Chat ! | Elle

Jane attrapa une sucette dans le paquet posé près d’elle, elle déballa le bonbon précautionneusement. Après quelque seconde à se débattre avec le bonbon elle réussit à le sortir et le fourra dans sa bouche. Elle avait réussi à récupérer le papier intact, elle le débarrassa des morceaux de sucre encore accroché dessus et l’étala sur son bureau. Alors qu’elle commençait à le plier pour en faire une souris elle avisa son livre de physique encore ouvert, pendant un instant l’ange contempla l’exercice qu’elle était en train de faire celui-ci commençait vaguement à la faire chier. Elle connaissait déjà la réponse mais elle devait l’écrire et elle trouvait ça plutôt fastidieux.

-On dirait que tu t’amuses bien.

Le regard que lui lança l’ange était des plus éloquents.

-Cette après-midi on va au musée.
-Pas envie.
-C’était pas une question. J’ai besoin de toi.
-C’est pour la connasse que tu cherchais ?
-Oui…
-Et je vais enfin savoir pourquoi tu la cherchais ?
-Non.

L’ange leva les yeux au ciel, soupira et jeta le papier de sa sucette dans sa corbeille. Se levant elle s’étira.

-Et je dois faire quoi ?
-Je te le dirais quand on y sera.
-Bon c’est pas tout ça mais j’ai faim.



-Excusez-moi. On m’a demandé de vous donner ça.

Un jeune garçon d’une dizaine d’année tendait à la démone une enveloppe simplement adressé à Mlle Elle Greece. Quand elle se saisit de la lettre le gamin partit en courant rejoindre un groupe d’autre enfant surement en sortie scolaire. Le nom de la jeune femme était écrit d’une écriture précise légèrement penchée. L’enveloppe contenait ce qui ressemblait à un carton d’invitation simplement signé au moyen d’un numéro de portable. Le message ressemblait très peu à une invitation par contre.

« Mlle Greece, je suis désolé de vous annoncer qu’il y a un problème avec le voile que vous avez tissé. J’ai conscience que le moment est mal choisi, surtout avec les problèmes que vous rencontrez avec Lord Helish, mais j’aimerai que nous organisions une rencontre. Je dois aussi vous prévenir que la nature de mon contractant ne vous plaira malheureusement pas. Je vous laisse le soin de choisir le lieu et l’heure de notre rencontre.
Il m’est pénible de devoir préciser que si vous tardez un peu trop à me recontacter au numéro inscrit au bas de ce message, je me verrais contraint de révéler son existence à ma contractante, ce qui serait bien dommage. »

-Et maintenant ? demanda la jeune ange alors que son lié ouvrait la porte de la voiture.
-On s’en va.
-C’est tout… Je sais... Juste, c’est une vieille démone cette Elle, une très vieille démone. Fais attention à ce que tu fais.
-Ne t’en fais pas je sais ce que je fais, et puis je n’ai pas besoin de m’inquiéter puisque j’ai mon ange gardien.

Jacob ébouriffa affectueusement les cheveux de sa contractante, l’air satisfait et démarra la voiture. L’ange croqua rageusement la sucette qu’elle avait dans la bouche, des envies de meurtre dansant dans ses yeux. Elle cracha le bâton du bonbon par la fenêtre et sortit une barre chocolatée qu’elle ouvrit lentement, précautionneusement les mains tremblante comme pour essayer de se calmer. Elle récupéra au bout d’un moment le papier étalé intact, englouti la barre, comme si elle n’avait pas d’importance et commença à plier consciencieusement le papier qui avait enveloppé celle-ci.

Elle avait toujours aimé les surprises. Elle aimait l'imprévu, l'excitation de l'inconnue, elle réagissait naturellement favorablement aux défis qui se présentaient et ne rechignait jamais à en découdre de temps en temps quand on venait la chercher. Seulement voilà, Londres venait tout juste de lui en procurer une overdose. Elle avait vécu un mois incroyablement chargé, avait dû revoir trois fois ses plans au moins, s'était confronté à de vieux ennemis, en avait rencontré de nouveaux... devait-elle être surprise, dès lors, qu'un inconnu vint la narguer avec ses découvertes sur le Voile Blanc ? Un instant, la démone crut — espéra ? — qu'elle venait d'Aislinn. La démone, qu'elle n'avait jamais rencontré, était à Londres et était la seule au courant de l'existence de l'existence de sa petite organisation. S'était-elle mise à la chercher et finalement avait-elle réussi à la trouver ? C'aurait été dérangeant mais pas dramatique. Malheureusement, c'était peu probable.

Comme si elle avait besoin de ça ! Comme si gérer Caeso n'était pas déjà une tâche assez harassante, il allait falloir qu'elle gérât, selon toute vraisemblance, un humain et un ange lié. La démone jeta un regard à Hannah et fut heureuse de voir que la jeune suédoise ne s'était rendue compte de rien, trop occupée à distribuer les tickets d'entrées. Elle avait eu tellement de mal à la convaincre de continuer sa vie normalement. C'était normal, bien entendu, mais Elle ne voulait pas que les proches de la demoiselle commence à s'inquiéter pour elle. La vie devait continuer, tout simplement. Sortant son téléphone, l'immortelle nota le numéro noté en bas de l'invitation avant de la déchirer. Et de lé déchirer encore. Finalement, elle laissa s'exprimer son agacement en en faisant des confettis.

Cachant son portable dans sa poche, elle aborda un visiteur du musée et lui demanda son propre cellulaire avec un innocent sourire, prétextant une batterie défectueuse et un rendez-vous important. Obtenant gain de cause, elle envoya un message des plus concis à son mystérieux contacts, lui indiquant un immeuble aux alentours de la résidence Hellström. L'idée qu'un ange s'approchât d'Hannah lui déplaisait énormément, mais elle n'avait pas le choix. Elle ne pouvait pas se permettre de quitter la suédoise, c'était tout simplement trop dangereux... Et puis, si le duo était aussi informé qu'il voulait bien lui faire croire, elle ne leur apprendrait rien. Finalement, après avoir remercié son bienfaiteur, la demoiselle deux fois millénaires rejoignit Hannah et lui offrit un magnifique sourire avant de se rappeler que leur relation n'était plus exactement ce qu'elle avait pu être.

Le reste de la journée passa mortellement lentement.




Finalement, ce fut une Elle calme et sûre d'elle qui attendit au lieu de rendez-vous donné. Elle était assez proche de la résidence Hellström pour sentir Caeso approcher et intervenir en cas de besoin. Le choix du toit d'un immeuble n'était pas totalement innocent d'ailleurs. Outre le fait qu'elle pourrait partir plus rapidement en cas de besoin, elle pourrait toujours précipiter l'humain dans le vide s'il se montrait trop arrogant (son message n'était pas des plus apaisants, il fallait le reconnaître). Certes, son ange saurait sans doute lui sauver la vie, mais cela aurait le mérite de permettre à Elle de se défouler un peu.

Oh, arrêtez, vous aussi vous précipiteriez les gens qui vous énervent du haut d'un immeuble si vous en aviez l'opportunité.

Après avoir patienté une bonne demi-heure — elle était sciemment venu en avance, au cas où ils auraient eu la bonne idée de faire une reconnaissance des lieux pour mieux la piéger — elle sentit la flamme discrète d'une présence immortelle.

Ils arrivaient.

Plume était de nouveau assise devant son bureau une sucette à la bouche, pour autant que la journée avait avancé ce n’est pas pour ça qu’elle, elle l’était plus, avancé. L’ange n’avait toujours pas la moindre idée de ce que mijotait son lié avec cette démone. Se secouant pour essayer de chasser son mauvais pressentiment, elle reporta son attention sur le Firestar 9 mm qu’elle était en train de nettoyer. De nouveau, son lié entra dans sa chambre sans frapper.

-Tu vas pas me foutre la paix, hum ?
-Il semble que tu t’en doutais un peu, non ? rétorqua-t-il en désignant le Firestar démonté. On sort ce soir.
-Je dois m’attendre à quoi ?

Jacob, sembla réfléchir un instant.

-A un peu n’importe quoi.
-Ah…

Ce fut au tour de l’ange de réfléchir un instant avant de se lever et de tirer les stores pour ensuite se diriger vers une étagère de livre près de son lit qu’elle déplaça en la saisissant des deux côtés comme si elle ne pesait rien. L’humain ne voyait pas ce qu’elle faisait derrière l’étagère mais il entendit bientôt le chuintement d’une porte coulissante. Il n’eut pas le temps de s’approcher pour voir ce que trafiquait l’ange que celle-ci ressortait avec de quoi attaquer un petit bunker.

-Tu m’explique.
-Tu m’as dit de m’attendre à n’importe quoi.
-Oui mais je ne pense pas non plus que ça ce soit nécessaire, répondit-il en désignant un fusil de précision calibre 50 utilisé pour la destruction de matériel. Je ne pense pas qu’il y aura d’hélicoptère ou de blindé.
-Faut savoir.
-Et le sac de grenade, c’est peut-être aussi un peu exagéré, non ?
-Tout le sac, oui. Mais je ne comptais pas tout prendre. Les célestes de son âge ne sont, pour la plus part, pas trop familier des armes humaines de cette époque et de toute façon ça surprend toujours un peu et nous laissera le temps de nous tirer fissa.

L’humain parut vouloir ajouter quelque chose puis se ravisa, un peu perplexe. Il avait réalisé que la jeune ange avait un peu peur. Finalement, il laissa là la jeune fille et sortit, l’air préoccupé. Entendant la porte de sa chambre se refermer Plume leva un instant le nez de ce qu’elle faisait pour s’y replonger presque instantanément.
Les préparatifs pour la rencontre avec la démone ne se limitèrent pas simplement au choix de ce qu’elle considérait comme indispensable à emporter. Le lié et la céleste repérèrent les lieux de la rencontre essayant d’imaginé les différents scénarios qui pouvaient se produire, de repérer les différentes routes d’évacuation et les repérant les points plus hauts que l’immeuble sur lequel aurait lieu la rencontre. Quand la jeune ange suggéra de tendre des pièges à déclencher si la situation tournait mal son lié refusa net et la céleste n’insista pas.



L’humain et l’ange se tenait sur un immeuble, situé à un peu plus d’un kilomètre de l’immeuble qui servait de point de rencontre. C’était l’immeuble le plus proche qui permettait d’observer le toit qu’il partagerait bientôt avec une démone au moins millénaire. Ils virent d’ailleurs la dite démone arriver en avance.

-Elle cherche à faire quoi ?
-Elle est simplement prudente, Plume.
-Elle nous a laissé les mains libres et largement le temps de lui monter une entourloupe et ce n’est que maintenant qu’elle se montre prudente ?
-Elle n’a pas exactement les mains Libres.
-Intéressant…
-N’y pense même pas.
-Encore plus intéressant. De toute façon elle aurait pu nous donner le lieu de rendez-vous au dernier moment.
-Je ne pense pas.

Il ébouriffa affectueusement les cheveux de la céleste qui repoussa sa main négligemment. Ils attendirent tranquillement l’heure du rendez-vous gardant toujours un œil sur la démone au cas où elle aurait décidé de leur tendre un piège.
Quelque minute avant l’heure du rendez-vous l’ange et l’humain se dirigèrent vers le bord du toit opposé, là la jeune céleste déploya ses ailes, révélant par là sa présence à tout immortel à qui il prendrait l’envie de se balader dans les environs. Plume saisie le harnais de son humain et décolla. Le vol ne fut pas des plus évidents, elle était certes bien plus forte qu’un humain mais elle était bien plus petite que son colis et même avec le harnais elle éprouvait quelque difficulté à voler avec ce poids supplémentaire et le déséquilibre qu’il causait. Arrivé à destination, elle posa précautionneusement son lié sur le toit, le plus loin possible de la démone.

-Tu ne t’approche pas trop près d’elle et tu me laisse une ligne de feu dégagé. Et je persiste à dire que je devrais être plus proche.
-Non.

Un grommèlement exaspéré reçu la réponse de l’humain mais Plume fit ce qu’il voulait. Elle se déplaça lentement sur le côté pour ne pas avoir son lié dans sa ligne de feu, le canon d’un FAMAS pointé sur la démone.

-Plume !

Sans quitter des yeux l’autre céleste, l’ange baissa son arme et la cala, canon pointé vers le bas légèrement sur le côté.
C’était assez étrange de contempler une jeune fille d’à peine un mètre cinquante, portant une arme faisant près de la moitié de sa taille, avec attaché à la cuisse droite une arme de poing et un large couteau sur sa hanche gauche. La jeune ange fit quelque pas en arrière sans quitter la jeune femme des yeux et s’assit sur le rebord du toit sans la quitter des yeux, son arme en travers des cuisses. L’humain satisfait, se retourna vers la démone et s’avança un peu avant de s’arrêter de nouveau.

-Sans aller sur un autre toit, à quelle distance faut-il que l’on soit pour qu’elle ne nous entende pas ? Oh, et ne vous approchez pas trop de moi elle est un peu stressée.

C'était la première fois qu'elle voyait quelque chose comme ça et cela la laissa interdite quelques secondes. C'était un sacré spectacle, en vérité. Jamais la démone n'aurait cru voir un ange s'abaisser à tenir un rôle comparable à celui d'un cheval et pourtant, force était de constater qu'elle s'était trompée. L'expérience ne semblait d'ailleurs pas très concluante, on sentait que l'équilibre était parfois mis à mal et il lui semblait que l'humain devait apprécier moyennement l'expérience à être ainsi balloté dans les airs. Elle hésita à applaudir ironiquement quand l'étrange équipage arriva à bon port mais se retint. Elle n'avait aucune envie de se battre alors qu'Hannah dormait à quelques centaines de mètres à peine. Tant qu'elle n'en saurait pas un peu plus, elle éviterait de trop la ramener.

Le duo ne semblait quant à lui pas du même avis. Le ton de sa petite invitation montrait clairement que l'humain ne se prenait pas pour le premier venu. Elle ne savait pas ce qu'il savait ou ce qu'il ignorait ; il n'y avait bien que la jeune Plume pour répondre à cette question. Or cette dernière était trop occupée à la menacer avec ce qui semblait être une arme lourde. La démone ne savait pas si elle devait se sentir flatter ou non, mais cela prouvait au moins qu'on ne la prenait pas à la légère.

« Plume, hein ? » releva-t-elle avec un léger sourire, sans se laisser démonter par le canon qu'on fixait sur elle.

Ce nom ne lui disait rien. C'était surprenant d'ailleurs parce que la concernée était assez reconnaissable. Quelle âge avait-elle ? C'était difficile à dire mais Elle doutait qu'elle fut majeure dans un pays du monde. Ce genre d'enfant–ange (et enfant–démon) devenait rapidement célèbre, tout simplement parce que c'était globalement mal vu d'enfermer un immortel dans un corps éternellement jeune. Toujours était-il qu'un nom était une piste de départ suffisante pour faire ses recherches. Surtout quand on avait le numéro de Laurys de la Rochelle dans son portable.

« Comment veux-tu que je le sache ? C'est toi, son compagnon de route, pas moi, » répondit-elle quand il lui demanda à quelle distance ils devaient se poster de son chien de garde. « Tu dois avoir confiance en ton ange gardien. Tu sors de nulle part et tu viens me trouver, me menacer par écrit et maintenant de vive voix. Est-ce elle, qui t'as mis sur ma piste ? » demanda-t-elle ensuite tranquillement.

Rares étaient les mortels à être venu la trouver. D'ordinaire, c'était plutôt elle qui faisait le premier pas. Limite, elle aurait apprécié que la raison de toute cette histoire fut cette Plume. Elle aurait peut-être dû venir armée. Certes, face à un fusil comme celui que brandissait l'ange, ses armes habituelles pouvaient sembler ridicule. Il n'y avait bien que sur l'armement qu'Elle avait dû mal à se mettre à jour.

« D'ailleurs, tu n'as pas à te sentir obligé de me menacer. »

Et toujours, la démone souriait.

L’humain était sujet à des sentiments assez mitigés, il avait confiance dans les capacités de sa lié mais l’attitude de son interlocutrice et les mises en garde répétées de sa lié commençaient à le préoccuper. Pour autant, il ne s’autorisa pas à montrer son trouble et écouta tranquillement les remarques de la démone l’air d’être tout à fait à son aise, comme si tout ceci était tout à fait normal.

-Je te prie d’excuser ma maladresse, commença-t-il affable. L’inquiétude de mon ange à ton encontre doit être contagieuse, ajouta-t-il avec un sourire agréable. Quant à ta première remarque, je dirais seulement que ce n’est pas moi qui préférerais cacher tout ceci à mon ange gardien. Moi, je suis juste un admirateur à qui l’on a accordé les moyens d’être un peu curieux, termina-t-il toujours aussi affable, même si je m’en serais bien passé si j’avais eu un autre choix sur le moment. Mais je pense que je devrais arrêter d’essayer de faire assaut de mot avec toi parce que j'ai le sentiment que , d’une façon ou d’une autre, à la fin, je perdrai.

L’humain s’arrêta un instant de parler, l’air de réfléchir à ce qu’il voulait ajouter. Il se déplaça légèrement sur le côté ouvrant un peu plus l’angle de tire de son garde du corps mais se rapprochant aussi un peu de la démone. Le mouvement permit de révéler un peu plus de détails sur ce qu’il portait et notamment le fait que le harnais auquel il avait semblé accrocher était aussi un gilet pare-balles et qu’il avait un holster d’épaule où dormait ce qui ressemblait bien à un pistolet.

-On peut voir cette rencontre un peu comme celle d’un fan et de son idole, ajouta-t-il finalement amusé. Pourquoi avoir créé le Voile ? A quoi il te sert ? Est-ce que c’est simplement pour te simplifier la vie ou est-ce pour une autre raison ?


Plume observait tendu l’échange entre la démone et son lié, elle entendit vaguement les remontrances souriante de la démone mais ne saisit pas tout ce qu’ils se disaient. Elle ne pouvait pas non plus lire sur leurs lèvres, il faisait trop sombre, la luminosité ambiante lui permettait simplement de vaguement distinguer le visage de la démone et de deviner son sourire. Quand son lié s’approcha encore un peu plus de l’autre céleste l’ange se crispa, tendu comme une corde d’arc prête à claquer. Ses mains s’étaient crispées sur le corps de son arme et menaçaient de la déformer. Elle s’exhorta au calme et à la patience, il ne se passerait rien, il n’y avait rien à redouter tant qu’ils ne feraient pas de faux pas. En plus là où il était allé se placer la démone ne pouvait plus le regarder sans perdre l’ange de vue, ça facilitait les choses. Le dos toujours raide, le visage impassible fixé sur la démone, elle s’astreignit à faire le vide comme le lui avait appris son maitre quand elle était encore humaine. Tout irait bien tant qu’il ne ferait pas de connerie, mais c’était bien ça le problème, il allait forcément faire une connerie.

Elle ne savait pas exactement comment elle devait considérer cette rencontre inopinée. D'un côté, elle faisait face à un ange et son lié — ou un lié et son ange mais l'ordre n'avait au final que peu d'importance — et de l'autre, force était de constater que cet humain l'intriguait. Avait-il vraiment réussi à remonter jusqu'à elle seul, comme il le sous-entendait. C'était sans doute possible, après tout, les humains de ce siècle s'étaient donnés beaucoup de mal pour se surveiller entre eux. À l'ère du tout numérique, des caméras de surveillance et des individus-fiches, une démone comme Elle laissait forcément des traces.

Dans tous les cas, il avait tout d'un baratineur. Assurance de façade ou véritable, toujours était-il qu'il lui faisait face sans sourciller. D'un autre côté, il fallait reconnaître qu'elle n'était guère impressionnante face à deux individus prêts à débarquer en Irak. C'était frustrant, d'ailleurs.

« Je suis curieuse d'apprendre en détail ce que tu penses savoir, » nota-t-elle alors qu'il se décrivait comme un admirateur curieux.

Sa petite manœuvre pour ouvrir un peu plus une voie royale vers le cœur de sa cible à sa liée l'agaça légèrement mais elle ne laissa rien paraître. Mine de rien, ils avaient piqué sa curiosité et elle saurait supporter leurs petites frasques le temps d'en apprendre un peu plus.

« Le Voile est une idée. Parfois, la seule chose dont vous avez besoin pour agir, c'est une idée. » Esquissant un nouveau sourire, elle se désigna de la tête au pied. « Tu remarqueras que je suis venue sans arme et sans défense. Prouve moi que tu es un gentleman et fais de même. Ta Plume peut continuer à me menacer si elle veut, bien sûr. »

Il n'était pas dit qu'elle allait le satisfaire sans rien demander en échange. S'il pensait qu'un canon, aussi FAMAS fut-il, suffirait à la mettre au pas, il se trompait lourdement. S'il se contentait de poser des questions, il aurait bientôt affaire à un mur. La difficulté était qu'elle désirait en apprendre un peu plus sur lui, ce qui impliquait de faire durer la conversation un minimum. Mais dans le pire des cas, le nom de son ange serait un bon point de départ. On ne pouvait jamais savoir ce que Laurys serait capable de sortir à une question posée.

« De toute façon, ces protections sont inutiles, lui apprit-elle avec un léger sourire. Si je voulais vraiment te tuer, je trouverai les moyens de passer outre. Donc autant te mettre à l'aise. »

L’humain était plutôt perplexe. La démone était une énigme qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. Rien ne transparaissait au travers de son sourire avenant et c’était assez déstabilisant, un humain aurait laissé voir quelque chose, n’importe quoi trahissant tant soit peu ses émotions et ses pensées mais elle, elle ne trahissait rien, à peine une petite contrariété, peut-être, mais il ne faisait que le déduire de la situation présente.
Il n’arrivait pas à percer à jour la démone, se heurtant à son sourire, toutefois il n’était pas non plus en reste, loin d’être aussi doué, mais suffisamment pour éclater franchement de rire quand Elle déclara être sans défense.

-Je… je te pris de m’excuser, commença-t-il l’air contrit. Je dois avouer que ton sens de l’humour est surprenant. Tu es peut-être sans arme mais tu ne me feras pas croire que tu es sans défense, ajouta-t-il en se retenant manifestement de rire.

Malgré ses paroles un peu ambiguës, il saisit de sa main gauche entre deux doigts son Browning hi-power et sortie le chargeur pour le ranger dans l’une des nombreuse poches de son gilet pare-balle, il actionna la culasse faisant sauté la balle déjà logé dans la chambre.

-Je sais de quoi vous êtes capable toutes les deux, je l’ai vu écraser une jeep sur la tête de cinq type sans que cela ait l’air de lui demander beaucoup d’effort, fit-il en désignant Plume. Donc, non tu ne me feras pas croire que tu es sans défense. C’est aussi pour ça que je sais que ceci, il désigna son gilet, ne sers à rien contre toi mais « Prudence est mère de sureté » et de toute façon tout ça n’est pas contre toi. Quant à ce que je sais... pas grand-chose ou plutôt c'est comme si je ne savais rien, c’est d’ailleurs pour ça que je suis là.

L’humain détourna le regard le posant sur son ange gardien, un sourire cynique se dessina sur ses lèvres. Il marchait vraiment sur la corde raide, il n’avait pas le droit à l’erreur sinon il aurait de gros problème.

-Que cherche tu as faire avec de telles idées ? Qu’est-ce qui t’as poussé à le créer ? J’ai rencontré certaine personne appartenant au voile et la plus part ignorerait purement et simplement une de tes lettres et la jetterait.

Sur cette dernière phrase la voix de l’humain trahit une certaine amertume qu’il ne semblait pas, malgré tous ses effort, pouvoir dissimuler.

L'échange promettait d'être long. L'humain était bouffi d'arrogance. Ce n'était pas qu'il fut particulièrement mauvais, cela Elle ne pouvait pas le dire. Mais il semblait si sûr de lui, alors même que rien n'indiquait qu'il eut un réel contrôle sur la situation. L'ange était sans doute sa liée, il pouvait donc lui donner des ordres ; mais si les choses tournaient mal, il serait cantonner au rang de spectateur. Pourtant, il lui faisait face.

« Tu sais sans doute qu'elle et moi avons peu de chance de nous apprécier, alors. Surtout par les temps qui courent. »

Était-il seulement au courant de la petite guerre qui agitait leur « communauté » ? Rien n'était moins sûr. Les anges n'étaient pas toujours très honnêtes avec leurs compagnons mortels... et les démons non plus, d'ailleurs. Dans un rapport qui n'avait presque aucune chance d'être équilibré, les informations s'échangeaient soigneusement.

Toujours était-il que l'entendre parler du Voile n'était vraiment pas pour plaire à la demoiselle, que la situation énervait passablement. Le Voile était son trésor, son œuvre de repentance, il était à ses yeux le meilleur moyen qu'elle eut pour aider l'humanité — vaste programme — et voilà qu'on tentait de le soulever, de voir ce qu'il cachait. Le nom n'avait pas été choisi au hasard, même elle ignorait ce qu'était vraiment le Voile. Il était vivant, d'une certaine façon, il était l'union de volonté. Elle savait que des groupes naissaient de ces lettres noires, parfois, sans qu'elle eut à faire quoique ce soit et cela lui plaisait.

« La connaissance se gagne. Il ne suffit pas de venir me trouver pour m'arracher des réponses. » Surtout pas à ce sujet. « Mais tu m'impressionnes, d'une certaine façon. Tu as su profiter des moyens de ton époque pour me retrouver. Aussi je vais t'accorder deux choses : une question et la possibilité de partir sans heurt. »

Assez jouer. Elle aussi pouvait menacer, l'air de rien.

-Tu sais sans doute qu’elle et moi avons peu de chance de nous apprécier, alors. Surtout par les temps qui courent.

L’humain hocha la tête.

-La connaissance se gagne. Il ne suffit pas de venir me trouver pour m’arracher des réponses. Mais tu m’impressionnes d’une certaine façon. Tu as su profiter des moyens de ton époque pour me retrouver. Aussi je vais t’accorder deux choses : une question et la possibilité de partir sans heurt.

Il avait fait une erreur. Elle était surement dut à la trop grande habitude qu’il avait des anges qu’il avait récemment côtoyé. Eux ressemblaient plus à des enfants turbulents, Elle était bien différente et il avait mis trop longtemps à le réaliser. Peut-être avait-il perdu sa chance d’obtenir les réponses à ses questions ?... Mais peut-être qu’il pourrait regagner le droit de les obtenir… Cela semblait plutôt mal engagé à première vue.

-C’est... il détourna son attention de la démone pour la porter sur son ange gardien, malheureux.

Il n’obtiendrait rien de plus pour l’instant. Il n’avait pas les cartes en mains pour jouer convenablement cette partie et la gagner ce soir. La situation présente appelait clairement à effectuer une retraite stratégique en bonne ordre pour maintenir les apparences.

-Seulement une question… soupira-t-il en se retournant vers Elle.

Pendant un instant il parut soupeser ses options plus que réfléchir à la question qu’il pouvait poser, jetant un rapide coup d’œil sur sa liée et semblant étudier plus attentivement la démone.

-Que cherches-tu à réaliser avec le Voile ?

L’humain parut un instant vouloir ajouter quelque chose mais se retint. Le peu de céleste qu’il avait rencontré se tenait très souvent à une règle simple quand ils négociaient : dirent ce qu’ils vont faire, et faire ce qu’ils ont dit, pas plus pas moins. Il se faisait peu d’illusion, la démone lui avait accordé une question et pas forcément une réponse à celle-ci.

    « Souffler des ides. » Sachant pertinemment que la réponse ne conviendrait pas à son interlocuteur, Elle fut tentée de ne rien ajouter. Ce qu'elle aurait fait, d'ailleurs, si jamais elle n'avait pas eu un Caeso qui pouvait profiter du moindre instant de faiblesse de sa part pour attaquer Hannah. Non pas qu'elle doutât d'être capable de tenir tête à ces deux là — elle était plutôt sûre d'elle dans ce genre de cas, en témoignant son ultimatum qui n'avait rien d'un coup de bluff — mais mieux valait ne pas prendre de risque. « Parfois, vous n'avez pas besoin de plus pour prendre votre destin en main. Elle — elle désigna Plume — et ses semblables aiment à vous imposer leur joug, je vous donne juste la volonté nécessaire pour vous extraire de cette chape de plomb. »
    L'humain semblait avoir pris la mesure de la démone qui lui faisait face. Si Elle n'était pas du genre à se glorifier, elle connaissait sa valeur ; c'était désormais le cas de son interlocuteur qui devinait qu'un ange ne suffisait pas à l'intimider, aussi lourdement armé fut-il. Alors, certes, l'arsenal de Plume était impressionnant. Certes, Elle savait pertinemment qu'en cas d'affrontement, elle aurait un cruel désavantage. Mais ce qu'elle savait aussi, c'était que les immortels aussi rapides qu'elle se comptaient sur les doigts d'une main et que sa force aussi n'avait que peu à envier à ses autres semblables. Elle tourna d'ailleurs la tête vers l'aile blanche et lui fit son plus beau sourire. Sauf que ce sourire là était plus provocateur qu'amical.
    Cette petite rencontre touchait à sa fin. Croisant les mains dans son dos, comme pour démontrer qu'elle ne les attaquerait pas, elle s'inclina légèrement. « Ça a été un plaisir de vous rencontrer, tous les deux, affirma-t-elle avec un sourire. La prochaine fois — car il y aura une prochaine fois, n'est-ce pas ? — n'hésitez pas à venir moins chargé. Je sais être sage quand on joue le jeu avec moi. »
    La chose était dite, elle ne s'y attarderait pas plus. Elle les regarda partir sans un mot, puis se hâta de rejoindre Hannah. Elle n'avait déjà que trop tardé et la jeune humaine, si elle s'était réveillée, devait paniquée de se retrouver seule.