Renaitre ? | Ryu

Ma vie…Elle semblait couler, sans but, sans fin, inexorablement. Je ne dormais plus. Je ne mangeais plus. Me forçant, opposant au monde un sourire vide, creux. J’assistais au mariage de mon frère. Poupée vide qui fait semblant de rire. Comment le pourrais-je alors même que mon cœur n’était plus qu’un organe mort battant par habitude ? La nuit. Je redoutais la nuit. Parce qu’elle m’apportait ces souvenirs. Juste ses bras autour de moi. Son regard. Un sourire timide. Et alors la douleur se réveillait, impérieuse, broyant ce que j’essayais d’être sans lui. J’avais mal. Tout le temps. Un parfum qui me rappelait le sien. Un rire grave, faible écho du sien que je prenais pour un mirage. Une image. Un son. Je le voyais partout. Et je pleurais. Tellement. Jusqu'à ce que mes larmes se tarissent. Parce que j’avais trop pleuré, parce que j’avais épuisé une vie, des dizaines de vie, de larmes. Son absence, creusée comme un puits sans fond au creux de mon âme. Je compris Amaya. Cet autre moi. Comment faire semblant de vivre lorsque l’essence même de son existence n’est plus ?

Je n’étais qu’un automate qui se levait le matin, qui partait travailler, qui s’éteignait le soir, qui criait la nuit. Je n’arrivais même pas à le haïr. Il faisait trop partit de moi pour que j’y parvienne et pourtant, certain soir, je maudissais son nom. Un tel bonheur. Une telle douleur. Comment lui pardonner ? Je ne le savais pas. J’avais tenté de le voir, de retourner chez lui, ne serait-ce que pour lui faire sentir ma colère mais rien.

Avais-je aimé un fantôme ?

N’aimerais-je jamais qu’un souvenir ?

Non, je ne le voulais pas… Mais le vouloir, le désirer…Dieu qu’il me manquait…

En désespoir de cause, j’acceptais l’invitation à diner d’un collègue. Vis heureuse sans moi. N’était-ce pas ce qu’il avait écrit ? Je le haïssais de me jeter dans les bras d’autre alors même que son odeur sur ma peau n’avait pas disparue…Je le haïssais de penser que je puisse être à un autre. Alors peut-être n’était ce qu’une vengeance mesquine, imbécile, idiote…Oui, sans doute…Peut-être est-ce à cause de lui que je suivis Andrew. Peut-être est-ce à cause de lui que je fis taire la petite voix qui me disait de fuir. Oui. Pourquoi fuirais-je alors que ma vie n’était plus qu’un champ de ruine ? L’amour. La haine. Quelle frontière ? Aucune.

Juste un champ de ruines dévasté. Voilà ce que j’étais. Il me manquait. Il me tuait.

Andrew était gentil, chaleureux, il fit semblant d’ignorer mon absence et m’emmena au restaurant. Vis avec un autre…Pourquoi m’as-tu dis ça…En sachant que cela me serait impossible ? Imbécile.

Pourtant je souriais à Andrew, le rassurant. Oui , j’étais un cœur à prendre, j’étais seule, il le savait…Il était trop compatissant, trop parfait. Le moindre de mes désirs…Alors lorsqu’il voulut m’emmener vers la mer, je répondis oui, oui…du moment que je ne pensais pas à lui. Tout ce qu’il voulait pour ne plus entendre sa voix.

Et ce désir me porta à ma perte. Là. Maintenant. Attachée à un poteau. Andrew m’aimait. Il n’aimait que moi. Il n’était digne que de moi. Je crois que je ris. Jusqu'à la folie.Je m’étais trompée disait-il. Il me pardonnait mon égarement… Non. Non….Et pourtant je ne dis rien, enfin presque…Juste une phrase.

« Tu aimes une morte »

Il était si sûr que je l’aimais. Qu’il n’y avait que lui. Mon rire décupla.

« Tues moi. Je ne t’aimerais jamais. Je ne serais jamais à toi… »

Je sentis la morsure atroce de la lame lorsqu’elle pénétra mon flanc…Et tout ce que je pouvais penser…Le seul visage qui serait gravé dans mes yeux….C’était le sien.

Quatre mois. Quatre longs mois sans elle, loin d’elle, à sans cesse douter de la décision que j’avais prise alors que je la voyais s’éteindre. Non, en vérité, elle était déjà éteinte. J’avais soufflé la flamme qui l’animait dés lors que je l’avais abandonné au creux de la nuit, avec une simple lettre comme explication. Comme rupture. Je ne m’étais pas séparé d’elle parce que je ne l’aimais plus, mais parce que je l’aimais trop. Elle était mon point faible, mon talon d’achille et elle risquait d’être blessée ou tuée pour m’atteindre, otage de cette guerre insensée qui était la notre depuis des millénaires et qui avait flambé dernièrement. Alors j’avais disparu. Mon appartement était vide, je vivais chez Azraëlle, prenant en charge l’éducation d’Aaron que j’avais pas mal maltraité ces dernières semaines, lui enjoignant une discipline de fer, ardue, qui avait de quoi le faire sortir de ses gonds et se rebeller. C’était un brave garçon, mais il avait une once de tempérament rebelle que je ne cessais d’asticoter pour le pousser à la faute. Il fallait dompter ce tempérament rebelle avant qu’il ne prenne trop d’importance. Avant que ce ne soit Azraëlle qui ne s’en charge.

Et je n’osais même pas m’avouer que j’espérais presque que le jeune homme m’en fasse voir pour me défouler enfin, pour extérioriser ce chagrin qui me broyait le cœur. Je gardais un œil sur Yue Hue, mais sans plus interférer dans sa vie, je le lui avais promis. Je la voyais et elle ne me voyait pas. Je souffrais de son absence. Terriblement. Chaque jour qui passait était une nouvelle mort. Combien de temps avant que ma résolution ne vacille et que j’accours vers elle pour lui demander pardon ?

Quatre longs mois à vivre comme un fantôme. J’avais tué quelques démons bagarreurs et qui avaient eu la malchance de s’en prendre à moi ou que je passe dans le coin. Je n’étais pas un ange réputé, j’étais discret et j’aimais cela. Je n’étais pas encore séraphin. Mon aura trompait l’ennemi qui me pensait une proie facile… Grave erreur, ils s’en rendaient vite compte.

Mais cela ne trompait pas mon mal de vivre et je n’étais qu’une coquille vide, un automate. Comme elle. Elle à qui j’avais enjoint de vivre sans moi, de poursuivre sa route et c’est ce qu’elle fit, alors qu’un de ses collègues lui tournait autour. Un type qui ne m’inspirait pas confiance. Quand je compris pourquoi après maintes recherches, il était déjà trop tard. Affolé, je me mis à la recherche de Yue Hue. A tire d’ailes, me moquant totalement d’être vu ou pas. J’avais juste cet horrible impression qui me comprimait la poitrine. Quelque chose n’allait pas. Nous étions trop liés pour que je sois indifférent à son sort.

Enfin, je la retrouvais. Trop tard, il était trop tard ! Je vis la lame pénétrer son flanc alors que ce fou se tenait devant elle. Plus rien d’autre en comptait alors que je me ruais sur lui, le catapultant à une distance plus qu’honorable. Son dos cogna le mur dans un craquement et il hurla. Pas mort, mais sûrement handicapé. Paraplégique ? Tétraplégique ? Cela serait le dernier de ses soucis quand j’en aurait terminé avec lui. Je coupai les liens avant de recueillir le corps de Yue Hue dans mes bras, repoussant ses mèches noires de son visage, la dévorant des yeux avec avidité. Ma main se posa sur sa blessure, la compressant pour l’empêcher de saigner. Je regrettais d’être un ange et pas un démon en cet instant.

- Je vais t’emmener à l’hôpital Yue Hue. Je suis désolé d’être arrivé si tard. Pardonne moi… Yue Hue, s’il te plait… ouvre les yeux.

Ne meurs pas… Ne ma laisse pas. J’ai eu tort, tu n’es pas à l’abri, que cela soit sans moi ou avec moi. Les mortels n’ont pas besoin de guerre pour se tuer. Pour être fous.

Cette douleur n’était rien comparée a celle qui errait dans mon cœur depuis 4 mois, pourtant, je me surprenais à ne pas vouloir mourir. Pas comme ça. Pas de cette façon. Pas de la main d’un fou qui me comblait d’un amour pervertie et faux. Pas à cause de lui. Ce n’était pas ce que je voulais. Pourtant, je ne pouvais rien contre le sang qui s’écoulait lentement de la plaie. J’aurais aimé la compresser, mais mes mains, attachées, ne voulaient pas bouger, ne pouvaient pas bouger. Etrangement, le froid s’insinuait en moi au même rythme que mon sang et, comme un bourdonnement dérangeant, les paroles sans queue ni tête de mon agresseur. Il me parlait d’amour. Mais au final, il ne savait rien de l’amour. Absolument rien.

J’aurais voulu lui cracher au visage, mais je crois que je n’en avais pas la force. Je mangeais peu, dormais peu, cela ne m’aidait pas a garder les yeux ouverts. Après tout, je pouvais dormir finalement. Me vider de mon sang, qui s’en soucierait ? Mais un sursaut de fierté me força a ouvrir de nouveau les paupières. Il n’était pas question que je meure ici ! Ma vision, floue, ne m’aidait pas a trouver de quoi me libérer alors que l’homme déblatérait. Je voulais oublier jusqu'à son prénom. Je m’en moquais. Il m’expliquait que cela faisait des mois qu’il me suivait, que cet homme que j’avais un instant aimé, n’était pas digne de moi. Je crois que je ricanais. Imbécile.

Et puis, tout ce passa rapidement, si rapidement que je ne vis qu’une tache virevoltante dans l’espace de l’entrepôt. Je ne sut pas ce qu’il se passait mais le son d’une colonne qui se brise me hantera longtemps certainement. Et puis, ce fut ses bras. Je pouvais reconnaitre leur force même si je ne voyais pas son visage. Je sentis le sang affluer de nouveau dans mes bras, au rythme de celui qui s’échappait de ma blessure et un gémissement passa mes lèvres lorsque la douleur se fit plus vive tandis qu’une large main la compressait.

« Arrête… »

J’ai mal. J’aurais voulu continuer mais j’en fus bien incapable sur le moment. Ca me faisait mal mais, une petite voix au fond de moi savait que c’était indispensable. Bizarrement, je me sentais aussi étrangement bien malgré la douleur. Comme si, quelque part, j’avais su qu’il allait venir, qu’il ne pouvait pas en être autrement. Il m’arrivait tellement souvent de sentir sa présence, sans même le voir que, parfois, sans vraiment oser y croire, je l’imaginais autour de moi, sous ses yeux….

« Ryu… »

Je me figeais alors qu'elle gémissait, me demandant d'arrêter. Arrêter quoi ? De m'excuser ? De parler ? De la faire souffrir en appuyant impitoyablement sur cette plaie béante qui me hantait et me faisait craindre le pire ? Yue Hue n'était pas conçue pour guérir facilement de ce genre de blessures. Elle n'était pas comme moi et ne le serait peut-être jamais. Il allait falloir que nous prenions une décision tous les deux. Je pouvais la bénir, là, maintenant, elle me faisait assez confiance pour m'ouvrir les bras et me laisser entrer dans son âme. Elle mourrait de sa blessure et serait enfin toute à moi. Farouchement à moi. Et en danger à cause des démons. Mais en tant qu'humaine, elle l'était également. Je m'étais trompé et j'étais peut-être arrivé trop tard.

Elle souffla mon nom et je sentis mon cœur se décrocher. Autant pour ma formation de guerrier qui contrôlait tout. Avec elle, je ne contrôlais plus rien du tout. Je savais juste que si elle mourrait et contrairement à ce que j'avais affirmé, je ne saurais attendre sa prochaine vie. j'en avais assez de passer à côté d'un bonheur que je ne faisais qu'effleurer du bout des doigts et il me semblait que je prenais à chaque fois la mauvaise décision. Peut-être était-il temps de la laisser choisir, elle.

- J'avais tort, je n'aurais pas du te laisser, c'est ma faute.

Doucement, je la pris dans mes bras, la soulevant délicatement. Ainsi, je ne pouvais empêcher son sang de couler, mais il fallait se dépêcher. Je quittais l'entrepôt avec mon fardeau dans les bras, sans un regard pour le salopard qui lui avait fait ça. Il pouvait agoniser au sol, je n'avais nulle pitié pour lui. Je pris mon envol, conscient que c'était ainsi que nous arriverions le plus vite. Je la serrais précieusement contre moi, lui parlant pour l'empêcher de sombrer :

- Reste avec moi, reste éveillée Yue Hue. Il faut que tu vives, tu m'entends ? Je sais que je n'aurais pas le courage d'attendre ta prochaine vie, de retrouver la solitude qui est mienne en ton absence. Je t'interdis de mourir... Ou deviens comme moi...

Deviens un ange, laisse-moi te bénir, prendre soin de toi... Je trouverais un moyen d'empêcher l'école de t'influencer, quitte à passer un marché avec Azraëlle.

Le ciel m'ouvrait les bras. Je sentai l'air effleurer ma peau, ma chair et pourtant il n'y avait que sa chaleur. Juste son odeur qui m'enivrait, comme une drogue dont j'avais été si longtemps privée. Le parfum de sa peau, de sa nuque alors que j'y nichais mon visage. Que mi'importe de mourir maintenant finalement, si c'était dans ses bras. Juste dans les siens. Si forts autour de moi, si vrais. J'étais tellement en manque de lui. Quatre mois m'avait presque détruite. Non, quatre mois m'avait détruite. je n'étais plus rien sans lui. Je ne serais jamais rien sans lui. je mourrais sans lui. Engourdie, j'eus tellement de mal a comprendre ses paroles que je papillonnais légèrement des paupières, il m'arrachait à mon monde cotonneux.

"Non..."

Pourtant il m'offrait ma vie a ses côtés. Je déglutis, avec difficulté. Quelle était la bonne décision ? Devais je lui infliger encore cette recherche sans fin ? Ne se jouant que sur un hasard ? Pourquoi ne pas m'offrir cette chance unique ? Même si, un jour, mon âme devrait se perdre dans le néant ? Pöurrais je survivre sans mon double ? Dans ce monde et dans l'autre ? Les souvenirs d'Amaya étaient si forts. Elle avait cru le rejoindre dans le trépas, elle ne l'avait jamais trouvé. Son âme s'était réincarné tant de fois. Tant de vie gachées parce qu'elle ne l'avait pas retrouvé.

"Je ne veux pas être comme toi sans toi. Sans la promesse que tu me tueras si jamais je faute. Sans la promesse que tu seras là, toujours. Ryu...Promets moi juste de m'aimer... Promets le."

A quoi bon vivre éternellement sans lui ? Je ne pouvais pas lui infliger la douleur de m'attendre encore. Non je ne voulais pas le voir souffrir alors que mon sang s'égouttait et se perdait dans le néant. Bizarrement, je n'avais plus mal.

"Fais le. Fais le parce que je t'aime. J'aurais aimé te haïr, t'en vouloir,mais ce n'est pas possible. Ne me laisse pas te trahir. Ne me laisse pas nous trahir."

Alors oui, je serais ce qu'il voulait du moment qu'il restait avec moi, qu'il était moi. Le visage enfuit au creux de sa nuque, je me rendais compte de ma voix si ténue, si faiblarde. Mais cela ne m'empêchait pas de réfléchir. De penser. Je ne voulais pas prendre cette décision pressée par la peur de mourir et quelque part, ce n'était pas le cas. Oh sans doute que sans cela, j'aurais pu y penser, vraiment peser le pour et le contre. Mais tout ceci s'était évanouie lorsqu'il m'avait quitté. Mais maintenant, je comprenais que j'avais toujours sut. J'avais toujours su quelle serait ma décision.

C'était sans doute le moment le plus mal choisi pour lui offrir l'éternité. Elle risquait de mourir et j'avais terriblement peur de la perdre. J'agissais sous le coup des émotions, c'était le cœur qui parlait, la terreur absolue de retourner à mes ténèbres si elle disparaissait à nouveau. Je n'aurais sans doute pas la force de l'attendre encore, de vivre encore cette insupportable solitude... Je m'étais trompé et il était trop tard pour faire marche arrière et discuter de tout cela calmement. Et elle... Elle, elle avait le choix entre risquer la mort et gagner la vie, une vie éternelle, avec moi... Au mépris de ses valeurs, même si je ferais tout pour lui permettre de les conserver.

Pourtant, alors qu'elle était à l'agonie, elle pouvait encore réfléchir, encore poser ses conditions. Mon cœur se fissura totalement devant sa requête, si simple en vérité... Si terrible alors qu'elle me demandait de l'exécuter si elle dérivait. Je ne le pourrais pas. Ça, je ne pouvais pas lui promettre.

- Je n'ai pas besoin de le promettre... Cela fait deux siècles que je t'aime... Mais je resterais à tes côtés, toujours. J'ai compris la leçon.

La bénir ? Maintenant ? Ce serait si facile, alors qu'elle avait une confiance aveugle en moi. Trop facile. Mais si cela pouvait la sauver... Ou elle mourrait et devenait ange, ou elle était sauvée mais bénie et donc, déjà engagée sur la voie... Sans retour possible en arrière.

- Cela n'arrivera pas. Tu me fais confiance ?

Oui, évidemment. La bénédiction n'était plus qu'une formalité. Je pris une grande inspiration.

- J'espère que tu ne le regretteras pas... Il n'y a nul retour en arrière possible à partir de maintenant. Si tu meurs, tu deviendras ange. Si tu vis, tu seras bénie et prête à rejoindre nos rangs quand la vie te quittera.

Je la serrais contre moi, avant de murmurer simplement :

- Je t'aime, je t'ai toujours aimé et je t'aimerais toujours, quoiqu'il advienne. Reste avec moi. Pour toujours.

Et je la bénis ainsi. Ma centième. Celle qui faisait de moi un Séraphin. Sans tambours, ni trompettes. Juste un accord scellé sur le toit d'un hôpital, avant que je ne me redresse et m'engouffre dans l'escalier, dévalant les marches pour la conduire jusqu'aux urgences où je la laissais entre les mains compétentes des médecins.

Je sentais confusément ma vie m’échapper et pourtant, jamais mes pensées n’avaient été aussi claire que maintenant. Comme si le nuage du doute s’évaporait sous l’urgence, sous cette question qu’il me posait. Y avais je réfléchis ? Oui, j’avais regretté mes hésitations lorsqu’il m’avait privée de lui. J’avais tellement regretté parce que si j’avais accepté, alors il ne m’aurait pas quittée, ne m’aurait pas laissée seule, perdue sans lui, vivant avec une partie de moi totalement morte. Alors maintenant, je n’avais plus peur. Une confiance aveugle en lui. La certitude que si jamais je m’oubliais dans ce monde qu’il voulait me voir rejoindre, il serait là pour me rattraper, toujours là. Je voulais encore vivre a ses côtés, son absence m’avait si cruellement blessée que je ne voulais plus qu’il m’échappe. Le regarder. Encore et encore. Toujours.

Alors je lui donnais mon consentement sur sa promesse que jamais il ne me laisserait. Je devinais sans peine la difficulté que cela risquait d’être pour lui, mais je savais qu’il ferait tout, absolument tout pour me garder prêt de lui.

« A jamais. »

Je ne me rappelle plus avec précision ce que j’ai ressenti peut-être parce qu’il possédait déjà une partie de moi, de mon âme qui lui était dévouée, totalement à lui. Le reste n’est que flou, de sensations désagréables alors que l’on me prenait en charge, que l’on découpait mes vêtements, que l’on m’emmenai d’urgence au bloc opératoire. Je plongeai dans l’inconscience avec un plaisir sans fin, apaisée parce que je savais que ma vie, finalement, n’avait réellement commencée qu’avec lui. Juste avec lui.

L’opération fut un succès et lorsque je m’éveillais, la tête lourde, la bouche sèche, je découvris l’ambiance blanche et épurée, froide aussi d’une chambre de réanimation. Je battis des paupières, mes lèvres craquelées et sèches refusant de bouger alors que je ne voulais que réclamer Ryu. Pourtant, comme si il avait lu dans mes songes, son visage se dessina devant moi…Je souris.

Elle était bénie. Quoiqu'il arrive maintenant, elle était à moi, elle deviendrait un ange. Que ce soit aujourd'hui parce qu'elle ne survivrait pas à ses blessures, ou que ce soit plus tard... Si jamais elle survivait, il me faudrait la tuer, avant qu'elle ne vieillisse... Un acte que je ne me sentais pas capable d'accomplir pour le moment. Avant qu'elle ne sombre, nos regards se croisèrent et je vis la confiance absolue qu'elle pouvait avoir en moi. Une confiance qui m'ébranla. Elle s'en remettait totalement à moi et qu'importe son sort. Pourvu que j'en sois digne. Je devais me montrer à la hauteur.

La valse des médecins commença et je restais à l'écart, entièrement tendu vers elle, toute mon attention portée vers elle. Elle qui se battait pour survivre, malgré tout. Il lui aurait été si simple de se laisser aller, mais non, Yue Hue était une battante. Bénie, mais qui resterait encore humaine quelques temps, alors qu'on l'opérait, alors que je sentais que la vie demeurait en elle.

Quand elle remonta du bloc opératoire, on l'installa dans une chambre et je m'assis à ses côtés. Je la veillais, encore et encore, des heures durant. Guettant les courbes des appareils auquel elle était reliée, les bips sonores, sa respiration. Respiration qui s'accéléra alors qu'elle battait des paupières. Aussitôt, je me penchais vers elle, soulagé de la voir vivante.

Avais-je bien fait de la bénir parce que j'avais peur de la perdre ? Je n'en avais aucune idée. Mais elle était là, et ses yeux noirs me regardaient avec reconnaissance. Doucement, je passais une main dans ses cheveux, avant d'embrasser son front.

- Tu es une battante, tu l'as toujours été...

Pour survivre à tout cela, il fallait l'être et je vibrais d'admiration.

- Tu veux de l'eau ?

Je la voyais s'humecter tant bien que mal les lèvres, la bouche rendue sèche par la perte de sang, par le passage au bloc opératoire.

Je crois que j’aurais aimé rire devant ses mots. Moi ? Une battante ? Je n’en savais rien moi-même, mais une chose était sûre, je n’avais rien d’héroïque. J’avais tremblé de peur, de terreur même prise aux mains avec ce fou. Encore une fois, ma bêtise m’apparue dans toute sa splendeur, comment avais-je pu me faire avoir comme cela ? Comment ? Pourquoi n’avais-je rien vu ? Et une petite voix me souffla que j’aie été tout simplement aveuglée par la douleur de l’avoir perdu lui. Lui qui m’embrassait le front en murmurant doucement. Il aurait pu partir, me laisser mais il ne l’avait pas fait. Je savais qu’il ne le ferait pas, ou alors je l’avais tellement espéré que le contraire n’aurait pu arriver, je n’en savais rien et , a vrai dire, je n’étais pas tellement en état de réfléchir.

« Tu me surestime Ryu. »

Réussis je a dire d’une voix enrouée par l’anesthésie, la bouche sèche et pâteuse, il y avait mieux comme retrouvailles franchement. Une étincelle reconnaissante s’alluma dans mes iris alors qu’il me proposait de l’eau.

« Oui, s’il te plait…j’ai l’impression d’avoir mâché du papier….Très désagréable. »

Et lorsque l’eau fraiche coula sur mes papilles, je ne pus contenir un soupir de bienêtre, voir de bonheur, étonnant de voir comme des petites choses comme celle là pouvait revêtir une importance capitale parfois. Il reposa le verre et je me saisis de sa main, cherchant son regard sombre.

« Tu devras me tuer… »

Constatais je, parce que l’agression ne l’avait pas fait. Je déglutis, difficilement…

« Ne me dis rien. Lorsque tu le feras…ne me dis rien. »

Une prière ? Oui, peut-être parce que je ne voulais pas mourir dans l’attente de la mort justement, dans l’attente d’une chose inéluctable. Je voulais que ce soit quelque chose d’impulsif, que je ne puisse prévoir, dont je ne pouvais contrôler les liens. Je savais qu’il le ferait avec douceur et sans douleur.

« Je sais que tu préférerais que je sois prête, mais comme tout humain, je ne le serais jamais…Sauf devant le fait accompli. Alors ne me préviens pas, ne me dit rien, fais le lorsque tu estimes que le moment sera venu…S’il te plait. »

Fais-le avec amour. C’était tout ce que je voulais. Mourir de sa main, juste de la sienne. Y avait il plus beau ? Moi qui était allongée sur un lit d’hopital, qui avait frôlé l’étreinte de cette femme froide envisageant sa mort sans regrets…Etrange, une chose que je n’aurais jamais pensé possible avant…Mais avec lui…Tout était possible.

- Non, je te connais, tout simplement.

Sa voix était faible, sans doute due à sa perte de sang, à son opération... A tout ce qu'il s'était passé. Tout était de ma faute, si j'étais resté près d'elle, jamais elle n'aurait accepté les avances de cet individu, de ce détraqué, elle était tellement aveuglée par le chagrin qu'elle s'était perdue en route, perdant tout discernement... Et moi, moi qui ne voulais plus interférer dans sa vie, moi qui m'étais juré de l'éloigner du danger en lui faisant quitter ma vie, j'avais observé cela de loin, sans mesurer le danger que représentait ce type.

La culpabilité ne nous ferait pas avancer. Mais elle restait présent,e bien que je préférais ne rien lui en dire, ne plus aborder ce sujet avec elle. Je lui proposais de l'eau et elle accepta avec plaisir. Je l'aidais à boire, doucement, pour ne pas qu'elle s'étrangle avec le liquide après ces longues heures endormie, après toutes ces épreuves. Je reposais le verre vide, avant de poser mon regard sur elle dés qu'elle se saisit de ma main, affirmant que j'allais devoir la tuer.

Elle me coupait l'herbe sous le pied. Abordant sa bénédiction plus vite que je ne le pensais. Et elle me demanda de ne rien lui dire. De la tuer par surprise, sans la prévenir. Et je fus mis face à mes responsabilités devant cette demande. Je n'avais pas songé à la façon de la tuer... J'avais agi sous le coup de l'urgence. Ne réfléchissant pas à la suite si elle survivait. Je devrais donc la tuer quand elle ne s'y attendrait pas. Elle ne verrait pas la mort venir. Personne ne pouvait être prêt à mourir.

- Tu ne mourras pas vraiment... Ce ne sera pas la fin, mais le commencement...

Je soupirais, passant une main dans ses cheveux.

- Je ne te dirais rien. Quand le moment sera venu, je m'occuperais de faire de toi un ange. Je peux te promettre que tu ne souffriras pas.

J'esquissai un mince sourire.

- Tu es ma 100ème... Celle qui a fait de moi un Séraphin.

« Je sais… »

Mais il restait la peur naturelle de la mort, celle qui était ancrée en chaque être humain. Celle qui me ferait peut être supplier pour ma vie. Savoir que ce n’était pas une fin en soi était une chose, mais cet instinct de survie, personne ne pouvait aller contre ou presque. Je m’étais déjà tuée une fois et je crois que, avec une preuve ou sans preuve, cet évènement devait avoir agit avec ma façon d’être maintenant. J’adorais la vie, littéralement et même si j’avais cru mourir sans Ryu,je n’étais pas passée à l’acte comme j’avais pu le faire avant. Je lui souris doucement alors qu’il m’assurait que je ne sentirais rien. Je lui faisais confiance pour cela. Je caressai sa joue :

« Je m’endormirais tout simplement… »

Il y avait quantité de poison pour cela. Considérer ma mort avec autant de détachement me surprise, mais je savais qu’il le ferait un jour. Avant que je ne sois trop vieille, avant qu’il ne soit obligé de me figer dans un âge qui ne serait pas réellement moi. D’ici un mois, un an, cela n’avait pas vraiment d’importance songeais je en fermant doucement les yeux, juste apaisée par sa présence.

« Cent ? J’aurais droit a un gâteau ? »

Je ris doucement, avec prudence ayant peur de m’étrangler avant de le regarder gravement. Je savais ce que cela serait, il me l’avait expliqué et soudain, je me demandais si j’avais fait le bon choix. Echanger ma vie contre une autre totalement artificielle au service d’un dieu que je ne reconnaissais même pas…Mais en lisant l’étincelle dans ses iris, mes doutes n’étaient plus, n’existaient plus. Je serais à jamais avec lui et qu’importe ce qu’il pouvait nous arriver. Il tiendrait la promesse faite voilà deux cent ans a une jeune femme qu’il avait aimé.

« Reste avec moi… »

Murmurais je doucement, serrant ses doigts entre les miens alors que je sentais l’épuisement m’envahir, insidieusement. Je voulais lutter pour encore le regarder mais, d’elles même, mes paupières se baissèrent, cédèrent lentement et je n’y pouvais rien. Je t’aime. Et je sombrais.

Reste avec moi…