« (...) car le grand jour de sa colère est venu (...) » | Alice

« Cinq siècles, Gaucelm. Cinq siècles durant, j'ai espéré que Sa parole finisse par t'atteindre, que Sa gloire t'illumine et que Ses desseins t'apparaissent.
— Et pendant tout ce temps, je me suis demandé si un jour tu ouvrirais les yeux, Alix. »

Les deux séraphins se jaugeaient, parfaitement immobile. Ses immenses ailes légèrement repliées sur elle-même, Alix était clairement sur la défensive. Cela n'empêchait pas le dénommé Gaucelm de se tenir sur ses gardes. Malgré le mépris que pouvait lui inspirer la folie de sa « mère », il gardait paradoxalement un respect craintif pour celle qui lui avait offert la vie éternelle.

« Tes ailes devaient être ta repentance, un moyen de racheter tes fautes et d'être digne de Lui. Tu en as fait une insulte à Son amour.
— Tu es ridicule, mère, lâcha-t-il en insistant bien sur le dernier mot. Écoute toi ! On croirait entendre une nonne toute droit sorti du Moyen-Âge. Tu es une ange, bordel, tu as tous les droits, aucun devoir, le monde est à tes pieds. Combien de siècles, encore, avant que tu le comprennes ? »

Alix ne lui laissa pas le temps de continuer. Elle poussa sur ses jambes et, grâce à un puissant battement d'aile, fondit sur sa victime. Surpris par la vitesse de sa mentor — il ne l'avait jamais vu faire montre de la moindre violence envers lui ou ses semblables — Gaucelm ne put que tomber au sol. Il allait pour la repousser quand la Séraphin utilisa ses ailes comme de véritables lames, enfonçant ses extrémités dans ses épaules avec une telle violence que ses omoplates se brisèrent.
En cinq siècle d'existence angélique, jamais il n'avait hurlé aussi fort.

« Tu n'es pas Lui, tu ne le seras jamais et la prochaine fois que tu l'oublieras, je te promets de t'arracher le cœur. »

La situation semblait irréelle. Depuis qu'il la connaissait, Gaucelm n'avait jamais vu Alix agir ainsi. Elle était l'Oracle, elle guidait les mortelles, la plupart du temps sans violence. De ses paroles découlaient la mort et la souffrance des populations jugées impies, mais jamais de ses mains ; si bien qu'il l'avait toujours jugé faible et inoffensive. À en croire la rapidité et l'agressivité de son attaque, il s'était lourdement trompé.

« Qu'attends-tu de moi, Alix ? » lâcha-t-il alors que la souffrance le quittait déjà. Être un Élu de Dieu avait ses avantages.
« Je vais t'offrir une dernière chance. Nous allons réunir tes frères et tes sœurs, et nous livrerons Sa guerre. »




Dix l'avaient suivie. Dix séraphins, dix de ses enfants. Dix anges qui l'avaient déçue, à un moment ou à un autre de leur vie céleste, qu'elle avait décidé d'emmener dans sa croisade. Elle aurait voulu pouvoir en choisir bien plus, mais cela aurait été une erreur. Le premier choc passé, Gaucelm avait été plus que coopératif. Ses sentiments envers Alix avaient toujours été ambigüe, entre affection et condescendance, entre respect et mépris. Devenu son lieutenant, il avait convaincu les autres de la suivre sans qu'elle n'ait besoin de les contraindre. C'était une chance : même si elle était dangereuse, les chances qu'elle puisse dominer dix séraphins étaient quasi-nulles. Mais les anges étant ce qu'ils étaient, au delà des illusions d'Alix, l'idée de batailles et de luttes n'était pas pour leur déplaire.

Elle avait, dès lors, retrouver son rôle premier. De ses paroles sibyllines, ses nouveaux soldats devaient tirer des ordres. Pour l'heure, ils avaient surtout dû surtout se renseigner. Trouver les démons et leurs esclaves, afin de savoir ou frapper le moment venu. L'ancienne main noire de l'Inquisition médiévale savait très bien qu'ils ne pourraient mettre à bas l'oligarchie démoniaque, mais elle espérait secrètement que son action inspire ses semblables.

Le voile se déchirerait bientôt. La première victime tomberait dans les heures à venir mais avant cela, Alix devait voir quelqu'un : une jeune femme qu'elle avait rencontré lors de son retour sur Son œuvre, damnée dès son plus jeune âge. Elle porterait son message. La retrouver n'avait pas été très difficile : Alix savait où chercher. En partant de l'endroit de leur première rencontre, elle avait cherché la trace de son lien. Il lui avait fallut trois jours avant de trouver une piste exploitable, ensuite la chose avait été aisée. Désormais, elle cherchait une opportunité de l'approcher.

Ce n'était qu'une question de temps.


Voilà, comme promis. Je te laisse décrire dans quel contexte Alix retrouve Alice... que je puisse me creuser les méninges sur une façon de l'isoler (a)

Vous saviez que tout allait mal lorsque vous vous leviez et que votre démon vous ignorait superbement. Pourtant, depuis hier, il ne s'était rien passé. Nul engueulade, nul bonheur non plus - stabilité simple et pure. Alors quoi ? Où était le problème ? Franchement, je n'en savais rien, mais avec Laurys, j'avais l'habitude. Il y avait des journées avec, et des journées sans. Sourires, dois-je préciser. Ce dernier était de moins en moins absent de son visage, c'était vrai, mais il y avait tout de même des moments où son âme me semblait innateignable. C'était ainsi. J'imaginais qu'un démon vieux de plusieurs siècles avait d'autres chats à fouetter que les tourments d'une adolescente. Je comprenais, je m'y étais faite. Aujourd'hui serait un jour sans.

Il fallait dire que je ne devais pas être facile à suivre, des derniers temps. J'étais nerveuse au-delà du possible. J'avais fait mes demandes pour les écoles supérieures et les résultats allaient entrer d'ici quelques jours. Communication ? Journalisme ? Littérature ? Je n'en savais rien, j'avais fait des choix un peu au hasard, mais je voulais savoir. J'étais tout de même moins chiante que Blake, qui sautillait littéralement dès lors que quelqu'un prononçait le mot beau, ou le mot art - le mélange des deux provoquait à coup sûr une véritable crise de nerfs. Ah, l'avenir, foutu avenir ! Franchement, je ne m'inquiétais pas. Peu importait ce qui allait arriver, Laurys serait là et il avait assez d'argent pour me faire vivre au moins pendant cinq vies, si ce n'était plus. Il était très bon cuisinier, au demeurant. Je voulais seulement prouver que je pouvais faire quelque chose, moi aussi. J'avais envoyé des demandes aux universités françaises, sans trop y croire. Je n'avais pas envie de quitter la pluvieuse Angleterre - je ne le répéterai pas deux fois, profitez du moment.

Laurys me proposa de venir me porter à l'école, mais je refusai. Il faisait assez beau dehors pour que je marche, et il fallait que j'aille chercher Blake. Je n'avais d'ailleurs pas envie d'être avec mon démon en ce moment, son humeur massacrante me rappelant que tout n'était pas rose, dans la vie. Ses soucis ne me regardaient pas - s'il ne m'en parlait pas, ça devait concerner Dieu, Satan, ou peu importe qui ils étaient. Pas de mes affaires, quoi.

À mi-chemin de la maison de ma meilleure amie, mon portable sonna. Intriguée, je le sortis de ma poche - numéro inconnu. Je haussai les épaules et ne répondis pas. Les gens qui avaient mon numéro étaient peu nombreux, et ils s'affichaient tous sur mon téléphone. La seule raison qui pouvait justifier l'absence de nom était qu'on m'appelait d'un numéro masqué, ce qui n'avait aucun intérêt pour moi.

On réessaya de me joindre deux, puis trois fois. À la quatrième sonnerie, je écrochai, agacée.

- Quoi ?!

« Bonjour, Alice... »

Du haut de son immeuble, Alix semblait parler aux cieux ; et pourtant, ses paroles chantèrent aux oreilles de la jeune française. La Séraphin avait ses façons de s'adapter aux évolutions du monde. Elle était l'ange des contes et des légendes, elle était hors du temps et de ce fait, n'avait jamais touché à un portable ou à un ordinateur. Avoir passé les six dernières décennies coupée du monde n'avait, de toute façon, pas aider. Elle devait agir avec vitesse et précision. Alice porterait sa déclaration de guerre à son maître, quel qu'il fût et ensuite, les hostilités commenceraient. La difficulté, désormais, était d'isoler sa cible. Elle n'avait pas le temps de la suivre toute la journée et d'attendre le moment opportun, elle n'avait pas plus eu le loisir d'en apprendre plus sur sa vie. Elle devait faire avec le peu de renseignement qu'elle avait.

Alice était perdue. Son âme était liée à un démon, et ce lien là n'était pas de ceux qu'il était aisé de briser. Elle-même avait eu la chance d'être libérée de l'emprise du Seigneur du Matin... mais elle n'était pas Azraëlle. Elle ne reproduirait pas son exploit. Pourtant, elle n'aimait pas l'idée de devoir la tuer. Elle ne pouvait permettre qu'un démon récupère son énergie, car c'était bafouer Son œuvre, mais elle ne parvenait pas à blâmer l'innocence d'avoir cédé aux promesses d'un démon. La naïveté était le meilleur allié des légions noires ; elle n'avait jamais constitué, aux yeux d'Alix, un crime.

« Nous avons beaucoup de choses à nous dire et trop peu de temps pour le faire. » Sa voix devait parvenir à Alice étrangement déformée, comme venant d'ailleurs... C'était le souci quand on utilisait Ses dons pour interférer dans le monde des Hommes. « Le temps des parjures et des faux-semblants prendront fin ce soir. J'ai un message, pour ton maître. Lui transmettras-tu ? »

Elle marqua une pause, avant d'ajouter : « Tu devras venir me trouver, seule. Qu'il approche et jamais il n'entendra mes paroles. Je te promets qu'il ne t'arrivera rien de ma main. »

Les dés étaient jetés, libre à Alice d'affronter ce mystère ou de s'en détourner. Elle avait entre ses mains la plume qui écrirait les premières ligne d'une guerre.

La voix me calma aussitôt. J'étais énervée du harcèlement téléphonique, après tout, si je n'avais pas répondu à l'appel la première fois, ni la deuxième, ni la troisième, c'était peut-être que je n'avais ni le temps ni l'envie de le faire. Par ailleurs, les seules personne succeptibles de me passer un coup de fil pouvaient attendre. Mes parents ne le faisaient qu'en soirée, Blake me verrait dans 10 petites minutes et je venais à peine de quitter Laurys. Toutefois, si j'avais d'abord été agacée de façon assez visible, je me calmai sitôt que les accents autoritaires se firent entendre. Ce n'était pas spécialement méchant, pas particulièrement sauvage, mais la voix était de celles qu'on écoute en se taisant, voilà tout. Par ailleurs, si je ne parvenais pas à l'identifier, je savais que je connaissais mon interlocutrice. Où avais-je entendu ces intonations ? Les accents qui me venaient ne présageaient rien de bon, c'était ma seule certitude.

- Bonjour...

Puis, enfin, elle me fournit d'elle-même la réponse. Je n'avais pas réellement de maître - au sens propre, on pouvait même considérer que c'était moi, la maîtresse de Laurys. J'ordonnais, il obéissait. Il me protégeait, il me servait. Donc, j'étais celle qui tenait la laisse, mais on considérait également que Laurys était mon guide, tout du moins mon tuteur, et qu'il avait un peu pris la place de mes parents trop souvent absents, c'était vrai. Enfin, ce n'était pas l'important. Aucun humain ne pouvait connaître les liens réels qui m'unissait à mon démon. Il fallait donc nécessairement que je sois en train de parler à une créature céleste ou dantesque, et la seule que je connaissais en dehors de mon démon...

- Oh. Alizée.

Je levai les yeux vers le ciel, toujours d'un beau bleu. Comment la situation pouvait-elle être aussi sinistre - à mes yeux - alors que la nature était si spectaculaire ? Comme si c'était le calme avant la tempête. Qu'elle veuille transmettre un message à Laurys, ça ne m'annonçait rien de bon. Je dégluttis, pris un temps pour réfléchir. Silence interminable, tandis que je pesais le pour et le contre. Peu importait : elle finirait bien par me rencontrer, si c'était ce qu'elle voulait. Autant connaître les conditions dans lesquelles cela se ferait. J'appellerais Blake pour lui dire que j'étais malade, Laurys était déjà parti, le lycée ne pourrait donc pas le rejoindre. Alibi parfait. Je rebroussai chemin lentement, reprenant la parole d'une voix pas très assurée.

- Où dois-je aller ? demandai-je à l'instant même où je franchissais les portes de ma demeure.

Là, dans un coffre fermée à clef, il y avait la plume de l'Ange. Dans quel pétrin m'étais-je donc fourrée ?

Alizée... Oui, elle s'était présentée ainsi. Ou, tout du moins, avait-elle affirmé qu'il s'agissait d'un nom qu'elle acceptait porter. Alix ne mentait jamais, mais la vérité qui sortait de sa bouche était rarement implicite.

La Séraphin sentait l'hésitation de la jeune humaine. Ce n'était guère étonnant, la demande était étrange et brutale, elle pouvait cacher tellement de choses... Elle pouvait très bien demander à Gaucelm de la tuer pour elle, le « message » serait alors sa propre mort, comme avertissement. Elle n'y aurait vu aucun parjure, car sa main serait resté blanche, loin du sang versée. Néanmoins, la portée n'aurait pas été assez grande, trop floue et les conséquences inconnues. Alix voulait que les démons sussent ce qui les attendaient. Elle n'attaquerait pas en traître, sans avoir avant déclarer ses intentions.

Son attaque n'en demeurerait pas moins foudroyante et inévitable.

Gardant le silence, la séraphin laissa réfléchir l'adolescente le temps qu'il lui fallait. C'était une décision qu'elle devait prendre seule — accepter ou refuser de la rencontrer — et qu'elle devrait ensuite assumer. Finalement, Alice lui demanda un lieu de rendez-vous et Alix sourit. Elle s'était longtemps demandé, en effet, où elles pourraient se rencontrer.

« Sur le chemin de ton école, il y a une statue d'Oliver Cromwell. Je t'y attendrai. »

Elle ne jugea pas nécessaire de lui rappeler de venir seule. Si l'ange avait le moindre doute, elle disparaîtrait simplement. Fermant les yeux, elle mit fin à la conversation, laissant l'oreille d'Alice le loisir d'entendre les douces tonalités de son téléphone.




À cette heure de la journée, la rue était relativement passante : des vagues d'étudiants passaient devant la fameuse statue du premier Lord Protecteur d'Angleterre sans vraiment la voir. C'était une configuration idéale : si elle n'aurait aucun remords à déployer ses ailes pour fuir au plus vite, le prince d'Alice avait de fortes chances d'être connu des alentours. Silencieuse, la séraphin attendait, le regard dans le vague. Ses yeux étaient inutiles, elle n'aurait pas besoin d'eux pour savoir quand son invitée arriverait. C'était l'avantage quand on traitait avec une engeance qui empestait le démon à des kilomètres.

Quand, finalement, la silhouette élancée la retrouva, elle lui fit l'honneur d'incliner légèrement la tête. Pas qu'elle la respectât particulièrement, surtout au vu des ses allégeances, mais elle était venue et avait tenu parole.

« Merci d'être venue, Alice. » Pour la jeune femme, ce devait être étrange. Elle n'avait de fait vu Alix qu'avec ses ailes. Cette fois-ci, c'était une jeune femme qui aurait pu être d'un ou deux ans son aînée seulement qui lui faisait face, et si son visage semblait toujours comme hors du temps, elle apparaissait néanmoins beaucoup plus... humaine. « Approche sans crainte. »

Si le temps des sangs et des larmes était proche, il n'était pas encore venu.

Le bip interminable du téléphone résonna à mon oreille, jusqu’à ce que même le réseau se lasse et que la petite femme à la voix trop aigue prenne le relais. ‘’ Veuillez raccrocher ou recomposer, s’il-vous-plait, raccrochez. ‘’ Je laissai tomber le portable sur le divan, me demandant vaguement si c’était intelligent de m’y rendre sans avertir qui que ce soit. Elle avait promis, certes, mais selon Laurys les anges étaient tout sauf fiables, donc je ne pouvais pas vraiment savoir ce qui m’attendait. Enfin. Il lui aurait été facile de me pousser du haut de l’immeuble et elle ne l’avait pas fait ; en comparaison, une statue visible de tous me semblait très sécuritaire.

Je ne pris pas la peine de me changer : je passerais plus inaperçue avec mon uniforme que sans. On me connaissait dans le quartier, je n’étais pas du genre à sécher les cours sans raison. Valait mieux ne rien changer à mes habitudes, peut-être même que l’ange ne viendrait pas me rencontrer et que je pourrais me rendre à l’école le cœur léger. Je laissai un message à Blake, qu’elle ne prendrait sûrement pas avant d’inonder mon répondeur de messages de plus en plus hystériques. Puis, je refis le même chemin que plus tôt, beaucoup plus rapidement cependant. Je ne savais pas que qu’Alizée me voulait, mais pour qu’elle prenne la peine de me contacter, ce devait être quelque chose de grave…

La statue désignée s’élevait devant moi, immuable. Des dizaines de matins à passer devant sans même la remarquer, et là, tout de suite, je la redécouvrais. Le soleil s’y frappait doucement, la pierre devait être agréablement tiède. Je resserrai tout de même mon manteau autour de moi – la température hivernale de l’Angleterre ne m’allait définitivement pas. Je m’avançai, le cœur battant à plein régime, de plus en plus nerveuse. Alizée était là, sans ses ailes toutefois, l’air si humaine que cela me fit mal. J’aurais pu aller à l’école avec cette fille sans jamais me douter de qui elle était. Combien d’anges et de démons vivaient près de nous sans que nous le sachions ? Sans doute beaucoup trop pour ma santé mentale, si je venais à le savoir.

Que répondre, diable ? Je venais contrainte, mais également libre. Je n’avais pas l’impression de réellement avoir le choix d’être ici, elle m’aurait sans doute acculée ailleurs, mais j’avais librement choisi de répondre à sa demande, de ne pas alerter mon démon. Je choisis de me taire, de simplement me rapprocher d’elle. Pendant quelques secondes, peut-être, nous nous fixâmes en silence. Perte de temps inutile. Cette femme me faisait froid dans le dos. Elle était une bête, la servante de Dieu, pourrie jusqu’à la moelle…et elle se tenait devant moi, elle m’avait retrouvée, sans difficulté apparemment. Ça, c’était mauvais, très mauvais.

- Parle. Que veux-tu ?

Alice voulait savoir, et elle voulait savoir sur l'instant. L'impatience brillait dans ses prunelles... à moins que ce ne fût la peur.

« L'heure est enfin venue. Je suis ici pour te prévenir. Bientôt, nous apporterons de nouveau Sa lumière sur Sa création et frapperont les ténèbres qui la scarifient. Bientôt, nous délivrerons Son jugement et abattrons les impies et les infidèles. Bientôt, les chaînes du doute seront brisées et nous puiserons dans Sa colère pour châtier ceux qui L'ont trahi. »

Comprenait-elle ? Alix ne lâchait pas ses yeux, comme s'ils étaient, ainsi qu'on le disait souvent, les fenêtres de l'âme. Quelle flamme dansait dans son regard ? Comme à son habitude, la séraphin était sibylline. Le mot « guerre » ne franchirait pas ses lèvres, les démons ne seraient sans doute pas explicitement nommés.

Alice n'apprendrait pas grand chose de plus, désormais. L'essentiel du message était là. L'ange ne désirait simplement pas commencer sa croisade en traîtresse. À ses yeux, cela aurait été comme devenir son ennemi. Néanmoins, elle n'était pas naïve et savait très bien la valeur de l'effet de surprise. Elle n'avait pas choisi la jeune femme complètement par hasard, d'ailleurs. Comment savoir l'influence qu'elle aurait sur son démon ? Elle pourrait très bien vouloir le garder à l'écart, afin de le préserver du conflit à venir. Ne pas le prévenir pour être certain qu'il restât loin des affrontements. Il y avait tellement de possibilités qui permettaient à son message de ne pas être entendus par les fidèles du Seigneur du matin... qu'importait, elle aurait agi comme elle le devait.

« Nombreuses seront les larmes et rien ne pourra les empêcher de couler. »

Et la pythie attendit, laissant à la mortelle sans doute déboussolée le temps d'appréhender son oracle... et ses conséquences.

J’avais franchement l’intention de déguerpir d’ici le plus vite possible. Certes, Alizée était belle et quelque chose en elle m’émerveillait, mais je ne pouvais m’empêcher de frissonner en sa présence et je savais aussi que ma simple présence près d’elle était une trahison envers Laurys, démon jusqu’au plus profond de son âme. Enfin, l’ange ne me facilitait pas la tâche. Elle parlait presque par énigmes. Croyait-elle devoir préserver le mystique autour de sa personne ? Cela faisait plusieurs années que j’étais liée à Laurys, je n’avais plus autant d’illusions quant à leurs pouvoirs. Disons que si Alizée avait voulu me dire clairement, en quelques mots, ce qu’elle attendait, ça aurait été génial. Ne rêvons pas trop.

- Cool. Et en Français, ça donne ?

J’avais haussé un sourcil – le genre de situation où j’étais quand même heureuse d’y parvenir, soit dit en passant. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle voulait me dire, parce qu’elle ne définissait rien. J’imaginais que la personne anonyme n’était autre que Dieu en personne, l’idole de la séraphine. Pour le reste…attendez, châtier ? La surprise s’afficha sur mon visage. Je la savais folle, mais à ce point-là ?

- Tu veux dire…que tu vas tuer les démons ?

Je n’arrivais pas à prononcer le mot guerre, parce que ça me semblait trop terrible, trop destructeur. Allons, des anges avaient envie d’exterminer des démons et j’étais la messagère attitrée ! Génial. Enfin, pas si mal, maintenant que j’y pensais. On ne tirait pas sur les messagers, non ? Je serais sauve pendant quelque temps…en espérant que sa menace ne concerne que les démons et non pas ceux qui leur étaient liés, parce que là, je serais franchement dans la merde, comme on dit.

- Et tu oses dire que ce sont les démons qui sont violents…

Un rire nerveux m’échappa. Cette femme était folle, complètement folle. C’était la seule explication possible. Ils ne pouvaient pas tuer Laurys. Ils ne pouvaient pas.

Pauvre Alice. Elle n'avait rien demandé à personne, ne demandait sans doute qu'à vivre une vie paisible. Malheureusement, un démon en avait décidé autrement. Il avait planté ses griffes si profondément dans son âme qu'il n'était plus envisageable de la sauver. La française était perdue et sa compatriote devait agir en conséquences. Même si l'idée la peinait sincèrement, l'adolescente qui lui faisait face était une ennemie.

« Pas moi, non... Nous. Ses vrais serviteurs. Sa volonté ne sera pas plus longtemps ignorées, Ses créatures ne seront plus le sacrifice de notre oisiveté. Les ailes blanches feront à nouveau rempart au Seigneur du Malin et à ses damnés. Le prix à payer sera élevé, mais notre victoire amènera le salut de vos âmes. Sa création ne sera plus bafoué. »

Elle y croyait. Chaque parole était martelée avec foi et ferveur. Si elle se battait ce jour là, si elle se battrait les suivants, c'était pour Lui, pour Son œuvre, pour Ses enfants. Parce qu'ils souffraient du joug démoniaque, tout comme elle en avait souffert. Leur perversion était comme un râle insupportable à ses oreilles, qui s'étirait à l'infini. Un chant funèbre qui promettait à l'humanité sa fin et sa dissolution. Elle ne pouvait le permettre.

Ils ne pouvaient le permettre. Ils étaient déjà dix... d'autres les rejoindraient, portés par les ailes de rumeurs.

« Nous vous sauverons de vous-même, » promit-elle pour conclure sa litanie.

Et son regard faisait froid dans le dos. Il était noir d'encre, sans iris, sans pupille... Il était à l'image des ténèbres qui l'emprisonnaient. Regarde, petite Alice... regarde la folie de ton adversaire, et tremble. Regarde, et fuis. Va, cours, vole, préviens ton démon. Porte lui ton message. Les anges s'éveillent... même si la plupart ne le savent pas encore.

Le jeu commençait.

Je la savais fanatique, mais à ce point, c'était horrifiant. Qui tuait des gens pour ses convictions ? Personne. Ou, plutôt, maintenant que j'y pensais, des milliers de personnes, oui. Toujours pour des histoires de religion...Non mais ! Dieu et Satan ne pouvaient pas se livrer un combat à mort une fois pour toutes et nous laisser tranquilles ? Il me semblait que ce n'était pas si compliqué. Pour autant, je me voyais mal exposer cette solution à Laurys.

- Mon âme ne sera pas sauvée si tu me tues, au contraire.

Ça allait renforcer Laurys...un bien grand prix à payer pour donner une force supplémentaire, et donc une chance de survie, à l'homme que j'aimais. Je ne voulais pas mourir, non. Ce qui me faisait peur, c'était qu'Alizée m'avait retrouvée une première fois, savait à quel lycée j'allais...Si elle décidait que ma fin et celle de mon démon était venue, il ne serait pas bien difficile de nous débusquer. Allions-nous devoir quitter l'Angleterre ? C'était que mon maître, comme elle le nommait, était parfois excessif lorsqu'il était question de ma sécurité.

- Je ne veux pas être sauvée, je crois te l'avoir déjà dit.

Je soupirai longuement, me demandant que faire. Il était clair que je devais le dire à mon démon, d'ailleurs, c'était pour cela qu'elle m'avait fait venir. Parce que Laurys se chargerait de colporter la nouvelle...puis ? L'idée de le perdre m'était insupportable. S'il choisissait de faire cette guerre, je serais près de lui, sinon je ne serais pas en paix. Et Blake ? La meilleure amie d'une damnée méritait-elle la mort ? L'angoisse m'envahissait doucement mais surement, j'avais mille questions mais quelque chose me disait que je ne devais pas les poser.

- Puis-je partir, maintenant ?

J'aurais mieux fait d'aller à mon cours de maths, quoi.

Alix aurait pu s'amuser du trouble de la jeune fille. Elle aurait pu en rire, se moquer de cette enfant qui clamait ne plus en être une, mais qui s'affolait quand son univers manquait de s'écrouler. Elle aurait pu, mais elle n'en fit rien et pour cause... Alice s'affolait-elle vraiment ? Si la française n'avait pas manqué d'être troublée — ses gestes, son regard, sa voix et son rire l'avaient trahie mille fois — à l'annonce des combats à venir, force était de constater que désormais, elle faisait face avec un calme surprenant.

« Tu étais libre de venir, tu es libre de t'en aller. »

C'était sans doute la réponse la plus claire qu'elle eût fourni ce jour là. Se nimbant de mystères pour mieux se protéger de ses propres mensonges, Alix ne se rendait même pas compte que ses mots n'avaient parfois aucun sens.

« Je te souhaite de survivre, Alice, et je prierai pour que cette grâce te soit accordée. »

Il y avait une solution pour cela... mais mieux valait ne pas la partager. Pas encore.
Alice ne le savait pas, mais la séraphin entendait bien la libérer, contre son grès. Même si cela impliquait de détruire son être le plus cher.