La colère du roi [Azraëlle]

Il était vraiment dommage de devoir en arriver à de telles extrémités. Vraiment navrant. Mais elle ne me laissait pas le choix. Azraëlle était chez elle, sans doute devait-elle attendre ma visite. Le contraire eut été étonnant. Elle devait se délecter à l'avance de ma colère. Et bien, elle ne serait pas déçue du voyage. J'avais mes entrées dans sa luxueuse villa. Les grilles s'ouvrirent après que je me sois présenté au visiophone, alors que j'annonçais rendre la voiture.

Je me garai dans l'allée, avant de sortir et de m'adosser à la Lexus, bras et jambes croisés, en attendant que la maîtresse de maison descende récupérer son bien et m'ouvrir son garage. Peu importe le temps qu'il faudrait, j'étais patient. Il me semblait avoir trouvé la seconde clé, mais j'avais envie de tester Azraëlle, de la tromper. Chacun son tour après tout. J'allais surement laisser échapper une colère fort peu coutumière chez moi, mais qu'importe! Tant que je ne perdais pas totalement le contrôle, il n'y avait pas de problèmes. Et j'avais eu le temps de me calmer, en mettant cette rage au service de mes recherches plutôt qu'à des choses futiles.

Azraëlle avait eu tort de jouer avec l'esprit de Wilha. Que l'enfant me rejette me touchait plus que cela ne l'aurait du, bien que je n'en ai rien montré. Cela ne servait à rien de tenter de la câliner ou de la rassurer de toutes façons. A la peur ancrée dans son esprit, s'ajoutait celle que j'avais fait naître en lui parlant de choses qui la dépassaient. Et elle se demandait maintenant à quelle sauce j'allais la manger, moi qui avais prit soin d'elle sans jamais lui faire le moindre mal. Étonnant comme on oubliait vite ce genre de détails, malheureusement.

Enfin, la silhouette gracile et sensuelle d'Azraëlle se profila, sortant de la maison pour venir me rejoindre. A nous deux mon ange.

Une étincelle de mauvaise augure dansa dans mes prunelles d'obsidienne alors qu'elle parlait de sa voiture qui lui avait manqué. Oh vraiment ? C'était vraiment dommage... Doucement, je m'emparai de son poignet, l'écartant de la voiture. Un sourire était peint sur mes lèvres, alors que je l'entrainais à ma suite, avant de me glisser dans son dos, l'emprisonnant entre mes bras et humant le parfum de ses cheveux avec suavité.

- Elle t'a manqué, vraiment ? Pensais-tu que je n'allais pas en prendre grand soin? J'avais promis de te la ramener en bon état.

Doucement, ma main glissa le long de son bras, avant de glisser la clé de sa magnifique voiture dans sa main, la gardant au creux de la mienne et susurrant encore :

- Je tiens toujours mes promesses.

Enfin... Tout à coup, ma colère s'embrasa et la voiture prit feu. Un magnifique feu de joie. Et Azraëlle ne pouvait rien y faire, prisonnière de mon étreinte, assistant, impuissante, à la destruction de son petit bijou.

- Malheureusement, on ne peut garantir ce qui arrive à une aussi belle voiture, par les temps qui courent.

Es-tu satisfaite mon ange? Vois-tu l'étendue de ma colère? Soudainement, je lui fis faire volte face, me retrouvant face à face avec elle.

- Je peux tolérer beaucoup de choses, Azraëlle, mais pas que tu joues avec l'esprit fragile d'une petite fille. Une petite fille qui m'est cher. Et tu le sais parfaitement.

Un fin sourire ourla mes lèvres, devenant narquois. Derrière nous, la voiture brûlait toujours. Lentement, je calmai les flammes, éteignant l'incendie avant que cela n'explose. Ce serait trop bruyant.

- J'ai souvent pensé que tu étais mon reflet et moi le tien... Narcisse. Tombé amoureux de son reflet et qui en mourut. Pourquoi ce mot Azraëlle?

Dis-le. Dis-le moi.

Un rictus déforma mon sourire quand elle me répliqua calmement que j'étais infantile. Oui, sans doute et franchement, je n'en avais cure.

- Mieux vaut cette voiture, que ton ravissant minois, tu ne penses pas ?

Parce que ce n'était pas l'envie qui me manquait de l'incendier pour avoir osé jouer ainsi avec une enfant, pour se servir d'elle afin de faire passer des... messages, dirons-nous. Un message que je ne cessais de retourner dans mon esprit, n'étant pas certain de sa signification, craignant de me tromper et de passer pour un idiot fini. Je ne voulais surtout pas la décevoir. Je lui fis face, alors qu'elle me rétorquait que cela m'avait servi. Utile? Non, pas encore.

- Elle dort. La dernière fois que je lui ai parlé, elle me craignait. Qu'as-tu fait naître dans son esprit pour qu'elle ai peur de moi?

Elle allait sans doute me rétorquer avec un petit air innocent qu'elle n'avait rien créé, ne se servant que de ce qui existait déjà dans l'esprit de l'enfant. Et j'aurais envie d'effacer son sourire en écrasant ses lèvres qui me faisaient envie, malgré ma haine pour elle. Haine mêlée d'amour, j'en avais maintenant bien conscience. Je ne répondis donc pas concernant l'utilité de sa petite manipulation.

Féline, elle sortit son portable de sa poche, appelant un correspondant inconnu, mais qui avait du lui faire cadeau de cette voiture qui avait connu un si triste sort. Oui, c'était dommage... Ah le vandalisme, plus rien n'était respecté. Je retins de lever les yeux au ciel alors qu'elle roucoulait presque, refusant qu'il lui en offre une autre, alors qu'elle n'avait appelé que dans ce but. Et cet abruti qui se laissait manipuler, mener par le bout du nez. Pathétique.

- Il semblerait que tu récupères une voiture flambant neuve.

Ce dont je ne doutais pas, étant donné sa petite fortune personnelle, amassée durant des siècles. Je lui attrapai le coude, l'attirant à moi, avant de rétorquer dans un souffle :

- Parce que je veux te l'entendre dire Azraëlle. Est-ce si difficile d'utiliser des mots simples?

Je marquai une pause, la caressant du regard :

- Tu es mon reflet. Je suis le tien. Narcisse tomba amoureux de son image. Crois-tu que nous en mourrons mon ange ?

Sans doute... Quel avenir pour cet amour contre nature, vicié, teinté de haine, de défi, d'admiration. C'était compliqué, mais deux êtres comme nous ne pouvions faire les choses simplement n'est-ce pas?

Comme je m'en doutais, comme je l'avais prévu, elle répondit, dans un sourire fin, qu'elle n'avait rien implanté, allant simplement chercher ce qui existait déjà, pour l'extraire, le ramener à la surface. C'était une menteuse, certes, mais les plus beaux mensonges étaient ceux qui étaient basés sur un fond de vérité et je savais qu'elle excellait là dedans. Je la laissai faire son petit numéro au téléphone, se faisant offrir une voiture par un soupirant, ce qui avait le don de m'irriter. Quelle faiblesse... Elle obtenait ce qu'elle voulait en jouant la comédie et en exploitant la faiblesse des humains. Brillant, mais énervant.

- Aimes-tu cela? Qu'un homme soit prêt à tout pour toi? Qu'il cède au moindre de tes caprices?

Non bien sûr que non. Ceux là étaient utiles, certes, mais si fades. Ils ne retenaient pas son attention, pas comme moi je pouvais la fasciner. Aucun n'était digne d'elle, aucun à part moi. Une fierté, même si je savais que nous allions droit à notre propre perte. Et Azraëlle devait en avoir conscience également. Pourtant, j'exigeais d'elle qu'elle soit honnête. Que pour une fois, elle délivre les mots, sans enrobages, bruts. Qu'elle me dise qu'elle m'aimait. Et naturellement, elle l'évita. Tellement surprenant... Qu'elle me dise simplement je t'aime aurait été bien plus étonnant. Mais cela n'aurait pas été Azraëlle n'est-ce pas?

Elle se dégagea de mon emprise, ses mains glissant le long de mes épaules en une caresse qui fit monter le désir en flèche en moi. J'attaquai alors sur le même terrain qu'elle, jouant sur les mots, sur l'image qui lui plaisait tant et nous représentait bien.

- Laquelle effectivement...

Je serais le seul à te ravir le cœur... Il était déjà à moi, mais je n'avais plus l'intention de la tuer... Quand je me lasserais peut-être, mais j'étais un sentimental, que voulez vous? Ma main se referma sur sa nuque, l'attirant à moi avant que je ne ravisse ses lèvres, avec une certaine avidité, une violence latente.

- Tu seras ma perte...

Je le savais, j'en avais conscience... Et elle était dans le même cas.

Un sourire mauvais fut la seule réponse que je lui concédais. Bien sûr qu'elle n'aimait pas ce genre de larve rampante qui satisfaisait le moindre de ses caprices. Elle n'aurait pas été intéressante si cela avait été le cas. Et il n'existerait pas cette étrange relation entre nous. Elle méprisait ces larbins. Moi, elle ne me méprisait pas. Elle m'attendait. Le seul homme capable d'éveiller son cœur et sa chair, en 2000 ans... De quoi flatter un ego déjà bien surdimensionné, c'était certain. néanmoins, pécher par excès d'arrogance n'était pas dans mes projets et je n'oubliais pas ma colère première, légèrement calmée par mon petit caprice, ma petite vengeance, mesquine, sans doute, mais que cela faisait du bien... Comme taper comme un fou sur un sac pour évacuer la rage. C'était le même mécanisme, et démon ou pas, il me fallait parfois des exutoires à une colère plus que légitime.

J'oubliais bien vite cet insecte misérable. Il ne méritait pas mon attention. Ni jalousie, ni mépris, il n'était rien, il m'était indifférent. Non, le seul homme dont j'aurais pu être jaloux était cet homme qui avait su susciter son intérêt il y a quelques siècles, qui avait écrit sur elle. Elle semblait conserver une certaine tendresse pour lui. Une tendresse qu'elle ne m'avait jamais manifestée... Mais je m'étais promis de la susciter. Sans doute pas aujourd'hui, mais cela serait, parce que j'en avais décidé ainsi.

Elle m'aimait... Elle l'avait avouer de façon détournée, mais cela ne faisait aucun doute, quand bien même ces simples mots ne franchiraient jamais la barrière de ses lèvres. Franchiraient-ils un jour les miennes ? Rien n'était moins sûr... Il était sans doute plus aisé de garder l'illusion d'un contrôle quand certaines paroles n'étaient pas proférées... c'était ridicule, mais c'était ainsi.

Je serais le seul à pouvoir la tuer... Et elle la seule à pouvoir m'arracher le cœur. Douloureuse évidence... Mais je ne craignais pas cette éventualité. Être tué par elle n'avait rien de déshonorant, elle était une adversaire que je respectais et que j'admirais. Doucement, je la fis reculer, vers la carcasse fumante de la voiture.

- Alors tâchons de faire en sorte de toujours susciter l'intérêt de l'autre...

Je baisais son cou avec application, avant de murmurer à son oreille :

- De lui être... indispensable.

Elle se retrouva coincée entre la voiture carbonisée et moi et je m'emparais subitement de sa jambe, levant sa cuisse à hauteur de mon bassin avec un désir subit et violent pour elle.

- Et maintenant, ma reine ?

Échec au roi.

Échec à la reine.

De la destruction de l'un, naitrait la mort de l'autre. C'était ainsi, nous étions liés, sans pouvoir rien n'y changer. Nous avions trop joué et nous avions perdu tous les deux, perdu notre liberté, notre indépendance. Son sort m'importait désormais et je serais sans doute malheureux qu'elle meure un jour, alors même qu'elle était mon ennemie. Amoureux ? Hélas, cela semblait bien être le cas. Pas cet amour vertueux que l'on vantait dans les livres ou les films, mais un amour plus profond, corrompu par ce que nous étions, mais néanmoins puissant. La passion nous embrasait en présence l'un de l'autre. Et je savais que je ressentirais un grand vide si elle venait à disparaitre.

C'était une relation étrange, mais que nous ne pouvions pas ignorer. Même si jamais nous ne serions un parfait petit couple, nos natures nous en empêchant. Azraëlle avait encore prouvé qu'elle avait un esprit retors qui ne se mettrait jamais en veille, même avec moi. Surtout avec moi, dirais-je.

Le désir m'enflamma alors que je jouais avec le feu et ma main remonta le long de sa cuisse, remontant sa jupe vers ses hanches. Au diable la décence, nous étions chez elle et personne ne nous dérangerait. A l'ombre de la maison, près du garage, nous étions seuls au monde et je n'avais pas l'intention de brimer davantage mon envie d'elle. Née de ma colère. Il semblerait que nos rapports ne soient voués à être provoqués que par des sentiments violents. Colère, défi... Tant pis, cela m'allait pour le moment.

Ma main glissa sous ses dessous, caressant la chair tendre de son intimité. Elle était déjà offerte, consentante, quand bien même sa fierté aurait voulu la faire refuser. Elle me devait bien cela pour le tracas qu'elle m'avait causé avec Wilha.

- Toujours, dés lors que c'est toi qui en es l'objet...

La colère devenait désir pour elle, pour ma Nemesis, longtemps cherchée, jamais trouvée jusqu'à maintenant. Maintes fois j'avais entendu parler de l'ange de la mort, de ce dont elle était capable, de ses méfaits, de sa puissance. Sans pour autant jamais la croiser ou découvrir son visage. Et c'était la plus belle des femmes, la plus sensuelle, qui s'était parée de sa vertu, l'avait brandie fièrement, comme sa liberté, comme son bien le plus précieux qu'aucun homme n'avait profané, dont aucun homme ne s'était emparé, à travers les siècles, les millénaires même.

J'étais un démon parmi d'autres, ne me distinguant des miens que par ma solitude, mon statut d'indépendant, de paria même, qui avait tourné le dos à Satan, une jolie cible à abattre, puissante. Je n'étais pas légendaire comme Azraëlle, mais j'étais connu. Je restais tranquillement dans mon coin, vivant mon immortalité comme cela me chantait, sans entrer dans ce jeu de pouvoir entre Satan et Dieu, et cela me valait bon nombre d'ennemis.

Je pouvais maintenant me targuer d'avoir ravi la virginité de l'ange de la mort, de lui avoir arraché des gémissements de plaisir, de l'avoir faite vibrer sous mes doigts. Et cela continuerait encore longtemps. En revanche, jamais personne ne devrait voir en cela autre chose qu'un amusement, une domination sur elle. Que personne ne sache jamais qu'elle s'était faire une place quelque part au fond de mon être, dans mon cœur que je pensais asséché et qui ne l'était malheureusement pas tant que cela. Ce qui me consolait, c'était de savoir que le sien n'était pas de glace non plus.

Je glissai mes mains sous sa jupe, retirant la barrière de tissu qui m'empêchait d'accéder à son intimité. Je délivrai ma virilité avec une certaine impatience, avant de la soulever et de pénétrer en elle, avec douceur, mais fermeté, dévorant ses lèvres alors qu'un brasier me consumait.

Ses soupirs étouffés, ses gémissements à peine audibles étaient une mélodie qui me portait et dont je ne me lasserais jamais. J'avais déjà aimé, plusieurs fois, mais jamais durablement, jamais avec cette intensité, avec cette dualité, avec ce paradoxe troublant de haine. Je ne la chérissais pas, je ne l'adorais pas, je n'avais aucune confiance en elle et pourtant, je savais qu'aux tréfonds de mon âme, mon cœur s'emballait pour cette déesse des temps anciens. Je ne savais si cette relation resterait éternellement basée sur cette dualité, si elle tendrait à évoluer. Loin de moi l'idée de m'attendrir face à elle, de prêter le flanc à une attaque perfide. Je me méfiais d'elle et de ses atouts, d'elle et de son esprit retors. Serait-elle capable de me tuer une fois lassée ? Ou trahie ? Fort probablement. Quelque chose me disait qu'il ne fallait pas éveiller le courroux d'Azraëlle, ni sa rancœur.

Je lui avais ravi ce qui avait été sa plus grande fierté et que j'en conserve le secret, que je respecte cela avait sans doute garanti ma vie aujourd'hui. Je jubilais d'avoir gagné ce trophée mais je ne pouvais le crier au monde entier. Si réellement elle m'avait été indifférente, il aurait été aisé de l'humilier. Mais ce n'était pas cela que je cherchais avec elle, quand bien même il demeurait un net sentiment de domination, entièrement partagé par le Séraphin qui n'était pas en reste.

Alors je la dominais de la seule manière où j'étais certain de gagner : je la pris contre cette carcasse de voiture fumante, avec une envie qui n'avait d'égale que mon besoin de contrôle, mon besoin d'elle tout à la fois. Et chaque crispation de son corps était une victoire, chaque frémissement un délice. Lentement, j'allais et venais en elle, la sentant se refermer autour de moi. Et quand vint la jouissance, je fermai les yeux, retenant des paroles qui auraient paru aveux de faiblesse, me contentant de soupirer d'aise, avant de baiser ses lèvres entrouvertes, mais d'où nul mot ne s'était échappé non plus.

Même dans l'amour, nous restions sur nos gardes, nous évitions la faiblesse. Si lui avouer mon besoin d'elle n'était pas envisageable le baiser que je lui donnais valait sans doute toutes les paroles du monde, pas assez violent pour être dominateur, pas assez brutal pour être victorieux. Juste assez doux pour être remerciement. Juste assez passionné pour être amour.

- Il est heureux que tes domestiques sachent se faire discrets...

Car nous, nous ne l'avions pas été. Je ne défis pas mon étreinte, la soutenant toujours, demeurant en elle, profitant des dernières bribes de plaisirs, trop vite évanouies.

Un léger rire accueillit les paroles d'Azraëlle. Aurais-je tué l'importun qui serait arrivé et nous aurait interrompu ? Peut-être, étant agacé de voir notre petite partie de jambe en l'air ainsi mise à mal. Je ne supportais pas qu'un de mes plans ne se déroule pas comme prévu. Même si coucher avec elle n'était pas vraiment prévu au programme. Cela avait été un petit extra. La suite logique de ma colère quelque part, le désir n'étant jamais bien loin.

- Me crois-tu si facilement sujet à la colère mon ange ?

Alors certes, brûler sa luxueuse voiture n'était sans doute pas un exemple flagrant de contrôle de moi, mais elle avait dépassé les bornes cette fois et ce n'était que la goutte d'eau qui venait faire déborder le vase. Mais je n'étais pas sujet à la colère. Pas facilement, elle avait déjà pu en convenir.

- Peut-être l'aurais-tu tué avant moi, qui sait ? Je doute que tu supportes plus que moi une interruption dans ce genre de moment...

Un sourire narquois ourla mes lèvres. Elle m'avait donné un peu de bonheur, beaucoup de plaisir. J'en ressentais encore les effets, de bien meilleure humeur que quand j'étais arrivé. Je fronçai les sourcils quand elle parla de nouveau de Wilha, me ramenant à l'objet premier de ma visite. Je m'écartai d'elle, remettant de l'ordre dans mes vêtements.

- Merci du conseil.

Ma voix était légèrement narquoise, alors que je me demandais ce qu'elle entendait par là, ce qu'elle voulait que j'entende, que je découvre. Jusqu'à quel point pouvait-elle manipuler me psychisme de quelqu'un ? D'une enfant ? Pouvait-elle faire de même sur moi ? L'avait-elle déjà fait et que je n'en conserve aucun souvenir ? Non, j'en doutais, je n'étais pas fragile, ni faible. Mais le doute était pourtant là... Perfide.

- Sage décision de leur part...

Je lui rendis son sourire. Je ne doutais pas que ses domestiques avaient vite apprit à être discrets et efficaces. Mieux valait pour eux. En avait-elle déjà tué sous le coup de la colère ? Peu probable, mais sans doute s'en était-elle débarrassée de façon plus sournoise. Depuis le temps que je la connaissais, elle n'était sans doute pas du genre à laisser passer une contrariété, même si j'étais plus direct qu'elle. On me contrariait ? Je tuais, sans pitié, sans fioritures. Azraëlle était et restait un ange. Sournoise.

L'ange se campa bien en face de moi, avant de se saisir de mon menton d'autorité, tournant mon visage vers elle. S'assurant ainsi qu'elle avait bien toute mon attention et je plongeai mon regard noir dans le sien, couleur d'eau.

Elle m'annonça alors que Wilha était là le soir de l'incendie et quand dans sa mémoire demeurait un souvenir, dont elle n'avait pas conscience elle-même, mais que l'ange avait déniché. Je haussai un sourcil amusé alors qu'elle me disait qu'elle me laisserait être reconnaissant cette fois. Cette petite pique ne m'échappa pas. Ses lèvres jouèrent avec les miennes et je retins un mouvement pour m'en emparer réellement, impérieusement, demeurant de marbre malgré la chaleur qui irradiait mes veines de nouveau.

Un éclat s'alluma dans mon regard quand elle me donna son conseil. Bien écouter, au risque de rester un chien à jamais. Elle me lâcha, mais je m'emparai de son bras, avant de souffler :

- Aurais-tu la clé de ma servitude mon ange ?

Je m'étais lié à Ciel pour avoir son âme. Cela comportait quelques contraintes, comme de devoir obéir à cet enfant insupportable et seule sa mort viendrait me libérer, comme des dizaines d'autres avant lui. Ciel m'avait demandé de retrouver le pyromane et j'avais fait chou blanc jusqu'à maintenant...

Oui, je la connaissais. La mort de Ciel, purement et simplement. Que je dévore son âme si pure, si alléchante, une bonne fois pour toute. C'était la seule façon de me débarrasser de mes chaînes, chaînes que j'avais accepté et dont j'étais même l'instigateur. Je savais qu'Azraëlle n'était pas du tout du genre à se lier ainsi à un humain et lui donner un quelconque pouvoir sur elle, tout relatif puisse-t-il être. Je ne doutais pas qu'elle soit douée pour "mal comprendre" un ordre et réussir à en tirer profit. J'étais par contre étonné que ma relative servitude semble la déranger à ce point. Je me souvenais bien de son mépris à mon endroit au début. Juste un toutou... Mais un toutou puissant, trop pour la tranquillité de beaucoup. Et cette puissance, c'était par les pactes que je l'avais acquise. Quand j'avais quitté les rangs de Satan. Je n'envoyais plus beaucoup de jeunes démons à l'académie. Ils y étaient plutôt mal accueillis.

Pour me libérer de Ciel, je devais m'acquitter de l'ordre donné : retrouvé le pyromane qui avait fait basculer sa vie et celle de Wilha. Tant que cela ne serait pas fait, je ne pouvais rien tenter contre lui. Or, Azraëlle semblait encline à me donner une piste que j'avais vainement cherché pendant deux ans. Elle me demanda alors si le tuer me répugnerait, trop attaché à ce gamin pour m'en débarrasser.

- Je ne tiens pas à lui.

Ciel était un gamin immature, colérique, imbuvable et arrogant. Mais un enfant qui portait un masque pour ne pas s'effondrer. Il avait tout perdu : ses parents, son âme... Je lui laissais son petit pouvoir dérisoire sur moi. Cela n'était qu'éphémère dans ma longue vie.

- En quoi ma liberté t'importe-t-elle Azraëlle ?

Une flamme brûlait dans son regard... Jumelle de celle qui dévorait le mien alors qu'elle me rétorquait que Wilha avait vu des choses... Que je n'apprécierais peut-être pas.

- Je ne suis pas responsable de la mort de leur parent, ce cadeau ne peut être qu'agréable.

Le seul témoin... Je m'emparai de ses lèvres, doucement, bridant mon envie dévastatrice d'elle.

Une lueur amusée dansa dans mes iris aussi sombres que le fond d'un gouffre alors qu'elle me répondait simplement que, libéré de Ciel, elle n'aurait plus aucun moyen de pression sur moi. Tenait-elle donc tant que cela à me voir affranchi de toute chaine, à être en pleine possession de mes moyens, libre de mes gestes ?

- Cela pourrait signer ta mort mon ange.

Du bluff et peut-être le savait-elle autant que moi... Je n'avais aucune envie de lui nuire réellement désormais. Bien que cela reste un secret honteux et inavouable, qui ne franchirait pas la barrière de mes lèvres, elle s'était emparée de mon cœur. A défaut de la transpercer, il battait au creux de sa paume et je savais que je tenais le sien en otage également. Cela nous était arrivé sans qu'on ne le voit arriver, sans qu'on puisse l'empêcher. C'était ironique... Aucun homme n'avait su capturer son cœur, ni ravir son corps. Elle n'était pas préparée à tomber amoureuse... Et moi... J'avais aimé nombre de femmes dans ma longue vie et j'en avais délaissé tout autant. Concernant Azraëlle, c'était un peu différent.

Je ne compris pas de suite en quoi les révélations de Wilha pourraient me porter préjudice. Son sourire s'affina, félin. Elle était vraiment magnifique. Et je compris ce qu'elle voulait dire quand elle s'expliqua, parlant de mes ennemis, trop nombreux, qui finiraient bien par m'avoir et de Wilha que je protégeais.

- Elle sait ce que je suis. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle ne sache toute la vérité. Cela fait trois ans que je modèle doucement son esprit. Ne t'inquiète pas mon ange, elle sera armée, tu as profité d'une faille, je la comblerais, je ne commettrais pas la même erreur deux fois.

Elle ne restera plus dans l'ignorance, il était temps de manipuler plus subtilement encore cette petite fille.