I'll stand by you [PV Sasha]

C'était Kieran qui m'avait appelé. Longtemps après la bataille, à vrai dire. La première chose qu'il m'avait dite était de ne pas paniquer, que tout allait bien, que Sasha était tirée d'affaire. Tirée d'affaire ? Cette expression m'avait forcément tout de suite interpellé ; tirée d'affaire, ça voulait forcément dire qu'elle avait eu des problèmes, et de gros problèmes, si c'était Kieran qui me prévenait et même pas elle. Ensuite, il me semblait qu'il avait employé un terme du style « mal famé ». Là, je pense que j'avais éprouvé quelque chose entre la colère, autant contre Sasha que contre celui qui lui avait fait du mal, et le fatalisme. A savoir que Sasha était excessivement prudente. Les endroits mal famés, elle les connaissait par cœur, et elle savait prendre ses précautions, alors comment s'était-elle débrouillée pour qu'il lui arrive quelque chose ? Elle avait forcément commis une imprudence ! Jusqu'à ce que je me souvienne que malheureusement, la prudence ne faisait pas tout dans l'under. Moi qui espérais que maintenant qu'elle s'était rangée ou presque, elle vivrait une petite vie tranquille et normale avec son Kieran...

Mais le pire était encore à venir : j'avais pas entendu les mots « poignardée », « hôpital », « coma », et toutes les joyeusetés du même genre. Je m'étais retenu de balancer le portable contre le mur, à ce moment-là, mais à vrai dire, je le serrais tellement fort que je me demandais même comment il n'avait pas craqué entre mes doigts. J'étais au travail, avec Erin dans le bureau, et je lui jetais un regard à mi-chemin entre l'incrédulité et l'horreur, de moi-même, de ce que je faisais avec elle, en fait, alors que ma meilleure amie, celle dont j'avais sauvé la vie, la seule à venir me voir régulièrement quand j'avais fini en prison, ma petite sœur, rien moins, était en train de se faire agresser. Poignarder ! Pendant que je me tapais ma patronne, merde !

- OK, j'arrive de suite.

Je ne décrochai même pas une explication devant le regard interrogateur d'Erin alors que je prenais ma veste et fonçai hors du bureau. J'aurais tout le temps de lui envoyer un SMS plus tard. La circulation me sembla horriblement lente tout le temps que je mis à atteindre l'hôpital - qui était terriblement loin en plus ; en toute logique, ils l'avaient emmenée dans le plus proche, et la boutique où elle travaillait n'était pas tout près du lycée. Mais je finis enfin par atteindre l'accueil et j'agressai presque l'hôtesse :

- Sasha Erwin ?

- Qui êtes-vous ?

- Son frère, répondis-je spontanément, sans réfléchir vraiment à la question.

- Ah bien. Inscrivez votre nom ici, chambre 185... Et ne la fatiguez pas !

Je gribouillai rapidement une signature qui pouvait ressembler à Adam Erwin et fonçai vers les étages. Je pris conscience que l'infirmière avait dû se demander pourquoi le frère débarquait aussi paniqué après la bataille, alors que plusieurs des amis étaient passés avant, mais à l'instant t, je m'en fichais. Je frappai à la porte, attendis cinq secondes, et entrai sans plus attendre, trop impatient.

- Oh, Sasha !

Sasha avait toujours été pleine de vie, sauf peut-être lorsqu'elle était écrasée par la drogue, abrutie par ses shoots, et c'était aussi pour ça que je haïssais cette chose immonde, cette poudre blanche tellement destructrice qui avait tué mon frère et tant d'autres. Elle était enjouée, rieuse, optimiste, et je m'étais d'ailleurs souvent demandé pourquoi ce surnom de Blue. Si le mien avait un sens, je n'avais jamais réellement compris le sien. Mais tout était très loin d'avoir un sens dans l'underground, aussi...

Quoi qu'il en soit, la voir ainsi, allongée sur un lit d'hôpital, c'était presque aussi terrible que de la voir se déshabiller et me supplier de la prendre s'il fallait ça pour que j'accepte de la laisser se droguer. Sa voix fragile me brisa. Depuis quand n'avait-elle donc qu'un filet de voix ? Mon regard coula le long de sa perfusion. C'était sans doute de la morphine qui passait là, et je serrai les dents. Je n'aimais pas savoir que de la drogue passait dans le corps de Sasha, fût-ce pour son bien. La drogue ne pouvait jamais faire de bien, à personne.

- Il paraît, fis-je, la voix nouée par l'émotion. Putain, je l'aurais su avant, je serais mort d'inquiétude. J'admire Kieran d'avoir supporté l'attente. A propos, tu le remercieras de m'avoir prévenu.

Kieran était un type vraiment bien, du peu que je le connaissais, et j'étais vraiment heureux que ma petite sœur se soit trouvé quelqu'un comme lui. De qui d'autre aurais-je accepté qu'il pose les mains sur elle ? Heureusement que je ne savais pas qu'il avait touché à la drogue, et pour sa santé, il valait certainement mieux que je ne le sache jamais. Peu importait que cela lui permît de mieux comprendre Sasha, ou que cela les eût aidé à se mettre ensemble. Rien ne pouvait excuser ça, et en vérité, Sasha était sans doute la seule junkie ou ex-junkie pour qui j'étais capable de passer outre.

- Ouais, totalement. Moi qui suis encore si jeune et séduisant. T'as honte de toi, j'espère !

Sous mes airs de gros dur, elle seule savait le cœur tendre qui s'y dissimulait, et elle seule pouvait le faire sortir au grand jour. Un brin macho, sans aucun doute, même si je ne me cachais pas réellement, n'ayant aucune honte à admettre que je n'étais qu'un gros ours, finalement. Plus sérieusement, je repris, lui prenant la main :

- Qu'est-ce qui s'est passé, dis-moi ? Est-ce qu'on a arrêté ce dingue, au moins ? Kieran m'a dit que t'étais passée dans un endroit pas très net...