C'est la dernière fois qu'on se voit [PV Liam]

J'avais décidé de sécher les cours de lettres pour le restant de l'année et de l'éviter jusqu'à la fin de mes jours. J'aurais voulu raconter ce qui s'était passé à tout le monde, le détruire avec une telle histoire, mais j'avais été incapable d'en parler. Ce n'était pas si facile que ça d'avouer que j'avais été vaincue, et surtout de quelle manière. C'était... humiliant. Affreusement humiliant. Il avait beaucoup trop bien mené sa bataille. Même cette promesse que je lui avais faite en partant, je ne pourrais pas la tenir.

Comment réussir à avouer qu'un professeur vous a embrassée, surtout dans les circonstances qui étaient les nôtres ? J'avais presque l'impression qu'il avait tout orchestré depuis le début. Ce n'était que réactions de sa part qui avaient lancé la suite. Le choix du texte d'abord, puis reprendre ce jeu auquel il savait que je me laisserais prendre puis... cet effleurement. Je souffrais encore de la douceur déchirante que j'avais ressentie sur mes lèvres à cet instant, si contrastée avec le violent baiser qu'il m'avait forcée à accepter juste après. Et donc, je n'avais pas réussi à parler.

Impossible. Strictement impossible. La honte que j'avais ressentie au premier abord m'avait rattrapée. Et je n'avais rien dit, rien fait, et décidé que c'était très bien ainsi. Alors oui, il avait gagné. Si rapidement. Si facilement.

Et le pire, c'était qu'il allait pouvoir l'afficher pleinement. Puisque j'étais partie si vite que j'avais oublié ma veste et mon sac. Je n'avais pas le choix ; j'étais bien obligée d'aller lui demander. Je savais où le trouver, je commençais par un cours de lettres le lundi et il nous attendait dans la salle de cours. J'avais hésité à venir le voir avant, mais comme d'habitude je m'étais réveillée excessivement tôt, et finalement je m'étais décidée à y aller pour que nous soyons seul à seule. Une perspective qui me terrifiait, mais je m'étais finalement dit que je n'avais pas très envie de supporter les questions du style « Mais comment t'as réussi à oublier ton sac en colle ? » Très peu pour moi. Finalement, la confrontation serait peut-être moins gênante si nous ne serions pas en public. Au moins ne me la rappellerait-on pas tout le temps.

Pour la première fois depuis très longtemps, je frappai avant d'entrer dans la salle de classe. Le revoir accéléra immédiatement les battements de mon cœur, alors que je me crispais et me déportais presque involontairement sur la gauche, m'éloignant spontanément de lui. J'avais le regard frondeur, pourtant je n'étais absolument pas fière.

- Je viens récupérer mes affaires, marmonnai-je.

J'aurais souhaité avoir une voix plus ferme. Je ne voulais surtout pas qu'il sache que je m'étais finalement décidée à ne rien faire.

Mon café me brule les doigts et honnêtement, je m’en moque très largement. J’ai mal dormit. Une nuit de plus qui se résume a quelques heures seulement. A ce rythme, je ne pourrais bientôt plus déchiffrer les pattes de mouches de Lucy Bridley…

Je porte le gobelet fumant a mes lèvres tandis que mon regard parcourt la copie en question. Pourquoi mettait elle des petits cœurs sur ses « i » ? C’était un mystère pour moi mais je détestais ça. Je soupirais lourdement en laissant retomber la main qui tenait la copie et plante mes yeux sur le plafond aussi terne et froid que pouvait l’être le temps. Penser a ça fait dévier mon regard sur les fenêtres. Il est encore tôt mon court ne commence que dans une demi heure…Je suis fatigué.

Elle avait encore manqué les cours. C’était un constat presque amer et en même temps jouissif dans un sens. J’avais semble-t-il réussit au-delà de toute espérance, alors pourquoi ce gout de bile constamment au fond de la gorge ? Avais je eut peur de ses menaces ? Non pas vraiment et pourtant, j’avais attendu des échos quelconque et…rien. Etrange dans un sens. Un coin de mes lèvres se retroussa avec une sorte de résignation absente. Après tout, je l’avais bien cherché n’est ce pas ?

Un léger coup frappé a la porte me tira de mes pensées et pourtant mon regard ne se détourna pas de la fenêtre. Non, pas avant d’avoir entendu sa voix. Au son, je savais déjà l’air qu’elle allait arborer. Celui de la rebelle qui ne s’en laisse pas compter. Une étincelle farouche brulant sa rétine. Finalement, je daigne la regarder. Froid. Indifférent. J’ai déjà oublié, je veux avoir déjà oublié, je DOIS avoir déjà oublié. Mensonge. Mais qu’importe, je ne suis pas obligé d’y croire, elle si.

« Tes affaires ? »

Je me redressais sur ma chaise avant de me lever. Mains dans les poches, je marchais jusqu’au fond de la classe, en direction des placards qui s’alignaient en ordre spartiate contre le mur. Quelque seconde après, ma main empoigna l’anse d’un sac.

« Ca ? »

Ajoutais je en le lui montrant. Je me demande si elle sera capable de m’approcher sans trembler…Certainement que non. Alors si je sais d’avance la réponse pourquoi ne me contenterais je pas de le lui balancer a la figure ? Etrange paradoxe.

Je sursautai lorsqu'il se leva et reculai instantanément - malheureusement j'étais déjà pratiquement collée au mur, si bien que cela ne servit pas à grand-chose. Décalage sur la droite cette fois-ci, alors qu'il traversait la pièce. Je frissonnai lorsqu'il passa au plus près de moi, alors même que deux rangées de table nous séparaient. Il ouvrit l'un des placards et prit mon sac qu'il me tendit. Oh seigneur. Risquer ne serait-ce que de l'effleurer me liquéfiait. Je l'avais toujours haï. Jamais je n'avais songé qu'un jour la peur prendrait le pas sur la haine, parce que jamais je n'avais eu peur de lui. Et c'était une nouveauté qui ne me plaisait absolument pas.

- Et ma veste, murmurai-je, les yeux rivés sur mon sac pour échapper à son regard d'acier.

J'espérais gagner un peu de temps, mais cela ne marcha guère qu'une ou deux secondes. Il faudrait bien que je vienne le prendre à un moment ou à un autre. C'était stupide. Que craignais-je, au fond ? Qu'il m'attrape le poignet et me viole sur une table ? Ridicule. Le pas lourd, je finis enfin par m'approcher de lui avant de lui prendre l'anse des mains.

Je retirai mon bras aussi rapidement que si je venais de me prendre une poignée de châtaigne au moment où mes doigts effleurèrent les siens. Puis je commis l'erreur fatale : machinalement, je remontai mon regard sur son visage et je me heurtai à ses yeux bleu glace.

Je reculai spontanément d'un pas en arrière. Ma fausse expression de fureur que j'avais déjà eu bien du mal à maintenir jusque là s'évanouit soudainement, remplacée par le trouble et la peur. Je baissai immédiatement la tête en priant pour qu'il n'ait rien vu. Il aurait fallu qu'il soit aveugle pour cela. Pourquoi ne savais-je pas jouer la comédie dans la vie réelle ?

En fait si, je savais parfaitement jouer la comédie, peu importait dans quelles circonstances. Mais comment y arriver lorsqu'on est transi de terreur à l'idée de ce que l'autre peut nous faire ?

- M-merci, balbutiai-je.

Je reculai vivement, atteignant la porte en deux bonds. Je n'avais plus qu'une envie, c'était partir d'ici.

« Ta veste oui. »

Je me retourne encore une fois pour prendre la dite veste. Durant quelques secondes, mes doigts se crispent sur le tissus et un muscle incontrolable s’agite sur ma joue. Je retins un soupir avant de pivoter sur mes talons, la veste entre mes doigts et pourtant, je ne la lui tend pas. Elle s’est approchée aussi vite qu’elle a fuit.

« Je te fais peur Blake ? »

Question rhétorique, bien sur que je lui faisais peur. Ca se voyait dans ses yeux, dans son attitude d’animal apeuré…C’était ce que j’avais rechercher quelque part, alors pourquoi cela me dérangeait a ce point ? Qu’elle ait peur de moi était une bonne chose n’est ce pas ? Je savais qu’elle avait un problème avec les hommes…Lequel ? Je n’en avais aucune idée, bien que son dossier scolaire soit assez complet, il y avait certaines choses qui pouvaient toujours nous échapper a nous, enseignant. Seulement j’avais dépassé le stade de l’enseignement avec elle, une belle erreur pour ma propre sauvegarde. Peut être aurais je dut agir autrement…

« Tu ne viens plus en cours. Tu n’es pas sans savoir que c’est une obligation si tu veux réussir ton année, alors arrête de faire l’enfant. »

Helàs, je savais pourquoi elle m’évitait comme la peste et, malgré moi, la culpabilité me prit a la gorge, je ne savais pas vraiment ce qu’il m’avait prit…Enfin si, je le savais, mais les regrets avaient un gout terriblement amer.

« Tu accorde beaucoup trop d’importance a rien du tout. Ca ne se reproduira pas, tu peux être tranquille, pour ma part, c’est déjà oublié. »

Assurais je alors même que je mentais, parce que je n’arrivais pas a oublier, c’était comme ça, ça me hantait la nuit et parfois, ma joue me cuisait encore terriblement.

La tension qui vibrait dans la pièce était insupportable, enfin elle l'aurait été pour n'importe qui, mais évidemment, lui, comme d'habitude, il n'en avait rien à faire. J'avais l'impression de ressentir ce qu'il aurait dû éprouver. Si bien que j'étais deux fois plus sur les nerfs que la normale, alors que pour lui, tout allait bien. C'était tellement injuste ! Il y avait vraiment des moments où j'aurais vendu mon âme pour ne plus être hyperactive et hypersensible.

Sa voix me rappela à lui, et, me retenant de pousser un profond soupir, je parvins je ne sais trop comment à me rapprocher de lui une seconde fois. Je tendis vaguement la main, mais mes doigts restèrent en suspension à mi-chemin. De toute façon, son bras était resté le long du corps. Sa phrase me fit sursauter et je lui jetai un regard apeuré.

- Non, murmurai-je.

Jamais je n'avais menti aussi ouvertement. Finalement, les mots que j'avais prononcés n'avaient aucune importance, j'aurais pu dire n'importe quoi qu'un homme sourd et aveugle aurait compris mon acquiescement. Bien sûr que j'avais peur de lui. C'était la première fois que j'avais vraiment peur de quelqu'un, et c'était une sensation que je détestais. C'était tellement angoissant que je n'arrivais même plus à le haïr pour ça. C'était un sentiment si faible !

- Je n'en ai rien à faire de mon année. Je ne veux plus vous voir.

Je remerciai intérieurement ma voix d'avoir réussi à dire cette phrase d'un ton un peu plus ferme et menaçant. Donne-moi cette foutue veste et laisse-moi partir. Laisse-moi partir. Laisse-moi partir. Mes yeux s'assombrissaient sous ma peine et ma colère. Mais étais-je en colère contre lui ou contre moi ?

Et puis je suffoquai.

Mes prunelles vertes s'agrandirent, choquées, se posant de nouveau sur son maudit masque impassible. J'étais tellement ahurie que j'en étais bouche bée. Rien du tout ? RIEN DU TOUT ? Oh seigneur, mais dans quel monde vivait-il ? Comment voulait-il que j'oublie une chose pareille ? Comment pouvait-il croire que j'avais la moindre raison de lui faire confiance ? Mes poings se crispèrent, mes jointures blanchirent, mais je ne pouvais rien lui faire. Non, la peur sourdait encore au fond de moi, même si elle était reléguée à l'arrière-plan pour l'instant. A défaut de mieux, je frappai la table à côté de moi d'un coup de poing fracassant.

- Comment osez-vous dire que ce n'est rien du tout ? Vous m'avez embrassée ! Vous m'avez forcée ! Vous êtes majeur, vous êtes mon professeur, je ne vous supporte pas, dois-je continuer à lister les raisons qui font que jamais vous n'auriez dû faire ça, que vous n'en avez absolument pas le droit, que je ne pourrai jamais oublier une chose pareille ? Je ne peux pas être tranquille alors que vous m'avez... vous m'avez... vous m'avez violée ! Et sérieusement, laissez-moi vous dire que si VOUS, vous avez oublié, c'est que vous êtes complètement dérangé !

Je pris une inspiration brutale et fermai les yeux pour ne plus voir son visage si haïssable. Je regrettais déjà de lui avoir dit tout cela. mais cela faisait déjà trop longtemps que cela bouillonnait en moi. De toute façon, était-il vraiment possible d'aggraver ma situation désormais ?

« Tu mens très mal, Blake. »

Observais je avec un sourire plus résigner que moqueur. Pourtant, j’avais eu envie qu’il le soit. Je poussais un lourd soupir avant de lui faire une morale a laquelle je ne croyais même pas. Je m’accrochais a ce rôle d’enseignant que j’étais sensé avoir. J’avais 29 ans, elle a peine 17…j’étais son prof, il fallait que ça reste ainsi et bizarrement, je me pris a rêver avoir 10 ans de moins, une autre vie que celle que j’ai eu. Espoir idiot quand on y pense mais voilà, cela ne pouvait pas s’empêcher de titiller ma conscience.

« Si tu loupe ton année, tu m’auras l’année prochaine, ne serait ce pas un peu contradictoire ? Tu ne m’as pas habitué a la fuite. »

C’était vrai, d’ordinaire, elle se battait pied à pied, bec et ongle pour avoir raison, pour s’imposer, pour me faire vivre mille tourments et là…Là, je ne la reconnaissais plus. Cette fragilité, je n’avais fait que l’entrevoir mais là, elle m’explosait en pleine face…

Je ne m’attendais pas a sa colère, en fait, j’avais espéré du soulagement. Son coup de poing sur la table faillit me faire sursauter, comme un enfant prit en faut et je me pris ses mots violents en pleine tête, attisant encore plus mon sentiment d’erreur.

En deux pas, je fus sur elle, seule une table nous séparait, mes paumes se posèrent sur la surface de bois avec une violence mal retenue et je n’hésitais pas a plonger mes yeux dans les siens, brillants de colère, de peur aussi. Je la terrifiais et ces mots ne cessaient de tourner dans mon esprit. Et soudain, ma colère retomba devant une évidence que je n’avais jamais envisagée. Ce pourrait il que…

« Blake…Tu as été violée ? »

La douceur c’était invitée dans ma voix, ce n’était pas de la compassion ou de la pitié qui brillait dans mes yeux, mais juste une espèce d’incompréhension, un trouble certain en comprenant soudain les implications de mon geste fou. Pas étonnant qu’elle m’évite, qu’elle tremble de peur devant moi…Je l’avais blessée bien plus que je ne me l’étais imaginé…

Oh non, oh non, oh non ! Est-ce que j'avais encore été trop loin ? Un léger cri m'échappa lorsqu'il s'avança vers moi, le regard furieux, et j'aurais reculé d'autant si je ne m'étais pas heurtée à une table. Je croisai mes bras sur ma poitrine, mes cheveux retombant sur mes yeux, masquant mon visage. Et puis d'un seul coup, une question qui me surprit de nouveau, et qui calma ma terreur de sa colère. Surtout que pour la première fois depuis des mois, il venait de m'adresser la parole avec une voix... Je ne sais pas. En tout cas, il n'était plus agressif, ni même seulement indifférent. J'aurais presque cru qu'il s'inquiétait pour moi, si je n'avais pas pensé que c'était impossible. Pourtant, non, ce n'était pas le cas.

- Non ! m'écriai-je sans doute un peu trop vite. Je ne... Non, ce n'est pas ça...

Ça n'avait rien à voir avec ça. Mais brusquement, sa question me faisait me sentir stupide, puérile. Pourquoi, au fond, avais-je un tel problème avec les garçons ? J'avais déjà été amoureuse, et par deux fois j'avais gâché une histoire qui aurait pu très bien se dérouler. Pourquoi, pourquoi ?

A cause de mon père. J'avais beaucoup trop souffert de son absence durant mon enfance, au fond, je crois que j'en souffrais encore maintenant. Était-ce vraiment normal de pleurer à chaque fois que l'on se réinscrit à l'école en septembre, parce que l'on marque la mention « inconnu » dans la case réservée au père, avant de rayer d'un crayon rageur toutes les autres catégories ? Je le détestais, que dis-je, je le haïssais plus que je ne pourrais jamais haïr Hartwood, mais au fond, j'aurais tellement désiré qu'il soit là... Le masculin était un genre absent de ma vie, et je n'avais pas réussi à l'y inviter. J'avais trop peur de subir le même abandon que ma mère, de connaître la même vie infernale qu'elle menait pour réussir à s'occuper de sa fille hyperactive. Je m'étais sentie tellement coupable quand j'étais petite... sans jamais pour autant parvenir à cesser mes bêtises. J'avais cristallisé tous les reproches à mon encontre en une guerre contre ce père absent et invisible, et plus généralement contre tous les garçons qui m'entouraient. Car au fond, rien ne me disait qu'ils ne pouvaient pas du jour au lendemain faire exactement la même chose que mon cher géniteur.

M'abandonner.

Mais cela semblait une explication impossible à dire à haute voix. Dire que l'on ne supportait pas le contact des hommes simplement parce que l'on n'avait pas de père, c'était étrange, bizarre, incompréhensible. Je n'avais pas envie de paraître ridicule, en plus, je n'avais jamais avoué cela à personne et il était bien la dernière personne à qui j'avais envie de me confier.

- De toute façon, ça ne vous regarde pas, rétorquai-je, toujours repliée sur moi-même. Est-ce que je vous pose des questions sur votre vie privée, moi ?

Qu’elle nie avec vigueur ne m’étonna pas vraiment. Quelle victime de viol l’avouerait tranquillement ? Personne. Du moins, aucune femme. J’avais frôlé les cercles noirs et vicieux du monde mais je crois que jamais je n’irais prendre une femme de force…Et pourtant, je pouvais comprendre ceux qui le faisait par amour. Un amour perverti, trop puissant pour être contenu. Quand le cœur déborde que reste-t-il ? Qu’on ai l’impression d’étouffer, de mourir…Pourquoi connaissais je soudainement ces sentiments trop destructeurs ?

« Blake…Si tu ne veux rien dire c’est ton droit. »

Admis je en priant le ciel pour qu’elle ne le fasse pas. Serais je capable de supporter ce récit ? J’avais de très gros doute. Non, je ne pourrais pas imaginer son corps profané, la violence…l’humiliation…Sinon, je risquais de basculer dans la rage brute, pure et de ne plus pouvoir m’arrêter.

« Alors écoute moi bien, parce que je ne me répéterais pas ok ? »

Je pris une grande inspiration. C’était une phrase que j’avais rarement dite, mais pour elle, je le ferais. J’étais pathétique en fait d’un certain point de vue. S’avouer que l’ion crève d’amour pour une gamine, c’était se dire que l’on tournait pas rond du tout. Elle était trop jeune pour moi, beaucoup trop et pourtant, je me souvenais encore de son sourire lorsqu’elle avait 15 ans.

« Je suis désolé. »

Voilà, c’était dit. Et comme je l’avais prévenu, je ne le répéterais pas. Une partie de moi s’en voulait de ce baiser imposé, une autre jubilait d’avoir enfin pu gouter ses lèvres. J’étais tordu en fait, elle avait raison. Terriblement raison. Je pouvais toujours essayer de tuer dans l’œuf ce qui me torturait mais n’était ce pas ce que j’essayais de faire depuis deux ans ?

« Cependant, si tu veux parler, je ne jugerais pas, après tout, je serais mal placé pour le faire. »

Un léger sourire creusa doucement la fossette de ma joue. J’aurais aimé qu’elle me pose des questions sur moi, sans doute pour cultiver l’attention que je m’imaginais qu’elle me portait. Idiot. Je l’ai toujours su que j’étais un idiot mais aujourd’hui, c’était clairement flagrant.

Je grimaçai lorsqu'il me répondit. J'avais compris que mes dénégations étaient venues un peu trop rapidement pour qu'il me croie, pourtant c'était la vérité, mais qu'il croie cela était compréhensible, au fond, lorsqu'on regardait les circonstances. Monsieur l'insensible n'avait visiblement pas compris à quel point il m'avait heurtée l'autre jour, et la lumière était en train de se faire dans son esprit. C'était déjà un gros progrès, et peu importait que ce ne soit pas pour les bonnes raisons.

Je fronçai les sourcils lorsqu'il prit une profonde inspiration. Je croyais deviner ce qu'il allait dire et ça me paraissait un peu trop gros. Trop facile surtout. Qu'est-ce qui avait changé ? Tout avait été bouleversé. Je n'arrivais plus vraiment à le rejeter aussi facilement qu'avant, parce que sa brusque conciliation m'avait totalement fait perdre pied. On s'habitue vite à la cruauté. Je ne savais pas trop si j'aimais ça, ça me déstabilisait.

Si bien que quand il s'excusa, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire.

J'en avais presque les larmes aux yeux. Je riais en ayant conscience qu'il risquait fort de m'en vouloir pour ça, mais c'était plus fort que moi. C'était juste trop gros. Si je l'avais filmé, ça aurait sans doute fait la une du blog du lycée. Respirant profondément, je m'efforçai de me calmer et soupirai, un grand sourire aux lèvres, encore tout essoufflée :

- Désolée. Vraiment désolée. C'est juste que... Enfin, c'est assez miraculeux. Mais merci, repris-je soudain avec un peu plus de sérieux.

C'était la moindre des choses tout de même. Et puis je me rendis compte soudain qu'il s'était peut-être aussi excusé à cause d'une idée fausse. Ça m'ennuyait profondément, c'était compliqué à expliquer, ça me prendrait des heures à le faire comprendre à cet homme glacial, mais je pouvais faire un effort après celui qu'il venait de fournir. Mon regard glissa alors sur sa fossette et je dis spontanément, sans même y avoir réfléchi :

- Si vous me dites comment vous avez eu cette cicatrice, je vous dis d'où vient ma réaction que vous aviez l'air de trouver disproportionnée. Je ne me suis pas fait violer. Je vous assure. Sinon, ça aurait certainement été bien pire. A vous de choisir.

Si ça se trouve, il s'était écorché sur un barbelé quand il était gosse et j'avais perdu une belle occasion de me taire. Si c'était ça, ça briserait le mythe, mais tant pis, peu m'importait, je prenais le risque et de toute façon c'était trop tard.

Son rire me déstabilisa et je reculais de deux pas. J’avais fait un pas énorme en m’excusant, j’avais sciemment laisser une faille se voir et elle…riait. Je ne savais pas si je devais en concevoir de la colère ou de l’amusement. J’aurais préféré de la colère. Mais même pas. En fait, j’aimais son rire, sarcastique, narquois ou naturel. Je l’avais toujours aimé. Je me passais une main nerveuse dans les cheveux avant que mon geste ne s’immobilise soudainement a sa question.

Incrédule, je la regardais quelques secondes sans rien dire. Ses cheveux qui lui tombaient devant les yeux, ce sourire qui se voulait tremblant. Elle n’avait pas le droit de me faire ça ! Je reculais encore d’un pas. Je voulais désespérément retrouver mon air impassible, froid. Celui d’un robot comme on me surnommais parfois. Elle n’avait pas le droit de me faire ça ! La surprise se lu dans mon regard qui perdit sa carapace de granit…

« Miraculeux…Mmmh… »

Mais je ne dis rien de plus, détournant les yeux sur le vide qui œuvrait devant moi. Que je m’excuse semblait l’avoir surprise et pourtant, ce la m’arrivait. Pas souvent mais cela était. J’allais me détourner lorsque son marché me parvint. Aussitôt, je plantais mon regard sur son visage, incompréhensif tout d’abord, surpris par la suite, amusé pour finir…Je me demandais ce qu’elle s’imaginait.

« Je n’ose même pas imaginer ce que tu es en train de penser…Enfin, je suppose que je peux faire ça. »

Je croisais les bras sur ma poitrine, une étincelle amusée au fond des yeux, je ne pouvais pas m’en empêcher d’ailleurs. Mais a quoi je jouais ?!

« C’est un coup de couteau…Pas très fair play d’ailleurs. Tu crois que j’ai grandis dans une famille aimante et soudée ? Désolé, mais cette cicatrice me vient de mon dernier combat de rue. »

C’était abrupt, sans doute un peu trop d’ailleurs. Machinalement, mon index suivait les lignes de cette fine cicatrice. Je n’avais jamais assez remercier le medecin qui m’avait recousu. Cette blessure aurait pu me défigurer a vie, mais au lieu de cela, elle devenait le centre des fantasmes des midinettes de mon lycée…

« Satisfaite ? »

En réalité je ne m'imaginais rien. Bon nombre de filles - et quelques garçons rivalisant d'hypothèses pour le descendre en flammes - crevaient d'envie de savoir ce qui s'était réellement passé et y réfléchissaient certainement bien plus qu'à leurs devoirs de lettres d'ailleurs. Moi, ça ne m'avait jamais vraiment intéressée, même avant toute cette histoire d'ailleurs, même avant Juliette. Ça pouvait être tout et n'importe quoi et si les gens tenaient absolument à savoir, ils n'avaient qu'à aller lui poser la question. Finalement, c'était celle qui s'en fichait qui avait sauté le pas. Débordant de logique, mais je n'avais jamais aimé la logique de toute façon.

Mes yeux devinrent grands comme des soucoupes à son résumé. Je fermai la bouche lorsque je réalisai qu'elle s'était ouverte sous le coup de la surprise, et me contentai d'émettre un :

- Ah.

Je fronçai les sourcils. J'essayais de l'imaginer en train de se battre, mais je n'y arrivais pas tellement. Trop sévère, trop froid, trop classe, trop... ben, trop prof, quoi ! C'était assez fort comme révélation. J'aurais été la dernière à imaginer une chose pareille.

- Ah oui, quand même ! Rien que ça ! Je ne savais pas que ceux qui faisaient des combats de rue pouvaient devenir prof. Pas mal. Je crois que le marché n'est pas très valable, moi je n'ai rien d'aussi intéressant ou surprenant.

Mes jointures se crispèrent. Pour n'importe qui d'extérieur, ce serait banal, des mères solitaires il y en avait quantité de nos jours. Mais au moment même où je prononçais ces mots, je me rendais compte qu'ils me blessaient, car ce rien d'intéressant était ce qui m'avait tout entière façonnée et forgée et fait souffrir. Je cherchais comment lui expliquer sans avoir l'air ridicule ou sotte. Ça faisait tellement puéril, décidément...

- Mon père a abandonné ma mère quand il a su qu'elle était enceinte.

Autant commencer par le commencement.

- Elle a dû m'élever seule, et elle en a vraiment souffert. Je ne savais pas canaliser mon hyperactivité quand j'étais petite. Vivre avec moi, c'était un calvaire permanent. Imaginez-moi comme dans vos cours en dix fois pire.

J'exagérais à peine. Mon enfance avait été un véritable enfer pour toutes les deux.

- Je l'ai vue gâcher sa vie pour moi, à cause de moi. Mais si mon père était resté, ce ne serait pas arrivé. Et j'ai peur qu'il ne m'arrive la même chose. J'ai peur qu'un homme me séduise pour m'abandonner ensuite. Comme mon père l'a fait.

Ma mâchoire était crispée, mes yeux ombrés de colère et de haine comme à chaque fois que je pensais à cela. C'était la toute première fois que je l'avouais à quelqu'un. Mon regard était déporté quelque part au dessus de son épaule droite, je n'osais le regarder réellement après cela. Je croisai de nouveau les bras sur moi, pathétique armure face au monde qui m'entourait.

Son « Ah » incrédule amena un franc sourire sur mon visage. De ceux que je distribue rarement et qui restent inconscients. Il mourut lorsque je m’en rendu compte pour devenir plus moqueur.

Je haussais une épaule désinvolte lorsqu’elle y alla de son petit commentaire. Bizarrement, je ne sais pas si je devais me sentir fier de mon passé ou pas. Tout dépendrait peut être d’elle au final.

« Mmmh…Sans doute, c’est un milieu dont on ne sort pas facilement. »

Mais je n’irais pas plus loin. Je ne lui parlerais pas de mes errances dans les rues. De la tentation presque constante de s’oublier dans le paradis artificiel de la drogue. J’avais été tenté, très, de me perdre dans ces chimères, mais si la rue m’avait apprit quelque chose, c’était bien la volonté et ça, je n’en manquais pas.

« C’est intéressant pour moi. »

Continuais je avec un ton particulier qui la perdrait en conjoncture. Etait ce le prof ou l’homme qui venait de parler ? Bien malin qui pourrait le deviner. Mais j’étais avide de savoir, de grappiller peut être un peu plus de ce qu’elle me refusait si obstinément. Alors je m’installais au bord du bureau. J’étais tendu a me rompre, pourrais je supporter son récit ? Mes muscles me faisaient mal et l’envie de lui dire de se taire faillit me déchirer la gorge et pourtant, mon visage se voulait juste amical, interessé mais ne laissait rien paraitre de cette faim de savoir.

Je dois dire que je m’attendais a tout sauf a ça. Je savais qu’elle n’avait pas de père puisque rien n’était mentionné dans son dossier a ce sujet, mais je n’avais jamais imaginé l’ampleur de la blessure qu’elle en avait conçu. Un nouveau pan d’elle se levait et je ne savais pas vraiment si c’était ce que je voulais. C’était comme faire un pas de plus au bord du précipice, a quand le grand saut ?

« Je vois. »

Ma paume vint frotter ma joue dans un mouvement lent et absent. Je pouvais répondre ? Sa haine si évidente. Sa colère. La douleur aussi, même si elle faisait tout pour que rien ne se voit…

« Je ne suis pas ton père, Blake. »

Je ne sais pas si elle pouvait deviner ce qui se cachait derrière ces simples mots. Ils étaient évidents et en même temps si emplit de double sens qu’il était difficile d’en comprendre l’essence. Ma bouche s’incurva légèrement tandis que je secouais la tête. Je crois que je m’étais fait avoir.

Je ne suis pas ton père.

Qu'est-ce que ça voulait dire, ça, qu'il n'était pas mon père ?

Un œil interrogateur se posa sur lui. Je détestais ses phrases ambiguës, sibyllines, ses provocations dont j'ignorais toujours si elles en étaient ou pas. Je ne savais plus quoi lui répondre. J'étais gênée, soudain, de lui avoir révélé tout cela. Je ne comprenais même pas comment nous avions pu en arriver là. Il paraît que dans la haine, on peut s'avouer beaucoup de choses. Mais là, ce n'était pas dans le cadre de notre querelle permanente que nous nous étions confiés ces secrets. Une bulle soudaine d'intimité nous entourait et nous rapprochait. Je détestais ça. Ce n'était pas normal. C'était malsain. Désagréable.

Alors oui, qu'est-ce que ça voulait dire ? Qu'il ne m'abandonnerait pas ? Je n'étais rien pour lui. Quel intérêt alors de me dire cela ? De la colère remontait déjà en moi. Je détestais ne pas comprendre, et lui, je ne l'avais jamais compris. D'où lui venait cet intérêt soudain pour ma petite personne ? Au fond, inconsciemment, j'avais compris. J'avais compris que j'étais tout sauf rien pour lui. Mais comment réussir à admettre réellement cela ? Pour l'instant, j'avais juste envie de le faire taire. Je ne voulais plus de cette... compassion ? Quelque chose comme ça. Ce foutu sentiment qui émanait de lui à mon égard.

Tout ce que je ne lui avais jamais réellement dit jaillit alors de mes lèvres, sans que je puisse le contrôler. Vraiment. Je crois que si j'avais eu le temps de réfléchir ne serait-ce que trois secondes, je me serais contentée de partir et de m'en tenir à ma solution initiale pour ne plus jamais ressentir cette gêne face à lui. Mais c'était déjà trop tard.

- Pourtant, vous m'avez abandonnée aussi !

La voix était violente, le ton agressif. Je marchai brutalement vers lui, toute peur envolée. Je ne crois pas que je pouvais encore avoir peur de lui, pas avec ce qui s'était passé aujourd'hui.

- Vous m'avez abandonnée en me retirant ce rôle ! Et pourtant, je parie que vous vous êtes toujours dit que je n'étais qu'une petite idiote pour réagir aussi excessivement ! Vous faites semblant de comprendre mais vous ne comprenez RIEN, vous ne pourrez jamais me comprendre !

Alors que j'arrivais en face de lui, je me retournai et plaquai mon dos contre sa poitrine. Je pris ses mains dans les miennes pour les placer sur mes bras, exactement comme nous étions lorsque, pour la première fois, j'avais réussi à réellement devenir Juliette. Le contact n'avait plus aucune importance, nous n'étions présentement qu'un souvenir. Un souvenir qui déjà rendait mon souffle court. Je balbutiai, soudain la voix plus faible :

- Juliette a toujours été en moi, depuis le début. Mais je n'arrivais pas à la faire vivre. Vous m'avez forcée à rester immobile, comme ça. J'ai réussi à ressentir pleinement toutes ses émotions à ce moment. Grâce à vous. Vous étiez trop proche de moi pour ne pas faire intrinsèquement partie de mes émotions à ce moment !

Je ne savais plus ce que j'avais ressenti, en plus des tourments de Juliette. De la fierté mêlée de reconnaissance, surtout, un cocktail de sentiments qui m'avait figée et rendue incapable de faire le premier mouvement. Puis... Simplement de la déception. Une immense déception quand il s'était finalement détaché de moi pour me dire d'une voix froide que l'on s'arrêterait là pour aujourd'hui.

- Je vous étais tellement reconnaissante pour avoir réussi à me faire vivre ça... murmurai-je. Mais ça n'a été que pour mieux me l'enlever après. Vous m'avez fait connaître un pur bonheur pour me planter ensuite un couteau dans le cœur. Sans raison. Pourquoi avez-vous fait ça ? Est-ce que ce n'est pas un abandon, ça ?

Je tremblais de rage entre ses mains aujourd'hui, comme j'avais tremblé d'amour autrefois. Et au même instant, je ressentais encore, profondément, la blessure qu'il m'avait infligée il y a si longtemps déjà. Dont je me souvenais comme si ça s'était passé hier.

Je ne m'attendais certainement pas a cette réponse pleine de hargne et de colère. Avais je pris l'images de son père quelque part ? Cette idée était aussi révulsante qu'étrangement attirante, voir rassurante. Peut être ne deviendrait elle plus cette tentation trop sulfureuse si je pouvais me voir en reflet paternel dans ses yeux. Oui, me voir comme un homme était dangereux et m'intriguait assez, trop sans doute. Me voir innocent et presque confiant dans ses iris saurait entraver ce qui m'agitait quand je la regardais.

Elle a bougé trop vite, moi encore stupéfié par ce cri qui avait heurté mes tympans. Je n'ai pas compris tout de suite, mais mon corps, ma peau a sut avant même ma conscience. Elle me faisait revivre cette instant entre nous voilà deux ans maintenant. Deux ans a tenter d'effacer un souvenir qui ne le voulait pas. Deux ans d'amertume et de question qui ne cessaient de me hanter aux heures les plus creuses de la nuit. Avais je été sain d'esprit un jour ? Plus le temps avançait moins j'en doutais. Devenais je lentement mais surement l'hote le plus chaleureux de la folie humaine ?

Mon souffle se bloque lamentablement et j'ai l'impression de me noyer alors même que mes bras se referment presque d'eux même, comme si ils n'avaient attendus que ce signal, que ce soupir pour agir et m'échapper. J'aimerais que mes mains restent de pierre, inertes et sans vie, mais peut être est ce trop demander. Comme animées d'une vie propre, elles se crispent sur la toile de son pull, comme résistant a l'appel de son ventre, soumises a l'étreinte de ses doigts sur mes poignets. J'aimerais reculer, garder cette distance qui me permettrait de respirer, d'avaler l'air goulûment pour me défaire du parfum qui m'envahit les narines. Contre mon menton, la douceur de ses cheveux.

Je voulais la lâcher. Je voulais qu’elle me lâche. Je voulais la faire taire, je voulais l’entendre encore me parler, même si c’était pour m’injurier. Je cherche l’issue, le moyen de lui échapper, de m’éloigner mais je sais déjà que je ne trouverais rien…Rien…

Elle n’avait jamais compris pourquoi je le lui avais refusé et jamais je ne pourrais le lui dire. Alors je ne peux que mentir, que tricher, qu’oublier cette morsure atroce qui m’avait étreint quand je l’avais imaginée, amoureuse, passionnée…dans les bras d’un autre. Elle avait raison, elle avait toujours été Juliette…

« Justement, tu n’es pas Juliette…Et ça, tu ne l’a jamais compris. Si je t’avais laissée faire, tu n’aurais plus jamais été capable de jouer autre chose qu’elle.. »

Je ne reconnais pas ma propre voix, trop troublante, trop basse. J’ai besoin d’air, j’ai besoin de respirer ce qui n’est pas elle, ce qui ne le sera jamais…Je vacille sur le bord d’une falaise qui pourrait être ma perte, ma damnation et, soudainement, j’ai envie de rire. Un rire atroce. Un rire douleur, un rire souffrance…Un rire fou…trop fou.

« Ce n’était pas ton bonheur, c’était le sien. Ce n’était pas tes mots, c’était les siens…La frontière était franchie, je n’avais pas d’autre choix. »

Cette frontière que tu ne sais pas respecter, que je n’arrive pas a voir entre toi et moi, celle là même qui m’entoure et menace de me perdre chaque seconde un peu plus. Pourquoi je n’arrive pas a oter mes mains d’elle ?

Un rire à moitié hystérique s'échappa de mes lèvres. Sa voix, en temps normal, aurait dû être claquante, sûre d'elle, m'asséner ça froidement pour prévenir toute réplique de ma part - même si, en règle générale, ça ne fonctionnait jamais. Mais là, il était hésitant, il parlait bas, il semblait complètement incertain. Mon corps se tendit comme la corde d'un arc lorsque je sentis ses doigts se crisper et enserrer mes bras à travers le tissu de mes vêtements, encore plus fort que dans mes souvenirs. J'eus soudain une conscience accrue et dérangeante de la moindre sensation. Son souffle erratique soulevait une mèche de mes cheveux chaque fois qu'il expirait, un peu plus fort que la normale. Ça me chatouillait un peu. Son cœur aussi était plus rapide que la normale. Je le sentais heurter mon dos. La vérité remontait, atroce, du fond de mon inconscient, cette vérité que j'avais deviné depuis longtemps en refusant de la voir réellement.

Je lâchai ses poignets, lentement, serrant les poings. Je ne croyais pas en ses excuses. C'était précisément l'inverse de ce qu'il disait, ne pas avoir joué Juliette l'avait gardée prisonnière en moi, et maintenant je ne pouvais plus m'en libérer. Et il était trop proche de moi à ce sujet-là pour ne pas le savoir. Je pensais sincèrement qu'il ne me comprenait pas. Mais s'il y avait eu une chose, une seule chose, sur laquelle il pouvait parfaitement me deviner, ce serait celle-là, je le savais. Il ne pouvait pas s'être trompé à ce point. Il m'avait retiré ce maudit rôle pour une autre raison.

La mèche s'envole. La mèche retombe. Elle s'envole. Elle retombe. Elle s'envole un peu plus haut qu'avant et retombe de travers, barrant mon regard. Je concentrai toute la force de mes yeux sur elle comme si j'avais voulu y mettre feu. Je n'avais plus conscience de rien sinon de cette foutue mèche qui me gênait pour y voir clair, et la pression dérangeante de ses mains sur mes bras, dérangeantes parce que ce n'était pas une démonstration de force. J'avais plutôt la drôle d'impression qu'il me maintenait de manière possessive. Ma conscience avait beau essayer de retenir cette vérité qui me ferait sans doute tourner folle, un pan parvint à s'échapper de mes lèvres.

- Eh bien, qu'est-ce qui se passe, professeur ? Pourquoi êtes-vous si tendu ? Pourquoi est-ce que vous ne me lâchez pas ?

De nouveau, ce rire incontrôlable, durant un peu plus longtemps, résonnant un peu plus fort.

- Vous voudriez peut-être l'embrasser de nouveau, la jolie comédienne ? Elle vous plaît, Juliette la naïve ? Dites-moi, vous étiez jaloux quand vous me voyiez réciter des mots d'amour à Roméo pendant les répétitions ? C'est peut-être pour ça que vous avez repris son rôle l'autre samedi ?

Mes dents se serrèrent, mes muscles se crispèrent entre ses doigts pressant ma chair. Un sourire froid, sans joie, étira mes lèvres. Je ne savais plus quoi faire. Plus quoi dire. C'était trop dingue pour que je l'admette, alors même que je venais de le lui balancer à la figure. Je ne contrôlais absolument pas mes propres paroles, je ne réalisais pas les mots que je prononçais, sinon je me serais déjà enfuie en courant sous la honte et la peur de représailles.

- C'est dommage, hein ? Vous n'êtes pas Roméo. Tout comme je ne suis pas Juliette. C'est exactement ce que vous venez de dire. J'espère que vous n'êtes pas trop déçu !

Ce rire. Ce rire me hérissa, sans que je ne puisse en comprendre la raison. Il était empreint de folie, d’hystérie, de sentiments que je ne pouvais discerner. Pour la première fois depuis longtemps, elle me déstabilisait, m’entrainait avec elle sur un chemin que je ne voulais pas prendre, que je désirais si fort. Une contradiction vers laquelle elle me poussait, sans fioritures, sans pitié et je résistais toujours au courant, fermant les yeux pour ne plus la voir, espérant me boucher les oreilles pour ne plus l’entendre…Malgré tout, ces mots fendirent l’air a une vitesse folle, me percutant sans que je n’y sois préparé, pénétrant ma chair sans que je ne puisse m’y opposer, même avec l’énergie du désespoir. Pourquoi ne pas la lâcher ? Oui, pourquoi ? Pouvais je lui répondre franchement ?

Je veux te garder contre moi

« Pourquoi veux tu que je te lache ? »

Ma voix n’a pas trembler, mais si elle ne frémit pas, l’âme, elle, oscille entre folie et raison. Je glisse dans mes mots ce qu’il faut de moquerie, d’ironie, de froideur, tout ce que je ne ressens pas.

Oui

A mon tour de ricaner, une cascade caustique, immonde quelque part tout comme les mots que je me prépare a prononcer, tout comme ce mensonge que j’espère si fort vérité et qui sait ? Peut être que j’y arriverais un jour…Peut être…

« Tiens, je ne penserais pas que tu ferais partit de ces petites péronnelles torturées par leur hormones…Un baiser ? Laisse moi rire Blake, ce n’est pas le nom que je lui donnerais, mais peut être aurais tu espérer autre chose ? Après tout, pourquoi me piquer une crise a ce propos ? Dis moi, tu rêve de moi la nuit ? Tes petits fantasmes ou ce que tu crois croire ne seront que divagations d’une pauvre gamine, désolé de te décevoir. Ne penses pas posséder un pouvoir quelconque sur moi, il me déplairait de devoir te faire redescendre sur terre. »

Ironie, dédain, il y a tout ça dans ma voix et plus encore. Mon visage s’est fermé, tel qu’il aurait du resté si elle ne m’avait pas tentée. Froid, sans émotions parce qu’ELLE ne doit en provoquer aucune. Mes mains la lâchent, sans violence, sans douceur, avec juste une incroyable indifférence. Tout mon être s’est endormi, mon âme s’est figée m’offrant l’oubli dans une douceur comateuse.

« Je suis déçu oui, d’une certaine manière. Finalement, tu ne vaux pas les efforts que je pourrais fournir pour toi. »

Je me sens glacée, ma poitrine serrée dans un étau, j'étouffe. J'ai l'impression que je vais faire un malaise. L'atmosphère qui nous plombe est insupportable, cette espèce de tension indéfinissable qui flotte autour de nous me donne presque la nausée. La peur revient. Peur de quoi ? Pas vraiment de lui, pas cette fois. Je crois plutôt que j'ai peur de ce qui peut arriver désormais. Des conséquences de cet instant. Je me demande soudain pourquoi je lui ai balancé une chose pareille à la figure.Je voulais qu'il me lâche parce que la façon dont il me tenait était trop... trop... Un professeur n'aurait pas dû maintenir une élève ainsi. Et pourquoi étais-je incapable de me dégager ? Figée dans l'incompréhension. Je crois.

Je crois que ses paroles étaient presque pire que l'affront qu'il m'avait fait en me retirant le rôle de Juliette.

Une sublime inversion des rôles, je ne pouvais pas dire le contraire. Il était doué. Chacun savait à quel point je le détestais, c'était lui qui m'avait embrassée, et pourtant, il parvenait à jouer les indifférents et à faire croire que c'était moi qui me faisais des idées ! Cependant, je n'étais pas du genre à admirer mes ennemis, quelle que soit la beauté de ses coups. A ce stade, j'avais plutôt envie de lui enfoncer mes ongles dans la figure histoire de le défigurer plus efficacement qu'un combat de rue. Il m'avait piégée !

Et piégée magnifiquement ! Que pouvais-je bien répondre à cela ? Je n'étais pas assez prétentieuse pour insister sur une vérité loufoque débarquée de mon inconscient, pas assez courageuse pour risquer d'aggraver les accusations qu'il me lançait à la figure. Il avait gagné par un mensonge éhonté. Tout n'était qu'écrans de fumée avec lui ! Était-il seulement honnête avec lui-même avant de l'être avec les autres ? S'était-il demandé rien qu'une fraction de seconde ce qui lui avait pris ce jour-là ? On n'embrasse pas une élève pour se venger d'avoir été giflé ! Argument irrecevable, comme tous les mensonges qu'il m'avait élaborés pour m'expliquer pourquoi je n'avais pu jouer Juliette. Mensonge, mensonge et mensonge, il en était l'incarnation ! Et moi, trop franche et trop sensible, je ne pouvais rien faire contre cela. Ce n'était pas le même terrain de jeu que moi. Nous n'étions pas à armes égales.

Et plus il parlait, parlait, parlait, plus je me crispais, plus je le haïssais. On pouvait difficilement appeler ça autre chose qu'un baiser, ou alors, moi, le nom que je lui donnais, c'était un viol. Je ne parvenais pas à comprendre comment ce type tordu fonctionnait, mais j'étais certaine qu'il préférait encore l'autre alternative. Tordu, oui, se plaire à imaginer qu'une élève qui le déteste veut le mettre dans son lit, est-ce qu'il ne faut pas être complètement timbré pour ça ? S'il y avait bien une chose que je détestais, c'était que l'on se fasse une fausse idée de moi. Et rien n'était pire que celle qu'il était en train d'énoncer. Ce n'était pas dans mon lit que je voulais le mettre, c'était dans le deuxième cercle de l'enfer. Et il s'imaginait que je fantasmais. Une terreur me prit soudain, une drôle de terreur qui était peut-être déplacée quand on voyait le contexte. Disons que ce n'était pas la première chose dont j'aurais dû m'inquiéter. Mais là, la première chose à laquelle je pensais, c'était s'il mentait réellement. Et s'il pensait vraiment ce qu'il était en train de dire ?

Non. Non, non, non et mille fois non. Cette idée me réveilla brutalement et je me dégageai violemment, m'éloignant de lui en me cognant sévèrement le poignet à une table. La douleur me mit encore davantage en colère, si c'était possible.

- Si vous saviez à quel point je vous déteste, jamais vous n'auriez osé prononcer ces mots. Il n'y a peut-être qu'un pas de l'amour à la haine, mais pas entre vous et moi. Entre vous et moi, il y a une grande muraille de Chine avec des sentinelles postées tous les trois mètres, c'est bien clair ? Et ce n'est pas encore assez ! C'est vous qui délirez. Le jour où je rêverai de vous est encore très loin d'arriver !

Je parvins miraculeusement à retenir mes larmes - j'avais envie de pleurer parce que cela faisait une semaine que je rêvais de lui. Il envahissait mes nuits, les transformant en cauchemars dès que ses doigts se refermaient encore et encore sur mon épaule, m'attirant à lui.

- Ne vous inquiétez pas. Vous n'aurez plus à fournir d'efforts pour moi. On ne risque pas de se revoir un jour.

Je pris ma veste, mon sac, et partis en claquant sèchement la porte sous les yeux interloqués de toute la classe qui attendait dans le couloir. Et merde, voilà.

[Ahaha, depuis le temps que je veux caser cette citation de House ! *dehors*]