You hold me right here right now [PV Kieran]

Kieran me manquait. J'étais encore coincée au lycée alors qu'il était parti s'envoler ailleurs, suivre ses cours à la fac, deux cursus à la fois, rien que ça, ce qui faisait qu'il n'avait pratiquement plus de temps pour lui et le peu qu'il réussissait à récupérer, il le gardait pour Sasha, ce que je pouvais comprendre. Ça n'empêchait qu'il me manquait. Il était le parrain de ma fille et il n'était même pas au courant des dernières nouvelles de ma grossesse ! Il n'avait même pas eu la confirmation de mon intuition, d'ailleurs, à savoir que ce serait bien une fille, et au passage, sa nièce, puisque le test ADN avait confirmé mon lien de parenté avec Sasha. Je ne lui en avais pas parlé, je n'avais pas osé en fait ; mais de toute façon, il devait déjà être au courant par sa petite amie. Par ma demi-sœur. Kieran, de meilleur ami, avait gagné le statut de beau-frère. J'aimais bien l'idée de nous voir tous liés ainsi ! Ça faisait presque irréel, conte de fées, et tous savaient à quel point j'aimais me perdre dans mon imagination. Si je pouvais avoir une happy end dans la vraie vie... je n'allais pas m'en priver.

Maintenant, j'étais enceinte de six mois, et j'étais bien décidée à le voir en vrai pour lui montrer les échographies et donner des nouvelles. J'en avais marre des conversations expédiées au téléphone ! Du coup, même si ça avait été une vraie torture, je lui avais annoncé que je savais le sexe. Mais que je ne comptais lui dire par téléphone.

Croyez bien que me retenir de lui hurler « J'AVAIS RAISOOOOOOOOOOON, C'EST UNE FIIIIIIIIIIIIIIIIIILLE ! » avait été très difficile mais pour une fois, j'avais réussi à m'empêcher de lui briser les tympans, et nous nous étions contentés d'établir - enfin ! - un rendez-vous. Chez moi. Enfin, chez ma mère, pas chez Liam. C'est-à-dire que maintenant, j'habitais plutôt chez Liam, même si parfois je retournais chez ma mère, je ne me considérais plus vraiment comme habitant dans Camden. Enfin, officiellement, j'y étais toujours... et je n'étais pas vraiment prête à emmener Kieran chez Liam comme si c'était vraiment chez moi. Ça m'aurait fait vraiment bizarre de les voir se croiser, non plus comme prof et élève, mais comme... comme...

Comme beaux-frères, en fait. Oh le choc.

En tout cas, on avait enfin réussi à se trouver un créneau commun et je l'attendais, excitée comme une puce. J'avais tellement hâte, non seulement de lui annoncer la nouvelle et de lui parler du bébé, mais aussi de le revoir, tout simplement ! Il m'avait terriblement manqué.

A peine passa-t-il la porte que je lui fonçai dessus, le serrant dans mes bras aussi fort que me le permettait mon ventre. Une chose était sûre, fille ou pas, ce ne serait pas une crevette.

- Kieran, tu m'as trop manqué !

J'étais plutôt épuisé ces temps-ci. Je me demandais si je n'avais pas eu des ambitions trop démesurées, ou si je n'avais pas sur estimé mes capacités. Suivre deux filières à la fois, c'était du grand délire. J'avais des journées interminables et quand enfin je rentrais chez moi le soir, je devais encore me coltiner les cours à réviser. Il était loin le temps de l'insouciance et des sorties entre potes à seulement s'enivrer et refaire le monde. Le monde réel était sans pitié et si je voulais réussir à devenir quelqu'un, à faire ce que je souhaitais, je devais mettre toutes les chances de mon côté. Et j'avais voulu économiser quelques années en faisant du droit et de la psycho en même temps. Déjà que je m'étais embarqué dans quelque chose de long, mais si, en plus, je devais doubler le temps... Il y avait de quoi être découragé. J'avais besoin d'un salaire et pas dans 15 ans. Certes, l'assurance vie de mes parents, les bourses et toutes les aides étaient bienvenues, mais ce n'était quand même pas la même chose qu'un salaire fixe. Et je me devais de veiller sur les études et le bien être de Sorcha.

Sorcha que je ne voyais plus beaucoup, au même titre que Blake ou Alice. Nous nous appelions, bien sûr, mais cela restait trop limité. Mon temps libre, je le passais surtout avec Sasha, bien que j'essayais de ne pas négliger ma sœur. Quant à Aaron, il menait sa vie de son côté. Il était guéri, en bonne santé et nous nous appelions rapidement au téléphone pour prendre des nouvelles et raconter deux trois conneries. Mais depuis qu'il était revenu de Bristol, guéri, je sentais une certaine distance entre nous... Comme s'il s'éloignait, doucement, mais implacablement. Il avait été là quand Sasha avait été blessée, comme avant, mais depuis...

Les choses changeaient.

Aussi m'étais-je démené pour arranger un rendez-vous avec Blake qui savait le sexe de son bébé et voulait me l'annoncer en direct live. Sacrée Blake... J'étais sûr que si j'avais insisté au téléphone, elle aurait fini par me le dire, tant je sentais son excitation et la difficulté de se retenir, mais je préférais jouer le jeu. C'est comme ça que je me retrouvais devant la porte de l'appartement de sa mère. Ça faisait un bail que je ne l'avais pas revue en fait. Je savais que j'avais eu raison en pensant qu'elle et Sasha avaient le même père. Elles avaient fini par en discuter au chevet de Sasha et par faire les tests prouvant leur lien de parenté. Sasha m'avait parlé de tout cela, calmement, même si cela lui faisait une drôle d'impression de pouvoir mettre une identité sur l'anonyme qu'avait été son père. Et même si elle ne saurait sans doute jamais qui avait été sa mère, qui l'avait abandonnée, peut-être trop jeune, ou pas assez prête pour élever une fille, seule.

Je sonnai et j'entendis la voix surexcitée de Blake me dire d'entrer. Je poussai la porte et eus à peine le temps de la refermer qu'elle se pendait à mon cou, folle de joie. Je souris devant son exubérance. Qui m'avait fait défaut ces dernières semaines, je m'en apercevais.

- Tu m'as manqué aussi.

Et ce n'était pas une politesse gratuite, mais bel et bien la vérité. Je l'embrassai avec tendresse. Avant de me reculer, baissant le regard sur son ventre arrondi, bien plus que la dernière fois que je l'avais vue. Là, il n'y avait plus aucun doute sur l'état de cette adolescente. Mais apparemment, elle le vivait bien.

- Tu es radieuse Blake.

Et finalement, mon sourire s'élargit, avant que je ne demande :

- Bon alors, vas-y, crache le morceau ! Garçon ou fille ?

Ce que ça pouvait faire du bien de voir Kieran ! Il m'avait affreusement manqué ces dernières semaines, pas seulement sa présence, sa simple amitié, mais aussi ses conseils et la façon brutale mais nécessaire qu'il avait de me plonger un peu dans la réalité. Alice était là, bien sûr, mais Alice n'avait jamais été spécialement de bon conseil, de lui en déplaise. J'avais besoin de quelqu'un qui soit tout simplement là et me soutienne quoi que je dise ou fasse, mais dernièrement, surtout avec toutes les interrogations que j'avais eu, j'aurais surtout eu besoin de quelqu'un de mature et réfléchi, qui aurait pu m'aider à me guider. Au téléphone ce n'était pas pareil, et de toute façon, même pour ça, Kieran n'avait que rarement le temps pour que l'on puisse avoir autre chose qu'une rapide discussion superficielle.

Enfin, peu importait à présent ; tous mes soucis étaient réglés, les doutes étaient passés, et la seule chose sur laquelle je devais désormais me concentrer était ma grossesse. (Et mon bac. Mais j'aurais encore plusieurs mois après l'accouchement pour m'en préoccuper.) Accessoirement, je fêtais ma majorité dans quinze jours, ce qui m'enlevait aussi un gros poids des épaules : mon mariage ne serait plus un bout de papier signé à la va-vite en secret en Écosse, et si je n'en avais pas encore parlé à Liam, il ne couperait pas à un second vrai mariage, avec mes amis et ma famille. Bien sûr, puisqu'il était responsable de moi en tant que mon professeur, nous n'avions toujours pas le droit d'être ensemble, mais peu m'importait, c'était tout de même un pas, aussi minime soit-il.

- Tout le monde me le dit, lui répondis-je avec un large sourire. Et ça fait du bien, tu vois, parce que quand les gens voient comme tu es heureuse, ça les empêche de critiquer ton choix. C'est reposant en fait. J'ai eu une discussion avec Mlle Phillips, au bout de deux phrases elle a laissé tombé, m'a félicitée et m'a raccompagnée en cours en me disant juste de ne pas oublier les études.

Ma vie se mettait en place peu à peu. J'avais un mari, chez qui j'habitais - presque - une meilleure amie toujours à mes côtés, une mère qui apprenait enfin à être heureuse - quand bien même ce fût avec mon prof d'histoire - un ami qui me servait presque de grand frère, et qui de fait était en couple avec ma sœur, ma vraie sœur. Sans compter une adorable petite fille qui n'allait pas tarder à venir me pourrir adorablement mes nuits. Ce que j'avais hâte ! Enfin, j'étais à la fois pressée et patiente, dans le sens où j'avais hâte qu'elle soit là, mais je ne voulais pas non plus laisser filer ma grossesse. Il fallait aussi que je savoure ces moments-là... J'avais commencé à la sentir bouger et voir les yeux de Liam s'emplir de larmes alors qu'il avait la main posée sur mon ventre et avait senti notre fille, sa fille, bouger sous ses doigts, avait sans doute été l'un des moments les plus heureux de ma petite vie. Évidemment, le voir paniquer lorsque j'avais fondu en larmes, terrassée par les émotions, avait quelque peu bouleversé le moment, mais tout de même.

Un autres de mes moments heureux serait d'entendre Kieran me poser la question tant attendue - qu'il était gentil de ne pas me faire tourner en bourrique - et de pouvoir lui hurler à la figure sans me faire prier davantage :

- C'EST UNE FILLE !

Je me détachai de lui, sautant sur place et frappant dans mes mains comme une gamine qui s'apprête à ouvrir son cadeau de Noël. Je l'avais su, je l'avais pressenti ! De toute façon, les Earl n'avaient jamais que des filles. Et immédiatement, un flot de paroles se déversa :

- Bon, évidemment, Liam a accepté pour que toi et Alice soyez les parrain et marraine, mais il a refusé le prénom, et quelque part ça m'a rassurée, tu vois, parce qu'au moins il me rappelait lui aussi que je n'étais pas toute seule et qu'il serait là pour s'en occuper. On n'a pas encore choisi mais il veut un prénom gaëlique ! Comme ça, il sera assorti au tien, c'est super, non ? Il va falloir quand même qu'on en parle maintenant qu'on connaît le sexe, il est hors de question qu'on se décide trop tard, ça va horriblement me stresser ! Et puis il faudra qu'on parle aussi du baptême et tout ça... Moi je n'y connais rien et je ne sais pas du tout ce qu'en pense Liam, mais je sais que ça te tiendrait à cœur. Tu sais que maintenant, j'arrive à lui faire vraiment confiance... J'arrive vraiment à penser à deux quand j'imagine le futur de notre enfant. Ça soulage tellement, si tu savais ! Je ne te remercierai jamais assez pour ton aide et tes conseils, Kieran. Bon, évidemment, être mariés aide beaucoup. Même si je lui en veux encore de l'avoir fait sans vous... Mais on refera une vraie cérémonie, une vraie fête, je te le promets !

Blake était superbe et très en forme, sans mauvais jeux de mots. Son ventre s'était beaucoup arrondi depuis la dernière fois où je l'avais vu et je me rendis compte que cela faisait plusieurs mois... Une éternité. Je ne voyais pas le temps filer, je n'avais pas assez d'heures dans la journée pour tout faire, c'était terrifiant. Ça allait trop vite, les jours devenaient des semaines et les semaines des mois... Je risquais de m'éloigner de mes amies si je n'y prenais pas garde, si je ne faisais pas attention à entretenir l'amitié et à trouver du temps pour elles. Je ne voulais pas manquer la grossesse de Blake, même si elle était bien entamée.

Elle me répondit que tout le monde lui disait qu'elle était radieuse et qu'au moins, cela lui facilitait un peu la vie car on la sentait heureuse. Même la CPE avait laissé tombé, se contentant de la conseiller un peu et de la laisser sur son petit nuage. Je ne doutais pas qu'elle devait se prendre des piques. Une adolescente, enceinte, qui allait en cours, ça faisait mauvais genre. On devait la traiter de salope ou je ne sais quoi d'autre de tout aussi charmant. Heureusement que je n'étais plus en cours avec elle d'une certaine façon, parce que mes instincts belliqueux se seraient sans doute réveillés et j'aurais été ennuyé de me retrouver collé pour avoir frapper un connard qui parlait sans savoir. J'étais quelqu'un d'assez calme et réfléchi en règle générale, mais je savais aussi être impulsif, surtout quand on s'en prenait à ceux qui me tenaient à cœur.

Mais là, je ne tenais plus, voulant savoir le sexe. Elle ménageait le suspens et c'était intenable. Je n'étais pourtant pas aussi expansif qu'elle, ni impatient, mais j'étais quand même là suite à son appel pour m'annoncer le sexe du bébé. Et là, elle me creva les tympans en me hurlant que c'était une fille. Elle me lâcha et se mit à trépigner comme une enfant. Elle avait beau être folle de joie, Blake restait enfantine et je me demandais quand même comment elle allait faire pour s'occuper d'un enfant en en étant une elle-même. J'étais plus âgé d'un an mais parfois, j'avais l'impression d'être beaucoup, beaucoup plus vieux.

Elle lâcha alors les veines et m'étourdit d'un flot de paroles plus rapides les unes que les autres. J'en avais le tournis alors que les informations arrivaient en masse. Liam était d'accord pour qu'Alice et moi soyons marraine et parrain, mais avait refusé le prénom trouvé par Alice. Rappelant ainsi à Blake qu'il avait son mot à dire. C'était marrant, parce que c'était exactement ce que je lui avais dit. Il voulait un prénom gaélique et elle fit remarquer qu'il serait assorti au mien comme ça. Elle enchaina sur le baptême. Ah ben, ayant été écarté d'office du mariage, oui, j'aimerais bien assisté au baptême quand même. Même si je n'en avais pas tenu rigueur à Blake, ça m'avait ennuyé qu'elle aille faire ça toute seule en Écosse. Pourquoi pas en Irlande d'ailleurs ? Elle m'avoua faire confiance à Liam maintenant, me remerciant de mes conseils, avant d'ajouter qu'être mariée l'aidait à lui faire confiance. Ben tiens.

- J'espère bien que vous allez vous marier de façon moins furtive quand même ! J'ai envie de te voir dans une jolie robe et de trinquer à votre bonheur ! Pour le baptême, ne te stresse pas. Vous faites ça religieusement ou civilement ?

Même si je trouvais nul qu'on écarte la religion du baptême, parce que, civilement, ça n'avait pas vraiment de valeur. Liam était-il aussi catholique que Sorcha ou moi ? Bonne question. Et Blake ?

- N'empêche, une fille... Tu avais raison.

- Évidemment ! Tu sais que je l'ai vraiment engueulé quand j'ai su qu'il m'avait fait ce coup-là ? C'était adorable, romantique et tout ce que tu voudras - kidnapper sa fiancée, on dirait un conte de fées, non ? Sauf que je crois qu'il l'a fait parce qu'il avait peur que je me rétracte. Il n'avait pas tort, j'aurais pu le faire, je suis tellement indécise et peureuse dans ce domaine... Mais mon mariage, je veux le faire avec ma famille, et avec mes meilleurs amis. Je te promets que tu le verras, Kieran.

J'avais une tendance à être manichéenne, et à voir Alice comme l'amie toujours là quoi qu'il advienne et Kieran comme le garçon trop sérieux toujours moralisateur. Mais non, avant d'être mon conseiller en choses de la vie, c'était un ami, mon meilleur ami, et il était aussi capable de simplement se réjouir pour moi, ce que j'appréciais grandement. Rien ne me faisait plus plaisir que de raconter les bonheurs de ma vie et de voir mon interlocuteur en être aussi heureux que moi.

- Pour le baptême, je ne sais pas, on n'en a pas reparlé. Je ne sais même pas si Liam est croyant. Et moi, tu sais, je n'y connais rien du tout... Mais je n'ai pas envie de faire ça civilement. Ce n'est pas vraiment la signification d'un baptême, non ? S'il est d'accord, tu pourras nous aider à organiser.

« S'il est d'accord ». Si je ne me trompais pas, c'était la première fois que je disais, et aussi naturellement encore, ce petit morceau de phrase. Comme quoi, contrairement à ce que je pensais, rien n'était irrémédiable, et la vie me l'avait suffisamment prouvé ces sept derniers mois de toute façon.

Je souris lorsqu'il me dit que j'avais raison. Je l'avais toujours pressenti, depuis le début, pour des raisons plus ou moins mauvaises. Instinct de mère ? Je ne sais pas, je connaissais des gens qui, par ailleurs excellents parents, avaient été convaincu d'un mauvais choix durant la grossesse, alors ça ne voulait probablement rien dire. Coup de chance ? Les sceptiques auraient très certainement opté pour cette solution, mais moi, avec mes convictions et mes croyances un peu naïves, je me refusais à choisir une résolution aussi triviale. Habitude ? Ma mère n'avait que des tantes du côté de sa mère, et ainsi de suite. Peut-être que la branche Earl de la famille ne concevait effectivement que des filles, ce qui était plutôt drôle et mignon, à mon goût. Et le fait d'avoir toujours évolué dans un monde féminin m'avait peut-être empêché de penser ne serait-ce qu'une seconde que l'un des éléments qui deviendrait prochainement le point central de ma vie serait un garçon.

- Bien sûr que c'est une fille ! Une Blake ne se trompe jamais, tu le sais bien. Sauf sur... OK, pas mal de choses, je l'avoue. Et puis, j'ai réalisé que je me moquais du sexe, finalement. L'important, c'est que ça plaise à Liam aussi, après tout. J'étais persuadée que c'était une petite fille... Si ç'avait été un garçon, ma dignité aurait été quelque peu froissée, c'est tout, mais je m'en serais remise. C'est mon bébé, et je l'aime, quel que soit son genre.

Je fis la moue quand elle rétorqua que c'était terriblement romantique de se faire enlever, mais qu'elle avait passé un savon à Liam parce qu'il lui avait volé la possibilité de permettre à ses amis d'être là pour assister à son bonheur. Cela dit, il devait se douter que Blake pouvait tout à fait faire machine arrière s'il faisait les choses conventionnellement. Au moins, loin de chez elle, et juste tous les deux, prises par surprise, elle n'avait pas eu le temps de réfléchir et de laisser ses peurs la faire reculer.

- Il te connait bien.

Pour avoir anticipé sa peur. Cela dit, elle promit que nous assisterions à son mariage, ici, en Angleterre et avec sa famille et ses amis. Sa mère serait-elle présente ? Il me semblait que les rapports entre mère et fille s'était assouplis. Blake avait accepté la relation de sa mère avec le prof d'histoire et Emilia tolérait Liam dans la vie de sa fille. Elle n'avait pas vraiment le choix. Blake était mariée, enceinte, il semblerait que cela soit du sérieux et pas seulement le désir d'un prof pervers comme elle l'avait initialement pensé.

- Tu as intérêt à tenir cette promesse ou je saurais te la rappeler.

J'abordais le sujet du baptême, un sujet auquel Blake n'avait pas vraiment réfléchi en profondeur. Ils en avaient parlé rapidement, mais sans plus. Elle ne savait rien des convictions de Liam et elle-même n'était pas croyante, mais il lui paraissait impensable de faire ça civilement. Non, cela ne voulait rien dire, j'étais bien d'accord avec elle.

- Je trouve cela dénué de sens si on n'y mêle pas la religion, c'est vrai. Je veux bien vous aider.

Je notai le s'il était d'accord, incorporant Liam dans l'équation et les décisions. Je ne voyais pas pourquoi il serait contre. En plus, étant irlandais, il y avait de forte chances qu'il ai été élevé dans la foi. L'avait-il conservée, ça, je n'en savais rien. Je lui avouai alors qu'elle avait eu raison pour le sexe, même si c'était plus une conviction née de ses désirs les plus profonds qu'une réelle certitude scientifique, mais passons. Cela lui faisait plaisir et je ris quand elle me fit comprendre qu'elle avait toujours raison. Alors là, rien de plus faux.

- Je suis ravi de t'entendre parler ainsi. On dirait que tu grandis.

Je me moquai gentiment d'elle. Elle savait qu'elle avait souvent un comportement gamin et irresponsable, mais cela allait surement s'atténuer avec la maternité n'est-ce pas ?

- J'espère qu'elle tiendra davantage de Liam que de toi niveau caractère, parce qu'il ne va jamais survivre à une mini toi.

- Il m'a observée pendant deux ans sans que j'en sache rien, souris-je.

Il avait eu le temps d'apprendre à me connaître. Mes réflexes, mes peurs, mes joies, tout cela, il les connaissait sans doute depuis bien avant que je ne lui eusse accordé le bénéfice du doute. C'était quelque chose qui m'avait frappée lorsque nous nous étions mis ensemble : qu'il sache tout de moi et moi rien de lui. Bien sûr, il y avait les faits purs, l'entourage de l'autre, son histoire, son suivi, qu'il savait forcément mieux que moi du fait de notre relation prof/élève, mais au-delà de cela, il y avait aussi le caractère et les passions. J'étais ouverte, franche, passionnée, et il avait eu tout loisir de m'observer, pendant que je ne voyais en lui que le prof froid et haïssable. Pourtant, il me semblait aussi que je commençais à le connaître... autant que faire se pouvait étant donné ma maladresse et ma hâte à juger les gens m'entourant.

- Ne t'inquiète pas. Hors de question que je coupe à mon mariage de princesse !

Eh oh ! La fuite c'était bien romantique, mais je voulais étaler mon bonheur, moi ! Ça pouvait sembler prétentieux, blessant peut-être aux yeux de ceux qui ne vivaient pas le même, mais ce n'était pas le cas ; c'était juste que c'était tellement... éclatant, rayonnant, que je ne pouvais pas le garder pour moi toute seule. J'avais besoin de le dire ! C'était ainsi et nul ne m'en empêcherait. Sauf peut-être le désir de ne pas voir le père de ma fille renvoyé et en prison. Pour ça, je patienterais jusqu'à cet été. Situation exceptionnelle.

Les paroles de Kieran alors que je lui avouais que quand bien même ma fille aurait été un garçon, j'aurais relativisé, me touchèrent plus que je ne l'aurais cru. Je grandissais ? Je ne m'en rendais pas compte. Sans doute, s'il me l'affirmait, lui qui avait toujours été plus mûr que moi, mon guide dans les méandres de ma petite vie compliquée - et pourtant tellement banale avant Liam ! Elle l'était toujours, banale, quelque part, c'étaient mes choix qui l'avaient rendue un peu particulière. Mais j'étais heureuse qu'il me dise une telle chose. Ça me confortait dans le choix que j'avais fait. Ça ne pouvait qu'être un bon choix, s'il me faisait grandir, n'est-ce pas ?

- J'espère que tu as raison. Je veux être une bonne mère. Pour ma fille, il va bien falloir que je cesse d'être une enfant.

Je lui souris, les yeux brillants de joie.

- Mais je sais que toi et Liam serez là pour m'épauler. Tu es génial, Kieran.

Je ris avant de lui donner un coup de poing amical à l'épaule, détendant l'atmosphère un peu solennelle qui s'était instaurée juste avant.

- Eh oh ! S'il est tombé amoureux de moi comme je suis, pourquoi est-ce qu'il n'aimerait pas une mini-moi ? Tu devrais plutôt penser à mes études. Il ne faut pas que mon précieux sommeil soit trop troublé !

Je ne savais pas si je devais sourire de concert avec elle ou me sentir mal à l'aise d'apprendre que ma meilleure amie avait été observée pendant deux ans par son professeur, plus âgé qu'elle de plus de 10 ans... Dit comme cela, ça avait un petit côté... malsain non ? Ça faisait un brin pervers quand même... Le type qui fantasme sur une gamine de sa classe... Il y avait plein de femmes plus âgées très attirantes et sans doute plus adaptées à un gars comme Liam, mais non, il avait jeté son dévolu sur Blake, et l'avait observée pendant deux ans, notant tous les détails de sa vie, les enregistrant... Je trouvais cela fortement flippant, franchement. Enfin, maintenant, ils étaient ensemble, ils allaient avoir un enfant, ils étaient mariés, n'importe comment, mais je n'y reviendrais pas, alors je tus cette pensées. Blake n'allait pas apprécier en plus. Je savais me taire parfois, si si.

A propos de mariage, j'espérais quand même que Blake allait faire ça dans les règles de l'art et elle m'assura que oui, qu'elle aurait son mariage de princesse, celui dont rêvent toutes les petites filles d'ailleurs. Il y avait intérêt, je voulais voir ça, je voulais y assister, être présent lors de ce jour si important dans la vie d'un couple... Comme je serais présent au baptême de leur fille, puisque c'était bien de cela dont il s'agissait. Je les aiderais même s'il le fallait.

En attendant, j'étais ravi de la voir parler ainsi, notant qu'elle mûrissait. je souris à sa réponse, hochant la tête doucement, avec complicité :

- Je crois que tu n'as pas trop le choix en fait.

De grandir pour pouvoir être une bonne mère et élever sa fille. Les mères trop jeunes étaient souvent dépassées. Et puis même, Liam allait vouloir une épouse pour le bébé, pas une autre fille à gérer. Blake me dit savoir que je serais là pour l'aider, comme Liam, et que j'étais génial. Je pris un air arrogant, avant de répliquer, imbus de moi-même :

- Ouais, je sais, des mecs comme moi, on n'en fait plus.

Elle me bouscula un peu, amicalement, avant de reprendre tandis que j'espérais que leur fille serait plus calme que sa mère, ou sinon, Liam n'avait plus qu'à prendre une cure d'anti-dépresseurs.

- On n'a jamais dit que tomber amoureux rendait lucide, Blake ! Il peut t'adorer comme ça, mais ne pas pouvoir assumer une autre toi qui le rendrait chèvre sans le vouloir. Moi, j'espère que votre fille aura un peu de sa pondération, voilà.

Je ris quand elle parla de son sommeil, avant de rétorquer :

- Désolé, mais ça, fallait y penser avant ma grande ! Tu vas être belle avec une mine de déterrée. Allez va, cela ne durera que quelques mois et tu vois, comme quoi j'ai raison, vaut mieux que ta fille tienne de Liam que de toi, parce que si elle est aussi active que toi, vous êtes partis pour des nuits de folie !

Pas le choix, hein ? Non, hélas, tout comme ma mère ne l'avait pas eu, mais était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Quelque part, le choix, je l'avais eu quand j'avais su que j'étais enceinte. J'avais choisi entre rester adolescente ou devenir adulte. Et contre toute attente, j'avais décidé de devenir adulte, moi, la fille immature par excellence. Je ne voulais pas forcément le devenir, je n'y étais pas forcément prête, pas dans ma vie de tous les jours : je voulais continuer à sortir avec mes amis, faire des études, et tout ce qu'une jeune fille de dix-sept ans fait... Mais je voulais l'être avec mon bébé. Je voulais pouvoir m'en occuper comme une vraie mère s'en occupait. Et je faisais confiance à Liam pour m'aider à trouver le juste milieu. Bien sûr, je grandirais forcément plus vite que les autres, j'y serais obligée, mais je trouverais un équilibre.

Sa plaisanterie me fit rire alors que je le bousculais, et je soupirai alors qu'il parlait de la pondération de Liam. Au fond, je savais bien qu'une mini-moi, ça allait vraiment être dur à supporter. Je savais ce que ma mère avait vécu et je songeai à ma discussion avec Nathanaël, il y avait de cela quelques semaines maintenant. Non, même avec l'aide de Liam, je risquais fort de craquer à un moment ou à un autre si ma fille était comme moi. Ma mère était hyperactive à un moindre degré. Si ma fille l'était encore plus que moi, nous ne nous en sortirions jamais.

- Bah, en fait, moi aussi. Je crois que je ne me supporterais pas. Je sais pas comment vous faites, ajoutai-je avec l'expression la plus innocente et adorable possible.

Ça, c'est clair que je devrais m'attendre à être sacrément épuisée pendant quelque temps, et c'était pour ça que j'espérais reprendre mon rythme de sommeil précédant ma grossesse. Si mon hyperactivité pouvait me rendre service pour une fois ! D'autant que trop dormir commençait sérieusement à me fatiguer, en réalité. Je m'étais enfoncée dans un foutu cercle vicieux où plus je dormais, plus j'avais besoin de dormir. J'en avais ras-le-bol et je commençais à me souvenir avec nostalgie des matins où je me réveillais comme si je venais à peine de m'allonger à cinq heures du matin, pour une demi-heure après être en train de faire mon jogging.

- Mais son parrain sera là pour nous aider, n'est-ce pas ? demandai-je avec un sourire éclatant.

Dis pas non, Kieran, tu vas adorer la baby-sitter ! Ah, le pauvre, je ne savais même pas s'il aurait vraiment le temps de voir sa filleule avec les études de fou qu'il poursuivait. Je n'avais qu'une hâte, et pour bien des raisons dont il ne représentait qu'une partie, c'était arriver aux vacances d'été. Pour terminer le lycée, pour pouvoir réellement me marier, pour revoir mes amis, pour pouvoir profiter pleinement de ma fille... Les vacances d'été avaient jusque-là toujours été un supplice pour moi, et depuis l'année dernière, voilà qu'elles semblaient être devenues la partie de l'année que j'attendais avec le plus d'impatience. Voilà que tous mes choix tordus me faisaient devenir normale... Intéressant paradoxe.

- Tu devrais songer à nous acheter des médailles.

Je plaisantais naturellement, même si dans le fond, Blake était un peu épuisante et avait le chic pour fourrer les autres dans des situations ambiguës pas possibles. Comme de balancer une petite phrase qui aurait été anodine, si elle ne tombait pas dans des situations équivoques qui faisaient penser à un prof qu'une élève essayait de forcer sa camarade dans une salle de classe. J'avais pardonné ce lapsus, ce quiproquo qui m'avait quand même valu un magnifique œil au beurre noir et une magnifique descente aux enfers dont Blake n'avait même pas idée, mais je n'oubliais pas pour autant. Seule Sasha savait à quel point j'avais été sur le point de basculer vers le point de non retour à cette période là. Blake était trop préoccupée par Liam, Sorcha et moi étions brouillés à cause de sa jalousie possessive à mon égard... Bref, des souvenirs que je préférais occulter. J'étais mieux maintenant.

Je ne voulais pas paraître pessimiste, mais Blake allait endosser le rôle le plus difficile de sa carrière. Celui de maman... Il n'y avait pas d'entractes, pas de jours de relâches. C'était tout le temps, à chaque heure du jour et de la nuit. Alors mieux valait que le bébé soit calme. Plus calme que Blake en tous les cas, parce que déjà là, elle pouvait dire adieu à ses longues nuits réparatrices et aux grasses matinées. Quoique, je n'étais même pas sûr que cela soit dans ses habitudes. Mais même ses nuits courtes pouvaient être reposantes si elles étaient faites d'une traite. Et avec bébé, c'était mort. Je plaisantais à ce sujet, avant qu'elle ne réplique que son parrain serait là pour les aider de toutes façons. Je souris. Oseraient-ils tous les deux me laisser leur bébé pour quelques heures, voire une nuit ? Alors là, ce serait une marque de confiance absolue qui me toucherait sincèrement.

- Si je peux oui, mais j'ai intérêt à potasser "S'occuper d'un bébé pour les nuls".

Parce que les enfants, ce n'était pas vraiment mon rayon. Je me demandais ce qu'en penserait Sasha et comment elle se débrouillerait avec un nourrisson tiens. Je nous imaginais déjà en train de garder la fille de Blake et Liam, essayant tout et n'importe quoi pour l'occuper, la bercer, l'éveiller... Et il me tardait presque d'y être, malgré le boulot monstre que je pouvais avoir.

- En fait, tu es diabolique Blake, tu me donnes une envie monstre de voir ce petit bout pointer le bout de son nez et jouer les parrains gâteaux...

Mon portable vibra soudainement dans ma poche et je plongeai la main pour le récupérer, y jetant un regard avant de soupirer :

- Je dois y aller, je suis désolé. Mais promis, je n'attendrai pas 6 mois avant de t'accorder du temps.

Je souris, contrit, avant de lui embrasser le front, posant un regard sur son ventre rond et la quittant pour retourner à mon quotidien de folie.

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