Face à Face [Myriam et Alice]

Quelque part au-dessus de ma tête, un oiseau lâcha un cri. Ma tête se leva pour essayer de repérer le furieux volatile, ne rencontra que l’azur infini du ciel. En soupirant, je tâchai d’oublier tout ça pour me concentrer sur ce que j’essayais de faire, en vain, depuis quelques heures déjà. À savoir une rédaction complète sur la grande Doris Lessing que j’avais insultée en prétendant que son œuvre était de loin inférieure à celle de Racine, ce qui n’était à mes yeux que la plus pure des vérités, mais qui ne semblait avoir plu à mon professeur de littérature. De fait, je le soupçonnais plutôt d’avoir voulu me punir de n’écouter en classe. À moins que ce soit l’amitié étroite que j’entretenais avec Blake depuis la mort de Giulia. Allez savoir.

Sans que je puisse y faire grand-chose, mon regard se tourna de nouveau vers le ciel. Je me disais que les gens avaient tous tord. Ils prétendaient beaucoup de choses, mais personne ne s’approchait de la vérité. Les croyants du monde entier levaient la tête pour remercier leur Dieu. Mais les Satanistes n’avaient pas mon pardon, parce qu’ils ne comprenaient pas tout. À mes yeux, le néant n’était pas d’obsidienne et d’écarlate ; il était bleu, parfois gris, toujours plein de promesse. L’éternel menteur. Après tout, ceux qui rêvaient des cieux se brûleraient bien assez tôt les ailes ; peut-être que mon cœur souffrirait lui aussi, puisque je semblais inapte à apprendre de mes erreurs. Soupir de nouveau.

Je ne savais pas tout, c’était vrai. Mais quelque part au fond de moi, il y avait un cachot où j’enfermais la souffrance. Les photos de mes amies, les Françaises comme Giulia, que je me refusais de regarder encore aujourd’hui. Incapable. C’était comme si pleurer avait le pouvoir de me détruire. Du reste, depuis la mort de mon amie, je n’avais plus versé une seule larme. Je ne pouvais m’y résoudre, et puis mes prunelles restaient désespérément sèches. J’étais certaine que Dieu me narguait pour m’être acoquinée à Laurys. À moins que ce ne soit Satan. On m’avait prévenue ; même si les démons étaient les sauveurs de notre terre, ils n’en restaient pas moins revêches, si ce n’était malins. Les histoires d’amour entre deux espèces, et peu importait que Mephistopheles fusse humain aussi auparavant, étaient prohibées si cela n’apportait pas un nouvel éveillé, un nouveau marqué. Allons. J’étais liée, mon âme serait détruite, n’appartiendrait jamais à l’ennemi. Pourquoi donc me séduire ? Laurys pensait pareil. Je voyais qu’il luttait, j’allais l’avoir j’en étais certaine. Mais il n’avouait toujours pas. Autant me débattre avec le diable en personne.

Et Blake ! Bon dieu, je n’avais aucune idée de ce qu’elle pouvait être en train de faire. Aucune réponse à mes coups de fil, sa mère me disait qu’elle était allée à l’hôtel, mais qu’est-ce qu’elle irait bien foutre dans un hôtel ? J’avais peur pour elle. Si elle avait eu besoin de moi, hier ? QU’est-ce qu’elle avait fait, si je n’avais pas été là ? Je me torturais avec cette question. Je choisis donc de laisser tomber la rédaction, quitte à avoir une retenue de plus. M’étais d’avis que vu ma dernière rencontre avec Liam Hartwood, il ferait tout pour ne pas me revoir seul à seule de sitôt.

La mauvaise nouvelle pour la grande brune qui m’arrêta, c’était que j’étais de mauvaise humeur aujourd’hui.

- Ben tiens ! Comme c’est mignon.

Je pensais me retourner, mais elle recommença. Certaines personnes étaient incapables de voir qu’elles dérangeaient. Attendez. Une démone ? Pitié !

- Heureuse pour vous. Sinon, vous avez peut-être envie de me montrer des photos de votre sortie avec Toutenkhamon, ou ça va allez ?