Les mensonges peuvent-ils nous éloigner ? [Aaron]

Il m’avait fallu bien des semaines pour accepter les révélations de Freddie. Cela n’avait cesser de tourner dans mon esprit, encore et encore, jusqu’à en devenir obsédant. Heureusement que les vacances étaient enfin là, au moins, je n’étais pas parasité par le fait que mon cousin était devenu un ange. Je crois que cela ne m’aurait pas tant chamboulé, si je n’avais pas apprit en même temps que les anges n’étaient que des usurpateurs, des manipulateurs, de sales petits soldats qui, loin de sauver les hommes et la race humaine, les damnaient au contraire, en les enrôlant dans leur armée, sans leur demander leur avis. Et les démons, qui n’étaient pas pour autant plus sympathiques, essayaient de les soustraire à cet enrôlement. Merveilleux. Et là dedans, nous n’étions que des pions, nous étions des dommages collatéraux… Tout mon monde, toutes mes croyances s’effondraient. C’était difficile à avaler et c’est bien pour cela qu’il m’avait fallu ces semaines pour oser prendre mon courage à deux mains pour confronter Aaron.

Sasha me trouvait bizarre. J’étais souvent dans la lune, perdu dans mes pensées et je fuyais dés lors qu’elle cherchait à savoir ce qui me tourmentait. Je ne savais pas donner le change et elle voyait bien que quelque chose n’allait pas. Mais je n’étais pas encore prêt à lui dire la vérité. Comment lui avouer que son patron était un démon qui lui avait sauvé la vie, que mon cousin était un ange, et qu’en fait, les démons étaient finalement davantage humains que les anges ? Elle allait me regarder avec un air compatissant avant de penser que j’étais un poil surmené. Mais je n’avais rien inventé de tout cela et j’avais passé de longues heures à faire des recherches, sans rien trouver qui ne vienne corroborer les dires de Freddie.

En revanche, il y avait une recrudescence d’agressions et de meurtres. Londres était de moins en moins sûre et j’avais peur pour Sasha chaque fois qu’elle partait sans moi. Je ne pouvais pourtant pas l’étouffer. Et chaque jour, lui dissimuler la vérité pesait davantage sur ma conscience. Alors quand j’en aurais parlé avec Aaron, je verrais pour aborder le sujet avec Sasha, je détestais lui mentir, même par omission et je voyais bien qu’elle cogitait de son côté.

En attendant, je me retrouvais devant le loft qu’occupait mon cousin. Non, mais franchement, j’avais été particulièrement crétin de ne pas m’interroger sur mon cousin. Entre la soudaine santé et encore, je le soupçonnais même d’être en meilleure forme physique que moi, et sa richesse… Vivait-il donc aux crochets de l’ange de la mort ? je sentis un frisson me parcourir l’échine, mais finalement, je n’hésitais pas plus longtemps et sonnai chez lui, avant de lâcher :

- Aaron ? C’est Kieran !

S’il pouvait se défiler par téléphone, ce ne serait pas le cas cette fois-ci. Je le savais chez lui. Et je ferais le pied de grue jusqu’à ce qu’il daigne m’ouvrir la porte.

Assis, adossé contre le mur de la douche, je fixais l'eau glisser sur mon corps, je la fixais glisser et apaiser mon âme en perdition. Je devais être mort... Cela faisait quelques mois que j'aurais du mourir, quelques mois que mon cœur aurait du cesser toute activité, que mon corps aurait du tressaillir dans un ultime combat... Mais j'étais toujours en vie, toujours là, plus vivant que jamais... Toutefois, mon âme n'arrivait, elle n'était pas faite pour la destruction, je le sentais au plus profond de moi. Je le sentais quand je repérais un bénis, je le sentais quand je l'attirais à me faire confiance, je le sentais lorsque je le tuais. Je me brisais, car ce n'était pas dans ma nature d'être un ange. J'étais né mortel et condamné, non pas éternel.

Mais j'avais beau lutter, ce n'était qu'une cause perdu, un combat sans avenir. Ce que j'étais, ce que je devenais était pire qu'une maladie, pire qu'une leucémie qui vous ronge et fait de votre sang un poison, elle était pire que tout. Elle vous volait votre personnalité, vos espoirs pour faire de vous une nouvelle personne, un personne étrangère. Ryu avait eu raison, il avait toujours eu raison, mais durant les premiers mois... J'ai tellement cru que cette renaissance était un cadeau, une chance de vivre, d'aller plus loin que je n'aurais pu aller, que j'ai plongé la tête la premier dans cet engrenage de perdition. Perdant une grande partie de mon humanité avant de me rendre compte de mes actes. Avant de comprendre que j'étais devenu un être capable de tuer par simple intérêt... J'avais tué sans assuré un retour derrière... et je semblais bien l'un des seuls à en être malade. Je pourrissais à mesure que je fréquentais cette école, je pourrissais à mesure que j'apprenais à être un ange. Et je pourrissais dans l'excellence, prenant le même chemin que ces Archanges d'exceptions. Un carnet d'adresse bien remplis, une fausse romance avec la fille du directeur d'Oxford, une grande amitié avec le doyen de ma fac et j'en passe. Je prenais du temps à bénir, mais je trouvais toujours des personnes qui sauraient briller et ce même dans l'obscurité la plus complète. Mes bénis ne m'en voulaient pas, au contraire, les huit âmes que j'avais arraché à la mortalité, m'étaient proche.

Mais à côté de cela, je sentais mon humanité mourir et à chaque fois que cela devenait insoutenable je me défoulais au mieux, provoquant par moment Ryu pour être certain que la douleur de mon corps surpasse celle de mon âme. Mais ce n'était qu'une fuite, rien de plus. Je fuyais cette douleur.

Finissant par sortir de la douche, je m'habillais enfin avant de retrouver mes livres. J'avais tenu à continuer la fac pour garder un pieds dans le monde, du moins c'était l'excuse, en réalité, j'aimais juste me sentir encore humain. Je fus finalement tirer de mes études par la sonnette, puis par la voix de Kieran. Que foutait-il ici ? Me relevant silencieux, je m'approchais de la porte avec une précaution des plus grandes. J'avais envie de le voir, malheureusement mon âme était prise dans l'obscurité de mes actes. Je m'étais promis de le garder loin de tout ça, mais il était ici...

Glissant ma main sur la porte, je finis par l'ouvrir, découvrant un Kieran visiblement préoccuper. Pas la peine de me mentir, j'avais l'avantage d'avoir un arrogant égocentrique en guise de directeur et professeur et il s'avérait que l'homme était bel et bien doué en plus d'être terriblement agaçant. Je savais que Kieran n'allait pas parfaitement bien. C'était claire. Le fixant silencieux durant quelques secondes, voir quelques millième de secondes, j'étais fermé, sombre et puis je finis par sourire, passant mes mains dans mon jeans avant de m'adosser à la porte.

« Salut, que me vaux l'honneur de ta visite ? »

Le fait qu'on ne se soit pas vue depuis un siècle peut-être ? Le faire rentrer ? Une idée, mais malheureusement, j'avais l'impression qu'il portait quelque chose et que ce n'était pas forcement bon pour ma poire. Culpabilité ? Oui, possible aussi.

« Sasha va mieux ? »

Au cas ou l'autre vilain l'aurait … Enfin bref.

La porte finit par s'ouvrir sur Aaron. Malgré moi, je le regardais d'un œil neuf. Comment distinguer un ange d'un humain ? Je me sentait stupide de ne pas avoir compris plus tôt que mon cousin m'avait menti sur sa fabuleuse guérison. Miraculeux... Je n'étais pourtant pas un crétin, j'avais quelques notions de sciences, de biologie, j'aurais sans doute du l'interroger davantage sur ses soi disant tests. Mais en réalité, j'étais bien trop heureux qu'il vive pour réellement chercher comment cela pouvait être possible et trop cartésien pour seulement imaginer que des forces occultes avaient pu entrer en jeu. J'étais bien catholique, mais entre croire en une force supérieure et croire en des manifestations physiques sur notre monde, il y avait un fossé, que je venais de franchir bien malgré moi.

Aaron n'était plus vraiment Aaron. Je ne l'avais connu que malade, mourant, avec un teint cadavérique, de profondes cernes sous les yeux, une allure presque décharnée. Le jeune homme qui se tenait devant moi respirait la santé physique. Mais quelque chose clochait pourtant, comme s'il était hanté par quelque chose, comme si il ne goûtait pas totalement cette vie qui lui était offerte. Et c'était peut-être bien le cas, en fait, j'espérais que c'était le cas, car alors il serait encore Aaron et non un monstre aux ailes blanches qui jouait de la confiance des humains pour les faire basculer dans un autre monde.

Je sortis de mes pensées en me rendant compte qu'il m'avait parlé. J'eus un petit sourire en coin, masquant mes interrogations et mon trouble.

- Parce qu'il me faut une raison pour venir te voir maintenant ? Après avoir vécu pendant des semaines ensemble, je n'ai quasiment plus aucune nouvelle de toi. Et au vu de tes antécédents, pas de nouvelles, peut signifier une rechute. Aucun traitement n'est totalement fiable et guérit totalement.

Sauf quand on était déjà mort et qu'on évoluait dans d'autres sphères, bien évidemment. Me diras-tu la vérité Aaron ou devrais-je te l'arracher à force de remarques anodines et de regards lourds de sous entendus ? Il prit des nouvelles de Sasha et je hochais la tête.

- Elle est totalement remise, aussi bien physiquement que moralement. C'est une battante, elle est forte, elle ne laissera pas cet évènement l'enfoncer.

Se faire agresser dans la rue, poignarder, manquer de mourir, cela pouvait créer de graves dégâts psychologiques, mais d'autant que je puisse en juger, elle s'en était remise et ce n'était plus qu'un vilain souvenir, qui hantait parfois ses rêves. Quand cela arrivait, j'étais là, à ses côtés, comme elle recueillait mes peurs nocturnes, souvenirs d'un passé que j'aurais voulu oublier mais qui me poursuivait toujours.

- Tu comptes faire la causette sur le pas de la porte ou me faire entrer ? A moins que je ne sois plus assez bien pour pénétrer dans le luxe qui est devenu le tien ?

Pas d'amertume dans ma voix, juste un peu d'ironie et aussi un regard sombre, inquisiteur, posé sur lui.

En effet, il ne fallait pas réellement de raison pour ce voir… Parfois, j'avais l'impression que je commençais à bien trop calculer ma vie pour en profiter encore. Il évoqua alors notre vie commune, puis le traitement et d'éventuelle rechute. Il évoqua surtout le fait qu'aucun traitement n'était totalement fiable, sauf que celui que j'avais suivi l'était, c'était une certitude, une certitude que je regrettais par instant. Une certitude qui me glaçait le sang. Souriant plus par réflexe de par réelle joie, je le rassurais brièvement.

« Physiquement ça va, je pense que c'est plus psychologique en ce moment. »

Je pris alors des nouvelles de Sasha et il me dit qu'elle était entièrement remise, parfait, je préférais réellement ça. Sasha, comme Kieran ne méritaient pas une vie pareil, ils méritaient d'être heureux. Et je laisserais pas l'autre pigeon nocturne perturber leurs vie, comme je ne laisserais aucun ange les approcher. L'immortalité n'avait rien à envier à la vie. Et si j'avais essayé de me convaincre du contraire, je sentais déjà que trop bien le manque d'une mortalité me prendre. Cela devait sans aucun doute venir de cette humanité dont Azraelle voulait la détruire. Et dont elle continuera la chasse dès son retour. Une pensée me traversa alors l'esprit… Valait-il mieux être condamné à vivre éternellement entre deux feux, ou valait-il mieux se laisser consumer par l'un afin de se débarrasser de l'autre ? Étrangement je préférais souffrir, mais continuer à protéger Kieran, même lorsqu'il ne me verra plus et qu'il vieillira… Je ne devais pas l'oublier pour ne pas l'abandonner.

La voix de mon cousin m'arracha alors à mes réflexions quelques peu morbide. Relevant alors les yeux vers lui, il me demanda si je comptais lui faire la causette à l'entrée ou s'il n'était pas assez bien pour pénétrer dans le luxe qui était le mien. C'est alors qu'une partie de moi, celle qui avait prit l'habitude de mentir, prit le dessus, me faisant sombrer quelques secondes dans une vagues calculatrices dont s'échappa un mot.

« Bourses. »

Secouant légèrement la tête, je repris le dessus avant de m'écarter et de le laisser entrer, refermant la porte, comme un prédateur referme son piège sur sa proie, j'avais la net impression que Kieran voulait jouer à un jeu dangereux. Et cela ne plaisait à aucun de mes côtés.

« J'ai eu les bourses de la fac suite à mes résultat d'examen, et étant donné ma maladie, ils ont considéré que je méritais d'être récompensé. Et… Fais pas gaffe au bordel, j'ai pas eu le temps de ranger… »

Le coup des bourses étaient vrais, mais le véritable financement était Azraëlle, toujours garder une part de vérité dans le mensonges, ca aidé. Et concernant l'état de mon chez moi … C'était rangé, le bordel venait juste de la pille de livre entasser sur la table de la salle à manger. D'ailleurs je dépassais Kieran avant de déplacer le bordel vers une étagère. Me retournant alors vers lui, je lui demandais.

« Je peux te servir quelque chose ? »

Ou tu préfères continuer à jouer avec mes nerfs ? À moins que ce soit simplement moi qui me fait des films … Ce ne serait pas la première fois, et c'était sans aucun doute le vent de ma conscience qui me soufflait de telles idées...

Je hochais la tête. Au moins était-il honnête malgré tout. Au moins avait-il peut-être des regrets, du mal à se faire à cette vie. Cela me rassurait quelque part, même si je n'aurais pas du me réjouir de le voir mal psychiquement. Il s'enquit de l'état de santé de Sasha et je lui répondit sincèrement. Elle allait mieux. Elle allait bien même. Elle m'avait fait une belle peur et j'avais réalisé que j'aurais énormément de mal à me remettre d'une rupture ou de sa disparition dans ma vie. La perdre me terrifiait et je me rendais compte que je la délaissais en ce moment. J'étais près d'elle, mais je n'étais pas là, trop préoccupé par le problème d'Aaron et les révélations de Freddie. Je passais à côté de moments précieux, simplement parce que j'étais tracassé.

J'allais m'occuper de Sasha dés que j'en aurais terminé avec Aaron. Mon cousin ne semblait pas décidé à me faire entrer et je le lui fis remarquer, de façon ironique, surtout concernant le luxe qui était devenu soudainement le sien. Il me répondit que c'était grâce à la bourse. Ben tiens, pas envie de m'avouer qu'il était entretenu par l'ange de la mort. Mais cela aussi, il finirait par me l'avouer.

- Ah ouais ? dis donc, tu touches vachement. Nous, on n'a pas assez pour permettre à Sorcha de quitter le foyer de tes parents pour vivre dans un loft aussi luxueux.

Et pourtant ma sœur était quelqu'un de patient, raisonnable, plus encore que moi. Si quelqu'un pouvait endurer l'atmosphère chez Aaron, c'était elle, mais il semblerait que même elle ai ses limites. L'ange me fit finalement rentrer et j'entendis la porte se refermer sur moi. Je me raidis malgré moi, alors que les mises en garde de Freddie me revenaient en tête. C'était ridicule, jamais Aaron ne me ferait le moindre mal ! Aaron s'expliqua alors concernant ses bourses, comme pour me convaincre, avant de s'excuser pour le bordel.

- J'ai vécu dans ta chambre pendant 3 mois, alors je connais hein.

Il déplaça ses livres et me proposa quelque chose à boire.

- Un verre d'eau, ça suffira, merci.

J'avançais dans le salon, admirant la décoration, moderne. En pleine forme physique, jeune, beau, riche... De quoi faire rêver, si son âme n'était pas prête à être broyée. Et qu'est-ce que je pouvais y faire, hum ? Freddie avait été clair : si j'étais une faiblesse pour Aaron, je risquais de ne pas faire long feu.

- Tu as dit tout à l'heure que psychologiquement ça n'allait pas... Qu'est-ce qui t'arrive Aaron ? Le fait de passer du statut de jeune condamné, de ne pas faire de projets, de vivre au jour le jour, à celui de jeune homme en pleine santé et avec la vie devant lui serait-il un peu difficile ? C'est bizarre qu'ils ne proposent pas un suivi psychologique après ce genre de traitement, c'est pas rien quand même.

Mon regard était perçant, alors que ma voix était détachée.

- Cela demande une grande force morale... Il faut tout reconsidérer. Faire le deuil de plusieurs choses...

De son humanité en outre. Mes paroles étaient à double sens, mais saurait-il déceler que je pouvais sous entendre autre chose ?

« Je suis dans une des meilleures fac du pays, il est normal que leurs bourses soit supérieur aux lycées… »

Proposer de l'argent pour Sorcha ? Je pouvais, mais seulement lorsque mes revenus seraient suffisant. Pour le moment, je dépendais trop d'Azraëlle et ce n'était pas pour le mieux. L'invitant alors de rentrer, je refermais la porte alors que je le sentais se raidir. J'avais peur que cette rencontre ne marque notre fin… Il me craignait, du moins, il avait peur de se retrouver seul avec moi… L'étaux se refermait peu à peu sur moi, sur ce que j'étais. M'excusant alors pour mon bordel, il me rappela alors que nous avions vécut 3 mois dans la même chambre… Exacte…

Lui proposant alors quelque chose à boire, il me demanda un verre d'eau que je lui servis rapidement avant de faire de même pour moi. C'est alors qu'il commença à parler et ses mots se mirent à raisonner dans ma tête… Freddie lui avait dit. Cet enfoiré de démon l'avait fait et Kieran était ici à présent. Me posant des questions sur mon mentale, sur le deuil… Le deuil de mon humanité ?

Il ne fallait pas être un grand génie pour comprendre qu'il savait, qu'il savait tout. Pourquoi ? Pourquoi ? Soufflant avec lenteur, je fixais le plan de travail dans l'espoir d'y trouver le calme, mais c'était peine perdu. Me retournant alors, je me sentais pris au piège, pris entre mon humanité et celui que j'étais à présent. Le visage fermé, le regard sombre, je resserrais malgré moi la prise sur le verre qui se brisa en pénétrant largement ma peau. C'était le verre, ou lui. La douleur était vive et je sentais clairement le sang couler le long de mon bras, mais à l'heure actuelle, je m'en fichais pas mal, j'étais juste concentré sur ce qu'il venait de dire, sur ce qu'il venait de découvrir.

« Visiblement depuis que le grand Freddie à sauver ta chère et tendre petite Sasha, tu ne vis plus qu'au travers de ses mots … »

Regardant à présent ma main, je retirais de la plaie le large bout de verre qui s'y était logé. N'exprimant aucune douleur excessive, je n'y trouvais qu'un répit. Détourner la peine de mon âme sur celle de mon corps, éviter de m'effrayer face au comportement que je venais d'avoir.

« Pars d'ici…»

Il valait mieux, il n'avait rien à faire, il n'avait rien à apprendre davantage. Il était une faiblesse, une faiblesse dont je me passerais bien mais qui était bien là. Kieran me connaissait et sous mes aires de grand garçon, je restais son cousin, celui qui l'aimait, l'aimait au point de préférer souffrir à sa place. Kieran devait partir, et ne plus jamais revenir. Ma main glissa le long de mon corps alors que le sang coulait toujours. Tapant le sol dans une régularité macabre, dangereuse. Qu'il sorte….

Mais oui, bien sûr, continue donc de me mentir Aaron, pas de soucis. Je ne répondis rien à ce sujet. Non, j'avais autre chose en tête. J'y avais réfléchis pendant des jours, des semaines, je me demandais comment réussir à approcher Aaron, à lui faire comprendre que je savais ce qu'il était devenu. Un an. Un an à vivre dans le mensonge. Je me souvenais encore du jour où il avait fui, nous laissant malades d'angoisse Sorcha et moi, du moment où son cœur avait cessé de battre, à l'hôpital... Nous avions été là, durant les derniers mois, les derniers instants, même s'il nous avait repoussé. Cela créait des liens non ? J'étais peut-être naïf de croire en ce lien.

Alors je lui fis comprendre que je savais ce qu'il était. Je voulais le forcer à avouer et cela ne loupa pas. Je le vis changer d'expression alors que sa main se crispait sur le verre et lui explosait dans la main. La colère. Il était acculé, son secret était éventé et j'étais ici pour le mettre au pied du mur. Que ressentait-il finalement ? Etait-il mécontent que je sache son petit secret, que cet aspect là de sa personnalité ne soit plus cachée ? Que son humanité soit ainsi en danger alors qu'il ne pouvait plus jouer la comédie avec ses proches ? Parce que nous étions proches lui et moi. Comme des frères. Je le considérais ainsi.

Et lui ? Est-ce que tout avait changé ? Freddie avait-il raison et étais-je stupide de penser que moi, je pouvais rester son ancrage dans ce monde ? Mon regard se posa sur sa main ensanglantée, mais il n'y faisait même pas attention. Quelque chose me disait qu'une coupure ne devait pas faire beaucoup de dégâts sur un ange... Normal qu'il ne s'en soucie pas. Mais mieux valait briser le verre que moi, notais-je dans un coin de mon esprit. Il parla alors de Freddie, sur un ton qui ne me plut pas et je fronçai les sourcils. Ce ton là, était trop froid, trop méprisant. Il retira le bout de verre de sa main, comme si c'était quantité négligeable, avant de m’exhorter de partir de chez lui.

- Non.

Ma voix ne tremblait pas, pas plus que ma détermination ne vacillait, alors même que je sentais quel contrôle il exerçait sur lui en cet instant. Au point de craquer et de s'en prendre à moi si je n'obéissais pas ou allais trop loin ?

- Si Freddie n'avait pas été là, je l'aurais perdue. Je l'ai vu la soigner, je l'ai vu déployer ses ailes et je suis allé le voir pour obtenir des explications. Et là, j'ai basculé dans un autre monde... Je suis catholique Aaron, tu le sais, et tu dois te douter que la vérité ne m'a pas fait plaisir.

Je marquais une pause, sans avancer vers lui, mais sans reculer non plus. Je voulais vider mon sac et je le ferais.

- Peu importe ce qu'il a pu me dire. Si j'avais pris ses paroles comme saintes, je ne serais pas ici. Pourtant, il m'a mis en garde contre toi, tu sais ? Pas forcément à cause de toi, mais surtout à cause de celle qui t'a offert cette vie là. Je l'ai croisée. A l'hôpital, quand tu mourrais... T'as pas compris Aaron. Ce que tu es devenu... j'peux pas t'en vouloir d'avoir choisi la vie, qu'importe le prix et je peux pas t'en vouloir de rien m'avoir dit et de t'être éloigné. Je comprends. Ça fait mal mais je comprends. J'étais là quand tu étais arrivé au bout du rouleau, j'ai promis d'être là quand tu partirais... Même si tu voulais pas.

De nouveau, il y eut un silence de ma part alors que je me raclais la gorge. Cette fois, j'avais tout dit.

- Maintenant, tu dois recruter des humains, tu dois satisfaire l'ange qui t'a transformé pour ne pas être éliminé. Et si cette existence te convenait si bien, tu ne souffrirais pas en cet instant. Alors voilà, si je suis venu, c'est pas pour te juger, c'était juste pour que tu comprennes que je sais qui tu es, ce que tu es amené à devenir, les sacrifices que tu dois faire pour avoir gagné le droit à l'immortalité.

Je me tus sur ces mots, me contentant de le dévisager tranquillement. J'avais peut-être tout faux. Peut-être que je présumais de ma connaissance de mon cousin, qu'il n'était plus accessible... Dans ce cas, je venais de prendre un risque démesuré.

Non ? Non ? Il rigolait la ? Sérieusement ? Je sentis un colère froide m'envahir, pourquoi ? Pourquoi chercher la mort ? Il voulait … Mourir ? C'était aussi simple que cela. Freddie l'avait soigné, certes, mais c'était un démon, un démon qui pourrait tout aussi bien les utiliser, les détruire. Il était catholique et apprendre que dieu n'était qu'un imposteur … Oui, je me doutais bien que cela pouvait-être difficile, car j'avais moi-même eut du mal. Mais étant résigné, j'avais fini par faire avec et cette nouvelle n'avait fait qu'achever mes doutes, dieu n'étaient pas notre sauveur.

Il reprit alors que si il avait suivi les conseils de Freddie, il ne serait pas venu. Car bien que je sois un danger, le démon l'avait informé du danger qu'était Azraëlle. Et là, il me dit qu'il ne pouvait m'en vouloir, il pouvait comprendre. Il ne m'en voulait pas… Ses mots raisonnaient dans ma tête, ils raisonnaient en continue et je sentais mon coeur se serrer, pourtant je ne montrais rien, je restais calme, stoïque, immobile et sans la moindre réaction. Rester froid alors que son âme se tords, se brise, rester froids car il n'y avait que ça à faire. Je ne pouvais pas faire autrement, je ne pouvais pas lui donner ça, je ne pouvais pas lui laisser croire que j'étais sauvé, j'étais perdu.

Il finit alors en soulignant que si tout cela m'allait, je ne souffrirais pas à l'heure l'actuellement. Il ne me jugeait pas, il voulait juste me faire savoir qu'il savait qui j'étais, ce que j'étais amené à devenir, les sacrifices que cela impliquait… C'était bien beau, mais il n'en savait pas la moitié, du moins, il ne pouvait pas comprendre, pas entièrement, il ne pouvait que ce douter, uniquement cela. Le silence s'installa alors que je ne détournais pas les yeux de lui, le fixant sans défaillir alors qu'un sourire se dessinait sur mes lèvres, un sourire froids, menaçant.

« J'ai brisé des nuques, tranché des gorges, étouffé des innocents, j'ai fait coulé le sang de bien des gens, je leurs ai arraché leurs liberté, leurs vies et tu crois que ton petit discours de mortel crédule aura le moindre impact sur moi ? Tu crois que tes jolies phrases ont la moindre chance de m'atteindre ? »

J'aurais eu peur de mon propre comportement si seulement je ne savais pas ou je voulais en venir.

« Tu as toujours confiance en moi… Je le sens. Tu ne verrais même pas le coup venir, que déjà tu renaitrais en ange… Tu es inconscient et parfaitement débile. »

Soupirant, je me posais contre le plan de travail alors que je baissais les yeux. Je ne pouvais définitivement pas lui faire de mal, j'avais besoin de lui, mais ce besoin pourrait lui être fatale.

« Tu n'as pas conscient de ce dans quoi tu t'es foutu… »

Marquant une pause, je repris.

« Je vivais dans la mort depuis mes six ans Kieran, au début quand on m'a proposé ça, je n'y ai pas cru, mais une part de moi voulait y croire, faire confiance à Azraëlle. À l'hôpital, lorsque je l'ai revu, j'ai continué à penser que cela n'était qu'une coïncidence et lorsque … Je n'avais pas prévu de mourir le jour ou j'ai disparu, j'ai… J'ai succombé, j'ai fini par perdre tout mes repères et je suis mort. J'ai juste eu le temps de regretter ce qui venait d'arriver, j'ai juste eu le temps de maudire celle qui m'avait poussé à la mort, j'ai juste eu le temps de penser à toi, au fait que je ne te verrais plus. Et puis je suis revenu et lorsque cela arriva, je fus désorienté, incapable de penser correctement et la première chose que j'ai faite c'est t'appeller… Mais j'étais vivant, et le prix à payer me semblait si dérisoire … »

Mais c'était au passé, j'avais évolué, grandit, et cette vie ne semblait plus si belle. Relevant les yeux vers lui, je redevenais sérieux, voir dangereux.

« Freddie a raison, tu es en danger ici, avec moi… Tu ne dois plus chercher à me voir Kieran, car je ne pourrais plus te protéger maintenant que tu sais ça … »

Oui, je le protégeais jusque là. Et faire le parfait soldat pour Azraelle n'était pas anodin… C'était aussi pour lui, pour lui sauver la vie.

Quelque chose se passa chez Aaron. Je pensais l'avoir touché, mais l'étincelle que je pus voir dans son regard disparut aussi vite qu'elle était apparue alors qu'il se faisait froid et hautain et me renvoyait dans mes pénates. Il cherchait quoi là ? A se faire détester ? A ce que je tremble de peur alors qu'il m’énumérait la liste de ses méfaits de vilain ange bien méchant et fidèle à la description que m'en avait faite Freddie. Je ne bronchais pourtant pas, me contentant de le fixer. Même si je me demandais comment il pouvait tuer aussi facilement et avec un tel détachement... Détachement, vraiment ? Je n'en croyais rien. Il y avait une différence entre feindre la froideur et ne rien ressentir. Et s'il était un si parfait petit ange, il n'aurait pas des problèmes psychologiques. Un aveu que je n'oubliais pas, même s'il s'efforçait de me prouver le contraire, de me faire déguerpir.

Avais-je confiance en lui ? Cérébralement, je me méfiais, parce que je ne pouvais oublier les mises en garde de Freddie, mais je ne faisais pas totalement confiance à Freddie non plus. Et Aaron, je le connaissais, nous avions des liens de sang quand même et il avait été mon repère dans cette nouvelle vie, pour l'orphelin que j'étais devenu, exilé dans la morne Angleterre. Alors, à l'instinct, oui, je lui faisais confiance, tant pis si il le sentait. Je ne tressaillis même pas quand il me traita d'inconscient et de débile.

Et son comportement changea encore, alors que sa hargne semblait diminuer et qu'il semblait plus las. Je ne savais pas dans quoi je m'étais embarqué ? vraiment ? Si tu savais Aaron... Il me raconta alors son expérience et mon cœur se serra quand il m'avoua qu'il m'avait téléphoné dés qu'il s'était réveillé. Je n'osais pas vraiment imaginer ce par quoi il était passé et ce qu'il avait pu ressentir. Je notais encore qu'il parlait au passé concernant le prix à payer dérisoire. C'était plus difficile maintenant, hein Aaron ? Et il changea de nouveau, presque menaçant alors qu'il me mettait en garde et voulait me sortir de sa vie. Je hochai la tête.

- Je vois... Pas mal le coup de l'être immortel qui n'en a plus rien à foutre de l'humanité et de ce qui le relie à son ancienne vie. Tu y es presque, je me demande juste combien de temps avant que cette façade ne devienne une réalité... T'as tué ouais, je m'en doute, tu crois que ça fait pas des semaines que je me torture les méninges, engrangeant tout ce que je sais, tout ce que je devine, tout ce que j'ai observé, en attendant de trouver comment venir te parler ? j'aurais pu prendre ce qu'a dit Freddie comme argent comptant et ne plus jamais venir te voir. Cela aurait sans doute été plus facile.

Je m'humectais les lèvres, cherchant mes mots.

- Tu me manques Aaron... Tu as été une attache quand j'étais à la dérive, tu as accueilli deux orphelins irlandais qui n'avaient plus de repères, tu t'es soucié de moi quand tu avais des problèmes bien plus importants. Je suppose que tout cela va changer, qu'au fur et à mesure du temps qui passe, tu cesseras d'être cet Aaron là, pour devenir quelqu'un d'autre. Nos chemins vont se séparer, hein ?

J'eus un petit sourire, plus que triste. Je m'étais approché de lui, lui faisant face et finalement, je le pris simplement dans mes bras. Cela nous était déjà arrivé. Peut-être que j'allais sortir de sa vie, qu'il ne me laisserait plus interférer, mais il avait énormément compté dans la mienne.

- Ce que je sais, c'est que tu as tenté de faire le vide autour de toi dans ta mort et que tu recommences aujourd'hui, dans ta renaissance. Ce que je sais, c'est que tu avais fait cela pour nous protéger de la peine ressentie à ta disparition. Et qu'aujourd'hui, tu le fais encore pour me protéger. C'est ça que je retiendrais de toi. Seulement cela.

Je le relâchais et m'écartais légèrement. Ma voix n'avait été qu'un murmure rauque.

- Si je pars, ce sera un adieu, c'est ça ?

Ses mots me faisaient mal, ils me touchaient plus profondément que je ne l'aurais cru. Décidément, Kieran était réellement dangereux pour moi. Le problème était qu'Azraelle ne me laisserait pas me perdre avec un humain, elle me voulait à son image, répondant à ses ordre, hors, Kieran n'était pas exactement dans ses plans et je le savais. Il était en danger avec moi, hors, si il y avait bien une chose que je ne me pardonnerais pas, ce serait bien d'être à l'origine de sa mort.

Toujours silencieux, je le laissais m'arracher un peu plus le coeur, je le laissais faire ce qu'il savait si bien faire, me faire vivre, me faire sentir humain, vivant. Je lui manquais, mais la situation était la même pour moi, j'avais un manque, un manque affreux et c'était lui l'origine. Je n'étais pas inhumain, et je le savais, comme lui. Il pensait que cela changerait, que le temps passant, nous cesserions d'être des frères et que nos routes se sépareraient. Et je ne pourrais rien contre cela, je pouvais au mieux, tenter de rester le même avec lui, mais c'est tout...

Il me prit alors dans ses bras, comme avant, comme lorsque j'étais en vie. Acceptant alors se contacte, je n'entourais toutefois qu'un bras autour de lui, l'autre étant … Quelque peu sanglant. Il conclut sur le fait que j'avais compté pour lui et qu'il retiendra uniquement l'acharnement que je mis à le protéger de ma disparition. Juste ça. Toujours silencieux, je le laissais s'écarter et me demander si son départ signerait nos adieux. Fermant les yeux, je soupirais lentement.

« Sauf si tu acceptes mes conditions... »

C'était le seul moyen de rester en contacte, de continuer à nous voir. Car après ce qu'il venait de dire et faire, je ne pourrais pas lui dire adieu, il était la personnification de mon humanité, le seul fragment qui me rattachait à ce que j'étais.

« Je peux rester le même avec toi pour les 80 prochaines années, du moins si tu respectes ce que j'ai à te proposer... »

Oui, être humain avec une personne jusqu'à la fin de sa vie devait-être possible, et surtout, ce n'était qu'un siècle, à peine. Après cela, je n'aurais plus aucune raison de m'acharner, et je pourrais être celui que je suis destiné à devenir... Du moins... J'aimerais de cela soit possible. Mais une relation sous conditions était difficile, très … Mais Kieran m'avait touché, comme à l'époque et comme a cette époque, je voulais le protéger de moi, de mon monde.

J'essayais de toucher Aaron, de chercher en lui cette humanité qui ne pouvait pas l'avoir quittée en si peu de temps. Une année, ce n'était rien... Une année à me dissimuler la vérité, à s'éloigner méthodiquement et discrètement de moi. Nos chemins se séparaient et ne pouvaient plus vraiment se croiser. Pas sans que l'un de nous en pâtisse. Mais Aaron ne serait jamais le monstre que décrivait Freddie à mes yeux. Je préférais garder en mémoire ce qu'il avait été pour moi, pas ce qu'il deviendrait par qu'un ange opportuniste et tentateur s'était présenté à un mourant en lui faisant miroiter la jeunesse éternelle et la vie. Il y avait des sacrifices, certes, mais comment lui en vouloir d'avoir choisi la vie, sans la souffrance, sans la faiblesse ?

Alors c'était peut-être un adieu, mais au moins, tout était clair entre nous. Sans honte, sans complexe, sans peur, je pris mon cousin dans mes bras, comme cela était déjà arrivé dans le passé, parce qu'il n'y avait pas de tabou entre nous, pas de fausse gêne. Parce qu'il y avait un attachement réel, comme si nous avions été frères et cela s'était fait naturellement et rapidement. Quelques mois seulement... J'avais débarqué dans sa vie quand elle prenait fin... Et j'avais l'impression d'en avoir toujours fait partie.

Mon cœur battait à mes oreilles, assourdissant, alors que je le relâchais et lui demandais si c'était un adieu. J'avais peur de la réponse et pourtant, il me répondit que ce n'était pas forcément le cas, si je respectais ses conditions. Intrigué, je le regardais, sans oser reprendre la parole. Pas un non ferme et définitif, je l'avais fait réfléchir. Il reprit en disant qu'il pouvait rester le même avec moi pour les 80 prochaines années, si j'acceptais les termes du contrat. Je hochais la tête solennellement. Rester le même AVEC MOI. Je notais cette précision. Il ferait son sinistre travail, il tromperait les humains, en tuerait... L'accepterais-je ? Je l'essaierai et je me mettrais la tête dans le sable pour ne pas savoir, cela serait plus facile.

- Je t'écoute.

Puis, une drôle d'idée me traversa l'esprit et je souris malgré moi, malgré la gravité de l'instant :

- Putain, tu vas rester près de moi pendant toute ma vie, me voyant vieillir et tout ? Tu viendras me voir en maison de retraite hein ?

J'en plaisantais, mais c'était plus que perturbant. Il resterait toujours jeune et beau, en pleine santé. Pas moi. Cela serait tellement bizarre au fil des années...

Il m'écoutait, du moins ce fut le cas jusqu'à ce qu'il se mit à sourire, brisant brusquement la gravité de l'instant. Je n'étais pas forcement enclin à rigoler en cette heure, pourtant ce qu'il me sortit me laissant sans voix. Kieran était bel et bien la personnification de la vie. Lui qui était bercé par la mort depuis tant d'année, lui qui avait si souvent désiré la mort, lui qui l'avait côtoyer plus brutalement que moi... Lui était vivant, il respirait la joie de vie, il était heureux... Il était exactement ce que j'avais voulu qu'il soit... Heureux d'être en vie, profitant de cette dernière et se projetant dans le passé. Il était ce que j'aurais voulu être...

Alors, lorsque je pris conscience de cela, je ne pus m'empêcher de sourire, j'aurais pu pleurer si seulement mon cœur ne s'était pas aussi asséché. J'aurais pu... Soupirant lentement, je relevais les yeux avant de lui demander, à moitié amusé.

«  Et après c'était moi le mec qu'on traitait car il déconnait sur son lit d'hôpital ? »

Il avait réussi à détendre l'atmosphère. Enfin il avait surtout réussit à me détendre moi et c'était un peu un exploit. Comme à son habitude, Kieran avait su tirer les bonnes cordes et appuyer sur les bons boutons. Reprenant appuie sur le plan de travail, je lui répondis donc avec autant de sérieux qu'il était possible en une telle occasion.

« À moins que tu me la joues Benjamin Button, y'a de grande chance que je te vois perdre tes cheveux en effet ! Promis je t'offrirais des couches de luxes ! »

Enfin, je n'étais pas pressé d'y être... Je préférais pour le moment être encore comme lui, ne pas le déranger, car je n'étais pas sur que les années passant il apprécie toujours autant la présence de son neveu, vous savez le fils de son cousin. Redevenant donc sérieux, j'entrepris de lui exposer les règles de notre nouvelle vie.

« Pour en revenir au vif du sujet... Si tu ne veux pas que ce soit un adieu, tu ne dois pas chercher à rentrer en contact avec moi... Ou du moins pas directement. Quand j'aurais des personnes de confiance à mes côtés, ce sera plus facile, mais pour le moment, toujours venir vers moi ne fera qu'attirer le regard de … de la mauvaise personne. Alors tant que je n'ai pas trouver un moyen sur de te laisser me contacter, tu devras attendre que je le fasse. Pour le moment je te promets pas grands choses étant donné que c'est un peu tendu, mais quand les choses se calmeront, on pourra se voir tranquillement... »

Pour le moment, le spectre d'Azraëlle était trop présent, je devais attendre qu'elle trouve un nouveau jouet, qu'elle relâche légèrement son attention. C'était sans aucun doute espérer, mais je ne pouvais faire que ça. Une fois que j'aurais un peu plus de connaissance dans se monde, je pourrais me permettre de le laisser venir. Mais en attendant, c'était à ma façon.

« Je peux te proposer que ça en attendant... »

Pas plus. Je n'étais pas en mesure de faire plus d'effort pour aller vers lui.

Je lui arrachais un sourire. Un vrai sourire, me rappelant ceux d'avant, avant qu'il ne ressuscite sous une autre forme, souvenir de notre complicité, de cet amour fraternel qui nous avait lié rapidement, bien malgré nous, malgré ses tentatives de se détacher de moi. De m'éloigner, de permettre que sa mort soit moins difficile pour moi. Mais il n'allait pas disparaitre, au contraire, il allait vivre longtemps, bien plus que moi et les situation s'inversaient alors même que je n'étais pas malade.

- Eh, je suis pas mourant moi ! OK, ma vie va être singulièrement plus courte que la tienne maintenant, mais j'ai encore quelques belles décennies devant moi, rien à voir !

Et pourtant... Cela avait quelque chose de dérangeant, de l'imaginer, aussi jeune, aussi beau, venir me voir, vieux, diminué, peut-être plus conscient de qui j'étais, de qui il était... Je préférais en plaisanter, c'était moins difficile. Chacun sa façon d'accepter certaines choses. Je ris à sa vanne, lui mettant une petite bourrade dans les bras.

- Salopard ! Je ne perdrais pas mes cheveux ! Pour les couches par contre, je dis pas non.

Oui, il fallait dédramatiser... Ce serait dans longtemps tout ça, très longtemps. Je remarquais qu'il ne me proposait pas l'immortalité. Le prix à payer était sans doute trop important et il ne souhaitait sans doute pas m'infliger cela. Il savait que moi, je ne pourrais pas vivre comme lui, pas avec ces règles et refuser les règles, c'était périr, non ? Il serait ange, je resterais pathétique petit humain, c'était dans l'ordre des choses. Mais la gaieté s'évapora pour revenir au sujet de notre conversation : le moyen de rester au contact, que cette discussion ne soit pas la dernière et je l'écoutais attentivement. Ne pas chercher à entrer en contact avec lui, le laisser venir, le temps qu'il se fasse un réseau d'alliés, qu'il trompe la vigilance de sa créatrice, l'ange de la mort, rien que ça. Je souris, mais une lueur de tristesse passa dans mon regard.

- Je n'ai pas cherché à te voir ces dernières semaines... en fait, j'ai respecté scrupuleusement la distance que tu imposais. Tu ne peux pas dire le contraire... Essaie quand même de pouvoir arranger les choses avant que je sois vieux et décati, hein.

Ce moment arriverait-il seulement ?

- D'accord.

Il n'y avait rien d'autre à faire de toutes façons. Soudain, je me rapprochais encore de lui, avant de le serrer de nouveau contre moi, il semblait si... humain. Si réel. Comme si de rien n'était, mais bien plus vigoureux qu'il ne l'avait jamais été.

- Sois prudent Aaron... Si me voir revient à risquer que tu meurs, que tu sois puni alors j'accepterais un adieu. Je sais que tu vas changer, que tu dois changer... Mais je n'oublierais pas ce jour, ni ces quelques mois à partager ta chambre. Essaie juste de ne pas totalement oublier qui tu es, parce que tu es un type bien Aaron Lewis.

« Ouais enfin, t'es plus sur ton lit de mort que moi ! Alors si, ça à tout à voir ! »

On déconnait sur quoi là ? Ah oui mon immortalité, sa mort, la mienne, les couches, bref que de la discutions de compète ! Il s'insurgea alors en m'affirmant qu'il ne perdrait pas ses cheveux, mais il ne refusait pas les couches. Il avait intérêt car à moins d'avoir une musculature d'enfer à 90 balais, il risque fort d'avoir quelques problèmes de gestion des fluides si puis-je dire.

« Oh ! Tu me parles meilleurs ! S'pèce de délinquant ! »

J'avais l'impression qu'Azra était loin derrière moi, pourtant c'était loin d'être le cas, elle était proche, très proche et je ne pouvais pas l'oublier. Pourtant, je ne pouvais pas abandonner Kieran et pour ce faire, il fallait que j'instaure des règles, ainsi, il y aurait moins de risque pour lui comme pour moi. Il ne devait donc jamais me chercher, il devait toujours me laisser venir et lorsque j'aurai un réseau assez sécurisé, nous pourrions être légèrement plus libre. Mais en attendant, il fallait être prudent.

Il m'expliqua alors qu'il n'avait pas chercher à me voir ces dernières semaines, il avait gardé ses distances. Il avait respecté ce que je lui avait imposé et en effet, je ne pouvais pas dire le contraire. Mais il avait fini par venir et ça, il ne devrait plus le faire. Il me demanda alors d'essayer de ne pas trop tarder et je pouvais comprendre. Si je revenais dans trop longtemps, je prenais le risque de le perdre et il le savait.

« J'essayerais, mais toi, évite de devenir un vieux con trop rapidement ! »

Il s'approcha alors de moi pour me prendre dans ses bras. Un geste impulsif que nous avions mainte et mainte fois réalisé à l'époque, lorsque j'étais encore humain. Il me demanda alors d'être prudent. Acceptant même un adieu si cela signifiait prendre des risques inconsidéré. Il savait que cela changerait, que je devais changer, mais il n'oubliera pas ce jour, ni les quelques mois que nous avions partagé. Il conclut sur le fait que je ne devais pas totalement oublier qui j'étais, car j'étais quelqu'un de bien. Souriant alors dans son dos, je lui tapotais se dernier avant de souffler :

« Merci Kieran... »

Me séparant alors de lui, je vis l'heure et me rappelais que mine de rien, j'étais légèrement à la bourre pour un rendez-vous et que si je ne voulais pas me faire décapiter, j'allais devoir bouger.

« Par contre, si le type bien veut éviter de mourir dans l'heure, il va devoir te laisser... Alors je te dis à une prochaine fois... »

Car il y en aura une, même plusieurs....