Sarah Olsen

Je prends soin de mon apparence, mais à ma manière, et pas mal de monde dirait que je me laisse aller. En réalité, mon look négligé est parfaitement étudié ! Je prends un malin plaisir à me maquiller de noir, parfois un peu maladroitement, mais peu m'importe, j'fais pas ça pour être sexy, juste pour avoir l'air de ce que je suis. Un peu de poudre blanche pour accentuer mes pommettes sur mon visage émacié, et le tour est joué ! Je m'ébouriffe savamment les cheveux teints dans une nuance légèrement plus sombre que leur couleur d'origine, je me pare de fringues dépareillées trouvées à l'arrache sur des brocantes, et paf ! Voilà la droguée aux bras minces, aux jambes frêles, la tête dans le cul et ses beaux yeux bleus gâchés par leur expression de shootée.

Je m'en branle. Je me détruis et je l'affiche. Me délabrer physiquement accompagne mon mental et je veux sombrer jusqu'à l'endroit où les gens n'auront même plus pitié de moi, mais se contenteront de m'éviter avec une grimace.

J'ai une vie pourrie alors je cherche pas à l'améliorer. J'ai jamais connu mon père et jamais accroché avec mon beau-père, en plus sa nouvelle femme ne supporte pas de choper une nana comme moi sur les bras à cause d'une erreur de jeunesse de la première femme de son mari, alors forcément j'me sens pas super à la maison. Je l'aimais bien, ma mère, et quand elle est morte ça m'a fait un drôle d'effet, même si j'ai gardé le menton haut et affecté de croire que je m'en foutais. C'est mon armure : chaque fois que je suis blessée, je fais genre que c'est pas grave, alors que je suis plutôt du genre hyper-sensible. C'est facile, maintenant, l'habitude, mais des centaines de regrets me rongent intérieurement chaque jour. Alors ouais, l'indifférence c'est ce qui me caractérise le plus, avec l'insolence et l'irrespect. Qu'on me laisse vivre ma vie comme je veux, merde ! J'en ai rien à foutre de la pseudo-autorité des adultes. Si y en a une qui a de l'autorité sur moi, une seule, c'est la drogue !

Parfois, je me dis que j'aurais pas dû faire la conne. Parfois, je me dis que c'est débile d'être prête à faire n'importe quoi pour une dose. Mais suffit que je me mette à planer pour oublier tout ça. Et puis qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Ma seule raison de vivre va crever, alors inutile de faire gaffe à ma santé, hein ? Sans Aaron, je suis qu'une bonne à rien (déjà qu'avec c'est pas terrible...). Alors pas la peine d'imposer ça trop longtemps aux autres.

Ma vie, elle a rien d'intéressant. Ma mère s'est mariée avec un gars suffisamment sympa pour l'accepter malgré son gosse - moi - ce en quoi je le trouve bien con, parce que maintenant il est bien obligé de se la traîner jusqu'à ce qu'elle claque (ouais parce qu'au rythme où je vais, je claquerai avant de voler de mes propres ailes, ça, c'est clair !) Bon, enfin, mon beau-père m'a toujours aimée, c'est l'important, mieux que mon con de père en tout cas puisqu'il a laissé tombé ma mère enceinte... encore que je la soupçonne très fortement de ne rien lui avoir dit. Elle a peut-être eu raison, il aurait sans doute fui encore plus vite. Bref, je m'en fous, toujours est-il que quand ma mère est morte, j'avais même pas huit ans et la seule chose que j'ai eu l'idée de faire pour surmonter ma déprime, ben... ç'a été de m'en foutre éperdument. j'ai tout occulté et je crois bien que beau-papa a guère apprécié, ça a dû lui faire peur qu'une gamine fête joyeusement son anniversaire quinze jours après la mort de sa mère, mais qu'est-ce que j'y pouvais, hein ? Sinon ma vie se serait arrêté ce jour-là. D'ailleurs c'est peut-être le cas, mais au moins, maintenant, je m'éclate bien dans ma non-vie !

Heureusement, j'avais mon meilleur ami pour me tirer de là. Sinon c'était clair que j'aurais pas tenu jusque là, mais mon meilleur ami est leucémique, alors à quoi bon, hein ? Je l'ai entraîné dans mes conneries, parce que ça me faisait du bien d'avoir quelqu'un avec qui faire les quatre cents coups. J'avais pas autant l'impression de faire la conne, en fait, parce que les amis ça sert bien à vous empêcher de faire des conneries, non ? ben pas Aaron. Aaron s'est détruit avec presque autant de plaisir que moi alors que je lui faisais connaître tout ce qui me faisait monter au septième ciel. Lui aussi me faisait monter au septième ciel, toujours quand on était shootés, parce que sinon aucun intérêt. Je crois que j'ai jamais fait l'amour en étant dans mon état normal, et j'en ai pas envie. Au moins, je peux toujours me dire que c'est la faute de la drogue si y a un problème.

Mon meilleur ami, maintenant, il a beau continuer de se bousiller, il est dans une fac hyper classieuse à Londres. Ça me fait doucement rigoler, moi qui retape ma seconde pour la troisième année. J'en ai un peu rien à battre, finalement, l'important c'est que je vais le retrouver, et que je compte bien recommencer ce qu'on faisait auparavant. TOUT ce qu'on faisait auparavant, oui, et au lit aussi. Avec un peu plus d'officialité peut-être. Quand mes beaux-parents m'ont dit qu'on déménagerait à Londres, j'ai sauté au plafond, à l'idée d'aller dans un endroit tellement prometteur quant à mes activités. Je reverrai mon meilleur ami et je me fais pas le moindre doute quant aux endroits qu'il m'emmènera visiter. Et je le récupérerai, et je profiterai de lui jusqu'à la dernière seconde de sa vie, aussi courte soit-elle.