[RP annulé] She was [PV Samantha]

J'eus l'impression d'être frappée par la foudre lorsque je la vis pour la première fois.

Sept siècles que je n'éprouvais plus rien. Lorsque j'avais revu Innocencio, j'avais cru que mon cœur s'était remis à battre. J'avais cru qu'il avait su éveiller de nouveau, rien qu'à sa vue, les émotions profondément enfouies en moi et que j'étais persuadée d'avoir su éliminer. La seule chose qu'il fallait désormais que je fasse pour réussir à être de marbre, quoiqu'il advienne, c'était me débarrasser de lui, je l'avais toujours su, et j'avais pensé que ce que j'avais ressenti lorsque je l'avais revu réduisait tous mes efforts à néant. J'avais pensé qu'il m'avait à nouveau éveillée.

Je me rendais compte aujourd'hui qu'en réalité, il m'avait laissée froide, ou presque. Ce n'était rien comparé au choc que j'étais en train de vivre.

- Aislinn ?

La voix de mon époux me rappela à la réalité et j'adressai un sourire forcé à son associé.

- Votre petite fille est adorable.

Sa petite fille était le portrait craché de mon enfant morte il y a sept cents ans.

Le repas se passa normalement, ou presque. Je n'aimais pas ce Renly Hale, et je ne pouvais concevoir qu'il ait pu engendrer une enfant aussi adorable que Samantha. Je percevais ce lien qui me dégoûtait, ce lien d'un blanc éclatant, couleur mensongère, qui me disait qu'il avait conclu un pacte avec un ange. Nous devions souvent nous retenir de sourire lorsque nous entendions les gens parler du blanc, du noir, de leurs symboles. S'ils savaient seulement que le noir était la couleur du bien, du salut, de la guérison... Nos pouvoirs et la couleur, ou plutôt l'absence de couleur de nos ailes le prouvait.

J'étais présente pour distraire Lord Hale, et je compris bien vite que la petite Samantha était ici attablée, alors qu'elle aurait dû être couchée depuis longtemps, pour la même raison que moi. Lorsque le dîner fut achevé, l'épouse du futur associé de mon mari se retira bien vite, emmenant sa fille avec elle pour la mettre au lit. Je l'avais trouvée curieusement effacée, mais néanmoins je la suivis, alors que les hommes se retiraient dans le bureau de Renly Hale.

Je n'eus aucune difficulté à me débarrasser de Lady Hale. Je pressentais sa souffrance et dévier mon don de guérison pour l'apaiser et l'endormir à la manière d'un anesthésiant fut d'une rare facilité. A peine sombra-t-elle dans un profond sommeil réparateur que je m'étais déjà éclipsée, me glissant dans la chambre de l'enfant.

- Samantha ? murmurai-je.

La petite ne dormait pas encore et je lui adressai un sourire chaud et apaisant. Toutes mes manières glaciales s'étaient envolées alors que mon instinct maternel revenait comme si jamais je n'avais été séparée de mes enfants.

Elle était tellement belle. Sa peau délicate, ses yeux en amande, ses longs cheveux doux, tout en elle me rappelait ma fille disparue. Sa beauté enfantine la faisait ressembler à une poupée de porcelaine, comme toutes les jolies petites filles. Était-ce elle ? Lui ressemblait-elle tant que cela ? Ou bien mon imagination me jouait-elle des tours ? C'était long, sept siècles. Était-il possible que je me trompe ? Ou ma mémoire m'était-elle bien fidèle ?

Je la vis assise sur son lit, me fixant de ses grands yeux étonnés, peut-être un peu apeurés. Elle était si touchante. Je sentais mon cœur battre dans ma poitrine, si fort qu'il me faisait presque mal, comme s'il voulait me forcer à me rapprocher physiquement d'elle. Je lui obéis docilement, me rapprochant du lit et m'agenouillant à ses côtés. J'étais grande ; nous étions presque à la même hauteur maintenant.

- Je n'ai pas voulu te laisser seule dans cette grande maison que tu ne connais pas, me justifiai-je d'une voix veloutée, toute faite de douceur et de tendresse.

L'enfant n'avait pas prononcé un mot durant tout le repas, sauf quand j'avais vu la malheureuse piquer du nez dans son assiette, et décidé de s'intéresser un peu à elle, lassée des discussions d'affaires de mon mari et de Lord Hale, et tellement dévorée de curiosité pour cette petite fille. Elle m'avait avoué vouloir devenir médecin ou quelque chose d'approchant, ce qui lui avait valu un regard méprisant de son père. Visiblement, cette gamine était destinée à ne servir que de décoration à un noble versé également dans les affaires. Je doutais qu'à moins de tout abandonner et de s'enfuir, elle puisse réaliser son rêve. Pensée bien romanesque à laquelle chacun avait rêvé un jour mais combien parmi eux la mettaient en application ?

- Ta maman n'allait pas très bien, elle a besoin de se reposer. C'est pour cela que je suis là à sa place.

A sa place... Si seulement je pouvais réussir à lui prendre cette place, songeai-je sans aucune considération pour l'épouse maltraitée dont l'enfant était sans doute le dernier bonheur qui lui restait. La femme comme la fille avaient été effacées tout le long du repas et Samantha était visiblement épanouie et censée. Elle savait forcément que quelque chose clochait.

- Est-ce pour elle que tu veux apprendre à guérir les gens ?

Je voulais bien lui apprendre. Tout, n'importe quoi pour récupérer mon enfant perdu, quelque chose qui me donnerait la force de tuer Innocencio, de me débarrasser de mes vieux démons. Rendre éternelle une âme coincée dans un corps de huit ans ? Je n'avais même pas conscience de l'erreur que c'était.

La jeune Samantha ne savait comment réagir. D'un côté, son interlocutrice dégageait une telle douceur, une telle prévenance, il était difficile de se méfier. De l'autre, elle savait que sa mère ne serait jamais allé se coucher sans lui souhaiter une bonne nuit. Hésitante, elle préféra garder le silence. Quand on ne savait pas comment réagir, la solution la plus simple restait de ne pas réagir du tout.

C'était d'ailleurs celle qu'elle appliquait jour après jour, avec son père.

Elle ressentit un instant une pointe d'inquiétude pour sa mère, qu'elle savait fragile. Pensée terrible pour une enfant qui n'avait tout simplement pas les épaules pour soutenir celle qui l'avait mise au monde. Voir sa mère pleurer, c'était voir son monde s'effondrer. Comment, dès lors, la réconforter ? Comment apporter une quelconque chaleur quand il n'y avait que des larmes pour attiser la culpabilité de sa génitrice ? Quand elle voyait son enfant pleurer, Lady Hale chasser ses démons, qui ne s'enfonçaient que plus profondément dans son âme. Pour Samantha, elle voulait être forte, elle ne s'exposait que plus.

Elle allait demander des explications quand la femme lui posa la question. Celle à laquelle il n'y avait qu'une réponse.

Vous pourriez ? demanda-t-elle, comme incrédule. Force était de constater que rien ne l'indiquait. Pourtant, sa question lui sembla d'un coup très impolie et elle rougit légèrement, baissant le regard. Je veux dire... Vous voudriez vraiment ?

Là, c'était mieux.

Elle redressa la tête, laissant ses yeux papillonner d'espoir. Soigner les gens, cela semblait tellement inatteignable. Comme réservé à un autre monde, celui des grandes personnes. Comment pouvait-elle, elle, soigner ?

Si c'est possible... Si vous pouvez... si vous voulez, je veux dire... Moi je veux.

Et dans ces derniers mots, et dans ses yeux, une détermination qui n'avait rien de puérile.

La réaction de la petite fille fut immédiate et au-delà de mes espérances. Cette incrédulité mêlée à un espoir sans fond dans ses prunelles était davantage que ce que je n'aurais voulu. Bien sûr que je pouvais, c'était le propre de tous les démons, et elle ferait la Princesse des Ténèbres la plus adorable qui soit. Innocencio m'avait dit que mes enfants vieilliraient, mourraient, parce que je ne pourrais les éveiller ? Eh bien voilà, j'en avais gagné une pour l'éternité.

Presque. Il ne fallait pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Mais je m'illusionnais déjà de bonheur enivrant à l'idée de retrouver ma petite fille, sans penser aux difficultés qui s'ensuivraient, notamment le fait qu'il faudrait l'arracher à sa vraie mère, que sans nul doute l'ange auquel était lié son père connaîtrait la vérité et pourrait intervenir, sans oublier la difficulté la plus grande, bloquer un esprit qui s'épanouirait, mûrirait, à jamais dans un corps d'enfant. Non, je n'y pensais pas le moins du monde. De toute façon, je l'adorais déjà si fort, elle ne pourrait qu'être heureuse avec moi. Comment pourrait-il en être autrement ?

Je m'assis à ses côtés au bord du lit, et posai une main légère, légère, sur sa joue encore arrondie par ses formes enfantines.

- Oui, je le peux. Et c'est avec plaisir que je te l'apprendrais, si c'était réellement ce que tu désirais.

Cette petite était la bonté même dans son désir enfantin de vouloir sauver le monde, quelque part. Je serais obligée de juguler son enthousiasme, parce que l'on ne pouvait soigner ainsi tout le monde, sans justification, sans raison. Il faudrait que je lui apprenne à discerner ce pourquoi elle ne pourrait le faire, ces moments où elle devrait user de son pouvoir. Mais elle était intelligente, elle comprendrait vite et facilement. Si jeune et déjà si décidée...

- Alors je t'enseignerai comment faire. Je te l'enseignerai d'une façon que tu ne pourras apprendre nulle part ailleurs. Seulement pour que ça marche, Samantha, il faut que cela reste un secret entre toi et moi. Tu ne dois en parler à personne d'autre, d'accord ? C'est très important, sinon tu ne pourras pas apprendre. Ta mère continuera à souffrir...

Je posai un doigt sur ses lèvres, lueur complice dans mes yeux bleus.

- Ce sera notre secret, à toi et à moi, répétai-je. Et ainsi tu pourras devenir meilleur guérisseuse que tous les médecins du monde réunis.

Mes doigts s'égarèrent dans ses cheveux, en caressant délicatement la douceur.

- Crois-tu en la magie, Samantha ?