Parle moi | Kieran

« Est-ce que tu vois quelqu’un d’autre Kieran ? »

La petite phrase lâchée alors que rien ne la laissait présager, résonna un instant sur la terrasse du café. Tranquillement je ne lâchais pas Kieran des yeux. Il m’y avait forcée et je n’avais guère eu le choix. Si je croyais qu’il voyait quelqu’un d’autre ? Non. Si je pensais que quelque chose le tourmentait ? Oui. Si j’avais espéré qu’il m’en parle ? Encore oui. Mais j’en fus pour mes frais. Depuis quelque temps, Kieran n’allait pas bien. Je le savais. J’avais beau lui poser la question, il répondait toujours que ce n’était rien, que ses études lui prenaient trop de temps et le fatiguait. Que je n’avais pas à m’en faire et ensuite, il me faisait l’amour, comme pour me détourner des questions que je pouvais poser. Je crois que je me sentais un peu blessée de son silence. Il savait pourtant qu’il pouvait tout me dire, tout comme la pareille était réciproque. Je pouvais tout lui confier et je le faisais sans sourciller, sans même y penser.

Mais depuis quelque temps, je me heurtais à un mur. Il ne me disait rien. Enfin rien de ce qui le tracassait, parce que c’était exactement ça. Des ombres étaient revenues dans ses yeux et, parfois, lorsqu’il pensait que je ne le voyais pas, son regard se perdait dans le néant. Au début, je n’avais rien dit, attendant gentiment, sagement qu’il me parle. Puis rien n’était venu, alors je lui avais carrément posé la question. Sans obtenir de réponse. Alors tant pis, je n’avais pas le choix, j’allais jouer sur une autre partition.

A ma main, envoyant de léger reflet, la bague de fiancaille qu’il m’avait offerte, que je gardais précieusement, entre mes doigts, un verre de coca que je faisais tourner entre mes paumes tandis que sur la table s’étalaient des livres et cahiers. Kieran travaillait toujours autant et je ne pouvais que l’admirer pour sa détermination, mais en ce moment…Il n’allait pas bien et si il ne voulait rien me dire, j’allais devoir le forcer à le faire. Et il fallait dire que je frappais fort en le soupçonnant de me tromper. Je savais que ce n’était pas ça, mais lui, il n’avait pas besoin de savoir que je savais. CQFD et tiré par les cheveux si vous voulez mon avis. Mais il ne me laissait pas le choix. Mon regard sombre et insondable posé sur lui, j’attendais.

Nous étions attablés à la terrasse d'un café. Un rare moment de sortie tous les deux, même si je ne perdais jamais une occasion de réviser. Pour la rentrée. J'avais réussi mes examens, la plupart facilement, d'autres de justesse et je ne pouvais pas me permettre d'être juste. C'était le risque de ramer pour l'année suivante. Et puis se perdre dans ses livres, c'était plus facile que de devoir affronter la réalité, que de devoir réfléchir à propos de ce que je savais, des révélations qui me hantaient et que je ne pouvais pas partager.

Freddie Wood était un démon et il avait sauvé Sasha.

Aaron... Mon Aaron, mon cousin mourant, avait été tué et était devenu un ange... Un ange exterminateur, qui tuait les humains pour en faire des anges eux aussi. Les anges, les démons, n'étaient pas ce que nous croyons. Et ça, c'était dur. Comme il était difficile de devoir m'éloigner d'Aaron, de devoir jouer selon ses règles. Je n'étais toujours pas convaincu qu'il puisse me faire délibérément du mal, contrairement à ce que disait Freddie, mais je savais aussi qu'il n'était pas totalement libre de ses mouvements.

Sans compter, qu'à tout cela, s'ajoutait une guerre entre êtres célestes qui se moquaient bien de faire des dommages collatéraux. J'avais assisté à un de ces attentats chez Freddie et j'aurais été blessé si ce dernier ne m'avait protégé, capable de régénérer seul, contrairement à moi... C'était vraiment une histoire de fou et tout cela me tourmentait depuis des mois, depuis que Sasha avait failli mourir dans cette ruelle sordide et que Freddie avait déployé ses ailes et posé sa main sur sa blessure, endiguant l'hémorragie qui aurait du lui être mortelle.

J'étais perdu dans mes pensées, souvent sombre, négligeant Sasha, lui dissimulant tout ce que je savais, ne sachant pas comment aborder le sujet avec elle pour être plus précis.

Et soudain, sa voix rompit le silence et je relevais la tête vers elle, interloqué. J'avais mal compris là, non ? Elle avait parlé avec douceur, mais ses mots me faisaient l'impression d'un coup de poing dans l'estomac. Je crois que je me décomposais, outré, avant de répliquer vivement, une fois le choc passé :

- Mais, non, c'est ridicule ! Enfin Sasha, comment tu peux penser une chose pareille !

J'étais réellement choqué qu'elle puisse seulement y songer... Ne lui avais-je pas répété combien elle était importante pour moi ? Ce n'étaient pas des mots en l'air et l'amour que je lui portais n'était pas éphémère. Je tendis la main et m'emparais de la sienne, avant de passer mes doigts sur la bague que je lui avais offerte à la St Valentin, en guise de fiançailles.

- Non, il n'y a que toi. Pourquoi penses-tu le contraire ?

Au moins j’eus une réaction. Vive certes, voire carrément choquée mais au moins, je l’avais touché avec mon teaser vocal. Mon index plongea un instant dans le liquide frais du coca et je jouais un instant avec le glaçon qui persistait à ne pas fondre malgré le soleil londonien. Pour une fois que nous en avions. Bref, ce n’était pas le sujet.

« Voyons…Sans doute ton air absent, ton refus de me parler et le fait que tu sursaute dès que je te parle ? Ah et peut être aussi le fait que parfois ton portable sonne et que tu me dis qu’il n’y a personne au bout du fil ? Mouais, ça m’a l’air plausible comme scénario. »

Répondis-je en retirant lentement ma main de la sienne. Puisqu’il avait besoin d’un électrochoc, j’allais le lui donner. Je n’aimais pas les mystères pas plus que les mensonges. Cela avait bien souvent le tort de nous péter à la figure au moment où l’on s’y attendait le moins.

« Donc j’attendais un peu plus d’honnêteté de ta part, mais c’est trop te demander sans doute. »

Ajoutais je pour faire bonne mesure, dissimulant les ombres mouvantes de mes iris.

« Je peux supporter beaucoup de choses mais pas le mensonge. Surtout venant de toi.»

Surtout venant de lui, non parce que d’une certaine manière, c’était un peu l’hôpital qui se foutait de l’infirmerie. Ce n’est pas comme si notre relation avait commencé sur un mensonge évidemment.

« Donc si tu vois quelqu’un d’autre, je préfère le savoir. »

Même si je savais que ce n’était pas le cas. Je lui portais une confiance aveugle mais là, j’avouais que j’étais à court d’arguments pour qu’il me parle de ce qui le turlupinait, de ce qui l’assombrissait. Pas moyen de lui arracher les vers du nez, résultat, j’étais obligée d’employer les grands moyens et je n’aimais pas forcément ça. J’imaginais sans peine ce qu’il pouvait ressentir a l’heure actuelle, je pense que j’aurais eu le même genre de réaction en situation inverse, sauf que moi..Je n’aurais pas laissé la situation s’envenimer a ce point.

J'étais bouche bée alors qu'elle me faisait la liste de tout ce qui était étrange chez moi et l'amenait à penser que je puisse en convoiter une autre, voire coucher avec une autre. Ce n'était pas du tout ça, mais il était vrai que dit ainsi... Elle pouvait se poser des questions. Mais c'était mal me connaître que de penser que je puisse la tromper enfin ! Sa main quitta la mienne et je sentis mon cœur se décrocher dans ma poitrine, comme un déchirement. La suite de ses paroles ne fit que m'enfoncer davantage, me plongeant au fond du gouffre. J'avais un avant goût de ce que je pourrais ressentir si elle décidait de mettre un terme à notre relation et je savais que je n'aimais pas du tout, me sentant soudain totalement vide et aux abois. Je crois que je tremblais soudain, alors que je me levais d'un bond.

- Non !

Non, je ne voyais personne d'autre ! C'était ridicule, totalement ridicule ! Nerveux, je laissais la monnaie sur la table, avant de récupérer mes affaires, de les fourrer dans mon sac pour ensuite agripper la main de Sasha et l'entrainer à ma suite, loin du café, et surtout des oreilles indiscrètes. Sans rien dire de plus, je la trainais dans les rues, avant de nous amener jusqu'au bord de la Tamise, un endroit qu'elle connaissait bien, puisque c'était là que nous avions parlé de son illettrisme, il y a une éternité de cela, quand je pensais qu'elle était un garçon. C'était elle qui m'avait menti au début, pas moi. Elle qui avait menti sur la marchandise, sur qui elle était et je lui avais pardonné. Elle était culottée de me taxer de mensonges. Je laissais tomber mon sac à terre, avant de m'asseoir, l'entrainant avec moi alors que je ne mâchais pas sa main, la forçant à s'asseoir aussi, le regard sombre et l'air grave. J'étais tendu et nerveux, parce que j'allais devoir lui dire la vérité et que je ne savais pas du tout comment lui dire.

- Ce que je te cache... Ça n'a rien à voir avec une fille. C'est beaucoup plus sérieux que ça et beaucoup plus fou.

Je passais ma main dans mes cheveux, avant de détourner le regard. Bon, allez, il suffisait de tout lâcher rapidement. D'une traite.

- OK. J'ai appris que les anges et les démons existent. Et qu'ils ne sont pas du tout ce que l'on pense... Et que toi et moi, en côtoyons sans le savoir.

J’avais voulu provoquer un électrochoc, je dois dire que cela réussit au-delà de mes espérances. Interdite, je vis Kieran se lever brutalement, niant avec force ce que j’avais insinué. Je ne savais pas ce qui le hantait mais j’avais l’impression que c’était plus grave que ce je pensais.Je le vis jeter ses affaires dans son sac puis, sans me laisser le temps de dire quoique ce soit, il se saisit de ma main et m’entraina avec lui. Tellement vite que je faillis m’étaler au sol.

« Bon sang Kieran ! »

Jurais je en trottinant derrière lui tandis qu’il nous emmenait vers les rives de la Tamise. Il s’arrêta brusquement et je me cognais contre lui, puis il s’assit tirant légèrement sur mon bras pour que je fasse de même. Dévorée de curiosité, je fixais les traits de son visage. Je le laissai rassembler ses idées mais lorsqu’il ouvrit la bouche, la mienne se décrocha. QUOI ?!

Ma première envie fut de rire. Oui, oui, de rire. C’était quoi ces conneries ?! La seconde, de m’étouffer. Kieran ne mentait jamais ou presque et surtout, il n’irait pas inventer un tel mensonge pour expliquer son mutisme. Donc…

« Qu’est-ce que tu racontes ? »

Demandais je hésitante parce que je voyais dans ses yeux qu’il ne mentait pas. Mais comment croire les mots qu’il disait ? C’était une aberration ! Je n’étais pas catholique, pas comme lui mais sur le coup…J’étais morte. Plus maintenant oui, mais durant quelques secondes, je savais que j’avais été morte. Et puis j’étais revenue. Je ne me souvenais pas vraiment de ce que j’avais traversé, où j’étais allée durant ces secondes…Mais je me souviens que c’était chaud, doux, si doux que j’avais, un instant, refusé de revenir. Je déglutis. Mon regard sombre agrandit au-delà de toute mesure.

« Comment ça se peut ? »

Repris je mais j’eus l’impression que ma voix était devenue un couinement terrifié. Je n’avais pas peur, ce n’était pas cela mais je crois que j’étais sous le choc. A aucun moment, je ne m’y la parole de Kieran en doute et c’est sans doute cela qui me faisait le plus peur. Parce que je savais qu’il ne me mentait pas.

Ah, qu'est-ce que je racontais... En voilà une bonne question ! Et j'avais de la chance de ne pas me prendre une gifle parce que je racontais n'importe quoi et surtout des trucs plus gros que moi. J'aurais parlé d'invasion extra-terrestre ou de rats mutants dans les rues qu'elle ne m'aurait pas regardé différemment. mais Sasha ne se leva pas, vexée que je raconte des conneries, non, elle resta assise, à ma hauteur, à me dévisager en se demandant que croire. Je n'avais pas vraiment balancer la nouvelle de façon très diplomate, mais je ne voyais aucune façon diplomate de faire ça en même temps. Et Freddie n'avait pas été plus tendre avec moi. Au moins, Sasha était assise et je pouvais ensuite distiller les informations comme il le fallait. Je ne me voyais pas lui parler de ça à la terrasse d'un café alors qu'on pouvait nous entendre et ce lieu m'était venu spontanément à l'esprit. Il était symbolique, et je ne savais pas si Sasha y accordait autant d'importance ou même s'en souvenait.

Et puis elle demanda comment cela se pouvait et je compris qu'elle me croyait. Aussi dingue que cela puisse paraître, elle me croyait et je soupirais de soulagement, avant de me pencher vers elle, m'emparant de son visage spontanément et l'embrassant, soulagé au delà des mots. Avait-elle donc tellement confiance en moi ? Cela me touchait terriblement. Mais alors, pourquoi avait-elle pensé que je pouvais la tromper ?

- Tu me crois ? Tu me crois vraiment ?

Je scrutais son regard, intensément, avant de doucement l'amener à s'appuyer contre moi, l'entourant de mes bras

- Je savais pas comment te le dire... Ça me turlupine depuis des mois, depuis... Depuis que tu as été agressée... J'ai découvert des choses, j'ai mis un pied dans un monde que je ne soupçonnais pas, qui est complètement délirant... J'avais peur que tu me prennes pou un fou... Je suis désolé, mais je ne savais pas comment aborder ça avec toi.

Et maintenant, que dire, que garder pour moi ? Les secrets d'Aaron et de Freddie n'étaient pas les miens, mais Sasha était l'autre partie de mon âme...

- Tu aurais du mourir Sasha, tu ne sais pas à quel point tu as échappé à la fatalité. Il y a des forces qui nous dépassent, mais qui œuvrent pourtant tout autour de nous. Les anges sont les soldats de Dieu, ils approchent les humains, gagnent leur confiance, les bénissent et en font des anges à leur mort, de nouveaux soldats. Et les démons font la même chose de leur côté. Les anges sèment la chaos, les démons guérissent... Cela va à l'encontre de tout ce en quoi je croyais...

Ma voix s'étouffa, devenant un murmure. J'étais en plein désarroi intérieur, parce que ma foi vacillait, reposant sur un mensonge. Parce que mon cousin était une de ces abominations et que je n'arrivais pas à lui en vouloir pour ça...

Evidemment que je le croyais, mais je pense que je n’avais pas mesuré à quel point cela pouvait être important. Ni a quel point ce qu’il avait à me dire pouvait paraître flou. Je comprenais maintenant pourquoi il n’avait rien dit, qui l’aurait cru ? Sérieusement ? Qui l’aurait cru ? Moi oui, parce que je savais qu’il ne mentait pas, qu’il n’inventerait pas un truc aussi fou, aussi…impossible pour expliquer son attitude. Quelque soi ses défauts, Kieran était d’une franchise beaucoup trop brutale pour s’amuser a me sortir ce genre de conneries pour ensuite rire de ma crédulité. Non, Kieran n’était pas comme cela. Alors oui, je n’avais pas d’autre choix que de le croire, même si c’était fou.

« Kieran… »

Mais je n’eus pas le temps de continuer qu’il m’embrassait, un baiser reconnaissant, impulsif, soulagé même. Là, si j’avais encore entretenu quelque doute, ils n’étaient plus. Il y avait tant et tant dans ce baiser. Comment pourrais je seulement douter de lui une seule seconde ? Finalement, il m’attira à lui et je me coulais contre son corps souple et félin. Déboussolée. Indécise. Peut être était ce même de la peur que je sentais au fond de moi. Peur de ce qu’il pouvait m’avouer, de ce qu’il pouvait me dire. Oui, sans honte, j’avais sans doute peur et ce n’était pas un sentiment auquel j’étais habituée. Pas du tout même.

« Kieran…tu te rend compte que tu remets en cause tout une religion ? Que tu fais de Dieu un monstre ? Tu es catholique, tu as toujours cru. Moi non, parce que…Je sais pas, je n’avais peut être pas besoin de croire en quelque chose comme ça…mais je te connais. Tu es comme Saint Thomas… »

je levai le visage pour le regarder, croiser son regard tourmenté et pourtant quelque peu apaiser de pouvoir partager ce lourd fardeau.

« Je suis morte ce jour là, Kieran. Pas définitivement, mais je sais que je suis morte durant quelques secondes…Qu’est ce que tu as vu ? Dis le moi. »

Parce qu’il devait vider son sac, je le sentais et c’était sans doute pour cela que j’avais utilisé cette méthode brutale pour le forcer a le faire puisqu’il ne voulait pas le faire de sa propre volonté. Je n’en étais pas spécialement fière mais je m’en fichais, je haïssais voir les ombres dans son regard. J’avais peur, mais celle ci n’était rien comparée a ce regard hanté.

Quel soulagement ! Et quel amour... Car il ne pouvait s'agir que de cela pour qu'elle me croit aussi facilement. Pas un instant elle ne sembla remettre ma parle en doute, alors qu'il y avait vraiment de quoi me passer la camisole de force. Je n'étais même pas certain que ma sœur m'aurait cru aussi facilement. Sorcha le connaissait pourtant depuis toujours, mais là, elle se serait demandée si je n'avais pas consommé un truc pas catholique pour sortir de telles âneries. Surtout que ma sœur était encore plus croyante que moi, alors tous ces trucs, ça l'aurait chamboulé plus que nécessaire. Elle n'avait pas besoin de savoir, c'était mieux pour elle.

Mais au moins, je n'étais plus le seul avec cette terrible vérité et si je m'en voulais d'imposer cela à Sasha, même si c'était elle qui l'avait voulue, j'étais aussi soulagé de ne plus être le seul, de pouvoir en parler à quelqu'un d'autre et surtout elle. Nous partagions tout et ce secret m'avait empoisonné jusqu'à maintenant. Je l'attirais donc contre moi, près à répondre à ses questions, tout en me montrant prudent dans mes paroles.

- Je sais...

Que je remettais une religion en cause et c'était difficile pour moi, elle le savait, mesurait combien cela pouvait me couter. Mais cela faisait des mois que je ne pensais qu'à cela, que je me renseignais, menant mes propres recherches. Oui, j'avais besoin de voir pour croire aux miracles. Et ce miracle, j'y avais assisté. Nos regards se croisèrent alors qu'elle rappelait qu'elle était morte. Ma mâchoire se crispa alors que je détournais les yeux d'elle pour regarder vers l'horizon, le regard vague. Ce que j'avais vu...

- J'ai assisté à l'un de ces miracles... Il y avait tellement de sang et ta vie filait entre mes doigts, à chacune de tes respirations.

Ma voix était aussi lointaine que mon regard alors que je revivais ces instants d'horreur.

- Freddie était là... Il a déployé des ailes argentées, poser sa main sur ta blessure... C'est ce qui t'a empêché de mourir. Je ne sais pas ce qu'il a fait exactement, mais ce jour là, il t'as permis de vivre, même si ton cœur s'est arrêté dans l'ambulance.

Ma voix s'étrangla alors que j'enfouissais mon visage contre sa peau. Des mois et des mois que je gardais cela pour moi.

- Je suis allé le trouver, il y a quelques semaines, pour comprendre, pour avoir des réponses. C'est là que j'ai basculé dans cet autre monde...

Et ce n'était pas fini. Il y avait Aaron aussi. Apprendre à Sasha que son patron était un démon, mais un type sympa et mon cousin adoré un ange, qui deviendrait un salopard de première...

Je me figeais soudainement en comprenant de quoi il parlait. De mon agression, de celle qui lui donnait encore des cauchemars parfois. Je me souvenais encore de cette ruelle sordide, de la douleur aussi. Et le sang, tout ce sang, j’en sentais encore l’odeur remontant par volutes à mon nez. Rétrospectivement, je frémis contre Kieran, recherchant sa chaleur, sa force alors qu’en cet instant, c’était lui qui avait besoin de la mienne. Je hoquetais.

« Freddie ? Mon Freddie ? … »

Incrédule ? Non, bien plus que cela. Freddie, je le voyais tout les jours ou presque. Il était sympa, pas prise de tête mais exigeant sur certain point. En le regardant, jamais je n’aurais songé…Mais l’image que je pouvais avoir de lui se craquela, se fissura pour finir par s’éffondrer. Des…ailes…J’avais l’impression que le monde venait de s’arrêter de tourner. Tout ce que je savais, tout ce que je connaissais. N’existait plus. Pourtant, comme je lui dis, j’étais morte durant quelques secondes. Totalement morte. Mon cœur avait cessé de battre n’ayant plus assez de sang pour travailler, pompant dans le vide jusqu'à l’épuisement et là…Là Kieran m’annonçait que je lui devais la vie à cet homme un peu désinvolte. Que sans lui…Qu’il n’était pas…humain…

Kieran se serra contre moi, comme pour se raccrocher à quelque chose de stable de vrai et je crois que je ressentis le même besoin, l’entourant de mes bras pour m’assurer que lui était bien réel, bien vrai.

« Qu’est ce qu’il t’a dit ? »

Demandais-je d’une voix étranglée, rauque, incrédule ? Oui sans doute. Non, c’était impossible ! Et pourtant, je ne pouvais pas douter de la parole de Kieran, c’était impossible, ce ne serait plus lui si je devais douter.

« Kieran…Qu’est ce qu’on va faire ? »

Vivre avec ? S’enfuir de ce monde là ? J’avais peur. Je ne le niais pas. Pas alors que j’assimilais tout ce qu’il me disait, tout ce que j’apprenais. C’était trop fou pour être faux. Je le savais, une partie de moi voulait se lever et courir se cacher. L’autre voulait rester et explorer ce monde. C’était n’importe quoi ! Vraiment n’importe quoi ! Et si cela n’était qu’un rêve ? Si je me réveillais et que tout ça n’était qu’un….rêve ? Mais je savais que ce n’était pas le cas, pas le cas du tout. J’avais voulu savoir, je savais et maintenant, je ne pouvais pas laisser Kieran seul face à tout ça. Hors de question. IL était déjà si fort d’avoir su m’en parler même si j’avais dût le secouer…

« Comment tu as fais pour vivre avec ça… »

Soupirais je, presque au bord des larmes.

- Oui, TON Freddie.

C'était bon que je n'étais pas jaloux. Parce qu'il y aurait presque eu de quoi sur le coup. Mais je comprenais le choc. Je l'avais vécu, même si c'était un peu plus facile pour moi, parce que j'y avais assisté. Cela s'était imprimé directement dans mon cerveau, ma raison ne pouvant lutter devant l'évidence. Pour Sasha, c'était différent, elle ne pouvait se fier qu'à ce que je lui disais. Je me serrais contre elle, en quête de ses bras, de sa chaleur, de son soutien. Et elle fit de même. Nous étions ensemble, tout irait bien, n'est-ce pas ? Il ne pouvait en être autrement. Elle me demanda ce que Freddie m'avait dit et je me mordis la lèvre.

- Les anges sont des manipulateurs, qui trompent la confiance des humains, pour en faire des anges à leurs tours et venir grossir l'armée de Dieu. Les démons... ne sont pas "gentils", mais ils luttent de leurs côtés pour sauver ces âmes et les faire rejoindre Satan. C'est une guerre séculaire et elle a reprit de plus belle. Et finalement, nous... Nous ne sommes rien.

Ma voix se voila, se fêlant alors que je murmurais :

- Et finalement, mes parents sont morts, retournés au néant... Pas de paradis, pas de vie après la mort, à moins de devenir ces créatures.

C'était presque cela le plus terrible. Mes croyances, mes espérances, étaient balayées. Elle me demanda ce que nous allions faire et je haussais les épaules, sans savoir quoi répondre, ne sachant pas moi-même que faire avec ça...

- Je sais pas... Continuer, comme si nous ne savions pas. Je ne crois plus en tout cela et ça fait mal, mais je crois en toi. En nous.

Cela suffirait. Cela me suffirait et je me raccrochais à elle. Elle me demanda comment j'avais fait pour vivre avec ça et je soupirais.

- Je n'ai pas trop eu le choix, je ne voyais pas comment en parler... Sans qu'on me conseille d'aller voir un bon psychiatre. Mais c'est pour ça que j'étais si... bizarre. Je suis désolé de ne pas avoir eu assez confiance en toi... Je suis stupéfié de la facilité avec laquelle tu me crois... C'est presque effrayant. Et terriblement rassurant.

Kieran brisa mes espoirs…Ou mes illusions. Je ne savais plus vraiment. J’étais perdue, comme jamais je ne l’avais été, cramponnée à lui comme je le pouvais. Douter de lui ? Impossible. Et pourtant, je n’arrivais pas a encaisser ce qu’il m’annonçait.

Une partie de moi voulait oublier, croire à un fantasme, mais ce n’était pas le cas. Kieran ne pouvait s’abaisser à cela, il n’était pas comme ça. Et pourtant, j’avais tellement de mal à comprendre, aussi je lui demandais. Que lui avait il dit ?

« NON ! Non on n’est pas rien…. »

Juste un murmure que j’avais espéré flamboyant, déterminé mais qui n’était que ce qu’il était. Un murmure. Mon esprit tournait, j’avais l’impression de vaciller, de me pencher sur un gouffre sans fond. Et ce qui m’empêchait de sombrer, l’étreinte de Kieran. Forte. Parce que c’était lui. Juste lui. Je n’avais pas d’autre choix que de me raccrocher à lui. A sa voix, a sa présence.

Je sentis sa fêlure aussi bien que si elle s’était passée en moi alors que Kieran avouait simplement la peur de savoir ses parents voués au néant. Je le serai fort contre elle. Ensemble, nous étions intouchables. Je voulais y croire. J’ y croyait. Si fermement. Et il arriva aux mêmes conclusions. Je ne savais pas comment nous ferions avec cela. Ce secret. Cette chose…Jamais je ne douterais de la parole de Kieran. Je l’aimais.

« Pourquoi douterais-je de toi ? Tu es beaucoup de choses Kieran, mais pas un menteur et surtout, tu aurais trouvé autre chose que…que ça…Alors oui, je te crois. Facilement oui. Et j’ai peur. Comment vais-je pouvoir travailler sans y penser, me retrouver face à Freddie ? Mais je suis contente en même temps. Je ne savais plus comment t’atteindre. Tu ne me parlais pas. Et je veux que tu me parle. Qu’importe ce qui nous attend finalement. On peut faire semblant de ne rien savoir et garder tout cela en nous. »

Je crispais les doigts dans ses cheveux, buvant sa présence. Je n’avais pas été prête à cela. Pas vraiment. Mais je voulais être forte pour lui, même si j’avais l’impression de vaciller en enfer.

« Je suis désolée, je t’ai forcé… »

Et c’était vrai, elle l’avait secoué et à la lumière de ce qu’il lui avait révélé, elle se sentait minable.

Je jetais un regard en coin à Sasha, pas convaincu. Elle essayait de me reprendre avec force, mais je sentais qu'elle était ébranlée, perdue. Nous étions insignifiants dans cette guerre qui nous dépassait, des pions, nous n'étions pas tout à fait maîtres de nos destins, nous étions trompés, manipulés... Pourtant, maintenant, nous savions... Freddie allait veiller sur Sasha et Aaron... Aaron risquait de garder un œil sur moi, quoiqu'il dis,e je ne le pensais pas capable de totalement me laisser à mon sort, de me laisser avoir de gros ennuis sans intervenir. Je songeais à l'expression ange gardien, bien mal employée quand on savait ce qu'étaient les anges, pourtant... Ce serait peut-être le cas. Je me méfierais maintenant, Sasha aussi. Mais qui pouvions nous intéresser, hein ? Nous étions des jeunes adultes plus que banals.

Je me raccrochais à elle, heureux de pouvoir me blottir dans ses bras, frêles, mais Sasha était tout sauf faible ou fragile. C'était une femme déterminée et forte, qui m'avait permis de sortir la tête de l'eau, de voir la lumière au bout du tunnel et elle continuerait encore longtemps, il ne pouvait en être autrement. Et je me devais d'être aussi fort qu'elle, de ne pas l'accabler avec ces révélations, il en était hors de question, je m'en voulais déjà de lui imposer cela. Mais elle me l'avais demandé et seulement imaginer qu'elle puisse me soupçonner d'infidélité m'était intolérable. Elle n'aurait pu trouver mieux pour me tirer les vers du nez.

- Freddie saura que je te l'ai dis. Mais il ne m'a pas interdit de t'en parler non plus. Il doit même être étonné que je n'ai rien dit plus tôt. Il te protègera, il l'a déjà fait, en t'envoyant en stage à droite et à gauche, tu sais...

Je marquais une pause.

- Je ne veux rien te cacher, mais ça... ça, je ne voulais pas te l'infliger.

Elle s'excusa de m'avoir forcé à lui parler et je souris doucement, avant de baiser sa main avec douceur.

- Oui, tu m'as forcé, mais finalement, j'en avais besoin, même si je regrette que cela t'atteigne et t'affecte. Je voulais porter cela pour nous deux, mais je n'avais pas les épaules pour. Et j'en suis désolé Sasha. J'aimerais être plus fort.

« Mais me protéger de quoi ? Ou de qui ? Regarde-nous, qui pourrait-on intéresser ? »

C’était vrai, nous n’avions rien ou si peu. Mais nous côtoyons des êtres qui n’étaient pas censés exister…Je ne savais pas où ranger tout cela dans ma tête, c’était sans doute un trop gros morceau d’un coup. Je déglutis avec un peu de difficulté, m’accrochant aux épaules de Kieran. Je cherchais un soutient tout en lui donnant le mien et on fonctionnait très bien ainsi. Enfin, je l’avais cru et il avait fallu que je le force à me parler. Maintenant, je comprenais mieux pourquoi il n’avait rien voulu me dire mais tout de même, il n’avait pas à porter cela tout seul, pas quand je pouvais l’aider. Néanmoins, je m’excusais pour l’avoir bousculé.

Secouant doucement la tête, je déposai un baiser sur son front.

« Kieran, tu ne pouvais pas porter ça tout seul. Personne ne le pourrait. Alors non, tu n’es pas faible du tout, bien au contraire, cela fait des semaines que tu traine ça tout seul. »

Oh que oui, je n’étais même pas sûre de pouvoir en autant si les situations avaient été inversées. Non, je ne crois pas. C’était si gros, si lourd. Je m’étonnais qu’il ai réussit a étudier comme si de rien n’était durant ces semaines, même si j’avais bien vu que quelque chose ne tournait pas rond. C’était un peu comme si il avait cherché refuge dans les études pour ne plus penser à tout cela. Non, ses résultats étaient restés stables. Alors franchement, si il ne se trouvait pas fort, moi j’étais très fière de lui de ce côté-là.

Je soupirais doucement, levant les yeux sur la Tamise :

« Et ben tu sais quoi ? Je rigolais souvent quand je voyais à la télé les émissions à la con du genre ‘sommes-nous seuls dans l’univers ? ‘ j’avais toujours trouvé le concept débile…ben maintenant…C’est sacrément ironique. Et ce qui fout encore plus les pétoches, c’est que j’me dis que si ça se trouve, il n’y a pas que…que…ben ça… »

Ouais, c’était sans doute cela le pire. De se dire que si cela se trouvait, les vampires existaient aussi, ou riens, les loup-garous. C’était stupide mais je ne pouvais pas m’empêcher de me poser la question.

- Te protéger de la réalité, de la vérité... J'aurais préféré ne rien savoir, pour pouvoir me raccrocher à mes croyances... A ces mensonges.

Ma voix s'éteignit, alors que je détournais le regard, une boule dans la gorge. Penser que les anges étaient bons, qu'ils accueillaient les gens bien et vertueux. penser que mes parents n'étaient pas vraiment morts, qu'il m'observaient, quelque part, qu'ils étaient toujours là, à veiller sur moi. Tout, tout avait été anéanti. Sasha n'était pas croyante comme moi, cela ne devait pas avoir le même impact sur elle. Mais cela m'avait dévasté.

Cela dit, d'un point de vue pratique, elle avait raison, qui intéresserions-nous ? Pourtant... Pourtant, je conservais cette angoisse. Il suffisait d'avoir un talent intéressant et d'attirer l'attention. Si je devenais profiler, si j'étais capable de suivre les méandres de l'esprit humain, des pires criminels, si j'étais doué, réputé pour cela, dans plusieurs années, est-ce que cela ne risquait pas d'éveiller l'intérêt ? Et il y avait Freddie et Aaron dans l'équation, des personnes de notre entourage...

Sasha s'excusa de m'avoir bousculé et je m'excusais de ne pas avoir été plus fort, alors qu'elle me reprenait, faisant remarquer que cela faisait des semaines, des mois même que je vivais avec ça, mais je le dissimulais bien mal puisqu'elle s'était aperçue que quelque chose n'allait pas. le silence s'installa quelques instants, avant que Sasha ne le rompt d'un air songeur, parlant du fait d'être seuls dans l'univers. Je souris, sans joie, la serrant juste contre moi. Des extra terrestres ? Des loups garous, des vampires ? Il ne manquerait plus que ça...

- Les anges et les démons existent, Dieu et Satan existent... Peut-être que les fantômes existent eux aussi ? Et je continuerais de croire que les humains qui meurent sans avoir été approchés par les êtres célestes ne disparaissent pas, que leur âme continue d'exister et revient... Je crois aux âmes sœurs, parce que je sais que tu es la mienne. Je sais que je t'ai déjà aimé et que je t'aimerais encore... C'est une évidence.

Mes parents avaient cessé d'exister, mais leur âme ne pouvait être morte... pas d'enfer, pas de paradis pour ces âmes là, mais un endroit, transitoire... j'aurais pu demander à Aaron ou Freddie, mais je ne voulais finalement pas de réponses. Je me contentais de serrer Sasha contre moi, c'était elle mon ange gardien, c'était aussi simple que ça.

« Kieran, tu ne pourras pas toujours me protéger, je suis une grande fille tu sais. Quant a tes croyances…Elles sont tiennes. Tu es libre de croire en ce que tu veux, que ce soit Dieu ou Shiva, tu comprends ce que je veux dire ? »

Parce qu’il était hors de question qu’il devienne aigri. Qu’il s’en veuille, qu’il oublie qu’il restait tout de même de l’’espoir quelque part. Même bien caché, même dissimulé. Il en restait. Pourtant, il venait d’ébranler mon monde et même si je n’étais pas aussi pieuse que lui, voir pas du tout, je comprenais ce qu’il ressentait. Parce que tout cela, c’était juste…totalement irréel. J’avais l’impression d’être un navire perdu en pleine tempête. De ne plus savoir quelle direction prendre, où aller. Ce qui était vrai de ce qui était faux. Sensation dérangeante. Et cette porte qu’il ouvrait me poussait a d’autre question. Plus folle peut être. Plus saugrenue. Des vampires et des loups garous…Pourquoi pas des sorciers et des Banshies pendant qu’on y était ?!

Mais c’était sans doute des questions légitimes et la réponse que me fit Kieran m’ébranla.

« Non. Non. Je suis sûre que tes parents sont là où ils doivent être. Si ce n’est pas le paradis ou l’enfer, cela porte un autre nom. C’est comme ça… »

Et je souris, me laissant prendre entre ses bras, tellement lovée contre lui que l’on pouvait nous prendre pour un seul. C’était sans doute le cas d’ailleurs. De deux nous n’étions qu’un parfois et c’était le cas maintenant.

« Je sais. Je sais parce que je ressens la même chose. Je sais parce que j’ai l’impression d’être désespérément seule sans toi. Alors croyons en cela d’accord ? Juste ça… »

Et c’était ce qu’il y avait de plus réel pour nous. Ce qui ne changerait jamais. Jamais. Nous restâmes un long moment ainsi, sans parler, juste se gorgeant de l’autre, avalant les révélations, nous soudant encore plus. Puis la nuit tombé et nous rentrâmes chez moi. Cette nuit là, Kieran m’aima avec passion, tendresse mais aussi vénération, comme si j’étais son miracle à lui…Cette nuit là, nous décidions tout simplement de croire en nous.

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