Étrange bénédiction | Ryu

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Elle ne savait même pas pourquoi elle agissait ainsi.

Elle savait qu'il était un Béni d'Azraëlle, certes, et donc digne d'intérêt ; elle n'avait cependant pas l'habitude d'espionner ses congénères, bien au contraire. Il y avait cependant quelque chose, dans son attitude, qui avait irrémédiablement attiré son attention.

Elle était de retour depuis une semaine mortelle et, chaque soir, elle avait pris l'habitude de se poster au sommet d'un toit choisi au hasard. Elle pouvait dès lors s'abîmer dans ses pensées en regardant Ses créatures vivre leur vie. Elle restait ainsi, parfaitement immobile, jusqu'à ce que le sommeil la prenne, à se poser les mêmes questions, à chercher les mêmes réponses, insaisissables. Finalement, il avait surgi sans prévenir et sans réellement en comprendre la raison, elle l'avait suivi, plusieurs jours durant. Pour l'heure, elle n'avait pas été repérée ; Alix pouvait faire montre d'une incroyable discrétion, quand la situation le demandait.

Il n'agissait pas au hasard, elle l'avait tout de suite compris, mais quand à deviner son réel objectif... Il lui avait fallu faire montre de patience. Et puis, finalement, il avait abordé un homme. Ce même homme qui possédait la maison qu'il avait épier la veille, qui travaillait dans le gratte-ciel qu'il avait admiré deux jours plus tôt, qui avait épousé la femme qu'il avait rencontré par hasard le matin même. Ils parlèrent longuement et elle regretta de ne pouvoir entendre. Qu'un ange s'intéressât à un humain n'avait en soi rien de surprenant, mais Alix était curieuse : pourquoi lui ?

Il n'était pas pur, mais la chose était rare, en ce siècle de décadence. Pourtant, elle ne pensait pas percevoir l'ombre du Malin coller à ses pas. Que recherchait donc l'ange qu'il avait pu trouver en lui ?

Age : 39 Messages : 138 Date d'inscription : 12/08/2011

Retrouver Yue Hue ne devait pas m'empêcher de continuer mes sinistres besognes. Je n'aimais pas vraiment bénir les humains, les entrainer dans cette guerre qu'ils ignoraient. Où était le bien, où était le mal? On m'avait apprit bien des valeurs, dont l'obéissance quel que soit l'ordre ou presque. J'étais devenu un vulgaire recruteur. J'aurais pu comme faire certains de mes compatriotes, bénir à tout va, les drogués, les alcooliques, toutes ces loques qui n'avaient plus de réelle volonté, mais cela eut été trop facile. Et ne faisaient que des anges souvent médiocres. Je préférais l'excellence. Une explication au fait que je sois toujours un ange et pas encore passé Séraphin. Je prenais le temps de choisir mes victimes, je les approchais, entrais dans leur vie, les bénissais et j'attendais. Je ne tuais pas pour accélérer le processus. Mais souvent, les crapules avaient une durée de vie quelque peu écourtée.

L'homme que je suivais était un jeune loup aux dents longues. Un brillant avenir se dessinait devant lui. Il était intelligent, retors, avide de pouvoir, de reconnaissance et n'hésitait pas à faire tomber les siens pour pouvoir se hisser toujours plus haut. La réussite seule lui importait. Un beau mariage pour la façade... De jolies filles peu farouches pour le plaisir. Un peu de cocaïne, parce que c'est tendance... Bref, une proie de choix. Il ferait sans doute un ange des plus retors.

Je m'infiltrais dans sa vie, apprenant tout de lui, de sa vie intime, de son travail, de ses vices cachés. Sa femme était dévouée, pas dupe quant aux agissements de son mari, mais elle fermait les yeux, parce qu'il lui amenait confort et sécurité. Mariage de raison. Peut-être d'amour pour elle. C'était la parfaite maîtresse de maison, l'épouse modèle. Celle qui vous reçoit chez elle avec un sourire délicieux. Qui vante les mérites de son mari pour endormir la méfiance des éventuels clients.

Depuis quelques temps, j'avais l'impression d'être... suivi? Espionné? Je sentais des picotements désagréables sur ma nuque, comme un regard pointé sur moi. Je détestais cela, mais je faisais comme si je n'avais rien remarquer, jusqu'à être certain d'identifier la source de ce soucis. Et enfin, j'y parvins. Si bien que je finis par tomber sur l'ange qui me suivait.

Et quelle surprise de découvrir que mon espionne était Alix, une protégée d'Azraëlle, sa préférée même. Qui avait disparu de la circulation depuis quelques décennies maintenant. Je n'avais pas pour habitude de m'attarder sur les autres anges, mais je faisais en sorte d'avoir un minimum d'infirmations sur eux. Pour savoir à quoi m'attendre. Alix était discrète, comme moi, sauf qu'elle vénérait Azraëlle là où je la méprisais. Elle m'avait trahie, se jouant de moi et de mes sentiments, de ma naïveté pour m'attirer dans ses filets. Je ne connaissais pas l'histoire d'Alix.

- Alix, quelle surprise de te voir à Londres après une si longue absence...

Je portais un jean, des baskets, un simple T-shirt et une veste de cuir noir, me donnant une apparence plus juvénile que je ne l'étais en réalité. Inoffensive aussi, alors que je pouvais tuer en une fraction de secondes.

- C'est Azraëlle qui va être contente de revoir sa protégée... Pourquoi m'espionnes-tu?

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Un instant, il marchait tranquillement dans la rue. L'instant d'après, il disparaissait et un de plus suffisait pour qu'il se trouvât dans son dos. Elle qui pensait avoir été discrète. Se redressant, elle quitta le vide qui pourtant semblait l'appeler de tout ses vœux et se retourna, faisant face à l'ange presque fait qu'était devenu Ryu. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il n'était encore qu'un enfant aux yeux du monde céleste, apprenant à peine a se servir de ses ailes quand elle s'en servait comme protection depuis un demi-millénaire. Elle ne s'était que peu attardée, prenant tout de même le temps de noter son étonnante droiture, rare chez un éveillé aussi jeune... D'ordinaire, la sagesse n'arrivait que plus tard, quand elle arrivait. Soit parce que cela faisait parti de leur caractère, soit parce qu'ils étaient dépassés par leurs nouveaux pouvoirs, les jeunes anges faisaient montre d'arrogance ; lui jamais. Quel péché avait été le sien, pour qu'Azraëlle eût décidé qu'il devait se racheter dans une seconde vie, Alix n'en savait rien ; elle n'avait pas demandé et ne le ferait pas. Chacun devait porter sa propre honte.

« Bonjour, Frère. »

Sa salutation, simple, n'en restait pas moins teintée d'une certaine affection. Même si les liens entre les Bénis d'un même ange était la plupart du temps tenu, la Séraphin ne pouvait rester indifférente aux choix de sa Mère. Sans aller jusqu'à le dévisager, elle prit le temps de l'observer d'un peu plus près. Il semblait s'adapter plutôt bien à cette époque, chose qu'elle était incapable de faire. Ses propres vêtements étaient simples et convenaient à plusieurs époques. Ils étaient noirs, aussi, comme bien souvent avec elle, et ses cheveux sombres encadraient un visage qui ne semblait témoigner d'aucun embarras. Ses ailes, finalement, témoignaient de sa véritable nature : comme à son habitude, elle ne s'en débarrassait que si la chose était réellement nécessaire.

« Dès l'instant où je fus éveillée, j'ai cherché à agir. Aujourd'hui, je préfère observer, un temps du moins. »

Elle avait trop souvent eu l'impression d'être dans l'erreur, et redoutait sa prochaine bénédiction. Et si, malgré sa retraite, elle échouait à nouveau ? Avec le recul, elle pensait s'être montrée trop souvent douce et prompte à pardonner les fautes des ses Enfants, convaincue qu'ils ne désiraient qu'une chose : se racheter de leurs péchés mortels. Force était de constater que si quelques uns avaient suivi ses traces sur la voie de la rédemption, trop nombreux étaient ceux qui avaient préféré couper les ponts... D'eux, elle ne préférait rien savoir.

Même si, au fond, elle espérait les voir recevoir le juste châtiment de leur double faute.

D'un signe, elle l'invita à le suivre alors qu'elle retournait s'installer sur le rebord du toits. L'humain qu'il suivait avec tant d'attention sortait justement de son lieu de travail, et avec le temps elle avait fini elle aussi pour développer un fort intérêt envers ce mortel ; un être qui ne vivait que pour lui-même, avait-elle fini par comprendre.

« Il s'est détourné de Ses commandements », fit-elle remarquer, songeuse. « Le Malin s'infiltre d'autant plus facilement dans les cœurs que l'objet de ses tentations est à portée de mains. Penses-tu qu'il L'ait jamais loué ? »

Age : 39 Messages : 138 Date d'inscription : 12/08/2011

Intemporelle. Éthérée... Décalée? Alix était un peu tout cela à la fois. il me semblait qu'elle était inadaptée et le serait toujours. humaine, elle avait déjà du dégager cette impression, qui se confirmait au fil des siècles. Je ne la voyais pas travailler dans cette époque, se comporter... Normalement. Trop de mystères. Alix était quelque peu illuminée, absolument convaincue de la pureté divine, incapable d'être objective. Il n'y avait que le bien et le mal pour elle. Les anges et les démons, Dieu et Satan. Blanc ou noir. Son salut m'amusa. Frère... Nous étions liés par une femme, une seule femme, qui avait décidé de nous embrigader dans la petite armée de son Dieu. Moi par jeu, par défi, Alix, pour je ne savais quelle raison. Je ne portais pas ma créatrice dans mon cœur.

J'observais les ailes d'Alix, plus grandes que la normales et souvent dévoilées... Elle était ange jusqu'au bout des ongles, ne cherchant même pas à se dissimuler. Par comparaison, je ne montrais ou ne me servais même presque jamais des miennes. Plus humain qu'ange. Je hochai la tête à sa réponse. Agir au lieu de réfléchir. Elle se permettait enfin ce que je faisais depuis ma création.

- La précipitation mène à l'erreur.

J'inclinai légèrement la tête sur le côté, dévoilant un léger sourire :

- La sagesse ne semble pas être fonction du nombre des années...

Elle avait mis du temps à comprendre cela apparemment, et elle était pourtant bien plus âgée que moi... Et plus naïve paradoxalement. Elle m'invita à la rejoindre et la suivre et je m'assis sur le rebord à ses côtés, mes ailes cachées quand les siennes étaient largement déployées. Elle parla alors de l'homme que je suivais, de ma cible, évoquant les Commandements, le Malin... j'eus un petit rire, un brin moqueur :

- Sais-tu que je ne croyais ni en Dieu, ni au Diable de mon vivant? J'étais bouddhiste.

Je levai le visage vers le ciel, posant mes mains derrière moi, nonchalant. Une impression, j'étais toujours en alerte. Toujours prêt à bondir, une vieille habitude.

- Il n'y a pas que le bien et le mal... Cet homme, il a ses principes, certes répréhensibles. Il est ambitieux, sans doute trop... Il aime le pouvoir, il n'hésite pas à piétiner les autres pour s'élever, et c'est un menteur et un manipulateur hors pair. Une recrue de choix.

Il y avait une légère amertume dans ma voix en parlant.

- Je pense que la seule chose que cet homme ai loué, c'est le dieu argent.

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

« Tu étais aveugle, mais combien le sont ? » murmura-t-elle en réponse à son aveu.

Elle n'avait rien répondu à ses provocations, préférant les méditer. Peut-être avait-il raison, finalement, peut-être avait-elle manqué de sagesse, refusant de se remettre en question jusqu'à ce qu'il fût trop tard pour faire machine arrière. Elle était, à l'instant, pleine d'humilité et elle ne se permit pas de le juger : ses anciennes croyances étaient mortes avec son existence mortelle. Ses paroles n'étaient en aucun cas des remontrances.

Elle l'écouta attentivement alors qu'il parlait de l'objet de ses attentions. Il sembla prendre sa défense, au début, arguant que le bien et le mal n'étaient pas tout. Pourtant, le portrait qu'il dépeignit, en plus de concorder avec l'idée qu'elle s'était forgée, la convint plus encore. Cet homme, qu'elle avait cru innocent sinon pieux, n'était au fond qu'une arrogante créature de plus, se détournant de son créateur pour embraser les biens matériels et la vie prospère que lui promettait le Malin, oubliant jusqu'à l'existence de sa mort et de ce qui l'attendait après. La Séraphin était lasse : pourquoi s'échiner à les sauver des Flammes des Enfers, quand ils semblaient tant les désirer ?

« Ce que les mortels nomment argent n'est qu'un autre nom du Malin, et sans doute sa forme la plus insidieuse », asséna-t-elle alors qu'il arguait qu'il ne devait croire ni en Lui, ni en Satan.

Lui qui parlait de sagesse l'instant d'avant, fallait-il qu'il eut ignoré cette simple vérité : l'argent et le confort assoupissait la foi de Ses créatures, qui vivait dans le présent plutôt que de se soucier de Son amour. Ils étaient des Fils ingrats qui allaient jusqu'à vivre au détriment du foyer qu'Il leur avait offert.

À nouveau, la colère illumina son regard, alors que ce simple début de conversation la ramenait aux défauts des Hommes. Elle avait presque envie de le tuer, de livrer son âme à ce Malin dont il sous-estimait la perversion ; d'ordinaire, elle aurait sans doute visé le même but que son Frère, quoiqu'en usant de moyens différents. Mais depuis son retour, elle ne souhaitait plus bénir pour voir ses Éveillés se retourner contre la chance qu'elle leur offrait.

« Le crois-tu digne d'œuvrer en Son nom ? Ne crains-tu pas que, le moment venu, il oublie à nouveau et jouisse d'un pouvoir dont il ne mérite ni la possession ni la garde ? »

Age : 39 Messages : 138 Date d'inscription : 12/08/2011

Je jetai un regard en coin à Alix alors qu'elle me répondait que j'avais été aveugle. Vraiment? Ma croyance avait été une erreur selon elle et me bénir avait été un moyen de m'ouvrir les yeux? Fascinante Alix. Entêtée Alix qui n'avait qu'une vision de choses et n'en déviait pas. Pourtant, le fait que l'âme d'Amaya ai été conservée, qu'elle soit réincarnée en Yue Hue prouvait bien qu'il y avait d'autres mystères. On ne parlait pas de réincarnation dans la Bible, mais de résurrection. Je restais accroché à mes anciennes croyances, que je trouvais bien plus justes que cette histoire de bien et de mal, de bon et de mauvais. Trop manichéen, trop simpliste. Le Bouddhisme était une croyance, une religion, une philosophie.

Alix m'observait depuis un certain temps, préférant la contemplation à l'action depuis très récemment. Un principe qu'il était bon d'appliquer enfin, étant donné son âge vénérable. Ce n'était pas une moquerie, ni même une provocation, juste une constatation. Je n'étais pas un sage, du moins ne me considérais-je pas ainsi, mais mon éducation m'avait amené à réflechir énormément avant de faire quoique ce soit. A observer, à analyser.

- Es-tu donc persuadée que chaque tentation est l'œuvre du Diable ? Ne t'est-il jamais venu à l'esprit que les hommes pouvaient vivre leur vie sans que ni Dieu ni Satan ne s'en mêle, qu'ils faisaient leurs choix, bons ou mauvais, parce que c'était simplement leur nature ? Le libre arbitre est un droit sacré... L'argent, la violence, la guerre, ce ne sont que des valeurs tout ce qu'il y a de plus humaines.

Il était incroyablement réducteur de résonner ainsi. C'est mal? C'est forcément l'œuvre du Malin. C'est Bien? Alors Dieu est à l'œuvre. Comment Azraëlle avait-elle pu tromper son élève à ce point? Comment pouvait-elle être aussi aveugle sur sa propre appartenance? Les démons pouvaient guérir, les anges détruisaient, n'était-ce pas là un signe suffisant pour qu'elle se pose quelques questions?

Je décelai de la colère dans son regard... Et ne lui opposai qu'une attitude calme. La colère n'était pas ma nature et souillait rarement mon âme. De même que la haine. Je ne haïssais même pas Azraëlle pour m'avoir dupé et condamné. Sa question m'amusa.

- Plus il enrôlera d'anges, plus il sera puissant. Oui, il fera une bonne recrue. Qu'attend-on de nous sinon venir grossir l'armée de Dieu? Qu'importe la qualité des recrues. Quand je vois certains anges, cela me donne la nausée."

Je haussai les épaules, la regardant avant de lâcher, pensif :

- Qu'est-ce qui fait un ange digne de l'être, selon toi ?

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Alix était beaucoup de choses. Une croyante convaincue de la justesse de son combat. Un ange prête à perdre la vie dans sa lutte contre le Malin. Une fervente adepte de la rédemption. Un inquisitrice impitoyable qui avait mené à la mort des centaines, voire des milliers d’individus qui L’avaient renié sans jamais faire montre de regret. Un esprit fragile que des mensonges aveuglaient. Mais jamais, jamais la Séraphin n’avait fait preuve de naïveté. Ses idées tranchées pouvaient sans doute le faire croire, mais il était impossible de rester crédule après autant de déceptions, autant de preuves éclatantes de ses propres erreurs.

Alix était folle, et la folie ne souffrait aucune contradiction.

Elle avait vu la mort rôder autour d’elle, elle avait assisté à l’assassinat de sa propre mère, elle avait subi la domination des hommes sous sa forme la plus violente, elle avait goûté à la morsure avide des flammes et son esprit ne s’en était jamais réellement remis, écrasé par la culpabilité, l’horreur et la souffrrance. Revenue à la vie, il lui avait fallu croire en quelque chose ; elle avait fait sienne Sa cause telle qu’elle était décrite dans les Ecritures. Dès lors, elle pouvait être assimilée à une Messagère de l’Apocalypse et les vaines tentatives de Ryu pour la mettre face à ses propres incohérences étaient vouées à l’échec. Il faudrait plus que quelques paroles prononcées avec calme et justesse pour fissurer le miasme de mensonges qu’elle avait laissé se former autour d’elle.

La clef était Azraëlle : qu’elle laissât entrevoir sa véritable nature à sa protégée et le château de cartes s’effondrerait. En attendant, gardienne de sa raison, l’ange deux fois millénaires pouvait se gausser des efforts qu’on pouvait déployer pour convaincre sa bénie.

Pour l’heure, Alix se demandait si Ryu ne se jouait pas d’elle. Entendre un élève d’Azraëlle remettre en question Son influence sur Ses créatures la dérangeait, mais moins qu’imaginer que l’Homme eut pu se montrer vil sans l’intervention du Malin. Ils étaient Ses créatures, pourquoi les aurait-Il voulu si imparfaite, si dangereuse pour elle-même et pour les autres ? Elle préféra pourtant garder le silence, gardant plutôt un œil sur celui qui risquait de devenir, un jour ou l’autre, un ange lui aussi. Elle tentait d’imaginer quel être céleste il deviendrait. Serait-il un être digne de Lui ? Prêt à Le servir ? Ou bien oublierait-il qui était son créateur et s’enorgueillirait de ce qu’il était devenu ?

L’ancien samouraï avoua le sentiment que lui inspirait certains de ses semblables et cette fois-ci, elle dût reconnaître qu’elle partageait son avis, tant il faisait échos à ses propres pensées. Elle détourna même le regard, s’intéressant à ses ailes et à leur blancheur. Les paroles d’Alice lui revinrent en mémoire et sa folie se révolta, chassant ses doutes puisqu’elle ne pouvait le faire d’elle-même. Ils étaient Ses serviteurs, chargés en son nom de sauver Ses créatures.

« L’important n’est pas de bénir, mais d’ouvrir les yeux. L’Homme oublie souvent jusqu’à sa propre condition, Son amour est le seul salut qu’il peut espérer. Peut-être tes yeux sont-ils toujours clos. »

Age : 39 Messages : 138 Date d'inscription : 12/08/2011

- Son amour ?

Léger amusement dans ma voix alors qu'elle ne répond pas tout à fait à mon interrogation. Arrête de prêcher, arrête de t'illusionner... Pauvre Alix, pathétique petite marionnette complètement manipulée. Aveuglée. J'aimerais comprendre. Comprendre son raisonnement, comprendre comment elle peut encore s'accrocher à ce discours de pureté quand nous évoluons dans la fange de nos semblables qui sont souvent issus de la lie de l'humanité. Certains, comme moi, étaient des gens droits, fidèles, purs d'une certaine façons, corrompus par les anges. Je me demandais ce qu'avait été la vie d'Alix et comment elle était devenue la favorite d'Azraëlle. Maintes fois, je m'étais demandé pourquoi Azraëlle avait été bénie également, si elle avait toujours été ainsi ou l'était devenue. Elle était si âgée... Les gens changeaient forcément.

- Oh, alors nous sommes Ses enfants bienheureux, puisque nous sommes à Ses côtés, et œuvrons pour Sa gloire éternelle.

Légère pointe de cynisme cette fois, mais je n'étais même pas certain qu'elle y soit sensible. Je souris doucement en secouant la tête négativement. Moi aveugle? Oh non, ma chère, j'étais lucide, bien plus que toi.

- Mes yeux sont grand ouverts au contraire, mais je crains que l'on ne t'ai mis des œillères.

C'était tout à fait cela. Des œillères. Et rien ni personne ne la ferait voir autrement ou considérer les choses autrement.

- Pourquoi être partie Alix ? Pourquoi avoir cessé de bénir ? Pourquoi préférer la contemplation à l'action désormais ? Des questions sans réponses seraient-elles venues te harceler ?

Femme de Dieu Age : 34 Messages : 51 Date d'inscription : 05/09/2011

Il était simple d'ignorer un détail gênant, tant qu'on ne l'avait pas remarqué. Tous, mortels comme immortels, pouvaient en faire l'expérience chaque jour qu'Il faisait. Mais dès l'instant où l'esprit le voyait, dans toute sa contradiction, il était trop tard. Soixante ans plus tôt, la véritable nature des Hommes et des Anges s'étaient imposées à Alix et depuis, elle ne dormait plus. Comme l'aurait fait cette petite voix insidieuse que les mortels nommaient conscience, Ryu aurait presque pu s'amuser à ramener à la lumière du jour chacun des tourments qui avaient animé sa retraite ; il ne s'y serait pas pris différemment, en tout cas. Et si le visage de la Séraphin ne trahissait rien, si elle semblait impassible, la réalité était tout autre.

« J'ai vu les Hommes se déchirer comme jamais je n'aurais cru la chose possible. J'ai vu les Anges assister au massacre, indifférent pour certains, amusés pour d'autres, bien peu horrifiés comme nous aurions tous dû l'être. Ce que je n'ai pas vu, Frère, c'est Sa main pour arrêter cette folie. »

Elle marqua une pause, se laissant imprégner par les événements qui l'avaient tant marquée.

« Pourquoi est-Il resté en retrait ? J'ai renoncé à comprendre. Tu me demandes pourquoi je suis partie, Frère, je ne peux que te dire pourquoi je suis revenue. Je Lui fais confiance. »

Qu'il décidât que Ses créatures et Ses serviteurs devaient trouver eux-même leur voie, elle n'avait pas à Le contester; qu'il faiblît face à Son frère et elle ne saurait simplement plus quoi faire... Dans un cas comme dans l'autre, il n'y avait qu'une chose à faire, rester fidèle à Ses principes. Peut-être ne faisait-Il que les mettre à l'épreuve. Si tel était le cas, elle désirait plus qu'ardemment réussir et être digne de Lui, de cette chance qu'Il lui avait offerte par le biais d'Azraëlle.

La rédemption, elle n'aspirait qu'à cela.

« Tu poses beaucoup de questions. Mais dis moi, que crois-tu savoir ? Penses-tu que, Ange, tu sais la vérité ? Tu sembles en être convaincu, en tout cas. »

Age : 39 Messages : 138 Date d'inscription : 12/08/2011

J'écoutai silencieusement Alix me conter son étonnement concernant la folie des hommes, l'indifférence des anges et l'inactivité de Dieu. Cela l'étonnait encore... j'avais parfois l'impression d'entendre le discours d'un prêtre au temps du Moyen-Âge, où l'obscurantisme régnait en maître. Depuis tout ce temps, Alix n'avait-elle donc pas évolué? N'avait-elle pas ouvert les yeux pour se poser les bonnes questions et avoir un avis bien à elle sur tout ceci?

Elle se posait de nombreuses questions, mais refusait d'y répondre, renonçant à comprendre, se contentant de faire une confiance aveugle en notre Seigneur. Que pouvais-je bien lui apporter? Que pouvais-je lui répondre? Que Dieu n'était qu'un égoïste qui rêvait de grandeur, de gloire et ne se souciait pas de ses ouailles, du moment qu'il avait son armée? Les humains avaient toujours voulu avoir leur libre arbitre, surtout en cette époque où la religion était moins présente. Et bien ils l'avaient.

Elle me demanda ce que je pensais savoir et si je pensais détenir la vérité. Je me contentai d'un sourire léger, avant de cesser de la regarder pour l'horizon.

- Fou et prétentieux est celui qui pense détenir la vérité. Mais je pense avoir ma vérité et cela fait toute la différence.

Je marquai une pause, songeur, cherchant mes mots, avant de reprendre avec douceur et patience :

- Dieu ne se préoccupe pas de ce que deviennent ses créations. Il a créé l'homme, à l'homme de suivre la voie qu'il le désire, soit en écoutant les principes de la Bible, soit en les reniant. Quant aux Anges, pourquoi se soucieraient-ils de l'humanité? Nous repérons certains individus et nous ignorons tous les autres. Pourquoi nous soucier de leur sort? De la destructions que l'humanité engendre par cupidité, corruption, ou soif de pouvoir? Crois-tu que notre devoir est de s'épancher sur ces malheurs Alix?

J'attendis quelques instants, avant de conclure, presque abruptement :

- J'ai vécu toute ma vie selon des préceptes rigoureux. La loyauté, le courage, l'honneur, la justice, la bienveillance... Vois-tu quelque chose de répréhensible là dedans? Quelque chose qui ai poussé un Séraphin à se pencher sur moi, et à anéantir ma vie?

Je me radoucis alors, me redressant et m'inclinant galamment, avant de terminer :

- Réfléchis bien à tout ceci et reviens me voir ensuite Alix, je serais ravi de discuter une fois que ton avis sera plus éclairé.

Et là dessus, je la quittai, la laissant avec ses doutes, ses interrogations, laissant le tout décanter.

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