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Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Pourquoi était-elle revenue ?

Cette question hantait Alix, qui ne parvenait pas à formuler une réponse satisfaisante. Au final, ce devait être sa malédiction : se poser mille et une questions sans jamais parvenir à y répondre. Jadis, cela ne l'avait pas dérangé. Il lui suffisait de se souvenir que Dieu guidait sa main, que Dieu était amour et que de Lui viendrait la Purification du monde. Mais à mesure que les anges devenaient plus nombreux, le monde sombrait toujours un peu plus dans la folie. Bien entendu, les suppôts de Satan ne cessaient, eux aussi, de croître, mais la Séraphin n'était plus tout à fait certaine qu'ils fussent responsables des maux de ce monde. Peut-être l'ange n'était-il pas Sa Main dévouée. Peut-être l'Homme n'était-il pas Sa créature ; elle avait cru que le Malin apportait la souillure, mais peut-être ne faisait-il que la révéler. Peut-être se battait-elle pour rien, depuis toutes ces années.

Peut-être n'était-elle pas aussi sauvée qu'elle l'avait crû de prime abord.

La seule certitude qui lui restait demeurait simple : la solitude la tuait à petit feu. Elle n'avait parlé à personne ou presque durant ces six dernières décennies, elle avait pris l'habitude de se parler à elle-même, et il était temps que cela cesse. Malheureusement, force était de constater que retrouver le monde des Hommes ne lui faisait aucun bien. Perchée sur le toit d'un immeuble un peu plus grand que ses congénères, les jambes dans le vide et ses ailes rabattues vers l'arrière, elle observait Ses créatures comme un enfant eut admiré une fourmilière : avec un mélange de crainte et de fascination. Là, elle voyait un jeune homme déambuler dans la rue, sans but, sans conviction, le regard aussi éteint que son âme. Ici, elle admirait une femme vendre son corps, et s'interrogeait sur ses motivations. Là-bas, elle voyait une voiture manquait foncer dans un piéton qui n'avait rien demandé. Elle admirait le chaos dans son état le plus pur, alors même que cette ville clamait être civilisée. Alors, c'était ça, les joies du monde moderne ?

Azraëlle lui manquait. L'ange lui avait sauvé la vie, avait toujours été de bons conseils, l'avait guidé dans sa nouvelle vie et elle, qu'avait-elle fait pour la rendre fière ? Disparaître. Arrêter les bénédictions. Tourner le dos à tout ce qu'elle peinait encore à croire, malgré son envie dévorante d'y arriver. Tout cela n'avait que trop duré, et il était grand temps pour la Séraphin de se reprendre en main. Si on lui avait dit qu'un ange pouvait être pris de doutes... Mais elle était Alix, elle avait guidé l'Inquisition, elle avait combattu les ennemis de Son église ; elle n'avait pas le droit au doute.

Arrachant son attention volatile aux mortels qui semblaient se rire de leur propre condition, une flamme discrète lui rappela la raison de ses tracas. Elle était là, faible mais bien présente, juste sous elle... Et elle montait. Quand, venant concrétiser ses doutes, la porte dans son dos s'ouvrit, elle ne prit même pas la peine de tourner la tête. Face à une humaine, elle ne risquait rien... Même si la dite humaine n'était plus digne de Lui.

« Pourquoi souiller ainsi ton âme, mortelle, quand Son amour est à ta portée ? » Elle aurait pu être une statue irréelle si ses ailes ne frémissaient pas au rythme de sa respiration. « Ou, tout du moins, était. »

Pour l'heure, la Séraphin n'était pas agressive. Elle attendait, comme si la réponse de l'hérétique eut la moindre importance. Mais Alix doutait qu'une simple enfant, manipulée par les Enfers, put s'expliquer... Elle devait être charmée, amoureuse, elle avait toute confiance. L'idiote ; on ne pouvait pas faire confiance à un démon.

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

C'est naze, c'est moche, aime moi quand même o/

Ce n'était pas chez moi. Tout, dans cette rue, criait que je n'avais rien à y faire. Les adolescents étaient habillés dans une friperie, les enfants qui couraient dans la rue semblaient ne se laver qu'une fois par mois, les immeubles étaient décrépis, sales. C'était vieux, pauvre, ça puait. Ou alors n'était-ce que l'habitat normal de ceux qui n'ont ni parents riches ni serviteur dévoué ayant accumulé plus de 500 ans des profits ? Ce n'était pas mon monde. Je n'y trainais pas normalement ; la maison de Blake était l'exception qui confirmait la règle. Je m'y sentais bien, quoiqu'un peu à l'étroit. Il y faisait chaud et, malgré que sa mère soit quelque peu bordélique, c'était propre et ça sentait bon. Malgré tout, la chambre de Blake équivalait à ma salle de bain. C'était un autre monde, parfois je me demandais si ma meilleure amie ne me jalousait pas, si ce luxe excessif ne lui donnait pas envie de me frapper. Je lui aurais bien proposé mes vêtements, ceux que je ne mettais plus ou ceux que je n'aimais pas particulièrement, mais je craignais qu'elle ne le prenne mal. J'aimais Blake, je ne voulais pas lui faire la charité. Ce que je lui donnais, c'était parce que je le voulais bien, pas parce qu'elle me faisait pitié.

Seulement, il y avait longtemps que j'avais dépassé la maison de Blake. Cela faisait partie, c'étaient les termes d'Erin Phillips, de ma réhabilitation sociale. Mon cul, ouais. Je n'avais pas besoin de réhabilitation, j'avais seulement besoin de l'amitié de ma petite anglaise préférée et, maintenant que c'était fait, j'étais aussi calme et posée que lorsque j'étais arrivée. Seulement, non. Madame la CPE pensait que cela me ferait du bien et que je m'adoucirais au contact des gens moins nantis que moi. N'importe quoi. Donc, j'étais obligée - parce que Laurys avait trouvé l'idée très amusante - de me promener entre les immeubles et d'offrir mon aide à tous ceux qui semblaient être dans le besoin. Je ne sais pas pour vous, mais la charité, les gens s'en méfient. Vous ne pouvez pas sourire sans qu'on croit que vous avez une idée diabolique derrière la tête, alors pour ce qui est d'offrir son aide...autant dire qu'ils pensaient que j'allais me barrer avec la télécommande de la télé.

Levant la tête, exaspérée, j’aperçus finalement quelque chose qui méritait d'être fait. Des jambes tombaient dans le vide - jambes qui, au demeurant, étaient attachées au corps d'une demoiselle. Si sauver la vie d'une jeune femme - ou être totalement traumatisée par son suicide violent - ne suffisait pas comme BA du jour à miss Phillips, j'étais bonne pour la potence. En courant presque, je me rendis jusqu'au vieux HMV, gravissant les marches quatre à quatre parce que l’ascenseur était en panne, comme toujours dans ces situations là. On se serait cru dans un film américain, avec le compte à rebours qui défilait en rouge au bas de l'écran. Finalement, j'arrivai au haut de l'immeuble - pourquoi fallait-il qu'il soit si haut d'ailleurs ? - et ouvrit la porte, prête à sauter pour retenir la jeune femme que j'avais vue d'en bas.

Sauf que les ailes qui la surplombaient indiquaient clairement que ce n'était pas une humaine. Elles ne ressemblaient en rien à celles de Laurys non plus. La seule conclusion qui s'imposait à moi était celle-ci : il y avait un ange devant moi. Ces créatures diaboliques, machiavéliques, qui ne voulaient que le mal. Laurys m'avait mise en garde, il m'avait dit que mon aura laissait voir que j'étais liée. Mais je n'avais pas le temps de fuir qu'elle s'adressait déjà à moi.

- Pardon ? L'amour de qui ?

Parce que Laurys ne m'aimait pas, s'il n'avait pas eu ce lien à gérer, jamais il n'aurait posé ses mains sur moi. Je ne voyais pas qui d'autre pouvait valoir la peine de se damner pour son affection.

- Je ne suis pas plus souillée que toi , fis-je en pointant ses ailes.

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Souillée ?

Elle l'avait été, oui. Jadis, alors qu'elle n'était qu'une adolescente, le Malin avait posé son regard sur elle et, par malice, l'avait détournée de Lui. Au nom de Satan, elle avait répandu la souffrance, jusqu'à l'attirer dans sa propre maison. Sa mère était morte, par sa faute, non celle du malheureux qui, subjugué par ses charmes, avait enfoncé l'arme dans le coeur encore battant de sa victime. Sans Azraëlle, elle aurait pris la fuite, aurait peut-être survécu et aurait continué ses basses besognes. Heureusement pour elle, l'ange lui était apparue. Pouvait-elle agir de la même façon pour l'adolescente qui se tenait dans son dos ? Le lien était puissant, cela ne faisait aucun doute. Alix n'avait eu que peu d'occasions d'en rencontrer de tels, et jamais n'avait désiré s'opposer au démon qui se cachait derrière. Elle même n'était pas une combattante et n'avait jamais tué un Serviteur du Malin, à son grand regret ; le fait était qu'à l'inverse, aucun Prince n'était encore parvenu à passer outre ses défenses, ce qui était une consolation en soi.

« Ton Maître, je l'ai connu et servi malgré moi, aussi suis-je et serai-je à jamais souillée, oui », reconnut-elle avec calme.

L'enfant ne pouvait rien lui dire qu'elle ne s'était déjà dit. Avec lenteur, elle se redressa, tutoyant le vide avec une indifférence presque arrogante. Mais quand on avait des ailes - à plus forte raison de telles ailes - le ciel devenait le seul sol qu'on désirait fouler. Alix aimait voler, c'était quand plus rien ne la retenait à la terre qui l'avait vu s'avilir qu'elle se sentait le mieux.

« Contrairement à toi, j'ai pu être sauvée. »

Se disant, elle ramena ses ailes dans son dos. Du fait de leur taille, Alix paraissait toujours un peu gauche quand elle avait les pieds sur terre. Elle était obligée de les garder toujours un minimum déployées. Entre majestueux et ridicule, il n'y avait qu'un pas, et il était objectif de dire que, parfois, Alix oscillait entre les deux. Avec lenteur, elle se retourna, afin de faire face à la jeune impudente. Elle était familière à pareilles apparitions, sinon pourquoi l'aurait-elle tutoyée ? Où aurait-elle trouvé le courage de la déclarer souillée ? Elle pensait sans doute qu'elle était protégée, que son lien la tenait hors de la portée de la Séraphin.

Force était de constater qu'Alix ne tenterait pas sa chance. Que l'humaine allât brûler aux Enfers si elle le désirait tant, durant sept siècles elle avait lutté contre les désirs masochistes des Hommes, cela suffisait.

« Puis-je te poser une question ? »

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

Elle est belle.

J'imagine qu'ils le sont tous. Comment attirer de pauvres victimes innocentes dans leurs bras sinon ? Comment pourrions-nous ne laisser qu'une seule chance à ces êtres ignobles que sont les anges s'ils n'avaient pas une once de charisme ? Oui, elle est belle. Comme Laurys, comme Myriam. Elle dégage quelque chose d'intense, pas nécessairement de la puissance. La peine, la mélancolie, parfois sont les aimants les plus puissants, beaucoup plus que la joie. Le besoin humain de réconforter. La haine envers tout ce qui n'est pas heureux. Malgré tout nos efforts, il était parfois difficile de passer son chemin devant des yeux égarés. Je ne sais pas qui elle est. Par contre, je sais qu'elle a de belles ailes presque duveteuses, que j'aimerais bien toucher. Je sais que mon démon me maudirait d'avoir cette pensée, mais c'est ainsi ; tel un enfant ne pouvant s'empêcher d'admirer le père Noël, je ne peux m'empêcher de regarder la blancheur pure de ces plumes. Je me ressaisis à moitié ; savent-ils seulement l'effet qu'ils peuvent avoir sur des mortels ?

- Je n'ai pas de maître.

Laurys n'en est pas un ; il est mon compagnon, mon amant, à la limite on pourrait prétendre que c'est moi qui le possède. De toute façon, il serait bien étrange que Laurys soit l'ex-maître de cette ange. Laurys est un démon. Celle-ci, clairement, les déteste. À moins qu'elle soit une de celles qui ont changé de camp, mais je n'y crois guère. Je vois l'avantage de passer de Dieu à Satan, pas l'inverse. Donc, la jolie dame aux belles ailes est dangereuse. Une psychopate. Une folle au coeur brisé, une maniaque, comme tous les anges. J'ai une confiance totale en mon démon.

- Et je n'ai surtout pas besoin d'être sauvée, sifflai-je, vexée.

Si l'enfer, c'était les prunelles d’obsidienne de Laurys, alors je pouvais y brûler toute ma vie. Peu importe ce qu'une des possessions du vil Seigneur en pense ; je ne voulais que personne ne revienne me chercher sur le chemin que j'avais emprunté. Il était le mien et le mien seul, qu'il mène vers la folie ou l'extase - ou les deux - ne me concernait guère. Cela dit, si la charmante brunette croyait que de faire le mal, c'était d'être sauvé, grand bien lui fasse. Nous ne devions pas avoir la même définition du bien. Peut-être n'avait-elle pas eu la chance de vivre dans un milieu propice comme moi, mais j'étais certaine qu'elle n'avait pas rencontré mon « maître ». Quiconque rencontrait Laurys en sortait transformé pour le mieux. Puis, si jamais elle était une de ses anciennes amantes, je n'aurais pas toléré qu'elle se pavane ainsi devant moi. Plutôt me crever les yeux.

- N'est-ce pas ce que tu viens de faire ?

Je savais que, que je dise oui ou non, elle me poserait tout de même la question. Nous ne discutions pas avec les divinités, nous, simples mortels...

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Peut-on vraiment être aveugle à ce point ? Alix commençait à se demander si l'enfant qui lui faisait face avait seulement la moindre idée de ce qu'elle était et de ce qui allait lui arriver. Elle savait d'expérience que les démons avaient l'habitude de ne rien cacher des conséquences des actes désespérés de leur victime, comme si le fait qu'ils sussent mais acceptassent tout de même les gonflait de fierté... A moins qu'un tel renoncement n'aidât tout simplement le Malin à planter plus profondément ses griffes dans les âmes damnées ; elle ne s'était jamais vraiment posé la question. Dans tous les cas, la mortelle qui lui faisait face ne semblait pas comprendre un traître mot de ce qu'elle disait... Fallait-il en rire ou en pleurer ?

L'envie lui prit de lui parler de son maître, de ce Seigneur du Matin qui n'était en réalité que l'Empereur des Vices et des Nuits perfides. Elle voulut lui raconter les carnages qu'il a perpétué, tant parmi les rangs des anges que ceux des Hommes. Elle voulut lui dire que si elle pouvait vivre avec une aisance telle qu'elle en venait à L'ignorer - elle ne semblait pas manquer d'argent, et avec les Hommes les apparences étaient rarement trompeuses - c'était du fait du Roi des Enfers auquel elle avait voué son âme le jour où elle avait accepté son pacte. Elle n'en fit rien. Elle savait qu'une fois plongée dans la noirceur, l'âme humaine rechignait à reconnaître Sa lumière, c'était ainsi depuis sept siècles et cela ne changerait sans doute pas.

« Alors tu disparaîtras heureuse, n'est-ce pas ? »

La question est rhétorique et n'attend aucune réponse ; elle doutait même, désormais, que la petite sut seulement qu'elle était liée. Une idée étrange, folle même... Mais l'idée qu'elle put être trop sibylline pour le XXI^e siècle n'avait même pas traversé l'esprit d'Alix. Elle était un ange, après tout, de quels maîtres pouvait-elle parler, sinon de Lui et de Son frère honni ? A moins qu'à l'image des célestes, les Princes et leurs disciples ne fussent plus les serviteurs dévoués de Satan...

Cette enfant ne le savait sans doute pas, mais elle était une mine d'interrogations supplémentaires pour Alix. Ignorant la pique, l'immortelle tacha de de capter son regard.

« Pourquoi avoir pactisé ? »

Elle-même ne se souvenait pas de son pacte, seulement de ses conséquences... Comme si son esprit se refusait à conserver pareil souvenir.

« Est-il venu à toi, ou l'as-tu supplié de t'apparaître ? »

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

Était-elle sérieuse ? Je me le demandais vaguement. Peut-être que, en plus de leur perversité naturelle, les anges éprouvaient le besoin de se moquer des mortels. Il faudrait que je demande à Laurys, même si j'aurais probablement droit à un long sermon quant à l'approche des Séraphins. Cela dit, connaissant mon démon, je savais que lorsqu'une de ces créatures décidait de mentir, c'était difficile de connaître le fond de sa pensée. Après plusieurs années en compagnie d'un enfant de Satan, j'étais toujours incapable de percer la vérité lorsqu'il décidait de me la cacher. Incapable également de savoir s'il mentait ou non, tant un visage fermé pouvait cacher des choses. L'ange s'amusait-elle ou ne comprenait-elle vraiment pas que je n'aime pas le Dieu vengeur, le véritable diable décrit par l'Église humaine ?

J'hochai distraitement la tête. Étais-je heureuse de perdre mon âme à jamais, d'être exclue du cycle de la vie et de la mort ? Non, personne ne pouvait l'être. D'ailleurs, souvent, je redoutais ce moment. Je ne savais pas si c'était douloureux, si cela s'éternisait ou si cela durait une seule seconde. Une seconde pour l'éternité...Par contre, pour rien au monde je n'aurais offert mon âme à quelqu'un d'autre que Laurys. J'étais heureuse que ce soit lui qui me possède pour le restant de ses jours, heureuse également de vivre ma vie avec lui à ses côtés. Il était l'oeil de l'ouragan, un support sur lequel je pourrais toujours me reposer, la seule personne qui ne me trahirait jamais. L'ange ne pouvait pas comprendre : ces diables à l'air pur ne se liaient probablement jamais d'affection à leurs humains, ils devaient plutôt être du genre à leur tordre le cou dès que les trois ordres impossibles à esquiver étaient passés, réduits à néant. Laurys ne me ferait jamais ça, lui. Alors oui, je connaissais le bonheur - et rien ne me satisfaisait plus que de m'éteindre dans les bras de mon unique amour.

Je sens son regard chercher le mien, et après une hésitation marquée par un silence pesant je lève les yeux à mon tour. Je ne connais pas assez les pouvoirs angéliques pour être rassurée, je connais seulement leur fourberie. Seulement, cela m'intrigue de découvrir le fond des pensées d'une telle créature. Peut-elle seulement dormir le soir ? Y arrive-t-elle, en songeant à tout le mal perpétué au nom d'un Dieu menteur ? J'espère que non, que les cauchemars l'assaillent. Malheureusement, les plus grands fous, les plus grands meurtriers sont souvent persuadés d'agir à raison - d'agir pour le mieux. Le Seigneur l'a voulu, disent-ils. L'un de plus grands tueurs en série de la France ne prétendait-il pas que ses victimes l'avaient demandé, d'ailleurs ? On ne peut comprendre un esprit dérangé.

- Tu n'es pas étrangère aux avantages que cela présente, j'imagine.

Je ne voyais pas l'intérêt de lui fournir la liste des avantages. Plus, pour une enfant comme moi dont les parents sont souvent partis, cela présentait l'avantage de ne jamais me laisser seule. Pour mes parents, Laurys était une nounou à domicile, une personne de confiance à qui ils pouvaient confier leurs affaires et leur fille. Pour moi, il était tour à tour ami et confident, amour et amant. Il se transformait selon mes désirs, le sien étant seulement de me rendre le sourire. Pourquoi n'aurais-je pas souhaité ce pacte ? J'avais la marraine bonne fée de Cendrillon, version améliorée, seulement pour moi.

Seulement, sa question me trouble. Franchement, la partie de ma vie durant laquelle j'ai pactisé avec Laurys est floue. D'un côté, je ne l'avais jamais rencontré, mais de l'autre, il me semblait déjà familier. Rien qu'en le voyant, j'avais été certaine qu'il allait être important dans ma vie. Pourquoi ? Je ne savais pas. Le coeur avait peut-être reconnu l'âme soeur. Du mieux que je me souvienne, c'est lui qui m'avait avoué ce qu'il était, mais c'était moi qui avait choisi de pactiser. Il ne m'avait rien imposé.

- J'étais jeune, je ne me souviens pas très bien. Mais c'est moi, je suis certaine qu'il ne m'a rien demandé. Je voulais ce pacte et je le veux toujours aujourd'hui.

Je renvoie mes cheveux vers l'arrière, fière d'être liée à un démon, fière que ce soit au fils de Satan lui-même. Elle ne me fera pas douter de cela.

- Pourquoi ces questions ? En quoi cela peut-il t'intéresser ?

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

« Une enfant est si simple à manipuler, elle ne connaît ni les enjeux, ni les dangers... »

Alix ne parlait plus à la jeune humaine, déjà, elle était repartie dans son monde. Elle n'était guère surprise, au fond, qu'un Démon s'attaquât ainsi aux racines même d'un être. Il n'y avait pas plus malléable que l'âme infantile, il suffisait d'un acte, d'une parole, d'un événement particulier pour qu'à jamais sa psyché fût altérée. La pauvre n'avait eu aucune chance et, en réalité, la Séraphin la pleurerait. Elle était face à une victime que ne s'en rendrait sans doute jamais compte, pas plus qu'elle n'appréhenderait la perte que pouvait représenter le renoncement de Son amour.

« Je veux comprendre, enfant, la facilité qu'ont les Hommes de sombrer dans les griffes de ton Maître. Je veux comprendre pourquoi, lorsqu'un Prince ment, un Homme croit. »

Elle aurait pu continuer ainsi, des heures peut-être, mais préféra se taire et attendre. Depuis qu'elle s'était levée, il n'y avait plus eu que ses lèvres - et ses ailes - pour bouger. Son visage restait immuable et indéchiffrable, quoique ses yeux trahissaient en partie ses tourments. Elle avait entendu un jour que les iris étaient la fenêtre de l'âme, et que à qui savait regarder nul secret ne pouvait être caché. Elle aurait voulu regarder les yeux du monde et lui arracher des réponses.

« Quand j'étais mortelle, j'aurais donné ma vie pour apercevoir un ange, continua-t-elle finalement. Aujourd'hui, tu te tiens face à moi, droite, fière, tu dresses ta méfiance entre nous. Me hais-tu ? je le crois ; ton salut m'importe sans doute plus que tu ne t'en soucieras jamais. »

Elle haussa les épaules, sincèrement désabusé. L'Homme était un enfant trop capricieux, et avait eu raison de sa patience. L'envie lui prit de la tuer, là, sur l'instant, de libérer cette ultime âme damnée avant de périr à son tour, sans doute ; l'ire d'un démon est souvent sans égale, quand on s'en prend à un de ses jouets. Elle n'en fit rien, pourtant. Mettre fin à cette vie céleste qu'elle doutait même de mériter était un crime qu'elle n'était pas prête à commettre.

Au cours des siècles, elle avait aidé de nombreux humains, les poussant à accomplir Sa volonté. Certains en étaient morts sans rien y gagner sinon leur place au Paradis, d'autres avaient prouvé qu'ils Le servir par delà leur propre fin et ceux là avaient été bénis. Mais jamais elle ne s'était liée. Le risque lui apparaissait comme bien trop grand : elle pouvait soit détruire une digne de Lui, soit se mettre au service d'un serviteur de Satan. Un démon ne s’embarrassait pas de tels états d'âme, il ne voyait que la fin du chemin. Une extase, lui avait-on dit, incomparable et indescriptible. Un sentiment puissant qui dépassait l'entendement.

« T'a-t-il touchée ? »

Sa voix ne trahissait ni gène ni embarras. Elle pensait déjà connaître la réponse. Après tout, l'enfant était déjà une jeune femme, et ne manquait sans doute pas de charme. Pourquoi son démon se serait-il privé ?

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

Je n'étais pas une enfant. Pas non plus une âme faible. Il était injuste qu'elle me juge selon son passé ; certes, des dizaines d'années devaient nous séparer, sa maturité devait surpasser la mienne. Cependant, selon les conventions de mon monde, j'étais une adulte. Mes décisions étaient assumées, mes gestes pesaient, ils comptaient. Du reste, je savais ce que je faisais, bien plus que nombre d'âmes plus vieilles que moi.

- Il ne m'a jamais trompée. Il est loin de vous, les anges, dont les ailes blanches promettent pureté et sagesse. Je crois mon démon car il est franc ; les humains devraient bien plus craindre la langue de vipère de tes semblables.

C'était presque trop facile pour eux. Ils étaient blancs comme la neige ; les démons, malgré leur gentillesse, restaient les bannis du Ciel, ceux qui avaient déplu à Dieu, qui avaient vu leurs ailes se flétrir. Ils étaient bons et ne cautionnaient pas le mode de fonctionnement du grand Seigneur. Ils ne méritaient pas cette apparence qui les rendaient difficiles d'approche, difficiles à croire. Il me suffisait de croiser le regard de cette femme pour comprendre comment on pouvait se lier à un ange ; elle transpirait la compassion, la tristesse peut-être. N'eus-je été au courant de sa véritable nature, je ne l'aurais jamais devinée.

- N'est-ce pas naturel de détester le mal ?

C'était la première chose qu'on nous enseignait, petits. Le Bien et le Mal, sa connaissance, la façon d'agir face à ces concepts. Il était normal d’abhorrer ce qui aidait à pervertir le monde, ce qui risquait de me détruire à tout moment. Mes doigts pianotaient nerveusement sur ma cuisse, ne sachant pas que faire. Était-elle assez fourbe pour m'éliminer, sachant que cela causerait peut-être du tort à mon démon ? Peut-être. Sans Erin Philips, je n'aurais pas été dans un tel pétrin. Je devais tout de même avouer qu'elle était fascinante, qu'il était impressionnant de rencontrer un ange. Seulement, alors qu'elle disait en avoir rêver, je l'avais craint.

J'humectai mes lèvres, cherchant quoi répondre. Oui, Laurys m'avait touchée, à ma demande seulement. Que je lui dise seulement et elle prétendrait que j'avais été violée, qu'il m'avait forcée. C'était pourtant - et de façon bien étonnante - le contraire. Il n'avait pas voulu de moi, mais moi, je me languissais de lui. Il ne m'avait pas manipulée à ces fins, sinon, il aurait cédé des mois auparavant, alors que ça avait plutôt été un geste de réconfort devant l'étendue de ma peine. Il ne m'avait pas touchée, il m'avait fait l'amour, il m'avait fait du bien, comme il le faisait depuis que nous étions liés, avec des mots, des touchers, des regards. Un amour pur et complémentaire.

- Oui. Je suis majeure, ce que je fais et avec qui je le fais, ça ne regarde que moi. J'en avais envie et lui aussi, où est le mal ?

J'étais quelque peu gênée d'évoquer cela devant une parfaite étrangère. Même Blake n'était pas au courant du fait que j'avais perdu ma virginité, alors en quoi cette ange pouvait-elle prétendre à cette connaissance ? Malheureusement, quelque chose dans son je-m’en-foutisme et dans son regard m'empêchait de partir ou de cesser de répondre à ses questions. Elle était...angélique, c'était le mot.

- Qu'est-ce que cela peut te faire ? Il est trop tard, je suis liée. Rien ne peut le changer, et même si je le pouvais, je n'en ferais rien. Qu'est-ce que ça peut bien changer pour toi ?

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Chaque bravade, chaque mot, chaque atteinte à la dignité des anges la blessait. S'en rendait-elle compte, cette enfant arrogante ? Et si oui, s'en réjouissait-elle ?

Alix écoutait ses réponses, avides, feignant un calme olympien quand frémissait au creux de son être une sourde colère. Une part d'elle voulait faire taire l'impudente, tandis qu'une autre mourait d'envie de la laisser parler ; comme si dans ses provocations résidaient la clef. La mortelle était liée, embourbée dans des mensonges qu'un démon habile lui murmurait à l'oreille depuis plusieurs années, semblait-il - assez, en tout cas, pour qu'elle eut oublié les débuts de leur relation. Dans ces conditions, qu'elle détestât les anges était normal, prévisible et pathétique. Mais dans ce cas, pourquoi ces paroles virulentes trouvaient-elle un écho au plus profond de son âme ?

Heureusement, dans son discours apparaissaient de trop nombreuses contradictions aux yeux de l'ange, assez flagrantes pour qu'elle pût mettre de côté ses doutes. Elle avait toute confiance en un démon qui l'avait approchée assez jeune pour qu'elle eut oublié les circonstances de leur pacte, un démon qui s'était joué de son désir, un démon qui pouvait sans doute lui demander n'importe quoi, alors même qu'il était censé exécuter ses quatre - ou plutôt trois - volontés. De cette jeune femme insouciante, à peine sortie de l'enfance quoi qu'elle en dît, ne viendrait aucune vérité.

« Je te l'ai dit, enfant, je veux comprendre. »

Ses yeux la dévoraient presque littéralement. Il n'y avait là aucune magie, mais son regard brillait d'une intensité nouvelle. Elle contemplait un décher de l'humanité, une créature à jamais hors de portée de Son amour, et elle ne pouvait rien y faire. Elle était là, aussi impuissante en cette triste nuit qu'en de trop nombreuses autres occasions, à se maudire et à se répéter deux simples mots : trop tard. Elle ne pouvait l'accepter.

« Ton âme est peut-être condamnée, tout comme la mienne l'était, mais Il est capable de miracles. J'étais vouée aux mêmes tourments que toi et pourtant, regarde. »

Elle n'était pas Azraëlle, elle n'avait ni ses pouvoirs, ni sa grâce, ni Son écoute attentive. Pourtant, elle voulait croire qu'elle pouvait agir. Toute autre option était s'avouer vaincue face au serviteur du Malin qui œuvrait derrière les ficelles invisibles.

« Si, à tes yeux, j'incarne le Mal, quel nom donner à ce qui t'attend ? »

Elle savait ce qui l'attendait : la destruction pure et simple de son âme. Pour elle, ni Paradis ni Enfer, seulement les flammes de cette dernière, pour la brûler sans merci. Une autre de Ses merveilles à jamais perdues. Elle ne le méritait pas, Alix en était persuadée. Au fond d'elle demeurait une part de lumière, que les ténèbres ne pouvaient complètement corrompre. Un éclat brillant qui disparaîtrait aussi, consumé comme le reste.

« Pourquoi es-tu venue ? »

La question était soudaine, mais la réponse intéressait grandement la Séraphin. La mortelle avait-elle été attirée, ses sens exacerbés par le lien ? C'était une possibilité, mais elle n'y croyait pas trop. Il devait y avoir autre chose.

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

Elle voulait comprendre, mais moi je n'y captais rien. Je lui trouvais plein de raisons d'être violente, de me projeter dans le vide sans plus attendre. Après tout, n'étais-je pas, selon elle, le vulgaire jouet d'un démon ? Je ne voyais pas pourquoi elle prenait la peine de parler avec moi, sans bouger, sans me menacer. Elle n'était que curiosité. Colère ? Peut-être, mais pas comme je m'y serais attendue après le portrait des Séraphins que m'avait fait Laurys. Elle semblait seulement déçue que je ne sois pas des siens. Je restais tout de même sur mes gardes : personnellement, je n'avais pas envie de mourir aujourd'hui.

- Tu étais liée ? À un démon ? Comment se fait-il que tu ne sois pas morte ?

J'avais parlé un peu trop vite. Franchement, même si j'adorais Laurys et le pouvoir que j'avais sur lui, il fallait bien avouer que la vie aurait été plus simple s'il n'était pas condamné à me dévorer l'âme à la fin de ma vie. Il aurait probablement moins de scrupules...et peut-être pourrait-il m'aimer proprement, sans que j'aie besoin de le forcer. Alors, si derrière les paroles de l'ange se cachait le secret de la libération, j'allais le prendre. Que ce vienne d'un ennemi, ça n'importait pas. La fin justifiait les moyens.

La Séraphine m'étonnait. Elle semblait réellement croire qu'elle n'était que Bien et que les démons étaient le mal incarné. Je ne comprenais pas. Elle avait bien dû, au fil des années, voir comment le monde tournait, non ? On ne pouvait pas rester insensible à tout ce qui se passait autour de nous. En presque dix ans, je n'avais jamais vu Laurys avoir des penchants violents. Des colères, oui. Frapper pour frapper ? Jamais. D'ailleurs, le don de guérison qu'ils possédaient ne montrait-il pas qu'ils étaient faits pour aider les humains ?

- L'Extase.

Et c'était vraiment l'avenir tel que je le voyais. Me fondre à un tel point avec l'être aimé que nous ne ferions plus qu'un. Comment pouvait-elle croire que cela allait être mal ? C'était la plus belle preuve d'amour, la plus merveilleuse union au monde. La seule chose qui m'aurait encore plus réjouie aurait été de pouvoir passer le reste de ma vie à ses côtés, matériellement parlant. D'où l'intérêt de ma précédente question.

Je m'avançai légèrement, m'approchant du centre du toît. Je n'étais pas trop à l'aise sur les bords, où il était si facile de tomber. Peut-être était-elle ailée et apte à survivre à une chute de plusieurs étages, mais pas moi.

- Je pensais que tu allais te jeter en bas. J'allais faire ma BA du jour.

La preuve qu'il existait du bien chez ceux qui étaient avec les démons. Cela la surprendrait-elle ? Peut-être.

- Bien entendu, avec les ailes, c'est inutile, ajoutai-je, ironique.

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

La question de l'enfant surprit Alix, qui ne répondit pas tout de suite. Qu'espérait-elle découvrir ? Un moyen de rompre le lien ? Cachait-elle, derrière sa fierté puérile, l'envie de recouvrer la liberté et la possibilité de rejoindre, le moment venu, le monde de l'au delà ?

« J'avais sur moi l'Œil du Malin, mais j'ai été sauvée. »

Elle restait floue à dessein, attendant qu'on la poussât à en dire plus. Pour tout dire, elle espérait voir son interlocutrice la questionner d'avantage, elle pourrait y voir la preuve que, même étouffée de noirceurs, une âme mortelle désirait Sa lumière. Bien sûr, elle prétendait s'attendre à trouver l'Extase - rien que ça - dans la destruction de sa propre âme... Mais elle pouvait très bien refuser de voir la réalité en face, tout en souhaitant inconsciemment la contempler dans toute sa cruauté. Alix finit par lui demander la raison de sa venue. Après tout, l'immortelle n'était pas stupide et même si elle s'était tenue éloignée du monde et de ses évolutions pendant plus de soixante ans, elle avait bien remarqué que la jeune femme qui lui faisait face avait peu de chance d'habiter dans l'immeuble qu'elle avait choisi. Sa présence n'était pas due au hasard et devait même être liée à la Séraphin.

L'ange dut reconnaître qu'elle ne s'était pas attendue à ce qu'elle entendit.

Elle avait imaginé que, peu habituée à côtoyer le céleste, l'adolescente s'était fourvoyée sur ce qu'elle avait ressentie. Son démon avait dû la tenir éloigner de son monde, cela n'aurait rien eu d'étonnant. En passant près de l'immeuble, elle aurait pu sentir quelque chose de familier, et décider d'en apprendre plus.

« Ton cœur serait-il toujours pur, malgré les ténèbres qui l'étouffent ? » La voix angélique marquait sa surprise et son incompréhension. Elle était perdue, vendue au Malin et pourtant, face à ce qu'elle avait cru être la détresse d'une âme en peine, elle s'était précipitée pour aider. « Il est bon de voir que, même sous l'emprise de Ses ennemis, il en existe qui continuent à suivre Sa voie. Pour ta bonté, enfant, laisse moi t'accorder une faveur. Demande moi ce que ton être désire, et s'il m'appartient de te satisfaire, je le ferais. »

Alix n'avait aucun moyen de savoir quelle demande formulerait l'adolescente, ou même si elle en formulerait une. Son démon avait dû l'abreuver de paroles fallacieuses, usant des mensonges que répandaient les siens depuis la trahison de Son frère.

Bien entendu, si on lui opposait un refus, elle n'insisterait pas.

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

Malheureusement pour elle, je n'étais pas une de ces vierges effarouchées du dix-huitième siècle devant lesquelles il suffisait de mentionner le Diable pour qu'elles se rallient sans conditions à Dieu. J'étais lucide, je connaissais la vérité. Pourquoi aurais-je cru une étrangère, que je venais de rencontrer, alors que je fréquentais mon démon depuis des années ? J'avais confiance en lui, pas en elle. Rien ne m'empêchait de me précipiter dans le vide, de me tordre le cou. Les anges étaient fourbes, pas les démons.

Elle ne répondait pas à ma question. Je voulais savoir s'il était possible de briser un lien. Sa phrase, lâchée sur le même ton qu'un prêtre aurait pu prendre, ne me disait rien. Nombres de gens se croyaient marqués par la peste, alors qu'il n'en était rien. Selon mes impressions, Dieu et Satan n'agissaient pas directement sur Terre et les Anges et Démons avaient probablement autre chose à fouetter que de s'occuper d'une gamine, non ? Elle ne voulait pas de pacte ? Passons à la prochaine. On ne pouvait pas insister pour un tel lien, non ? Si elle avait été affiliée aux Princes, c'était qu'elle l'avait désirée. Je ne comprenais seulement pas comment elle avait pu tomber dans les ténèbres à un tel point.

Les couleurs mentent. Le blanc est la mort, le noir est le renouveau. Le créateur avait vraiment tout mis en place pour que les mortels ne se doutent de rien. Qui choisirait la noirceur, devant la douceur des ailes d'un Séraphin ? Elle était belle. Je la trouvais belle, j'avais toujours autant envie de glisser mes doigts dans ses ailes. Mais je résistais : première leçon, ne jamais, jamais s'approcher d'une créature de mal.

- Existe-t-il des êtres assez noirs pour regarder quelqu'un mettre fin à ses jours sans réagir ?

Cela n'avait rien à voir avec un quelconque lien. Il me semblait que, aussi noire ou blanche soit mon âme, j'aurais été tout bonnement incapable de laisser une vie s'éteindre devant moi. Cela devrait être la même chose pour tout le monde. Je sauverais un humain lié à une de ces créatures célestes, s'il le fallait. Cela tenait à mon humanité, pas à mon allégeance.

Néanmoins, ce n'était pas tous les jours qu'on se voyait accorder un souhait. Que pouvais-je bien demander ? Comment rompre un lien. Voilà qui m'intéresserait beaucoup. Je n'allais pas formuler une demande physique cependant, parce que je me doutais qu'il y aurait un piège. Elle trouverait le moyen de ne pas me contenter tout en le faisant. La seule solution était de demander quelque chose de tellement simple, de tellement idiot qu'elle ne s'y attendrait pas. Peut-être même me laisserait-elle partir.

- Je souhaite que tu cesses de me nommer enfant. J'ai un nom, je ne suis pas une chose, ni un mot.

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Alix ne s'était pas attendu à pareil demande. En réalité, elle avait cru que l'enfant ne ferait que décliner son offre, trop occupée à se méfier pour se saisir de la chance que la Séraphin lui offrait. C'était sans compter le caractère impulsif et souvent imprévisible de Ses créatures. Malgré elle, elle laissa un sourire fleurir sur son visage, ourlant ses lèvres d'un amusement surpris. Une première : jusqu'alors, elle s'était contentée de regarder, presque sans vraiment s'y intéresser, son interlocutrice.

« Tu sais faire montre de sagesse... » Elle marqua une pause avant de continuer, son sourire atténué mais encore présent. « ... et de maladresse à la fois, tu vantes l'existence d'un nom que tu n'as pas partagé avec moi. Comment désires-tu te faire appeler ? »

Comme promis, Alix respectait sa parole, même quand la faveur formulée était dérisoire. Mine de rien, elle prenait la chose très au sérieux. Durant sept siècles, elle s'était tenue éloignée du mensonge... Elle avait certes appris à user de demi-vérité, laissant planer le silence quand elle préférait garder quelque chose pour elle. Elle n'en respectait pas moins l'un de Ses principaux commandements.

« Tu peux m'appeler Alizée », ajouta-t-elle avant même que l'humaine ait eu le temps d'esquisser sa réponse, comme pour prouver sa bonne foi.

Et cette phrase résumait exactement pourquoi, même sans mentir, Alix pouvait tout dire. Elle ne s'appelait certes pas Alizée, mais ce prénom trouvait ses racines dans son propre nom ; elle n'avait de toute façon jamais affirmé qu'il s'agissait bien de son prénom, seulement qu'elle pouvait être appelée ainsi. Si l'adolescente n'avait pas été liée, elle aurait pu envisager de lui révéler l'exacte vérité, mais elle préférait éviter de lancer un démon à ses trousses. Qu'elle ait vu son visage pouvait déjà se révéler dangereux, inutile de lui donner plus d'indice.

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

Je souris machinalement à mon tour. Je ne suis pas si stupide, si l'on m'a donné un cerveau, c'était pour que je l'utilise. La sagesse, contrairement à ce que les gens croyaient, n'était pas une qualité qu'on acquérait avec l'âge. Les rencontres que l'on faisait, la vie que l'on menait, voilà ce qui déterminait notre sagesse. Je ne connaissais personne d'aussi sage et posé que mon démon, aussi profitais-je de son calme pour ralentir mes ardeurs. Avec ma meilleure amie, je me laissais aller à la folie ; avec les adultes, j'étais une merveille, le rejeton que tous rêvaient d'avoir. Certains diraient que c'était un don, je dirais que cela est politesse. Ou prudence, peut-être.

Mais après tout, ils n'avaient pas tous la chance de risquer la mort par simple liaison, auquel cas pouvions-nous leur pardonner. Et puis, je savais être excitée comme une puce moi aussi.

- Comme le vent. Sec. Aride. Fort.

Comme je voyais les anges. Des armes sans pareil, avec un caractère morne et froid qu'il semblait impossible de se rapprocher un tant soit peu. Cela devait être si étrange de leur être proche, lié. Même les démons étaient distants et pourtant, ils étaient bons, ils se devaient d'aimer les humains.

- Je suis Alice.

Je ne relevai pas la ressemblance entre nos deux prénoms : elle était assez intelligente pour s'en rendre compte elle-même. Preuve s'il en fallait une que les noms ne prédestinaient pas ; certains disaient que dès la naissance, tout était prévu. Pourtant, avec seulement une sonorité divergente, nous aurions dû suivre le même chemin. Elle était Dieu et j'étais servante du Diable à ma façon.

- Est-ce que tu aimes les humains ?

Je ne comprenais pas comment elle pouvait me féliciter d'avoir voulu aider mon prochain tout en sachant que le but des anges était la destruction, l'anarchie. Elle était anormale parmi les anormaux.

Un vent de changement, peut-être.

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

« Aimes-tu l'enfant que tu revendiques ne plus être, Alice ? »

Le visage d'Alix se teintait de peine, désormais, comme si la question la blessait ; elle la blessait, car c'eut été comme demander à une mère si elle aimait son enfant, à une sœur son frère.

« Je suis née humaine, j'ai grandi humaine, élevée par une mère humaine que j'aimais et qui m'aimait en retour. Lorsque, la paix retrouvée, je me suis rendu aux châtiments de Ses créatures, je me suis réjouis de ne plus les blesser. Je n'ai eu de cesse, une fois éveillée, de vous servir. J'ai protégé les pieux, ramené sur Sa voie les hérétiques et puni les damnés assoiffés de pouvoir pour qu'enfin, votre âme à tous puisse séjourner à Ses côtés. »

Aux yeux d'Alice, c'était là son plus grand crime : avoir aimé les Hommes plus qu'elle ne s'aimerait jamais. De les avoir mal aimé, du moins, mais cette idée était hors de portée de la Séraphin, qui se contentait de la regarder tristement, comme désolée qu'on eût pu douter d'elle à ce point.

« Que t'ont fait les anges pour que tu les haïsses tant ? À moins que tu n'aies que les propos chimériques de ton démon pour asseoir ton ressentiment. »

Fermant les yeux, elle ramena ses ailes autour d'elle, comme si elles pouvaient la protéger. Elles avaient été ses plus fidèles amies, ses gardiennes mais contre les mensonges, elles étaient un piètre soutien. Poussant un soupir, elle rouvrit rapidement les yeux, sans quitter sa position réconfortante. Son regard se perdit un instant dans son propre plumage et elle tendit une main, se saisissant d'une plume qu'elle arracha en faisant fi de la douleur. Esseulée, elle perdit l'éclat de ses sœurs, soumise à nouveau aux lois d'un monde auquel elle n'était pas censée appartenir. Elle n'en restait pas moins magnifique et incroyablement douce - en plus d'être relativement unique.

Elle avait vu la façon insistante qu'elle avait de regardé Son don, sans y prêter vraiment attention. Désormais, il en allait autrement et, tendant le bras, elle fit mine de lui offrir.

« Prends, et laisse germer en ton cœur aimant l'idée que, peut-être, je ne suis pas le monstre qu'on t'a si farouchement dépeint. Laisse la, et reste à jamais soumise aux discours de ton démon. »

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

- Je l'aime, mais elle appartient au passé. Je la laisse dormir.

Je n'étais plus une enfant, ce n'était plus mon monde. Je n'avais pas le droit d'influencer sur leur monde, comme elle n'avait pas le droit d'influencer sur le mien. Lorsqu'on parlait au passé, c'était qu'on avait dit adieu pour toujours. Je me fichais bien qu'elle ait été humaine un jour, ce n'était pas ce que je lui demandais. Nombre de personnes détestaient les enfants ; cela ne voulait pas dire qu'ils étaient nés adultes. Il était également possible d'aimer sans avoir connu. Un animal, la nature, un pays. Son argument, à mes yeux, ne se tenait pas. Ce n'était pas parce qu'on était vieux qu'on avait la sagesse incarnée, donc.

- Il n'est pas besoin d'être juif pour détester Hitler. L...mon démon m'a mise en garde contre vous et je le crois, il n'a d'ailleurs aucune raison de me mentir. Vous êtes coupables du malheur dans le monde, c'est tout ce que j'ai à savoir.

À mes paroles, un cocon répond. L'ange se protège, elle devient une blancheur totale. On dirait que plusieurs oiseaux se sont rencontrés et qu'ils ont explosé en milliers de plumes d'une rare pureté. Et pourtant, les volatiles ne sont pas synonymes de beauté. Quand les ailes des oies nous arrachent l'été, noirs et courts sont nos jours que le chant migrateur a balayé. Ses ailes leur sont semblables, oasis de paix, leurre pour les faibles, mais derrière elles se cachent les plus grands ténèbres que l'humanité a connus.

Malgré moi, j'ai presque mal lorsqu'elle arrache une de ses plumes. Telle beauté ne devrait être détruite...je m'éloigne doucement lorsqu'elle tend la main, mais mes yeux restent fixés sur l'offrande qu'elle me fait. Dois-je accepté ? Laurys me tuerait pour ça. C'est un morceau de séraphin, ce n'est pas le dernier accessoire Gaultier. Et pourtant, c'est tout aussi fascinant et on paierait tous pour en avoir un. Moi, en tout cas. Mes doigts se lèvent jusqu'à presque toucher ce cadeau, mais j'hésite toujours.

On ne fait jamais rien pour rien, après tout.

- Qu'est-ce qui se cache derrière ça ? Je ne connais pas vos coutumes ; si prendre cette plume m'engage à te suivre, sois honnête, dis-le moi.

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Sans surprise, Alice trouvait à se méfier. La Séraphin ne se laissa plus troubler, se contentant de ramener un peu à elle son présent pour le mettre hors de portée, au moins un instant.

« Je te l'ai dit : accepter a un sens, tout comme refuser. Parjure toi si tu le désires vraiment, il ne t'arrivera rien... Ton âme est déjà perdue, que pourrais-je te faire qui puisse empirer cela ? »

Avec douceur, elle remit sa plume à portée des doigts de l'adolescente, la remettant face à un choix. Aux yeux d'Alix, la plume pouvait symboliser la confiance, qu'elle la prît signifierait qu'elle acceptait l'idée que son interlocutrice ne fût pas un monstre. Bien entendu, devant pareil trésor, l'avidité naturelle de Sa créature pouvait reprendre le dessus, la poussant à oublier toute morale pour se contenter de satisfaire son envie. C'était un cas de figure qu'elle acceptait : que la damnée s'enfonçât un peu plus dans les ténèbres si elle le désirait.

« Nulle magie, nul artifice, rien que ton âme qui ment ou non. »

La colère grondait toujours au creux de ses iris, monstre menaçant quoique relativement invisible. Alice était une créature changeante, faisant preuve d'humanité mais rejetant avec force Ses serviteurs dévoués. Mais il ne fallait pas oublier que, bientôt, sa langue se tairait et son âme, à jamais morcelée, se mêlerait à celle de son démon, le rendant plus puissant qu'il ne l'était déjà. Cela pouvait prendre dix ans comme deux semaines, où se terminer sur l'instant, cela ne changerait rien.

Aussi, quand le choix fut fait, Alix recula avec lenteur. Ses pieds finirent par buter sur le rebord et elle monta dessus sans même un regard au vide. Elle avait regardé le monde des heures durant de son perchoir, elle le connaissait par cœur et ses pas étaient assez sûrs pour la garantir d'une chute. D'un mouvement brusque, déclenchant une petite bourrasque qui vint chatouiller le visage de l'humaine qui lui faisait face, la Séraphin étendit ses ailes et offrit le spectacle de leur impressionnante envergure.

« Va, maintenant. Éloigne toi de ce que tu ériges en Mal et retrouve la sûreté des mensonges. Va, et ne te retourne. Puisses-tu préserver ce qui te reste d'humanité. »

Live, laught, **L0VE** Age : 30 Messages : 386 Date d'inscription : 30/11/2010

Que pouvait-elle faire ? De mon point de vue, bien des choses. Du sien, pourtant, il pouvait être évident qu'elle n'allait pas me faire du mal en me tendant une simple plume. Il faudrait que je me renseigne auprès de Laurys quant à leurs coutumes...Je n'aimerais pas me lier à un deuxième être par hasard ou une autre chose du genre. À sa question, pourtant, je pris le temps de réfléchir. Que pouvait-elle faire de pire que me voler mon âme ?

- Me la rendre.

Mes doigts se refermèrent sur la simple plume qui, détachée, restait impressionnante, bien moins que les ailes immenses de l'ange, mais tout de même dérangeante dans sa pureté. Je me mordis les lèvres de cette décision, mais je savais que je l'aurais regretté si je ne l'avais pas prise. Il serait toujours temps de la jeter ou de la brûler plus tard. Ce qui arriverait si jamais mon démon la voyait.

Je reculai en même temps qu'elle ouvrait ses ailes et me quittait sur une ultime parole. Je la regardai tomber sans m'émouvoir, me disant seulement qu'elle pourrait faire un effort supplémentaire pour se cacher. N'était-ce pas une des règles premières ? Les mortels ne devaient pas savoir. L'âme était le prix de la connaissance. Nul cycle possible, la mort finale, la mort terrible. Pauvres humains qui la voyaient.

Il y avait de quoi devenir fou.

Je redescendis lentement, faisant tourner son cadeau entre mes doigts avant de la cacher dans ma bourse. J'avais assez donné pour aujourd'hui. Nul ne pourrait contester que je n'étais pas en état d'aider une personne âgée à traverser la rue. Je sortis mon portable de mes poches et composai machinalement le numéro de mon démon. Autant lui avouer immédiatement.

- Je pense que j'ai fait une erreur...

END

» Sous mon armure, je me fissure [PV Alice]
» Let's have some fun ! [PV Alice]
» Mozart et son art | Alice
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» Pardonne lui [Alice]