Bagdad en plein Londres | Hannah & Innocencio

Deux jours avaient passé, sonnant le glas du délai promis par le romain. Elle s'était attendue à le voir se manifester directement, connaissant son impatience et son impulsivité dès que ça la concernait ; elle s'était trompé. Les heures avaient laissé place au jour et, deux semaines plus tard, les deux jeunes femmes n'avaient toujours pas entendu parler de leur bourreau. Le moins que l'on pouvait le dire, c'était qu'elle ne le vivait pas très bien.

Hannah avait de plus en plus de mal à dormir, frôlant dangereusement avec une insomnie chronique que les histoires de la démone avait de plus en plus de mal à adoucir. C'était devenu un rituel entre elle, passé une heure du matin, la suédoise venait la retrouver dans sa chambre et Elle lui racontait son histoire. Des brides entières de son passé y étaient passé, mais pas seulement. Elle avait pris un certain plaisir à livrer de nombreuses anecdotes historiques méconnues du grand public, ou inconnues tout court d'ailleurs. Elle avait pu ainsi apprendre la véritable cause de la mort de François Ier, le monarque français.

Même si elle jouissait d'une constitution supérieure, la démone commençait tout de même à souffrir de ce nouveau rythme de vie. Elle ne se permettait que des micro-siestes, de vingt minutes à peine, pour un sommeil quotidien ne dépassant pas les deux heures. Elle ne pouvait se permettre une vraie nuit, tout en se doutant qu'il faudrait bien, à un moment ou à un autre, qu'elle trouve le moyen de recharger ses batteries. Sinon, le pari de Caeso serait un véritable succès ; elle aurait en effet du mal à lui tenir tête si elle piquait du nez en permanence. L'entourage d'Hannah avait fini par remarquer le comportement étrange des jeunes demoiselles, sans parvenir à deviner pourquoi. Aussi, pour fuir les regards curieux et inquiets, Elle avait proposé à l'artiste de venir se réfugier chez elle l'espace d'un après-midi. Sans doute heureuse de cette opportunité de prendre un bon bol d'air frais et de se changer les idées, elle avait accepté.

Comme s'il n'avait attendu que cela, Caeso passa à l'action. Tout du moins, c'est ce que cru comprendre Elle quand sa fenêtre se brisa. Une seconde plus tard, un épais nuage de fumée envahissait la pièce.

« Merde ! Hannah, ferme les yeux ! » intima-t-elle à sa compagne d'infortune, qui devait sans doute lui exploser les tympans à l'heure qu'il était.

Derrière la porte, la démone entendit distinctement la voix du romain.

« Mademoiselle Greece, vous êtes en état d'arrestation. Libérez votre otage et sortez sans faire d'histoire. »

Impérieuse, Elle posa un doigt sur la bouche de « l'otage ». Le fumigène commençait à lui piquer les yeux et la gorge et elle allait devoir trouver quelque chose pour se sortir de ce mauvais pas. Quelque chose qui n'allait pas plaire à Hannah.

« Tu me fais confiance ? »

À gauche l'enfer, à droite le paradis. Le bonheur n'est qu'éphémère. Naïfs sont ceux qui croient que le bonheur est partout.

Le bonheur n'est pas non plus mérité. Il est hasardeux, traversant les plaines à la recherche de personnes à combler. Souvent il touche les personnes qui n'en ont pas besoin et délaisse impitoyablement d'autres qui eux en aurait bien besoin. Et bien l'amour est identique. C'est peut être une question de chance, où seuls les meilleurs gagnent. Ces choses-là laissent les scientifiques crédules. Lorsqu'on s'appuie trop sur la logique on peut avoir peur de la nature, plus forte, plus efficace. Le bonheur, l'amour... Tout est dû au hasard. Que faire lorsqu'on le souhaite très fort ? Ne plus le souhaiter ? Quelle idiotie ! Juste forcer les choses... C'était ce qu'avait fait Caseo. Il avait forcé. La pluie tombait drue derrière les carreaux et certaine gouttes éclataient sur un visage immobile. Sous cette pluie gisait, près de l'écurie, la dernière victime de la nature. Celle ci n'avait pas bien fait certaines choses, certains évènements. Alors on l'avait encore forcée. L'homme l'avait mérité. Certain jeux étaient trop dangereux pour s'y risquer. Même lorsque l'on était chanceux. Il s'était frotté de trop près à l'enfer même, qui pourtant se déguisait quelques fois en paradis. Il en avait laissé sa vie... Et lors de son dernier souffle, il avait prié que la même chose n'arrive pas à Caseo...Oui j’avais souhaité qu'il n'arrive pas la même chose à Caseo.

Il avait été un bon élément, après tout. Son réseau d’espions était plutôt étendu, il possédait quelques connaissances aux quatre coins du monde. C’était un ange parfait, mon propre idéal. Défait par un amour fraternel vieux de milliers d’années, qu’il n’avait pas su enterrer. Je ressentais encore ce sourire mesquin qui avait trouvé sa place sur mon visage, dans la pénombre de la pièce où il avait quémandé de l’aide. Tuer, ça il était bien capable de le faire seul. Ce n’était pas un problème pour le petit être à l’esprit torturé. Seulement, il le savait, je tenais la police bien plus sérieusement qu’il ne le ferait jamais. Pour moi, ça n’avait que très peu de conséquences. Caseo pouvait bien massacrer qui il l’entendait ; fou comme il était, cela ne lui donnerait qu’un instant de plaisir et m’enlèverait la tâche de tuer à sa place. La guerre faisait rage, une démone de moins me ferait plaisir. Et puis Caseo suivrait. Particule trop fragile, il risquait de créer une scission à tout moment. Je ne pouvais me le permettre.

« Attend, Caseo. Fais la patienter. Nourris-la de tension. »

Le bonheur n’était pas tangible. Il était même hideux. Caseo ne connaissait pas le bonheur, moi non plus. La seule différence, c’était que ma folie, mon naïf espoir était toujours vivant, alors que son obsession était morte. Méritais-je la chance de connaître Aislinn plus qu’il n’aurait mérité la présence de son frère ? Sans doute pas. Après tout, j’étais l’Ange et il était le Démon. Mais alors un étrange Ange et un étrange Démon, où l’enfer et le paradis se mélangeaient pour devenir un fouillis sans sens. Des paroles incompréhensibles. Un souffle dangereux.

« Si tu veux mon aide, il faudra attendre. Les officiers te seront prêtés dans une semaine. Peut-être deux. Si tu n’en veux pas, va. Mais n’espère pas ma clémence. Si tu ne m’écoutes pas, tu ne deviens qu’un ennemi de plus dans cette guerre. Je n’aime pas la guerre Caseo. »

Les ailes coupées, il vivait déjà à moitié dans sa tombe. Je souriais bêtement encore. Quel dommage, vraiment, pour lui que je ne connaisse que l’ivresse du péché et la peur du paradis promis.

Les secondes avaient tendance à paraître trop longue. Mes journées ne faisaient plus vingt-quatre heures, je l’aurais juré. Par ailleurs, j’étais certaine que le temps s’était arrêté, se moquant de moi. J’avais une nausée permanente, une envie quasi-perpétuelle de pleurer. Je n’avais plus touché à une toile depuis des lustres et, malgré moi, je devais avouer que je ne le désirais pas. Mes images étaient beaucoup trop sombres pour que je puisse les coucher. Bien loin le temps de la famine en Afrique, dans mon esprit. La mort des autres vous semblait si petite lorsque vous étiez confronté à la vôtre.

Bien longtemps aussi que je ne dormais plus bien. De 10 heures, j’avais passé à 8, 5, 4. Je m’endormais systématiquement sur les genoux d’Elle, bien souvent aux petites heures du matin, après une nuit de conversation. Je me réveillais parfois dans mon lit ou le sien, ou alors je restais à même le sol, comme si la démone elle-même n’avait plus la force de bouger. De m’aider. Elle était mon seul support et elle s’effondrait lamentablement, transie de sommeil.

Je ne savais même pas réellement si j’existais encore. Ma peau déjà blanche me semblait devenue translucide. Malgré les recommandations d’Elle, je ne mangeais presque plus. La dernière fois que je m’étais vue dans le miroir, trois jours auparavant, j’avais les yeux cernés, presque bleus sous la peau fine des paupières, injectés de rouges. Les pleurs, la fatigue. Pas certaine que m’affaiblir fut une bonne solution, mais je n’en pouvais plus de ce vide constant. J’avais besoin de savoir si j’allais vivre ou mourir.

Les questions d’Elle étaient difficiles à comprendre. Je disais presque tout le temps oui. Son regard m’indiquait si c’était là la bonne réponse.

Aujourd’hui, ça avait été la mauvaise réponse. J’étouffais. Je voulais sortir. Mais où était la sortie ? Pire, où était le démon ?

« Est-ce que j’ai vraiment le choix ? »

L'avantage des fumigènes, c'était qu'Hannah ne pouvait pas voir Elle. Sinon, elle aurait dû affronter un visage transformé ; sous l'effet de l'adrénaline, les yeux de la démone devenaient en effet aussi noirs que les intensions qu'on prêtait aisément à ses semblables. Par dessus le marché, les veines de ses joues et de ses paupières devenaient violacées, ce qui finissaient de la rendre... effrayante, on pouvait le dire.

« Pas vraiment, en effet, concéda-t-elle en attrapant l'humaine et en la soulevant comme si elle ne pesait rien. Dommage que tu ne puisses pas prendre une bonne bouffée d'air, parce que tu vas avoir envie de crier. »

L'avertissement énoncé, elle commença à courir. Non pas vers la porte, non. Vers la fenêtre. Protégeant le corps sans doute secoué de tremblement de son amie, la démone s'élança dans le vide et les deux femmes purent à loisir sentir le corps haper vers le sol.

Les yeux grands ouverts, Elle regarda le ciel. Elle n'aurait pas dû se retrouver dans cette situation. Il n'y avait eu qu'une seule façon de réagir à cette « crise ». Abandonner Hannah, partir à la recherche de Caeso et le tuer. Même là, alors qu'elles chutaient toutes les deux, elle avait fait le mauvais choix. La survie de la suédoise ne justifiait pas ce qu'elle allait faire. Tout du moins, pas aux yeux des siens et encore moins à ceux de Laurys. Il était trop tard, cependant, pour faire demi-tour.

Dans un déchirement de tissu à peine audible à cause du vent qui sifflait leurs oreilles, la démone libéra ses ailes et, d'un battement, mis brusquement fin à leur chute. Sans laisser le temps à Hannah de réaliser ce qui venait de se passer, la prétendue lycéenne les propulsa jusque sur le toit. Le tout n'avait duré qu'une seconde à peine, de la fenêtre brisée au pied d'Elle touchant le sol du toit, mais cela avait sans doute dû paraître des heures à la mortelle qu'elle tenait contre elle. Faisant fi de son haut complètement déchiré, la démone fit disparaître ses ailes et tira son infortunée compagne derrière elle, jusqu'à la faire s'accroupir derrière un container placé là pour elle ne savait quelle raison.

« Écoute-moi bien, Hannah. Je veux que tu restes ici. Je te promets que tout ira bien. Je vais tuer Caeso puis je vais disparaître de ta vie. Je te le promets. »

Comment réagit la mortelle au visage de son aînée ? Difficile à dire et Elle ne se laissa pas attendrir par les émotions qu'elle put voir dans son regard. Elle avait quelque chose à faire. Déjà, Caeso les rejoignait.

« Je suis venu, en tant que négociateur. » Sa voix était pleine de mépris amusé. « Dis moi, ma brave Âlma, que demandes-tu pour ta reddition ? »

Sans répondre, la demoiselle lui fondit dessus.

« Les dés sont lancés. J’espère que tu sauras les rattraper avant qu’ils ne fracassent le sol. »

Mais Caseo n’allait pas être assez rapide, cela était certain. Il était aveuglé par une vengeance futile. Alors qu’il partait avec des chiens humains, je prenais mon envol pour parcourir le ciel. La petite démone avait fait une erreur, celle de ne pas brouiller les pistes. Il lui aurait fallu quitter la place, en vitesse. Moi, ça m’amusait. Je l’aurais laissée filer sans en avertir le pauvre fou, quitte à la chasser pendant les dix prochaines années. Ça, c’était intéressant. Le reste, totalement insipide. Je baîllai, me demandant ce que faisais Aislinn en ce moment. Je pourrais peut-être passer la voir, après cela. Rire un peu.

Les points se déplaçaient vite. Au milieu du tumulte, je pouvais facilement repérer Caseo. Si peu subtil. À croire qu’il n’avait jamais réussi à s’habituer au style vestimentaire de l’époque actuelle. Oh certes, il n’était pas de capes et d’épées, mais le choix de couleurs était…douteux. Encore que je n’étais peut-être pas si caméléon moi-même, me dis-je en regardant mon attirail noir. Je pourrais joindre un gang de rues, assurément. Mon attention se reporta sur le petit groupe qui intercepta l’humaine et son amie surnaturelle. De la grande joie visuelle – mais Caseo sous-estimait Alma. Loin d’être intimidée par la présence des humains, elle prit son envol, dévoilant une nature un peu trop surnaturelle pour les humains. J’éclatai de rire. Surprenante, vraiment. Il n’était pas au bout de ses peines, le petit. Par contre, pour les trois ou quatre policiers qui avaient vus la scène, c’en était fini. Avec un petit soupir agacé, je m’avançai aux travers de la fumée, rejoignant le fond de la pièce, près du lieu de fuite de la démone. Sans plus d’émotions, mes mains à la puissance angélique firent craquer la tête des policiers, qui retombèrent mollement au sol. Ils m’étaient vendus, mais il y avait des secrets qu’il ne valait mieux pas révéler. Puis, je suivis la route jusqu’au toît, cependant assez en retrait pour que les deux immortels ne me repèrent pas. Hannah, quant à elle, était recroquevillée sur elle-même, les yeux fermés, probablement en train de se demander si elle n’était pas mieux de se jeter tout de suite dans le vide. Innocente vision. Elle me rappelait les enfants d’Aislinn, juste avant…

Enfin. Il fallait dire qu’elle avait cette blondeur, cette candeur…oui, elle était du même genre. Si jamais Âlma mourrait aujourd’hui – enfin, elle allait mourir. Lorsqu’elle serait morte plutôt, je ne laisserais pas l’enfant à Caseo. Peut-être pourrais-je l’offrir à Aislinn. Oui, ce pourrait être un beau cadeau. Je m’approchai en silence, ailes déployées – à cette hauteur, nulle crainte. Penché sur Hannah, je soufflai à son oreille.

« Regarde. Ne t’en fais pas, il a toujours été trop lent. Il y a longtemps que le jeu s’est terminé. »

Mais avant qu’elle ait pu relever la tête, j’étais déjà retourné en exil au bout de l’édifice. Âlma qui s’acharnait à faire tomber un de ses semblables me donnait un spectacle beaucoup plus intéressant.

Deux millénaires. Cela faisait deux millénaires que la démone repoussait cette confrontation. Deux mille ans durant lesquels elle avait préféré sacrifier mortels après mortels pour éviter de tuer le frère de Flavius. Vingt siècles. C'était une longue période et, elle le savait, cette fuite en avant prenait fin, sur un toit londonien, avec des policiers partout autour d'elle.

Autant le dire de façon simple : elle était dans la panade.

Mais qu'importait, car ce n'était plus Elle Greece qui faisait face à Caeso, c'était Âlma. Elle n'avait certes pas de lame à la main — le combat eut été inégal sinon — mais elle demeurait supérieure au démon en tout point. C'était l'avantage de ne pas avoir gaspillé sa vie immortelle en vengeance et en aide. Alors elle esquivait la canne du lord, passait sous sa garde, frappait, reculait et ainsi de suite. Elle prenait des coups, bien sûr, mais pas autant que son adversaire qui sentait déjà sa victoire lui échapper. Alors dans un cri de haine, il déploya ses ailes et fondit sur Hannah.

C'était tout ce dont pouvait rêver Âlma pour en finir rapidement.

Avec un sourire tout ce qu'il y avait de plus cruel, elle sauta sur son dos et, joignant les mains ensemble, abattit ses points sur l'aile droite du démon. Hurlant de douleur alors que le membre céleste se brisait, ils tombèrent tous deux au sol et roulèrent juste à côté de la suédoise. Loin de s'en préoccuper — elle n'en avait pas le loisir — celle qui était à l'origine du mythe du Christ continua sa tâche, agrippant le cou de son adversaire et lui broyant la trachée.

Alors qu'il perdait connaissance, Elle esquissa un rictus presque cruel avant de lâcher un cri et d'enfoncer sa main dans son abdomen, sous ses côtes, avant de laisser ses doigts se frayer un chemin qu'ils connaissaient bien.

Quand elle ressortit son poing, elle tenait le cœur encore battant de Caeso. Poussant un profond soupir, elle lâcha l'organe vitale qui retrouva sa place sur la poitrine de son légitime propriétaire, séparé de sa place d'origine par une cage thoracique encore intact.

C'était fini. Tout était fini. Flavius mourait définitivement avec son frère, dans l'indifférence la plus totale. Se redressant péniblement et tentant de remettre un peu d'ordre dans sa tenue avec sa main encore propre, elle finit par poser son regard sur Hannah. Avait-elle vu ce qui s'était passé ? Avait-elle contemplé le visage de son « amie » quand cette dernière, au mépris de toute humanité, avait tué sans l'ombre d'une hésitation ? Elle espérait bien que non, mais elle n'avait guère d'espoir.

Il fallait reprendre son calme, désormais, retrouver des yeux normaux, pour pouvoir lui dire au revoir. Puis disparaître, à jamais.

« Hannah, je... » commença-t-elle.

Le tir parfait d'un sniper stoppa net son début de confession. La balle toucha la démone en pleine tête et ressortie par sa joue gauche comme si elle n'avait rencontré que du beurre. Titubant soudainement, Elle tenta de tourner la tête pour trouver l'origine du tir, mais sa vue se troublait déjà. Elle devait partir, s'enfuir, surtout ne pas se laisser prendre. Elle n'avait aucune envie de devoir s'échapper d'une prison londonienne. Alors, après avec un dernier regard vers Hannah, elle courut — tituba ? — en direction du vide, sauta et déploya ses ailes.

L'instant d'après, il n'y avait plus de trace de la scandinave.

La voix à mon oreille m’avait apeurée. Qui était-il, celui qui me suggérait ça ? Ami d’Elle, policier ? Il connaissait certainement la nature des opposants, sinon il n’aurait pu parler avec tant de conviction. Le moment cependant qu’il me fallut pour remonter la tête – car du courage, je n’en avais que très peu – et il était déjà disparu. D’accord, un démon, un ange, quelque chose. Ça ne faisait aucun doute. Je respirai difficilement, essayant de localiser Elle. La voix avait raison. Ça semblait aller…sans que je comprenne vraiment comment ou pourquoi, elle était venue à bout de l’homme. Un éclat de joie me transperça – j’étais sauve. J’allais…j’allais vivre. Me tournant vers elle, prêtre à exploser de bonheur, je pus constater que nous n’étions peut-être pas au bout de nos peines. Trop rapide pour mes yeux, je ne vis pas la balle qui défigura la démone. Je l’entendis très bien par contre – et le sang qui gicla ne se fit pas discret. Mes yeux innocents virent la scène d’horreur, la petite française chanceler. Le cri qui sortit de ma bouche fut long, douloureux. Il venait du cœur. Ça, je ne tenais pas à le voir. C’était une gamine qui n’avait plus de joue, plus de chair. Je retombai mollement, sans voir ce qui se passait.

La voix revint au milieu d’un délire quelconque.

« Allons, allons, mon ange. Tout va bien. Elle est partie. Elle vivra. Toi, relève toi. »

Les policiers m’entouraient déjà. Une couverture, un appel à mon père – lequel prétendrait plus tard qu’il avait toujours sur que cette fille n’aurait pas une bonne influence sur moi. Un chocolat chaud, mademoiselle ? Ils ne comprenaient pas que c’était d’amnésie que j’avais besoin. Ou d’alcool, peut-être. Je me penchai finalement, vomissant tripes et boyaux, réussissant par je ne sais quel miracle à ne pas m’éclabousser au complet. Je compris en reprenant constance, devant le regard amusé mais froid d’un homme beau à l’extrême, en complet, pas un policier. La voix, sans aucun doute. Un clin d’œil plus tard, j’en étais certaine. Je me remis à trembler, mais il s’éloigna, sans demander son reste. Je crus entendre comme un souffle à mon oreille.

« Que Dieu veille sur vous, ou alors l’Innocence même. »

Puis, les sirènes se firent plus fortes, la limousine arriva et je tombai directement sur Fader.

Je vomissais de nouveau lorsqu’il essaya de me prendre dans ses bras.

END