinçait toujours un peu plus, qui l’embourbait dans ses reflexions. Elle ne me regardait jamais réellement en face, c’était marrant. Elle n’avait pas hésité a m’embrasser de force et maintenant, elle n’osait même pas me regarder dans les yeux. Ridicule. Mais quelque part, sans doute cela me soulageait il, aurais je été capable d’affronter son regard ? Rien n’était moins sur. Je ne savais pas ce que Blake lui avait raconté…Sans doute étais je devenu Satan en personne que cela ne m’étonnerait pas vraiment. Mais tout cela me lassait, sans doute trop. Je ne dormais déjà plus beaucoup, passant plus d’heure en salle de boxe que jamais auparavant, déversant ma propre frustration, ma propre colère en tapant sur des sacs, jusqu'à épuisement et alors, je pouvais presque m’endormir sans rêve, sans pensée, juste de la fatigue brute, terrible qui m’abattait d’une seule main. Mais ça, tu t’en fiche mademoiselle Manet.

Alors je me détourne, je m’en vais, la laissant derrière moi. J’entends bien les pas qu’elle fait pour me suivre et sans doute imaginais je un instant le geste qu’elle ferait pour me retenir, après tout, elle n’avait pas fini de déverser son venin si ?

Mais plus que des gestes ce fut ses paroles qui m’arrêtèrent. Me figeant en plein milieu du couloir. Elle pleurait tout les jours disait elle…Sur quoi ? Sur qui ? J’eus un léger rire amer en secouant légèrement la tête avant de faire demi tour, d’attraper le poignet de la petite française pour l’emmener dans ma salle de classe non loin. Je la fis rentrer avant de fermer la porte. Mon livre fit un joli vol plané pour atterrir sur le bureau avant que je ne me plante devant Alice, la dominant de ma taille, posant sur elle un regard aussi furieux que douloureux. Ces filles allaient me faire tourner en bourrique plus surement qu’une bande de hooligans.

« Ecoute moi bien Alice, parce que je ne le répéterais pas. Je ne sais pas ce qu’elle t’a raconté et je m’en fiche, mais ce qu’il s’est passé ou non entre nous ne te regarde pas. C’est entre elle et moi. Tu voudrais quoi ? Que je m’excuse sans doute ? Que je me mette a genoux pour implorer son pardon ? »

Je plongeais mes mains dans mes poches pour m’empêcher de l’empoigner et de la secouer comme un prunier.

« Elle savait ce qu’elle faisait et n’en a pas supporté les conséquences. Elle pleure tu dis ? Pourquoi ? Après tout, n'était ce pas ce qu'elle cherchait ? Seulement je ne suis pas un gamin qu’on manipule tranquillement. Alors ta petite crise, tu peux te la garder. »

Je sifflais plus que je ne criais. Je ne criais jamais, gardant toujours un ton bas mais il n’était pas difficile de sentir ma colère et mon amertume.

Un. Deux. Trois. Quatre. Ça lui aura pris exactement quatre secondes pour comprendre, analyser et se décider à faire demi-tour. Un tout petit moment pour saisir mon poignet – se rendait-il seulement compte de sa force ? J’avais la très nette impression qu’il essayait de broyer mon os. Je doutais cependant que je l’avais énervé à ce point : conclusion, il était soit nerveux, soit très fort. Enfin, pour quelqu’un qui disait s’en foutre, il avait quand même été très rapide pour me trainer aussi rapidement dans sa classe. Qu’est-ce que ça aurait été si cela avait importé, hein ? Je me frottai le poignet en regardant obstinément son épaule droite. Bon dieu. S’il trouvait vraiment que je dépassais les bornes, il n’avait qu’à me planter là dans le corridor. Pas besoin de me barricader dans un placard à balais.

- Mais je n’en ai rien à foutre de vos excuses ! Si vous y tenez, vous pouvez bien lui envoyer des chocolats et des fleurs, demander l’absolution, louer un putain de dirigeable ! Je m’en fiche ! Vous ne comprenez rien !

Fallait dire que je ne me donnais pas la peine de lui expliquer clairement. Le devrais-je ? Je rechignais beaucoup à trahir Blake, mais jusqu’à un certain point…juste le persuader d’arrêter son jeu. Il n’était pas un chevreuil sur le bord d’une autoroute. Il était un traqueur. Sa proie, blessée, était ma meilleure amie.


- Vous me trouvez hypocrite ? Très bien. Moi non plus, je ne répéterai pas. Je vais être très honnête et vous direz ce que vous voulez, ça me regarde dans la mesure où Blake est malheureuse.

Je pris une grande inspiration en portant une main à mon visage, comme lorsqu’on essaie de calmer une migraine qui ne veut pas partir. J’espérais beaucoup que Blake ne m’en voudrait pas pour ce que j’allais dire. Peut-être que oui, mais je ne la laisserais pas s’éloigner. Et peut-être qu’elle allait être contente. Qui sait ? S’il arrêtait d’agir comme il le faisait, peut-être que le poids qu’elle portait serait réduit. Peut-être que ça l’aiderait, oui. Pour la première fois, je portai mes yeux sur son visage, souffrant toujours de le voir si grand, si imposant face à moi. Je mordillai ma lèvre férocement, me décidant enfin sur ce que j’allais faire. Mes yeux coururent de nouveau sur le haut de son torse avant de se fixer sur le mur en face de moi.

- Franchement, qu’elle vous ait embrassé, ce n’est pas le problème. Elle se torturait avec ça, mais ce n’est pas le vrai problème. Ça, je pense qu’elle peut l’assumer. Je pensais comme vous, je pensais que votre bouche la dégoutait à ce point. Mais non. Elle s’en veut de regarder vos yeux et d’y lire une maudite souffrance. Vous avez beau jouer au parfait connard avec toutes vos classes, la seule chose qu’elle voit c’est que vous avez dit que vous alliez oubliez, et que vous ne le pouvez pas. Alors faites-moi le plaisir de ravaler votre maudite fierté ! Blake est une adolescente, vous êtes un adulte. Elle n’a pas à payer parce que vous êtes incapable de faire la part des choses. Elle n’a pas votre maturité. Ça vous va, ou je dois continuer ?

C’était plus difficile de déchiffrer son air que celui de n’importe qui. Son ton restait constant, son visage impassible. Je ne voulais pas regarder ses yeux.

- Et je ne vous ai jamais rien dit !

Pédophile, ajoutai-je dans ma tête pour faire bonne impression.

« Ainsi c’est moi qui ne comprend pas…Et bien qu’attends tu pour t’expliquer Alice ? »

Je contrôlais difficilement mon agacement, voir ma colère. Jamais je n’avais été aussi a fleur de peau que ces derniers temps. Je les sentais, parcourir ma peau, ma chair, rendant l’insignifiant terriblement constant, blessant et ça…Ca juste parce qu’elle m’avait poussé a bout, qu’elle m’avait obligé a redevenir ce que j’étais avant. Pourtant, d’extérieur, rien n’avait changé ou presque, parce que tous me regardait avec des œillères sur les yeux, parce qu’ils n’étaient pas capable de voir ce que je refusais qu’ils voient.

Malheureuse ? Elle était malheureuse ? J’eus envie de rire. D’exploser de rire au visage de sa meilleure amie tant ces mots étaient vides de sens pour moi. Malheureuse ? J’aurais dit, gênée, embarrassée mais pas malheureuse. Mais je la laissais continuer, fermant mon visage comme si une coulée de ciment venait s’imprimer sur mes traits. Figé sans doute. Trop grand, trop imposant.

« Ravaler ma fierté ? Incapable de faire la part des choses ?... »

Rugis je doucement, comme un feulement délicat alors même que la colère explosait dans l’azur de mes iris…

« Qui es tu pour estimer que je suis incapable de faire la part des choses ? Qui es tu pour me dire de ravaler une fierté qu’elle a déjà piétinée ? Tu es QUI Alice, pour prétendre me connaitre ou connaitre mes pensées ? Tu n’es rien. RIEN. Elle ne veut pas voir la douleur dis tu ? Elle n’avait qu’a pas la provoquer. Si je dis que je peux oublier, c’est que je peux le faire…N’est ce pas plutôt qu’elle a peur que j’oublie justement ? Interroge toi. »

Sifflement entrecoupé, presque haletant. Ce n’était pas Alice qui aurait du venir me voir, ce n’était pas elle non. C’était Blake qui aurait du me cracher ces mots au visage, les éructer ou les hurler. Pas Alice.

« Etre mature tu dis ? Ne me fait pas rire veux tu. La maturité n’a plus rien a voir avec tout ça. N’est ce pas plutôt la honte qui la fait pleurer ? Ou peut être la peur de se rendre compte qu’elle joue elle-même avec le feu ? Pose toi les bonnes questions Alice avant de m’abrutir sous des vérités formatées. Elle a voulu voir, contempler qu’elle fasse avec dorénavant. Il est trop tard.»

Peut-être, finalement, que je préférais qu’il fasse son indifférent. La rage contenue, son visage toujours aussi fermé, mais le regard que j’avais effleuré l’espace d’une seconde. Il me terrifiait. Littéralement. Il me semblait dangereux, ainsi. Comme un félin qui était en cage. J’étais certaine que ce n’était que sa peine, pas de la réelle colère. Blake avait raison. Il souffrait. Il ne semblait pas capable de le montrer, alors il devenait ça. J’avais envie de m’enfuir en courant, de hurler comme un enfant. Comment avait-elle fait pour passer la nuit dans sa maison ? On aurait dit que je devenais claustrophobe, juste à être seule avec lui depuis. Quoi ? Deux minutes, maximum.

- Et la douleur que vous, vous avez provoquée, Hartwood ? Avez-vous la mémoire si courte pour ne pas vous souvenir que c’est vous qui l’avez embrassé, en premier ? Ou peut-être que vous aimez mieux rejeter toute la faute sur Blake, parce que c’est tellement plus facile de se convaincre que c’est l’autre le responsable !

Je respire à peine. Dans quel merdier me suis-je fourrée ? Il me semble que j’aurais été bien mieux dans mon cours, à faire une dissertation de bas niveau, plutôt que d’essayer vainement de comprendre un homme aussi compliqué que lui. Mes yeux se remplissent d’eau. Il ne dit rien de spécial, rien de méchant, mais j’ai l’impression d’avoir failli envers Blake. Juste de l’écouter, c’est une trahison en soi.

- Bien sur que ça a à voir avec la maturité ! On dirait deux enfants ! C’est pas moi, c’est lui ! Il a cassé mon jouet. Elle pleure moins bien que moi. C’est tellement difficile d’être le plus adulte de nous trois ? Putain, Blake est une gamine ! Et moi aussi. C’est votre faute. C’est seulement votre faute.

Je me retiens à peine de me boucher les oreilles. Il ment. C’est lui qui ment, pas Blake. Il ne voit pas ce qu’il a fait, mais oui, c’était un viol. Et ma meilleure amie ne peut être tenue responsable. C’est lui, l’autorité. Il est supposé savoir quoi faire.

- Elle pleure, elle a vraiment mal et vous vous en fichez ! Elle a mal et vous… vous…

Je serre les dents, ma main se crispe. Il n’avouera jamais. Ce sera toujours elle qu’il mettra en tord. Pourtant, il doit bien savoir. Il doit bien avoir remarqué à quel point elle est fragile. Elle a joué, elle s’est brûlé les ailes. Mais nous sommes des enfants ! Nous sommes seulement des enfants.

- Vous n’êtes qu’un salaud !

Sans vraiment réfléchir, je le gifle. Fort ? Je ne sais pas. Je suis bien trop horrifiée par ce que je viens de faire pour vraiment réfléchir. Oh merde. Elle est où la porte, déjà ?

C’était comme des pointes chauffées a blanc qu’elle lançait a pleine mains. Je détestais ces mots aussi surement que mes actes en cet instant, elle me poussait a n’être qu’un batard sans sentiments, un mécanisme de défense rôdé depuis tant d’années qu’il devenait automatisme, s’enclenchant dès que la peur, la douleur reprenait ses droits sur moi. Je me sentais ballotté de tout coté et pourtant, jamais mes iris ne déversèrent autant de rage blessée qu’en la minute où elle se tut.

« Ca suffit Alice ! Je sais reconnaitre mes fautes, devant moi-même. Je n’ai nul besoin de les reconnaitre devant toi. Oh oui, tellement blessée qu’elle s’empresse d’embrasser le premier venu pour quoi au juste ? »

Cet épisode était gravé au fer rouge dans ma mémoire, comme une image de cauchemar impalpable et si réelle en même temps. Comme ce que l’on veut fuir sans jamais réussir a la distancer. J’avais commis une erreur et je le savais. Etait ce le déclencheur ? je n’en savais rien.

« Sais tu pourquoi elle l’était ? Juste parce que je lui ai dis que ce n’était rien…Qu’en conclus tu toi qui sait tout ? »

J’avançais d’un pas, la forçant a reculer, reculer encore jusqu'à ce que son dos touche le béton nu du mur.

« Qu’est ce que tu as a a voir la dedans Alice ? t’ais je fait pleurer ? T’ais je…Embrassée ? Peut être que c’est ça après tout…La jalousie…Juste de la jalousie. »

Et cette fois j’explosais, abattant ma main contre le mur, juste a coté de sa tête.

« JE QUOI ? »

J’avais mal, sans doute plus qu’elle, toujours plus qu’elle. Je vivais avec, dormais avec, l’enlaçais parfois lorsque la nuit se faisait trop froide.

Sa gifle me cueille par surprise et, par habitude, ma tête pivote sans que je n’ai réellement mal. Elle frappe avec la force de son petit corps, elle ne peut pas me faire mal et pourtant, un muscle tressaute sur ma joue alors que mes dents se serrent les unes contre les autres, rageusement.

« Une enfant qui joue a des jeux d’adulte… »

Soufflais je tout prêt de son visage, mon haleine retombant sur ses lèvres comme une vague de chaleur. De volcanique, ma colère est devenue glace. Une colère froide, terriblement froide. De celle qui vous clou sur place, vous épingle tel un papillon sur le velours d’un collectionneur.

« Ce dont tu m’accuse, j’aurais pu m’en rendre coupable, tu le sais…Encore endormie, lascive, s’accrochant a mon cou comme si il ne devait plus y avoir de lendemain…J’aurais pu la prendre ainsi, tu le sais pas vrai…L’ais je fait ? »

- Pour vous forcer à admettre que votre ‘’rien’’ était quelque chose ! Que votre foutu baiser avait bien existé !

Elle se sentait perdue, elle avait peur, elle était démunie. Il le savait ! Il devait en avoir conscience. Bien sur qu’il le savait. Sinon, ça n’avait aucun sens. Il l’avait embrassée, il lui avait enlevé Juliette et il disait qu’il ne s’était rien passé. C’était certain qu’elle allait réagir. Elle n’était pas si passive.

Je recule, j’hésite. Mais je ne veux pas le laisser approcher. Il me fiche les jetons. Oh ! Je suis allée trop loin. J’aurais du le laisser me planter en plein milieu du corridor. Ça aurait été mieux. Combien de temps avant que la cloche conne ? Trop. Mon dos heurte le mur froid, un frisson me parcoure.

- Rien, je soulignais seulement à quel point il était ridicule d'attendre de moi que j'agisse normalement alors que vous avez..violé ma copine. Oui, j’ai pleuré ! Vous êtes content ? Mais c’est pour elle que je pleure, vous je n’en ai rien à cirer ! Je ne suis pas jalouse de Blake, je ne le serai jamais, mais comme vous le dites si bien, ça ne vous regarde pas !

Ma tête se tourne vers la main qu’il envoie près de ma tête. Un craquement. Bruit sourd, qui confirme ce que je pensais. Trop loin, bien trop loin. Il faut retrouver le chemin qui mène à la paix, au calme. On dirait qu’il est fou. Comme un meurtrier, comme un homme qui vient de perdre la femme qu’il aime…Un cri de stupeur m’échappe. C’est de la comédie. Sa vie n’est qu’une immense pièce dont il ne possède plus le script.

- Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Merde, elle ne peut pas avoir si mal s’il ne s’est rien passé. Notre cœur ne se brise pas pour un foutu cauchemar… c’est impossible.

Mes yeux se baissent sur son visage si près du mien. Trop près du mien, je dirais. Je sens son haleine effleurer ma peau, je distingue les respirations qu’il prend à la façon dont ses épaules se soulèvent. Une alarme rugit en moi. Ce n’est pas bien.

- Reculez. RECULEZ !

« Ainsi donc elle y porte tant d’importance que ça… »

Mais cela ne calmait pas ma colère pour autant, sans doute même que cela eut l’effet inverse. Je voulais la secouer comme un prunier, elle n’avait pas le droit de m’attaquer par le biais de mon unique faiblesse. Du moins la seule qu’elle pouvait atteindre. Alors oui, je lui fis peur, parce que j’étais plus grand, plus imposant, qu’il émanait de moi ce mélange de douleur et de rage. Un mélange qu’elle ne pouvait pas affronter, en avait elle seulement conscience ?

Le mot « viol » résonna longtemps entre nous avant que je ne heurte violemment le mur derrière elle. Violer…Je me sentais insulté et peut être me dégoutais je en cette seconde d’avoir eu cette envie terrible, atroce de par ce qu’elle représentait. La violer…C’était une pensée choquante, révulsant mais quelque part, si douce.

« Si tu n’en a rien a carré pourquoi me parle tu ? Pourquoi me pose tu toute ses questions auquelles tu sais que tu n’aura pas de réponse ? Imbécile. »

Finalement, je n’y tins plus. Je ne voulais plus la voir, plus jamais. Je voulais devenir sourd au son de sa voix, aveugle a son regard terrifié et pourtant, je poussais mon avantage, faisant grimper les relents de sa peur lentement, subitement. Elle me regardait comme un animal prit au piège et elle l’était. Ce n’est que lorsque le collet se resserre autour de son cou qu’un lapin sait qu’il va mourir. Ma fossette se creusa lentement, indéniablement alors même que je lui répondais par un sourire horriblement satisfait, presque cruel avant de reculer doucement, comme elle me l’intimait. Un mètre, deux sans doute avant de plonger mes mains dans les poches de mon jean, de revêtir ce masque qui est le mien, dissimulant ma colère sous un éclat froid, presque indifférent.

« Va-t-en Alice et ne viens plus jamais me parler d’elle, est ce clair ? »

Assénais je comme un souffle aussi froid que le Nord alors qu’il s’emportait sur les landes. Je ne voulais plus l’entendre.

Il me semblait que si, éthiquement parlant, il en avait eu le droit, ma tête se serait déjà écrasée à quelques reprises contre le mur. Heureusement pour moi, il semblait se souvenir un peu des conventions et respecter le minimum des règles de l’école. Quoi que, pouvais-je en être si certaine ? Après tout, embrasser une élève faisait partie des choses à ne pas faire, et il l’avait fait. J’eus soudain très peur de ce qui allait arriver à ma pauvre tête si je devais rester trop longtemps acculée contre le béton.

Le fait qu’il me dépasse de 10 bons centimètres n’améliorait d’ailleurs pas la sensation que j’avais d’être prise au piège. Pas moyen de l’esquiver. Et peu importe ce que je disais, ça l’énervait toujours un peu plus. Il y avait des gens qui n’arrivaient pas à tolérer la vérité, il fallait croire qu’il en faisait partie. Tout ce que je lui avais dit, c’était vrai. Aucun mensonge, aucune distorsion. C’étaient les paroles mêmes de Blake, les impressions mêmes de Blake. Et il s’en foutait. Ce connard imposant s’en foutait. J’avais envie de pleurer de rage tant c’était injuste. Pourquoi ? Il avait le dessus. Il avait l’expérience. Combien d’élèves déjà avaient essayé de l’attirer dans leurs lits ? La pensée me vint que, même si mon amie déposait une plainte, elle serait sans doute classée comme celles de dizaines d’adolescentes fantasmant sur le jeune professeur.


- Sait-on jamais ? On ne se méfie pas des imbéciles, parfois on est étonnés.

Qu’il me traite de stupide petite gamine si cela lui faisait plaisir. Tant qu’il décollait de là, j’en serais très heureuse ! Et finalement, il le fit. Certes, il a surtout commencé par sourire d’une manière très inquiétante qui me fit mordre mes lèvres de façon assez puissante. Qu’allait-il faire ? M’attacher et me jeter dans la rivière ? M’enfermer à jamais ? Me faire cuire avec son futur repas ? Je déglutis. Finalement, il se contenta d’obtempérer et de reculer, comme je lui avais demandé. À son visage, je pouvais voir que sa colère, bien que réelle, était maintenant dissimulée. C’était peut-être bon pour moi. Peut-être que ça l’empêcherait de me considérer comme un punching-bag. C’était peut-être mauvais aussi. Je n’aurais su dire s’il était calme ou très agité.

- Comme si ce n’était pas lui qui m’avait traînée ici ! Comme si ce n’était pas lui qui m’était tombé dessus dans le couloir, tiens.

J’avais marmonné pour moi-même, me fichant complètement qu’il m’entende. Je me redressai le plus dignement possible, replaçai mes vêtements avec un regard aussi noir que le charbon, mais me demandait quand même s’il était conscient que mon prochain cours était avec lui. Blake, moi et lui dans la même classe. Ben tiens. Qu’est-ce que j’avais hâte que la cloche sonne moi !