Let's have some fun ! [PV Alice]

[Au début c'était censé se passer au lycée mais en fait ça me gonfle de toujours RP dans la même catégorie *SBAF*]

L'ennui pointait, grand et terrifiant.

J'étais avec Alice. Nous nous étions sensiblement rapprochées depuis la mort de Giulia et nous étions systématiquement fourrées ensemble. Là, nous étions censées nous retrouver pour faire nos devoirs, mais au moment précis où elle avait sonné chez moi, j'avais ouvert la porte, bondi comme un diable et entraîné mon amie loin, le plus loin possible de ma mère qui était en pleine crise de fureur contre mon père, colères habituelles mais pour lesquelles je ne voulais surtout aucun témoin. J'aimais Alice, beaucoup, et nous nous confiions de plus en plus souvent à l'autre. Mais je n'en étais pas encore à ce point. Je ne l'avais jamais dit à personne - mis à part ce foutu incident de parcours avec Hartwood - et je n'étais pas encore prête à révéler cela. De toute façon, je n'en avais pas envie, Alice s'en foutait, et ça n'avait strictement aucun intérêt. Comme je l'avais dit à Hartwood. Soi-disant que ça l'intéressait, lui. Pfff, tu parles. Juste pour me connaître un peu mieux, pour pouvoir me blesser avantage en en sachant plus sur moi.

Bref. S'il était prévu au départ que nous nous emmerdions à bosser dans ma chambre, j'avais vite changé le programme et décrété qu'on s'emmerderait à bosser en ville. Après avoir traîné une bonne heure à travers Camden, nous avions finalement échoué dans un square, elle allongée sur la pelouse, un livre ouvert sur lesquels ses yeux étaient posés sans le lire, et moi sur un banc, mon cahier de maths sur les genoux, couvert de dessins au lieux de chiffres. Le printemps arrivait et il faisait chaud aujourd'hui. Une langueur enrobait tout Londres comme un bonbon trop acidulé pétrifiait votre langue lorsqu'elle entrait en contact avec les milliers d'aiguilles qui la piquetaient. Et nous étions là, muettes, à faire semblant de travailler alors que nos pensées ne faisaient que vagabonder.

Pour ma part, je m'étais demandée ce que nous foutions ici dans l'herbe alors que nous étions censées bûcher, avant de me souvenir de ma mère et de sa dépression de la semaine, puis j'en étais venue à mon père et toute la haine que j'éprouvais à son égard, puis repensé à Hartwood et ces foutues révélations que je lui avais faites sur moi, avant soudain de me remémorer tous les non-dits qui avaient été soulevés lors de nos deux dernières conversations. Il m'avait énervée, agacée, frustrée au plus haut point. Pas foutu capable d'admettre la vérité. Je ressentis soudain une violente envie qui me brûla la poitrine, celle de le rendre jaloux à en crever, de lui faire cracher à quel point il voulait me toucher et m'embrasser, de l'écraser sous mon dédain et de le voir me supplier d'arrêter, en avouant tout ce qu'il m'avait caché. Ce que ça pourrait être bon de le voir se traîner à mes pieds alors qu'il m'avait ignorée pendant si longtemps !

Mon regard vitreux se porta sur Alice, qui semblait aussi lasse que moi. Lasses, certes, mais on ne savait même pas de quoi. Sensation délitée d'ennui éternel.

- Hé, dis-je soudainement. On sort ensemble ?

Je m'étais redressée en même temps que je remettais en marche ma bouche pâteuse, et mon crayon avait dérapé, gâchant la magnifique caricature de Hartwood que j'avais mis une bonne heure à dessiner, au lieu de réciter des formules mathématiques. Merde alors.

- Comment tu vas poulette?
- Bien. Number one, si tu me permets l’expression.

Je prends une grande bouchée de ma rôtie, espérant ainsi éviter une conversation longue et répétitive avec ma mère. Je l’ignorais et la fuyais le plus possible, ces derniers temps. Elle s’entêtait à vouloir tenir un discours devant moi, continuel, agaçant, alors que je ne le souhaitais pas. Quand j’avais eu besoin d’elle, elle ne voulait pas. Ça la traumatisait, qu’elle disait. Alors je m’étais tournée vers Blake et le reste n’avait plus eu d’importance.

- Tu sais ma chérie, je pensais qu’on pourrait aller à Paris ce…-
J’ai pas le temps mummy, Blake m’attends, on va faire…

Je regardai rapidement, très peu subtilement autour de moi et aperçu un recueil de poèmes gris à l’air totalement insipide.

- De la littérature anglaise. La prof’ dit que je m’améliore beaucoup. Bises !

Et c’est ainsi que, malgré que notre rendez-vous soit véridique, je me retrouvai en avance devant la petite rue qui donnait sur la maison de mon amie. Je cognai et entrai, à mon habitude, parce que j’étais presque chez moi chez elle, dorénavant. Nous nous étions grandement rapprochées, il fallait le dire. Je me fis tout de même happée assez violemment par mon amie et, sans vraiment savoir comment, notre après-midi d’études devint un après-midi de flânage. Non pas que cela me dérange, du reste. Après quelques heures de promenade, je finis par m’étendre, complètement crevée, sur la pelouse un peu humide du parc. Ça me dérangeait, ça : l’humidité de l’Angleterre. Sa fraîcheur. J’aimais ce qui était chaud, ce qui était sec et bon sur ma peau. Un foulard en septembre, c’était la catastrophe à mes yeux. Ça faisait bien rire Blake, du reste.

Bref, c’est ainsi que je me retrouvai couchée, occupée à regarder un livre que je ne lisais absolument pas, trop maussade parce que rien ne fonctionnait vraiment, si ce n’était ma relation avec la petite anglaise. Un rayon de soleil éclaira mon visage, le réchauffant agréablement et je fermai les yeux, m’étirant comme un chat en écoutant l’accent de mon amie.

Hey, wanna be my girlfriend ?

Je restai interdite un moment, me demandant si je comprenais mal ce qu’elle voulait dire, mais c’était très, très clair. Je faillis la traiter de folle, mais me ravisai. Et puis, finalement, quel mal y avait-il à cela ? Sortir avec une fille. Blake, elle était bien. Et ça mettrait Laurys en rogne, ça. Je souris à mon tour et me levai lentement pour me pencher sur elle.


- On sort ensemble.

Sa réponse immédiate me fit sourire. Pas d'un mince sourire à peine esquissé comme j'en arborais ces derniers temps, trop perturbée par ce qui m'était tombé sur le coin du crâne, non, un franc et large sourire découvrant toutes mes dents et me donnant un air de gamine sur un manège. J'avais dit ça sur un coup de tête, sans même y réfléchir avant, sans même songer à la réaction qu'elle aurait pu avoir. Après tout, c'était quand même profondément délirant. Et puis finalement très logique aussi. Alors pourquoi est-ce qu'elle ne m'aurait pas dit oui ?

Alors qu'elle n'était plus qu'à quelques centimètres de moi, je posai un doigt sur sa bouche et fis, le regard malicieux :

- Je crois que je vais retourner en cours de lettres, honey. Surtout le lundi, avec toi.

C'était bête qu'elle ne soit avec notre classe qu'une heure par semaine en lettres, obligée de supporter des gosses la plupart du temps, mais cela suffirait pour l'idée trottinant dans ma tête. Mon doigt glissa le long de sa joue, caressant le creux de son cou, et ma main attira alors sa nuque à moi, nos lèvres se liant en un baiser qui resta timide seulement une fraction de seconde. Je m'emballai rapidement, me collant à elle et entrouvrant mes lèvres pour mêler ma langue à la sienne.

Ce que c'était bien d'embrasser une fille ! Ce n'était pas prise de tête. Ce serait tellement plus simple d'être avec Alice. Une relation franche, juste une amitié plus poussée. Pas d'amour ni de souffrances. J'avais toujours de très loin préféré les filles aux garçons. Je me demandai pourquoi je n'avais pas fait ça avant, tiens. Sans doute parce que ce n'était pas de l'amour. Juste une relation qui pouvait s'y substituer, et beaucoup plus rassurante parce que beaucoup moins risquée. Et je n'avais jamais eu d'amie aussi proche qu'Alice pour m'y risquer.

- Tu es bien ma française préférée, toi ! m'écriai-je dans sa langue natale avec un accent absolument déplorable en éclatant de rire.

Me vint soudain à l'esprit qu'elle ne savait même pas pourquoi je séchais les cours de Hartwood au lieu de l'emmerder comme à mon habitude. Tant pis. L'important était que j'y retournerais, et que cette fois-ci, je me tiendrais à carreau. ou presque. Simplement, j'embrasserais Alice sous son nez et je me concentrerais sur ses beaux yeux noisettes au lieu de sa fossette provoqué par ce sourire que je haïssais tellement. C'était une nouvelle guerre, et une guerre qui me paraissait totalement irréelle. Parce que je n'y croyais pas vraiment encore, je me refusais à y croire, et pourtant je venais de décider d'agir comme si je le pensais sincèrement. Drôle de sensation, mais peu m'importait. Je sentais que nous allions être sujettes à de nombreux fous rires dans le futur, et c'était tout ce qui m'importait. En plus, éventuellement, de faire réussir à apparaître une étincelle de jalousie dans ses yeux beaucoup trop inexpressifs à mon goût, mais cela, c'était encore trop inavouable.

Un regard pétillant de malice. Je chérissais ces moments avec Blake. Du vrai bonheur, pas un sourire forcé comme devant tous les autres. Vous vous remettez, Alice ? Ouais, très bien, foutez-moi la paix. Mon amie – pardon, ma petite-amie – ne faisait pas cette erreur là. Elle voyait très bien toute seule comment je me sentais. En un sens, nous étions plutôt bien accordées. À ceci près que ni elle ni moi n’étions lesbiennes, c’était parfaitement normal qu’on soit ensemble. Un rire éclata dans l’espace qui nous séparait. Je me doutais qu’on devait nous regarder (on était quand même bien foutues, Blake et moi, et certains ont de drôles de fantasmes, savez.)Mais n’y prêtait aucune attention.

- Toute une heure avec toi…Hartwood va baver, chérie.

C’était fou comme c’était naturel. Je n’appréhendais même pas de l’embrasser. C’était aussi facile que quand j’étais une enfant, que je jouais avec les autres à la bouteille et que je me voyais obligée d’embrasser une autre fille, un autre gars. Juste une saine bouffée d’adrénaline, un plaisir doux et la satisfaction qui en découlait. Ce n’était même pas comme si elle était laide, qu’elle puait ou qu’elle n’était pas attirante. Nos lèvres posées l’une contre l’autre étaient agréablement réconfortantes, excitantes à souhait. Comme une blague que l’on jouait à un professeur. Les papillons montaient dans mon ventre. Oui, agréable.

Je ne me fis d’ailleurs pas prier pour m’asseoir plus ou moins sur elle lorsqu’elle m’attira plus solidement, pas plus que je ne me sentis envahie par sa langue. Je sentais au contraire le sourire poindre sur mes lèvres scellées et m’amusai à la laisser explorer tout son soûl avant de jouer à la dominatrice et de goûter à son délicieux arôme ensoleillé.

Même après que nous nous soyons séparées – ce qui n’avait pas été aussi long que ça aurait pu l’être – je restai avec une pointe salée sur les lèvres. C’était drôle que ça ne me dégoûte pas. Sans dire que j’aurais passé le reste de ma vie à l’embrasser, ça ne me dérangeait pas de recommencer immédiatement. Et c’était ça qui serait drôle, je le savais. L’incompréhension… la douceur de cette rébellion subtile.

- Je suis surtout la seule que tu connaisses, hé, you littleuh meurmédeuh ove maie heurt.

Imitation de son accent plutôt pourrie, mais soit, mon accent anglais était moins pire que le sien lorsqu’elle massacrait la langue de Molière. Toujours à moitié montée sur Blake, je sortis mon blackberry sous ses yeux étonnés et m’arrangeai pour changer mon statut de ‘’célibataire’’ à en couple, ce qui vaudrait des réactions instantanées. Heather et Frederica demandèrent tout de suite avec qui j’étais enfin passée à l’acte. Sourire. Je tapai les cinq lettres qui formaient le nom de ma toute nouvelle amoureuse et l’envoyai. Un sourire moqueur au visage, je tournai l’écran vers Blake.

- On va faire parler de nous, chérie.

Sa phrase me fit sourire, à double sens qu'elle était. Elle pesait lourd sur mes genoux mais son poids était rassurant, stabilisateur en quelque sorte. Je grimaçai comiquement lorsqu'elle se moqua de moi en me parlant avec un accent si prononcé qu'il en devenait strictement incompréhensible. Oui, bon, ça va, on le saura qu'elle parlait mieux anglais que moi français ! Un jeu de mot pas vraiment subtil me traversa l'esprit.

- Bon... Tu me donneras des cours de langue...

Elle sortit son portable sous mon nez et se mit à trifouiller je ne sais quoi dessus. Je fourrai mon visage dans son cou, la chatouillant de mon souffle, mais visiblement il en faudrait plus que cela pour la déconcentrer. Alors que j'allais le lui prendre des mains pour récupérer ma nouvelle girlfriend pour moi seule, elle tourna l'écran vers moi. Je fronçai les sourcils, puis éclatai de rire en voyant le commentaire que Heather avait posté juste derrière. « C'est une blague ? Vous êtes vraiment folles toutes les deux ! ;-) »

- La jolie frenchie avec l'anglaise délurée... Je sens qu'on va bien s'amuser !

Et au moins les mecs nous foutraient-ils la paix ! C'était fatigant de se faire draguer dès qu'on mettait un pas hors de la maison et qu'il était un peu trop tard. Là, ils nous materaient sans oser tenter leur chance. Ce serait délectable. J'adorais inventer mille et mille manières de les envoyer sur les roses, et sortir avec Alice était un moyen absolument délicieux. A la fois marrant et terriblement plaisant.

Et puis j'essayais d'imaginer la tête de Hartwood quand il nous verrait ensemble. Et je commençais à en avoir ras-le-bol que mes pensées me ramènent systématiquement à lui. N'empêche que je ne pouvais m'empêcher de le dire à haute voix, sans doute pour m'en débarrasser. Tant qu'Alice ne croyait pas que j'espérais qu'il divague sur ma petite personne, comme il l'affirmait lui-même...

- Non mais vraiment. Imagine sa tête, à Hartwood. Rien que cinq secondes. Je vais réussir à lui enlever son sourire à la con, cette fois !

Ce maudit sourire avec cette maudite fossette qui commençait à me hanter de façon presque effrayante.

Des cours de langue... Je pouffai en me disant que je pourrais très bien la sortir à mes parents comme excuse pour sortir, celle-là. Innocent comme tout, très logique (puisque l’Angleterre au complet me considérait comme unilingue!) et surtout, ils ne pourraient pas dire que je ne les avais pas prévenus !

Pendant qu’elle regardait l’écran de mon téléphone, ce fut mon tour de m’amuser un peu. Mes lèvres vagabondèrent contre la peau de son cou, l’effleurant plus qu’elles ne la touchaient réellement, pour remonter avidement au long de sa mâchoire. Ma main se glissa contre sa nuque, descendant en lissant doucement ses cheveux alors que je me penchais sur son visage.

- Ça va…

J’embrassai sa joue.

- Être totalement…

Je souffle sur ses lèvres en attendant qu’elles s’écartent légèrement.

- Fantastique.


Je me penche jusqu’à pouvoir goûter la saveur de ses lèvres, mais retient le baiser, m’amusant plus de l’expression de son visage que du reste. Oh oui, fantastique, c’était le mot. Une ode à la nature que de voir deux belles enfants sortir ensemble… L’envie qu’on verrait dans tous les regards. Et par-dessus tout, le party continuel que ça allait être ! Avec Blake, j’étais certaine de faire tout ce qui me passait par la tête. La preuve, la demande qu’elle venait de faire et que j’avais accepté sur un coup de tête. Vous en connaissiez beaucoup vous, des amies qui se demandent spontanément de pouvoir se frencher à volonté ? Non, et bien voilà !

Ouais, la tête d’Hartwood de voir les deux emmerdeuses de la classe en plein élan de passion. Délicieux ! Mais pour une raison qui m’échappait, c’était encore mieux pour Blake que pour moi. Attendez, j’en ai manquez un bout. Quel sourire ? Hartwood, il ne souriait jamais que je sache ( encore que, même s’il avait une bien belle gueule, je ne le regardais pas spécialement. Je préférais Laurys. ) Oh ! Et si au fond ce n’était pas totalement désintéressé de sa part ? J’avais ma propre personne à rendre jalouse, mais de la part de Blake je pensais plus à une lubie. On avait parfois des petites bulles de folies qui passaient. Il fallait éclaircir ça. J’en avais rien à cirer qu’elle veuille emmerder quelqu’un, j’étais prête à l’aider, à simuler un orgasme devant Hartwood, mais je voulais savoir pourquoi je le faisais.


- Euh, Blake, Hartwood, il t’a fait quoi exactement ?

Et merde. Et putain de merde. Et bordel de putain de merde mais ce que je pouvais être conne ! C'était sa faute, ça. Oui, oui, la faute de Hartwood, évidemment, forcément, c'était lui qui avait manœuvré pour qu'il m'obsède du soir au matin, si fort que je n'avais pu m'empêcher d'y revenir encore et toujours, au point de mettre la puce à l'oreille de ma meilleure amie. Il m'avait demandé si je rêvais de lui. Oh oui, je le voyais toutes les nuits, mais c'était dans des cauchemars. Je n'en pouvais plus de ne penser qu'à lui faire ravaler ce maudit sourire. Cette expression narquoise qu'il avait lorsque nous étions seuls, cette petite fossette qui clamait qu'il était plus fort que moi. Oui, il était plus fort que moi, et ça me dégoûtait. Tout ça parce qu'il était insensible à toute émotion humaine, tout mon contraire. C'était profondément injuste ! Et plus injuste encore cette question pleine d'incompréhension posée par Alice, Alice qui était arrivée après qu'il me retire ce rôle, qui me voyait l'emmerder lui et seulement lui, et finalement se disait sans doute que j'aurais aussi bien pu jeter mon dévolu sur n'importe quel autre professeur. Eh bien NON !

- Il m'a embrassée.

La phrase m'avait échappée sans même que j'y réfléchisse, sans même que je réalise ce que je disais, l'énormité que c'était. Lorsque je m'en rendis compte, je devins aussi rouge qu'une tomate bien mûre. Soudainement, j'étais en train de revivre sa poigne de fer sur mon épaule et ce baiser tellement humiliant. Les larmes me montèrent aux yeux. Brusquement, les vannes s'ouvrirent. J'avais besoin de m'épancher, de raconter à quelqu'un ce qui me pesait sur le cœur depuis si longtemps, de partager un tant soit peu ce secret honteux, et Alice était la candidate idéale.

- Samedi dernier. Quand j'ai été en colle. Il voulait me faire travailler un extrait de Roméo et Juliette, et j'ai refusé. On s'est disputés, et je ne sais plus trop comment on s'est débrouillé, mais d'un seul coup, on s'est retrouvé à jouer la pièce. La scène du balcon. Et à un moment, il a essayé de m'embrasser, et je l'ai giflé, et j'ai eu peur de sa réaction alors j'ai reculé, et là, il m'a dit... Il m'a dit... « Si je dois être frappé, autant que ce soit pour une bonne raison. » Et il m'a embrassée de force. Je te jure que c'est vrai, Alice ! Il m'a embrassée de force ! Et maintenant, il se comporte comme si de rien n'était ! Et il dit que c'est moi qui fantasme, que ce n'était même pas un vrai baiser !

J'étais en larmes. Dévastée. Cela faisait trop longtemps que je gardais cela pour moi, et l'exprimer à haute voix me faisait soudain prendre conscience de toute l'horreur de la situation. Pourquoi est-ce que je n'avais pas porté plainte, déjà ? Pourquoi est-ce que je n'avais pas balancé ça à tout le monde ? J'aurais vraiment dû. Et je réalisai soudain que de toute façon, personne ne m'aurait jamais cru. Cela faisait trop longtemps que je faisais tout pour lui pourrir la vie, on aurait simplement cru que je passais un cap dans les degrés d'emmerdement.

- Je veux lui faire ravaler ça. Je refuse qu'il croie une chose pareille. Je veux lui faire ravaler ses moqueries et son dédain. Je veux le rendre jaloux. Qu'il ne pense plus jamais que je suis une de ces connes qui veulent le mettre dans leur lit !

«Un feu qui brûle en éteint un autre ; une douleur est amoindrie par la vivacité d'une autre douleur.»

Oui, bon, et comment j’étais supposée réagir, moi ? Enfin quoi, le prof avait littéralement VIOLÉ Blake ! Il n’y avait pas besoin d’un contact plus approfondi pour que ce soit ça ! Qu’il la touche contre son gré, c’était un viol. Qu’il ose seulement la regarder et je lui en mettrais une en pleine gueule. On ne faisait pas de mal à Blake. Et si Blake ne voulait pas que cet arrogant pose ses lèvres sur sa bouche, alors il ne le ferait pas. Peut-être que je pourrais demander à Laurys de l’expédier à quelque part où il ne pourrait plus faire de mal à mon amie. Si elle en émettait le souhait, évidemment, et du reste j’étais certaine que mon démon voudrait, parce qu’il détestait que quelqu’un puisse abuser d’une personne si faible. Comme Blake. Et si B. ne voulait pas, alors j’irais personnellement parler au connard qui lui avait fait du mal et – bon, à vrai dire, je ne savais pas ce que je ferais à ce moment-là, mais je trouverais bien. Et il n’aurait plus jamais la paix dans son cours, même si c’était un de ceux que je préférais puisque je n’étais pas catapultée avec des mioches. Je pris Blake dans mes bras et la serrai pour la rassurer.



- Je te crois Blake, ne t’inquiète pas. Il est malade ce prof, c’est tout. On n’embrasse pas une élève comme ça ! De toute façon tu ne peux pas fantasmer sur lui, hein ? T’es MA copine.

J’essuyai les larmes qui coulaient le long de ses joues en gardant un visage impassible. À vrai dire, je ne savais pas vraiment comment réagir à cette annonce, mais il me semblait que m’énerver et me mettre à pleurer moi aussi n’aiderait pas sa cause. Quant à sourire, c’était totalement exclus pour l’instant. Mon pouce passa juste sous son œil, mais ça ne servait pratiquement à rien tant elle sanglotait fort. La tenant toujours fort contre moi, je frottai doucement son dos en l’écoutant maudire Hartwood, me contentant d’acquiescer. Que pouvais-je faire d’autre ? Ce n’était pas un viol à proprement parler comme le définirait la loi. Même si elle ne voulait pas de ce baiser, Liam Hartwood pourrait toujours prétendre qu’il la croyait intéressée, qu’il s’était trompé et qu’il n’avait plus rien tenté après, ce qui était plutôt exact. Évidemment, les relations profs-élèves étaient proscrites, mais Blake était quasiment une adulte, ce qui compliquait encore les choses. Enfin, si elle ne portait pas plainte, on s’arrangerait quand même pour pourrir la vie de cet idiot. Déjà, deux filles qui s’embrassaient devant lui, ça lui montrerait ce que c’est un VRAI baiser.

- C’est lui qui suppliera d’entrer dans ton lit quand on en aura fini avec lui, je te le promets !

J'étais tremblante, ruisselante de larmes, et je pense que j'étais sur le point de faire une crise d'hystérie. Parce que je voyais le visage d'Alice se peindre d'incompréhension, et plus que tout, je craignais qu'elle ne me croie pas, j'avais peur qu'elle ne me rie au nez et ne me dise que j'étais totalement folle, qu'effectivement je délirais, que Hartwood ne pouvait pas me voir en peinture et que de toute manière il ne risquait pas de s'intéresser à quelqu'un un jour, enfin, en quelque sorte, plus ou moins tout ce qu'il avait essayé de me faire croire. Pourtant, aussi absurde que cela paraisse, ça n'était pas dans ma tête ! Pratiquement toutes les nuits, je revivais l'empreinte de ses lèvres sur les miennes, sa brutale fureur envahissant ma bouche. Du doux frôlement qui avait tout provoqué, en revanche, il ne restait plus trace. Seulement cette violence qui avait brisé à jamais la très fragile confiance que je pouvais avoir envers les hommes et l'intérêt des relations avec eux.

Avec Alice, je me sentirais bien. Alice me comprenait. Alice savait trouver les mots qu'il fallait prononcer pour me consoler. Les premiers qu'elle énonça furent les seuls qu'il y avait à dire pour me calmer.

Je la serrai convulsivement contre moi alors qu'elle me prenait dans ses bras. Elle me croyait ! Elle ne me prenait pas pour une dingue ! Elle ne se disait pas que j'avais peut-être mal interprété les choses ! Toutes les réactions que j'avais craintes, et qui étaient en grande partie la raison pour laquelle je m'étais tue, elle ne les avait pas eues, elle me croyait, pleinement et sans concessions. J'aurais voulu lui poser cette question fatidique cent fois pour bien m'en assurer. J'avais énormément d'amies ; j'étais populaire, au lycée, la fille douée, pas prise de tête, que tous les profs aimaient bien, et la première à animer une fête. Mais là, je réalisais soudain qu'Alice était sans doute ma seule véritable amie. Mes larmes continuaient à couler sans que je puisse réellement les contrôler. Elle tenta de me les essuyer sans succès ; un rire étranglé m'échappa, tant en réponse à ses paroles qu'à sa tentative bien vaine.

- Jamais je fantasmerais sur lui ! Je ne peux pas le voir en peinture, et il le sait très bien. Il s'invente des scénarios tout seul parce que je lui dis « Je t'aime » en étant Juliette, et après il me dit que c'est moi qui confonds la scène et la réalité !

Ça, c'était pour avoir osé me dire que mon jeu avait des lacunes, alors que lui-même, le si froid prof de littérature, s'y était laissé prendre. Et puis c'était vrai après tout. Pourquoi serait-il tellement intéressé par ma petite personne, sinon ? Non, il se faisait des idées lorsque j'étais Juliette, c'était tout. Il n'en avait rien à faire de Blake. Je m'accrochais à cette idée comme au dernier filet avant le grand plongeon vers la folie des envies strictement impossibles et interdites. Un sourire mesquin étira mes lèvres. Mes larmes se tarissaient, lentement, mais sûrement.

- Et c'est moi qui pourrai l'écraser sous le mépris qu'il me fait subir depuis tellement longtemps. Réussir à m'ignorer même après avoir fait une chose pareille, il faut être totalement fou. Réussir à retourner la situation en faisant croire que c'est moi qui me fais des idées sur lui...

Mes yeux verts brillèrent à cette idée de vengeance qui s'annonçait tout à fait délicieuse.

- Il va comprendre, quand c'est lui qui viendra vers moi et moi qui le jetterai !

Bon, OK, là, j'avais définitivement tourné dingue. Genre, il viendrait me supplier. Au fond, je savais que c'était totalement impossible. Mais j'étais rendue à un stade où j'avais besoin de m'imaginer de tels scénarios pour tenir. Et puis, au fond - mais ça, je ne pouvais pas le dire à Alice - j'espérais bien qu'il ne le ferait jamais. Parce que maintenant je ne savais que trop bien ce dont il était capable pour obtenir ce qu'il voulait, je savais que ça ne le dérangeait pas d'utiliser la force. Comment est-ce que je pourrais réellement lui résister s'il décidait soudain de céder à ses pulsions ? Quelque part en moi, la peur que j'avais de lui renaissait, sournoisement, insidieusement, invisible encore mais bel et bien présente.

Malgré tout, il me semblait que tout ça n’était qu’une mauvaise blague. J’essayais de me représenter Liam Hartwood. Un homme beau, certes, il fallait l’avouer. Qui, s’il avait été plus jeune, aurait été à mettre sur la liste des mecs à embrasser avant la collation des grades. De son caractère, je ne savais pas grand-chose. Il était inutile de dire que son cours comptait parmi mes préférés : ce n’était pas pour lui, mais pour le niveau qu’on me laissait. Parce que bon, en tant que prof… magistral, spectaculaire. Particulièrement chiant, aussi, avec ses grands airs et ses yeux froids. Il me semblait un peu distant. Gentil, malgré tout. Genre, je pourrais probablement aller le voir en pleurant à chaudes larmes et, sans qu’il me prenne dans ses bras, il serait courtois et me tendrait un mouchoir en attendant que je me calme. Liam Hartwood me faisait penser à Snape, mine de rien.

- De toute façon, je t’interdis de dire je t’aime à quelqu’un d’autre qu’à moi. Ou même de penser fantasmer sur quelqu’un d’autre ! La réalité, c’est nous, nous et pas lui.

Je souris en laissant mes lèvres éponger les larmes qui avaient coulé sur ses lèvres. Douces, fraiches. Je n’aimais pas la voir pleurer…elle était si faible, si vulnérable. Un peu innocente, aussi. Pas dans le sens d’idiote, mais dans le sens qu’elle ne connaissait pas grand-chose à la vie. Pas plus que moi, j’imagine, mais je me sentais le devoir de la protéger.

- Mais il est fou, aussi Blake. S’il ne l’était pas, il ne prendrait pas plaisir à ta souffrance. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’on est encore plus démentes.

Je me levai et regardai au loin, puis revint à Blake en souriant.

- Viens, ma chérie. Tu dors chez moi. Demain, c’est la guerre.