Hello London ! [Aaron & Sorcha]

Le trajet m'avait semblé interminable. Pourtant, Dublin-Londres, ce n'était pas le bout du monde. Mais il y avait tant d'inconnues, tant de changement et tant d'angoisse, que le temps semblait s'étirer à l'infini. Nous étions arrivés à l'aéroport avec Sorcha et avions du nous débrouiller ensuite pour parvenir jusqu'à la résidence des Lewis. Aucun d'eux ne pouvait venir nous chercher. Cela me laissait un goût amer : papa et maman s'étaient toujours pliés en 4 pour Sorcha et moi. Jamais ils ne nous auraient ainsi laissé livrés à nous-même. J'avais 18 ans et j'avais toujours été choyé, soutenu, assisté. Aujourd'hui, je devais enfin devenir adulte et prendre soin de ma petite sœur. J'avais du grandir d'un coup, brutalement. Je n'avais plus de parents pour prendre soin de moi et me guider. Et c'était ma faute.

Alors que nous prenions la navette, puis le bus, je ne cessais de ressasser cette idée. Si je ne m'étais pas rebellé contre mon père, si je n'avais pas ainsi gueulé après papa, il n'aurait pas été inattentif, il aurait été concentré et nous n'aurions pas eu cet accident... Il m'arrivait encore d'avoir mal, à la jambe, au bras. Les mois avaient passé, mais cela restait douloureux. Et dire que je devrais repasser sur le billard pour enlever les broches, plaques et vis qui avaient servi à ressouder les os...

Alors que nous descendions du bus, je pris le temps de marquer une pause. Nous avions de lourdes valises, mais si ridicules comparées à toutes les affaires que nous avions laissé derrière nous... C'était une nouvelle existence qui nous attendait. Dans notre famille, mais cela aurait pu aussi bien être des inconnus. Je connaissais à peine mon oncle, ma tante et ma cousine. Nous habitions trop loin, si je les avais vu 4 fois dans ma vie, c'était bien le bout du monde. Sans compter que nous avions un cousin, sensiblement de mon âge. Que nous ne connaissions pas, qui était gravement malade. Qui mourrait bientôt. Nous en avions discuté dans l'avion. J'étais résolu à ne pas m'attacher. A personne. Dés que j'aurais fini le lycée, je me prendrais un studio et je serais indépendant. Je ne savais pas encore ce que j'allais faire de ma vie, surtout dans un pays qui n'était pas le mien, mais je finirais bien par trouver. J'étais majeur, m'avais accès à mon compte en banque, bien alimenté par l'héritage de mes parents et leur assurance vie. Je n'étais pas dans le besoin, mais je devais pourtant dépendre d'adultes encore.

Pour Sorcha.

Pour ne pas la lâcher seule dans un milieu inconnu. Je pouvais bien faire cela pour elle, j'étais fautif de notre situation et j'avais failli la faire tuer elle aussi. J'allumai alors une clope sous le regard désapprobateur de Sorcha. Elle détestait que je fume, que je me drogue ou que je rentre complètement bourré. J'avais déjà cette fâcheuse tendance avant, pour faire la fête et être cool, mais désormais, c'était surtout pour oublier. Pour calmer la nervosité aussi. Il nous fallait marcher un peu. Clope au bec, j'ouvrais la voie. Avant de m'arrêter quand nous arrivâmes enfin devant chez les Lewis. Chouette maison.

- "Bon, on y est finalement."

J'avais besoin de rompre le silence. Sorcha faisait bonne figure mais elle n'était pas plus rassurée que moi, malgré ses dires. J'avançai et entrepris de sonner, le cœur battant. En espérant qu'il y aurait quelqu'un, manquerait plus qu'on poireaute dehors en plus. Il tombait un fin crachin... Typiquement anglais.

Le week-end était enfin arrivé. J'étais crevé, vanné, épuisé de ma semaine. Le réveil avait été bien difficile. Entre la gueule de bois et la leucémie. Se réveiller devait un sport quotidien. Quoi qu'il en soit j'y étais enfin arrivé. Allant prendre un semblant de petit déjeuner, je vis la famille partir sans moi. Pour changer me direz-vous. Remontant lentement à l'étage, j'avais entrepris de me détendre comme je pouvais. Un bon Mario Kart, histoire de se défouler.

Je ne sais pas exactement combien de temps j'y jouais, mais mon corps me rappela rapidement à l'ordre. Voyant une goutte de sang d'écraser sur ma main, je me levais en catastrophe. Me dirigeant à toute vitesse vers la salle de bain. Putain de maladie à la con. Et puis ce fut le reste de mon corps qui craqua un peu plus. Sentant mes membres défaillirent, ce fut rapidement autours de ma tête. Tous tournait autour de moi. Mes muscles se mirent alors à se tendre sous la douleur. Voilà ce qui arrivait quand j'oubliais de prendre mes médicaments. Et encore, elle était gentil celle-là.

Et puis on sonna à la porte. Restant immobile face à la glace. Toujours secoué par cette affreuse crise. Le sang n'avait pas cessé de couleur. Je haïssais ce corps qui refusé la vie ... Et puis je compris que j'étais seul. Personne d'autre que moi. Pourtant j'étais incapable de bouger. Le moindre mouvement pourrait me faire tomber. Finalement la crise passa. Me rendant alors mes fonctions. Essuyant alors le sang de mon visage, je ne pris pas la peine de descendre. Ca avait sonné depuis dix minutes, personnes ne serait resté aussi longtemps. Revenant dans ma chambre, j'ôtais mon t-shirt avant de m'avancer vers mon bureau, à la recherche de médicament. C'est la que je les vus. Deux jeunes, valises à la main.

Me rappelant subitement de l'arrivée de cousin éloigné, j'enfilais un nouveau t-shirt. Me précipitant alors dans le couloir je dévalais les escaliers à toute vitesse avant d'ouvrir la porte. Devant moi un gars de mon âge, derrière lui une jolie rousse. Comment expliquer que je n'avais pas ouvert de suite et que j'avais attendu dix ans avant de venir ? Et comment éviter de dire : Hey j'ai pissé le sang pendant vingt minutes, j'ai failli crever, vous m'excuserez ?

— Désolé, j'étais au téléphone.

Sans rajouter autre chose, je me poussais pour les laisser entrer. Ils avaient déjà bien attendu, pas besoin de les laisser poireauter davantage. Une fois tout le monde à l'abris, je sentis comme un malaise. Normal après tous, ils étaient du côté de mon père et tous ce qui touché mon géniteur... Ce n'était pas trop mon truc.

— Sérieux j'ai pas envie de jouer au parfait petit anglais. Si vous voulez manger ou boire la cuisine est en face, si vous voulez monter dans votre chambre, suivez moi dans la mienne, enfin la notre... Je sais pas si vous étiez au courant d'ailleurs.

Depuis une semaine, mon lit deux places avait laissé place à un lit superposé avec un bureau en dessous. Il avait migré près de ma fenêtre balcon. Et un nouveau lit superposé basique était apparue, un autre bureau trônant à ses côtés. Pour la penderie, rien avait changé. C'était juste l'ajout d'un meuble supplémentaire pour eux. Nous allions vivre serré...

Putain, fais chier... Comme je l'avais pensé, il n'y avait personne. De rage, je lâchai ma valise et m'assis dessus, posant mes coudes sur mes genoux, avant de caler ma tête entre mes mains, soudainement fatigué. J'avais qu'une envie : repartir. Faire le trajet dans l'autre sens, retrouver mes potes, me bourrer la gueule jusqu'à finir dans le coma et oublier l'horrible réalité. Que j'étais orphelin, que je devais prendre soin de ma sœur, que je devais vivre en Angleterre et attendre le bon vouloir de mon oncle et ma tante pour enfin poser mes valises et terminer ce putain de voyage de merde.

Je me sentais seul. Plus seul que jamais, même si je m'étais énormément rapproché de Sorcha ces derniers mois. J'avais été un connard arrogant. Un con fini. Je devenais un homme, j'avais besoin de m'opposer à mes géniteurs, de les pousser hors de leurs limites. D'envoyer balader ma sœur également. Je sentais une boule se former dans ma gorge et les larmes ne pas tarder à poindre. Oh non. Pas de pleurs. J'étais un mec. Je n'avais pleuré qu'à l'hôpital. Même pas à l'enterrement de mes parents. J'avais consolé Sorcha, jouant les forts quand je n'avais envie que de me rouler en boule et pleurer. Ce n'était pas le moment de lâcher.

Finalement, je redressai la tête et sortis une autre clope, pour passer le temps. Sorcha me regarda encore de travers, me sermonnant.

- "On est coincés dehors et on doit attendre que quelqu'un daigne ouvrir ou rentrer. T'as quelque chose de mieux à proposer? Non? Alors fous-moi la paix."

Je tirais une latte et observais ma montre. Quelle lassitude soudain. Je regardais autour de moi, les maisons autour de nous, le ciel gris, la pluie morne. J'avais besoin de soleil et de bonne humeur. Quand j'eus fini ma clope, je l'écrasai et la rangeai pour ne pas polluer le jardin de ma tante. je sortis un chewing-gum de ma poche, sachant que ma sœur détestait que je sente la clope. Puis je me relevai, approchant de Sorcha et repoussant ses cheveux roux pour l'embrasser sur la joue, en guise de paix, murmurant en gaélique :

- "Désolé, je suis nerveux, mais tu n'as pas à prendre."

Le gaélique... Nous l'avions apprit tous les deux et cela était devenu notre façon de communiquer, plus personnelle, plus tendre. Personne ne nous comprenait. C'était une langue ancienne, musicale, mystérieuse. C'est alors que nous avons entendu le verrou de la porte. Je me suis totalement redressé, Sorcha, derrière moi et la porte s'est ouverte sur un mec de mon âge, pâle, les cheveux sombres, l'air un peu déterré. J'avais l'impression de me voir dans un miroir dans mes mauvais jours. La ressemblance était frappante, on aurait pu être frères. Il s'est excusé de l'attente et je haussai une épaule.

- "Pas grave, le climat anglais est si agréable."

Coup de coude de Sorcha dans les côtes devant mon humour, déplacé. OK, j'arrêtais. Nous entrâmes alors qu'Aaron nous y invitait et un silence gêné s'installa, qu'Aaron décida de rompre. Sans cérémonies. Tant mieux, je préférais ça. Je lui lançai un regard surpris cependant, quand il parla de notre chambre...

- "Hein? Au courant de quoi?"

Nous n'allions quand même pas vivre à trois dans SA chambre? La maison était spacieuse! Il y avait bien de la place pour Sorcha et moi. A la limite, je pouvais dormir avec Aaron et Sorcha avec notre cousine... Là, c'était logique. Bon, attendez, reprenons, on se parlait comme si on se connaissait, ce qui n'était pas le cas. Aaron était à la charge de notre oncle depuis peu.

- "Aaron, c'est ça? Depuis le dé... l'accident, Sorcha et moi n'avons pas vraiment été tenus au courant de ce qui allait se passer. On nous a envoyé ici sans autre forme de procès. Sans nous demander notre avis. Ceci dit, c'est sympa d'accepter de nous accueillir. Sorcha et moi aurons été séparés sinon..."

Il n'était pas au courant, super, j'allais devoir expliquer la situation familiale. Passant une main, dans mes cheveux, je constatais soudainement que lui et moi, nous nous ressemblions un peu beaucoup. A croire que nos pères avaient le même physique pour que nous en héritions. Cherchant alors la meilleurs moyens de leurs expliquer, il reprit la parole. Me demandant si j'étais bien Aaron, ce à quoi je répondis par un hochement de la tête. M'expliquant leurs situation. A vrais dire je ne m'y étais pas vraiment intéressé. Tout ce qui touché mon père m'énervait pour le principe. De même pour eux. Un peu stupide, car je ne les connaissais pas.

Ils avaient l'air sympa. Mais c'était sûrement pour l'éducation. Quoi que, si on ne leurs avaient pas donné la chambre d'amis, c'est qu'il y avait une raison. J'entrepris alors de lui expliquer chez qui il était tombé.

— On va faire simple. Il avait été décidé que ta soeur et ma demi cohabite ensemble. De même pour toi et moi. Sauf que pour la santé mentale de ta soeur, j'ai fais remarqué que notre chère fifille allait lui faire vivre un enfer et n'accepterait jamais. Suite à quoi j'ai négocié la chambre d'amis, qu'ils ont préféré garder pour les amis justement. Ce qui fait que nous serons trois dans ma chambre... Enjoy !

Ironique ? À peine. J'avais moi-même trouvé la solution un peu tiré par les cheveux, voir complètement stupide. Mais que voulez-vous. Quand votre confort prime sur celui des enfants qui ne sont de vous, ou pas officiellement. Ca part vite en sucette. J'avais cru comprendre qu'ils étaient orphelin à présent. C'était déjà difficile à vivre, mais si en plus vous rajouter la vie ici... Je les plaignais sincèrement. Je ne souhaitais à personne ce qui leurs étaient arrivés. Et repartir de l'avant dans une famille comme la mienne... c'était impossible. C'était un point mort ici. Personne ne pouvait en sortir sans une bonne migraine et une envie de meurtre.

Je leurs fis signe de me suivre, aidant au passage ma nouvelle cousine à monter les marches. Pour le cousin, il pourrait se demerder seul. Il était assez grand. Je voulais les installer, histoire qu'ils s'y fassent. Qu'ils comprennent la merde dans laquelle il venait de s'engager. Heureusement que la pièce était grande, sinon la cohabitation aurait-été un enfer. Posant enfin la valise sur le sol. Je jetais sur mon lit le t-shirt plein de sang que j'avais laissé sur mon bureau.

— J'essayerais de vous laisser tranquille le plus souvent possible. Je suis un peu un paria ici. Je ne mange pas en bas et je n'existe pas pour la moitié de la famille. J'essayerais au max de dormir à l'extérieur. Pour le reste du temps, je ne serais pas assez en forme ou occuper à réviser, pour vous déranger.

Voilà ce que j'allais devoir faire. Fuir les lieux pour leur laisser de l'intimité. Qu'ils puissent se retrouver à deux et ne pas être trop dérangé par mon existence en fin de vie. Je le laissais assimiler l'information. Évitant de les brusquer maintenant... Ma belle-mère le ferait bien assez tôt.

Je détestais l'Angleterre.

Ç'avait été un verdict sans appel. A peine débarqués, c'était la pluie qui nous avait accueillis. Le ciel était grisâtre, informe, incolore, triste, sinistre. La capitale dégoulinait d'eau sale et les habitants avaient tous l'air stressé, déprimé, pressé, courant à leur travail comme si leur vie en dépendait. La plupart étaient en costume, abrités sous des parapluies noires qui achevaient de donner une touche glauque à l'ensemble. Je pensais avec un serrement de cœur à mon pays natal, où nous avions toujours l'impression d'être en pleine campagne, même au cœur des villes. la couleur dominante était le vert, teinte de l'espoir, et ici, ce que l'on éprouvait en regardant le paysage était le parfait contraire de l'espoir. La campagne où l'on guettait les arc-en-ciel avec espoir pour aller chercher des marmites pleines de pièces d'or à leur pied était bien loin ! Ils ne semblaient pas connaître ce mot ici, campagne. Ce n'était que béton, où que je pose les yeux. Arc-en-ciel non plus. Pour avoir un arc-en-ciel, il faut du soleil. Le soleil existait-il dans cette contrée sans couleurs ?

Un peu de mon imagination était déjà morte avec mes mains, je savais déjà qu'ici, loin de l'influence bénéfiques des légendes, des lutins, des fées qui m'avaient prêté leur apparence, elle se fanerait et mourrait d'ici quelques semaines. L'imagination se cultive, ici je n'avais rien pour l'encourager et la faire grandir. Qu'allais-je devenir dans ce morne pays ? Le vent anglais frigorifiant allait s'acharner sur moi et m'user, m'user, m'user, jusqu'à ce que je disparaisse. Kieran ne pouvait pas me protéger éternellement, et je doutais qu'il y arrive dans cette ville lugubre. Il faudrait déjà qu'il s'occupe de lui. La dépression qui menaçait plus ou moins mon esprit depuis la mort de mes parents était sur le poins de briser la digue qui la retenait et de me submerger. Comment pourrais-je la contenir ici ?

Remorquer nos valises fut long et difficile, et j'en voulais à Kieran de s'arrêter toutes les trente secondes pour prendre le temps de tirer sur sa clope. J'avais beau savoir que c'était l'un de ses piliers, je désapprouvais encore plus qu'avant. Qu'il choisisse ça au lieu de sa sœur... Je savais qu'il était déterminé à ne me montrer aucun signe de faiblesse. Mais enfin, je savais déjà qu'il souffrait aussi, alors pourquoi s'obstiner dans cette comédie et se rabattre sur cette solution meurtrière ? Je levai les yeux sur la bâtisse qui nous faisait face et m'efforçai d'être contente de venir habiter ici. Mais en mon for intérieur, je revoyais notre jolie villa pimpante d'Irlande, et celle-ci perdait sur tous les plans face à notre ancien lieu d'habitation. Je sursautai nerveusement quand Kieran rompit le silence et j'opinai de la tête, strictement incapable de prononcer un mot. Je le laissai sonner, puis nous attendîmes.

Encore.

Et encore.

Et encore.

Je savais que c'était très gentil à eux de nous accueillir, qu'ils n'en étaient pas obligé. Ceci dit, je trouvais assez impoli de laisser attendre de la famille ainsi, surtout alors que nous venions de perdre nos parents. L'accueil promettait... Je soupirai, tâchant de chasser ces mauvaises pensées de mon esprit. Ce n'était guère charitable, mais j'avais très largement perdu de mon bel optimisme envers les tierces personnes depuis l'accident. Je n'avais plus cette tendance à voir le bien pardon, c'était plutôt l'exact inverse, et ce pays plat et désolé n'allait pas m'aider. Incapable d'en vouloir à Kieran, ce fut vers notre future famille que mes pensées maudissantes se dirigèrent lorsqu'il ralluma une cigarette. Est-ce qu'ils ne pouvaient pas se dépêcher ? Nerveuse, je me tordis les mains, et adressai un timide sourire à mon frère lorsqu'il m'embrassa les cheveux. J'aimais tellement lorsqu'il me parlait en gaélique. Notre bulle. Je lui répondis dans la même langue.

- Ce n'est rien. Je comprends, moi aussi je suis nerveuse.

Je croyais pouvoir contrer les sentiments que j'éprouvais quant à sa responsabilité dans l'accident en lui pardonnant tout le reste sans concession. Qu'il rentre ivre et s'excuse en gaélique et j'oubliais tout, feignant d'ignorer l'odeur qui me retournait le cœur, qu'il me croise pupilles dilatées et ait un mot gentil à mon égard et je faisais mine de n'avoir rien remarqué, alors même que son comportement était bien loin de celui de mon Kieran. Mais ce n'était qu'un pis-aller qui ne durerait pas bien longtemps, je le savais bien. Un jour, je cesserais d'être indulgente, et que se passerait-il ce jour-là ? Je sursautai lorsque la porte s'ouvrit soudain. je n'y croyais plus, presque décidée à lui proposer de chercher un hôtel pour ce soir et de revenir demain. Étant majeur, il avait accès à tout l'héritage de nos parents, mis à part la partie qui me revenait et qui était gérée par je ne sais quel obscur avocat, ce qui simplifiait les choses lorsque nous étions voués à nous-mêmes. J'examinai avec curiosité le jeune visage qui nous faisait face. Ça ne pouvait être qu'Aaron.

Leucémique. J'avais reproché à Kieran son point de vue à ce sujet, mais aurais-je envie de m'attacher à lui, moi ? Après tout, je n'avais pas non plus envie de subir une autre perte si tôt. Cependant, à ses premières paroles, je n'eus même pas envie d'essayer. Au téléphone, hein ? Pour accueillir des cousins orphelins, tu ne peux même pas dire à ton interlocuteur d'attendre trente secondes ? Malgré mes propres reproches, je ne pus néanmoins m'empêcher de jeter un regard de reproche à Kieran lorsqu'il énonça une remarque caustique. Ben voyons, c'était tellement facile de reprocher à autrui de faire ce pour quoi ils avaient été plus osés que nous.

Oh, pardon, mon Dieu, soufflai-je intérieurement.

Ces pensées m'empoisonnaient. Deux mois que j'essayais de retrouver la Sorcha bonne vivante et optimiste d'avant. J'avais l'impression que ce pays avait achevé de la tuer. Apeurée, je préférai me taire et laisser Kieran prendre les choses en main. Il n'était guère poli, le cousin, même pas un bonjour, un ton presque agressif... En même temps, si le reste de la famille avait s'absenter et qu'il était coincé juste pour nous attendre, normal que cela l'énerve. Il était certainement très sympathique au fond.

Eh bien voilà. Ce n'est pas si difficile. Je réalisai soudain que j'avais perdu le fil de la conversation et fut plus ou moins réveillée par le ton ironique d'Aaron. je relevai mes grands yeux verts sur lui, un peu déboussolée. Qu'est-ce qu'il racontait, là ? Nous allions être tous les trois dans la même chambre ? Troublée, je me mordis la lèvre pour m'empêcher de protester. Ça ne me dérangeait pas tellement d'être dans la même pièce que Kieran, depuis deux mois, j'avais l'habitude. mais Aaron, c'était autre chose. Je le connaissais à peine, voire pas du tout, et partager mon intimité avec lui ne me plaisait guère. A qui cela aurait-il plu ? D'autant que j'allais le déranger. J'avais régulièrement des crises de larmes et des cauchemars incontrôlables. Se faire réveiller ainsi par une squatteuse, ça n'allait pas être agréable pour lui, et affreusement gênant pour moi - comme si ça n'était pas suffisamment désagréable !

Je lui jetai un regard reconnaissant lorsqu'il vint m'aider à soutenir ma valise. Tu vois, Sorcha, qu'il est bien ce cousin. Nous arrivâmes dans la chambre, notre chambre, qui était heureusement assez spacieuse sans doute quand Aaron y vivait encore seul. Ça n'empêchait que, même si ce n'était pas aussi exigu qu'on pouvait l'imaginer, eh bien... c'était définitivement trop petit. Coincée ici avec deux garçons. Je jetai un regard furtif à Kieran au petit discours de notre cousin et poussai un petit soupir. Je me décidai enfin à parler, pour la première fois depuis qu'il nous avait ouvert. Mon regard évita le T-shirt qu'il venait de lancer sur le lit. Pourtant, j'avais bien vu la large tache brun-rouge qui en maculait le devant.

- C'est ridicule, Aaron. On ne va pas te chasser. Ce sont nous les intrus ici, pas toi, tu es chez toi. Tu prétends que tu n'existes pas pour la moitié de la famille... Alors je suppose que te retrouver tranquille dans ta chambre doit être plutôt reposant, non ? C'est à nous de nous faire discrets.

Je marquai une pause.

- Même si j'apprécie le geste. C'est gentil de ta part. Mais on ne peut pas accepter.

En réalité, je devais me l'avouer, je mourrais d'envie d'accepter et de lui donner ma bénédiction pour toutes les frasques qu'il ferait dehors afin de nous laisser en paix. Mais je me refusais à cette faiblesse - son affirmation sur ses relations avec mon oncle, ma tante et sa sœur, ou demi-sœur si j'avais suivi, m'avait déjà beaucoup choquée, même si j'avais fait mine de passer outre. La sage Sorcha, la gentille Sorcha, la polie Sorcha. Jamais prompte à soulever un détail susceptible de gêner son interlocuteur.

J'étais... scié. La réponse d'Aaron, proférée avec ironie, m'avait coupé les jambes. Nous allions partagé la même chambre tous les trois? Wow, c'était quoi ce délire? Aaron venait de nous expliquer qu'il avait empêcher Sorcha de dormir avec notre cousine, parce que celle-ci allait faire vivre un véritable enfer à ma sœur. J'eus un petit ricanement sardonique :

- "A t'écouter, on dirait Méphisto."

OK, elle était arrogante, superficielle, chieuse... Mais elle ne pouvait pas être si mauvaise, si? Je ne la connaissais pas beaucoup et je n'avais pas très envie de la connaître. Elle m'insupportait. Alors j'imaginais que vivre avec devait être un enfer... Ouais, il avait peut-être sauvé Sorcha de la dépression. Bien qu'elle ne soit jamais loin. Je voyais ma sœur dépérir à vue d'œil depuis que nous étions arrivés. Si l'Angleterre me déprimait, c'était encore pire pour elle qui se réfugiait dans son imagination pour échapper à la réalité et garder le cap. Ici, il n'y avait rien pour alimenter ses rêves. Et la promiscuité risquait fort de l'achever... Je connaissais ses peurs, ses cauchemars nocturnes terrifiants qui la laissaient tremblante et en larmes.

Cela dit, ne pas nous laisser la chambre d'amis pour héberger les amis justement, je trouvais ça... grossier. Non mais sérieux, c'était quoi cette mentalité de merde? Jamais mes parents n'auraient agi ainsi si les situations avaient été inversées. Je croisai le regard de Sorcha et je sus qu'elle pensait la même chose. Mais je m'abstins de tout commentaire. Ce n'était pas la faute d'Aaron. Et ici, nous n'étions que des invités, je n'avais pas à la ramener. C'était beau la famille.

Aaron nous fit signe de le suivre. Galant, il aida Sorcha à porter sa valise, ce qu'elle apprécia visiblement. Nous pûmes ainsi découvrir notre chambre. Plus grande que ce à quoi je m'attendais, mais limite pour trois quand même. Je remarquai le T shirt couvert de... sang? Qu'il jeta sur son lit négligemment, comme si ce n'était rien. Il annonça alors qu'il nous laisserait tranquille autant que faire se peut et j'ouvris de grands yeux incrédules quand il nous expliqua être un paria ici et manger dans sa chambre... Vivre dans sa chambre, en gros. Et nous allions l'en chasser? Sorcha fut plus rapide que moi. J'abondai dans son sens :

- "Elle a raison. C'est plutôt à nous de nous faire discrets... On n'a pas à empiété ainsi sur ta vie."

N'empêche. Ça promettait d'être joyeux. Plus le temps passait, plus je me disais qu'on aurait peut-être mieux fait de compter sur les services sociaux. On aurait été séparé, mais les gens auraient peut-être été plus sympa avec Sorcha. Parce que là... Entre le coup de la chambre d'amis et de reléguer Aaron dans sa chambre, je commençais à sérieusement les prendre en grippe, sans même les avoir revu.

- "Ton père ne te défend pas face à ta belle-mère?"

Ça avait jailli tout seul. Je connaissais sa situation. Il avait été envoyé chez son père parce que sa mère était malade. Je supposais que ma tante ne devait pas apprécier cet adolescent malade. Au vu de ce qu'Aaron en disait, ce n'était même plus une supposition. Mais son père, lui, ne pouvait renier son fils, n'est-ce pas?

Kieran fit une remarque qui ne manqua pas de me faire souris. Mais elle n'était pas fausse malheureusement. Et il dut le comprendre lorsque que j'hochais la tête. Et puis nous montage dans la chambre, la notre à présent. Sorcha prit la parole pour la parole pour la première fois depuis son arrivée ici. Et ce fut pour me dire qu'elle ne voulait pas me chasser. Comprenant que j'étais un intrus, mais que retrouver ma chambre devait me soulager. Avouant même que c'était à eux d'être discret et non l'inverse. Elle me remercia alors, mais refusa. Je souris alors, voulant répondre, mais Kieran m'en empêcha.

Enchérissant sur ce que venait de dire sa soeur. Ils n'avaient pas à empiéter sur ma vie. Souriant un moment face à ce qu'il venait de dire. Je les trouvais gentil. Ca me ferait même mal de m'attacher à eux... Comme ils n'avaient pas le droit de s'attacher à moi. J'étais condamné, je n'avais plus le droit à ce genre de choses...

— Vous êtes mignons, mais franchement, je ne suis pas chez moi ici ou même dans cette chambre. Ca ne va pas me tuer de me balader la nuit, rassurez-vous !

Techniquement si. C'était bien techniquement. Et puis Kieran me surprit. Me prenant même au dépourvu. Je n'avais pas du tout imaginer ce genre de question. Si bien que je restais plusieurs minutes muet. Retrouvant lentement ce que je voulais dire, ce que je pouvais dire à ce sujet. Rien de très brillant quoi qu'il en soit.

— Il paye déjà les médocs... Il ne faut pas trop lui en demander. Après tous je suis le gamin qu'il n'a pas voulu et qu'il éduque pour l'honneur.

Ca c'est fait. Aaron ou comment discréditer son père en dix secondes. Et puis je m'avançai dans la chambre. Arrivant au pseudo dressing. J'avais décidé de faire la visite.

— La vous pourrait ranger vos affaires, la porte devant la chambre c'est la salle de bain. J'ai pas le câble, juste lecteur dvd et console. Et éviter de toucher aux médocs sur le bureau, sauf si vous voulez finir à l'hosto.

POSTE DE MERDE

Kieran était devenu tellement asocial et distant que j'avais craint un instant qu'il ne me soutienne pas et qu'il me laisse me débrouiller seule, alors que je venais tout juste d'oser ouvrir la bouche. J'étais peut-être plus ouverte que lui depuis l'accident - ce n'était guère difficile étant donné la remarquable façon dont il s'était refermé sur lui-même - mais je restais la plus timide des deux. Mon frère n'hésitait pas à ouvrir la bouche quand il s'agissait de critiquer, ce que jamais je n'aurais réellement osé, surtout pas alors que nous ne connaissions encore rien de nos cousins, notre oncle et notre tante. En revanche, je savais qu'il aurait autant envie que moi de rester seul. Alors m'aiderait-il à convaincre Aaron que cette solution était mauvaise ?

Je m'en voulus d'avoir pensé cela lorsqu'il surenchérit sur mes paroles. J'étais déchirée ; j'espérais que notre cousin nous avait proposé cette idée par pure politesse et accepterait maintenant de ne pas s'exiler simplement pour nous permettre de rester seuls, mais au fond, oui, j'aurais été contente d'avoir un peu plus d'intimité que ce que l'arrangement prévu promettait. Dire que sa demi-sœur avait une chambre pour elle toute seule... Et qu'une autre chambre était entièrement libre, simplement réservée aux éventuels invités... Ne sois pas mesquine, Sorcha, songeai-je en inspirant profondément. Ces gens sont déjà bien aimables de vous accueillir, qu'aurais-tu fait en Irlande et avec une pièce pour toi toute seule si Kieran n'avait pas été avec toi, hein ?

Là, c'était sûr que nous pourrions difficilement être plus proches.

Je grimaçai lorsque Aaron persista à affirmer qu'il ne passerait pas ses nuits ici. Dehors, mais c'était totalement ridicule ! Et où dormirait-il ? Son travail, sa santé ? Je savais qu'il poursuivait ses études supérieures dans un cercle où le niveau était assez élevé. Et barouder dans les rues de Londres ne me semblait pas une précaution idéale à observer en cas de leucémie. Puis la vérité me frappa de plein fouet, si violemment que je me mordis la lèvre sous cette évidence, incapable de répliquer. Qu'en avait-il à faire de ses études ou de sa santé ? De toute façon, il ne vivrait probablement pas deux ans. Pourquoi gâcher le peu de vie qui lui restait à pécher par excès de prudence ou à s'enfoncer dans le travail ? Les larmes me montèrent aux yeux, mais je parvins à les ravaler. Je touchai le dos de Kieran du bout des doigts, cherchant un soutien.

Deux morts dans ma vie, c'était déjà beaucoup trop. Se souvenir qu'il y en aurait bientôt un troisième ne me plaisait absolument pas. Mais j'y serais confronté tous les jours, songeai-je alors que mon regard glissait sur les médicaments qu'il nous désignait en nous rappelant de ne pas y toucher. Je te remercie, cousin, j'ai peut-être l'air d'une gosse comparée à vous deux, mais je sais encore quelles précautions observer à ce sujet. Inquiète, mon regard se porta sur Kieran.

Je me refusais à formuler le mot fatal. Mais étant donné la profonde catatonie dans laquelle il glissait peu à peu depuis l'accident, je devais m'avouer que tous ces médicaments, relativement dangereux, qui traînerait dans sa chambre à disposition ne me rassurait pas du tout. Ceci dit, l'accueil guère chaleureux de notre oncle semblait le réveiller quelque peu. Des remarques cyniques, c'était toujours des remarques, n'est-ce pas ? On se console comme on peut.

L'air absent, je poussai ma valise contre le lit superposé, afin de dégager un peu d'espace. Je ne me sentais pas le courage de défaire mes bagages dès maintenant. Tentant une dérisoire tentative d'humour, je jetai un coup d'œil à mon frère.

- Alors, Kieran, tu prends celui du haut ou du bas ?

Le sourire naissant sur mes lèvres fana aussi vite qu'il était apparu. Je ne savais plus comment faire pour sourire vraiment. Avec un soupir, je me tournai de nouveau sur Aaron, me juchant sur ma valise.

- Mais ton père, il n'est pas là pour... pour nous accueillir ? Quand est-ce qu'on pourra le voir ?

J'aurais voulu rayer le « pour nous accueillir » qui était une critique évidente, mais les mots avaient jailli trop rapidement pour que je puisse réellement les contenir. Ceci dit, cet oncle mystérieux me tracassait réellement ; je me demandais quel genre d'homme pouvait laisser son fils, même indésirable, dormir avec deux inconnus et se faire persécuter par sa belle-mère. De plus, c'était peut-être un peu égoïste, mais s'il n'avait pas voulu d'Aaron, que lui avions-nous fait, nous ? J'ignorais les relations qu'il entretenait avec ma mère. J'avais naïvement supposé que l'on ne se voyait pas beaucoup à cause du prix du voyage, mais peut-être y avait-il d'autres raisons inconnues de leurs enfants... Ça ne me ravissait pas tellement.

Sorcha et moi avions beau protester, Aaron ne semblait pas décidé à revenir sur sa décision de nous laisser seuls le plus souvent possible. Ca me faisait mal de l'entendre répondre avec désinvolture qu'il n'était pas chez lui ici de toutes façons. Merde, c'était son père quand même, il ne pouvait pas rejeter son fils comme ça, quand bien même sa femme et sa fille le faisaient... Ce n'était pas vraiment à moi de réparer les injustices, mais Aaron était déjà condamné et en plus, on agissait limite comme s'il n'était déjà plus là, en l'isolant ainsi, en faisant le vide. Sorcha devait surement penser comme moi, bien qu'elle soit plus réservée et qu'elle ne se serait pas permis une remarque désobligeante. Elle était plus diplomate que moi et moins encline à juger et condamner.

Et du coup, ce fut moi qui demandai ce que foutait son père. Pas très élégant, même si j'avais tenté de ne pas montrer ma désapprobation. Ce n'était pas à moi de juger, certes, mais c'était quand même difficile de se retenir. Sorcha s'était rapprochée de moi et je sentais presque sa détresse soudaine, que je ne compris pas tout de suite. Aaron sortait la nuit et alors? Il était malade et il faisait ce qu'il voulait de sa vie. J'aurais surement agi pareil. Mais ma main glissa dans mon dos et frôla la sienne, alors qu'elle quétait ainsi mon soutien et ma chaleur. Drôle de relation que la notre, renforcée dans la douleur.

La réponse d'Aaron me prit un peu au dépourvu. Il payait ses médocs et assumait pour l'honneur... Il n'éprouvait aucune affection pour son fils? Aaron n'avait pas le droit à son amour? C'était abusé et intenable pour lui. Mais en même temps, n'avais-je pas décidé de faire de même pour ne pas pleurer sa mort plus tard? Son père raisonnait peut être de la même façon, égoïstement. Mais c'était un père, il n'avait pas le droit d'être égoïste. Si je n'avais pas perdu mes parents, j'aurais surement tendu la main à mon cousin. Mais là, c'était au dessus de mes forces. Cela dit, mon oncle me semblait vivement antipathique selon le point de vue d'Aaron.

Il nous présenta le dressing, la salle de bain, les ressources de la chambre... Et son stock de médicaments. Mon regard dévia vers ceux-ci et je sentis soudainement le regard de Sorcha sur moi. Je le lui rendis, un brin vexé qu'elle puisse penser que j'irais en prendre pour en finir. Parce que c'était exactement cela qui traversait s ajolie petite tête. OK, j'étais un poil dépressif, mais pas au point de me suicider non plus... Pas tant qu'elle aurait besoin de moi en tous les cas. Elle tenta de se montrer désinvolte en me demandant quel lit je voulais.

- "Du bas. T'es plus jeune, à toi de te taper l'échelle."

Et pan. Ca t'apprendra à me croire capable de commettre l'irréparable. Je m'en foutais, en fait, mais comme il fallait prendre une décision, je la prenais. Sorcha se permit alors une question à Aaron qui me surprit. Venant d'elle s'entend. Oh ma gentille petite soeur montrait-elle sa désapprobation sur l'attitude de notre oncle elle aussi? Intéressant, c'était si rare.

Je les laissais faire leurs marque dans ce qui serait leurs nouveau chez eux. Ne voulant pas m'imposer davantage j'étais encore sous l'effet de la crise. J'avais un mal de crane pas possible et un forte envie de dormir. Mais je devais lutter. Je souris malgré moi lorsque Kieran répondit à la question de Sorcha. A la question le haut ou le bas. Il avait dit bas. Argumentant sur le fait qu'elle était plus jeune. Ca me rappelait moi et Sarah. Une grande histoire.

Et puis ma cousine me prit au dépourvu. Me demandant quand comptait rentrer mon père. Je dus sérieusement réfléchir à ma réponse. En profitant même pour finir une plaquette de médicament qui finit à la poubelle. Quand comptait-il les accueillir ? Bonne question. Avalant une grogé d'eau pour faire passé le tout. Je m'assis sur ma chaise de bureau. Regardant le vide. Et puis je finis par la regarder elle.

— Ca dépendra des caprices de ma demi et du temps qu'il passera à faire bonne figure face à ses amis. Sans compter ma belle mère qui va surement monologué sur sa générosité à s'occuper d'un petit leucémique.

Je me retournais alors, à la recherche de mon portable. Regardant l'heure pour enfin me remettre droit sur ma chaise. Je ne voulais pas être optimiste et dire que d'ici midi il serait là. Alors je lui répondais franco. Pas besoin de mentir de toute façon. Ils devaient être au courant de l'extrême importance qu'on leurs portés.

— Je dirai d'ici 20h-21h ce soir. Vous étiez très attendu, alors forcement, il a fait des pieds et des mains pour être là.

Souriant en clignant machinalement des sourcils. Ma voix avait pris un timbre faussement enjoué. J'étais bon comédien, surtout lorsqu'il fallait imité mes chères parents adoptif que j'aimais tant. Ce n'était pas forcement de la rancoeur, ni du dégout. Mais plutôt de l'incompréhension et un désir de ne pas les comprendrais. Ils ne cherchaient pas à savoir qui j'étais. Mon père ne voulait qu'une chose, me jeter à l'hôpital pour pouvoir être tranquille. Limite, je me demande s'il ne m'encourageait pas à sortir et vivre comme un débauché. Histoire de m'éprouver et d'en finir avec le fardeau que je représentais.

C'était ainsi. Je regrettais presque ma mère et ses manies à trop vouloir me protéger. Je n'avais malheureusement aucun membres fiables dans ma famille. Et eux ne le serait pas plus. Ils ne voulaient surement pas se lier avec un mort, enfin un futur. Surement trop. Enfin, eux, je ne leur en voulait pas, Ils n'y étaient pour rien.

[Désolée, j'ai du mal aujourd'hui T__T]

Je soutins le regard d'Aaron. Tant bien que mal alors qu'il me jetait de véritables horreurs à la figure. On se serait cru dans un roman. Ainsi les marâtres égoïstes et les demi-sœurs capricieuses existaient ailleurs que dans Cendrillon ? C'était incroyable. Et son père ne faisait rien contre ça ? Mais quel genre d'homme est capable d'ignorer son fils ainsi, alors qu'il va bientôt mourir ? Pourquoi lui gâcher le peu de vie qui lui restait ? D'une voix dure, je rétorquai :

- Eh bien, Dieu me pardonne, mais sache que je n'éprouve que mépris pour une attitude pareille.

Suffit les faux-semblants. Aaron ne s'en embarrassait pas, lui, et il ne servait à rien de se voiler la face. Notre nouvelle famille d'accueil était égoïste et sans-cœur, et vivre ici ne serait pas une partie de plaisir. Seigneur, mais qu'est-ce que Kieran allait devenir ici ? Je croyais que je ne serais plus la seule à le soutenir, mais visiblement, il n'y aurait toujours que lui et moi. Et Aaron, peut-être, aussi rejeté que nous, mais je connaissais l'opinion de mon frère à ce sujet. De plus, notre cousin avait clairement pris la décision de nous laisser en paix... Je ne savais pas comment réagir. Que m'étais-je imaginé ? J'étais sans doute trop choquée à l'idée de quitter ma bien-aimée terre natale pour avoir imaginé quoi que ce soit. Ni de l'indifférence, ni un accueil chaleureux. J'avais bien fait, car la réalité dépassait toutes les fictions possibles. J'eus un rire amer à la phrase ironique d'Aaron.

- Mais... mais comment est-ce humainement possible d'être ainsi ? J'ai honte pour eux. C'est une attitude détestable !

J'en avais presque les larmes aux yeux. Je ne les avais même pas vus, et déjà tout se passait mal. Je me permettais rarement d'émettre un jugement sur des gens que je n'avais pas encore rencontrés, mais quelle autre pensée aurait-on pu avoir ? Je tendis la main vers Kieran et lui attrapai le bras. Moi qui croyais que se retrouver dans une vraie famille me permettrait de me détacher de lui... Visiblement, j'aurais besoin de sa présence encore très longtemps.

- J'imagine qu'on n'a plus qu'à s'installer en les attendant, alors... Vous avez faim ?

Il était presque quinze heures de l'après-midi et le plateau-repas de l'avion ne tenait pas au ventre. Puisqu'il n'y avait personne, je pouvais bien cuisiner un bon repas pour nous trois. Visiblement, il faudrait que l'on sache se débrouiller seuls, autant commencer dès aujourd'hui ! Et ce serait l'occasion de connaître un peu mieux Aaron. Je ne voulais pas rester enfermée dans ma relation avec Kieran, je voulais apprendre à redevenir comme avant, même si ça me faisait mal. Je voulais réussir à oublier.

Sorcha avait posé une bonne question et j'attendais comme elle la réponse, alors qu'Aaron ne semblait pas emballé pour nous répondre rapidement. Nous l'observions. Moi, j'étais tendu, voire nerveux, ce qui était assez rare. J'étais un étranger ici et je n'étais pas à l'aise dans cette maison, même si Aaron était plutôt sympa. Je serrai les poings malgré moi quand il répondit de façon ironique. Marrant, nous nous ressemblions sur ce point, à se défendre par la dérision. Même si ce qu'il disait me révulsait. Sa belle mère, notre tante, ne pouvait pas être si abjecte avec lui quand même... Merde, j'avais décrété que je ne m'attacherais pas à lui, mais je n'irais pas non plus jusqu'à le rabaisser ou faire comme s'il n'était pas là. Nous ne verrions pas notre oncle avant ce soir, d'après Aaron. J'étais pétrifié.

Et pour une fois, ce fut Sorcha qui se rebella et dit tout haut ce que nous pensions tout bas. Je ne la savais pas si hardie, mais là, elle était tellement indignée, qu'il fallait que ça sorte. Je lui jetai un regard en coin, incertain. Il pouvait déblatérer sur sa famille, mais nous, non, pas avant de connaître quand même. Pour une fois que c'était moi le tempéré, c'était le monde à l'envers!

- "Sorcha..."

Chut, tais-toi. Ne critique plus, tu ne sais rien, attends de voir avant de juger. Même si je doutais qu'Aaron allait s'énerver de la voir critiquer ainsi ceux qu'il n'appréciait pas plus que cela. Il était un poids, un fardeau pour eux, on l'avait bien compris. Sorcha m'agrippa le bras et je la regardais, surpris, en constatant qu'elle n'était pas loin de pleurer. Tu es trop sensible petite sœur... Et elle changea alors de sujet, parlant de nourriture. Si j'avais cessé de m'alimenter au début et perdu du poids, l'appétit était revenu. Surtout que Sorcha cuisinait très bien.

- "J'avoue que je mangerais bien un truc, c'était pas terrible dans l'avion... Un espèce de machin anglais immonde."

Je lançai un regard à Aaron en critiquant la bouffe de son pays, par jeu, pour détendre l'atmosphère aussi.

- "Tu vas avoir la chance de goûter la cuisine de ma sœur."

Bon après, il fallait voir ce qu'elle pouvait cuisiner avec les moyens du bord aussi. Si les produits anglais étaient aussi dégueulasses que la cuisine... Au secours.

Sorcha s'indigna, ce qui eut le mérite de me faire sourire. Elle était comique la gamine. Restant toutefois silencieux, je constatais que mon cousin essayé de calmer le jeux. Parfait, c'est pas que critiqué me dérangeait, mais les liguer contre ma "famille" n'était pas top. La vie ici serait déjà assez difficile pour eux. Le fait de n'avoir personne pour les soutenir ne pourrait pas les aider. Malheureusement. Je les plus que personne d'autre. Si moi j'étais condamné et avait une excuse pour foutre le bordel en toute impunité, eux non.

Et puis Sorcha en rajouta une couche. Malheureusement c'était possible. Il était détestable, ingrat et froid. Mais encore, moi je m'en foutais, mais eux ne pouvaient pas se permettre. Ils étaient pris au piège. Et ce dans un pays qu'ils ne connaissaient pas. Enfin bref. Sorcha changea elle-même de sujet, demandant alors si nous avions faim. Elle m'intéressait la gamine. Mon cousin en profita pour me lancer une pique. Critiquant ouvertement la cuisine Anglaise. C'est en sautant de mon bureau que je lui répondais. Un sourire au visage.

— Si tu crois franchement que je suis le parfait petit Anglais qui bouffe de la gelé à la menthe … Tu te plantes mon grand. J'ai un estomac Italien à la base !

Il m'annonça alors que j'aurais la chance de gouter à la cuisine de sa soeur. Une chance, pas sur. J'étais devenu assez chiant niveau bouffe. Alors de la à savoir si c'était à cause d'une belle mère très chiante ou si c'était un vrais changement de position culinaire. Je ne pouvais dire. Alors j'haussai les épaules, les invitants à me suivre.

— On verra bien !

Je les conduisis alors à la cuisine. Lieu que je ne fréquentais que très rarement. De une les pâtes c'était super facile à cuire et de deux … J'avais une santé qui faisais de mon appétit une chose aussi instable qu'une ampoule de nitro dans le sac d'une fille de cinq ans (Allez chercher la logique de cette magnifique comparaison). Quoi qu'il en soit nous y étions. Vérifiant rapidement si la belle-mère avait fait les courses. J'aurais du m'en douter c'était un peu la dèch. Me tournant alors vers eux, j'eus un fou rire nerveux et incontrôlable. Ça mêlé au fait que j'avais clairement ma maladie sur le dos et vous aviez une situation un peu tendu. Reprenant difficilement mon calme, je finis par m'expliquer.

— Vous allez croire que je m'acharne, mais ma belle-mère bien aimé n'a pas rempli le frigo en sachant qu'on était ici et seul. Limite tu me dis ce qu'il te faut et je vais te le chercher au magasin du coin.

Et puis je sentis mes bras se tendre lentement. Une brutale migraine et du sang se mit à couler de lui même de mon nez. Putain ça commençait sérieusement à me souler. Ce genre de crise me fatiguait pour la journée. Et si on partait du principe que c'était déjà ma deuxième … La fin de soirée allait être joyeuse. Prenant un torchon rapidement, je le mis sous mon nez, avant de bafouiller des excuses et m'éclipser.

— Vous m'excuserez, Sorcha je te laisse vérifier si t'as tous et au pire fais une liste. Je reviens dans dix minutes.

Montant rapidement à l'étage, j'arrivais à temps aux toilettes. Vomissant les médicaments que je venais de prendre … Putain de cacher. Tirant la chasse et me tirant lentement à la salle de bain, je m'écroulais contre un mur. À moitié conscient de ce qui arrivait. Ca me fatiguait vraiment. Fermant les yeux quelques secondes, je dus passer plus de temps que je n'aurais dû. Retrouvant brutalement mes esprits, l'on venait de m'appeler en bas… Qui m'appeler ? Mon esprit se reconnecta petit-à-petit et je repris le cours de mes pensées. Les cousins. Merde ! Criant que j'arrivais, je nettoyais le sang qui trônait sous mon nez.

Mon reflet dans glace faisait peur. Brutalement plus pale, puis cerné, plus fatigué. J'étais anémié. Passant dans ma chambres, j'avalais de nouveau une dose de médoc avant de me donner deux baffes pour reprendre de la couleur. Descendant avec énergie les escaliers, je savais que je grillais mes dernières cartouche de vitalité pour aujourd'hui.

— Ce fut plus long que prévu, alors qu'a t'il était décidé m'zelle ?

J'essayais de faire illusion. Comme d'hab. J'avais honte d'être aussi faible, aussi exclut ? Dès que l'on connaissait ma maladie l'on s'éloignait. L'on m'évitait… Et cela faisait bien plus mal que vous pouviez l'imaginer. Être exclu pour une chose que vous n'avait choisi …

[Je pars en cacahuète je sais XD ]

Entendre Kieran me rappeler à l'ordre aurait pu être drôle n'eût été la raison pour laquelle il le faisait. Je n'aimais pas critiquer les gens, mais j'aimais encore moins mentir, et de toute façon, ce n'était pas comme si Aaron ne pensait pas la même chose. La façon dont ils nous accueillaient donnait clairement l'impression qu'ils ne le faisaient que pour s'offrir une entrée au paradis - ayons bonne conscience et tout ira bien ! Je déplorais une telle attitude, malheureusement je n'y pouvais pas grand-chose. Ma foi, je les remercierais une bonne fois de nous accepter parmi eux, et c'était tout.

Évidemment, entourée de deux hommes, je savais qu'ils accepteraient forcément un bon petit plat cuisiné par une gentille fille. Même le plus romantique des garçons adore cette idée, et l'estomac d'un homme avait une capacité assez incroyable, je l'avais toujours remarqué avec Kieran et mon père. Je ne pus m'empêcher de sourire lorsque mon frère complimenta ma cuisine. Quand on est végétarienne et qu'on mange bio, forcément, on ne se contente pas de plats préchauffés. J'espérais qu'Aaron aimait les légumes, par contre. Ça ne me dérangeait pas qu'on mange de la viande, mais ce n'était certes pas moi qui la ferait cuire.

Nous suivîmes Aaron dans la cuisine et je me retins de pousser un soupir de lassitude lorsqu'il m'annonça qu'il n'y avait pas grand-chose. Et alors que j'allais répondre, il se mit soudain à saigner du nez. Ce fut aussi brusque qu'inattendu, et ni Kieran ni moi ne pûmes réagir avant qu'il ne prenne un torchon et fonce à l'étage. Interloquée, je me tournai vers mon frère :

- J'espère que ça ne lui arrivera pas trop souvent. Je ne vais pas supporter de le voir mourir ainsi à petit feu.

Et puis, sans le moindre signe avant-coureur, je fondis en larmes et me jetai contre la poitrine de mon frère.

- Oh, Kieran, mais où est-ce qu'on est tombés ?

Pleurer me fit du bien, évacuer la tension qui régnait dans l'atmosphère depuis mon arrivée fut salvateur. Je parvins enfin à me détacher de mon frère lorsque j'entendis les pas d'Aaron dans l'escalier. Est-ce que ces crises lui arrivaient souvent. Je priais pour que ce ne soit pas le cas. Lorsqu'il me parla, faisant comme si de rien n'était, je me mordillai la lèvre et répondis :

- On peut y aller ensemble ? Comme ça, tu pourras nous faire visiter le quartier. Et puis s'ils sont souvent absents, autant que je sache où aller pour faire les courses.

Je n'osais pas lui en parler alors que lui-même ne l'évoquait pas. Je n'étais pas du genre à forcer les gens à discuter de leurs problèmes, et je savais qu'une telle conversation ne serait pas agréable. je préférais entrer dans son jeu, même si je ne pouvais empêcher ma voix d'être différente, légèrement plus retenue, légèrement plus douce.

Je n'étais pas très à l'aise d'entendre Sorcha critiquer notre oncle et sa famille. D'habitude, c'était moi qui n'avais pas la langue dans ma poche, mais là, je faisais preuve de réserve. Nous ne devions pas oublié que notre oncle ne nous devait rien et ne faisait cela que par charité envers nous. Je m'étais assagi avec toute cette histoire. Aussi fus-je soulagé qu'elle change de sujet, au profit de quelque chose de plus anodin, mais vital : la nourriture. Sorcha cuisinait super bien. Elle était végétarienne et j'étais plutôt du genre carnivore, mais au delà de ça, j'adorais sa cuisine. Je me manquais gentiment de la cuisine anglaise et Aaron me rétorqua qu'il préférait manger italien de toutes façons. Taquin, je précisai :

- "J'espère que tu ne tiens pas trop à la viande... Sorcha a des idées bien arrêtées là dessus."

Autant le prévenir de suite. Enfin, il ne ferait pas une syncope parce que pour une fois, il n'aurait pas de viande au menu. Nous descendîmes dans la cuisine et Aaron alla dans le frigo, avant de se mettre à rire nerveusement. Rien dans le frigo. Super.

- "J'ai l'impression de me retrouver chez les Ténardier..."

Et Aaron dans le rôle de Cosette, bien sûr. C'était vraiment la loose cette famille. Nos parents, eux, auraient reçu Aaron comme un roi et auraient tout fait pour qu'il se sente à l'aise et soit bien. Je commençais à comprendre pourquoi maman n'avait pas beaucoup fréquenté son frère. Ils ne se ressemblaient pas du tout. Il demanda à Sorcha de regarder ce qu'il y avait et de faire une liste de courses, qu'il irait ensuite chercher. Aucun de nous n'eut vraiment le temps de répondre alors qu'Aaron prenait un torchon pour empêcher le sang de couler, avant de nous planter là. D'abord hagard, j'eus un brusque frisson en me rendant compte qu'il était vraiment malade... Le sang sur le T shirt, les médicaments n'avaient pas suffi pour que je m'en rende compte. Mais là... Sorcha parla la première, exprimant parfaitement mes pensées. Je déglutis difficilement. Moi non plus, je ne le supporterais pas. Et alors, elle se jeta dans mes bras, en larmes, craquant alors que nous n'étions plus que tous les deux. Je l'accueillis, la serrant doucement, avant de passer la main dans ses magnifiques boucles rousses.

- "J'en sais rien Chacha. Faut juste qu'on s'habitue... Puis on est tous les deux, c'est le plus important."

Enfin, je me demandais si cela suffirait. Parce que j'étais pas loin de m'effondrer moi aussi. L'accueil n'était pas du tout à la hauteur de nos attentes. Nous avions espéré un peu plus de chaleur quoi. Nous restâmes enlacés jusqu'à ce que les pas d'Aaron ne nous interrompent et que ma sœur ne s'éloigne de moi, faisant comme si de rien n'était. Aaron faisait aussi comme si de rien n'était, sauf que son visage ne faisait pas illusion. Il était épuisé. Je jetais un coup d'œil à Sorcha, m'attendant à la voir lui demander de se reposer ou je ne sais quoi, mais elle s'en abstint, fort judicieusement. Je doutais que mon cousin soit ravi de se faire mettre ainsi de côté. Qu'on ai pitié de lui. Je connaissais ça.

- "Ouais, bonne idée. Allons profiter de ce beau temps londonien, tiens."

Sorcha n'avait pas parlé de sa maladie et moi non plus du cou. Je ne voulais pas plomber l'ambiance. Notre entente était fragile. Mais une épée de Damoclès s'agitait au dessus de sa tête. Et nous allions le voir mourir à petit feu. Et sa famille s'en foutait.

Je fus soulager de voir qu'aucun des deux ne me posa la question. Me reposer ne servirait à rien. Sauf à griller les dernières journées de liberté loin de tout cela. Je ne pouvais décemment pas me priver de la liberté qu'il me restait. Certes la vie était plus importante, mais rien comparé à la liberté. Les hôpitaux me tuerait plus qu'autre chose. Je serais condamné à regarder un mur aseptiser dans une chambre bulle. N'ayant aucune visite, car personne pour le faire. Condamner à mourir seul dans un endroit sans vie. Je refusais tous simplement. Autant mourir à un endroit qui ne ressemblerait pas à un cercueil blanc.

Sorcha proposa alors que nous y allions ensemble, pour découvrir le quartier et surtout pour savoir où était le magasin. Regardant alors par la fenêtre je vis qu'il pleuvait et pas qu'un peu. Chose qui n'échappa pas à Kieran qui fit remarquer que nous nous devions de profiter du beau temps Londonien. Qu'il ne se plaigne pas trop le grand, c'était encore gentil ce qu'il tombé pour le moment.

— Si tous le monde souhaite tant me suivre, allons-y !

Donnant un parapluie à Sorcha, j'enfilais un sweet à capuche des plus basique. Passant cette dernière sur ma tête, je vérifiais que j'avais bien tous ce qu'il me fallait. Clé, portable, argent, clope et briqué. Tout étaient la. J'allais galèrer à fumer sous la drachme, mais c'est pas comme-ci je n'avais pas déjà l'habitude. . J'ouvris alors la porte, les faisant passer devant avant de refermer la porte. Sortant presque automatiquement un clope, s'allumait son extrémité. Tirant une ou deux taf pour m'assurer que le feu avait bien pris. Et puis, j'avançais dans la rue. Baissant la tête pour protéger la mort en tube qui me faisait kiffer.

Nous fîmes plus de 200 mètre avant que je m'arrête devant une maison. Me tournant vers mes cousins avant de retirer ma clope de ma bouche et de retirer ma capuche bien trempé. Quelle idée aussi de prendre une capuche en tissus. Je leurs indiqua alors la fameuse maison de la main.

— La maison d'un pote, ces parents sont super, si jamais la belle famille vous fait craquer vous pouvez crécher chez eux y'a pas de problème. De même en cas de problème. Père avocat, mère prof, ils sont sérieux.

Et puis je fit demi tours continuant mon chemin et finissant la clope que j'eus juste à passé sous la plus avant de la jeter dans une des nombreuses poubelles publiques de la banlieue. Le magasin se dessina alors peu-à-peu. Nous étions bientôt arrivé. Décidant de ralentir le pas, nous passâmes près d'une rue sombre et pas forcement très rassurante.

— N'allez jamais dans cette rue. Un coupe gorge et surtout la drogue est coupé avec du verre. Pas top.

Pourquoi je leurs parlais de drogues. Sorcha avait l'air si attaché à dieu que la moindre pensés de se genre était blasphématoire et Kieran … Bien voilà. Il avait la tête de l'emploie, mais je doute qu'avec la sainte vierge comme soeur il se risque à faire se genre d'excès. Me trouvant momentanément méchant, je décidais d'arrêter de réfléchir. Parcourant dans le silence mentale les derniers mètres qui nous séparèrent encore du magasin. Rien de géant. Mais assez grand pour y trouver ce que vous vouliez.

— On y est les amis !

J'aurais ri en d'autres circonstances à la remarque ironique de Kieran sur le temps qu'il faisait, mais en réalité, cette bruine persistance et glaçante me faisait froid dans le dos. La pluie ne me dérangeait pas en temps normal, mais ça, ça ne s'appelait pas de la pluie. C'étaient des lames invisibles et gelées qui vous cinglaient le visage si vous aviez le malheur de penser que ce n'était qu'un peu d'eau. Je remerciai Aaron d'un sourire lorsqu'il me tendit un parapluie avant de retenir une grimace désapprobatrice en le voyant vérifier qu'il avait tout le nécessaire et en constatant qu'un paquet de clopes était du nombre. Merde, ce n'était pas ça qui allait ralentir Kieran, bien au contraire. Je n'avais jamais compris quel plaisir on pouvait trouver à fumer ce truc qui vous arrachait la gorge à peine la fumée respirée.

Nous fîmes une petite trotte avant qu'il ne nous montre une maison où nous pourrions dormir si besoin était. Je lançai un regard éloquent à mon frère. Allons donc, c'était si terrible qu'on risquait de préférer squatter chez des inconnus ? Ça promettait. J'eus un petit sourire quand il nous sortit l'argument des parents. Quelque part, je trouvais Aaron très paradoxal. Il aimait visiblement faire la fête et s'amuser avec des substances pas franchement légales, quitte à marcher plus vite vers la tombe, mais à côté de ça, il étudiait dans une fac réputée et nous assurait que nous pouvions loger sans crainte chez des amis parce qu'ils étaient respectivement avocat et prof. Bon, après tout, il ne me déplaisait pas pour l'instant, même si j'espérais qu'il n'entraînerait pas Kieran avec lui dans ses folies. Je savais déjà quel côté de mon cousin je préférais, et ce n'était pas celui qui faisait la fête.

En revanche, je ne pus m'empêcher de prendre la parole lorsqu'il parla de drogue coupée avec du verre. Et après on me demandait pourquoi je n'aimais pas ça, non mais franchement. Fraîchement, je répondis :

- De toute façon, aucun de nous ne se droguera, n'est-ce pas, Kieran ?

Je savais qu'Aaron comprendrait parfaitement le sous-entendu mais peu m'importait, il ne lui faudrait pas longtemps pour comprendre la situation de toute façon, surtout entassés comme nous le serions. Enfin, nous arrivâmes au magasin, et nous parcourûmes les rayons à l'intérieur. Je m'efforçai de tout mémoriser en un seul passage, prenant mes marques, avant de me décider en passant au rayon pâtes. Puisqu'Aaron se vantait de manger italien et que ces deux mâles dominants devaient avoir faim, j'allais faire des lasagnes aux légumes. Je pris la tête du groupe, choisissant tout ce qu'il y avait à acheter d'autorité, tout en marmonnant devant le peu d'aliments bio, oubliant les deux garçons à la traîne derrière moi.

Allez en route sous la pluie, alors que nous venions juste de débarquer! Youpi! Je n'aurais pas été contre une bonne douche chaude et de m'effondrer sur un lit, mais cela ne semblait pas être à l'ordre du jour. Sorcha voulait aller faire les courses avec Aaron et je n'avais pas envie de rester seul dans cette grande maison vide et froide. Autant les suivre. Sans compter que connaître un peu le quartier ne pouvait pas vraiment nous faire de mal. Il donna un parapluie à Sorcha. Moi, je refermai mon blouson jusqu'au cou, enfouissant la tête dedans pour ne pas avoir de pluie dans le cou. Je détestais ça. Mes mèches noires ne tardèrent pas à être de nouveau complètement trempées. J'avais les mains dans les poches et Sorcha essayait de me protéger avec son pépin bien que je ne lui ai rien demandé. Je n'allumai pas de clope comme Aaron, pour ne pas que Sorcha fasse une crise d'apoplexie avec deux fumeurs à proximité. Pis avec la pluie, bof.

Il nous montra alors une maison en nous disant qu'on pourrait y dormir si sa famille nous faisait chier. Je restais pantois devant cette révélation. On était où là que des parents d'un ami puissent héberger deux jeunes débarqués d'Irlande et inconnus? Non mais sérieux, c'était flippant ce plan B. Ça ne laissait présager rien de bon pour la suite de la cohabitation. Je sentis le regard de Sorcha sur moi et le lui rendis. Mais où est-ce qu'on était tombé? Néanmoins, nous ne fîmes aucun commentaire ni l'un ni l'autre.

On continua le chemin, quelques centaines de mètres, sous cette merveilleuse pluie. Heureusement que j'étais quand même accoutumé au climat humide de l'Irlande. Je vis le magasin au loin, mais Aaron nous fit d'abord une remarque sur une ruelle qui ressemblait à un coupe gorge et où on dealait. Pourquoi il parlait de ça lui? Je me raidis inconsciemment alors que Sorcha y allait de son petit commentaire. Je la regardais, vexé, avant de reprendre :

- "Pas avec de la merde en tous les cas."

J'avais été plus sec que je ne l'avais voulu, mais la défiance de Sorcha me portait sur les nerfs. Après les médocs, là drogue, c'était bon quoi. Ce n'était pas un petit joint de temps à autres qui faisait de moi un drogué. Et la coke ou l'héro, je n'y avais jamais touché, pas de panique.

Nous arrivâmes au magasin et Aaron nous l'indiqua d'un ton joyeux. Au moins, à l'intérieur, il faisait sec. Je passai une main dans mes cheveux trempés, plus longs que quand ils étaient secs et coiffés. Je les rejetai en arrière et essayait vainement d'essuyer l'eau de mon visage. Je suivis Sorcha, comme Aaron. C'était elle la cuisinière. Moi, j'étais juste bon à porter les ingrédients qu'elle me fourrait dans les bras au fur et à mesure. Ah tiens, des lasagnes apparemment. Sans viande.

- "Tu fais chier à manger bio Sorcha, ça coute cher et je vois pas ce que ça t'apporte de plus..."

Pas la peine de grommeler comme ça. Je pris Aaron à parti :

- "Tu trouves pas ça marrant? Moi, je fume, je picole de temps en temps, je mange des saloperies industrielles, je fais pas le tri des déchets et Chacha a une hygiène de vie irréprochable et est une parfaite citoyenne... Des fois, je me demande si on a les mêmes gènes... C'est un peu comme toi et ma cousine : toi t'es sympa, simple, alors qu'elle, de ce que je me rappelle, c'est une greluche superficielle et langue de vipère en plus."

Sauf qu'eux ils avaient juste le même père quand Socha et moi avions les deux mêmes parents. Mais c'était bien pour ça que j'étais l'ombre quand elle était la lumière.

- "J'espère que tu aimes les lasagnes aux légumes."

Sorcha ne m'avait pas dit ce qu'elle mijotait, mais j'avais reconnu les ingrédients.

La façon dont Sorcha répondit m'indiquait clairement que Kieran était bien plus proche de moi. Cool. Mon cousin ne manqua pas de lui répondre que ce n'était pas avec de la merde. Ah c'est sur que ce n'était pas ici qu'il pourrait trouver de la bonne. Ou du moins, pas de quoi décoller réellement. Nous arrivâmes alors au magasin et Sorcha reprit automatiquement les rênes. Nous nous enfonçâmes alors dans la grande surface.

La fille de la famille semblait vraiment plus à l'aise que nous. Sachant où aller et quoi chercher. Elle s'arrêta alors au bio et Kieran fit savoir son avis à ce sujet. Inutile et cher selon lui. Je pensais la même chose, mais bon. J'éclatais de rire en essayant d'épongé l'eau qu'il y avait sur moi. Il n'y avait que Sorcha à peu près seche. Kieran et moi ressemblions à deux chiens que l'on avait oublié dehors par un temps d'orage. Autant dire que nous n'avions pas l'air très brillant.

— C'est pour avoir bonne conscience voyons !

Il me prit alors à parti. M'indiquant qu'il avait une vie de débauchard alors que sa soeur était l'exacte opposé. S'interrogeant sur leurs lien de parenté avant de faire le même rapprochement avec moi. Ma demi soeur était une pute doublé d'une connasse juste bonne à baiser. Et moi ? Bein j'étais le mec sympas à l'article de la mort. Mais je restais celui que j'étais. Moi, je ne cherchais pas plus à me cacher. En fait si, je cachais ma maladie, je cachais cela pour ne pas qu'on me prenne pour le gamin mourant à dorloter. Mais j'avais une personnalité. J'étais quelqu'un.

— Vous vous complétez dirons nous… Mais avoue qu'être deux copies conforme serait lourds !

Il me demanda alors si j'aimais les lasagnes aux légumes. Ce à quoi je souris. Je n'étais pas vraiment en état de lui dire non. Après tous elle me faisait à manger, c'était déjà beaucoup. Nous continuâmes donc les courses. Sorcha trouvant ce qu'elle semblait chercher et Kieran et moi restant en arrière. Histoire de la laisser faire mais surtout de parler de truc plus … Priver dirons-nous.

Ça m'amusait d'entendre Kieran râler sur mes habitudes. C'était un jeu entre nous ; il se fichait que je mange bio mais me reprochait constamment d'aller balancer de l'argent et du temps là-dedans, comme je me moquais qu'il mange de la viande mais m'obstinais à tenter de le convaincre de passer au régime végétarien. Nous savions pertinemment que l'autre ne changerait jamais ses habitudes, mais c'était un rituel entre nous, qui me faisait du bien aujourd'hui, me rappelait que mon frère était toujours le même, que nous serions toujours ensemble.

- Ma conscience va très bien, je te remercie, Aaron, répliquai-je le sourire aux lèvres.

L'atmosphère se détendait enfin, et ça faisait du bien. Aaron était très sympa - juste comme le craignait Kieran, je savais qu'il aurait espéré qu'il soit aussi insupportable que sa demi-sœur pour ne pas s'attacher à lui - et même s'il semblait avoir pas mal d'habitudes pas très catholiques, je me fichais de cela. Les autres faisaient ce qu'ils voulaient, et je le comprenais, enfin, du moins, je comprenais pourquoi il agissait ainsi, sans prétendre pouvoir réellement savoir ce qu'il ressentait.

- Ouais, mon frère est un rebut de l'humanité. Moi je suis un ange, je vais même à l'église tous les dimanches.

Sur ce point, je ne plaisantais même pas. Mais Kieran était croyant aussi, pas aussi assidu que moi dans la pratique, mais certainement plus que la plupart des anglais. La religion était encore quelque chose de solidement implantée dans les cœurs irlandais, nous avions trop souffert pour elle pour l'abandonner si rapidement. On n'était pas obligé d'être catholique et collet monté, mon frère en était la preuve vivante. Et moi aussi d'ailleurs. Je ne me droguais pas, je ne buvais pas, mais je sortais, faisais la fête avec mes amies, et plaisantais sur les beaux garçons qui nous entouraient, rêvant de sortir avec le plus sexy du lycée. J'étais plus modérée, mais enfin, je restais une adolescente comme les autres.

Avant l'accident tout du moins.

Les deux garçons continuèrent à discuter entre eux pendant que je terminais mes achats, et nous retournâmes chez Aaron les bras chargés, abritant tant bien que mal les courses de la petite pluie fine qui continuait à tomber. Arrivés dans la cuisine, je m'activai comme une fourmi pendant que les garçons se séchaient - leur ressemblance physique était vraiment frappante, malgré l'air plus maladif d'Aaron - demandant parfois à mon cousin de m'indiquer où était tel ou tel ustensile. La discussion continua sur un ton enjoué alors que nous étions tous les trois attablés autour des pâtes fumantes, mes aînés ayant une assiette deux fois plus remplie que la mienne, et je fus contente de voir qu'Aaron appréciait autant ma cuisine que Kieran. Nous avions réussi à instaurer une complicité entre nous, ce qui était plutôt positifs vu comment nous allions désormais vivre.

Je me serais presque sentie heureuse si je n'avais pas pensé à l'indifférence morbide de mon oncle, ma tante et ma cousine... et le décès prochain, inévitable, de ce cousin que j'avais apprécié si rapidement.

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