Comme un air de déjà vu [Yue Hue]

Je n'avais pas mis longtemps à l'appeler. Comment résister à cette envie terrifiante de la revoir, de pouvoir la découvrir dans un cadre plus intime que son lieu de travail, l'interrompant dans ses tâches, l'arrachant à son travail, alors que le temps était compté? J'avais mis plusieurs heures à me décider sur la teneur du rendez-vous. J'avais entré son numéro dans mon téléphone, mais il m'avait fallu du temps pour effacer la trace de son stylo dans ma paume, comme une preuve bien réelle qu'elle était là, qu'elle était revenue, que mon attente avait enfin prit fin.

Que choisir pour un premier rendez-vous? Un premier rendez-vous pour nous, mais aussi pour moi... Je n'avais jamais cherché à séduire aucune femme et j'avais rejeté toutes celles qui s'étaient approchée de trop près de moi, les éconduisant courtoisement, mais fermement. Je ne savais pas comment se passaient les choses à cette époque, mise à part quelques vagues notions...

Restaurant, cinéma, théâtre... Autant de lieux où il était de bon temps de se rendre. Azraëlle aurait sans doute ri de me voir si nerveux et dépourvu, moi qui ne me départais jamais de ma calme indifférence. Si ma créatrice était passée maîtresse dans l'art de séduire sans jamais consommer, ce n'était pas mon cas. Séduire, c'était déjà mentir, puisqu'un seule femme comptait pour moi. Cela aurait été la tromper et tromper ces autres femmes. Si cela ne dérangeait pas l'ange de la mort, il n'en allait pas de même pour moi... Elle ne m'avait béni que par ironie, se moquant de mon honneur et de mes principes trop rigides, trouvant amusant de souiller une âme comme la mienne. Je bénissais moi aussi, mais avec parcimonie, prenant mon temps pour choisir les élus. Je n'envoyais pas des bons à rien ou de la racaille, j'avais ma fierté et j'enrôlais des soldats dignes de l'armée de Dieu, mon nouveau maître. Qu'importent mes principes dans ce cas, je le servais, voilà tout.

Finalement j'avais pris mon courage à deux mains, appelant Yue Hue un soir et l'invitant à diner chez moi. Cela semblait sans doute surprenant et rapide, lui donnant l'impression que j'avais envie de... conclure, mais c'était surtout parce que j'étais plus à l'aise chez moi, et qu'elle, adorant le Japon, allait être servie. Je lui avais glissé d'un ton énigmatique qu'elle serait dépaysée, avant de lui indiquer mon adresse et de l'inviter pour 19h30.

Il était 19h25 et j'étais nerveux. Tout était prêt. Ma maison ne ressemblait à aucune de celles qu'elle avait pu visiter en Angleterre. Je l'avais spécialement aménagée, si bien que l'intérieur était typiquement japonais. Il y avait même un jardin à l'arrière, invisible de la route. L'extérieur était malheureusement anglais, mais l'intérieur était un voyage dans un autre pays. Et un autre temps. A quelques exceptions de modernité prêt. Je n'étais pas réfractaire à la technologie.

Enfin, la sonnette résonna. Le cœur battant à tout rompre, j'allai ouvrir. Je n'étais pas sur mon 31, mais j'avais quand même opté pour quelque chose de plus chic : un jean, une chemise blanche. Quand je la vis, je sentis de nouveau mon cœur faire une embardée violente. Je souris légèrement et m'inclinai, lui souhaitant la bienvenue, n'osant la toucher. Je m'effaçai alors :

- Entre.

Je me sentais gauche, maladroit, jouant l'étranger poli quand mes veines n'étaient qu'un torrent de lave. J'espérais que d'évoluer dans un décor qui lui avait été familier ferait rejaillir des souvenirs d'une autre vie. Avec moi.

J'avais attendu. Longtemps me semblait il alors qu'en réalité, il ne s'était passé que un jour ou deux. Bizarrement, le temps semblait se distordre, s'étirer, laissant passer les journées si lentement, trop lentement. Les heures s'égrainaient, interminables. Il était rare que je prenne mon portable au travail et pourtant, durant ces deux jours, il ne m'avait jamais quitté. Je n'avais même pas eu le courage de le mettre en mode silencieux lors des réunions. Qu'importe que cela dérange, je m'en fichais. Constat terrible pour moi qui me targuait d'être calme et posée. Je ne me reconnaissais vraiment pas dans cette fébrilité qui m'étreignait constamment.

Pourquoi l'attente était elle si longue ? M'étais je fourvoyée en pensant lui plaire ? Après tout, peut être m'étais je mit martel en tête, peut être que mes fantasmes de petites filles m'avaient de nouveau envahie ? Tant de questions, d'hésitations, qui valsaient sans cesse dans mon esprit. Me volant jusqu'a mon sommeil. J'étais idiote. Je le pensais réellement, jusqu'a ce qu'il m'appelle enfin. Mes mains c'étaient mise a trembler et sans doute aurais je bégayé si il ne m'avait mise a l'aise. Sa voix avait un effet étrange et je m'étais surprise a l'écouter sans véritablement entendre ces mots, juste la musique de sa voix...Jusqu'a ce qu'il m'invite. J'avais brutalement ouvert les yeux, paniquée peut être, je n'en savais rien avant d'accepter. Chez lui. L'endroit ne me gênait pas. Je n'avais pas peur et j'oserais presque dire que c'était au delà. j'avais confiance. Tout simplement. Une notion étrange et bizarre moi plutôt méfiante. Mais je ne voulais pas refuser. Je ne POUVAIS pas refuser. C'était aussi simple que cela. Je devais le revoir, c'était comme..vital. Je ne me comprenais pas, vraiment pas, mais c'était irrésistible, impossible a controler.

Alors j'avais passé un temps fou devant mon armoire, chic ? Pas chic ? Décontractée ? Simple ?...Je ne savais plus. Pourtant, ce n'était pas mon premier rendez vous mais pour moi, il avait le gout d'un renouveau, d'un commencement. j'avais fini, après avoir jeté je ne sais combien de tenues sur mon lit, par me contenter d'une petite robe toute simple a la coupe évasée, nantie d'un gilet de laine ivoire.

J'étais en avance. Et j'avais attendue dans ma voiture, stressée, les paumes moites scotchées au volant. J'avais une peur adolescente au creux du ventre mais quand l'aiguille indiqua 19h30, j'inspirais un bon coup avant de sortir de mon véhicule. La maison de Ryu était tout ce qui se faisait de plus anglais, du moins, extérieurement aussi me demandais je de quoi il parlait lorsqu'il avait mentionné mon prochain dépaysement...Discrètement, j'essuyai mes paumes sur ma robe avant de sonner.

Lorsqu'il ouvrit la porte, je cru que mon coeur allait s'arrêter de battre, comme ça, sans un souffle. Il me fallu du temps pour reprendre pied dans la réalité, de lui répondre dans un sourire, sentant, comme une contradiction, une légèreté étrange me transporter et une peur terrible. Je me sentais vraiment idiote.

"Merci."

Et passé le pas de la porte, j'eus l'impression d'avoir fait un saut dans le temps. Comme si l'univers c'était ébranlé pour s'ouvrir le ventre sur un passé révolu. Ma bouche s'ouvrit en "o" alors que mon regard se perdait sur le décor...

"Sesang-e !*"

Soufflais je, estomaquée et totalement charmée, je devais bien le concevoir. Je tournai un regard abasourdi sur mon hôte.

"C'est absolument...comment dire..."

je secouai la tête, a la recherche d'un mot adéquat avant de déclarer forfait en riant.

*Mon Dieu !

Malgré moi, mon regard descendit de son visage vers ses jambes, mises à nues par une petite robe qui lui allait à ravir. Elle était si belle que je sentais mon cœur se serrer. Ce n'était pas tout à fait la même beauté qu'Amaya, mais elle dégageait toujours ce charme doux et discret qui m'avait complètement envouté. Je la laissais pénétrer à l'intérieur et réprimai un rire quand je l'entendis jurer ses grands dieux. Ne lui avais-je pas promis le dépaysement? Elle ne trouvait pas les mots pour décrire ce qu'elle voyait. Malicieux, je posai une main au creux de ses reins pour l'inviter à avancer davantage, pour aussi avoir le plaisir de la toucher.

- Surprenant? Inattendu?

Je marquai un pause, avant d'expliquer :

- L'extérieur ne paie pas de mine... j'ai failli faire construire dans la plus pure tradition japonaise, mais je n'aime pas attirer l'attention... Alors je garde mon pays bien caché et ne le dévoile qu'à ceux qui le méritent.

Je recevais peu chez moi. Je n'avais pas d'amis, tout juste des connaissances. Je me mêlais peu aux humains, exerçant un métier qui me permettait de vivre parmi eux sans éveiller les soupçons.

- Je suis nostalgique de mon pays et je n'ai jamais su adopter la mode occidentale.

J'esquissai un sourire.

- Une petite visite ?

Doucement, je la guidais. Tout était épuré. Pas de bibelots inutiles, pas de meubles inutiles. Le salon était une vaste pièce où il y avait des coussins à terre, une table basse, un meuble avec une télé, un autre avec une chaine hi-fi, ce genre de petits détails que je sacrifiais à la modernité. L'intérieur n'était pas identique à ce que j'avais connu quand j'étais humain. La chambre était vide, le matelas étant rangé dans le placard, sorti simplement quand je dormais, rangé quand je me levais. La salle de bain et les toilettes étaient occidentales. La cuisine était un savant mélange des deux. Et enfin, il y avait une pièce, une sorte de bureau, mais surtout un entrepôt pour mes armes. Il y en avait plus d'une vingtaine, toutes authentiques. Toutes avaient déjà servi et je savais toutes les manipuler. Il y avait également l'armure de Samouraï que j'avais arboré fièrement de mon vivant. Sous ses yeux, elle avait mon essence même...

"Un peu tout cela je suppose."

Répondis je en souriant, me délestant de mes petites ballerines alors que sa main dans mon dos me poussait a avancer.

"Pourquoi n'y retournes tu pas ?"

Je pouvais comprendre ce mal du pays, même si, pour ma part, je m'étais très vite habituée. Mon frère aimait a me comparer a un caméléon, adoptant les couleurs de son espace vital. Sans doute étais je un peu comme cela aussi. Je continuai, sous son invitation a pénétrer ce lieu qui semblait tout droit sortit d'un musée et, croyez moi, pour que je pense cela, c'était que j'étais très fortement impressionnée. Mais je me sentais bien dans cet environnement. L'art japonais avait toujours eu ce don sur moi, celui de m'apaiser, de me mettre a l'aise. Il n'y avait pas de chichi, pas de trop, c'était magnifiquement simple et épuré. Je ne pouvais évidemment pas retenir certaines remarques, toutes positives et sincères, je devais bien l'avouer.

Il garda le meilleur pour la fin sans doute et mon exclamation en entrant dans cette salle fut a la hauteur de la beauté qu'elle recelait.

"Elles sont toutes authentiques n'est ce pas ? Je n'ai sans doute pas besoin de les toucher pour le savoir."

Remarquais je avec un sourire, levant la tête pour regarder son visage avant de poser mes yeux sur l'armure étincelante sous les lumières pourtant tamisées. Je ne sais pas pourquoi je l'approchais ainsi, ni même pourquoi j'y portais une paume tremblante mais je le fis. Elle était froide sous mes doigts et pourtant, j'avais l'étrange impression qu'elle vivait, respirait, un peu comme si elle était habitée.

"Pourquoi ais je l'impression qu'elle est parfaitement a ta taille ?"

Interrogeais je d'un ton un peu absent avant de secouer légèrement la tête, me retournant avec un large sourire.

"Serais tu collectionneur ?"

Après tout, je ne savais pas ce qu'il faisait de sa vie mais au vu des merveilles qui s'étalaient devant mes yeux, collectionneur était ce qui le caractérisait le plus. Mais je pouvais me tromper n'est ce pas ?

Je la regardai longuement alors qu'elle me demandait pourquoi je ne retournais pas au Japon. Question légitime alors que je lui avouais mon manque. Finalement, je finis par déclarer lentement :

- Ma vie est davantage une errance qu'autre chose... Je cherchais quelque chose, je me suis laissé guidé par l'instinct, par certaines opportunités. Je peux dire aujourd'hui que cette errance a prit fin.

Parce que je l'avais trouvée, mon but, celle que j'avais cherché à travers le temps et l'espace. Et je n'avais pas peur de lui avouer que c'était grâce à elle que mon errance s'achevait. Même si elle devait trouver cela complètement dément. Et ça l'était, sans doute. je devais l'amener dans ma réalité avec douceur.

Je la guidais dans la maison, avant de l'amener jusqu'à la pièce qui servait à entreposer mes armes, mon armure, tout ce qui avait fait et faisait encore, un Samouraï. Ce guerrier qu'elle avait passionnément aimé, dans une autre vie. Son exclamation de ravissement, me fit sourire alors qu'elle me demandait si elles étaient authentiques, ce dont elle était certaine au final.

- Effectivement.

Même si elle pouvait les toucher, sans aucun problème. Elles servaient toujours. Du sang avait maculé ces lames. Je restais en retrait alors qu'elle approchait de l'armure, comme aimantée, y posant une main délicate, prudente peut être et que sa voix me semblait étrangement lointaine alors qu'elle me confiait son impression qu'elle était à mes mesures. Je me rapprochai d'elle, jusqu'à être dans son dos. Elle se retourna avec un sourire, me disant que je devais être collectionneur.

- Pas tout à fait. Je descends d'une longue lignée de Samouraï. Ceci appartient à ma famille.

Je me dirigeai vers le katana, l'enlevant de son présentoir pour le montrer à Yue Hue. L'arme des Samouraï par excellence. Celle avec laquelle je m'étais donné la mort.

- Et pour répondre à ta question informulée, j'ai un cabinet d'acupuncture. Savoir manier un katana ne nourrit pas son homme de nos jours.

J'esquissai un fin sourire, maniant l'arme avec dextérité, avant de la lui tendre pour lui laisser le loisir de l'examiner.

J'avais l'impression d'avoir commit un impair en lui posant cette question. Pourtant, elle m'était venue naturellement aux lèvres, il disait que son pays lui manquait, a tel point qu'il l'avait reproduit ici, en Angleterre, comme un petit bout de Japon perdu dans la grisaille britannique. Alors pourquoi n'y retournait il pas ? Pourquoi s'infliger cela alors qu'il serait facile d'y revenir ? Sincèrement curieuse, je soutins son regard sans vaciller mais non sans frémir, ses prunelles étaient aussi profondes qu'un lac sombre, miroitant de reflets que je ne comprenais pas vraiment. Ou que je ne voulais pas tellement comprendre tant la folie de ce qu'elles disaient était si...Folle justement.

"Alors tu es comblé ?"

je ne sais pas ce qui me poussa réellement a cette question, peut être parce que lorsque nous recherchons quelque chose, sans même parfois savoir ce que cela pouvait être, on ressentait comme un vide et que, lorsque celui ci disparaissait, on ne pouvait que se sentir entier. Etrange, ce raisonnement mais bizarrement, c'était ce que je pensais en le regardant. il me fit visiter son sanctuaire, parce que c'est ainsi que je l'imaginais sans doute avant de finir par la perle de la maison.

L'exclamation qui passa mes lèvres était assez parlante, je devais bien l'avouer. Je n'avais jamais été une fan d'arme, que ce soit a feu ou blanche, mais je savais voir la beauté de l'âge, même si certaines ont ôtés des vies. Mais que dire de la fascination qui me saisit lorsque j'approchais de l'armure. Une étrange impression qui tordit mes entrailles avant que je ne me ressaisisse, me retournant pour découvrir Ryu a quelques centimètres a peine de moi. Cela dit, mon sourire ne vacilla pas et ma question jaillit naturellement.

Je haussais les sourcils de surprise lorsqu'il m'avoua posséder des ancêtres appartenant a l'élite qu'avait été les samouraï. Une triste vie par certain coté mais un sacerdoce par tant d'autre.

"Je croyais que tout avait été pillé ou perdu."

Remarquais je en me tournant de nouveau vers l'armure qui semblait irradier d'une vie que je savais impossible.

"En tout cas, c'est de toute beauté."

Ajoutais je en me penchant vers l'arme effilée qu'il me montrait. Elle n'était pas millénaire, cela était certain, mais datait de quelques siècles sans doute. Le déclin ? Possible.

un petit rire me secoua lorsqu'il m'avoua être acupuncteur et je ne pu m'empêcher de faire une petite plaisanterie.

"Un petit coté tortionnaire ?"

Avant que, hésitante parce que tout de même, c'était un héritage, je ne pose mes doigts sur le manche du katana, le levant devant mes yeux. Il était lourd, bien trop pour moi, je lui fis faire un quart de tour, souhaitant le regarder sous toute les coutures lorsque son reflet éclaira mon visage.

Visage qui pâlit subitement tandis que mon estomac semblait se tordre, endiablé. j'eus un hoquet incompréhensible ainsi qu'une peur terrible. Une douleur. Vieille. Terriblement vieille. Beaucoup de tristesse. Je ne comprenais pas, non pas vraiment, mais comme un reflexe, une répulsion intense, j'ouvris les doigts en reculant, le front couvert d'une légère suée...

Mes doigts tremblaient me rendis je compte en les levant jusqu'a mon visage.

"Pardon, je l'ai laissé échapper."

Même ma voix ne semblait plus aussi assurée. Il y avait de l'horreur maintenant lorsque je posais mon regard sur cette lame, comme une haine aussi. Incompréhensible, illogique même. Etais je malade ?

Je m'essuyais le front, souriant pauvrement alors que je me rendais compte que l'arme n'avait jamais touché le sol, qu'il l'avait rattrapée avant.

"Je crois que je ne me serais pas pardonnée si elle était tombée a terre."

Avec un effort surhumain, je repoussais mon malaise, tentant de le faire taire puisqu'il n'avait pas de raison d'être...N'est ce pas ?

- Non. Pas encore.

Comblé, je ne le serais que quand elle s'offrirait à moi, quand elle m'aimerait, quand elle se souviendrait de ce que nous avions été l'un pour l'autre. J'étais trop dans le tâtonnement, dans l'attente. Non, je n'étais pas comblé. J'étais tourmenté par cette distance que nous nous imposions, que je ne pouvais franchir alors qu'elle avait besoin de temps.

Pourtant, j'étais bien décidé à donner un petit coup de pouce aux souvenirs. L'emmener dans cette pièce emplie d'armes, dans ce temple dédié à ce que j'étais et avais été, n'était pas innocent. Je n'avais jamais fait preuve de duplicité et je détestais mentir, mais cela ne signifiait pas que je ne savais pas le faire. J'avais été, malheureusement, à bonne école. Ne pas adopter ces pratiques ne signifiait pas que je ne savais pas en user. Alors oui, je piégeais Yue Hue en l'emmenant ici, pas dans un but malsain et inavouable, mais le fait était que je me détestais de devoir la manipuler ainsi.

Elle fut surprise de m'entendre répondre que tout cela appartenait à ma famille. Ce qui n'était pas un mensonge. J'essayais au maximum d'être honnête avec elle, jouant simplement sur les mots pour ne pas la brusquer.

- Pas tout. Ces objets ont été farouchement protégés.

Je hochai la tête quand elle me confia que c'était beau. Oui, beau et terrible. Cette pièce abritait une histoire, notre histoire. Y était-elle sensible? Je sortis le katana que je manipulai avant de lui tendre. Qu'espérais-je? Un reliquat de sa vie passée?

- Toi, tu n'as jamais essayé pour assimiler cela à de la torture. Je te ferai changer d'avis.

Elle s'empara de l'arme et là... Ce fut le choc. Je vis son regard s'agrandir, son pouls s'accélérer, l'horreur se peindre sur son visage et je rattrapai l'arme qui s'échappait de ses doigts in extremis. Les objets gardaient une empreinte. Tremblante, elle remarqua qu'elle avait failli la faire tomber, avant d'ajouter qu'elle ne se le serait pas pardonné.

- Certains objets sont lourds de souvenirs. Sans doute y es-tu sensible... Quelque chose que j'avais deviné en t'entendant parler au musée, devant ta passion à fouiller le passé.

Je reposai l'arme avec précaution, avant d'ajouter :

- Cette arme a tué de nombreux ennemis. Et a également servi à mourir dans l'honneur.

Je n'en dis pas plus. Si elle s'intéressait au Japon, elle allait forcément deviner ce que mes paroles sous entendaient. Doucement je me rapprochai d'elle, glissant de nouveau une main au creux de ses reins et l'entrainant en dehors de cette pièce chargée de souvenirs. Pour l'entrainer vers le jardin. Je la relâchai et fis coulisser les larges portes, lui révélant la vue de mon petit joyau de l'art japonais. Le jardin. Pour qu'elle se remette de ses émotions, pour qu'elle retrouve paix et sérénité en ce lieu agencé dans ce but.

Je ne répondis rien. Non il n'était pas comblé. Pourquoi ? Avais je envie de dire, mais quelque part, j'avais terriblement peur de la réponse. Peur d'être déçue ? Je ne savais pas, mais j'avais l'étrange impression de marcher au bord d'un précipice et qu'un seul faux pas m'y propulserais définitivement. M'apportant le noir, les ténèbres et le froid. C'était étrange. Comme un moment suspendu dans le temps et malgré tout, je n'arrivais pas a me sentir mal à l'aise. Non, d'aucune manière, même dans ce sanctuaire dédié a une élite qui avait, aujourd'hui, disparue.

"C'est rare de trouver un tel héritage. Tu as bien fait."

Approuvais je même si je ne pouvais pas me défaire d'une sensation étrange devant cette armure. Pourquoi avais je le sentiment de l'avoir déjà touchée, d'en avoir défait les liens avec révérence ? je ne savais pas. Mais cette sensation était bien réelle, en moi, quelque part.

Je ris a le savoir acupuncteur et fis même une petite plaisanterie.

"Non, je suis un peu douillette, je l'avoue, même si je ne nie pas les bienfaits que cela apporte."

Mais me faire piquée, même aux endroits stratégiques...En vérité, la douilletterie était plus de la peur qu'autre chose. Je l'avouais, j'avais peur de la douleur alors comment supporter celle qui m'assaillit alors que le reflet de cette lame venait frapper mon visage ? Une douleur atroce, comme si l'on arrachait une partie de soi. Un désespoir infini qui gèle sans espoir de lumière, ce fut plus fort que moi, je repoussais cette arme, la fixant avec crainte et haine. Je devais avoir l'air d'une folle a réagir ainsi mais Ryu ne sembla pas s'en offusquer. Je cachais mon malaise, maladroitement sans doute et hochai la tête a son commentaire, sceptique malgré tout.

"J'ai touché des centaines d'objets, plus vieux pour certain, plus récent pour d'autre...C'est bien la première fois que cela m'arrive."

J'avais parlé sur un ton d'excuse. je me sentais ridicule, vraiment idiote a réagir avec autant de sensiblerie. Pourtant, je n'oublierais pas de si tot cette tristesse poignante qui m'avait lacérée durant quelques secondes. J'avais cru perdre mon âme.

"La pratique du Seppuku..."

Murmurais je en regardant encore cette arme, aimantée malgré moi alors qu'elle n'évoquait que destruction.

"Je ne sais pas si j'aimerais la posséder chez moi."

Trop sombre, trop terrible. Impression dont je ne me débarrassait que lorsqu'il me conduisit dans un jardin. Un jardin que je n'aurais jamais soupçonné de l'extérieur.

Les ténèbres de mes iris scintillèrent soudainement a la vue d'une petite étendue d'eau.

"Tu as fait des miracles sur cette maison, on dirait un coin de Japon en plein Angleterre ! Dis moi que tu as des carpes Koï !"

Riais je en m'approchant du bassin, cherchant ses fameuses carpes aux couleurs rouges et blanches dans l'eau. Seulement, en m'agenouillant, je du trop m'approcher, ce bassin qui se voulait naturel n'avait pas de petits rebords, non, il se fondait parfaitement dans ce jardin apaisant.

Je ne compris pas tout de suite ce qu'il se passait alors que je perdais l'équilibre, entrainée malgré moi par mon poids pourtant...très léger. Je poussai un petit cri de surprise avant qu'un très classieux splash ne vienne le couvrir.

Comment se ridiculiser en moins de deux secondes, songeais je en me retrouvant assise dans le bassin peu profond, les cheveux sur le front...Et, un fou rire au bord des lèvres...

"Je crois que j'aurais préféré une piscine !"

Si elle savait à quel point c'était rare en effet. Et à quel point il était aisé pour moi de protéger ce qui m'appartenait, à travers les années, les décennies, plus facilement que quand cela se transmettait de générations en générations et perdait toute valeur aux yeux de ceux qui étaient trop jeunes pour comprendre.

- Cela ne fait pas mal Yue Hue.

Et dans mon intonation, une supplique en filigrane : fais moi confiance. Pour l'acupuncture, pour tout en général. Laisse-moi te guider, laisse-moi être ton ombre, ton ange gardien. Drôle de dénomination en vérité, quand on savait ce qu'étaient effectivement les anges, mais je me sentais pourtant dans ce rôle maintenant que je l'avais retrouvé. Je ne laisserais personne l'approcher, personne lui faire du mal, veillant farouchement sur sa vie comme je l'avais fait avant.

Pourtant, je lui faisais mal, je m'en apercevais alors que je voyais son beau visage se crisper, son souffle devenir plus court, tandis que ses mains touchaient mon katana et que les souvenirs affluaient. Violents d'après sa réaction. Ne m'avait-elle pas vu mourir sous ses yeux? Une pratique honorable, mais forcément traumatisante. Pour celle qui m'avait aimé par dessus tout et qui m'avait perdu.

Je lui expliquais avec douceur que certains objets étaient chargés de souvenirs et qu'on pouvait y être réceptif. Il m'était arrivé de me sentir mal à l'aise en observant un objet en particulier. Mais jamais de flashs, bien évidemment. Yue Hue n'avait jamais touché un objet qu'elle avait connu. Je lui expliquais très brièvement l'histoire de cette arme et hochai la tête à son murmure. Le Seppuku oui. Elle conclut qu'elle ne savait pas si elle aimerait avoir une telle arme chez elle. Je caressais l'arme d'un air absent.

- Une compagne fidèle pourtant.

Je n'ajoutai rien, préférant la sortir de là et l'emmener à l'air libre dans le splendide jardin japonais que j'avais fait aménagé. Ce qui l'émerveilla, ayant l'effet escompté. J'aimais cette lueur dans son regard.

- Il y en a, naturellement.

Yue Hue s'approcha du bassin, avide de découvertes comme une enfant et je souris, avant que je ne prenne conscience qu'elle était trop près du bord.

- Yue Hue, att...

Trop tard... Elle glissa sous mon regard catastrophé et se retrouva à patauger dans la petite mare, complètement trempée. Elle offrait une image des plus drôles et je dus me retenir de ne pas éclater de rire, pour ne pas la vexer... Jusqu'à ce qu'elle commente son plongeon et que cette fois, je laisse échapper un rire grave et léger. Un rire qu'on n'entendait pas souvent sortant de ma bouche, je devais en convenir. J'avançai alors vers elle, pataugeant à mon tour et lui tendant la main pour l'aider à se relever.

- Cela mériterait une photo.

Quoique... Je me rendis compte que le blanc était très... transparent quand il était mouillé. Ne laissant plus beaucoup de place à mon imagination. Mon sourire s'étrangla alors qu'elle se remettait debout.

- Je suis navré, la piscine n'est pas encore en chantier.

Je sentis le désir me vriller les reins et fis mon possible pour l'ignorer, restant stoïque tout en la raccompagnant à l'intérieur, la guidant jusqu'à ma chambre où je dénichai un T shirt ample qui la couvrirait le temps que ses affaires sèchent.

- Change-toi, tu vas attraper la mort. Désolé, je n'ai pas de robes aussi classe à te prêter en attendant.

Je m'éclipsai alors, la laissant se changer, la tête envahie par les images de son corps moulé par la robe trempée et ses sous-vêtements bien visibles.

"Alors il faudra me le prouver !"

Lançais je en riant alors qu'il m'assurait que planter des épingles dans la peau ne faisait pas mal. Je voulais bien le croire et, bizarrement, j'avais l'impression qu'a moi, il ne me ferait jamais de mal...Même cette arme qui me bouleversa, qui me blessa, il ne l'avait pas fait exprès. Je ne comprenais pas cette soudaine sensibilité, ce malaise et pourtant, il me porta toute entière. Pour une raison obscure, je haïssais profondément cette arme et pourtant, j'étais sure de ne l'avoir jamais vu. Elle n'était, pour moi, que terreur et nausée. une compagne fidèle ? Non, un objet terrible mais je ne dis rien, me contentant de hocher doucement la tête, priant pour qu'il m'emmène loin d'elle. Et c'est ce qu'il fit, m'apaisant même dans un magnifique jardin. L'art japonais avait ceci de féerique, tout y était méticuleusement calculé pour ne laisser paraitre qu'une sérénité divine....Evidemment, la sérénité, je la piétinai allégrement en basculant tête la première dans le petit bassin. J'avais voulu voir les carpes, j'avais vu les carpes...Et de prêt.

Je levai les yeux sur Ryu, entrant a son tour dans le bassin mais en position debout au moins. Il avait rit. Je ne sais pas pourquoi, mais ce rire me fascina littéralement. C'était comme une cascade cristalline et pourtant rocailleuse. Comme si cela ne lui arrivait pas souvent. J'aimais ce rire, me rendis je compte, il était précieux.

"Non merci, je ne veux pas voir étaler ma honte sur internet."

Pouffais je a mon tour en glissant ma main dans celle qu'il me tendait.

"Il va falloir y remédier non ?"

Continuais je sur le ton de la plaisanterie, absolument pas consciente de ma tenue très...Indécente sur le coup. Du moins, jusqu'a l'instant où je suivis son regard glissant sur ma poitrine. Oups...Je piquais un fard délicat avant de détourner les yeux. J'aimais son regard sur moi...A tel point que je ne pensais même pas a me couvrir. Je voulais voir l'envie dans les ténèbres de ses pupilles et je me traitai mentalement de dévergondée a cette idée. Ce fut tellement furtif que je songeais avoir rêvé avant qu'il ne me guide dans la maison, me conduisant a sa chambre. Je pris le tee shirt qu'il me tendit et le serra contre moi. Enfin pas trop longtemps, sinon, il finirait aussi trempé que ma robe...Je lui souris.

"je pense que je m'en remettrais. Ma fierté, c'est moins sur."

Je regardai la porte par laquelle il venait de disparaitre, me laissant seule pour que je puisse me changer a loisir. Longuement. En me traitant de tout les noms possibles et inimaginables. J'avais honte de mes pensées, comme de mes actes a l'heure actuelle et c'est en bougonnant a voix basse que je me déshabillai avant de revêtir le coton doux de son tee shirt. Il m'arrivait facilement a mi cuisse constatais je en baissant les yeux, mais je me sentais mieux. Il sentait bon.

Timidement, je sortis de la chambre, tirant sur le tissus pour qu'il couvre un peu plus mes jambes nues. Je le trouvai dans le salon.

"Je suis désolée, Ryu, J'ai l'impression que je suis particulièrement maladroite ce soir"

Fis je avec une petite moue contrite.

Lui prouver? Absolument aucun problème. Je saurais l'apaiser, l'amener à se détendre et à se laisser submerger par la médecine traditionnelle asiatique. Pour l'heure, je ne pouvais l'aider à se détendre qu'en l'emmenant dans le jardin, quittant cette pièce chargée de souvenirs, trop violents pour elle. Des souvenirs qu'elle ne devait pas comprendre. Tout comme cette impression terrifiante en ayant prit le katana dans ses mains. Les réponses viendront, amour, en temps et en heure.

Enthousiaste, Yue Hue oublia l'épisode des souvenirs devant la beauté des jardins, avant de se diriger vers la mare pour observer les carpes. Cela semblait la fasciner et j'adorais la voir si heureuse. Malheureusement, la tranquillité ne dura pas. Elle glissa dans le bassin et se retrouva à barboter au milieu des carpes, m'arrachant une expression catastrophée qui se mua en rire quand j'eus le feu vert en voyant son expression rieuse.

Naturellement, je me fis un devoir de venir la chercher dans le bassin, lui tendant la main pour l'aider à se relever en plaisantant, avant que tout amusement ne s'évanouisse brutalement devant la transparence de sa robe. Elle dut remarquer mon regard car je la vis rougir. Piqué au vif d'avoir été découvert, je détournai le regard et l'entrainai à l'intérieur, la conduisant jusqu'à ma chambre où je lui laissai un T-shirt propre et sec pour se changer, récupérant un jean au passage pour moi. Je souris à part moi quand elle me souffla que sa fierté en avait prit un coup. Je voulais bien l'admettre, même si je me fichais bien de la façon dont elle était habillée ou de sa maladresse.

Elle finit par venir me rejoindre. Malgré moi, mon regard détailla ses jambes fuselées, remontant jusqu'aux cuisses découvertes, avant de se fixer sur son visage. J'avais tellement envie d'elle que j'avais toutes les peines du monde à demeurer impassible comme à l'accoutumée. Elle s'excusa de sa maladresse. Non, elle était parfaite ainsi.

Sans réflechir, je me dirigeai vers elle, jusqu'à n'être plus qu'à quelques centimètres. Notre baiser me hantait. Pourquoi donc continuer à faire semblant alors que nous avions ressenti cette passion brûlante en unissant nos lèvres?

- J'aime beaucoup ta maladresse.

Un petit sourire recourba le coin de mes lèvres. Maladresse qui me permettait de voir ses sous-vêtements, de la voir dans un simple T-Shirt, comme au réveil après avoir passé une nuit ensemble... Aiguillonné par cette pensée, je m'emparai de son visage et l'embrassai sans autre forme de procès, avec douceur, certes, mais aussi une certaine impatience.

- Si tu savais depuis combien de temps je t'attends...

Je tirai sur le tissus, croisant parfois les jambes de gêne avant de les décroiser. Je me sentais totalement stupide. Comment avais je pu me débrouiller pour finir dans le bassin au premier rendez vous ? Totalement trempée et la fierté en miette ? Si il décidait de ne pas me revoir, je crois que je ne serais même pas capable de lui en vouloir je crois.

Indécise, je restais sur le seuil du salon, accrochée ou presque au battant de papier, ne sachant pas vraiment comment réagir sur le coup.

Je le regardais se lever, venir vers moi avant d'avoir un rire nerveux. Il aimait ma maladresse ? Vraiment ? Je glissai une mèche de mes cheveux encore humides derrière mon oreille, n'osant pas vraiment le regarder en face étant donné l'effet qu'il pouvait me faire en étant trop proche. Comme maintenant. Je trouvai enfin le courage de lever les yeux et ce fut pour accrocher son sourire en coin. J'adorai ce sourire et, un peu fascinée, je ne me lassais pas de le contempler.

Je ne réagis pas a ses mains sur mes joues, docile, envoutée sans doute. Pourquoi avais je l'impression d'avoir déjà vécu cela ? De savoir déjà ce que serait ses lèvres sur les miennes ? De connaitre par coeur la lueur de ses yeux a cet instant précis où il les ferma ? Je ne sais pas. Je n'avais aucune réponse et d'ailleurs, toute question s'envola soudainement alors qu'il marquait ma bouche de la sienne, séduiant mes lèvres pour qu'elles s'ouvrent doucement. Vacillante, je m'accrochai a ses poignets sans même en avoir conscience, me haussant sur la pointe de mes pieds nus. J'avais toujours recherché son étreinte, me rendis je compte. Il m'avait promis non ?...Promis quoi ? Je ne savais pas. C'était comme si j'avais attendu des siècles, seulement attendue, vivant sans jamais véritablement vivre et maintenant...Je sentais la vie couler a flot dans mes veines, irradiant ma peau, brulant mon ventre.

Je ne pouvais pas résister a l'envie de me blottir contre son corps, moulant mes formes aux siennes. C'était plus fort que moi, trop fort pour moi, a tel point que cela aurait du me faire peur, mais même pas... J'ouvris les yeux, totalement envoutée alors qu'il parlait. Mais la teneur des mots m'échappait un peu, il n'y avait que la musique de sa voix, juste elle tandis que je glissai mes bras autour de son cou, cherchant ses lèvres parce que sans elles, je ne pouvais pas vivre. Et moi ? Combien de temps a l'attendre ?

Je perdis toute notion du temps. Il n'y avait que ses bras qui s'enroulaient autour de mon cou, son corps gracile qui se moulait contre le mien, y retrouvant sa place. Une place qui jamais n'avait été ravie. Aucune autre femme après elle n'avait eu ce privilège. Je lui avais promis une fidélité absolue, que même sa mort n'avait pu rompre. Je savais que j'allais la retrouver, il me manquait simplement le lieu et l'heure du rendez-vous.

Et à l'embrasser enfin, je fis un bond dans le temps, revenant à cette fameuse nuit où j'avais cru pouvoir l'aimer en toute impunité. Des baisers, il y en avait vu, volés à l'arraché, quand aucun regard indiscret n'était posé sur nous. De longs regards qui signifiaient bien davantage que des mots trompeurs. Des sourires, des gestes d'affection, à peine esquissés.

Comment expliquer le déchainement de passion que nous avions eu alors que je me glissais près d'elle cette nuit là, que nous partîmes à l'aventure de nos corps, les explorant avec vénération, avec douceur, faisant taire l'envie impétueuse pour l'amour tendre? J'avais appris ses formes par cœur et j'en conservais encore l'empreinte dans ma paume. Je m'étais enivré au goût de ses lèvres. J'avais chaviré dans les bras de cette femme, oubliant tous mes serments, trahissant mon seigneur. Pour elle, rien que pour elle.

Et si c'était à refaire, je le ferais, en prenant simplement garde d'être moins naïf. De ne plus me laisser berner par un ange, de vivre une vie mortelle, avec elle. Cela aurait-il pu être possible? Sans Azraëlle, aurais-je eu le vice d'aller retrouver Amaya? Ou aurais-je à jamais étouffé cet amour? Aurions-nous pu nous aimer sans vivre cachés jusqu'à la fin de nos vies? La fuite de deux amants aurait-elle pu être possible? Mon déshonneur aurait été terrible...

Il n'y avait pas à se demander ce qui aurait pu arriver. C'était fait, voilà tout, j'avais une deuxième chance. Elle ne m'aimait peut-être encore pas, mais je lui inspirais du désir, c'était un bon début. Mes mains caressèrent son corps, partant à la découverte de ses nouvelles courbes inconnues, pourtant fort semblables à celles dont je me souvenais. J'effleurai un cuisse soyeuse, avant de glisser sous le T-shirt et se saisir sa taille, peau contre peau. Le désir qui me poignardait les reins allait me rendre fou, mais je refusais de céder à cette envie purement primaire. Je voulais davantage d'elle que son corps et je ne voulais pas qu'elle regrette de s'être donnée à un inconnu le premier soir.

La repousser fut l'une des choses plus plus difficiles que j'ai eu à faire de ma vie. Je le fis en douceur pourtant, fermant les yeux pour rester front contre front avec elle. Je ne savais quoi dire pour expliquer cet éloignement soudain. Qu'elle ne craigne pas que j'avais peur de ses avances, que je la pense facile ou je ne sais quelle idiotie de ce genre surtout.

- Tu me fais perdre la tête.

Complètement. Réfléchir, conserver mon sang froid, tout cela qui était si aisé d'ordinaire devenait incroyablement difficile dés lors qu'elle était dans les parages.

J’eus envie de le retenir. Il fallait que je le retienne, il disparaitrait si jamais je le lâchais. Il ne serait qu’un souvenir, qu’un fantôme. Je ne savais pas d’où me venait cette sensation atroce, entre déchirement et mélancolie, mais elle était si forte que je n’étais pas capable de la contenir, de la contrôler. Elle me prenait tout entière, totalement même. Sentir ses paumes sur la courbe de ma taille faillit me faire sombrer dans une douce folie. Quoique…N’y étais je déjà pas ? Un douce folie enivrante, enchantée même, terriblement brulante avant…le vide. L’incompréhension. Le brutal retour a la réalité et un fard monumental sur mes joues.

Mes mains le lâchèrent brusquement mais je fus bien incapable de faire un pas en arrière. Oh mon dieu ! Qu’allait il penser de moi maintenant ?! Jamais je ne m’étais laissé aller de cette manière. Non jamais. D’ordinaire, j’étais plus maitresse de moi-même, plus prudente mais avec lui, j’avais l’impression que la prudence pouvait aller se faire voir…Cela dit, je trouvais mon comportement, si ce n’est étrange, un peu déplacer…Il allait finir par se dire que j’étais vraiment facile si je continuais comme ça.

« Pardon…je…J’ai…Enfin, je veux dire que…Ce n’est pas dans mes…euh…habitudes de…de…de… »

Et je butais lamentablement sur le mot. D’ailleurs quel mot ? D’allumer ? De me laisser faire aussi facilement ? D’en redemander ? N’importe quoi. Je devais avoir l’air bien fine a me tortiller en essayant d’éviter son regard par tout les moyens pour ne pas y voir ma condamnation. Enfin, un bien grand mot mais quand même mais là, je crois que j’avais tendance a tout exagérer tellement je me sentais…comment dire…vulgairement…ben..Conne.

Finalement, j’inspirais profondément, autant reprendre bonne figure quand même, je n’allais pas en mourir…Quoique…Et sautai allégrement du coq a l’âne.

« On mange quoi ? »

Avec un adorable sourire d’ailleurs.

Je m'en voulais. De voir cette rougeur née de la confusion sur ses joues. Elle n'aurait pas du rougir de honte, mais seulement de plaisir. Malheureusement, à ses yeux, je n'étais qu'un inconnu, rencontré quelques jours plus tôt seulement et qui l'attirait, sans qu'elle comprenne pourquoi. Un inconnu mystérieux, qui la perturbait et lui faisait ressentir des émotions violentes. Elle ne devait pas comprendre ce qui lui arrivait et son balbutiement me le confirma.

Je souris doucement, en réponse à sa gêne, avant de souffler :

- Je sais.

Je savais que ce n'était pas une fille facile qui se jetait au cou du premier homme qu'elle croisait et qui s'intéressait à elle. Elle n'avait pas à chercher à s'excuser ou s'expliquer, je savais qu'elle était une femme fantastique.

- Comme ce n'est pas la mienne d'embrasser une femme que j'ai rencontré il y a quelques jours à peine. Ce n'est pas non plus dans mon habitude de l'inviter chez moi.

Qu'elle comprenne que ce qui nous arrivait nous dépassait et nous poussait à des choses que nous ne faisions pas d'ordinaire. Personne ne mettait les pieds chez moi. Surtout pas une femme, puisque je ne m'étais intéressé à aucune de ma vie d'ange. Aucune depuis elle. Et là, elle me demanda ce qu'il y avait à diner, me prenant par surprise tant je ne m'étais pas attendu à un tel changement de sujet. Je la regardai avec surprise, avant de rire légèrement, dissipant tout malaise.

- Je crains de ne pas avoir fait très original. Tu disais aimer le Japon, je vais donc te faire déguster quelques plats, avec mes modestes compétences de cuisiner.

Je l'invitais alors à revenir dans la salle principale, la laissant s'installer à table, tandis que je m'occupais des derniers préparatifs. Le repas serait donc traditionnel. J'amenai d'abord un bol de riz, puis une petite soupe toute simple, m'installant face à elle. Je savais que les occidentaux avaient du mal à tenir la position assise à terre. Cela ne me posait aucun soucis, en revanche, je ne savais pas du tout ce qu'il en était pour Yue Hue.

- Je te prie d'avance de faire preuve d'indulgence.

J’étais troublée. Terriblement. J’étais incapable de contenir ce qu’il provoquait en moi, un bouleversement des sens, du cœur, de l’âme. Je connaissais le désir physique, oui, mais là, c’était bien plus que cela. Beaucoup plus. Il y avait de la douleur, une immense tristesse, un souvenir que je n’arrivais pas a attraper, m’échappant sans cesse. La gêne me rendait maladroite, puérile, j’en avais conscience, mais je n’arrivais pas a gérer ce que je ressentais pour lui. Incapable de reconnaitre l’amour, l’intense, le vrai. Trop ignorante de cela, je subissais. Me perdais. La normalité, la vie, ma vie, mes expériences, tout cela se confondaient alors que je le regardais.

Pourtant, il me rassura. Juste quelques mots et j’avais l’impression de renaitre. Il savait. Il ne m’en voulait pas. Ne devenait pas comme ces hommes trop sûr d’eux, rejetant sans fondement ou profitant de ce qui leur est offert. Je m’étais offerte, me rendis je compte soudainement. Si il l’avait voulu, il m’aurait fait l’amour que je ne m’y serais pas opposée, vraiment pas, tant j’avais la sensation étrange d’être complète auprès de lui et perdue sans lui. Je ne pouvais expliquer mon comportement et cela me rendit…Idiote. Mais il rit, provoquant un sourire sur mon visage, j’aimais vraiment beaucoup son rire.

« Tu devrais rire plus souvent… »

Il y avait comme un écho lointain dans mes mots, comme si je les lui avait déjà dit, comme si ils avaient déjà franchit la barrière de mes lèvres mais je ne savais pas quand. Finalement, il me conduit jusqu’au salon et je m’y installais, a genoux, m’asseyant sur mes talons. Je sentais l’odeur de la nourriture et une vague de nostalgie me submergea. La nourriture était spéciale au Japon. Même si elle s’approchait de ce que j’avais connue enfant, ce n’était pas la même chose mais j’avais appris a apprécier quelque part, même si je ne me faisais toujours pas au poisson cru. Il avait fait simple et j’appréciais vraiment. Je n’avais pas besoin d’être impressionnée de toute façon, je l’étais déjà par sa simple présence.

« Une soupe Miso…Des années que je n’en ai pas mangé ! »

Remarquais je en riant, alléchée par l’odeur.

« La prochaine fois, c’est moi qui fera la cuisine »

Ajoutais je en me rendant compte que je voulais une prochaine fois, je voulais plein de prochaine fois en vérité. Cela faisait presque peur. Mais j’aimais cette peur finalement, une peur qui n’était rien devant ses yeux sombres. Mes yeux firent le tour du salon avant de revenir vers lui, un léger sourire, hésitant sans doute un peu.

« Je me sens bien chez toi. »

Je me troublai quand Yue Hue me fit remarquer que je devais rire plus souvent. Mon rire s'éteignit alors que le passé venait hanter mon regard, envahir mon esprit, me replongeant des décennies en arrière, à une autre époque, en un autre temps, un autre lieu. Je n'avais jamais été un gai luron, c'était le moins qu'on puisse dire. J'avais été élevé très tôt selon des principes rigides et dans une discipline de fer qui horrifieraient les parents de maintenant tant cela s'apparentait à de la maltraitance. Le rire était plutôt malvenu, comme la colère ou la tristesse. Des émotions que je m'étais interdit de ressentir, mais je n'avais pas été capable de refouler l'amour. Amaya avait savouré chacun de mes rires, beaucoup trop rares.

- Je n'ai guère eu l'occasion de rire au cours de ma vie.

Un jour, je te raconterais. Quand tu seras prête. Pour le moment, il est beaucoup trop tôt.

Je l'entrainai alors dans le salon, pour le repas. J'y avais mis beaucoup de temps, tentant de me surpasser et de lui offrir quelque chose de simple, de typique et de délicieux. J'espérais relever ce défi haut la main. Je n'avais pas l'habitude de l'échec. j'apportai alors la soupe et son exclamation m'amusa. Je la corrigeai d'un ton léger :

- Celle-là, crois-moi, tu n'en as jamais mangé.

Elle m'annonça alors que la prochaine fois, ce serait elle aux fourneaux.

- Je note. Je saurais te le rappeler.

Elle était plus à l'aise en ma présence et il lui apparaissait évident qu'il y aurait une prochaine fois entre nous. Que notre relation allait naturellement se poursuivre. C'était parfait. Je ne pouvais pas en espérer davantage. Je m'assis en face d'elle alors qu'elle me disait se sentir à l'aise ici.

- Ce ne sont pas les lieux qui comptent, mais les gens avec qui l'on se trouve.

Je marquai une pause, avant de sourire légèrement :

- Mais merci, je suis heureux de constater que tu te plais chez moi. Cela me tient à cœur.

Avec une pointe de malice que je ne réservais qu'à elle, j'ajoutai :

- Espérons maintenant que la nourriture sera à la hauteur.

Pourquoi ? Avais je envie de lui demander et pourtant, cette question ne passa pas mes lèvres. Je sentais une reserve en lui concernant son passé et je savais respecter ces barrières que chacun mettait pour se protéger. J’étais curieuse oui, parce que je voulais savoir comment il était devenu cet homme qui me fascinait sans que je ne puisse rien y faire. Un homme qui m’émouvait aussi, tout en affolant mes sens. Un drôle de mélange que je n’arrivais pas vraiment a contrôler, que je subissais. Ce n’était pas désagréable non, c’était doux et violent en même temps, mais il y avait de la douleur aussi, une infinie tristesse dont je ne comprenais pas la cause.

Il m’invita a passer au salon et je le suivi, m’installant a une table basse de bois vernis, étrangement a l’aise dans ce paysage étranger et en même temps, terriblement familier. Il me quitta un instant avant de revenir, les bras chargé de victuailles et l’odeur qui envahit mes narines me fit repenser aux années passées au Japon. J’avais aimé y vivre, terriblement d’ailleurs et lorsqu’il me fit remarqué que jamais je n’avais pu gouter celle là, je ne pus retenir une petite moue malicieuse de se peindre sur mes traits.

« Recette familiale ? »

Parce que l’avantage de cette soupe, c’était que chaque famille avait sa spécialité. Oh, il y avait la soupe classique pour les touristes mais pas que.

« J’aurais le droit de la connaitre si je suis sage ? »

Continuais je amusée avant de prendre mes baguettes avec un appétit certain. A vrai dire, j’avais l’eau a la bouche, j’étais si bien, avec lui, chez lui. J’avais gouté ses lèvres et je craignais de ne plus pouvoir m’en passer, mais au-delà de ça, c’était juste sa présence près de moi. Alors naturellement, je lui fis savoir, sans même m’en rendre compte que je voulais le revoir, encore et encore. Je ris lorsqu’il me dit qu’il me le ferait rappeler. Je ne risquais pas d’oublier, vraiment pas et, avant de manger, je laissais mon regard errer sur l’environnement.

« Je me sens bien avec toi aussi. »

Avouais je sans vraiment en rougir d’ailleurs, tellement c’était évident alors qu’il me disait que c’était les gens qui faisaient le bien être d’une maison. Il avait raison, j’étais sure qu’il y avait de lui dans cette maison, beaucoup même.

« Et bien nous allons voir cela tout de suite ! »

Répliquais je en reposant mes baguettes pour attraper la petite cuillère de porcelaine a coté de mon bol. Je la plongeais dans la soupe odorante avant de la porter a mes lèvres, soufflant doucement sur le liquide chaud avant de glisser l’ustensile entre mes lèvres. Je fermai les yeux. Prenant le temps de savourer les différents gouts avant qu’un sourire émerveillé ne se peigne sur mon visage.

Je levai un pouce.

« Oserais je dire qu’elle est parfaite ? »

Je ris doucement avant de poser un coude sur la table, mon menton dans la main.

« Dis moi, tu as beaucoup de talents cachés comme celui là ? »

- Recette ancestrale même.

Recette vieille de plus d'un siècle, héritée de ma mère. Elle avait été une femme de caractère, très douce, mais ferme. Il fallait l'être pour être femme de samouraï. Elle avait même apprit à se battre et longtemps, j'avais été fasciné par la beauté de ses gestes gracieux. Plus beaux que ceux des hommes, plus puissants et moins raffinés. Ma mère avait été une femme exemplaire, une mère aimante, dans la mesure du possible étant donné mon éducation et une guerrière digne de mon père. Yue Hue me demanda si elle aurait le droit de la connaître si elle était sage. J'avais envie de lui répondre que justement, elle la connaîtrait si elle ne l'était pas, si nous réussissions à briser cette entente polie pour laisser la passion se déchainer. Si je réussissais à gagner son cœur et qu'elle partageait ma vie, évidemment que mes secrets seraient les siens. Il se posait la problématique de ma condition d'ange. Alors qu'elle était mortelle. Le temps ferait son œuvre sur elle. A moins que je ne la bénisse. Mais ce serait une décision qu'elle prendrait en toute connaissance de cause.

- Hum... Il faudra se montrer digne d'un tel secret.

J'avais répondu avec un brin de malice, même si le fond n'était pas totalement anodin. Je la regardai se saisir des baguettes, la mine gourmande. Ses paroles me touchèrent. Oui, nous allions nous revoir. Souvent. Ma cour se ferait en douceur, mais impitoyablement. Si toutefois, elle l'acceptait. Elle me répliqua qu'elle se sentait bien avec moi et je me fendis d'un sourire. Si seulement elle savait... Combien mes sentiments pour elle étaient violents derrière cette façade policée. Je l'incitai à manger et elle lâcha les baguettes pour la cuillère en porcelaine. Amusé, je la regardais faire, avant de manger à mon tour, plutôt satisfait de moi. Et que dire de l'expression de Yue Hue... Elle était un livre ouvert et cela semblait totalement à son goût. Elle qualifia même la soupe de parfaite.

- Rien ne l'est jamais. Mais merci. J'avoue qu'elle est réussie.

Elle me demanda alors si j'avais d'autres talents cachés, sincèrement intéressée. Je haussai les épaules. Oui, quelques uns et que je ne lui montrerai pas avant un moment.

- Certains oui. Je suis un perfectionniste... Quand je me lance dans quelque chose, j'ai besoin de frôler l’excellence. L'inconvénient étant que je ne suis jamais satisfait. Alors j'ai développé certains talents, oui, mais je ne les multiplie pas. Je me débrouille en cuisine. Je parle plusieurs langues également. Mais là où j'excelle, c'est en combat.

Ce n'était pas une façon de me vanter. D'ailleurs, je n'en avais pas parlé avec arrogance. Juste un fait. J'étais né pour cela, j'avais vécu pour cela. Et j'avais été doué. Je l'étais toujours. Je souris, devenant plus léger :

- En revanche, je suis absolument dépourvu de tout talent artistique. Une catastrophe.

« Ancestrale ? Remarque, cela ne m’étonnes pas, ce secret là passe de génération en génération, mais il est rare que ce soit le garçon qui en hérite. Tu n’as pas de sœur ? »

Curieuse ? Oui, je l’avouais facilement. Et il était tellement facile de parler avec lui. Je me sentais a l’aise, voir même plus que cela, bien que ces tempêtes d’émotions qu’il soulevait en moi me laissait perplexe, déboussolée, perdue en un mot. Il y avait cette façon d’être qui me plaisait terriblement.

Je levai les deux pouces, les mains serrées l’une contre l’autre.

« Je suis digne ! Même si je n’en ai pas l’air là tout de suite avec ma chute dans l’eau et ma tenue très classe. »

Plaisantais je en riant malgré moi. Etrangement, la distance que je maintenais toujours avec les autres, née de ma culture, s’évaporait magiquement avec lui. Et même si je pouvais avoir l’air ridicule avec mes mimiques, quelque chose me disait qu’il ne m’en tiendrait pas rigueur, bien au contraire.

Et puis, je pris un plaisir non dissimulé a gouter la soupe qui enchanta mon palais. Elle était bonne, douce sans être trop relevée. C’était parfait et je le lui dis. Je ris doucement lorsqu’il me reprit.

« Non c’est vrai, rien ne l’est, mais il faut une exception pour confirmer une règle non ? »

Répliquais je malicieusement, taquine avant de continuer a manger, osant me montrer encore plus curieuse. Posant le coude sur la table, le menton logé dans ma paume, je l’écoutai donc me dresser un profil de lui-même plutôt intéressant. Un perfectionniste…Je haussais un sourcil, quelque part, je pense qu’on l’était tous mais comme il le soulignait, on était toujours déçu. Mon second sourcil se leva a la mention des combats.

« Ah bon ? Quel type ? Art martial ? Autre ? Japonais ? Bizarrement, je trouve que cela te va bien. »

Souriais je doucement en me redressant. J’éclatai de rire a son…pire défaut…

« Ah mais ce n’est pas donné a tout le monde ! Enfin lorsque j’étais enfant, j’aimais beaucoup le dessin, mais je dois dire que je ne l’ai plus fait depuis longtemps. »

De la famille? Non, je n'en avais plus depuis longtemps. J'avais eu une sœur bien sûr, morte depuis un siècle maintenant. Je ne parlais même pas de mes parents.

- Je n'ai plus de famille depuis longtemps.

J'esquissai un petit sourire.

- Et puis, cela fait longtemps que je suis célibataire, il faut bien développer certains talents par la force des choses.

Nous plaisantions au sujet de la cuisine, un domaine dans lequel je me débrouillais. De la même façon? Yue Hue me demanda si je la lui apprendrais. Je répondis que pour cela elle devait s'en montrer digne. Elle me rappela son magnifique plongeon dans le bassin. Légèrement ridicule et anéantissant absolument toute tentative de noblesse.

- Tu as une façon très digne de tomber dans un bassin je t'assure.

Quant à ses vêtements... Difficile de ne pas me souvenir qu'elle portait mon T-shirt, trop grand pour elle, mais soulignant d'autant plus sa féminité. Et elle n'avait pas besoin d'un tailleur hors de pris pour être classe. Nous commençâmes à manger et Yue Hue me félicita pour ma soupe, la trouvant parfaite. Plus pragmatique et tempéré, je répliquai que la perfection n'était pas réellement de ce monde.

- Serais-je une exception?

Je continuai à manger, tandis que Yue Hue se montrait curieuse à mon sujet et que je me livrais davantage concernant mes talents. Que je sois doué au combat attira son intérêt. J'eus un petit sourire.

- Les Kobudo, cela te dit quelque chose?

C'était un ensemble d'arts martiaux japonais. J'avais appris bien des disciplines et je savais me servir de nombreuses armes. Au corps à corps, à distance, avec des armes blanches... Je devenais un prédateur mortel.

- Que cela me va bien?

Cela était-il du à des réminiscences ou bien le portais-je sur moi? J'étais curieux d'avoir son sentiment à ce sujet. Je lui assurais cependant avoir des lacunes, notamment concernant l'art. Que ce soit le dessin, la peinture, la sculpture, la musique... Je n'étais pas très doué. Cela amusa Yue Hue qui me confia aimer dessiner.

- Et pourquoi cela? Un manque de temps?

Je la voyais bien avec une âme d'artiste. Je caressai du regard ses mains fines et ses longs doigts, les imaginant sans peine tenir un crayon.

J’avais l’impression d’avoir mit les pieds dans le plat alors qu’il me disait ne plus avoir de famille. Pourquoi fallait il que je réveille toujours de mauvais souvenir ?

« Je suis désolée. »

Murmurais je en baissant les yeux sur mes mains. Moi, j’avais encore mes parents et mon frère. Je ne m’imaginais pas sans eux même si je savais que personne ne pouvait échapper a la mort bien sur, mais y penser était difficile. Même expatriée, je restais proche de ma famille et, parfois, j’avais besoin de leur conseil, de leur amour sans concessions. Par contre, il allégea subitement l’ambiance en parlant de son célibat, ce qui lui valu un coup d’œil sceptique. Lui ? Célibataire depuis longtemps ? Non, je n’y croyais qu’a moitié, en étant objective, on ne pouvait pas le qualifier de repoussant et en plus, il possédait cette espèce de respect pour les femmes qui paraissait un peu vieillot de nos jours mais que j’adorais personnellement.

« Célibataire depuis longtemps ? Tu plaisante ? »

Demandais quand même parce que je me posais la question de savoir si c’était du lard ou du cochon sur le coup. Ou alors la moitié des anglaises était aveugles. Ceci dit, si c’était pour m’apprendre la recette de sa soupe Miso, je voulais bien retourner dans le bassin, même si je n’avais pas fait preuve d’une classe sans nom en le faisant, je l’avouais facilement.

« C’est gentil de sauvegarder les lambeaux de ma fierté. »

Répliquais je dans une moue amusée, parce que je savais pertinemment avoir eu l’air parfaitement ridicule sur le coup, perdant toute crédibilité. J’éclatais de rire lorsqu’il me retourna mon proverbe occidental a son avantage.

« Tu cherche la flatterie ? »

En riant. Non, j’espérais qu’il n’était pas parfait, il l’avait dit lui-même, c’était ennuyeux au final.

« Mais non, tu n’es pas parfait, c’est préférable non ? Au vu de ce que tu as dis avant. »

Repris je mutine, une étincelle amusée dansant dans mes iris sombres, jouant avec ma cuillère. Je me retenais de manger la soupe en une seule fois, restons un minimum polie quand même. Cela dit, il me coupa le sifflet en parlant de combat et je fronçai légèrement les sourcils.

« Okinawa ou Honshu ? Enfin, l’un ou l’autre, c’est assez impressionnant quand même ! »

Et impressionnée, je l’étais, il fallait des années de maitrise pour pouvoir exceller dans ces arts tous aussi différents les uns que les autres. J’eus un léger rire.

« Je me sens ridicule avec mon pauvre Chon-Tu Kwon »

Riais je doucement sincèrement impressionnée. Avait il d’autre petites bombes a lacher ainsi ? Je confirmais mes paroles avec un léger hochement de tête.

« Je ne saurais pas dire pourquoi par contre, mais oui, c’est l’impression que j’ai… »

Répondis je avec une petite moue désolée, après tout, je ne savais pas si c’était a prendre comme un compliment ou non que l’on vous dise que les combats vous allait bien. Mais je sentais confusément qu’il devait être a l’aise en situation d’urgence ou en cas de combat justement. Il semblait se maitriser a la perfection, cela pouvait paraitre dérangeant quelque part mais bizarrement, cela m’apaisait plutôt. Evidemment en contraste, la douceur de l’art. Quoique je n’étais pas sure de moi et même si j’avais tâter un peu de dessin, je n’avais jamais eu l’occasion d’accentuer ce loisir.

« Mmmh…On peut dire cela oui, ma mère garde toujours mes dessins de l’époque d’ailleurs, j’aimais beaucoup ça, mais en grandissant, les études prennent de plus en plus de temps, puis les amis aussi, finalement, sans s’en rendre compte, on a plus l e temps de vivre et on se rend compte qu’on a oublié quelque chose sur le chemin. »

Je soupirai doucement.

« Maintenant, je pourrais toujours m’y remettre mais je crains d’avoir énormément perdu. »

- Il n'y a pas à l'être, cela fait longtemps. Je n'ai pas d'amertume quand je pense à ma famille.

J'avais répondu d'une voix douce et avec sincérité. Cela faisait longtemps, effectivement. Je n'avais plus de chagrin, je ne pensais à eux qu'avec tendresse et fierté. Ce n'était pas quelque chose de facile, mais j'avais appris à me détacher des choses matérielles, à relativiser également et je savais que ma famille était bien là où elle était. Chacun sa route. J'avais eu beaucoup plus de difficultés à passer outre la mort d'Amaya, même si je m'étais fait une raison et l'avais recherchée sans relâche.

Je lui avouai alors être célibataire depuis un moment... Depuis sa mort en fait. Rien qu'à voir sa tête, je souris, amusé de sa réaction complètement incrédule.

- Pas du tout. Pourquoi cela t'étonne-t-il?

Je penchai la tête sur le côté, avant de reprendre, plus sérieux :

- J'ai une certaine conception du couple, un peu surannée. Je ne m'engage pas à la légère et pas avec n'importe qui. Je pense que pour un homme, il existe une femme et une seule.

Mon âme sœur. Je t'ai attendu, longtemps. Je t'ai retrouvé. Te souviendras-tu? M'aimeras-tu autant? Nous plaisantâmes sur sa dignité. Elle rappela à mon bon souvenir son petit plongeon dans le bassin, fort digne. Cela aurait pu être ridicule, c'est vrai, mais j'aimais sa façon de se moquer d'elle-même, de rire. Je n'aurais pas apprécié qu'elle se vexe je pense. Cela aurait tout gâché. J'avais besoin de son optimisme. Nous parlâmes de perfection et je m'en amusais, alors que Yue Hue plaisantait, me demandant si je cherchais la flatterie.

- Pas vraiment, mais je ne dédaigne jamais un compliment de la part d'une jolie femme. J'ai ma part de vanité.

Très minime cela dit. Vaniteux, je ne l'étais pas vraiment, mais je souhaitais être vraiment quelqu'un de formidable à ses yeux. Était-ce là un souhait orgueilleux?

- C'est en effet préférable.

Je ne pouvais quitter des yeux cette étincelle rieuse dans son regard, cette fossette au creux de ses joues alors qu'elle semblait soudainement perdre quelques années quand elle riait, paraissant presque une enfant. Un contraste intéressant. Un sourire ravi naquit sur mes lèvres quand elle me demanda si c'était du Kobudo de Honshu ou d'Okinawa, montrant qu'elle était quand même très cultivée.

- Honshu. Tu as de solides connaissances.

Elle se trouva presque ridicule avec son art martial. C'était intéressant qu'elle en pratique un.

- Disons que cela a longtemps été ma vie, plus qu'une passion. Je ne suis pas aussi cultivé ni lettré que toi. Tu es douée?

J'étais sincèrement intéressé. Comme elle semblait trouver que cela me collait bien à la peau. Sans qu'elle sache expliquer pourquoi. Juste une impression. Je hochai la tête. C'était une attitude, j'avais grandi là dedans, je bougeais comme un félin. Elle me confia alors avoir fait du dessin plus jeune mais abandonné. Je m'y intéressai, comme je m'intéressais à tout ce qui la concernait en fait.

- Tu ne le sauras pas tant que tu n'auras pas essayé. J'aimerai beaucoup voir ce que tu es capable de créer.

Il se dit serein face a la disparition de sa famille. Personnellement, je l’étais un peu moins. Sans doute trop sensible a ce qu’il pouvait ressentir ou a ce qu’avait été sa vie. Une vie qui possédait encore beaucoup de zones d’ombre mais je voulais les connaitre. Toutes. C’était un sentiment étrange, avide presque. Alors je ne m’étendis pas sur le sujet, préférant m’étonner de le savoir célibataire depuis si longtemps que ça. Il se moquait, ce n’était pas possible autrement !

« M’étonner ? C’est un peu un euphémisme tu sais. Enfin je sais pas, regarde toi… »

M’embrouillais je en l’englobant d’un geste de la main. Il avait tout pour plaire aux femmes, c’était indéniable. De la présence, de la beauté, du charisme et une sagesse qui semblait étrange pour quelqu’un d’aussi jeune. Il précisa sa pensée, m’enfonçant encore plus dans la surprise. Non, ce genre de considération n’existait plus depuis longtemps ! Même si je n’étais pas une adepte du « couchons par plaisir », je savais que peu de gens ne se tenaient qu’a une seule personne. Sans doute était ce la faute a la modernité, les mœurs qui avaient changés…Mais quelque part, cette façon de penser était terriblement séduisante et romantique. Beaucoup d’hommes aimait se contenter d’une aventure par ci par là, peu aspirait a une situation stable et a une seule femme.

« C’est quelque chose d’assez inhabituelle a entendre de nos jours… »

Murmurais je doucement, gardant mon regard posé sur le sien, un peu comme si je ne pouvais m’en détacher ce qui était sans doute vrai. Cela dit, le sujet dériva assez rapidement, avec une certaine aisance et je ne pouvais m’empêcher de le taquiner au sujet d’une sois disante vanité ce qu’il confirma. Il provoquait une inconscience chez moi, comme une légèreté que je ne pensais pas présente en moi et pourtant. Il me mettait a l’aise, me faisait rire et m’émouvait, tout en même temps. J’avais cette étrange impression qu’il était ce qu’il me manquait dans ce monde, comme si j’avais toujours couru après sans jamais l’atteindre.

« Ah, j’ai donc raison. »

Alors qu’il abondait dans mon sens, il n’était pas parfait, c’est vrai et pourtant, je me prenais a vouloir adorer ces moindres défauts. Mais il ne cessait de me surprendre, chaque fois un peu plus. Il était pétrit de surprise et n’avais de cesse de le regarder comme un miracle.

« Honshu donc, c’est un sacré concentré de savoir je suis impressionnée. »

Répondis je avant de me lamenter sur mon petit art a moi…Je haussais un sourcil a sa question en me posant sérieusement la question.

« A vrai dire, je ne sais pas, je pratique depuis mes 13 ans et trouver un dojo a Londres a été un peu difficile, mais pas impossible. J’ai trouvé la perle rare a quelques rues de chez moi…Tu voudras que je t’y emmène ? Tu verra que sous les ordres de mon maitre, je ne suis ni plus lettrée ni plus cultivée que toi. »

Et une petite voix le suppliait d’accepter, même si je n’osais le dire a voix haute, sinon, il pourrait penser mes réactions incohérentes et imbéciles ou pire, me prendre pour une ado attardée qui vient de flasher sur le beau mec de son lycée. Restons calme.

« Oh non ! Je ne sais pas si je saurais retrouver les techniques que l’on m’avait appris a l’époque. C’est tellement loin. Mais il m’arrive encore maintenant de croquer certaines pièces du musée pour les archives ou mes propres dossiers. »

Un peu embarrassée, je piquais le riz de mes baguettes, portant un amas compact de céréale a ma bouche avant de soupirer d’aise.

« Finalement, je ne sais pas si ce ne serait pas plus judicieux de te laisser les fourneaux, tu as quand même l’air plus doué que moi…Ma cuisine est très pratique, tu verras. »

Plaisantais je parce que tout de même, c’était terriblement bon. Parfumé comme il le fallait, ni trop cuit, ni pas assez et je ne parlais même pas de la soupe qui était un pur délice.

Yue Hue était trop sensible, trop jeune aussi sans doute, pour qu'on puisse parler de la mort d'être chers sans ressentir de compassion ou de chagrin. C'était pourtant le cas et cela valait bien mieux pour mon propre équilibre. Elle ne releva pas et nous changeâmes de sujet, pour aborder celui de mon célibat auquel elle ne croyait pas. Pourquoi mentirais-je à ce sujet? Son explication me laissa sans voix un instant alors que je baissais le regard pour me regarder effectivement, avant de relever les yeux vers elle et de vriller mon regard au sien, non sans un très mince sourire. Je me savais plutôt agréable à regarder, mais de là à penser que toutes les femmes me couraient après, il y avait un monde. Et de toutes façons, comme je repoussais toutes les tentatives de séduction, la question ne se posait pas. Avec une franchise directe et aussi pour la mettre un eu mal à l'aise par jeu, je répondis :

- Dois-je conclure que tu penses que toutes les femmes devraient se retourner sur moi?

Je laissais échapper un petit rire à cette idée, avant d'ajouter, malicieux :

- C'est mal d'entretenir ma vanité avec de tels sous entendus.

Cependant, je précisai un peu ma pensée et expliquai pourquoi je n'avais pas eu de femmes dans ma vie très longtemps. Du moins lui narrais-je de façon très raccourcie. J'avais un idéal, une femme pour un homme. Et cette femme, je l'avais attendue. Sans préciser que c'était elle. Elle murmura que c'était quelque chose d'inhabituel.

- Je sais. Ça peut paraitre totalement stupide. Ou idéaliste.

Elle semblait impressionnée par ma maîtrise des arts martiaux. Ce n'étaient que des mots. Elle ne pouvait pas savoir quel degrés de maîtrise je possédais. J'aurais pu être médiocre en tous. Ce qui n'était pas le cas et je me surpris à penser que je voulais qu'elle voit cela. Comme elle l'avait vu jadis, mais dénué de tout danger, de toute guerre. Elle avait tremblé pour le jeune général que j'étais. La guerre se situait ailleurs et je n'avais jamais vraiment eu l'occasion de craindre les êtres célestes. J'étais discret, mais ma réputation de combattant redoutable suffisait à dissuader les plus hardis.

- Il n'y a pas à l'être, j'ai toujours baigné là dedans. C'est une seconde nature, en quelques sortes.

Elle me confia pratiquer elle aussi et je lui demandai si elle était douée. Ce qui la plongea dans la perplexité. Néanmoins, elle répondit, m'invitant à l'observer se battre, précisant qu'elle n'était plus cultivée, ni lettrée dans ces moments là.

- Avec plaisir. Mais je voulais simplement dire que je n'ai fais aucune étude. Mon éducation ne s'est pas faite de manière classique.

C'était le moins qu'on puisse dire. Pourtant, mon enseignement avait été complet. Si je n'étais guère au fait des matières modernes, j'avais de solides bases d'histoire, de mathématiques, de théologie, de philosophie. C'étaient les découvertes plus récentes qui me mettaient parfois en difficulté. Il y avait tellement de nouveauté qu'il était parfois difficile de tout suivre, de tout comprendre.

Nous parlâmes dessin et je voulus la voir à l'oeuvre, ce qui sembla la mettre dans l'embarras tant cela était lointain. Pourtant, elle continuait de croquer parfois certaines choses. Preuve qu'elle avait cela dans le sang. Elle préféra se recentrer sur la nourriture et je ris quand elle m'invita à faire la cuisine chez elle finalement.

- Oh non, je ne me ferais pas avoir de la sorte à me faire exploiter. La prochaine fois, tu seras de corvée.

Je me levai alors, allant vers la cuisine pour la suite, ramenant après quelques minutes un bol de riz et du tonkatsu. Basique, classique, mais toujours bon. Enfin, si j'avais réussi ma recette évidemment.

- Et voilà la suite. Bon appétit.

Quelque part, je me faisais la réflexion qu'il était irréel de parler ainsi de tout et n'importe quoi, comme deux amis, alors que j'avais une terrible envie d'envoyer valser toute politesse et de la rejoindre pour l'embrasser, goûter de nouveau ses lèvres, caresser son corps... Des images d'un autre temps me revenaient sous forme de flashs, échauffant mon désir, l'excitant, mais je n'en montrai rien, mangeant simplement.