Visite inopinée | Azraëlle

Alix n'aimait pas la Lux Schola et pour tout dire, c'était bien la première fois que ses ailes effleuraient les dalles de l'école des anges. Rien que l'idée la faisait frémir, comme si être un élu pouvait s'enseigner à l'image des sciences dont se régalait les adolescents mortels. On n'apprenait pas à devenir un ange, on devenait un ange, en se confrontant à la souillure de Ses créatures, avec un guide pour pointer du doigt les embûches et les mensonges. Ainsi avait-elle été formée elle-même, sept siècles plus tôt. Elle ne pouvait imaginer d'autres moyens. Pourtant, Azraëlle se prêtait à cette mascarade ; elle ne l'avait jamais compris, mais qui était-elle pour remettre en question les décisions et actions de sa sauveuse ?

On ne lui avait rien demandé, quand elle s'était approchée de l'édifice. Faisant preuve de la même indifférence, elle s'était contentée d'avancer, mettant un pied devant l'autre, n'accordant à l'endroit qu'un morne intérêt. Que l'origine de l'endroit soit un de Ses commandements la dépassait et tant qu'on ne lui demanderait pas de s'y intéresser plus, elle ne tenterait pas de comprendre. Elle ne venait pas en tant qu'élève, ayant trop vécu pour cela, elle ne venait pas plus en tant que professeur - quel bien piètre pédagogue elle aurait fait ! -, elle venait en tant que fille indigne de revoir jamais le visage de sa mère, mais trop désireuse tout de même d'en avoir l'occasion. Qu'on ne l'arrêtât pas était un signe encourageant.

Elle n'avait pas besoin de demander son chemin, elle le sentait. Azraëlle l'appelait, elle n'avait jamais cessé de le faire, il était seulement bon de tendre à nouveau l'oreille. S'égarant dans les dédales sans jamais se perdre, elle finit par pousser une porte plus lourde que les autres, aux décorations plus poussées et au majestueux plus prononcé. Alors que le bois pivotait sans bruit, la Séraphin retint son souffle, et même son coeur s'arrêta de battre.

Sa mère la regardait.

Elle se laissa tomber à genoux, incapable de soutenir ces yeux tant aimés, et ses ailes se tendirent en arrière, comme à l'attente de quelque chose.

« Me pardonnerez-vous jamais, Mère ? »

Le temps n'avait plus aucune importance, seule la réponse de l'Elue, la seule véritable dans la pièce, pourrait lui rendre vie. En attendant, elle était comme morte, pétrifiée, en proie à un soulagement incroyable, à une joie indicible et à une crainte impitoyable.

Comme Azraëlle avait attendu son retour, Alix attendait sa sentence.

Alix connaissait le pouvoir des mots. Elle en usait depuis son élévation, ils étaient la clef la plus sûre pour se frayer un chemin jusqu'au coeur de Ses créatures. Elle savait qu'un discours pouvait soulever un Empire, elle savait qu'une insulte pouvait blesser plus surement qu'une arme. Elle savait qu'un simple murmure pouvait guérir. Azraëlle prononça son nom, et tout prit fin. La peur, la honte, les regrets même s'effacèrent. Les chimères qu'elle avait tant redoutées n'étaient, au final, qu'une crainte infantile.

Cela ne l'empêcha pas, pourtant, de se tendre alors que les doigts d'Azraëlle glissent entre ses cheveux. Le geste était tendre, pourtant, porteur ni de violence ni de menace, mais Alix vivait à l'écart du monde depuis assez longtemps pour ne plus reconnaître de l'affection quand elle en voyait. Le contact était devenu quelque chose d'étrange et surtout de dérangeant. Aussi se redressa-t-elle un peu vite, bien malgré elle. Elle était heureuse de revoir sa Mère, et plus encore de savoir qu'elle ne lui tenait pas rigueur de ses années de retraite silencieuse.

« Ma disparition n'était pas dirigée contre vous, jamais », voulut-elle se justifier.

Elle hésita, ensuite, à continuer. Azraëlle lui avait pardonné son absence, mais serait-elle aussi magnanime quand elle lui aurait avoué ses raisons ? Quand elle apprendrait que sa protégée doutait, malgré elle, des Hommes et des Anges eux-même, comprendrait-elle ? Rien n'était moins sûr, selon la concernée qui prit pourtant son courage à deux mains. Ce jour plus qu'aucun autre, elle avait besoin d'un guide.

« Depuis mon Élévation, j'ai côtoyé Ses créatures. J'ai sondé mille âmes, pour combien qui soit vraiment digne de Lui ? Mes Enfants se comptent par centaines, tous des Êtres que j'ai tenté d'arracher aux griffes du Malin. Combien ont embrassé réellement Son amour ? Mes efforts sont restés vains, Mère, le monde sombre chaque jour un peu plus, et je ne sais plus quoi faire. Les Hommes sont-ils vraiment destinés à Sa lumière, ou bien danseront-ils dans l'ombre du Seigneur du Matin jusqu'à la fin du Temps ? »

Elle hésita encore, l'air perdue, terrifiée, folle peut-être ; comment ne pas l'être, quand on tentait depuis sept siècles de changer à mains nues le lit d'un torrent ? Le temps était un fleuve impétueux.

« Suis-je toujours digne de Le servir, Mère ? »