Cela faisait longtemps ... [Pv Ryu]

Cela ne faisait que quelques jours que j'étais arrivé à Londres et déjà le travail afflué. Il faut dire que mon retour à la réalité n'était pas passé inaperçu. Des clichés chocs pour quelques campagnes sauvages et me voilà devenu le photographe vedette de plusieurs maisons de coutures. Pas de quoi se rouler par terre, mais le travail m'aider à faire le ménage dans ma vie. Moins de temps pour penser à elle. Moins de temps pour repenser à mes erreurs … Et donc moins de possibilité pour retomber dans le noir.

Déménager à Londres m'avait bien plus aidé que je ne l'aurais cru. La population étant plus caucasienne, je n'avait plus l'impression de voir son visage à chaque angle, un bon point. Et puis, elle était assez active et vivante pour que je ne tombe pas dans un ennuie qui put-être fatale.

Ma vie ici était un peu étrange d'ailleurs. Je vivais toujours dans les cartons du loft ou je m'étais installé. Je mangeais presque toujours des pâtes instantanées, je mettais presque toujours des fringues pas repassé pour une simple et bonne raison, je ne savais pas dans quel carton était le fer. Ou lorsque je devais aller à des shoots ou faire des trucs importants, j'allais simplement acheter de nouveaux vêtements. Un peu comme aujourd'hui ou j'avais du filer en urgence à Burberry pour m'achever un jeans noir, un t-shirt et accessoirement, les fameux sous-vêtement de marque avoisinant les 30£. Bref, retour chez moi, tentative de meurtre de la part d'un meuble suédois non monté et encore emballé. Et encore une fois, manger sur le pouce avant de s'habiller et de mettre les quatre chose que je n'avais du acheter dernièrement. Autant dire, l’écharpe, la veste, les mitaines et les chaussure.

Le shooting se passait bien, du moins avant que mon objectif ne rencontre un visage familier que l'on avait fait s'arrêter pour le besoin du shooting. Brutalement, ma main se crispa sur mon appareil alors que je le baissais. Me figeant sur place en voyant cet homme que je n'avais pas vu depuis 94 ans. Et je crus que j'allais me mettre à fondre lorsque son regard rencontra le mien.

Un moment interdit, la directrice de collection vint me voir inquiète. Elle me demanda si j'allais bien et sa voix me tira de ma tétanie. Me forçant à la regarder, je baissais les yeux sur l'écran de mon appareil avant de lui souffler que j'avais fini.

Rangeant mon appareil dans sa sacoche avant de quitter les lieux. Je filais dans les rues de Londres en manquant une bonne demi-douzaine de fois de me perdre. Et puis je sentis à nouveau un ange et presque automatiquement je levais les yeux. Le découvrant, Ryu. Un pas en arrière, puis un deuxième avant de me rendre contre que face à lui, je ne pouvais faire qu'une chose, attendre. Et j'avais peur de ce qui pourrait arriver. 94 ans sans donner signe de vie, 94 ans à ne plus bénir, à ne plus faire acte de présence à la Lux … tant d'années qui m'avais fait oublier celui qu'il était... Mais pas la crainte de ses réactions, juste, mais sans appels.

Trois moi que ma vie avait basculé. Trois mois que j'avais retrouvé celle qui n'avait jamais cessé de hanter mes pensées et faire battre mon cœur. Trois longs mois à la courtiser lentement, sans rien précipiter, bien que j'ai failli fauter avec elle plus d'une fois, trop attiré par ses lèvres ou ses courbes délicates. C'était une torture que de m'imposer une telle distance avec elle, pourtant, c'était une torture nécessaire. J'avais bien tenu plus de 10 ans quand j'étais humain, quelques mois ne devaient pas être insurmontables. Et pourtant... c'était plus difficile encore, car j'avais encore cette expérience unique et merveilleuse gravée dans mon esprit et je n'aspirais qu'à pouvoir y goûter encore. Les nuits étaient hantées par elle, son sourire, son regard pétillant, son corps gracile... Souvent, les deux images que je connaissais d'elle se mêlaient, se superposaient et je ne savais plus très bien moi même qui j'étreignais ainsi dans mes songes.

Mais nous étions d'accord pour prendre notre temps. Elle ne savait pas exactement mes motivations, ne pouvait s'en douter, mais je ne pouvais lui faire l'amour sans être certain de ce qu'elle ressentait pour moi. Et moi pour elle. J'avais aimé follement Amaya. Je ne devais pas faire l'amalgame avec celle qu'elle était aujourd'hui. Et pourtant, je l'aimais tout autant. Peut-être même davantage alors qu'elle affichait cette indépendance propre aux femmes de maintenant, qui me séduisait terriblement. Comme j'aimais sa joie de vivre et son humour. Son auto dérision. Tout en fait.

Et plus les semaines passaient, plus je l'aimais, la découvrant un peu plus chaque jour. Mon existence terrestre m'avait rattrapé, de même que mon existence angélique. Après Alix, la protégée d'Azraëlle, c'était Azraëlle en personne qui s'était rappelée à mon bon souvenir, me demandant de l'aide pour endurcir son dernier béni. Enfin, demander était un bien grand mot... menacé plutôt. Aaron était mon élève depuis trois mois et je n'avais pas à m'en plaindre. C'était un garçon bien, même s'il existait un soupçon de noirceur en lui qu'Azraëlle saurait faire grandir, je n'en doutais pas. Il était discipliné et de compagnie agréable.

Je marchais au hasard des rues, quand je fus arrêté par des gens. Je levai la tête, surpris de découvrir une séance de shooting photo. Allons bon... Seulement, je ne m'étais pas attendu à ce qu'un autre élément de mon passé surgisse brutalement devant mes yeux. Je ne rêvais pas, cette silhouette longiligne et mince, ces cheveux noirs... Katsuo? L'un de mes premiers bénis, que j'avais perdu de vue assez rapidement. Je n'avais plus eu aucune nouvelle de lui depuis bientôt un siècle. Il ne s'était même pas rendu à la Lux, disparaissant du circuit. Et il était là, jouant les photographes de mode. Nos regards se croisèrent Le mien, surpris, le sien, plus qu'ébahi. J'avais connu ce jeune homme gamin... J'avais un lien particulier avec lui.

Il retourna à ses occupations, troublé. Quant à moi, je décidai de nous accorder un peu de temps seul à seul, si bien que je le suivis quand il quitta la séance, pour me retrouver nez à nez avec lui. Me fuyait-il? Il était étrange de le voir ainsi vêtu... Notre dernière rencontre était si ancienne après tout. J'étais vêtu de façon assez semblable finalement. Baskets, jean, sweat et veste en cuir. Il avait disparu brutalement, sans donner d'explications, sans laisser de traces. Pourquoi? Je n'en avais aucune idée.

- Katsuo, je suis rassuré de te savoir vivant.

Il aurait aussi bien pu être tué que je n'en aurais rien su. Peut-être devrais-je prendre exemple sur Azraëlle et garder un œil sur mes bénis... J'avais parlé en japonais, naturellement et je repris dans la même langue :

- Que t'est-il arrivé?

Il y avait une ombre dans son regard, quelque chose de changé... Une situation qui l'avait éjecté du circuit et qui m'échappait complètement.

C'était vicéral, je craignais ses réactions tant je ne les connaissais plus. Comment aurais-je pu ? Je m'étais perdu moi-même avant de me reforger une existence. J'avais oublier les choses, mais pas les plus vitale. J'avais cessé de benir il y a 94 ans, j'étais resté au même stade que lorsqu'il m'avait quitté. Je craignais les anges et les démons comme un chat craint un chien. Et bien plus lorsqu'il était question d'une connaissance. De mon créateur.

Les premiers mots qui franchirent ses lèvres furent prononcé dans notre langue maternelle. Et dès ces mots, je compris que ma crainte était infondé. Il n'était pas égale à celle qui l'avait fait. Il n'était pas Azraelle, son cœur n'était pas ourlé de noir, il n'était pas le reflet d'une rage apprivoisé. Ainsi donc il me dit qu'il était rassuré de me savoir vivant. Avais-je inquiété son âme et meurtri son cœur en disparaissant ainsi ? Il semblerait, mais je ne pouvais pas être complètement désolé pour cela. Je n'aurais pu continuer alors que l'on m'avait ouvert les yeux. Qu'elle l'avait fait en me faisant choisir la mortalité de son âme et l'exécution de la mienne.

Il me demanda alors ce qu'il m'était arrivé et je ne pus que soupirer. Non pas d'ennui, mais face à ce que cette question impliquait comme souvenir. Du bonheur, comme de la douleur. Une disparition que j'aurais pu éviter si je n'avais pas pris si brutalement conscience de la dualité qui teintait les anges.

— … Un choix.

Un choix qui m'avait poussé loin de Dieu, loin de lui et avait fait de mon âme un champ de ruine. Réduisant le peut d'humanité que j'avais à l'état de martyr. Souffrance qui n'avait cesser de bruler mon cœur durant ce qui sembla être l’éternité.

— Désolé d'avoir voulu te fuir.

J'étais heureux, mais en même temps si partagé. Je ne savais pas vraiment ce qui était le mieux pour nous, pour moi. Qu'il sache que je m'étais tant détourné de ma voie ou le fait que j'avais perdu en humanité...

Un choix... C'était par choix qu'il s'était ainsi détourné de son devoir? Réellement? Un choix douloureux alors, ou faisant suite à une situation douloureuse. Et apparemment, il ne semblait pas encore enclin à m'en parler. Il s'excusa d'ailleurs d'avoir voulu me fuir et j'esquissai un très mince sourire :

- Moi qui pensais me faire des idées... Tu me fuyais donc vraiment.

Mais cela n'avait pas d'importance. Je ne jugeais pas sans connaître. Je ne condamnais pas. Je n'avais pas à le faire. Pas avec ce jeune homme que j'avais connu enfant et que j'avais retrouvé adulte. Un homme qui n'avait pas eu une enfance facile. Nos parcours étaient assez semblables. Nous étions tous les deux des guerriers, élevés dans les arts martiaux, mais quand je l'avais été dans la plus pure et noble tradition samouraï, il l'avait été par son père, dans un but beaucoup moins noble.

- Je ne pensais pas susciter un jour la crainte chez toi...

Je n'avais surement pas changé ma façon d'être et d'agir. Et lui? A quel point les décennies avaient-elles eu raison de celui qu'il avait été? Je me targuais d'être toujours le même, d'avoir les mêmes valeurs, simplement j'avais du développer certaines capacités propres aux anges dont je savais user sans pour autant les adopter totalement.

- Photographe de mode alors ? Voilà un métier peu banal pour ton retour.

J'étais tout en retenue. Je l'appréciais réellement, un peu comme un petit frère. Mais je n'avais jamais été quelqu'un de démonstratif et lui non plus. J'espérais qu'il ne doutait pas un instant de mes sentiments à son égard.

- Aurais-je le droit à une explication ?

De sa disparition de près d'un siècle, sans prévenir, sans crier gare, sans égards pour ceux qu'il connaissait.

Oui, j'avais cherché à fuir celui qui avait fait de moi celui que j'avais été avant. Ajoutant alors qu'il n'avait jamais pensé pouvoir susciter de la crainte chez moi. Et pourtant ce fut le cas, du moins le temps que je reprenne mes marques.

Il enchaina alors sur le métier que je faisais à présent avant de me dire qu'il n'était pas banal pour un retour. Essayait-il de m'apprivoiser à nouveau pour faire renaitre la relation que nous avions eut par le passé. Un lien assez fort qui fut toujours dissimulé dans l'ombre du respect. Il avait été beaucoup pour moi. Un exemple lorsque je fus enfant, puis l'objet d'une peine éphémère qui disparu comme elle était arrivé. Et enfin, le maitre, le père, le frère que l'on m'avait refusé. Nos parcours avaient-été similaires, au point que notre mort fut provoqué par un choix, celui de ne pas suivre le chemin qui nous était tracé.

— J'ai arrêter de voir le monde durant pas mal d'années, je ne pouvais qu'avoir un œil neuf sur ce qui se dessinait devant moi. Ce n'est pas tant le stéréotype de la mode qui m'a fait revenir, mais ce que l'on peut y insuffler pour la rendre unique.

Il me demanda alors s'il aurait le droit à une explication. Je ne pouvais lui refuser. Et ce n'était pas mes craintes mourantes qui le ferait. Je me rappelais peu-à-peu à quel point il différait de sa créatrice. À quel point il n'était pas cet ange dominateur.

— Oui, mais pas ici.

Je lui fis donc signe de me suivre et nous retrouvâmes assez rapidement le loft. Ouvrant la porte pour le laisser entrer, je m'excusais silencieusement pour le bordel. Dégageant le canapé avant de l'inviter à s'asseoir.

— Tu veux quelque chose ?

Oui, j'essayais de fuir mon explication derrière des politesses.

Je lui jetai un regard aigu alors qu'il m'expliquait le choix de ce métier atypique. Même si ce n'était pas ce qui m'intéressait le plus le concernant, cela me donnait quelques éléments de réponses. Sur sa façon de penser notamment. On aurait dit un artiste. Un rêveur également, de penser pouvoir rendre la mode unique par sa simple volonté et son talent. Je lui demandai alors si j'aurais le droit à une explication. Je ne le forçais en rien, n'exigeais rien. Il ne me devait rien au final. Ce n'était pas parce que je l'avais béni que j'avais tous les droits sur lui, un concept assez étranger à ma chère créatrice cependant.

Il accepta, mais pas ici, pas au beau milieu d'une ruelle. Ce qui était on ne peut plus naturel pour renouer après 94 ans d'absence. Je le suivis donc en silence à travers les rues, avant d'entrer dans un loft des plus modernes mais pas encore aménagé correctement. Il venait de s'installer ou il n'avait pas trouver le temps, ou l'envie, de décorer son intérieur. Je regardais le tout, dubitatif. Concernant ma propre maison, j'avais reproduis assez fidèlement le modèle japonais à l'intérieur, me sentant comme chez moi. Pénétrer chez moi, c'était pénétrer mon âme. Ce n'était pas le cas pour Katsuo. Ce logement était avant tout pratique, point final.

Il déblaya le canapé, avant de me demander si je désirais boire quelque chose. Je m'assis tranquillement avant de répondre :

- Du thé serait parfait.

Je marquai une pause, avant d'ajouter calmement :

- Tu viens d'arriver en ville?

Où étais-tu avant Katsuo? Qu'as-tu fait durant tout ce temps? Que t'est-il arrivé pour que tu changes ainsi?

Du thé donc... Retirant ma veste, je la posais sur une chaise avant d'aller faire un tour dans un carton, tirant une théière en fonte qui avait facilement cent ans. Glissant vers la cuisine je mis l'eau à chauffer alors qu'il me demandait si je venais d'arriver en ville. Retrouvant mon salon en chantier je m'assis sur un carton.

— Une semaine à peu près.

Je le remerciais intérieur de ne pas me mitrailler de question. Et ce, bien qu'il devait sans aucun doute s'en poser beaucoup à mon sujet. Me relevant alors, je repartis dans la cuisine ou je sortis un mug pour lui servir son thé. Revenant vers lui, je lui tendis avant de m'asseoir sur un coussin qui trainait par là. J'allais devoir lui dire, après tout si j'essayais de me reconstruire une vie, je devais aussi apprendre à en parler sans pour autant me renfermer.

Pourtant une main se porta, malgré moi, à mes lèvres afin de me mordre les doigts nerveusement. Et ce fut aussi malgré moi que mes yeux s'embuèrent légèrement à mes pensées. Je n'étais pas si guéris que j'aurais aimé être. Je demeurais faible face à ces pensées. Faible et terriblement fragile. Aurais-je montré autant de faiblesse face à quelqu'un d'autre ? J'en doute, mais c'était Ryu... Celui que j'avais admiré et qui m'avait fait grandir.

Avalant ma salive, j'avais l'impression de basculer dans un autre monde, de passer dans un état second alors que mes lèvres s'entre ouvraient pour lui révéler ce qui avait tant pesé sur mon âme, ce qui m'avait tant détruit et fait de moi un fantôme durant des décennies.

— J'ai eu le choix entre tuer ou détruire … Je l'ai tué …

M'attaquant plus nerveusement les doigts, je sentais les larmes monter dans mes yeux.

— J'ai choisi de la regarder mourir alors qu'elle me faisait confiance …

Je n'arrivais pas à regretter pleinement mon choix, mais en même temps, je m'en voulais terriblement de n'avoir rien fait. D'avoir fermé les yeux et d'avoir tenu sa main jusqu'à la mort. Je m'en voulais de ne pas savoir si mon choix était le meilleur, ou si j'avais commis l'erreur qui m'avait privé d'un cœur, d'une âme.

Son retour était effectivement des plus récents. Une semaine seulement et je lui tombais dessus par le plus grand des hasards en pleine rue. Je me demandais s'il savait que j'habitais Londres, ou si son installation était simplement le fruit du destin.

- Tu savais que je m'étais établi à Londres?

J'en doutais. Et que voulais-je entendre finalement? Qu'il était venu jusqu'ici pour me retrouver et renouer avec moi? Ou bien que ce n'était que le hasard et qu'il n'avait pas recherché ma présence? Qu'importe, la seule chose que j'exigeais de Katsuo, c'était l'honnêteté. Une valeur très importante pour moi, même si je me devais de la transgresser parfois, pour avoir mes bénis. On changeait, fatalement, mais pas fondamentalement.

Katsuo s'éloigna pour aller préparer le thé demandé et revint quelques instants plus tard avec un mug fumant d'où s'échappait un délicieux fumet. Thé à l'ancienne, que demander de plus? Il ne s'assit pas près de moi, mais sur un coussin à terre et il consentit enfin à me dire ce qu'il s'était passé. Sa nervosité était plus que palpable et je ne me souvenais pas l'avoir déjà vu un jour si en proie à ses émotions. Son regard brillant trahissait des émotions violentes, tristes et pas encore assimilées et contrôlées. Il me confia alors avoir eu le choix entre tuer et détruire et je fronçai les sourcils, perplexe. Qui avait-il tué?

Il continua en disant l'avoir regardée mourir alors qu'elle lui faisait confiance. Une femme donc... Un amour? Je ne comprenais pas tout malheureusement, il me livrait les informations de façon sibylline et il me manquait quelques pièces pour assembler le puzzle.

- Qui ? Une femme que tu as aimé ? Raconte-moi.

En détails, pas en vrac. Et dans l'ordre si possible. Ce qui devait être pénible pour lui. Relater un évènement douloureux n'était jamais simple. Moi-même, j'avais des difficultés à me remémorer ma mort, ma séparation avec Amaya, son regard, agrandi de chagrin que je n'oublierais sans doute jamais...

— Non, il semblerait que ce soit le destin qui nous ai réuni.

Lui ramenant alors son thé, je finis par m'asseoir et laisser échapper ma nervosité. Vendant au travers de ma douleur les raisons de ma disparition. Mâtiné par une souffrance qui ne semblait pas prête de se dissiper. Le choix n'avait guère était simple. Une femme, la mort ou la destruction. J'avais choisi la mort pour elle et la destruction pour moi. Je savais qu'il ne pourrait comprendre entièrement, qu'il ne pourrait lire pleinement à travers les ligne.

Alors il me demanda son identité, si c'était une femme que j'avais aimé. Il voulait savoir que je lui raconte. Et je lui conte ce qui m'avait poussé à disparaître, à n'être plus qu'un nom. Lentement je levais les yeux vers lui, le regard tourmenté par la rage et la douleur du passé. Ce simple souvenir éveillé en moi bien des chose que je n'aurais guère voulu ressentir. Alors je pris sur moi, tachant de faire le ménage et d'être plus calme, plus apte à me livrer.

— Oui…

Me mordant les lèvres dans l'espoir que la douleur physique efface ce qui poignardé mon âme, je repris.

— Je l'ai rencontré en 1916 près de Kyoto, elle semblait si naïve, si fragile, si pure… Elle me laissa rentré dans sa vie, l'apprendre et l'aimer. Et durant deux ans, j'eus des remords à bénir. Elle me liberéré et je culpabilisé de n'être qu'un ange …

Et le plus difficile arriva...

— Avec la guerre en occident et les répliques Russe, la santé n'était pas la priorité au Japon et lorsqu'elle tomba malade … je maudis dieu de n'être qu'un mensonge...

Baissant de nouveau les yeux, ma gorge se noua brutalement.

— J'aurais pu la bénir, mais… Elle acceptait la mort, elle aimait la fragilité des hommes, ce dire que tout était unique...

Un larme coula malgré moi sur ma joue alors que ma voix c'était mise à trembler. Serrant les poings face à ce trop plein d'émotion.

— Je n'ai pas pu lui mentir, je l'ai laissé mourir sans l'aider...

Essuyant la larme qui venait de s'échapper de mes yeux, je remontais le regard sur celui qui m'avait crée.

— Après ça, après cette aveux de faiblesse... J'ai préféré disparaître comme elle... Je ...

Je l'aimais trop et je ne savais pas si j'avais bien fait de ne pas la bénir, si j'avais bien fait de la laisser mourir sans la sauver …

Au moins, Katsuo avait conservé une qualité : l'honnêteté. Il ne chercha pas à flatter mon égo en me rétorquant qu'il était revenu ici pour moi. Non, c'était le fruit du hasard, un hasard qui faisait bien les choses, puisque je retrouvais mon élève. Mon préféré. Parce que je l'avais connu mortel, peut-être... Parce que nous partagions cette vie qui était loin derrière nous désormais. Pour ce qu'il était aussi, tout simplement.

Il me ramena mon thé et s'assit, trahissant par de nombreux signes une nervosité que je ne comprenais pas. Je ne lui avais jamais donné aucune raison de me craindre ou craindre mon opinion. Il me rappelait Aaron, par certains côtés. Notre première rencontre en tous les cas, quand le jeune ange ne savait pas sur quel pied danser avec moi. Mais Katsuo me connaissait de longue date.

Il commença à me donner des éléments, malheureusement trop sibyllins pour que je puisse réellement comprendre par quoi il était passé, ce qu'il avait enduré. Avec douceur, je l'enjoignis de se montrer un peu plus explicite. Le regard qu'il leva sur moi me serra le cœur, tant il était chargé de douleur et tourmenté. Je lui demandais sans doute beaucoup... Beaucoup trop si la souffrance était encore si visible. Mais je ne le forçais en rien à me répondre. Il pouvait décliner poliment. Il ne le fit pas.

C'était bien une femme qu'il avait aimé. Il y a longtemps de cela, mais alors qu'il était déjà un ange. Il me raconta brièvement comment il était tombé amoureux et quel bien elle lui avait amené en lui permettant d'entrer dans sa vie. Un sentiment que je ne connaissais que trop bien et que je venais juste de réapprendre à ressentir. Elle tomba malade... Katsuo avait des scrupules à la bénir, à la plonger dans notre univers si éloigné de tout ce que l'on pouvait apprendre dans les livres ou les religions.

Il ne la bénit pas. Il la laissa s'éteindre, comme tout être humain qui n'avait pas le malheur de croiser la route d'un être céleste. Ou démoniaque. Et le remord le torturait. Ses larmes me touchèrent, de même que sa détresse psychique. Et cette question, qui le hantait : avait-il prit la bonne décision? L'entraîner avec lui dans ce mensonge qu'était notre existence ou la laisser mourir, selon ses convictions, ses croyances? Un cas plus que difficile et je ne détenais malheureusement pas la vérité absolue. Bénirais-je Yue Hue quand elle saurait ce que j'étais? La condamnerais-je ainsi pour simplement passer ma vie à ses côtés? Ce serait à elle de prendre la décision et à elle seule. En tout état de cause. Je lui avouerais la vérité, parce qu'elle était à même de l'entendre. Ce qui n'avait pas semblé le cas de celle que Katsuo avait aimé. Il y a presque un siècle de cela.

- Tu es resté avec elle alors qu'elle s'éteignait. C'est déjà beaucoup. Tu as respecté ses convictions et tu ne l'as pas bénie en lui mentant. Cela demande beaucoup de courage et d'altruisme Katsuo. Et ce n'était pas la voie la plus simple à emprunter. Tu en souffres toujours aujourd'hui. La mort fait partie de la vie. Pardonne-toi, tu as agi comme il le fallait.

Je n'étais pas certain de ce que j'avançais, mais je ne laissais rien voir de mes doutes à mon élève, préférant lui apporter le repos de l'âme sous un air de certitude absolue. Si seulement cela suffisait à l'apaiser...

Être resté avec elle alors que la vie quittait peu-à-peu son être, l'avoir soutenue jusqu'à la fin. C'était sans aucun doute beaucoup et il avait sans doute raison aussi. J'avais respecté ses convictions, mais à quel prix ? J'avais été honnête envers elle, je l'avais préservé, mais dans le fond, en refusant de lui dire j'avais aussi accepter de lui cacher la vérité.

Du courage ? De l'altruisme ? Une bonne dose de masochisme surtout. Je n'avais pas choisi la voie de la simplicité, et je me demandais toujours si dans le fond, j'avais eu raison. J'étais incertain, je portais ce fardeau depuis trop longtemps et la souffrance me tirait depuis sa mort.

Il me demanda alors de me pardonner à moi-même, relevant les yeux vers lui, je fronçais légèrement les sourcils. J'avais agi comme il fallait selon lui. Essuyant les larmes qui avaient échappé de mes yeux, je lui demandais :

— Comment ? Comment me pardonner ?

Passant une main sur mon visage, je repris.

— Et quand bien même je me pardonnais ? Quel avenir pour un déserteur comme moi ? Que faire alors que je n'ai plus confiance en ce que nous sommes ?

J'avais eu du mal à accepter ce que j'étais après sa mort. Rien n'était immuable, et j'aurais aimé que les choses changent. Malheureusement je n'étais rien et je ne pourrais rien faire. Le système était corrompu et je n'étais qu'une personne de plus dedans.

— Désolé de t'avoir porté préjudice en disparaissant, mais je n'avais guère le cœur à rester.

Katsuo était perdu et avait besoin de réponses. Comme si je les avais... Comme si j'avais la clé de tous les mystères et pouvais le réconforter en lui apportant LA réponse dont il avait besoin, la vérité absolue. Les deux n'étant, malheureusement, pas forcément toujours compatibles. Son histoire était tragique. Nous avions tous notre lot de malheurs. J'étais mort le premier, et je ne regrettais absolument rien de ce qu'il s'était passé, même si son absence avait pesé lourdement sur mon âme pendant plus d'un siècle et demi. Je n'avais pas eu à faire un choix. Le choix, il s'offrait à moi maintenant. Offrir l'immortalité à Yue Hue, en l'entraînant dans mon monde, un monde qu'elle n'apprécierait sans doute pas, qui n'était pas en adéquation avec ses convictions. Ou bien, lui laisser sa vie de mortelle, l'aimer et la regarder vieillir, jusqu'à ce qu'elle s'éteigne, me laissant seul et sans doute, inconsolable. Pourrais-je accepter cela? Aurais-je la force de ne pas me montrer égoïste? Je n'étais pas meilleur que Katsuo.

Il releva les yeux vers moi, me demandant comment se pardonner. Comment pourrait-il y arriver? C'était le plus difficile. Elle, elle ne pouvait pas lui pardonner, il ne pouvait avoir l'assurance qu'elle aurait compris et lui aurait pardonné cela. Il fallait pourtant qu'il y croit. Il enchaina en parlant de son avenir. Certes, il n'était plus allé à la Lux, il n'avait plus donné signe de vie. Azraëlle étant la directrice de l'école... La réintégration risquait d'être difficile. Si tant est qu'il se réintègre, étant donné qu'il ne croyait plus aux préceptes angéliques. Moi non plus et cela ne m'empêchait pas de vivre pour autant.

- Je n'ai jamais eu confiance en ce que nous sommes. J'accepte ce que l'on m'enseigne, j'apprends, je retiens. Libre à toi de penser ensuite par toi même et d'agir selon TES principes Katsuo.

Il s'excusa et je balayai ses excuses de la main.

- Il n'y a nul préjudice.

Je marquais un temps de pause, avant de le regarder, songeur et de murmurer :

- Peut-être ai-je fait une erreur en te bénissant.

En lui apportant cette vie qu'il semblait trainer comme un fardeau.

J'avais besoin de réponse, j'avais besoin qu'il m'aide. Une demande égoïste, surtout venant de quelqu’un qui n'avait pas donné signe de vie durant près d'un siècle. Pourtant il ne fuit pas, il resta là, à écouter, à m'aider . C'est ainsi qu'il me dit qu'il n'avait jamais eu confiance en ce que nous étions. Le problème c'est que moi si, j'avais été aspiré par ce cadeau et j'avais sans aucun doute oublié l'essentiel.

Il avait juste accepté, accepté d'être, d'apprendre, d'enseigner. Mais nous étions libre d'agir selon nos principes. Voilà la différence. Je m'excusais alors de lui avoir porté préjudice, mais je n'avais guère eut le cœur de rester. Il refusa mes excuses en m'informant qu'il n'y avait eut aucun préjudice.

Son regard se fit brutalement plus sérieux alors qu'il murmura qu'il avait peut-être fait une erreur en me bénissant. Levant les yeux vers lui, j'ouvris une première fois la bouche avant de la fermer. Me redressant lentement. Mon regard c'était brusquement assombri alors que je m'avançais vers lui. M'asseyant de nouveau juste à ses pieds. J'avais passé presque un siècle à vivre, à porter une femme en deuil, je ne pouvais plus.

— Oui, sans aucun doute, en y repensant, j'aurais aimé que tout soit éphémère, car maintenant, je sais que si je perds une occasion, j'en aurais sans aucun doute une nouvelle. Il est aussi vrais que lorsqu'elle est morte, je t'ai hais d'avoir fait de moi un être dont les années n'auront pas le dessus, mais...

Souriant je secouais lentement la tête.

— Mais en même temps, si tu m'avais laissé n'être qu'un mortel, je ne l'aurais jamais connu, je n'aurais jamais vécu deux ans de pure bonheur et aujourd'hui... je ne serais pas la pour découvrir ce monde, ces nouveautés, je ne serais pas là pour admirer et découvrir les perles de pureté d'un monde en destruction.

Soupirant alors, je repris.

— Je ne saurais dire exactement si tu as bien fait ou non, mais voilà, c'est fait, je regrette beaucoup de chose, mais pas celle d'avoir put-être à tes côtés. Tu as marqué mon enfance, tu es devenu un modèle, un maitre, un père. Tu as comblé un manque, une présence rassurante et stricte. J'ai eu beaucoup de bas c'est derniers temps, mais j'ai repris le dessus, je sais qu'elle n'aurait jamais voulu que quelqu'un souffre ainsi de sa mort. J'ai mis 94 ans à me relever, en parler est difficile, y repenser aussi, mais je ne peux plus vivre dans le passé...

Me relevant alors je regardais par ma fenêtre, presque serein d'avoir vidé mon sac. Comme-ci en parler avait libéré mon âme.

— Aujourd'hui, je dois re apprendre ce que c'est qu'être un ange, mais l'être à ma manière, ne plus laisser les injustices et immoralité noircir les âmes de ce monde...

Souriant de nouveau, je baissais les yeux vers lui.

— Je suis fou

J'énonçai une vérité, un regret. J'avais imposé cette vie à Katsuo alors qu'il ne la souhaitait surement pas et portait aujourd'hui son immortalité comme un fardeau. Je ne l'avais pas vu ainsi à l'époque, mais je n'avais pas envisage non plus qu'un amour perdu puisse lui peser autant. Je savais ce que c'était pourtant, bien que j'ai toujours vécu dans l'espoir, sans doute fou, que je la reverrais. Katsuo ouvrit la bouche une première fois, avant de la refermer sans qu'un son n'en soit sorti. Il se leva alors, venant s'asseoir à mes pieds. Me rappelant étrangement un élève avec son maître.

Et une fois de plus, il répondit avec une honnêteté louable, qui en était presque blessante pour moi tout de même. Oui, il m'avait haï pour ce cadeau empoisonné quand il avait perdu celle qu'il aimait. Je restais silencieux, l'observant sans rien répondre, le laissant terminer.

Il contrebalança son amertume en ajoutant que sans cette immortalité, il serait mort sans jamais l'avoir connue, sans avoir découvert le bonheur avec elle, aussi éphémère soit-il. Jolie philosophie, pas toujours évidente à appliquer quand on avait perdu une moitié de soi, que l'on ne retrouverait jamais. Il avait aussi l'occasion de découvrir le progrès, cette vie foisonnante de technologies que nous n'aurions jamais pu imaginer. Le monde avait-il évolué en bien ou en mal, je ne pouvais en juger, mais il avait changé et nous avec.

Il conclut alors en disant ne finalement pas regretter avoir croisé ma route, vantant mes qualités et m'arrachant un sourire en coin qui pouvait presque être qualifié de gêné devant ces éloges, qui ne me semblaient pas forcément méritées.

- Je regrette simplement que tu ne sois pas venu me parler plus tôt, je ne t'aurais pas laissé souffrir seul...

Mais peut-être le savait-il justement et était-ce cela qui lavait empêché de venir. Le besoin de faire son deuil seul. Il se releva alors, regardant par la fenêtre, plus apaisé en apparence. Il prit une résolution, devenir un ange oui, mais selon ses principes, pas ceux qu'on lui imposait. Il se retourna vers moi et conclut qu'il était fou.

- Oui, sans doute... Autant que moi. Ce n'est pas un hasard si tu es mon préféré.

J'avais dit cela sur le ton de la plaisanterie, mais c'était pourtant vrai. Katsuo était celui avec qui j'avais le lien le plus étroit. Je l'avais connu enfant, il m'avait connu humain... Nous étions de la même époque, du même pays....

Je ne regrettais pas vraiment, et je lui dis. Il me répondit alors que lui, il regrettait simplement que je ne sois pas venu lui parler plus tôt. Il m'aurait éviter de souffrir seul. Souriant face à cette remarque, je répondais bien rapidement.

— Merci, mais j'avais besoin de temps

Je partis alors en délire, lui exposant mes nouvelles résolution, ce que je voulais faire de ma vie maintenant que j'avais retrouvé mes esprits. C'était sans doute fou et je lui dis. Mais je voulais suivre mes principes à présents et non ceux qu'on m'imposait. C'était ainsi. Il pourrait être d'accord, ou non, qu'importe. Tant que j'étais en accords avec moi-même, cela ne pouvait qu'aller. Toutefois, j'aurais aimé qu'il me suive dans mes résolutions, ou du moins, qu'il les acceptes.

Il me dit alors que j'étais sans doute fou, mais que je l'étais autant que lui. Ajoutant que ce n'était pas un hasard si j'étais son préféré. Souriant alors je finis par éclater de rire. Nous avions beaucoup en commun, un passé, une humanité, une vie. Lui aussi était mon préféré, en même temps, je n'avais que lui et je tenais à lui. Il le savait.

— Hé ! Mais j'y pense, tu me dois 94 noël et anniversaire !

Comment ça j'en demandais beaucoup là ? Enfin bref, je retrouvais ma place face à lui avant de lui demander plus sérieusement, ou pas.

— On parle de moi, et je sais que tu m'aimes, mais... 94 ans sans me supporter, t'as du en faire des choses chiantes en mon absence?!

Je redevenais peu-à-peu le béni énergique qui l'avait souvent épuisé par le passé. Comme quoi, il m'aidait vraiment à redevenir moi-même. C'était automatique à ses côtés.

Oui, du temps... Il avait préféré la solitude à la sollicitude et je pouvais l'accepter et le comprendre, même si je le regrettais. Du temps, il lui en avait fallu oui, presque un siècle. C'était long. très long. Eut-il été humain qu'il serait mort avec ses regrets, avec son deuil qui n'était pas fait. Il serait passé à côté de sa vie. Mais pouvais-je le condamner pour autant? Avais-je fais mieux en restant obnubilé par ma recherche d'Amaya? Non, surement pas.

Il me confia alors ses projets, avec ce petit grain de folie, cette énergie qui m'avaient plu chez lui et que j'avais peur de ne pas retrouver après cette longue période d'hibernation et de solitude. Ses projets étaient fous, oui, sans doute, mais c'était pour cela que je l'aimais, comme un jeune frère. Nous étions plus liés que beaucoup d'anges, ce qui était assez normal, étant donné notre passé commun. Et nos caractères.

Et enfin, il éclata de rire. Enfin, je pus retrouver celui que j'avais connu derrière ce rire qui n'était certes pas insouciant, mais au moins sincère, un son qui ne devait pas se faire entendre souvent. Katsuo avait toujours été d'un naturel plus enjoué que moi. Même maintenant, alors que j'étais heureux, mes rires restaient terriblement rares et n'étaient réservés qu'à Yue Hue. Il me fit alors remarquer que je lui devais 94 noël et anniversaire et je le regardai, surpris, avant de sourire en secouant la tête.

- Tu peux rêver, tu n'avais qu'à être là, ce qui est perdu est perdu! Et en plus, je ne suis pas Crésus.

Bien qu'ange, je ne roulais pas sur l'or, contrairement à certains de mes congénères. Comme Azraëlle, pour ne citer qu'elle, qui vivait dans le luxe et l'opulence. Les siècles permettaient d'amasser une petite fortune, mais je n'avais pas besoin de tout cet argent. Je vivais simplement, avec des besoins simples.

Il revint se positionner face à moi, un peu plus sérieux et m'interrogea sur ce que moi, j'avais fait, pendant tout ce temps. J'esquissai un sourire.

- Tu n'as pas idée de comment je me suis ennuyé sans toi. Tellement que je n'ai pas grand chose à te raconter d'ailleurs. Il me reste un béni pour devenir Séraphin et enfin recouvrer une certaine liberté.

Quoique, avec Azraëlle qui avait surgi de nouveau dans ma vie et me tenait dans le creux de sa main, rien n'était moins sûr.

- J'ai pris en charge l'éducation d'un béni d'Azraëlle.

Et j'ai retrouvé mon amour perdu, mais cela, je le tus, pour le moment. Ce n'était sans doute pas le sujet idéal avec lui.

Ryu me refusa le droit d'avoir mes cadeaux et je ne pus retenir le rire qui franchi mes lèvres. Ok, je ne l'avais pas volé et il avait répondu juste ce qu'il fallait. Je lui demandais alors ce qu'il avait fait durant tant d'année alors que je reprenais mes positions sur le sol.

Cela faisait vraiment du bien de m'avoir à mes cotés, je me sentais vraiment bien. Je n'avais pas ressenti une tel aisance depuis des décennies, presque un siècle. Il esquissa alors un sourire avant de commencer son récit. Commençant sur le fait qu'il s'était ennuyé sans moi et qu'il n'avait pas tant de chose à raconter. Sauf qu'il ne lui restait qu'un béni pour enfin devenir Séraphin. Et donc de retrouver sa liberté.

— Je vais enfin pouvoir me la pété en me vantant d'avoir un père Séraphin...

Une boutade qui s’effaça légèrement lorsque je repris.

— On parle quand même d'Azraëlle... La liberté c'est subjectif avec elle.

Et en parlant du loup, il m'informa qu'il avait pris en charge l'éducation d'un des bénis du Séraphin. Arquant automatiquement un sourcil je demandais.

— Elle sous traite maintenant ? À moins que le dit béni soit trop naïf et trop fidèle pour lui tourner le dos, ce n'est pas un peu risquer de confier ses créations au moins sadique des anges ?

À moins qu'il se joue quelque chose d'autre la dessus.

— En parlant d'éducation... J'ai pas touché un katana depuis 94 ans... Tes dons ne seront pas de refus, j'ai besoin de me remettre dans le bain. À moins que tu n'es plus le temps ?

- Je ne sais pas si cela est très glorieux...

Disons que je n'étais pas l'ange modèle et ne serais pas le Séraphin modèle, ne prenant aucun plaisir à piéger les humains pour les enrôler, mais m'acquittant de ma tâche avec sérieux et efficacité. j'étais craint des autres anges pour mes compétences martiales qui risquait de faire des ravages au pauvre fou qui s'en prendrait à moi, mais sûrement pas par mon potentiel angélique. J'étais très différent de ma créatrice et si ce n'est le plaisir de détourner un homme vertueux du droit chemin, je n'aurais pas compris pourquoi elle m'avait ainsi béni.

- Très subjectif.

La preuve en était qu'elle me tenait dans le creux de sa main avec des menaces que je la savais parfaitement capable d'exécuter. J'étais lié à elle, et même si je souhaitais m'en détacher, elle avait toujours de quoi tirer sur ma laisse pour me rappeler à l'ordre. Désespérant. Et énervant, bien que je le prenne avec philosophie, ne lui faisant pas le plaisir de ma colère. J'appris d'ailleurs à Katsuo que j'avais en charge un de ses jeunes bénis et cela le surprit, ou l'interpela au choix.

- Risqué, oui, mais je ne doute pas qu'elle saura défaire mon enseignement si cela ne lui convient pas... Aaron est jeune et naïf, mais il y a du bon en lui. Qu'elle étouffera ou utilisera pour en faire un ange à son image, je ne me leurre pas à ce sujet...

Je haussai les épaules :

- Son sort ne me regarde pas, je dois lui apprendre à se défendre, voilà tout.

Cependant, j'appréciais le jeune ange et son sort me préoccupait plus que je ne le laissais penser à mon propre béni, que j'avais pris sous mon aile dés qu'il était devenu ange. Katsuo me proposa alors de se remettre dans le bain. Un petit entraînement. Là, ce serait bien différent de ce que je faisais avec Aaron. Ou avec n'importe quel mortel qui se disait combattant. Katsuo était doué, mais 94 ans sans tenir un sabre, cela devait avoir émoussé ses réflexes.

- Pour te mettre au tapis, j'ai toujours du temps.

Au moins était-il plus vivant, comme soulagé. Et j'étais heureux de le voir renaître. Et de me mesurer à lui, comme autrefois.

Il y a un siècle.

- Je dispose d'une magnifique salle d'armes, toute à ma convenance... Chez Azraëlle.

Si cela ne lui faisait pas peur. Un jour, je convierais Aaron à nous voir nous battre, Katsuo et moi. Quand Katsuo aurait retrouvé son niveau... Ou l'aurait même amélioré.

Il est vrai qu’avec nos visions respectives des choses, nous n’étions pas franchement des grands partisans angéliques. Alors forcement, l’évolution de ces derniers nous échappé quelques peu. La discutions dévia alors sur Azraëlle et sa vision de la liberté. Ce a quoi j’ajoutais que cette vision était subjective pour le Séraphin. Et même très subjective selon Ryu.

C’était souvent pour cela que je me félicitais d’avoir eu Ryu comme créateur et non elle ou un autre plus borné. Il m’apprit alors qu’il avait à charge un jeune de Azraëlle et cela ne manqua pas de me surprendre. C’était risqué de la part d’Azraëlle d’avoir confié un de ses bénies à Ryu. Et il en avait conscience, mais d’après lui, le Séraphin serait parfaitement capable de défaire l’enseignement de Ryu. Toutefois cet angelot avait quelque chose de bon en lui, quelque chose qui ne survivrait pas à Azraëlle selon lui.

Mais son sort ne le regardait pas, comme pour moi. Je lui proposais alors de me remettre dans le bain au travers d’un petit entrainement made in lui. Sachant parfaitement qu’il était le seul à pouvoir me dérouiller avec efficacité. Ainsi, je lui demandais s’il avait un peu de temps à me donner et sa réponse me fit sourire. Toujours du temps pour me mettre au tapis ?

- Si je n’avais pas passé 94 ans à regarder le monde, je t’aurais bien dit que tu rêvais éveillé !

Il me dit alors qu’il disposait qu’une magnifique salle d’armes à toute convenance, chez Azraëlle. Ah, un peu risqué pour moi non ? Possible, mais bon, tant que je pourrais me confronter à Ryu, ça ne pourrait qu’aller.

- Si en plus c’est payé par madame la directrice… Que demander de plus.

Souriant alors, je m’étirais légèrement avant de reprendre.

- J’espère que tu sauras profiter des cinq premières minutes de notre combat … Car je ne m’en donne pas plus pour retrouver mes reflexes !

Ambiance détendu et retrouvaille, que demander de plus pour repartir sur le bon pied ? Rien !

- Oh je t'en prie, ne ne sers pas de ce quasi siècle d'inactivité comme excuse, te serais-tu entrainé d'arrache-pied que tu ne m'arriverais pas à la cheville.

Je n'étais pas du genre vantard, mais ce n'était là que de la taquinerie, de quoi titiller un peu sa fierté. J'avais toujours été meilleur que lui, mais j'avais reçu un enseignement un peu plus poussé, commencé plus jeune et je m'étais effectivement entrainé sans relâche, même en devenant un ange, ne pouvant m'éloigner très longtemps des armes qui avaient été ma vie et le demeuraient, même si cela semblait bien obsolète de nos jours. L'honneur, la loyauté, des valeurs qui se perdaient, malheureusement.

- Je ne pense pas qu'elle y trouvera à redire quoique ce soit.

Azraëlle se fichait bien que j'utilise sa salle à des fins personnelles ou pas, tant que ce que je faisais d'Aaron donnait des résultats. Et des résultats, il y en aurait, nous étions déjà sur la bonne voie, le jeune homme étant relativement docile et discipliné. Est-ce que cela était parce qu'il appréciait nos cours, ou parce qu'il avait peur de sa créatrice, je n'en avais absolument aucune idée.

- Tu plaisantes, ça va être un jeu d'enfants et il ne me faudra pas même 5 minutes pour que tu cries grâce!

Je souris, avant de l'inviter à me suivre. Direction la demeure d'Azraëlle donc. A cette heure ci, elle devait être à son bureau et Aaron en cours, puisqu'il avait reprit un cursus normal pour ne pas éveiller les soupçons. Viendrait le moment où il devrait quitter les siens, mais ce temps n'était pas encore arrivé. Cela aurait été facile pour lui, il y a un an encore, rien ne le retenant vraiment ici, mais désormais, c'était un peu plus compliqué avec sa copine droguée, sa cousine et son cousin. Nous avions eu le temps de parler un peu, le jeune homme me faisant confiance. J'inspirais le respect par mon attitude, mais également la sympathie.

Je guidais Katsuo jusqu'à la demeure d'Azraëlle, le laissant admirer la villa superbe qui s'étendait plus loin et l'emmenant plutôt vers le gymnase un peu à l'écart. Oui, madame avait les moyens et ne se refusait rien, il pouvait le voir. Alors que nous, nous vivions chichement, comme si nous étions encore humains, sans aucun luxe superflu. Et nous n'en avions pas besoin.

Il pénétra à ma suite dans la vaste salle et je le laissais apprécier les armes entreposées. Il y en avait pour tous les goûts et je m'emparai d'un katana et d'une plus petite lame, avant de sourire :

- Allez, nous allons voir si tu es aussi agile que tu es bavard.

Des piques sur nos capacités et sa supériorité certaine. Ce n'était pas de la vantardise de sa part, juste une vérité. Ryu était fort, très fort et ce depuis son humanité, il n'avait pas acquis sa puissance en devenant ange. Il avait commencé très tôt et avec beaucoup de travail. Alors à moins qu'il ne tombe dans le coma pendant deux siècles, je savais très bien que je ne pouvais que lui résister, vaincre était impossible. Et encore je ne pourrais pas lui résister éternellement. Surtout aujourd'hui.

Il me parla alors de la salle d'Azraëlle. Lui disant alors que si c'était au frais de la directrice, ça changeait tous. Il me dit alors qu'elle ne dirait rien et je n'allais pas m'en plaindre. Je lui dis alors de profiter des cinq premières minutes, car après, il n'aurait plus autant l'avantage. Il me charia alors en me disant que cela serait un jeu d'enfant et qu'il ne lui faudra même pas cinq minutes pour que je cris grâces.

— Tu es fort, mais n'oublies pas que je suis ton élève !

Il m'entraîna alors avec lui chez Azraëlle et sa modeste demeure. C'était... trop. Entrant alors dans le gymnase. Je fus presque aussitôt aspiré par la collection d'armes présente sur place. C'était affolant d'en avoir autant. Il attrapa rapidement un katana et une autre petite lame. Me souriant alors, il me dit que nous allions voir si j'étais aussi agile que bavard. Souriant à mon tours, je me saisis de deux katana. Me mettant en garde.

— Nous allons voir si tu fais ton âge !

Et là commença un duel ou je pris sérieusement cher. Il ne se retenait pas, et j'avais vraiment du mal à le suivre. Et puis, lorsque j'étais à mes limites, je retrouvais mes réflexes, je contrais une de ses attaques. Ripostant rapidement, je reprenais peu-à-peu mes habitudes. Je pouvais enfin lâcher un des katana. Contrant pour riposter. Je finis par lui dire, entre deux esquives :

— Tu m'as entendu crier ?

- Un élève rouillé.

90 ans sans pratiquer, sans s'entrainer, sans maintenir sa forme. Il était un ange, certes mais il y avait certaines passes, certains réflexes qui se devaient d'être entrainés encore et encore. Je n'allais pas le ménager, j'avais trop envie de retrouver nos combats. De générer sa fougue. Il avait été un brillant élève, assez discipliné, bien que pas suffisamment pour suivre l'enseignement des samouraïs.

Arrivés chez Azraëlle, je le laissai admirer le matériel et la démesure de la salle, du Azraëlle tout craché, avant de choisir mes armes et de le défier. Il me rétorqua sur le même ton et j'éclatai de rire avant de me lancer à l'attaque. Et je le mis à rude épreuve, ça, il ne pouvait concevoir le moindre doute. Pourtant, je n'étais pas à 100% de mes capacités. Je ne le ménageais pas pour autant, mais je faisais monter la pression en douceur, commençant tranquillement, avant d'aller de plus en plus vite, de taper de plus en plus fort et d'enchainer les techniques à une vitesse vertigineuse, poussant Katsuo dans ses retranchements, le forçant à puiser dans ses ultimes forces, dans tout ce que je lui avais apprit.

- Pas encore, mais je ne suis pas à fond, tu le sais ça ?

Avec un sourire en coin, je le laissais reprendre l'avantage, reprendre confiance en lui, avant de fondre sur lui, de le déborder, pour finalement, le désarmer, le mettre à terre et arrêter mon sabre à 1 cm de sa gorge. J'eus un petit sourire victorieux, avant de me relever et de m'écarter de lui pour éviter tout coup fumeux de sa place.

- Alors, je suis encore en forme pour un vieux de mon âge non ?

Je n'avais toujours pas crier pour qu'il arrête, et je ne le ferais pas. Il commenta donc en m'affirmant qu'il n'était pas à fond. Ca je m'en doutais, à l'époque déjà je n'aurais pas tenu face à lui, alors là, avec 90 ans sans avoir eu la moindre activité sportive de haut niveau... C'était peine perdu. Un léger sourire, une reprise de confiance et puis il cessa de se prendre au jeu et en quelques secondes je fus désarmé, mis à terre, une lame à quelques centimètres de ma gorge.

Le fixant sans défaillir, je le laissais profiter de sa victoire. Reculant tout comme lui, il ajoutant qu'il était encore en forme pour un vieux de son âge. Arquant un instant les sourcils, je répondis, un sourire aux lèvres.

— C'est mal de se retenir...

Me redressant alors, je massais une épaule légèrement mise à mal.

— Depuis quand tu ne me donnes plus de raclé monumentale ? Me dit pas que tu penses qu'en 90 ans, j'ai oublié le sens des mots résistance, encaissement et douleur ?

Comment l'oublier en même temps. C'était impossible, tout simplement impossible. L'on n'oubliait pas avec Ryu, l'on pouvait perdre de vue les réalités, s'endormir, mais l'oublie était impossible. Pas après avoir été entraîné par lui. Pas après avoir tant reçu de lui. Quoi qu'il en pense, je savais que chacun de ses bénis, des personnes qu'il entraîna, tous ne pourront se défaire de sa justesse d'esprit. Ce que Ryu enseigne, vous le retenez toute votre vie.

Le combat avait brutalement prit fin alors que je déployais la pleine mesure de mes talents et désarmai Katsuo, lui faisant perdre l'équilibre pour stopper la lame mortelle à quelques centimètres de sa peau. Il avait besoin d'un peu d'entraînement pour retrouver son niveau et nous permettre de vrais combats dignes de ce nom, mais ses réflexes revenaient assez vite. Cela me changeait des entraînements avec Aaron qui était encore en plein apprentissage alors que Katsuo avait déjà la technique. Je n'avais pas encore trouvé d'adversaire qui soit réellement à ma mesure. Aucun qui ne me surpasse. Sans doute n'avais-je pas suffisamment cherché encore. Je plaçais de grands espoirs en Katsuo, espérant qu'un jour, les places seraient inversés. Alors j'aurais accompli ce que je devais avec ce jeune élève brillant. Aaron n'y parviendrait pas avant un très long moment... Bien des décennies. Et encore. Mais il serait déjà plus fort que la plupart des êtres célestes.

- Remercie moi plus tôt, je suis sûr que tu préfères rester en un seul morceau.

Je jouais d'arrogance avec lui, mais nous savions tous les deux que cela n'était que taquinerie. Je n'étais pas du genre à me vanter. Même si je n'étais pas non plus enclin à jouer de fausse modestie. Je savais ce que je valais et de quoi j'étais capable. Je souris à ses paroles, le regardant se masser une épaule malmenée.

- Non, je ne pense pas, mais je préfère te laisser reprendre en douceur. Ne sois pas si impatient de mordre la poussière après deux minutes à peine.

Mon sourire disparut doucement, alors que je me rapprochai et lui tendais la main pour l'aider à se relever.

- Tu ne serais pas mon élève si tu pouvais les oublier.

Jamais. C'était une discipline stricte, un enseignement difficile qui demandait beaucoup de volonté et d'abnégation. Je ne faisais pas endurer à Aaron le dixième de ce que j'avais fait à Katsuo. Parce que c'était une autre époque, parce que je ne pouvais pas conditionner Aaron à l'enseignement Samouraï, pas totalement, parce qu'il était le protégé d'Azraëlle... J'appréciais Aaron, mais je ne serais jamais aussi proche de lui que je ne l'étais de Katsuo qui était comme un petit frère à mes yeux.

- Sans rancune ?

Le remercier de m'avoir gardé en vie ? Une possibilité, mais là, je voyais surtout qu'il s'était retenu et donc, c'était moins marrant. Je lui demandais alors depuis combien de temps il ne me donnait plus de raclé monumentale, car là, je m'étais presque ennuyé. Je lui rappelais ainsi que je n'avais pas oublier le sens de quelques mots primordiale lorsqu'on l'a comme professeur.

Il me répondit donc qu'il préférait me laisser reprendre en douceur, ajoutant que je ne devais pas être aussi impatient de mordre la poussière après quelques minutes. M'aidant alors à me relever, il conclut par le fait que je ne serais pas son élève si j'avais oublié son enseignement. Même sans vivre je ne pouvais oublier. C'était ainsi, c'était ancrer dans mon être, dans mon sang. Je ne pouvais oublier ce que j'avais appris avec lui car je ne pouvais oublier l'humain que je fus.

— Et il serait dommage que je ne le sois pas.

Il me demanda alors si c'était sans rancune et un sourire s'étira sur mes lèvres.

— Non, je me dis juste que j'ai intérêt à me remettre au sport si je veux éviter des duels aussi rapide.

Travailler sur moi, reprendre confiance et exécuter mon plan. J'allais changer se monde. J'en avais l'intime conviction.

— Et puis je m'ennuie sévère quand c'est aussi court ! Pas toi ?