Le B-A BA | Kieran

« An..a..chro…co ? Nisme…C’est quoi ce mot ?! »

Ma main se porta a mes cheveux et les balaya d’un mouvement agacé. Assise sur un talus bordant la tamise, les jambes croisées en tailleurs, j’essayais de déchiffrer ce bouquin a la noix avec l’aide d’un dictionnaire de CM2. A coté de moi, un pack de bière que je n’avais même pas entamé, trop prise dans mon truc pour boire. Mais ça viendrait, il faisait chaud, trop sans doute et pour l’occas, je ne portais qu’un tee shirt large et j’avais remonté mon pantalon sur mes mollets. Ma casquette était posée a même l’herbe a coté de moi, entre un crayon de papier et le pack de bière. Je soupirais lourdement en levant le nez sur le ciel bleu si rare en Angleterre. Peut être que j’avais tapé plus haut que je ne pouvais.

J’avais quitté l’école a quoi…10 11 ans ? Pas moyen de rattraper les années perdues si ? Pourtant, il allait bien falloir, j’en avais marre de ne pas arriver a déchiffrer correctement les pattes de mouches d’Alex. Seulement, le faire toute seule, c’était un peu comme vouloir traverser la Manche a la nage les bras dans le dos. Mais je m’accrochais.

A coté du bouquin, un cahier griffonné. Ouais, j’essayais d’écrire a peu prêt correctement ce qui n’était pas gagné. J’écrivais comme un cochon avec des fautes partout, mouais, sauf que pour moi, c’était compréhensible nan ? J’ arrivais assez bien a tromper mon monde mais quand même, ça ne durerait qu’un temps, je le savais. Je n’avais pas en vu de passer un bac ou assimilé mais au moins pouvoir déchiffrer une pancarte autrement que grâce a la mémoire.

Je détendis une jambe en jurant dans ma barbe avant qu’une ombre ne me surplombe. Je mis une main en visière et…

« Euuuh…Kieran c’est ça ? »

Il ne me dérangeait pas et machinalement, je tapotais la place a coté de moi.

« Assieds toi, tu bouche le soleil. »

C’était déjà vachement rare en temps normal…

Wow...

Des fois, il faisait beau en Angleterre. On pouvait même voir le soleil. On me l'aurait dit que je n'y aurais pas cru. Il fallait le voir pour le croire. Sérieux, depuis que j'étais à Londres, je n'avais pas vu le moindre centimètre carré de ciel bleu. Et là... Il suffisait que je lève le nez et il était là. Ainsi que le soleil qui me chauffait agréablement le visage. J'avais chaussé les lunettes de soleil. Les cours s'étaient terminés plus tôt aujourd'hui. J'étais fracassé de fatigue. Et j'avais très envie de lézarder un peu au soleil au lieu de retourner m'enfermer dans la chambre d'Aaron. Besoin d'air, d'espace.

Alors je me suis dirigé naturellement vers les bords de la Tamise. Pour un petit avant goût de vacances. Je devais bosser le double des autres pour rattraper mon retard, j'étais bon élève, mais les récents évènements ne m'avaient pas rendu la vie facile.

Qu'elle ne fut pas ma surprise d'aviser une frêle silhouette non loin de là. Je m'approchai pour être certain que c'était bien Blue... Et bingo. Je jetai un coup d'œil à son bouquin, fronçant les sourcils en voyant quelque chose de très... enfantin. Il m'adressa alors la parole et je souris malgré moi.

- "Ouais, c'est pas comme si c'était quelque chose de fréquent."

Je m'assis à côté de lui, posant mon sac de cours à côté de moi. Le soleil rendait la journée chaude. J'allongeai mes jambes devant moi. Je portais l'uniforme du lycée, un truc que je détestais. Ma cravate était défaite, ma veste gisait à terre. Je reboulai les manches sur mes avants bras, avant de poser mes main derrière moi, prenant appui sur mes bras et rejetant la tête en arrière pour goûter le soleil.

- "D'ailleurs, tu devrais t'y exposer plus souvent, t'es tout blafard. Je pensais que tu étais un oiseau de nuit."

Je le regardai, un petit sourire aux lèvres, avant de baisser les yeux sur son livre, curieux :

- "Qu'est-ce que tu fais?"

Je levais un pouce a sa reflexion. Nan le soleil en Angleterre, c’était comme ET qui revient à la maison. Cela dit, il ne fit pas de cérémonie et s’installa comme si les bords de la Tamise étaient a lui, en même temps, ils étaient a tout le monde. Je ricanais légèrement a ses mots.

« Ouais, quand j’aurais le temps. »

Miss bronzette ! Ben voyons ! Je ne dormais déjà pas beaucoup si en plus je devais me taper une ou deux heures de bronzette par jour, autant me suicider. Le matin, je distribuais le journal, l’aprem les pizzas, et le soir…c’était fiestas, où voulait il que je trouve le temps de faire bronzette ?

Mon index suivait une ligne de mots et lettres que j’avais un mal de chien a déchiffrer quand je percutais sa question.

« J’essayes d’apprendre a lire. »

Ouais, je n’avais pas de complexe spécial a cause de ça même si je ne le criais pas sur tout les toits. Je n’en avais pas honte quelque part, parce que la vie avait voulu que je n’eusse pas le choix.

« Et a écrire tant qu’a faire. »

J’étais plus ou moins désinvolte dans mes mots parce que j’en avais rien a battre qu’il puisse me traiter d’inculte. Je faisais ce que je voulais faire et en là, je voulais lire correctement, écrire correctement. C’était comme un défi que je me lançais. J’ avais besoin de challenge parfois. Je lui jetais un coup d’œil en biais, tiltant l’uniforme.

« Tu sors de cours ? »

Et mon regard revint a mon bouquin avant que je ne mordille l’ongle de mon pouce dans un geste diablement pas masculin. Finalement, je déclarais forfait et fourrait mon bouquin sous le nez de mon compagnon en pointant de l’index un mot que j’étais incapable de déchiffrer.

« Tu lis quoi là ? »

Je haussai un sourcil un brin moqueur à sa réponse, mais ne relevai pas. Quand il aurait le temps? Mais qu'est-ce qu'il pouvait bien faire de ses journées? Dormir, vu qu'il était dehors une bonne partie de la nuit. Quoique je n'en savais rien. Je ne savais pas grand chose de sa vie ou de son mode de vie, qui ne devait pas être banal.

D'ailleurs, je lui demandai ce qu'il était en train de faire et je le dévisageais un instant, surpris, par sa réponse. Il se foutait de moi? Il apprenait à lire? A son âge tout le monde savait lire, non? Ben apparemment pas, parce qu'il était vachement concentré quand même. Son index suivant les lignes; comme un enfant de primaire. Et naturellement, il ne savait pas écrire non plus. Ça allait de paire. Je pensais pas que ça existait encore des analphabètes jeunes.

- "Euh... D'accord... Mais tu vas pas au bahut?"

Parce que c'était quand même là que ça s'apprenait ce genre de chose. Blue n'était pas scolarisé? C'était possible ça? Mais comment vivait-il dans ce cas? Trafic de drogue? Non, ça m'aurait étonné qu'il ai monté un gros business suffisant pour vivre. Le manque de temps pour bronzer s'expliquait mieux.

- "Ouais."

Nouveau petit soupir et grimace de dégoût.

- "Je déteste être attifé comme ça. Je n'avais pas d'uniforme chez moi."

C'est sûr que ça changeait des jeans, polo, sweats, baskets. Là, j'avais quand même le costard et les chaussures. J'étais déguisé comme ça. Ce n'était pas moi. Même avec la veste à terre, la cravate défaite, les manches relevées et la chemise légèrement déboutonnée, ça restait trop conventionnel.

Blue renonça à son livre, ou du moins, à déchiffrer tout seul et me montra la ligne qui lui posait problème. Ou plutôt le mot. J'étais toujours sur le cul qu'il ne sache pas lire. Ça me paraissait tellement naturel...

- "Baguette."

Très simple, mais si il n'avait pas les bases... Chapeau bas d'apprendre toute seule, sérieux. Je n'avais pas envie de me moquer de lui, non. J'avais dépassé ce stade là depuis la mort de mes parents.

- "Tu apprends tout seul?"

« Ca fait quelque temps que j’y vais plus. »

En même temps, j’avais pas dépassé la primaire alors le mot bahut, ça ne voulait pas dire grand chose ! Remarquez si les services sociaux me tombaient dessus j’aurais pas le choix pendant minimum neuf mois, le temps de ma majorité, mais j’pensais pas qu’ils voulaient se prendre la tête avec moi. Mais je n’épiloguais jamais vraiment, préférant détourner la conversation sur ses fringues, j’eus un léger rire a sa réponse.

« Ca fait pingouin endimanché, me demande pas pourquoi j’y vais pas. Mais tu t’en sors bien.»

ouais ça lui allait bien dans un sens et dans les limites de ce que mon goût pouvait apprécier. Je n’étais pas capable d’apprécier un charme masculin ou même de cataloguer un type dans la case beau gosse. Quoique…c’était dans cette case que je mettais Kieran et Aaron. Mais c’était légèrement différent dans un sens. L’un était plus…enfin je ne savais pas vraiment aussi ferais je mieux d’arrêter de chercher en lui fourrant mon bouquin sous le nez.

« Baguette ? »

Je haussais un sourcil surpris parce que ce n’était pas du tout ce que j’avais compris.

« C’est pas braguette ? Ouais enfin, ça me paraissait bizarre « il agita sa braguette »… »

Fis je en reprenant le bouquin dans mon giron.

« Ouais. J’apprends tout seul mais entre nous, c’est un peu la galère. »

Mais j’étais fière de ça dans un sens. Je n’avais besoin de personne. Je me débrouillais seule depuis tellement longtemps que j’avais oublié ce que c’était que d’être épauler. Connerie. On était toujours mieux servit que par soi même n’est ce pas ? Je me saisis de mon crayon et frappa trois coup sur le bouquin.

« La batterie, c’est plus facile. »

Je me détournais sur cette réflexion, ouvrant le pack de bière, en saisissant deux par la goulot avant d’en tendre une a Kieran.

« Qu’est ce que tu fous dans un coin pareil toi ? »

Ben ouais, on était pas franchement sur le chemin du lycée.

- "Ah OK."

Ouais enfin, si il savait pas lire, ça faisait plus que quelques temps même... J'aurais tablé sur un arrêt du système scolaire vers 7-8 ans. Mais comment en arrivait-on à arrêter l'école si jeune et à ne pas se faire rattraper par la peau des fesses et s'y faire trainer de force? Aucune idée. Mais je ne me sentais pas de lui demander. Chacun sa vie et son passé. J'appréciai qu'on ne me harcèle pas de questions et je faisais de même pour les autres. Blue changea d'ailleurs de sujet, préférant se moquer de mes fringues. Je pris le col de ma chemise entre deux doigts, dépité :

- "Ouais, je trouve aussi. Mais bon, ce n'est qu'un mauvais moment à passer... Encore quelques mois et je quitterai le lycée."

Pour l'université. Et que ferais-je? Tous mes projets d'avenir avaient été chamboulés et j'allais devoir me bouger un peu le cul pour m'inscrire ici, en Angleterre. J'aurais pu retourner en Irlande, j'étais majeur, mais cela voulait dire abandonner Sorcha et il en était hors de question. Il n'y avait qu'Aaron de sympa dans cette famille. Et il n'était pas éternel.

Blue me demanda alors de lui déchiffrer un mot, ce que je fis. Le mot le laissa perplexe et je jetai un nouveau coup d'œil alors qu'il me collait le doute, avant d'éclater de rire à sa réflexion. Je me surpris moi-même... Ça faisait une éternité que je n'avais pas ri réellement. Cela me parut presque un sacrilège de rire alors que j'avais tué mes parents et je cessai brusquement. Je m'éclaircis la gorge quand il m'avoua apprendre tout seul et que c'était galère. Pas de parents? Pas de frangin ou frangine? Le mystère Blue était entier.

- "J'imagine oui, c'est déjà galère à l'école."

La batterie, c'était plus facile... Possible oui. Mais jouer de la batterie sans savoir lire, c'était un exploit en soi. Pas de cours, donc, ou du moins, pas les cours classiques. Pas de solfège. La chance. C'était chiant au possible le solfège.

- "Je suppose que la batterie demande du feeling, là où la lecture demande de la rigueur."

Il n'y avait pas 36 façons de lire. Il fallait apprendre l'alphabet, les associations de lettres qui formaient des mots. Blue me tendit alors une bière, que je pris sans me faire prier. Il était plein de ressources ce gamin.

- "Je traine. Pas envie de rentrer chez Aaron maintenant. Et avec ce soleil, s'enfermer serait criminel. Je n'ai pas vu autant de lumière depuis que je suis arrivé."

Chez Aaron. Pas chez moi. Sa maison n'était pas la mienne, sa famille pas la mienne. Pas la sienne non plus, au passage, mais bon.

- "Ça te dirait de l'aide? Pour apprendre à lire et écrire..."

Pourquoi pas? Cela ne me coutait que du temps. Et ça m'occuperait. Je détestais l'inactivité maintenant, cela me forçait trop à réflechir et je me morfondais.

« Marrant, a t’entendre on dirait la tôle ton lycée. »

Ouais rien que de l’entendre j’avais une envie « folle » d’y aller. En même temps, quand je les voyais sortir après les cours, je rigolais toute seule. Ils étaient bien rangés, tous fringués de la même manière. Y a pas a dire, la société formatait pas mal ses futurs employés.

« Cursus normal quoi, lycée, fac, trouvé un petit boulot pépère qui demande pas trop d’effort…Bordel, ça me ferait légèrement chier moi. »

Mais je ne critiquais pas hein ! Chacun son truc. Moi j’étais juste pas faite pour ce genre de chemin tout tracé. En même temps, ma vie n’avait rien a voir avec un sentier balisé, c’était plutôt camping sauvage quoi. Mais je revins a mes moutons…Enfin mes petits sorciers quoi. On avait fait une telle pub sur ce foutu bouquin que j’avais fini par me dire que, quitte a apprendre, autant le faire avec un best seller. Sauf que je n’avais pas pensé qu’il soit si compliqué pour mon faible niveau. D’ailleurs, j’en viens a demander un mot sur lequel je butais depuis dix minutes.

Baguette…Ouais…S’plus logique que braguette. Je me demande où j’avais trouvé le moyen de coller un « r » dans le tas.

De la pointe de mon crayon, je me grattais le crâne alors qu’il se fendait la poire. J’étais pas vexée remarquez, il m’en fallait un peu plus mais j’avais l’impression qu’il avait perdu l’habitude de rigoler, ça sonnait presque faux dans un sens avant qu’il ne s’arrête brusquement sans raison. Je haussais mentalement une épaule. J’avais pas envie de creuser dans sa vie parce que c’était une invitation tacite a le faire dans la mienne.

« Feeling ouais, j’ai une bonne mémoire auditive et puis s’plus marrant que s’user le pantalon sur une chaise a l’école. Quand a lire…J’en ai marre de devoir ruser lorsque j’arrive pas a déchiffrer ce que Mike me file en mission. Heureusement qu’il écrit comme un porc, ça me donne une excuse mais quand même. »

De la rigueur, ouais, je savais pas si j’en avais dans un sens. Tout ce que je voulais c’était apprendre a lire, le reste, j’m’en moquais et j’étais assez têtue pour y arriver.

Il trainait…J’eus un demi sourire. Ouais, Aaron aussi trainait. Et bé, vu comme ça, ça devait être la joie chez eux mais je ne dis rien, me contentant de hocher la tête. Il ne voulait pas rentrer, il avait ses raisons, j’étais pas mère Térésa a faire une morale a deux balles ou faire semblant de compatir alors que je savais que dalle.

Je levais le nez sur le ciel en m’enfilant une gorgée de bière. Gorgée que je faillis avaler de travers a sa proposition soudaine. Un léger rire me traversa.

« Tu as du temps a perdre ? »

Fis je avec un sourire amusé avant de regarder mon foutu bouquin qui voulait rien savoir, je relevais ensuite les yeux sur Kieran.

« J’te préviens, je peux pas te payer mais comme j’aime pas devoir quelque chose a qui que ce soit, on va faire un deal. Propose. »

- "Obliger tous les élèves à porter ça, ouais, ça ressemble à de la tôle. Soyez sages, propre sur vous... Je déteste faire le mouton."

Et j'étais pourtant bien obligé de le faire pour avoir mon diplôme et pouvoir assurer un avenir pas trop pourri. J'avais l'argent de mes parents pour vivre pendant mes études, mais cela ne serait pas éternel. J'avais toujours eu de grandes ambitions pour la suite. Je ne pouvais pas y renoncer complètement... Si encore, nous n'avions plus d'argent, j'aurais cessé d'aller à l'école pour bosser et gagner de l'argent pour Sorcha et moi, mais ce n'était pas le cas. Mes parents m'avaient inculqué les valeurs de la vie et je n'étais pas un rêveur. J'étais trop ancré dans la réalité. Quand Sorcha s'en échappait souvent.

- "Et ouais, je suis un type affreusement normal."

Je haussais une épaule. Je buvais, je fumais, je me rebellais contre l'autorité... Mais finalement, je suivais un parcours classique. Ce qui n'était pas le cas de Blue. Je retins une pique mordante sur le fait qu'au moins, je savais lire et écrire, mais c'était inutile et blessant. Même si j'étais vexé d'être catalogué si facilement dans les bons petits élèves. Cependant, je n'étais pas rancunier et je passai à autre chose... Éclatant de rire devant sa méprise, avant de me fermer tout aussi vite. Nous déviâmes sur la musique et les raisons de son envie d'apprendre et je me contentai de hocher la tête. Oui, la musique, c'était du feeling. Un peu de technique, mais beaucoup de feeling. J'avais apprit à jouer dans une école, avant d'arrêter et de jouer seul, sans l'aide de personne, une fois les bases acquises.

Il me demanda ce que je foutais là et je répondis avec sincérité : pas envie de rentrer. Et envie de profiter du soleil. Cela le fit sourire en coin. Aaron et moi avions l'air de fuir le domicile, c'était surement étrange et ça ne devait pas lui échapper. Je lui proposai alors spontanément mon aide pour apprendre à lire et à écrire. Il faillit s'étouffer avec sa bière, avant de rire. Un rire assez bizarre... Pas le genre qu'on attendrait dans la gorge d'un gamin. Blue n'avait pas mué encore, mais quand même.

- "Du temps, j'en ai à revendre."

Et je fuyais les instants d'inactivité où je me retrouvais seul avec mes démons. Blue accepta, mais pas sans vouloir me payer. Pas en argent, mais un échange de bons procédés dirons-nous. Je réfléchis à sa proposition, ne cherchant pas à insister sur le fait que c'était gratuit. Il ne l'entendrait pas de cette oreille.

- "Il me semble que t'as un petit trafic d'herbe. Fournis-moi de temps en temps et nous serons quittes. Ne t'inquiète pas, je suis pas un junkie, ma consommation reste assez occasionnelle. Ça te va?"

« S’pas toi qui est affreusement normal, c’est ce que l’on attend de toi. »

Ouais parce que sans ça, on était mit de coté, on rentrait pas de le moule alors on était catalogué « mauvais ». La classe. Je ne sais pas dans quel tas on pouvait me mettre et je m’en moquais très largement, j’étais bien plus libre que la ménagère moyenne qui s’occupe de ses gosses de sa maison et de son mari qui la trompera a la première occasion.

Il ne me demandait pas pourquoi je ne savais pas lire, ni même pourquoi je m’obstinais a le faire. Tant mieux, j’aimais pas qu’on me bourre de questions de toute manière. Je gardais la même distance avec lui. Ca avait l’air de bien marcher comme ça. Cela dit, sa proposition eu le don de me surprendre. J’avais envie de lui demander ce qu’il en avait a foutre d’un gamin dans mon genre mais je ravalais mes mots avant qu’ils ne franchissent mes lèvres, me contentant de rigoler doucement avant de proposer un deal. Je n’aimais pas avoir de dettes et la vie m’avait appris que rien n’était jamais gratuit.

« Tu serais un junkie que j’m’en foutrais. »

Dis je en levant le coude pour porter ma bière a mes lèvres. Je n’avais pas d’apriori la dessus, bien qu’un junkie en manque était difficile a gérer, j’étais bien placée pour le savoir, mais ils ne méritaient pas ma pitié, ni même mon agacement. Les raisons de se droguer a la dur étaient aussi disparate qu’il y avait de races de chats de toute façon.

« Ca marche ! Mais j’ai pas beaucoup de temps en journée… »

Remarquais je en me pinçant le lobe de l’oreille tout en réfléchissant avant de lui tendre une main pour sceller le marché. Voyons, j’étais debout a 5h pour les journaux, je finissais a 10, j’allais me pieuter histoire de dormir un peu, a 14h je rempilais a la pizzéria jusqu'à minimum 22h. Trouver une heure ou deux pour étudier allait être galère. Je soupirais.

« Enfin, j’vais grappiller sur mon temps de sommeil s’pas grave. »

Finis je par décider en refermant le bouquin et en le collant a coté de moi. Je m’allongeais, les mains croisées derrière la tête et le soleil aveuglant me fis fermer les yeux.

« Faut s’arranger, tu veux faire ça où ? »

Chez moi c’était possible, même si je kiffais pas avoir du monde mais je pouvais faire une exception. Ici ? possible aussi, sauf quand il pleut. Un bar ? ouais, sauf que ceux que je connaissais l’allait pas m’aider a étudier et en plus, j’avais une légère tendance a ne pas qu’on sache que je pêchais sur des trucs aussi simple que lire.

« Une idée lumineuse ? »

Je commençais à me demander si ce gamin était aussi jeune qu'il n'y paraissait. Non, parce qu'il avait des réflexions vachement matures quand même... Et qui poussaient à réfléchir, au moins 5 minutes. Qu'attendait-on de moi? Que j'ai un métier, que je puisse assurer mes besoins, ne pas avoir un emploi précaire... Avoir quelque chose de rassurant. C'est vrai que c'était normal et que je suivais le chemin de 90% des gens. Aaron était déjà à l'université. Je l'enviais. Mo aussi j'aurais déjà du y être, mais non, je devais redoubler ma dernière année, la plus cruciale. Je n'avais pas le droit à l'erreur. Je voulais mon indépendance rapidement. J'aurais sans doute des aides une fois le diplôme en poche et pourrais prendre un petit studio. Avec un peu de chance, je pourrais même prendre Sorcha avec moi. Je ne savais pas trop comment cela fonctionnait. Je devais me renseigner, voir pour devenir son tuteur légal. Je ne savais pas si c'était seulement possible. Finalement, j'avais beaucoup de choses à faire, notamment la paperasse. J'avais été trop abasourdi par la mort de mes parents pour y faire attention jusque là, mais il était temps de reprendre notre vie en main. Parce que nous avions beau être hébergés, cette situation ne pouvait être que temporaire, c'était trop infernal.

Blue voulait me rétribuer pour mon aide et je proposais alors qu'il me fournisse, le rassurant sur ma consommation. Ce dont il se foutait. Je précisai quand même :

- "Je dis ça surtout pour pas que tu perdes au change. Que j'aille pas ruiner ton commerce en ne te payant pas pour ce que tu me fournis."

Cela n'aurait pas été équitable de la drogue à gogo contre quelques heures d'apprentissage. Cela ne l'aiderait pas à vivre n'est-ce pas? Je fis comme lui et commençai à boire. La bière était un peu chaude à mon goût. Et pas la meilleure que j'ai bu. Mais il était difficile de me contenter à ce niveau là... Il accepta le marché, avant d'ajouter qu'il n'avait pas beaucoup de temps la journée.

- "La journée, je suis en cours et j'ai mes devoirs à faire, tu sais. Je ne peux pas me permettre de redoubler encore."

Même si j'avais redoublé pour état de santé et non à cause d'un niveau trop faible. Blue semblait débordé et m'annonça qu'il grappillerait sur ses heures de sommeil.

- "Tu dors quand?"

Question un peu idiote, mais bon s'il était occupé le jour et trainait la nuit, on pouvait s'interroger. Le week-end, j'étais libre toute la journée. Cela pouvait être un bon compromis.

- "Le week-end, je n'ai rien de spécial à faire... Si cela peut t'arranger."

Je n'en avais aucune idée, ne connaissant rien de sa vie ou de ses habitudes. Je pouvais toujours sortir le vendredi et le samedi soir, mais la journée, à part les devoirs et la guitare, c'était un peu le calme plat... Bien qu'Aaron avait une console et que je m'étais laissé tenté à le latter. Ou me faire latter. Blue s'allongea et ferma les yeux, me demandant où on allait faire ça. Bonne question. Je ne répondis pas de suite et il me demanda si j'avais une idée lumineuse.

- "Pas vraiment. Je squatte chez le père d'Aaron, ce n'est pas chez moi... Et vue la famille, je ne pense pas pouvoir t'inviter comme ça."

Pas assez d'intimité. Une chambre pour 3 c'était déjà chaud, alors s'il fallait y rajouter Blue... Non, vraiment, ça n'allait pas le faire.

- "Si tu n'avais pas l'air aussi jeune, je t'aurais proposé la bibliothèque universitaire. On y entre facilement."

Si moi, je pouvais faire étudiant, ce n'était pas son cas à lui.

- "D'ailleurs, t'as quel âge?"

Depuis le temps que cela me turlupinait. Autant en profiter. Je ne proposai pas une bibliothèque municipale, on n'avait pas trop le droit de parler. Cela ne serait pas très commode. En plein air, c'était sympa quand le temps était de la partie, donc, rarement. Un café? Trop de monde, pas là pour ça.

« T’inquiètes, j’ai ma plantation et t’façon, je fournis pour dépanner, j’en fais pas un business. Quoique ça aide pour les fins d’mois un peu serré. »

Ouais, je gagnais pas des milles et des cents, j’me démenais pour arriver a survivre mais clair que je roulerais jamais en mercedes. P’tetre qu’un jour que je gagnerais a ce foutu loto de merde allez savoir…Ouais, enfin, faudrait déjà y jouer tiens. De temps a autre, je jouais en remplacement et je dois dire que là, c’était Byzance parce que je n’acceptais pas toujours et surtout pas de me faire payer. La zik, c’était pas un moyen de gagner du fric pour moi, mais un moyen d’oublier et de me souvenir. Drôle de contraste.

Je le regardais en coin alors qu’il me disait aller en cours et faire ses devoirs comme un bon petit boy scout. Je ne connaitrais jamais cette vie là moi tiens et le fait de ne pas la connaitre me faisait presque l’envier dans un sens, voir de le charrier mais je tins ma langue. Chacun sa route de toute manière, j’étais qui pour critiquer ? Personne. D’autant plus que je ne connaissais pas le loustic tant que ça et que j’avais pas vraiment envie de me prendre une droite, même si je savais répliquer plutôt efficacement.

« Mmmh..Quand je peux, souvent entre deux jobs ce qui fait que j’peux m’endormir n’importe où. »

Qu’un gamin bosse était exceptionnel mais il suffisait de connaitre les bons plans et puis j’avais ma carte d’identité avec ma date de naissance ( approximative la date d’ailleurs, je me l’étais donnée ). Encore 6 mois et je serais majeure, mais ça ne changerait rien a maintenant de toute manière.

« Le week end… »

Je me redressais d’un coup dans un soupir avant de me fouiller a la recherche de mes clopes perdues au fin fond de la poche latéral de mon futal. Je glissais une tige entre mes dents avant de lancer le paquet a Kieran.

« Ouais, j’crois qu’il n’y a que le week’. Encore que si je dois jouer le soir, j’suis pas en état d’apprendre des mots, si j’dois enregistrer toutes les zik prévues dans ma p’tite tête… »

Bougonnais je en me massant l’arête du nez. C’était a ça que me servait ma mémoire musicale. J’étais capable de reproduire sans une seule erreur ce que j’entendais. Voilà pourquoi on me demandait. Pas besoin de formation, juste de deux heures avec de la batterie plein les oreilles pour que je sache reproduire le tout. Mais en même temps, je voulais foutrement apprendre a lire bordel ! Alors j’allais faire des efforts et sacrifier quelques heures de sommeil. Je pouvais encaisser. Ensuite, vint la question du lieu. Et là, Kieran avait autant d’idées que moi. Je tirais une taff sur ma clope en l’écoutant parler de la bibliothèque de l’université. Ouais euh…Non mais là, c’était même pas la peine que j’essayes d’y rentrer. Déjà que je passais pour un gosse de 14 ans, espérer m’en donner 21…C’était traverser la mer noire sur un fétu de paille ça. Je souris légèrement.

« L’âge qu’on me donne généralement. Pourquoi ? Tu t’inquiètes ? »

J’avais 17 ans, on m’en donnait 14 et ça m’arrangeait. Je n’avais pas envie que l’on se pose trop de question a mon sujet. Me faire passer pour un mec m’aidait pour avoir du boulot et ma tranquillité. J’avais depuis longtemps oublié ce que c’était d’être une fille et je ne tenais pas vraiment a ce que ça remonte. Qu’il reste dans l’ignorance ne me dérangeait pas tant que cela, de toute façon, fille ou garçon, j’étais qui j’étais, ça changeait pas grand-chose.

« De toute façon, a l’intérieur de l’Under, j’ai pas d’âge. Bon, je crois qu’on a pas le choix, faudra faire ça chez moi.»

Et soudain, alors que je jetais mon mégot d’un geste sec, je posais une question qui me turlupinais depuis la première fois que je l’avais entendu parler.

« Il vient d’où ton accent ? »

Il parlait comme un adulte... Les fins de mois un peu serrées... Je n'avais jamais connu cela. Mes parents étaient aisés et je ne savais pas vraiment ce que c'était que se priver. Et grâce à leur assurance vie et leur héritage, je ne le saurais pas de sitôt, même si je faisais gaffe à mes dépenses. Je lui demandais quand est-ce qu'il dormait, puisque les leçons devaient empiéter sur son sommeil. Un moyen aussi de demander indirectement ce qu'il pouvait bien faire de ses journées pour avoir un tel train de vie. J'eus un semblant de réponse. Entre deux jobs, dans la journée. Donc, Blue n'allait pas à l'école et se démerdait pour subvenir à ses besoins... Pas de parents, en déduisis-je. Morts? Ou bien avait-il fugué?

Je proposai donc des cours le week-end. Cela m'arrangeait. Et lui aussi, apparemment. Même si cela risquait d'être serré si il devait jouer le soir. Je hochai simplement la tête.

- "On verra bien. Il faudrait que je vienne t'écouter jouer à l'occasion."

Je n'avais pas d'idées pour un endroit où nous retrouver. Chez Aaron, c'était même pas la peine d'y penser. La bibliothèque... Ouais, bof, un peu lourd quand même. Pis Blue avait l'air d'être mon petit frère, donc bon, il ne passerait jamais pour un étudiant. Ce qui amena naturellement une question concernant son âge. Qu'il évita soigneusement. Je soupirai.

- "OK. Tu veux pas le dire, j'ai compris."

Je haussais les épaules.

- "Non, j'étais juste curieux. T'as l'air d'avoir 14 ans, mais tu as des réflexions plus... matures. C'est bizarre."

Je méditais sa réponse. A l'intérieur de l'under, il n'avait pas d'âge. Il n'avait même pas de nom, juste un pseudo.

- "Je t'avouerai que je ne suis pas familier de ce milieu. Y'a pas ça chez moi."

Et naturellement, Blue en vint à me demander ce qu'était mon accent. Satané accent... Je ne m'exprimais pas comme les anglais d'ici. J'avais beau parler lentement et articuler, il me trahissait. Pourtant, j'espérais bien ne jamais le perdre. Je n'avais pas honte de mes racines. Bien au contraire.

- "D'Irlande."

Il y avait une note de fierté dans ma voix, mais aussi de nostalgie. Je savais que j'y retournerais. C'était inévitable. C'était ma terre et j'y avais trop de souvenirs. Bons et mauvais. Terre de légende, d'une beauté à couper le souffle. L'Angleterre me semblait bien fade à côté.

- "Il est si atroce que ça mon accent?"

Je souriais à moitié. J'étais bien. J'avais l'impression que le soleil me faisait revivre et que la simplicité de la conversation et de Blue m'aidait à me détendre et à paraître moins sauvage.

« M’écouter ? C’est difficile de n’écouter que la batterie tu sais, même si elle est le rythme. Mais si tu veux. »

Non, non, je ne jubilais pas ! Ou si un peu, mais j’étais comme ça. J’aimais les percutions, plus que n’importe quoi. Que l’on reconnaisse mon talent que l’on vienne m’écouter…J’adorais littéralement. Franchement…

Et je biaisais sur sa question auquel il répondit par une certitude. Je lui décochais un sourire amusé en le pointant de l’index.

« T’es trop malin toi ! Mais il vaut mieux que tu ne sache pas. »

Ou pas. Les services sociaux ne me cherchait plus mais allez savoir ! Si leur chiffre était pas bon ou que sais je ! Je refusais de foutre des potes ou pseudos potes dans la merde a cause de mes yeux trop noirs.

« T’sais, Kieran, je me débrouille tout seul depuis des années, tu ne crois pas que ça fait grandir ? Même un peu ? »

Repris je avec un coup d’œil presque pensif sur le ciel. Ouais, j’avais été obligée de prendre ma vie en main, de la guider, de la tenir et ça, on ne le faisait pas avec la mentalité d’un gosse. La drogue, l’errance….tout cela m’avait fait grandir et je suis sure que parfois, je faisais plus âgée que mes 17 ans. Je fini ma bière d’une gorgée et levait une épaule.

« L’Under…En fait, tu es personne et tout le monde. Il n’y a pas de règles, pas de lois ou presque. Tu peux être un gosse comme moi, trafiquant un peu dans son coin, on ne te demandera rien. On attendra rien de toi, sauf ce que tu veux donner. Voilà ce que c’est que l’Under, c’est tout ce que ça – mon bras engloba Londres dans un mouvement presque trop gracieux- n’est pas ou n’accepte pas. »

Mais je ne m’étendis pas sur le sujet, me recalant sur lui et son foutu accent. C’était mauvais dans un sens, je m’interdisais d’être trop curieuse envers les autres, mais ma question jaillit presque naturellement.

Irlande. Ah ouais, j’avais un peu de mal a la situé sur une carte, mais je connaissais de nom. Je ris légèrement en baissant la tête a sa remarque.

« Nan, t’façon, je suis habitué aux accents indiens, arabes et italiens…Seulement le tien, je n’arrivais pas a mettre une origine dessus, ça me fait chier quand j’ai pas de réponse a mes questions débiles. »

Je jetais ma canette dans la Tamise sans complexe. C’était déjà un dépotoir de base alors un peu plus un peu moins…On était pas a ça prêt.

« C’est comment l’Irlande ? »

J’étais pensif, un peu…je n’avais jamais quitté l’Angleterre, quelque part, j’aurais aimé aller voir ailleurs…
[i]

- "Ouais, ça me plairait bien."

De l'écouter jouer avec d'autres musiciens, de voire un peu de quoi il était capable. Je ne jouais que pour moi, je n'avais jamais cherché à faire profiter de mes talents à quelqu'un d'autre qu'à Sorcha. J'aimais la musique, mais ce n'était pas ma vie, juste un passe-temps, une échappatoire. Comme Sorcha avec l'écriture... Je sentis mon cœur se serrer douloureusement. Depuis l'accident, elle ne pouvait plus écrire et je savais combien cela la rendait malheureuse. Encore une conséquence de mon insouciance, de ma bêtise. Ses mains avaient été irrémédiablement abîmées en profondeur. Cela non plus, je ne me le pardonnerais jamais.

Je lui demandai son âge et il ne me répondit pas. Ce que j'acceptais. Je n'insistais donc pas, lui disant seulement ce qui m'interpellait là dedans. De la curiosité, rien de plus et je ne mourrais pas de ne pas savoir. Il me révéla quand même avoir du se débrouiller très tôt et donc mûrir plus vite. Je ne répondis pas. J'avais 18 ans, j'étais lâché sans plus aucun repère et j'avais l'impression d'avoir grandi d'un coup. Alors je comprenais tout à fait ce qu'il voulait dire. Je me contentai d'acquiescer. Cela suffisait.

Je lui avouai alors mon ignorance concernant le monde underground et il tenta de m'expliquer un peu la mentalité. Que je saisissais grosso modo. Et qui me plaisait bien, je devais le reconnaitre.

- "Je n'avais pas pensé que les anglais pouvaient créer un truc si cool."

C'était cliché, mais je les trouvais assez... culs serrés. A cheval sur les principes. Vraiment pas marrants quoi. C'était bien différent de l'ambiance chez moi. Mais ce truc me prouvait que j'avais eu tort. Mon accent le titillait et je finis par lui répondre que j'étais en fait irlandais. Avant de demander si mon accent était si terrible. Je souris à sa réponse. Je n'étais pas si exotique quand même.

- "Je connais ça, c'est comme continuer à me demander quel âge tu peux avoir."

Petite pique au passage, rien de bien méchant, je le taquinais. Il me demanda alors comment était l'Irlande et je cessai de sourire, mon regard dérivant sur le cours paresseux de la Tamise. Comment c'était? Comment retranscrire cela?

- "J'ai lu un jour quelque chose au sujet de l'Irlande : Et si, de la plupart des contrées que l’on visite, on rapporte des souvenirs, c’est plutôt un peu de soi-même qu’on laisse en Irlande... Car, peu importe sa patrie, l’Irlande est celle du cœur."

J'avais bien aimé cette façon de décrire mon pays. La personne qui avait fait l'article avait retranscris fidèlement la sensation qu'on avait en voyant ces paysages de légendes, en se retrouvant autour d'un verre le soir, dans un pub, en écoutant de vieilles balades.

- "Les paysages sont magnifiques, les gens chaleureux. Le passé est omniprésent et le pays peuplé de fées et autres créatures légendaires. Il y a une âme celtique qu'on ne retrouve nulle part ailleurs et des endroits où l'on parle encore le gaélique. C'est une langue chantante, envoûtante. Ma sœur et moi l'avons apprise, non sans mal."

Je fermai un instant les yeux, avant de lâcher, songeur :

- "Is ait an mac an saol."

La vie est étrange... Elle l'était, c'était certain. Je pensais être au fond de l'abîme et ce gosse réussissait à m'en sortir, temporairement.

- "Bref, je déprime léger depuis que je suis ici. C'est... morne."

Ouais, finalement, je l’aimais bien Kieran. Il ne cherchait pas au-delà de ce que je voulais lui dire sans pour autant être naïf. Classe. Je jouais un instant avec mon crayon, faisant preuve d’une habilité démoniaque en le faisant passer entre mes doigts.

« Alors amènes toi dans deux semaines a la station Scarlett. »

Le renseignais je alors qu’il insistait sur le fait de m’entendre jouer. Je devais remplacer ce soir là et avec Angel. Max m’avait demandé ça comme un service, son batteur devait aller convoler en juste noce parait. Tout mes vœux de bonheur ect ect ect…Bref, passons ! J’esquivais assez efficacement ses questions même si je devinais qu’il avait sa propre idée sur le sujet, je ne confirmais ni n’infirmais. Qu’il me prenne comme j’étais et qu’il ne cherche pas plus loin.

« Cool ? Ouais, paumé surtout mais je crois qu’on a besoin de ça finalement, même l’abruti de chef d’entreprise qui s’emmerde dans sa petite vie bien rangée. »

Répondis a son avis sur l’Under. Autant ne pas se leurrer. C’était l’exotisme, l’interdit, le truc qui vous attirait et que vous faisiez en cachette. Je m’en foutais. C’était mon monde après tout.

« Touché. »

Souriais je alors qu’il me renvoyait mon propre mystère dans les dents. Je pouvais lui reconnaitre ça. Il était perspicace mais en même temps, discret. J’aimais ça. Ouais, je crois bien que je l’aimais bien. Finalement, c’est peut être pour ça que je le questionnais a mon tour. Mauvais plan Blue ! Mais trop tard. Par contre sa réponse me laissa sur le cul. Depuis quand il était poète lui ? Je papillonnais légèrement des paupières en l’écoutant. Rha mais nan ! C’est qu’il me donnait envie d’aller voir ce qu’il s’y passait quoi ! Mal a l’aise, je me grattais la tempe

« J’ai jamais foutu un pied en dehors de l’Angleterre…Mais qui sait, vu comme t’en parle, ça a l’air sympa l’Irlande. »

Ouais après tout, si je disparaissais quelques jours, qui s’en soucierait ? Personne. Kieran me donnait envie d’aller voir ailleurs ce qu’il se passait. Bon ou mauvais plan, je suivais toujours ce que j’avais envie de faire alors pourquoi pas ! Finalement je ris.

« Ouais nan mais l’Angleterre déprime même les anglais ! Tu as vu la tête de notre reine ? Sérieux dès que tu peux, retourne en Irlande, si c’est là que tu veux aller. S’moche de se forcer a rester quelque part en fait. »

Je fourrais ma casquette sur ma tête en envoyant un léger coup de poing dans l’épaule de mon voisin.

« En plus, le pudding est dégueulasse et rien ne te retiens ici si ? »

- "C'est noté."

Et je m'y tiendrais. Je ne disais pas cela pour le flatter ou paraître aimable, mais vraiment par curiosité de voir de quoi il était capable. L'ambiance dans l'Under me plaisait beaucoup, même si je n'y connaissais rien. Pas grave, j'allais expérimenté et en apprendre davantage. Je lui fis part de mon étonnement qu'un truc comme ça existe ici, ce qui le laissa un peu dubitatif. Mais au moins, c'était dit et on pouvait se lâcher dans la capitale, ce qui me convenait parfaitement. Oublier la pression, fuir les fantômes. Sorcha allait devenir folle, mais tant pis. On dériva sur mon accent et je ne pus m'empêcher de taquiner Blue sur les propres mystères qu'il faisait avec son âge, ce qui le fit sourire. Néanmoins, je n'avais rien à cacher au final, juste que je n'aimais pas trop parler de moi ou de mes malheurs pour voir la pitié s'inviter dans le regard de mes interlocuteurs. Je détestais cela. Mais parler de mon pays, ça, j'en étais capable. Avec passion et nostalgie. Je souris à la réaction de Blue.

- "Alors j'ai bien fait mon boulot si ça te donne envie d'y aller. Tu ne seras pas déçu."

Mais il eut des paroles malencontreuses qui assombrirent mon humeur, aussi bien que mon visage. Retourner en Irlande dés que je le pourrais... C'était bien ce que je comptais faire. Oui, c'était moche de se forcer à rester là, mais je n'avais pas vraiment le choix. Sa dernière question me fit détourner le regard vers la Tamise. Il ne pouvait pas savoir qu'il avait mit les pieds dans le plat. Je ne lui en voulais pas.

- "Malheureusement si. Ma sœur est mineure et je ne suis pas son tuteur légal, c'est mon oncle qui l'est. C'est pour ça qu'on est venu en Angleterre. Sinon, je serais resté en Irlande, je suis majeur."

Je repliai les jambes en tailleur, avant d'arracher un brin d'herbe et de jouer avec, mal à l'aise.

- "Je n'ai plus qu'elle et elle n'a plus que moi, je ne pouvais pas la laisser venir ici, toute seule. C'est temporaire de toutes façons. Dans quelques mois, je me prendrais une chambre d'étudiants pour l'université. Voire un studio, si j'arrive à récupérer la tutelle de Sorcha. Et on repartira en Irlande."

« Ouais, bon boulot, pense a te convertir en guide touristique. »

Fis je avec un demi sourire en me disant qu’un petit voyage serait sympa. Mais il allait falloir attendre un peu quand même. Avoir un peu de sous ne serait du luxe, même si je pouvais me déplacer en stop et dormir a la belle étoile. Pour un peu, se serait comme des vacances ! Le truc que je n’avais jamais expérimenté.

Ah tiens, semblerait que j’ai mis les pieds là où il fallait pas. Rien qu’a voir sa tête devenir aussi morne qu’un bout de gruyère…Je pouvais m’excuser mais en même temps de quoi ? Quand on ignore les choses, il ne faut pas s’en vouloir de frapper trop juste. Curieuse, je le vis arracher un bout d’herbe alors qu’il m’expliquait le pourquoi du comment il restait dans ce pays qu’il n’aimait pas. Sa frangine ? Ah ouais, bonne raison. Quoique je savais pas ce que c’était que d’avoir une frangine en même temps alors difficile de le comprendre. Il était orphelin aussi, tiens, un point commun, sauf que moi, j’étais née comme ça. Balancée dans la vie sans un soutient parental. Je me grattais pensivement la tempe.

« Ca a l’air sympa la famille… »

Je parlais de la famille en général bien sur. Je critiquais pas la sienne. Y avait un vieux proverbe qui disait qu’on ne la choisissait pas donc bon. D’après ce que je pouvais en comprendre, la sienne était tout juste potable de son point de vue. Il fuyait son chez lui, Aaron faisait pareil. Il ne supportait pas l’Angleterre…Non décidemment, c’était la joie sa vie.

« Bah, si c’est que temporaire, autant serrer les dents et supporter. Tu t’en tire bien j’trouve. Si t’a besoin d’un coup d’main, hésite pas a demander. »

Ouais, ouais, le Blue n’est pas si sauvage que ça, même si il pouvait pas forcément aidé partout. Je ne le regardais pas avec compassion parce que comparativement a moi, il avait la belle vie. Je ne lui dis pas que comprenait parce que c’était faux. Je ne pouvais pas comprendre ce qui le liait a sa sœur, ni même a son cousin alors tout ce que je pouvais faire, c’était filer un coup d’patte dans mes moyens. Après tout, il était sympa et m’avait proposé son aide, je pouvais faire pareil nan ? J’ouvris une deuxième canette avant de soupirer avec un léger sourire.

« Va falloir que je te dessine un plan pour chez moi j’crois bien, sinon, tu vas te perdre. »

Saut gracieux du coq à l’ane. En même temps, je savais qu’il avait pas envie de s’étendre sur le sujet et j’avais pas envie de le pousser sur ce chemin alors autant changer de sujet de conversation.

« t’es toujours aussi sympa avec ceux que tu connais pas ? »

Enfin, façon de parler, on avait tout de même passer une soirée ensemble mais j’étais curieuse de ça. Il ne me semblait pas chaleureux a outrance et aurait même plutôt tendance a éviter les autres. Un peu comme moi d’ailleurs.

Je ne répondis pas tout de suite à son commentaire sur la famille. Ouais, ça avait l'air sympa, comme il disait. C'était l'éclate... La pure ambiance à la maison. Quand je songeais à ce que j'avais perdu et détesté, j'avais envie de pleurer. j'avais eu la haine pour mes parents, les traitant de cons, trop sévères, pas assez bien, qui m'étouffaient... Mais quand je voyais l'indifférence du père d'Aaron pour son fils, je me disais que j'avais de la chance qu'on fasse attention à moi. Mes parents étaient morts alors que je leur hurlais que je les détestais. J'espérais sincèrement qu'ils me voyaient de là haut et savaient que je ne le pensais pas, que je m'en voulais atrocement. C'était bien la seule pensée qui me réconfortait. J'étais catholique, pratiquant, très croyant. Je n'en voulais pas à Dieu. Il n'y était pour rien. C'était ma faute, ma seule faute et la culpabilité m'écrasait.

- "C'est sympa... Quand on n'est pas trop con pour le voir."

Et con, je l'avais été. Je ne m'étendis pas là dessus. Il ne me restait que Sorcha, elle était devenue la prunelle de mes yeux et nous avions noué un lien encore plus fort que dans notre enfance. Si je n'avais pas eu aussi peur de la mort d'Aaron, je l'aurais surement inclus dans cette famille. Blue me réconforta à sa façon, avant de me proposer son aide si besoin.

- "Merci. Je saurais m'en souvenir."

Je l'aimais bien ce gamin. C'était facile de discuter avec lui, sans pression, sans l'impression d'être jugé. Il n'était pas trop curieux et savait respecter les non dits. Se posa le problème de l'endroit où on allait se rencontrer et finalement, on opta pour chez lui. Cela ne semblait pas le réjouir outre mesure, mais nous n'avions pas vraiment le choix. Il m'annonça qu'il devrait faire un plan pour que je ne me perde pas.

- "Ouais, vu comment je me repère dans Londres, c'est plus prudent."

Je me débrouillais, mais j'étais loin de connaître la ville. Il me posa alors une question qui me fit réflechir. Parce que sympa, je l'étais au naturel, du moins, avant que je ne décide de devenir limite asocial. Et il semblerait que là, l'ancien moi avait refait surface.

- "Eh bien... En ce moment, je dirais que c'est assez rare... Je n'aime pas trop parler de moi ou discuter tout court. Je fais l'oursin, tu vois : je sors les pics. Mais il y a encore quelques mois, j'étais un peu plus bout-en-train... Faut croire que le soleil me revigore. Pis avec toi, c'est assez facile, ça vient tout seul."

Je retirai mes lunettes de soleil, les accrochant à ma chemise, avant de regarder Blue.

- "T'es de bonne compagnie. T'es pas prise de tête, t'as ton jardin secret et tu respectes celui des autres."

Quand on est pas con…Mouais, je pouvais rien répondre a ça. Non parce que vu que je ne savais même pas ce qu’était une famille…Quoiqu’on pouvait dire que l’Under était la mienne, mais elle avait l’air moins prise de tête que la sienne. Alors ouais, je comprenais pas grand-chose a sa situation même si je pouvais deviner qu’il n’y était pas a l’aise, ni même enthousiasmé, alors le Blue sauvage rentre un peu ses griffes, remarquez, je ne les sortais pas souvent. J’avais une manière bien a moi de remballer lorsqu’on approchait trop prêt de moi et en général, ça marchait bien. Je n’eus qu’un léger sourire amusé a son acceptation. Il savait de toute manière que je ne pourrais pas faire de miracle mais dépanner au cas où, je pouvais faire.

Finalement, le grand gagnant de « où va-t-on étudié » fut mon appart…Enfin, mon studio pour être précise et je parlais de plan supposant qu’il ne savait pas encore se repérer dans Londres. Bingo, il savait pas. Je choppais mon cahier et commençait a griffonner sur une page blanche en lui posant une question qui ne sembla pas vraiment le surprendre ou le braquer. Je levais les yeux a sa réponse, le regardant a travers des mèches de cheveux qui avaient trouvé sympa de venir se coller sur mon front. J’avais un demi sourire accroché aux coins des lèvres, amusé et peut être un peu surpris aussi.

« Bah…On a tous un truc a cacher ou un machin dans le genre, j’aime pas qu’on fouille de trop dans ma vie alors je fouille pas dans celle des autres. »

Finis je par dire en rebaissant les yeux sur mon croquis seul problème, j’avais un mal de chien a écrire correctement le nom des rues., j’hésitais, gommais, reprenais mais j’allais finir par y arriver !

« Avec moi, on dit ce que l’on a envie de dire, ça s’arrête là, j’irais pas chercher la petite bête. J’crois que c’est pour ça qu’on m’aime bien en fait et qu’on me laisse tranquille. C’est donnant donnant. Seulement m’annonce pas que tu es un serial killeur de p’tites mamies non plus hein ! »

Finis je sur une note amusée. J’exagérais mais il était pas faux de dire que je respectais les secrets de chacun, après tout, je trainais de sérieuses casseroles et pas des moindres.

« T’es un peu ce genre là. »

Ajoutais je en relevant la tête pour admirer mon œuvre avant de la secouer légèrement pas satisfaite du tout.

« Tu te demande comment je vis, comment je m’en sors, de quelle manière, mais tu posera pas la question. Peut être qu’au final tu t’en fous ou justement tu as pas envie que j’te les retourne..T’vois ce que je veux dire ? Je fonctionne comme ça. Je pose pas de questions que j’ai pas envie de m’reprendre en pleine tête. »

Repris je en glissant mon crayon derrière l’oreille, a peu prêt enfin satisfaite de mon œuvre qui ressemblait vachement a un dessin de primaire. Mouais, bon en même temps, c’était un plan pas un Da Vinci !

« Bon j’crois que tu devrais t’en sortir avec ça, par contre, vient pas fringué comme un bourge, le quartier est pas super sécurisant…T’as un portable ? »

Bonne politique. Je ne pouvais qu'approuver. Et c'était pour cela que je ne harcelais pas Blue de questions, ce dont il était reconnaissant également. Quel besoin avait-on de toujours vouloir tout savoir des autres? Ne pas connaître leur passé n'empêchait en aucun cas une relation quelconque. La curiosité était un vilain défaut, mais ça aurait été mentir que de dire que je ne m'intéressait pas à ces zones d'ombre dans sa vie, malgré ma résolutions. Je cessais de le regarder pour m'attarder sur son brouillon. Il essayait tant bien que mal de me faire un plan et si les rues étaient bien visibles, les noms, en revanche, c'était une autre paire de manche. J'étais en train de me dire que je m'étais lancé dans une mission impossible. Je pourrais bien lui apprendre à se dépatouiller, mais je n'en ferais pas un as de l'orthographe, c'était certain. Enfin, s'il pouvait au moins déchiffrer ses lettres et écrire son nom, ce serait déjà bien.

Je ne pus m'empêcher de me dérider lorsqu'il reprit la parole. J'approuvais son raisonnement, mais son truc de serial killer était tellement inattendu qu'il me fit rire.

- "Non, désolé, comme je te l'ai dis, je suis affreusement banal."

Pas de serial killer non... Juste le meurtrier de mes parents. Une pensée tellement réjouissante que de nouveau, je me fermais. Merde, je n'allais pas faire que ça d'osciller entre l'insouciance et la culpabilité... Blue allait finir par me trouver complètement cinglé à changer d'humeur aussi brutalement. Mon naturel semblait tenter de se frayer un chemin hors de la prison de morosité que j'avais dressé. Et j'oscillais entre l'envie d'enfin avoir mon âge et le poids des remords qui m'interdisaient de pouvoir rire.

Je levai un sourcil quand il me dit que j'étais un peu de ce genre là. Quel genre? Il compléta e expliquant que j'avais une tonne de questions, mais que je ne les posais pas. Pour diverses raisons.

- "Pour être sincère, je ne m'en fous pas. Mais tu as visé juste... Je ne les pose pas pour ne pas avoir à y répondre ensuite. Et apparemment, on y trouve notre compte tous les deux."

On fonctionnait de la même manière. C'était peut-être ancien chez Blue, mais très récent en ce qui me concernait. Je n'avais jamais réfléchi à cela auparavant. En toute honnêteté, je n'avais pas réfléchi à grand chose avant l'accident. Libre, insouciant, inconséquent, voilà ce qu'avait été l'ancien Kieran, celui qui se moquait des punitions de ses parents. De leur autorité aussi. Il avait fallu leur disparition pour que je grandisse.

- "Fringué comme un bourge? Non, aucun risque, je réserve ça au lycée."

Qu'est-ce qu'il croyait? Que je me pointais en costard cravate n'importe où? Que j'allais sortir les fringues hors de prix? Non, j'avais bien compris le milieu, aucun risque que je me distingue.

- "Tu me conseilles quoi? Le vieux t-shirt informe et le jean troué?"

Petite moquerie amicale, sur sa propre façon de s'habiller. Il était maigre comme tout et enfouissait son corps chérif sous des vêtement deux fois trop grands. Chacun son style. Ce n'était clairement pas le mien.

- "Ouais, bien sûr."

Je lui filai alors le numéro du dit portable, ce serait effectivement plus pratique.

- "Moi qui était venu pour réviser au bord de l'eau, c'est mal barré."

Et je n'en avais carrément plus envie maintenant.

C’était marrant. Ca faisait déjà deux fois que je le faisais rire. Intentionnellement ou non d’ailleurs et deux fois qu’il se fermait comme une huitre dès qu’il s’en rendait compte. J’observais cet étrange changement d’humeur sans rien dire mais je ne le trouvais pas moins curieux. Hors, j’ai horreur d’être trop curieuse. Ca apporte toujours des problèmes ! Cela dit, je ne pensais pas en avoir avec lui, après tout, on avait plus ou moins le même mode de fonctionnement. Le manuel du Blue devait ressembler a la notice du Kieran sur certain point et c’était quelque chose que j’avais sentis. Je ne me liais jamais totalement mais, peut être les années plongées dans la rue, j’étais devenu un peu plus perspicace. Je savais quand faire confiance et a qui. Un don dirait certain, moi je parlais d’instinct de survie.

Je me contentais de sourire avec un rien d’entente alors qu’il me donnait raison. Bien sur que j’avais raison ! Il y avait de la malice dans mes yeux parce que bizarrement, je me sentais a l’aise avec lui. En général, je ne l’étais que dans l’ambiance enfumée de l’Under. A l’extérieur, j’évitais ce genre de situation, peut être parce que je me trouvais maladroite dans un sens. Mais pas là, ça venait naturellement, sans heurt. C’était…fun.

J’étais en train d’en chier avec mon plan et je voyais bien a son air que je n’étais pas au bout de mes peines. Merci du vote de confiance, mais il allait vite comprendre que quand j’avais décidé quelque chose, je m’y mettais a fond jusqu'à obtenir le résultat escompté. Il me charia sur ma tenue et je baissais machinalement les yeux sur mon jean. Ouais bon, pas de la première fraicheur et remonté jusqu’en dessous des genoux mais quand même ! Il était proche et mon tee shirt n’avait pas de trous du tout ! Je me saisis de son numéro avant de rire légèrement.

Je fis tourner ma casquette sur mon index.

« Oublie pas la casquette qui te mange la moitié de la tronche… »

Fis je en entrant dans son jeu avant de pousser un…

« Hey ! »

Alors qu’un coup de vent venait de la faire sauter du mon index ! Ah Non ! pas ma casquette ! Je pris appui sur une main pour m’élancer en avant, histoire de la rattraper sauf que, dans mes calculs, j’en avais oublié un obstacle de taille. Kieran assit en tailleurs pile sur mon chemin. Résultat, je butais contre son genoux et finis par m’étaler de tout mon long en travers de son ventre. Fais chier ! j’en eus presque le souffle coupé du choc, on ne pouvait pas dire qu’il avait des ressemblances avec un matelas lui, j’avais l’impression d’avoir heurté un mur.

Ma casquette retomba dans l’herbe et ce mit a rouler en direction de l’eau.

« Fais chier ! »

Jurais je avant de poser mes mains là où je le pouvais, soit une sur sa poitrine et l’autre sur sa cuisse tout en battant des jambes pour m’extirper de là mais…trop tard…

« Et merde… »

Soupirais je en relâchant la pression d’un coup m’affalant sur les genoux de…Euh…J’étais en train de faire quoi là ?! Ni une, ni deux, je roulais sur moi-même, histoire de m’éloigner. Je n’avais pas une peur panique d’être touchée mais j’évitais sciemment ce genre de contact. Etre prise par le cou, me faire frotter la tête, passe, mais m’étaler de tout mon long sur un mec…Ca nan ! Ca me rappelait immanquablement que je n’étais pas un garçon, que je ne le serais jamais et là, je devais dire que j’avais sentis la différence avec une acuité bizarre.

« Ma casquette… »

Gémis je avec repoussant mes mèches de mon front, dépitée et tentant de faire disparaitre la gêne de mon visage. Ouais parce que j’aimais ma casquette, c’était con, mais c’était un voile en moins sur ce que j’étais.

- "Mouais, ce serait dommage de cacher le tronche d'un pur beau gosse comme moi, non?"

Je jouais l'arrogance, ce que je n'étais pas vraiment. Mais puisque nous devisions de manière ironique et humoristique, autant y aller jusqu'au bout, n'est-ce pas? Même si je savais être un mec qui plaisait aux filles. Surtout aux petites anglaises. Depuis que j'étais arrivé, j'avais eu le droit aux yeux doux des gonzesses qui craquaient sur mon accent et sur mon air revêche. J'avais du mal à comprendre les filles. Sauf qu'à faire son malin, Blue réussit à en perdre sa casquette et je ne pus retenir un petit rire moqueur. Qui s'étouffa quand Blue me tomba dessus de tout son poids, ayant mal calculé son rattrapage désespéré. Il n'était pas épais, mais il faisait quand même son poids le gamin.

Et plus il cherchait à se sortir de cette situation, plus il galérait. Il tenta bien de se redresser, mais pas assez vite pour rattraper sa casquette qui fila droit vers la Tamise. Le coup de grâce pour Blue qui laissa tomber et se dépêcha de rouler sur le côté, pour enfin me laisser respirer. Je me redressai, me frottant le ventre. J'avais quelque peu pris son coude dans l'estomac et même si j'avais été sportif et que j'arborais des abdominaux gagnés au foot, un petit coude pointu, ça faisait toujours mal.

- "J'ai cru que t'allais jamais me laisser respirer."

Je n'étais pas une chochotte, mais quand même. Cela dit, Blue s'en fichait royalement, pleurant sa casquette morte au camp d'honneur. A moins que... Je me levai et tendis le cou, apercevant la fameuse casquette, pas encore tombée à l'eau, mais trainant sur la berge, un peu en dessous de nous.

- "Pleure pas, elle est pas encore perdue."

Je m'agenouillai et tendis la main, avant de me raviser et de faire signe à Blue de venir.

- "Tiens-moi, j'aimerais autant pas plonger tête la première dans ce bouillon de culture."

Chapeau Blue ! J’avais si soigneusement caché ma gêne qu’il n’y avait vu que du feu ! Y a rien a dire, le coup du pov gosse, ça marchait a tout les coups. Parfois, je m’étonnais moi-même que personne ne voit réellement ce qu’il avait devant eux. Mais a leur décharge, je ne faisais rien pour les aider. Mais quand même…Ma casquette. C’était Crazy dog qui me l’avait offerte et j’y tenais malgré tout. Son seul et unique cadeau. Le seul qui m’appelait Gamine. Parfois, il me manquait.

La voix de Kieran me fit lever la tête et, dégageant mes cheveux de mon visage, je le regardais avec une lueur d’espoir dans les yeux. J’avais vraiment l’air d’une enfant ainsi, mais ce cadeau…j’y tenais comme a la prunelle de mes yeux. Assise a même l’herbe, je le vis se pencher…et je me précipitais a coté de lui, a quatre pattes. On avait l’air fin. Il tendit un bras et je regardais sa main s’approcher de ma casquette mais..Juste s’approcher. Fuck !

Et là, il me demanda un truc étrange. Enfin, je ne compris pas tout de suite, le regardant avec de grands yeux incompréhensifs. Il voulait quoi ?! Et là, pan, je compris et ce fut plus fort que moi, j’explosais de rire. Un rire sans doute trop cristallin, trop clair. Un rire un peu étrange dans la gorge d'un gamin 14 de ans.

« Nan, tu plaisante là ? Tu as vu ta carrure ?! Tu as vu la mienne ?! Comment tu veux que je te retienne ?! »

Autant demander a un fétu de paille de retenir un tronc d’arbre dans sa chute ! Je me relevais subitement avant de le repousser d’une main ferme.

« Pousse toi, TOI tu vas me tenir. »

Oui parce que lui pouvait empêcher ma chute alors que l’inverse…C’était peine perdue. Je rentrais mon tee shirt dans mon jean et indiquait de l’index la ceinture de celui-ci.

« Surtout lache pas ! La Tamise en cette période, c’est un nid a rats ! »

Un moment, je me demandais si les substances que prenaient Blue ne lui avaient pas cramé les neurones tant il me regarda avec un air d'incompréhension proche du bovin. Qu'est-ce que j'avais dit de si difficile? Tiens moi, c'était facile à comprendre non? Il se mit alors à rire et je fronçai les sourcils, me demandant ce qu'il y avait de si drôle. Avant qu'il ne me fasse remarquer que j'étais plus costaud que lui et donc plus à même de le retenir et non pas le contraire. Ouais, sur que si je devais basculer, la crevette aurait bien du mal à me rattraper.

- "Je n'avais pas l'intention de me pendre dans le vide non plus. Et j'ai plus d'allonge que toi."

Ceci, dit, Blue ne semblait pas l'entendre de cette oreille et me poussa pour prendre ma place, comptant sur moi pour l'assurer. Ben dis donc, il n'avait pas peur. Remarquez, moi non plus, en demandant à un gamin qui faisait 15 kilos de moins que moi de me retenir. Mais comme je l'avais précisé, c'était juste au cas où.

Il rentra son T shirt dans son jean, (chose que je trouvais un peu bizarre, au passage, mais passons) et m'indiqua sa ceinture. Je glissai donc la main entre le jean et la ceinture et l'agrippai fermement.

- "Juste à cette période? j'aurais pensé tout le temps moi... J'ai jamais rien vu d'aussi crade."

Ben non, les rivières ou les fleuves, chez moi, ils étaient propres. On pouvait se baigner dedans sans soucis, ce n'était pas un dépotoir.

- "C'est bon, je te tiens, vas-y."

Blue se pencha alors, tendant le bras au maximum, mais la casquette restait encore trop loin. Et il tirait encore, si bien que là, il aurait suffi que je lâche pour qu'il bascule effectivement dans l'eau bien dégueulasse.

« Plus d’allonge mais si tu dérape, on l’a dans l’os tout les deux alors fais pas ta mijaurée et tiens moi ! »

Répliquais je sans admettre de riposte quelconque. Fallait être timbré pour faire confiance a un type connu depuis quoi…36 heures mais allez savoir pourquoi, j’étais sure qu’il ne me lacherait pas. Bref, me voici en mode spéléo, tendant le bras le plus loin possible. Je sentais ma ceinture me rentrer dans le ventre mais je m’accrochais. Bon sang ! J’allais l’avoir !

Mes doigts effleurèrent le tissus et je tirais un peu plus sur mon corps pour l’étendre. Mon tee shirt glissa du jean dans mon mouvement pour récupérer cette foutue casquette mais je n’y pris pas garde. Il ne dévoilait qu’un bout de ventre de toute façon.

Mon pied glissa de la berge, me faisant basculer subitement en avant, comme un mouvement de pendule et je retins un léger cri. Merde !

« Penche toi un peu j’y suis presque ! »

Encourageais je en tendant désespérément ma main vers mon bien, trop sans doute. Un léger cri m’échappa alors que me saisissait de ma casquette et que mon autre pied quittait le plancher des vaches !

« Me lâche pas ! »

Oui, parce que là, j’étais littéralement pendue a son bras ! Autant dire que si ses doigts lâchaient , j’irais boire la tasse direct ! J’évitais de me tortiller dans tout les sens mais quand même ! J’espérais qu’il ai assez de poigne pour pouvoir me remonter sans prob parce que LA, je ne le sentais pas du tout. J’étais trop instable et lui aussi…

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