Deux grammes de trop | Kieran

Ma main partie toute seule.

Avec une force que je ne me soupçonnais même pas.

Même la douleur qui vrilla mon poignet bandé se faisait toute petite. Je n’étais pas du genre a frapper, comme ça, sans prévenir, mais là…Voir Kieran avec une paille dans la narine, ce petit carré de verre que j’avais tellement connu, cette foutue ligne blanche que je haïssais autant que j’aimais.

J’avais totalement vu rouge…

Cela faisait quelque jours que je ne l’avais pas vu. Comme il l’avait dit, il ne venait plus. Il ne téléphonait plus, rien de rien. Il me manquait. Affreusement. Et j’avais été si souvent a deux doigts d’aller le choper que je ne les comptais plus. Ce n’était pas une question de courage ou quoique ce soit d’autre, mais juste une question de temps. Je ne pouvais plus bosser correctement pour le moment et il avait fallu que je comble le manque a gagner. Même l’Under ne m’avait pas vu depuis ce fameux jour et quand enfin, j’y remettais les pieds…

Ma main fit le sens inverse, visant cette fois le carré de verre, envoyant voler poudreuse et paille dans la foulée. La musique, si assourdissante, me parut soudain très lointaine. J’étais dans une rage incommensurable. Il savait ! Il savait ce que pouvait faire cette saloperie ! il le savait et malgré ça…

Au début, je n’y ai pas cru, vraiment pas. Ce ne devait être qu’une soirée de plus, de moins, les médocs m’abrutissaient un peu alors je n’étais même pas sure de rester. J’avais croisé deux trois copains, on avait un peu rit, même si de mon coté, le cœur n’y était pas. Et j’étais sur le chemin du retour lorsque je l’avais vu. Tout seul. Dans un coin reculé du local. Je connaissais cette posture, ce besoin de s’isoler comme si on cachait quelque chose. Combien de fois avais je agit de la même manière ? Je ne m’en souvenais plus vraiment. Sauf qu’après, une fois que le carré de verre n’était plus assez, j’étais passée a la seringue… La différence était là, juste là entre lui et le moi d’il y a trois ans…

« Debout ! »

Ma voix claquait, sèche, grondante, je n’étais peut être pas impressionnante, certainement pas même mais je crois que là, je n’aurais pas hésité a lui décrocher la mâchoire sans une once de remords, sans rien. Même le plus profond des mal être ne méritait pas qu’on plonge la dedans. Je ne voulais pas le voir devenir comme moi, je ne le supporterais pas. Et la colère ne cessait d’enfler, terriblement.

« PUTAIN LEVES TOI ! »

J’étais littéralement folle de rage et cela se voyait, mes yeux d’ordinaire tranquille dégoulinaient de colère. J’avais envie de le tuer…

J'avais sombré... Irrémédiablement. J'avais atteint le point de non retour. Cette force que je feignais était devenue faiblesse et je m'étais lamentablement écroulé, incapable de faire face à la vie, de faire face à ses aléas. J'avais été cruellement blessé et je n'arrivais pas à relever la tête. Même si ça allait mieux avec Sorcha et Blake, quelque chose s'était brisé. J'étais passé à la vitesse supérieure... J'avais acheté de la cocaïne. Jamais encore je n'y avais touché, mais là, j'avais envie d'oublier. L'alcool ne suffisait pas. Le joint non plus.Je savais que l'on devenait dépendant des drogues dures, mais qu'est-ce que cela pouvait bien faire franchement? Que je bousille donc ma vie, elle n'avait pas vraiment d'importance.

La première fois avait été planante. Une bouffée d'oxygène. Un vrai break dans cet enfer quotidien. Sauf que la descente avait été raide. Qu'est-ce que j'étais en train de faire? je me retrouvais devant mon rail, dans l'under, loin de chez moi, loin de Sorcha et Aaron... J'étais en train de brûler ma vie par les deux bouts, de prendre un chemin qui n'était pas le bon, mais qui était le plus simple. J'en avais assez de me battre, je baissais les bras, je rendais les armes.

C'était tellement plus facile comme ça.

J'étais devant mon rail et j'inspirais profondément, alors que la poudre blanche pénétrait dans mon organisme. C'est là qu'une gifle me cueillit, alors que je fermais les yeux en partant loin de là. Je rouvris brutalement les yeux pour voir Blue, furieux, devant moi. Ah tient, il ne manquait plus que lui. Il hurla. Il éructait même. Il était fou de rage. Pourquoi? Qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire? Ah oui, il s'était drogué, ça ne devait pas lui faire plaisir de me voir faire pareil.

Bizarrement, je prenais tout ça avec un détachement que je n'avais pas eu la fois précédente. C'est bon, j'étais sur mon nuage, calme mec, laisse moi planer tranquillement.

- "C'est pas la peine de hurler. Je suis camé, pas sourd."

Était-ce de la provocation? Oui peut-être bien. Pas pour le faire chier, juste parce que ça me passait au dessus de la tête en fait. Je me levais alors, nonchalant, un sourire arrogant au coin des lèvres. Je ne me présentais pas sous mon meilleur jour. Parfois je me demandais qui j'étais vraiment... j'avais une multitude de facettes, pas toutes glorieuses et en ce moment, j'étais plutôt un sale con.

- "Qu'est-ce que tu me veux? T'es pas avec ma sœur?"

Ma voix était étrangement ironique, au lieu d'être furieuse comme elle l'avait été plusieurs jours auparavant.

- "Ou bien tu me surveilles peut-être? Je ne sais plus ce que je dois penser de toi, d'elle, de tout le monde, personne ne semble jouer franc jeu avec moi."

« Ferme ta grande gueule Kieran… »

Rugis je en serrant les poings, blanche comme un linge. Je savais que cela ne servait a rien de le raisonner maintenant. Il n’écouterait rien. Partit dans son délire, il y resterait jusqu'à la descente. Quand on était dans cet état là, plus rien n’avait d’importance. Non plus rien, sauf ce putain de bien être artificiel qui courait dans nos veines. Il comprendrait mais s’en contreficherait. Finalement, je levais la main, lui attrapant le revers de la veste avant de le tirer derrière moi. J’étais fluette mais ma colère développait une force peu commune.

Je connaissais ces coins par cœur. Pas lui. Les dédales des boyaux de Londres, ils étaient gravés dans ma mémoire. Pas en lui. Très bien. Je bifurquais soudainement a droite, puis a gauche, encore a droite a une intersection et pour finir, je tombais dans un cul de sac faiblement éclairé. Croire que ma colère diminuerait était illusoire. Cette foutue image me grillait la rétine, me blessait le cœur. Il ne pouvait pas sombrer la dedans ! Il n’en avait pas le droit. Finalement, je le lâchais.

« Ta sœur ? Tu t’inquiètes de ta sœur là ? Et si elle avait été derrière moi hein ? Espèce d’imbécile ! »

Je me retenais de lui en refoutre une pour le secouer. Je préférais cent fois sa colère a cette espèce d’apathie, cette ironie.

« Putain mais qu’est ce qui te prend ?! Tes amis n’ont même pas le droit a l’erreur avec toi hein ? Toi tu peux déraper, pas eux !? Et toi ? Tu joue franc jeu là ? Nan, tu préfère gentiment t’envoyer une saloperie dans les narines ! Et ne me sort pas ce putain de laïus a la con qui est au bord de tes lèvres, JE CONNAIS ! »

Ma voix raisonna dans le boyaux, ce répercuta contre les murs mais je m’en fichais.

« J’te jure que tu sortiras pas d’ici tant que tu auras pas vidé ton sac Kieran. Que tu le veuille ou non.»

Et ça, c’était clair. Il était coincé ici avec moi, qu’il le veuille ou non.

- "Attention, Blue s'énerve."

J'eus un petit sourire narquois en le voyant serrer les poings. Et bien quoi Blue, qu'est-ce que tu vas faire? Me frapper? Juste retour des choses non? Je n'avais presque plus de traces de mon altercation avec Hartwood. Le temps guérissait toutes les blessures physiques. Pour les autres, c'était une autre paire de manche et j'avais l'impression que 100 ans ne suffiraient pas. J'étais complètement stone et incapable de m'horrifier de ma conduite. Blue le faisait pour moi et m'attrapa par le col de ma veste en me tirant derrière lui sans me demander mon avis. J'aurais surement pu lui résister et l'envoyer paître. Si j'avais été clean, c'est surement ce que j'aurais fait, mais là, je me contentais de le suivre docilement dans un dédale de boyaux qui me faisait penser qu'il pouvait très bien m'assassiner dans un coin et qu'on ne serait pas près de retrouver mon cadavre. Super pensée hein? Mais bon, je n'étais pas dans mon état normal non plus.

Je ne cherchais même pas à retenir le chemin. Ca ne servait strictement à rien. Mon cerveau était en mode veille, il ne fonctionnait pas correctement. En temps normal, j'aurais peut-être mémorisé et encore, rien n'était moins sûr. Là, je ne me prenais même pas la tête à essayer.

Il finit par s'arrêter et me lâcher et je me rhabillais nonchalamment alors qu'il se remettait à gueuler.

- "Si elle avait été derrière toi, elle aurait vu ce qu'elle a fait."

Non, ce n'était définitivement pas moi qui parlais. Jamais je n'aurais pu ainsi la culpabiliser et c'était bien pour ça que je faisais comme si ça allait et venais me droguer là, loin d'elle, afin qu'elle ne sache pas combien elle avait pu me détruire avec sa jalousie et ses plans foireux. Elle n'était pas la seule en cause, attention, mais elle avait été le déclic. Qu'elle ne l'apprenne jamais. J'eus un petit rire un peu fou quand il me répliqua que mes amis n'avaient pas droit à l'erreur. C'était vraiment trop drôle ça.

- "A l'erreur? On ne parle pas d'erreurs là, on parle de mensonges. Vous êtes tous des putains de menteurs et d'hypocrites. Si je me défonce dans ces boyaux, c'est pour pas que Sorcha culpabilise, tu saisis? Même si elle mériterait de voir les ravages que ses petits plans peuvent provoquer."

Je haussais un sourcil quand il termina en disant que je ne sortirais pas d'ici tant que je n'aurais pas vidé mon sac. Ah oui? Je m'adossais contre le mur et allumais une clope, l'air de rien.

- "Super. J'ai tout mon temps."

Je tirais une latte et fis un rond de fumée.

- "C'est pas à moi de vider mon sac mon grand. Mon sac, je l'ai vidé l'autre fois. Bien plus que toi ou Sorcha. J'ai posé des questions et tu n'y as pas répondu. C'est toi qui as des choses à me dire, pas l'inverse. Mais je suis d'humeur magnanime. Quand est-ce que tu l'as revue? Et pourquoi tu es sorti avec elle? Sans même m'en parler? Tu comprends donc pas? Tu étais un ami Blue, un confident. Quand j'ai eu des ennuis, c'est chez toi que je suis venu. Et j'apprends par inadvertance que tu sors avec ma petite soeur? Tu savais très bien que je n'aimerais pas ça. T'aurais pu m'en parler tranquillement, aborder le sujet, mais non, vous avez préféré faire ça derrière mon dos. Et c'est arrivé à un mauvais moment. J'ai pété un plomb... Est-ce que tu sais seulement ce que c'est que d'accumuler de la colère? De ne jamais pouvoir l'exprimer, pas plus que la tristesse? Ben voilà, ce jour là, c'est sorti. T'avais raison, tu n'avais pas à prendre pour les autres. Et tu avais aussi raison : maintenant je me morfonds. Content?"

« Ce qu’ELLE a fait ? Nan Kieran, oh que nan. Rejette pas la faute sur les autres là. C’est facile de dire que c’est de sa faute hein ?»

Je voulais le secouer dans tout les sens. Arracher ce foutu sourire goguenard de son visage et les yeux avec ! Je me retenais, même si j’irradiais littéralement de rage. Ca devait le faire marrer d’ailleurs. Enfoncé dans sa déprime, il ne voyait plus rien d’autre que ça. Mais il n’avait pas tord, des menteurs, dans mon cas, c’était vrai et c’est sans doute ça qui décupla ma colère, la teintant de honte de aussi.

« Mais bien sur et quand tu auras redescendue, tu recommenceras parce que ce n’est pas elle qui culpabilise, c’est toi. Tu mens, tu mens en disant que ça va bien, tu mens quand tu dis que tu t’en fous, t’es carrément en train de me mentir là maintenant en disant que tu as peur qu’elle culpabilise. Traite moi de menteur si tu veux, tu vaux guère mieux ! »

Je haïssais son attitude ! Elle me rappelait tellement la mienne ! Combien de fois Crazy était venu me chercher dans un état bien pire ? Combien de claques m’avait il collé en supportant mes conneries ? En deux pas, je me plantais devant lui, lui arrachant cette foutue clope, retenant ma main qui ne demandait qu’a le tabasser un peu plus. Je comprenais soudain Crazy et ce que j’avais pu lui faire, vers quelle extrémité je l’avais poussé. Me foutant de tout, me détruisant pour une connerie, parce que quand on a gouter a la facilité, on ne peut plus s’en passer. Par ce que sa sœur, ou moi ou l’autre nana, on était des excuses au fond. Rien d’autre. En même temps, il me poignardait avec ses mots. Je lui mentais c’était vrai, et ça m’avait conduit a faire n’importe quoi, vraiment n’importe quoi, comme accepter cette foutue proposition de Sorcha. J’étais en colère, contre lui, contre moi aussi. J’attrapais soudainement son blouson a deux mains pour l’obliger a se pencher vers moi. Dans mes yeux, la rage, la honte aussi sans doute, de la douleur.

« Oh tu veux que je te réponde ? Quand je l’ai revu ? Samedi dernier..Alors que je faisais ce que je ne fais jamais d’ordinaire. Elle a vu ce que je ne voulais pas qu’on voit. Tu sais l’excuse qu’elle m’a servit en même temps que son plan foireux ? Elle voulait passer plus de temps avec toi, voila ce qu’elle m’a dit, en échange, elle disait rien. Et moi j’ai marché, c’était idiot hein ?! J’aurais dut me douter qu’il y avait autre chose, mais sur le coup, j’étais tellement soulagé que j’ai pas chercher. »

Mes doigts se crispaient sur son blouson, a m’en faire mal aux doigts, ça sortait en vrac, comme ça. Il me disait de vider mon sac, ben il allait être servit ! Et tant pis si ça bousillait inévitablement ce qu’il y avait entre nous. Je n’avais plus rien a perde, lui je l’avais déjà perdu. Ma voix n’était qu’un sifflement furieux.

« Mais je vais te dire, ta sœur, elle a jamais rien craint de moi. Je risque même de jamais sortir avec elle. T’as raison mon grand, j’arrête pas de te mentir en fait, tu la veux ta putain de franchise ? J’aime pas les filles Kieran. Je risque pas de les aimer un jour même et tu veux savoir pourquoi ? Parce que j’en suis une ! abruti ! »

Je le repoussais brusquement, le lâchant par la même occasion.

« T’exige la franchise des autres, t’es même pas foutu de l’être avec toi-même ! Tu condamne sans même savoir, sans rien vouloir savoir surtout ! Parce que y a que ton petit bien être qui compte, que toi ! Le pauvre petit Kieran est blessé ? Et ben le pauvre petit Kieran il va aller se shooter na ! On dirait un gosse !»

C'était facile de le dire parce que c'était vrai. Blue ne comprenait pas, personne ne semblait comprendre et j'en avais assez de passer pour le méchant de service. Je ne sais plus quoi faire, alors j'endossais ce rôle qu'ils semblaient vouloir me voir porter. Maintenant, j'étais un drogué pathétique en plus d'un meurtrier. La vie est belle. Mais ils mentaient tous et c'était ça que je ne pardonnais pas. Qu'ils se plantent, qu'ils commettent des erreurs, passe encore... Mais de là à me démolir à chaque fois, non. Je n'encaissais plus, je n'arrivais plus à prendre sur moi.

Blue me renvoya mes accusations en pleine face et je cillais. Oui, je mentais aussi, mais pour protéger Sorcha. Si elle voyait à quel point j'allais mal, elle sombrerait elle aussi et je ne voulais pas être responsable de ça, même si c'était illusoire de penser que je pourrais lui cacher bien longtemps ma nouvelle dépendance et mon mal être.

- "J'ai mal Blue. Depuis l'accident, je vis avec mes remords et je n'arrive pas à m'en dépêtrer. Tu la veux la vérité, je te la donne. Sans Sorcha, j'aurais déjà fait une connerie, dans le genre radicale, tu vois. Je n'arrive pas à vivre avec ça, je n'arrive pas à surmonter ça. Alors pour elle, je fais semblant. Je ne me mens pas à moi-même, je sais exactement ce que je suis et ce que j'ai fais. Mais je lui mens à elle, parce qu'elle, elle n'a pas mérité ça. Parce que si elle sait combien je crève de tout ça, elle sombrera à son tour et cela n'est même pas envisageable."

J'avais un discours assez paradoxal, je le savais bien. J'en voulais terriblement à Sorcha, je voulais qu'elle voit ce qu'elle avait fait, mais d'un autre côté, je voulais absolument la protéger de cette vérité peu reluisante et entretenir l'illusion que je maîtrisais encore ma vie. Ce qui était faux. J'avais répondu à Blue avec un calme effarant comparé à sa colère. Normal, j'étais stone. Et plus enclin à dire ce que j'avais sur le cœur, à faire tomber le masque.

Il m'agrippa alors par le blouson et je me penchais vers lui, le regardant droit dans les yeux alors qu'il répondait à mes questions. Il l'avait revu samedi dernier alors qu'elle l'avait choppé à faire un truc qu'il faisait jamais et qu'il ne voulait pas voir s"ébruiter. Un peu nébuleux dit comme ça, mais Sorcha avait décidé de le faire chanter, pour se rapprocher de moi. Je fronçai les sourcils.

- "Putain, je pensais pas qu'elle s'était muée en Méphisto..."

Parce que franchement, au niveau idée tordue, elle se posait là pour le coup. Moi qui l'avais toujours pensé sainte nitouche et sainte, je tombais de haut. Elle était capable de foutre quelqu'un dans la merde, juste pour avoir ce qu'elle voulait.

- "Tu comprends pas que c'est ça que j'ai du mal à accepter? L'under, toi, la fête, les filles, l'alcool, tout ça, c'est un truc auquel elle a pas accès, c'est mon échappatoire, mon jardin secret, une facette de moi qu'elle ne doit pas voir. Et voilà qu'elle sort avec mon pote et s'immisce dans cet univers... Comme si je n'avais plus aucune liberté. Plus rien simplement à moi."

Je n'arrivais pas à exprimer exactement ce que je ressentais à ce sujet. C'était limpide mais difficile à exprimer. Je n'étais pas égoïste et je l'adorais, mais j'avais besoin de sorties à moi, de temps à moi, de copains à moi, sans qu'elle soit toujours dans le coup. J'avais besoin de respirer. Cela n'enlevait rien à mon affection pour elle.

Il continua alors, de plus en plus furieux, me disant que Sorcha n'avait rien à craindre de lui. J'étais soudainement en alerte, comme pressentant un truc qui n'allait pas me plaire. Merde, il était vraiment gay? Et bien... Non.

La vérité était toute autre et elle me laissa complètement assommé. Comment ça, c'était une fille? Impossible, il ressemblait pas à une fille... Enfin, il avait des traits indéniablement pas virils, il était petit, mince, sans poils, mais de là à dire que c'était une fille... Non. Il me repoussa et je titubais, surpris et hébété. Mon cerveau était encore embrumé, pas possible autrement. Et voilà qu'il m'assenait encore une leçon? La rage me reprit alors qu'elle n'avait eu aucune emprise sur moi depuis le début. Mais là... c'était juste trop énorme quoi. Je me rapprochais de lui et m'emparais de son sweat, par le bas, tirant violemment vers le haut pour le lui enlever.

- "Tu peux pas être une fille."

Sans aucune délicatesse, je lui enlevais, me retrouvant avec un Blue en débardeur et un double détail à peine visible mais présent maintenant que j'y regardais de plus prêt. Soit il avait de petits seins, soit il les dissimulait. Euh non, elle. Il, c'était elle. J'étais largué. Et surtout, ce qui me sauta aux yeux, ce furent les hématomes là où je l'avais empoigné, qui juraient avec la délicatesse de son ossature. J'avais frappé une fille. Blue était une fille... Et à la lumière de cette révélation, toutes les petites bizarreries que j'avais remarqué me semblèrent soudainement limpides. Sa façon de me regarder, d'être gênée par notre promiscuité. J'y avais vu que du feu. Je lâchais son sweat, comme assommé, avant que mes jambes ne me lâchent et que je tombe à genoux, puis assis, me prenant la tête entre les mains. Plus que le mensonge révélé, c'était la honte de mes agissements qui le terrassait. Je l'avais frappée... Contre toute attente, je ne trouvais absolument rien à redire. J'étais épuisé. Je ramenais mes genoux vers ma poitrine et enfouis mon visage entre mes bras. Sans prévenir, sans plus aucune fierté, je me mis à pleurer. De culpabilité, de honte, de chagrin. Après la colère, l'abattement. L'abattement total. Et la redescente, surement.

Ah il mentait pour elle, pour la protéger. Mais j’étais bien placée pour savoir qu’un mensonge ne durait jamais, il ne pouvait être éternel.

Il me faisait mal par sa détresse, cette faiblesse qu’il avouait sans honte, ou du moins, la honte noyée dans la drogue. Il provoquait ma colère par cette attitude arrogante, mais il me perdait par l’aveu de sa souffrance. Sa sœur devenait envahissante juste parce qu’elle avait peur, terriblement peur de le perdre. Parce qu’elle savait qu’il allait mal alors poussée a ses extrémités, elle m’avait manipulée…Juste pour rester prêt de son frère, je ne cautionnais pas, mais je comprenais. Elle avait autant besoin d’elle qu’elle de lui. C’était évident, même pour moi qui n’avait vu qu’un peu de eux deux.

Je n’ai pas vraiment prémédité mes mots, ils étaient sortit tout seuls, sous le coup de la rage. Et même moi, je fus surprise pourtant je continuais sur ma lancée. J’arrachais ses œillères avec une délicatesse absente, lui crachant au visage cette vérité qu’il voulait tant entendre. De moi, des autres. Il se figea, incrédule mais je n’y fit pas attention, fixant son visage avec colère, détermination aussi parce que je n’étais pas prête de le lâcher tant qu’on aurait pas régler tout ça.

Il fondit sur moi tellement vite que j’ouvris la bouche de stupeur. Comment ça je pouvais pas être une fille ?

« Qu’est ce que t… »

Je n’ai pas eu le temps de dire ouf que mon sweat me passa au dessus de la tête et je crois que j’ai eu de la chance qu’il embarque pas en même temps mon débardeur. Sa tête aurait pu être comique si l’instant s’y était prêté mais sur le compte, je n’eus même pas envie de rire. Même avec ma bande sous le tissu, il restait visible que j’étais une fille. Impossible qu’il ne le remarque pas…Ca et les bleus qui me parcouraient.

Et puis il s’effondra soudainement, emportant avec lui ma colère qui fondit brusquement. Me laissant épuisée. Je me passais une main lasse dans les cheveux, ne songeant même pas a ramasser mon pull qu’il avait lâché. Un lourd soupir me traversa…

« Mais quand est ce que tu vas comprendre que t’es pas tout seul hum ? »

Finis je par murmurer en m’accroupissant à côté de lui, posant juste ma paume sur sa tête. Je savais qu’il pleurait, il en avait sans doute besoin. C’était toujours mieux que la colère ou l’amertume. Mieux que cette saloperie qu’il s’était envoyé dans les narines.

Finalement, même fou de rage, il restait terriblement vulnérable. Il n’arrivait plus a s’en sortir et refusait inconsciemment qu’on l’aide. Mais ce faisant, il réagissait avec trop d’ampleur, ressentait chaque problème comme une trahison, comme une blessure supplémentaire. Personne n’avait voulu le blesser, ce n’était que…des dérapages idiots, puérils…Mais qui pouvait faire si mal lorsque l’on ne croit plus en rien. Je ne parlais pas de son accident, de la mort de ses parents, c’était des choses qu’il devait accepter tout seul, personne ne pourrait le faire a sa place. Que ce soit moi, ou d’autre, on ne pouvait qu’être là au bon moment hein ?

Alors autant se taire et attendre que ça passe…

Quelque part, je n'étais encore qu'un gosse. J'avais perdu mon innocence dans l'accident et j'avais du grandir beaucoup trop vite, sans y être préparé. A 18 ans, il était surement temps, bien sûr, mais j'avais été trop insouciant jusque là, pourri gâté sans même m'en rendre compte. Peut-être qu'il avait fallu toutes ces épreuves pour que je me rende compte que j'avais été vraiment un connard et pour redresser la barre. Sauf que je n'avais pas du tout eu les épaules pour assumer tout ça. J'avais camouflé ma faiblesse derrière une force factice, pour Sorcha, sans panser mes propres plaies. J'avais construit un château sur des bases branlantes, cela ne pouvait bien sûr pas aller. Alors j'avais trouvé refuge dans mes addictions, dans mes excès. J'avais le sang chaud, je ne faisais rien à moitié, j'étais entier. j'avais essayé de me protéger en arrivant ici et pourtant, j'avais laissé des gens entrer dans mon monde, dans mon cercle intime, je m'étais ouvert à eux, avec prudence, mais totalement. J'aimais ou je haïssais, il n'y avait pas de demi mesures. Et ma colère avait été à la hauteur de ma déception.

J'appréciais énormément Blake. Elle était un rayon de soleil dans la grisaille londonnienne. Elle était vive, enjouée, à fleur de peau. j'avais accroché à son caractère excessif et passionné. Nous étions amis. Je n'aurais sans doute pas du l'embrasser, mais je n'avais rien forcé, juste provoqué, me trompant sur mes sentiments à son égard. Je ne l'aimais pas, pas de sentiment amoureux.

Blue était un refuge. Il appartenait à un monde de fête et de décadence et parallèlement, un monde où il fallait avoir la tête sur les épaules pour ne pas sombrer. Blue avait les pieds sur terre. Il... non elle, je n'arriverais pas à m'y faire, était de bon conseil, à l'écoute, sans juger. On pouvait partager les conneries, mais aussi les coups durs. Et quand je l'avais vue avec Sorcha, j'avais eu l'impression qu'il se retournait contre moi. Je n'étais pas jaloux, ni exclusif, il pouvait avoir ses amis, mais pas ma sœur...

Je songeais avec amertume que je m'étais promis de ne pas m'attacher à Aaron et que pourtant, j'étais en train de le faire. C'était un mec bien, qui ne méritait pas de mourir, vraiment. Sa vie était un enfer, parce que sa famille ne l'aidait pas alors Sorcha et moi, nous nous étions substitués à eux, pour adoucir un peu son quotidien. Et c'était la le piège. Quand il mourrait, je devrais encore assumer son absence et je n'étais pas certain d'être assez solide pour cela.

Les paroles de Blue me parvinrent. Quand est-ce que je comprendrais que je n'étais pas tout seul? La question méritait d'être posée en effet. Et je me rendis compte qu'elle avait raison. Je me détachais avec violence de tout le monde et me retrouvais seul, comme si j'avais besoin de cette solitude. Ce qui était illusoire, je n'en avais surtout pas besoin. Ça me tuait.

Je sentis une main sur ma tête. Blue. Devant ce spectacle pitoyable, elle n'avait pas prit la fuite. Je relevais finalement la tête, ayant pleuré tout mon saoul, vaguement honteux. Je m'essuyais les joues, avant de murmurer :

- "Je suis désolé pour ce spectacle pathétique. Entre ça et mon scandale de l'autre fois... Je me contrôle la plupart du temps, mais quand le vase déborde je suis... excessif."

C'était un euphémisme. Mon regard tomba sur les hématomes que mon pétage de plomb avait laissé sur sa peau fragile. Je me mordis la lèvre alors que ma main caressait les bleus avec douceur. Et remords.

- "Je ne savais pas... Si j'avais su, jamais je ne t'aurais fait du mal. Oh mon dieu, si Sorcha n'avait pas hurlé, si elle ne nous avait pas interrompu..."

J'aurais très bien pu lui balancer mon poing dans la figure. J'étais mortifié. Et pourtant, je trouvais encore le cran de faire une pointe d'humour :

- "Finalement, j'aurais du te laisser l'arnica..."

Et alors vint la question :

- "Pourquoi? Pourquoi est-ce que tu joues les mecs? Cela ne peut pas durer éternellement, tu ne pourras plus jouer dans quelques années, tu as bien du y penser... Et pourquoi tu ne me l'as pas dit? Sérieusement, j'ai cru que tu étais gay, tu vois? Tu ne fais pas totalement illusion, il y a quelque chose de... bizarre chez toi."

Ou dans sa façon de me regarder. D'être gênée quand je me mets torse nu ou que je la sers dans mes bras. Je faisais ça à une sorte de petit frère, mais pour elle, cela avait du être bien différent.

« Mouais…J’peux éventuellement pardonner le scandale, ou même l’attitude pathétique…Mais que je ne te retrouve plus jamais avec un rail dans les mains Kieran…Je suis sérieux…seuh ? »

Bon autant pour l’effet. A ma décharge, je n’avais pas l’habitude de parler de moi au féminin. Le masculin me venait plus facilement, même si je savais que je n’avais plus besoin de faire style avec lui…Je soupirais lourdement.

« Comme tu le dis si bien, tu savais pas et si ta sœur n’avait pas débarquée, tu aurais eu droit au coup d’pied là où ça fait mal. »

J’avais réprimé un mouvement de recul lorsque j’avais sentit ses doigts sur ma peau. Je n’avais pas l’habitude d’être touchée, c’est vrai, mais je crois que j’avais encore plus peur de son contact. C’était idiot quelque par, mais sans mon sweat ou simplement parce qu’il savait, je me sentais toute nue. C’était psychologique dirons nous. Il avait essuyé ses larmes. En général, on dit qu’un homme qui pleure était une larve, une tapette et j’en passe. Je n’étais pas spécialement d’accord. Il fallait de la force pour montrer ses faiblesses. Enfin, pour le peu que je sois objective le concernant. Ce qui n’était pas sur du tout. Je tendis le bras pour attraper mon sweat, fouillant dans les poches pour trouver mes clopes, si tant est qu’il ne les avait pas envoyé voler en me déshabillant a moitié. Finalement, je finis par mettre la main dessus, glissant une cigarette entre mes lèvres et lui tendant le paquet avant de l’allumer.

J’eus un petit rire, l’arnica. Mouais, je l’avais oublié celui là. Bah, je m’en remettrais.

« Ca guérira t’façon. »

Fis je avec un haussement d’épaule. Ce n’était pas bien grave et il n’avait pas a se sentir coupable pour ça. L’ignorance excuse parfois l’erreur, surtout lorsqu’on est laissé dedans sciemment. Je lui glissais un coup d’œil par en dessous lorsque je me pris de plein fouet son avalanche de question.

« Marrant, là, tu me fais penser a ta sœur…Elle a eu les mêmes questions. »

Soupirais je avant de me relever pour faire quelque pas. L’endroit était plutôt confiné et la pauvre loupiotte qui éclairait le boyaux ne rendait pas l’atmosphère joyeuse et entrainante.

« Dis moi Kieran, tu les vois comment les filles dans l’Under ? Tu sais quelles options j’avais ? La prostitution…Sympa mais pas tellement mon truc…La délinquance, j’ai donné, merci…Finalement, le plus simple était sans doute de tirer avantage de ce que j’avais…Ou n’avais pas dans mon cas. C’est con mais on emmerde moins un mec, même jeune qu’une fille. Plus tard…j’y pense pas, je suis pas comme toi, je vais pas au lycée, j’ai personne chez qui aller…Alors l’avenir pour le moment, c’est un gros bordel sans nom que je préfère pas regarder. »

Je me grattais la tempe, réfléchissant a la seconde partie de sa question. Oui, pourquoi ne lui avais je rien dis ?

« Et ça aurait changé quoi ? Ok, j’me serais pas retrouvée plaquée contre un mur, mais a part ça ? deux solutions, tu aurais cherché a coucher avec moi, j’aurais dis non, ça s’arrêtait là. Ou alors, il n’y aurait pas eu de début du tout ? Après, c’était trop tard, tu le dis toi-même t’es excessif…Finalement, c’était mieux comme ça. »

Je jetais ma clope loin de moi, baissant les yeux sur ma poitrine dissimulée. Je pouvais faire ce que je voulais, j’étais pas un mec, a force, ça se remarquait.

« Un truc qui cloche…Ouais…En même temps, j’évitais toujours qu’on soit trop proche de moi, avec toi, c’est raté. »

J'eus un petit rire de dérision, pas très convaincu. Pas de coke... Plus de coke. C'était facile à dire. Arriverais-je à m'en passer quand cela me délivrait de mes démons de façon plus qu'efficace? Pas sûr, mais ce n'était que la deuxième fois que j'en prenais, si je devais arrêter, c'était maintenant, avant que cela devienne vraiment trop difficile et que je vive l'enfer.

- "Ça me fait bizarre de t'entendre parler de toi comme une fille."

Vraiment bizarre et ça semblait lui faire le même effet. Elle n'était pas habituée. Je me demandais quel effet cela faisait de se faire passer pour un autre... De jouer un mec quand on était une fille. Cela ne devait pas être évident à gérer et toutes ses bizarreries me revenaient en tête, étayant cette révélation incroyable. Je m'excusais de l'avoir frappée, arguant mon ignorance, mais je n'aurais pas du perdre mon calme comme ça aussi. J'eus une grimace quand elle me rétorqua que si Sorcha n'était pas intervenue, elle m'aurait frappée là où ça faisait mal.

- "Clair que j'aurais été bien calmé... Et c'est une réaction typiquement féminine ça, tu sais?"

Je portais alors mes doigts sur ces vilaines marques. Encore une nouvelle pierre pour l'édifice de ma culpabilité, je n'en finissais pas. j'allais vraiment finir par me tuer avec toutes ces conneries. J'aurais du prendre ça avec un peu plus de légèreté.

- "Ça m'arrive d'être violent, mais jamais avec une fille... Crois-moi au moins là dessus."

Cela me paraissait indispensable, vital même. Non, il ne fallait pas avoir peur de moi, jamais je n'avais fait de mal à une fille, même si je m'étais déjà bagarré avec des mecs. Mais j'avais été bien éduqué. J'essayais de détendre un peu l'atmosphère en plaisantant sur l'arnica qu'elle m'avait filé quelques jours plutôt pour mon œil au beurre noir. Avec moi, elle n'avait pas eu le temps de fuir.

- "Les blessures physiques guérissent toujours mais... j'aimerais que tu ne gardes pas ce souvenir de moi."

Surtout pas. Plutôt les bons moments, notre complicité, que cette image terrifiante où je me jetais sur elle, la collant violemment au mur et la secouant comme un prunier, sans aucun égard, sans remord. Je lui demandais alors pourquoi ce travestissement. Elle me fit remarquer que je posais les mêmes questions que Sorcha.

- "En même temps, c'est normal, c'est quand même pas une attitude qu'on voit tous les jours et..."

Je me stoppais net, fronçant les sourcils, alors que mon cerveau se connectait.

- "Sorcha t'a vu en fille, c'est ça? C'est ça le truc inhabituel et qu'elle n'aurait pas du voir... Et tu voulais pas que je le sache, alors elle t'a proposé ce marché à la con pour se rapprocher de moi par ton biais..."

Ma voix était pensive, alors que je récupérais mes facultés intellectuelles. Sorcha m'épatait, mais pas dans le sens favorable du terme. Je ne la pensais pas si retorse, mais je la connaissais bien et je connaissais les rouages de son cerveau et comment elle pouvait raisonner. Elle se leva et se mit à me donner ses options concernant sa façon de vivre dans ce milieu. Elle avait raison, si elle avait grandi là dedans en temps que fille, elle aurait fini prostituée et droguée. Mais surtout, ça me fit mal de l'entendre parler de son absence d'avenir comme ça. Parce qu'elle ne méritait pas ça. Elle était intelligente, elle avait juste pas eu de chance. J'accusais alors le coup quand elle me répliqua que si elle m'avait dit la vérité, j'aurais cherché à coucher avec elle, ou je n'aurais rien recherché du tout. Coup dur, parce qu'elle avait une piètre opinion de moi concernant ma façon de gérer avec les filles. En même temps, je ne lui avais pas donné de quoi penser autrement songeais-je amèrement.

- "Attends, je ne traite pas les filles comme des putes et je ne cherche pas à coucher avec toutes celles que je croise tu sais? Certaines dans l'under ont vraiment la tête de l'emploi, toi... Non, je ne te vois pas en train de m'aguicher avec une mini jupe, me mettant ta poitrine sous le nez, tu vois?"

En même temps, je ne la voyais pas comme une fille, alors ça n'aidait pas. J'essayais de l'imaginer avec une robe, une jupe, un décolleté, des cheveux longs ou coiffée, maquillée, mais mon cerveau refusait cet effort d'imagination. c'est bon qu'il y avait ces petites bosses sur sa poitrine, sinon... Et là, elle me balança que ça ne se remarquait pas d'habitude, parce que personne n'était proche d'elle. pas comme moi. Je fronçai les sourcils.

- "Et pourquoi c'est différent avec moi?"

Je n’aimais pas son rire, pas vraiment.

« Tu n’as pas besoin de ça…Tu as l’impression que ça t’ aide a supporter la vie, mais c’est complètement faux. Ca t’aide juste a la pourrir. »

Je ris a sa reflexion, c’était vrai.

« J’te rassure a moi aussi ça fait bizarre. »

Parce qu’il n’y avait qu’avec Crazy que ça venait naturellement, mais lui, il était au courant depuis longtemps alors sans doute cela faisait maintenant partit de l’habitude. Je ne voulais pas tellement m’éterniser sur son pétage de plombs. Il ne m’avait pas réellement fait peur, il en fallait quand même beaucoup, mais je crois que je n’avais jamais imaginé qu’il puisse s’en prendre a moi ainsi. Pourtant, les mecs entre eux, ça se tape dessus parfois non ? Et même si il avait l’excuse de l’ignorance, je n’arrivais pas vraiment a l’oublier…Ca viendrait avec le temps.

« Ouais, mais je n’aurais pas eu le choix…J’m’en serais certainement voulu après coup remarque. »

Parce que je ne pouvais qu’imaginer la douleur que ce devait être bien sur, mais je savais que cela faisait extrêment mal. Clair que je l’aurais mit a genoux en rien de temps, surtout qu’il ne s’y serait pas attendu venant de moi. Je le regardais bien en face alors qu’il effleurait mes hématomes, pouvant parfaitement lire la culpabilité dans ses yeux.

« Stop. Je sais ça. J’t’en veux pas de toute manière, ça sert a rien de ruminer comme une vieille vache avec le même brin d’herbe dans le bec depuis trois plombes. Tu m’as s’couée, j’en suis pas morte, point. »

Parce que ce n’était pas de sa faute, en fait, c’était de la faute a personne. Le mauvais moment, le mauvais endroit, la mauvaise idée. En fait, il n’y avait pas de responsable a tout ça. Ni lui, ni moi, ni Sorcha.

« J’en est plein d’autre de toi… »

Mais celle là…J’avais encore du mal a l’avaler, je tenais a lui, beaucoup trop et le voir se déchainer contre moi avait été atrocement blessant. Mais ça, je préférais le garder pour moi, ça passerait, je le savais et puis, ce n’était pas comme si je mentais, j’avais plein d’autres images de lui..genre…

« Totalement mort saoul par exemple, c’était sympa, tu sais qu’tu bave en plus ? »

Pieu mensonge pour qu’il oublie le reste, il ne bavait pas, il pleurait…Je m’étais attendue a ses questions, mais peut être pas aussi vite, aussi tôt. Et je me fis la réflexion qu’il posait les même que sa sœur, sauf que je le fis a voix haute. Il sembla assembler les pièces du puzzle alors que je hochais légèrement la tête…

« Ouais, elle sait que je fais du 36…Quoique même moi je ne le savais même pas avant. C’était pas méchant de sa part, elle a juste peur c’est tout, elle ne pouvais pas deviner l’ampleur de ce qu’elle provoquait…Quand on aime, on est maladroit Kieran. »

Moi je l’étais avec lui alors je parlais presque d’expérience. C’était stupide. La preuve par la suite lorsqu’il prit mes mots de travers.

« S’pas tout a fait ce que je voulais dire Kieran. Tu peux nier ou me dire que non, une fille dans l’Under est cataloguée soit salope, soit lesbienne…c’est comme ça, je n’y peux pas grand-chose, même toi tu as bien dit que la plupart ne cherchait rien de sérieux, juste l’éclate… »

Par contre, je ne pus m’empêcher de rire a sa remarque. Mini jupe et décolté sous le nez.

« Je ne sais même plus comment c’est de s’habiller en fille alors je suis pas prête de mettre ce genre de fringues. »

Cela dit, il avait raison dans un sens, je pouvais faire illusion lorsque l’on ne s’invitait pas dans ma vie, lorsqu’on s’arrêtait aux limites que j’opposais et forcément, je me repris la question de plein fouet. Pourquoi est ce différent ? A vrai dire, j’en savais rien. Je savais pourquoi je ne voulais pas qu’il en sorte, mais je ne savais pas pourquoi il y était entré, ni comment…

« Tu vas rire…mais j’en sais rien du tout. »

Je revins m’assoir a coté de lui, posant mes bras sur mes genoux relevés.

« Mis a part Crazy, je garde soigneusement tout le monde a distance. J’ai des potes, des connaissances oui, des amis…j’en avais pas jusqu'à toi. Enfin, je sais pas si je m’exprime bien en fait. J’ai pas l’habitude de parler autant. Je sais que je tiens a toi, après me demande pas pourquoi, j’en sais rien. »

J’aurais bien aimé ravaler mes paroles parce qu’il pouvait le prendre mal…Enfin pas de la façon dont je voulais qu’il le comprenne, même si en vérité, c’était exactement comme cette façon là mais ça, ça resterait en moi, si je devais mentir, surement que je le ferais juste pour ça. Après tout, si je n’avais pas été assez bien pour Sorcha, c’était pareil pour lui. Parfois, j’aurais juste aimé que ma vie soit un peu moins compliquée. Juste un peu quoi…

- "Ouais, sauf que ça la rend moins insupportable pendant quelques temps et c'est déjà bien... Mais relax, j'y toucherais plus."

Non parce que ça avait l'air de bien la faire flipper quand même et je ne voulais pas qu'elle s'acharne là dessus. C'est bon, je n'y toucherais plus. Du moins j'essaierais. Je lui fis remarquer que ça faisait vraiment bizarre de l'entendre parler d'elle au féminin, j'aurais du mal à m'y faire je crois. Comme j'avais du mal à accepter avoir tabassé une fille. Je m'excusais réellement, regrettant mon éclat. Sa réponse me fit grimacer. Un coup de pied dans le bas ventre m'aurait mit KO, c'était clair, je n'aurais jamais attendu ce coup là d'un autre mec. J'étais mortifié de lui avoir fait mal et j'essayais de lui faire comprendre que cela ne me ressemblait pas, que ce n'était pas mon genre et que je ne voulais pas qu'elle ai ce souvenir de moi, qu'elle oublie ma violence pour me conserver que nos bons moments. J'avais du lui foutre une sacrée trouille. Elle me stoppa alors dans mes remords, me disant que ça servait à rien, qu'elle ne m'en voulait pas, que je l'avais secouée, oui mais qu'elle n'en était pas morte. D'accord, mais quand même... Cela dit, je n'ajoutais rien.

Elle continua en disant qu'elle avait plein d'autres souvenirs de moi et je haussais un sourcil, dans l'attente. Évidemment, elle me balança ma jolie cuite chez elle.

- "Oh non... Quand je pense à tout ce que j'ai pu dire ou faire en pensant que t'étais un mec alors que non... Je vais aller m'enterrer."

Parce que j'avais carrément eu la honte quoi. Cela dit, je ne bavais pas, quelle mauvaise foi! Quoique saoul, c'était peut-être possible en fait, je n'en savais rien. La dernière fois, je me souvenais juste avoir cauchemardé et m'être réveillé les joues humides. Putain, elle allait penser que j'étais une mauviette et que je ne faisais que chialer comme une fille. Je préférais changer de sujet et assembler les pièces du puzzle concernant sa relation avec ma sœur. Bien vu. J'avais bon sur tout la ligne.

- "Du 36? Tu sais le nombre de nanas qui tueraient pour faire cette taille?"

Je préférais en rire. C'était moins traumatisant pour mon petit cerveau. Mais sa phrase me fit détourner les yeux, pensif. Quand on aime, on est maladroit... Peut être bien, je n'avais jamais été amoureux en fait. Et j'aimais Sorcha à la folie...

- "Ouais, casser la gueule de son copain, je suppose que c'est une maladresse dans le même genre?"

Elle me parla alors de ses perspectives de survie dans l'under, avant de me dire que cela ne servait à rien de me dire la vérité, que je l'aurais vue différemment. Au mieux, je tentais de coucher avec elle, au pire, je l'ignorais. C'était un peu radical, mais elle avait raison dans un sens et cela me vexait. Je tentais de me défendre, mais en vain et je laissais tomber. Je ne savais pas comment lui prouver que je n'étais pas qu'un enfoiré qui se tapait les filles à gogo, mai que je savais avoir des copines de façon régulière. Sur la quinzaine de copines que j'avais eu, je n'avais couché qu'avec 4 d'entre elles. Je ne comptais pas les coups d'un soir. Je plaisantais alors que sa façon de s'habiller, aguicheuse, que je doutais fort de voir. Cela la fit rire et elle me confirma qu'elle ne se fringuerait pas ainsi.

- "Tant mieux, c'est vulgaire. J'aime cela sur des filles que je ne connais pas, mais je ne l'approuve pas sur les amies. C'est juste bon à exciter un mec, mais pas à le garder..."

C'était bizarre de parler de ce genre de choses avec elle. Finalement, homme ou femme, cela ne changeait pas grand chose à notre relation et j'étais soulagé d'être toujours assez à l'aise pour lui parler de tout et de rien, de ne pas me mettre une barrière juste parce qu'elle était une fille. Cela ne changeait pas sa façon d'appréhender les choses n'est-ce pas? Toutes nos discussion, sa façon de penser, tout cela n'avait pas changé. Je fis remarquer qu'elle ne ferait plus illusion bien longtemps. Elle ne laissait personne approcher et risquer d'éventer son secret. Mais moi, elle m'avait laissé approcher et je lui demandait pourquoi. Sauf qu'elle n'avait pas de réponses. Elle tenta néanmoins de m'éclairer. J'étais son seul ami, vrai ami et elle tenait à moi. Comme je tenais à elle.

- "Pour être honnête, perdre ton amitié a été l'un des déclencheurs de... enfin, du fait que je sois là quoi."

Si je m'étais drogué, c'était aussi pour ça, parce qu'elle me manquait. Parce que notre complicité me manquait, nos leçons, nos délires, nos échanges.

- "Tu as eu peur qu'en me révélant la vérité, j'allais t'abandonner? Changer de comportement avec toi? Que j'allais te tourner le dos parce que tu étais une fille? Ça aurait pu, mais bizarrement... Non. Cela ne change rien, sinon que j'éviterais de me promener à poil devant toi dorénavant."

J'eus un petit sourire en coin. J'aimais Blue. Sa présence, sa façon d'être grave, et légère en même temps, de ne pas se prendre la tête. D'être réconfortante. Et je commençais à comprendre que mon malaise de ressentir certains émotions avec un jeune garçon était déjà davantage normal avec une fille. C'était rassurant. Mes yeux n'avaient rien vu, mais ce n'était pas le cas de mon âme ou mon cœur.

- "C'est quoi ton vrai nom?"

Je n’ajoutais rien, mais le coup d’œil que je lui jetais valait toute les paroles du monde. Je m’assurerais qu’il n’y touche plus, qu’il n’essaie même pas de me leurrer, on ne pouvait pas tromper un ex camé la dessus, c’était impossible.

C’est vrai que je devais l’avoir choqué avec mes révélations, qu’il culpabilise pour m’avoir secouée comme un prunier, marqué ma peau, tout ça, ce n’était pas grave. Même si je ne pouvais pas oublier si facilement que je le laissais entendre. Quelque part, j’étais contente d’avoir vu toute ses facettes, parce que j’étais sure de les connaitre toute ou presque. Je voulais pas qu’il continue a penser a ça alors je balançais la première connerie qui me vient, en ajoutant un peu dans l’image caricaturale. Mais je me voyais mal lui dire qu’il pleurait. Un mec reste un mec, fier par certain coté, alors transformons les larmes en bave, moins glamour mais moins traumatisant pour lui. Il eu une moue comique qui me fis rire doucement.

« Ca va, ca va, je suis pas choquée ni traumatisée a vie, j’ai toujours été plus ou moins entourée de mec donc je connais. »

Sauf qu’avec eux, j’étais a l’aise, avec lui, un peu moins. Je pensais que ça passerait mais même pas et ce n’était pas vraiment étonnant n’est ce pas ? Mais même comme ça, j’étais bien ainsi, même si je devais rougir ou détourner les yeux de temps en temps. ! Je ne sais pas tellement comment on en vient a parler de ma taille de jean, mais toujours est il que sa réflexion me fit hausser un sourcil.

« Ah bon ? Ben j’ai pas tellement de références tu vois donc…Enfin, le jean me paraissais vraiment petit…et ça moule comme pas permis quoi…Comment tu veux bouger la dedans ? »

Enfin de mon point de vu quoi. J’étais trop habituée a m’habiller trois tailles de trop, voir quatre alors peut être que c’était normal de se sentir comprimé dans un jean a sa taille. Je savais pas trop, je me souvenais avoir eu l’impression d’être totalement nue. C’était déstabilisant. Non j’étais pas prête de renouveler l’expérience, alors parler mini jupe, fallait pas rêver

Et puis la conversation dévia sur sa sœur et je souris légèrement narquoise alors qu’il se comparait a sa sœur. Peut être pas dans les réactions mais dans le mécanisme.

« Je vois mal ta sœur casser la gueule a tes copines, mais par contre, je la vois bien œuvrer dans l’ombre. Donc oui, c’est pareil.»

Bougonnais je avec une légère ironie. Moi, j’avais eu droit au deux, j’avais de la chance dites donc ! Je ris a sa manière de m’imaginer en mini jupe, c’était idiot, cela n’arriverait certainement pas.

« Mouais, t’façon exciter les mecs, c’est pas tellement dans mes cordes ça. »

Riais je parce que je savais pas comment faire. Oh je ne dis pas que j’étais vierge, a vrai dire, j’en savais même rien, la période nébuleuse de la cock m’apparaissait trop floue, trop lointaine. Je ne savais plus parfois ce que j’avais fait la veille et je ne préférais pas y penser. Mais mon sourire mourut a ses mots.

« Tu ne l’as jamais perdu. Je crois que c’est ça que tu comprend pas en fait. Y avait aucune raison que tu la perde, sauf ton coté borné mais ça, je crois que je peux gérer. »

Sans doute parce que je pouvais être plus têtue que lui. Je m’accrochais pour ce que je voulais, ce que je pensais juste et je n’en démordais pas. Pourtant, ce que faisait les autres m’importait peu bien souvent, mais pour ceux auquel je tenais, ce n’était pas pareil. Je ne jugeais pas leur acte ou leur pensée, mais ils savaient que je n’étais pas d’accord.

« je veux bien que tu pète des câbles de temps en temps mais te dis pas pour autant que tout s’arrête. »

Je secouais légèrement la tête a la suite. Il enchainait les questions a une vitesse affolante parfois, ne me laissant même pas le temps d’y réfléchir.

« Sans doute. C’est idiot mais bon…Tu est trop entier pour accepter la demie mesure. Tu fais confiance, tu veux qu’on te fasse confiance, c’est tout ou rien, pas de nuances. Alors ouais, on peut dire que j’étais pas spécialement tranquille et puis, je suis un peu lache quand même. Ca fonctionnait bien comme ça…J’avais pas envie que ça change. Mais ce que je suis, fille ou mec, ça change pas vraiment qui je suis… »

Mais je finis sur un rire parce que si en fait, quelque chose changeait. La pudeur, tout simplement. Celle qui se met en place lorsque deux personnes de sexes opposés sont ensemble. Mais quelque part, c’était tant mieux pour moi, je risquerais moins la crise cardiaque.

Je le regardais, surprise alors qu’il me posait sans doute la question la plus simple de la soirée…Mon prénom. Un sourire fleurit sur mon visage.

« Sasha. »

Ca sonnait russe, pas du tout ce que je laissais entendre de mes origines sur mon visage. Mais c’était mon prénom et mine de rien, je l’aimais bien, même si personne ne le connaissait vraiment.

L'incident semblait clos. Enfin, les incidents. D'abord celui de la drogue. Je lui assurais que je n'y toucherais plus et je compris à son regard qu'elle s'assurerait en effet que je respecte ma parole. Elle avait connu l'enfer de la drogue, elle ne souhaitait surement pas que je le traverse moi aussi. Et concernant notre accrochage, elle ne m'en voulait pas, elle vivait dans un milieu d'hommes, elle avait l'habitude des bagarres. Sauf que je doutais qu'elle ai déjà été une des victimes auparavant. D'habitude, elle fuyait, là, je ne lui en avais pas laissé le temps.

Je fis alors le lien entre elle et Sorcha et la façon dont elles s'étaient connues. La façon que Sorcha avait utilisé pour la manipuler et obtenir ce qu'elle voulait. Détruisant notre amitié au passage. J'étais certain qu'elle avait su que j'allais m'énerver et envoyer promener Blue. J'avais été pareil avec tous ses copains, mais pas à ce point. Elle savait que Blue était une fille et elle l'avait mise sciemment en danger face à moi. J'allais l'étrangler.

Je notais quand même qu'elle faisait une taille 36. Petit gabarit donc, je l'avais deviné sous les vêtements trop larges, mais pas à ce point. Je plaisantais alors sur le fait que des centaines de filles tueraient pour faire cette taille. Je le savais, j'avais eu plein de copines qui se plaignaient tout le temps d'être trop grosses.

- "C'est sûr que si tu passes du baggy au slim en un seul coup, ça doit faire bizarre... Mais, il n'y a pas que les filles qui mettent des jeans moulants, c'est juste une question d'habitude et c'est toi qui en as prit une mauvaise."

Y'avait même des mecs qui mettaient des slims, alors... Bon, ça, je n'étais vraiment pas fan. Je me contentais des jeans ajustés et cela ne me posait aucun problème. J'aurais été mal à l'aise dans les fringues de Blue, informes, trop larges. Je n'étais pas vaniteux, mais de là à cacher autant mon corps, non.

- "Les filles sont fourbes, c'est bien connu."

Ouais, si moi, j'attaquais de front, il était clair que Sorcha était du genre à manipuler pour obtenir ce qu'elle voulait. C'était typiquement un truc de gonzesse ça. Bien sournois. Je plaisantais alors que une Blue en mini jupe, avant de préciser que je trouvais ça vulgaire. Ça affolait les hormones, mais étant donné les nanas qui s'habillaient ainsi, ce n'était surement pas pour quelque chose de sérieux. Et je ne voyais pas Blue ainsi habillée. Blue que j'avais pensé perdre, ce qui m'avait anéanti. Elle ne riait plus à ma confession. C'était l'heure de vérité pour nous deux et j'apparaissais sans masques face à elle, je ne jouais plus les bravaches.

- "Je sais. C'est moi qui coupe les ponts violemment."

Tu m'as fait mal, je te quitte, pas de demies mesures, pas de pardon. Quoique si, à froid, je savais reconnaître que je m'étais emballé et reconnaître mes torts.

- "Normalement, je ne pète pas les plombs comme ça, tu sais... Avant... J'étais colérique, oui, mais pas à ce point. Depuis l'accident, je me suis efforcé de tout enfouir, de ne plus exploser et du coup, ça a été pire quand je n'ai plus rien contrôlé."

Je lui posais alors des questions, sur le pourquoi de son silence à mon égard. Non, mieux, je faisais des hypothèses, toutes bonnes apparemment. Elle ne voulait pas que les choses changent entre nous. Je souris à son petit rire.

- "Non, ça ne change pas grand chose."

Juste qu'elle n'aura plus à dissimuler ses réactions de fille en ma présence. Et que moi, je devrais faire gaffe à mes gestes avec elle, qu'elle n'aille pas les interpréter de travers. Voilà ce qui changeait tout dans une amitié homme-fille. Il y avait toujours la possibilité que les sentiments s'en mêlent. Je lui demandais son nom, cela m'intriguait et elle me le livra simplement. Sasha. Elle souriait, ravie de pouvoir me le livrer et je me fis la réflexion que j'avais été idiot de ne pas voir que ce sourire était celui d'une femme. Comme quoi, quand on était persuadé d'un truc, on avait de sacrées œillères.

- "Tu permets que je t'appelle Sasha, en privé? J'ai l'impression que t'appeler Blue serait renier que tu es une fille, ce serait parler à une autre personne... C'est bizarre... Quoique t'appeler Blue et faire comme si t'étais un mec devant les autres, c'est tout aussi bizarre."

Je soupirais. C'était un peu embrouillé dans ma tête. Je me levais alors. j'étais resté bêtement assis pendant qu'elle faisait les 100 pas, mais c'était bon, la drogue ne faisait plus effet, Sasha avait réussi à me faire redescendre à vitesse grand V. J'approchais d'elle et la pris doucement dans mes bras, de façon moins vive que la dernière fois, quand je pensais étreindre un petit frère. Maintenant, j'avais l'impression que de serrer trop fort pourrait la briser. J'étais plus... délicat.

- "Merci de t'être accroché. De ne pas m'avoir tourné le dos alors que moi, je n'ai pas hésité à le faire."

« Possible, de toute manière j’ai pas tellement l’occasion d’en mettre… »

Ajoutais je en me grattant pensivement la tempe. Non pas vraiment, au boulot, j’étais un mec, dans l’Under, j’étais un mec, a bien y penser il n’y avait que sous la douche et dans mon lit que j’étais une fille…enfin quand j’étais seule généralement. Quelque part, je me sentais soulagée de le lui avoir dit, c’était comme m’ôter un poids des épaules, une culpabilité latente parce que je lui mentais, je le trompais et que quelque part, je n’étais pas digne de sa confiance.

« Fourbe quand il s’agit de ce qu’elles veulent ou on peur de perdre. Franchement, j’peux pas dire que je cautionne mais j’peux comprendre dans un sens, même si je l’aurais volontiers claquée…Elle s’en voulait, c’était assez visible. »

D’avoir foutu une fille entre les pattes de son frère en mode buldozer quoi. Elle le savait et savait aussi que son frère s’en voudrait si il venait à le savoir. Bingo sur toute la ligne. Cela dit, je refusais qu’il s’en veuille pour ça, c’était pas de sa faute, c’était tout. J’aimais retrouver cette complicité que l’on avait bien cru perdre. Moi parce que je pensais qu’il changerait si il savait que j’étais une fille, lui par ses réactions trop fortes, ingérables pour lui. Il le savait mais quelque part, il était ainsi.

« C’pas vraiment le truc a faire. Se contenir jusqu'à l’explosion j’veux dire. C’est plus simple de régler les choses avant qu’elles ne prennent trop d’place. Tu veux a tout prix convaincre ton monde que tu t’en sors, alors que c’est faux, résultat…Ben vala, j’ai heurter amoureusement un mur. »

J’en riais bien sur, c’était dit avec amusement. Plus tard, il arriverait a en rire, mais c’était peut être un peu trop tôt, trop frais dans son esprit. Finalement même si j’avais l’impression de m’embrouiller dans mes explications, il semblait comprendre, fin d’esprit comme il l’était cela ne m’étonnais pas vraiment. Il était sans doute plus instinctif que je ne l’aurais cru au départ, c’était peut être pour ça qu’il avait remarqué tant de petites choses chez moi qui ne collait pas avec ce que je voulais montrer. Et puis, je crois que pour moi, c’était comme sceller ce qui nous liait, lui donner mon prénom. C’était idiot mais j’me souvenais plus la dernière fois qu’on me l’avait demandé. Même Sorcha n’y avait pas pensé. Pourtant, il était évident que « Blue » ce n’était qu’un surnom, quelque chose derrière lequel je me cachais.

« Oui. – répondis je avant de pouffer - Bah, il n’y a que dans l’Under sinon, le reste du temps, fais comme tu le veux. Mais ici, je préfère pas que ça se sache, t’vois, certain n’ont pas ton calme après ça donc…Oh et puis je tiens pas tellement a me retrouver avec des probs sur le dos. »

Ajoutais je en haussant une épaule avant de devoir lever la tête parce qu’il s’était levé. S’approchant de moi, il ouvrit les bras et finalement, si la première fois m’avait laissé un peu surprise au point de ne pas savoir comment réagir, cette fois, non. Même si j’avais du mal a me faire fraternel, ce n’était pas ce que je ressentais mais c’était ce qu’il voulait, alors je remontais mes mains sur son dos, lui rendant son étreinte avec un certain plaisir dissimulé.

« Je te ressemble un peu Kieran, mais ce que je donne, je ne le reprend pas. »

Puis, je me détachais doucement de lui avant de ramasser mon sweat et de l’enfiler, les boyaux, s’pas vraiment un sona quoi…

« Tu reviendras m’apprendre a lire ? »

Lui lançais je par-dessus mon épaule, un sourire amusé aux lèvres…

- "Pour le moment."

Ne te berce pas d'illusions Blue... Vois plus loin que le bout de ton nez. Elle n'allait quand même pas rester éternellement dans ce milieu, sans aucune perspective d'avenir? Elle avait des chances de faire autre chose, j'étais convaincu de son intelligence. Pour les études, c'était sans doute mort, mais il existait d'autres façons de procéder, des apprentissages... Et j'avais envie qu'elle sorte de là. Elle ne méritait pas ça. je fis alors remarquer que j'avais un peu les mêmes réactions de Sorcha, en plus violentes et Blue renchérit en disant que Sorcha agissait plutôt dans l'ombre. Oui, les filles étaient fourbes, ce n'était pas nouveau.

- "Elle aurait pu y réflechir avant."

Oui, elle regrettait. Regrettait sans doute que j'ai découvert le pot aux roses si facilement. Sinon, elle s'en fichait surement royalement et ne regrettait pas d'avoir essayé de me récupérer. Je ne pouvais pas cautionner ça, mais je pouvais le comprendre. Je tentais alors d'expliquer mon pétage de plomb. De me justifier. D'habitude je n'étais pas aussi violent, mais là, j'avais voulu être quelqu'un d'autre, nier mes propres faiblesses pour aider Sorcha à surmonter son deuil. Grave erreur. Blue avait raison. Ce n'était pas bon de tout garder. Mais je n'avais pas eu le choix.

- "Je ne pouvais pas m'effondrer Blue... Pas avec Sorcha. Elle n'a plus que moi, je suis l'aîné, je suis responsable d'elle. Si je suis aussi anéanti qu'elle, comment veux-tu qu'elle s'en sorte?"

Ca me semblait tellement évident, que je ne voulais pas montrer ma faiblesse. J'étais un mec, j'étais le grand frère, c'était à moi de prendre soin de Sorcha, à veiller sur elle, à lui faire oublier tout ça ou l'aider à le surmonter. Elle ne devait pas s'inquiéter pour moi. Alors qu'elle avait en effet toutes les raisons de l'être. Je ne surmontais rien du tout, je perdais pied, je m'énervais, je sombrais dans la drogue... Je lui avais assuré que j'allais bien, j'avais menti.

Je demandais alors le prénom de Blue. Son vrai prénom. Logique, Blue n'était qu'un pseudo, son pseudo de gamin des rues. Elle n'était pas née appelée ainsi. Elle me livra son nom avec un plaisir évident. Sasha. J'aimais bien. J'aurais pensé à un truc plus... asiatique, mais non. Comme quoi, les préjugés... Je lui demandais la permission de l'appeler ainsi quand on était tous les deux, lui expliquant combien c'était une situation bizarre pour moi.

- "D'accord... Même si Sasha, ça peut aussi aller à un mec tu sais."

Je fis alors un truc un peu dingue, mais totalement dicté par les sentiments plutôt que la raison. Je me levais et la pris dans mes bras, la remerciant de m'avoir donné une chance alors qu'elle aurait pu me vouer aux gémonies. Ses mains glissèrent dans mon dos et cette fois, ce fut moi qui ressentis une certaine gêne. Un drôle de pincement à l'intérieur. Elle se détacha et remis son sweat, dissimulant ses attributs féminins à ma vue.

- "Tu me ressembles? En quoi? Tu es calme, posée, mature... Moi... J'ai l'impression d'être tout le contraire."

Elle me demanda alors si je reviendrais lui apprendre à lire. Je souris.

- "Oui. Ce serait un gâchis que de ne pas te l'apprendre... Tu es intelligente Sasha. Si tu avais pu aller à l'école plus longtemps, si tu pouvais aller au lycée en ce moment, je suis persuadé que tu aurais ton bac haut la main."

Pour le moment…Je ne répondis pas. Je ne savais pas quoi faire plus tard, ni même si j’avais un plus tard d’ailleurs. Je trainais comme ça depuis trop longtemps, sans vraiment penser a demain. C’était comme ça, je n’arrivais pas a me projeter dans l’avenir. Je ne me voyais pas secrétaire, ou alors serveuse ou même maman. C’était trop nébuleux.

« Ouais, c’est sur. »

Mais Sorcha n’avait pas réfléchit, elle avait sauté sur la première occasion de récupérer son frère. Pourtant, je n’étais pas un danger. Je pouvais être un pote, un ami, un confident, mais jamais je ne pourrais remplacer une sœur. Un de ces quatre, je le lui dirais a cette veuve noire en devenir. C’était une relation un peu étrange qu’ils avaient. Lui persuadé de faire illusion devant sa sœur, voulant se montrer fort alors qu’en fait, il n’en était rien. Elle sentant que ça n’allait pas et incapable de lui en parler. C’était bizarre.

« Mouais. Mais elle a peut être envie de sentir que tu as besoin d’elle. Si tu fais ton fier tout le temps, le fort, elle aura l’impression de ne servir a rien….M’enfin, je ne suis pas psy en même temps et sans doute pas la mieux placée pour parler de ça… »

Certainement pas même, je n’avais pas de frère pas de sœur..enfin pas que je sache, difficile a dire étant donné mon peu d’information sur mes géniteurs. Donc les relations frère sœur, je ne connaissais pas vraiment. Mais j’avais un bon jugement sur la nature humaine, je croisais tellement de monde, tellement différent et même si je ne m’arrêtais jamais vraiment longtemps sur eux…j’aimais les observer parfois. Mais mes pensées m’échappèrent alors qu’il me demanda mon prénom. Il avait une sonorité un peu étrange dans sa bouche, cela me faisait bizarre, tellement habituée a ce qu’il m’appelle Blue. Ce n’était pas désagréable, pas du tout même et je ris lorsqu’il me dit que ça allait aussi pour un mec.

« S’pas fait exprès pourtant ! Mais je préfère que tu le fasse en privé, personne n’utilise mon prénom, je ne sais même plus d’où est sortit Blue…Alors parfois j’oublie Sasha, il me faut quelqu’un pour me rappeler. »

Fis je avec un clin d’œil amusé, dissimulant le fait que j’aimais cette intimité, ce lien spécial qui semblait ce nouer avec l’usage de mon prénom. Même si pour lui, ce n’était qu’un prénom. Me retrouver contre lui, avec son parfum m’entourant avec une saveur bien spéciale pour moi, même si au final, il n’y avait rien de particulier la dedans. Je pouvais l’illusionner n’est ce pas ? Alors j’avais un peu fermé les yeux, me laissant aller avant de m’échapper, de cacher mon trouble en me rhabillant.

« Arrête, on dirait que je suis un bonze…Non je parlais juste de cette espèce de barrière de sécurité qu’on pose autour de nous. Y rentrer est difficile hein ? »

Puis, je lui posais une question qui m’amusait tellement la réponse était évidente.

« Avec des si, on ne referait le monde Kieran. J’ai juste pas eu de chance, c’est tout, autant faire avec plutôt que se morfondre. »

Je tirais sur mon sweat avant de me rapprocher a nouveau de lui, de me hisser sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue.

« Quelque part, tu avais raison, tu es trop bien pour moi. »

Fis je avec le sourire, bien qu’a ce moment là, il parlait de sa sœur, non de lui, mais quelque part, n’était ce pas la même chose ? A peu de chose prêt sans doute. Finalement, je me détournais en lui faisant signe de me suivre.

« Me perd pas de vue, quelque chose me dit que tu trouverais le moyen de te perdre… »

En même temps, c’était presque sur.

- "Elle sait qu'elle est utile... Elle sait que sans elle, je n'aurais pas eu le courage de continuer..."

J'avais détourné le regard et murmuré alors que j'évoquais à mots voilés, une possible tentative de mettre fin à mes jours. Nous avions eu cette discussion avec Sorcha. Sans elle, je ne serais plus là. Tant qu'elle aurait besoin de moi, je ne serais pas égoïste et je ne m'apitoierais pas sur moi-même au point de faire cesser la souffrance et de lui en infliger une nouvelle. Ce n'était pas un sujet très joyeux et il n'attendait aucune réponse de la part de Blue. Que pouvait-elle bien répondre à cela de toutes façons? Rien, juste rester muette et me regarder, en se demandant jusqu'à quel point je pouvais être dépressif. Et si j'avais effectivement assez de force pour ne jamais passer à l'acte et tenter de passer outre ce sentiment terrifiant.

Je lui demandais son nom, le mémorisant avant de m'amuser à le prononcer. Elle ne devait pas être être habituée si personne ne l'appelait jamais ainsi. Encore moins avec un accent irlandais mélodieux. Je fis remarquer que ce prénom pouvait aussi être masculin, ce qui la fit rire.

- "Je te le rappellerais alors. Sasha gagne à être connue."

Je la pris dans mes bras, sans arrière pensée, même si elles m'envahirent de façon insidieuse au contact de ses mains dans mon dos. De la part de Blue, cela m'avait paru bizarre, de la part de Sasha, cela était... Plus naturel, mais aussi dérangeant. Sans être désagréable. Loin de là. Elle me dit alors que nous nous ressemblions, ce que j'objectais, pas vraiment d'accord. Ma description de ses qualités l'amusa, mais elle s'expliqua. Ah oui, cette barrière...

- "Je ne l'ai mise que récemment. Il n'y a que Blake et toi qui avez réussi à passer outre."

Et quand je laissais entrer, j'aimais sans conditions. La déception née de la désillusion n'en était que plus violente et tout s'expliquait alors. Elle devait comprendre, si elle était pareille que moi. J'acceptais bien entendu de redevenir son prof particulier, avant de vanter son intelligence. Elle répondit qu'il n'y avait pas à se demander ce qui aurait pu être, ça ne servait à rien.

- "Si on ne peut pas changer ce qui a été, on peut toujours modifier ce qui pourrait être."

Je la laissais méditer là dessus. Alors bien sûr, ce serait très difficile. C'était clair. Peut-être même impossible, mais il y avait toujours une chance d'améliorer sa vie, avec de grands rêves, avec des buts. Elle s'approcha alors et m'embrassa sur la jour en me disant que j'étais trop bien pour elle. N'importe quoi, je ne valais pas mieux qu'elle, mais je ne répondis pas, stupéfait. Elle se détourna et malgré moi, ma main se posa là où la trace de ses lèvres semblait avoir laissé une marque de feu. Elle me fit signe de la suivre et de ne pas la perdre de vue, au risque de me perdre.

Perdu, j'avais l'impression de l'être déjà.

Je lui emboitais le pas, sonné, autant par la drogue, que par la révélation qu'elle m'avait faite... Et par ce baiser d'amitié qui me brûlait...

» Trois... deux... un... FLOODEZ !
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