Une erreur | Ryu

-"Merci Jane, vous pouvez rentrer chez vous, je n'ai plus besoin de vous pour ce soir."
-D'accord, bonne soirée Yue Hue
-" A vous aussi."

Je lachai le bouton de l'interphone, me renversant dans mon fauteuil pour soufler un peu. A vrai dire, j'avais été si prise par Ryu que j'en avais négligé mon travail, résultat, la somme de boulot me revenait en pleine tête. Des heures sup en perceptives.

j'étais seule, le musée s'étant vidé peu à peu de ses employés. La nuit était tombée depuis un moment, mais j'avais encore une tonne de dossier a traiter. Alors plus vite je m'y mettais plus vite j'aurais fini, plus vite je retrouverais Ryu. Mais en attendant...

J'attachai mes cheveux en une queue simple et rapide avant d'ouvrir mon premier dossier traitant d'un prêt fait et qui ne nous était pas revenu dans les temps. Je soupirai. Les liaisons avec la Corée du Nord était plutôt tendues, qu'espérais je ? Ce n'était pas grave et, heureusement, les pièces étaient minimes, cela relevait d'une question d'honneur d'une certaine façon. Une heure ou deux passa ainsi avant que ma fenêtre n'explose littéralement, me faisant hurler.

Je glissai de mon siège pour me réfugier sous mon bureau, croyant, a tord, que ce n'était là qu'un coup de vent trop violent. Mais ce n'était pas le cas. Pas lorsqu'une voix s'éleva.

-Sors de là, Bénie.

Je battis furieusement des paupières. Qu'avait il dit ?! Mais...Il se trompait non ? Je ne l'étais pas ! Ryu m'avait promis qu'il ne ferait rien sans mon consentement et je le croyais. Ce pourrait il que...Non, hors de question de prendre des risques...Sans quitter mon abri, tremblante de partout, je sortis fébrilement mon portable, appuyant sur une touche, un raccourcis pour le numéro de Ryu, mais je n'eus pas le temps d'entendre sa voix que je me sentis brusquement tirée par le col. Je lâchai un petit cri. Il ne fallait pas être idiote pour comprendre que j'avais a faire, soit a un ange qui en voulait a Ryu soit a un démon...

-"Lâchez moi !"

Je tentais de m'accrocher au bord de mon bureau mais ce fut peine perdue.

-Inutile de discuter avec moi.

Je n'aimais pas cette voix implacable, froide, empreinte d'une colère que je ne comprenais pas du tout. Je me débattis, cherchant a m'extraire de cette poigne qui me tenait et ma chemisette se déchira, relachant la pression. Je voulu en profiter immédiatement pour me ruer vers la porte mais il m'attrapa par les cheveux, je criais de douleur. C'était un cauchemar, la panique coulait littéralement dans mes veines, de la colère aussi alors que je me retournai subitement, griffant le visage de l'homme dans un geste instinctif.

-Faible.
-"Humaine !"

Mais il ricana, merde ! il ne savait pas faire la différence ou quoi ?! La panique refluait pour laisser place a la colère, je n'allais pas me laisser rudoyer sans résistance, seulement,il était bien plus fort que moi, bien trop fort et je me retrouvais catapultée a l'autre bout de la pièce, heurtant une petite bibliothèque de plein fouet qui me coupa le souffle, me faisant voir trente six étoiles...

-"Allez vous en !"

Mais au lieu de crier, je ne réussis qu'a gémir. Bon sang !

Les mois défilaient aux côtés de Yue Hue et cette vie avait des airs de paradis… Le vrai, pas ce mensonge dans lequel je vivais. Elle acceptait ce que j’étais et au fil des mois, cela lui était devenu presque naturel. Elle se montrait curieuse, luttant contre sa peur de l’inconnu pour apprendre à connaître mon monde. Azraëlle avait disparu comme elle l’avait annoncé, demeurant totalement introuvable. Je n’avais aucune idée de ce qui avait provoqué cet exil forcé, mais je respirais plus librement en ne la sachant pas là, tapie dans l’ombre, guettant le moindre faux pas pour tirer sur la chaîne qui me liait à elle.

Je prenais soin d’Aaron, continuant son entraînement comme je l’avais promis à l’ange. Je mettais un point d’honneur à honorer mes promesses. Et j’aimais bien le jeune occidental. Il devait lui aussi se sentir plus libre, j’étais moins intransigeant qu’Azraëlle. Tant qu’il s’appliquait lors de nos leçons, il pouvait bien faire ce qu’il voulait de son temps libre. Je n’étais pas sans cesse sur son dos.

Quant à Katsuo, il était libre de ne plus aller à l’école, j’avais arraché ce privilège à l’ange de la mort avant son départ. Je savais que cela faisait de lui une cible facile, car seule, mais je veillais sur lui et je lui avais donné quelques armes pour apprendre à se défendre. S’il périssait, c’était que je n’avais pas été un bon professeur.

Ce que je n’avais pas prévu, c’était que la guerre me rattraperait plus vite que prévu. Jusqu’ici, le conflit était plutôt larvé, silencieux, fourbe. Mais depuis peu, des attaques avaient eu lieu. D’anges sur des démons et personne ne savait d’où cela venait exactement, qui avait pris cette initiative, mais les deux races étaient ouvertement en guerre désormais et les agressions se multipliaient…

Un sentiment de malaise ne cessait de me tarauder, sans que je ne puisse en identifier la cause. Juste l’impression persistante et dérangeante que quelque chose allait arriver, quelque chose de funeste… Un 6e sens quelque part. Yue Hue était à son travail, il n’y avait aucune raison que quelque chose cloche. Pourtant quand mon téléphone sonna, je sentis mon cœur faire un bond dans ma poitrine. Je décrochai aussitôt et avant que je ne puisse dire quoique ce soit, j’entendis Yue Hue crier.

- Yue Hue !

Mais évidemment, aucune réponse… Je me ruais en dehors de chez moi, prenant mon envol, me moquant totalement d’être vu ou pas. Il n’y avait qu’elle qui comptait et jamais elle ne m’aurait appelé si elle n’était pas en danger. Je ressentis une peur primitive alors que je volais le plus vite possible, droit vers le musée. Je courus à l’intérieur, cherchant le bureau de la jeune femme, et quand je captais des bruits de conversation, j’accélérais encore. Un bruit sourd résonna et mon sang ne fit qu’un tour alors que je surgissais dans la pièce, avisant Yue Hue, à terre et sonnée et un démon, prêt à se jeter sur elle.

Il n’en eut naturellement pas le temps. Je me retrouvai sur son chemin, et j’étais autrement plus coriace que la jeune femme. Il tenta de me frapper, mais j’esquivai avec facilité son coup que je jugeais maladroit et même faible. Je m’emparai de son poignet, le vrillant violemment alors qu’un bruit d’os qui se rompt résonnait de façon écœurante.

- Je ne sais pas ce que tu es venu chercher ici, mais tu ne vas trouver que la mort.

Le démon me jeta un regard furibond.

- Vous assassinez les nôtres et nous devrions rester les bras croisés ?

- Tu te trompes de cible.

- Elle, toi, un autre… Racaille angélique.

- C’est une humaine.

- Elle pue l’ange. D’autres viendront.

Il ricana et mon regard se fit meurtrier, alors que je sortais un poignard et le plantais dans son cœur sans le moindre remord, sans la moindre hésitation. Le démon me regarda, surpris, avant de s’écrouler, les mains crispés sur sa poitrine. Il fallait encore le lui arracher, mais il était hors d’état de nuire. Le problème était de se débarasser du corps. Je préférais éviter les ennuis. Je m’en occuperais plus tard. Je détournais mon attention du démon inconscient. Je me relevai et m’approchai de Yue Hue, passant ma main sur sa joue avec douceur :

- Tu vas bien ?

Etrangement, j'avais beau pratiquer un art martial, principalement défensif d'ailleurs, j'avais été incapable d'empêcher quoique ce soit. Il était trop rapide pour moi, trop fort et je peinais a retrouver mon souffle, étalée sur la moquette luxueuse de mon bureau, toussant et crachant pour retrouver mon souffle. Mon cerveau réfléchissait a cent a l'heure pour trouver une solution, pour m'enfuir, je n'étais pas assez folle pour me croire a la hauteur, vraiment pas. Je ne savais même pas si Ryu avait eu le temps d'entendre mon appel, ni même si il avait répondu

Des bruits de pas me réveillèrent un peu et mon regard cherchait déjà une porte de sortie quelconque, un moyen de me sauver. Il n'y avait rien de lâche dans la fuite, absolument rien, surtout lorsque sa vie était en danger.


La voix de Ryu me parvint presque a travers un brouillard et ma tête retrouva la stabilitée du sol. Si il était là, c'était que je ne craignais plus rien. Il me protégerait, il l'avait toujours fait, il me l'avais promis et je le croyais, je l'avais toujours cru d'une certaine manière. Je fermai les yeux...Echappant ainsi a ce qu'il fit par la suite et lorsqu'il posa ses mains sur mes épaules, sur mon visage, ma joue, je me sentit instantanement mieux, apaisée. Il avait ce pouvoir là sur moi, il l'avait toujours eu et ce serait toujours comme ça.

-Ca va...Je suis juste...Secouée.

Je me redressai un peu, portant une main a mes côtes un peu douloureuses...

-Qu'est ce qu'il se passe Ryu ? C'est la première fois que...

Je grimaçai un peu sous la douleur, m'accrochant a ses épaules larges et rassurantes. C'était la première fois que je me faisais agresser pour ce qu'il était. Je savais les dangers, il ne m'avait rien caché, rien, mais là, j'en prenais réellement conscience.

Je me mordis violemment l'intérieur de la joue pour ne pas jurer quand Yue Hue grimaça de douleur. J'espérais qu'elle n'avait rien de cassé... Sinon, le démon qui gisait non loin de là, allait avoir le coeur arraché plus vite que prévu, c'était certain. Mais quel crétin... Des gamins qui se jetaient dans une guerre sans y être préparés, qui ne savaient même pas distinguer des bénis de simples humains... Il avait eu tort de s'en prendre à Yue Hue, il avait eu tort de faire de moi son ennemi. Une erreur qu'il n'était pas prêt de réitérer, puisque sa vie allait prendre fin. Ce ne serait pas une perte, il n'y avait pas de place pour les incapables.

En attendant, je me demandais toujours qui avait déclenché les hostilités... Quel était l'abruti zélé qui avait décidé de nous sortir d'un conflit larvé pour une guerre ouverte, qui n'était pour le moment, cantonnée qu'à des attentats et des agressions de petits groupes d'individus. Mais le fait était que les humains allaient trinquer... Comme toujours et sans savoir ce qu'il se passait. Mais nous nous en fichions bien sûr ? Les humains n'étaient que des futurs anges en puissance au mieux, et des démons à abattre au pire. Voire des âmes inutiles car perdues pour nous.

Yue Hue me demanda alors ce qu'il se passait et je soupirais, avant qu'un pli amer ne se dessine au coin de mes lèvres. Ce qu'il se passait ? j'aurais bien aimé le savoir !

- La guerre dont je t'ai parlé... Elle s'est déclarée ces derniers temps... Des anges agressent des démons, des démons tuent des anges... Je ne sais pas quel a été l'élément déclencheur, mais nous sommes passés à la vitesse supérieure... Je ne pensais pas que tu serais en danger, qu'on t'attaquerait alors que tu es encore humaine...

Et je l'avais mise en danger en ne songeant pas à cela. Et maintenant ? Que faire ? La bénir, la tuer pour qu'elle devienne un ange, entre à l'école et soit protégée ? Au risque de se perdre ? Laisser les choses en l'état alors qu'elle risque d'être tuée ? Ou alors... m'éloigner d'elle, la rayer de ma vie pour le moment, qu'on ne devine aucun lien entre elle et un ange, qu'on la laisse en paix ? Une solution terriblement douloureuse, mais si cela pouvait lui éviter tout mal...

- Il faudrait sans doute que nous cessions de nous voir. Que mon odeur disparaisse, que l'on ne t'associe plus à moi... Tu ne seras plus une cible pour démon stupide...

-"Ah..."

Oui, ah. Que pouvais je dire d'autre alors qu'il m'annonçait que la guerre qui couvait venait d'éclore avec violence. Mes côtes me faisaient mal, dût sans doute au meuble que j'avais heurté, mais a part ça, j'allais a peu prêt bien. Une belle trouille et je savais que sans Ryu, j'y serais passé sans autre forme de procès. Il m'aida a me relever et je veillai a rester accrochée a ses épaules, les jambes un peu flageolantes. je passai une main tremblante dans mes cheveux.

"Et ils attaquent sans dicernement ?"

Et on disait les anges méchants et sournois ? Cela dit, quelque chose me disait ce que celui là était jeune et je n'osai même pas le regarder. il n'était pas mort malgré le poignard, je le savais. Ryu m'avait expliqué que pour les tuer, il fallait leur ôter le coeur. Je trouvai cette méthode plutôt barbare d'ailleurs. Je déglutis un peu, conservant un étrange sang froid dont je n'étais pas peu fière. Non, je ne sanglotai pas avec hystérie. Non, je ne m'éffondrais pas non plus. Je pouvais sans doute remercier mon éducation.

J'inspirai profodément avant de lever un regard outré sur le visage de Ryu.

-"Pardon ?"

Je rêvai ou il me proposait de ne plus se voir, voir...pire ? Pour un incident aussi ridicule ? Bon, c'accord, ce n'était pas ridicule, mais il était hors de question que je me passe de lui.

-"Non. N'y pense même pas. Je risque tout autant tout les jours, traverser la route et me faire renverser. Glisser sur une plaque de glace et me briser le cou. Et ce n'est pas ça qui va me faire peur non plus."

assénais je tranquillement, avec un léger sourire apaisant.

-"Tu n'es pas fautif et je saurais me montrer prudente, ne t'en fais pas. Mais il est hors de question que nous nous séparions."

- Apparemment...

Ou ils faisaient du zèle... Quoiqu'il en soit, cela n'était que le début et je craignais pour la suite. Les démons n'étaient pas de gentilles créatures, il fallait s'en méfier. Ils n'étaient pas aussi mauvais que les anges, mais ce n'étaient pas des enfants de chœur pour autant. Et dans une guerre, qu'importaient les dommages collatéraux n'est-ce pas ? Et Yue Hue avait failli en être un... heureusement qu'elle avait eu la présence d'esprit de m'appeler sinon... je ne préférais même pas y penser en fait. Je n'aurais pas supporté qu'on me l'arrache encore. C'était bien trop tôt. Mais en même temps, cela me faisait voir la situation sous un autre jour. Et finalement, peut-être que je risquais d'écourter sa vie... Si on l'associait à moi, ou à n'importe quel ange d'ailleurs, elle devenait une proie pour les démons avides de vengeance. Ce n'était pas une guerre propre et de toutes façons, elles ne l'étaient jamais.

Quand on veut abattre un guerrier, on ne vise ni l'esprit, ni le corps. On vise le cœur. Et mon cœur, c'était Yue Hue. Ma faiblesse... Délicieuse faiblesse, mais qu'elle meurt et ma vie n'aurait plus d'intérêt. Attendrais-je une nouvelle réincarnation ? Encore 150 ans à souffrir, à espérer, à chercher des signes ? Le temps n'aurait pas du être important pour moi, pourtant, il l'était, surtout à l'échelle de sa présence qui m'avait tant fait défaut. Mais quand j'émis cette idée, Yue Hue me dévisagea, incrédule.

Avant de, naturellement, démonter mes arguments en parlant des risques qu'elle encourait en étant simplement mortelle.

- Yue Hue...

Je soupirai devant sa calme détermination.

- Si tu es tuée à cause de moi, je ne me le pardonnerais jamais. Je ne me pardonne déjà pas que nous nous soyons fait prendre quand j'étais mortel, pour avoir fait confiance à la mauvaise personne... j'ai causé ta mort. Je suis désolé, avec le recul, je me rends compte de la douleur que je t'ai infligé, mais à l'époque, c'était si naturel, que je ne me suis même pas posé la question. Je ne supporterais pas que tu meurs à cause de moi, attaquée parce que tu portes mon empreinte... Être tuée en voiture ou avoir un quelconque accident, c'est... normal. Pas de se faire assassiner par des démons...

Je pouvais comprendre ce qu’il me disait, la peur qui l’étreignait. C’était la jumelle de la mienne depuis que je savais dans quel monde il évoluait. Une peur que j’avais, maintenant, l’habitude de ressentir, tapie au fond de mon cœur. Mais même terrifiante, elle ne m’éloignerait pas de lui. Je me doutais qu’il ne me laisserait pas faire, que, quoique je dise, ce ne serait pas suffisant.

-« Le monde était différent a cette époque, Ryu… »

Alors qu’il évoquait mon suicide, incapable de vivre sans lui. Jeune femme mariée a un Seigneur, enceinte après de longues années stériles, même cette vie n’avait pas put me retenir a la vie. Je me souvenais de la douleur, de la souffrance qui m’avait ravagée…Etais je assez égoïste pour infliger cela a Ryu ? Soudain, je voyais les choses selon son point de vue. Je ne voulais pas qu’il souffre comma j’avais put souffrir, qu’il ressente ce vide atroce. Malgré moi, mes mains tremblèrent légèrement alors que je m’agrippais à sa chemise.

-« Il n’y a pas d’autre moyen ? »

Peut être se voir moins souvent, même si c’était une idée qui me déplaisait, mais beaucoup moins que ne plus le voir du tout.

-« Je ne veux pas me séparer de toi, mais en même temps, je ne veux pas que tu t’inquiètes pour moi continuellement. »

Admis je en secouant un peu la tête, a demie vaincue je devais bien l’avouer. Je devais arrêter de ne penser qu’a moi, je devais prendre en compte sa propre façon de penser. Il s’inquiéterait pour moi, comme moi je le ferais, mais moi, je n’étais pas un guerrier en plein combat que la moindre inattention pouvait mener a la mort.

Je le lachai, faisant quelques pas en me tordant inconsciemment les mains.

-« Je peux quitter Londres quelque temps non ? Je connais un petit village sur la côte…Tu pourras venir sans risque. »

Je soupirai en revenant vers lui, une étincelle presque douloureuse dans les yeux, je soupirai :

-« Tu dois me trouver égoïste et je le suis, mais me demander de ne plus te voir du tout, même pour ma sécurité…Je n’y arriverais pas. »

Je hochai la tête, oui le monde était différent, notre façon de le concevoir également, et toutes ces valeurs semblaient obsolètes, voire barbares à la lumière de nouveau siècle. Pourtant, j'avais été égoïste, je m'en rendais compte avec le recul, avec quelques décennies à fréquenter d'autres milieux, d'autres pays, d'autres mentalités... Amaya l'avait été également en se donnant la mort alors qu'elle portait la vie. Mais jamais je ne pourrais lui en tenir rigueur et je n'abordais même pas le sujet. Je n'avais apprit que très récemment ce qu'il s'était passé exactement, le fait que la vie sans moi lui avait paru si ridicule qu'elle avait préféré mettre un terme à son existence.

Je ne voyais aucun moyen de la protéger de cette guerre qui ne la concernait pas, sinon lui rendre sa liberté, la laisser reprendre le cours de sa vie, loin des anges et des démons, parmi ses semblables, les humains, mortels... Si fragiles. Une décision que je ne prenais pas de gaieté de cœur, au contraire. Mais j'avais toujours été davantage enclin à écouter ma raison que mes émotions, c'était mon éducation. J'étais un samouraï, guidé par l'honneur et la droiture et les sentiments n'avaient pas à interférer. La seule fois que cela s'était produit... Et bien, nous en étions morts. De quoi refroidir.

Yue Hue me demanda alors s'il n'y avait pas un autre moyen. Je secouais négativement la tête, ne voyant pas ce qui pourrait nous sortir de là... Que je la bénisse ? Et en fasse ainsi une jeune proie encore plus évidente ? Je ne pouvais pas veiller sur elle 24h/24 malheureusement. Je n'étais pas omniscient. Elle ne voulait pas se séparer de moi, mais elle ne voulait pas non plus que je m'inquiète. J'eus un mince sourire.

- Je m'inquiéterai toujours pour toi, comme tu t'inquièteras toujours pour moi...

C'était ainsi quand l'amour nous liait. On ne pouvait s'empêcher de craindre davantage pour l'autre que pour soi-même. Même si j'étais un guerrier et plus apte qu'elle à survivre, cela ne la raisonnait pas, parce qu'amour et raison n'étaient pas compatibles. Yue Hie me lâcha alors et se leva, faisant quelques pas, nerveuse. Elle proposait de quitter Londres, de s'exiler. Je secouai négativement la tête.

- Et ton travail ?

Mon expression s'assombrit considérablement quand elle m'avoua que se séparer de moi serait difficile.

- Je ne propose pas cela de gaieté de cœur.

Je m'approchai alors et l'enlaçai, avant de l'embrasser :

- Si je sors de ta vie, tu n'auras aucun moyen de me contacter. Je disparaitrais comme si je n'avais jamais existé et les démons ne s'attaqueront plus à toi.

-Je sais

Soufflai je doucement. Bien sur que je m’inquiéterais pour lui, je ne pourrais pas faire autrement. Surtout si je ne le voyais plus, incapable de savoir si il allait bien ou non. Je crois que l’incertitude était pire que tout. Je ne me voyais pas vivre sans lui, déjà m’éloigner a la condition de continuer a le voir me semblait terrible, mais ne plus pouvoir caresser ses cheveux, croiser son regard et admirer son sourire. Ca non, je n’en étais pas capable. Un monstre d’égoïsme non ? Pourtant, c’était plus fort que moi.

-Je peux prendre quelques jours de congé tu sais.

Répliquai je avec un peu d’humour, espérant alléger la conversation mais c’était impossible n’est ce pas ? Mon cœur me semblait de plomb, glacé parce que je savais qu’il ne changerait pas d’avis. Je n’arrivai même pas a trouver le réconfort dans son étreinte, surtout lorsqu’il m’apprit qu’il se contenterait de disparaitre. Comme il était venu, chamboulant ma vie pour en repartir sous un prétexte idiot. Du moins, me semblait il idiot. Je le refusai en bloc, m’arrachant a ses bras avec une légère colère maitrisée.

-Non, Ryu. Je veux bien m’éloigner un peu mais ce que tu veux…Je refuse. Tu ne peux pas me l’imposer et me priver de choix.

Alors oui, j’étais sans doute égoïste mais lui l’était aussi. Il savait très bien que nous souffririons tout les deux d’une séparation définitive et pourtant, c’était ni plus ni moins ce qu’il proposait.

-Tu dois me laisser le choix Ryu.

Assénais je en plantant mon regard dans le sien. Puis, un lourd soupir souleva ma poitrine avant que je ne revienne vers lui, me blottissant contre sa poitrine.

-Laisse moi choisirde rester avec toi.

Murmurai je doucement mais j’étais animée d’une volonté sans faille.

- Yue Hue.

Cela n'était pas sujet à plaisanterie, ni même légèreté. Bien sûr qu'elle pouvait prendre quelques jours de congé, pour aller s'exiler je ne savais où, mais elle ne semblait pas se rendre compte du temps que cela prendrait exactement.

- On ne parle pas de quelques jours. Ou même quelques semaines.

Non, ce conflit durerait des mois, des années... Jusqu'a l'anéantissement de l'un des deux camps ? C'était énervant d'être ainsi dans le flou et de n'avoir aucun ordre. Nous étions tous disséminés et n'avions aucun réel général, aucun cheval de bataille. Comment savoir d'où ces attaques venaient ? Actes isolés d'anges zélés ? Ordre donné par Dieu qui avait décidé de passer à l'action ? mais dans ce cas, pourquoi n'étions-nous pas prévenus ? Azraëlle était l'un des anges les plus puissants, mais elle n'était pas là et ne m'avait rien fait parvenir... Elle avait disparu juste avant que tout cela commence. Il était facile de penser qu'elle tirait les ficelles, mais quelque chose clochait dans ce raisonnement simpliste. Je n'étais pas dans ses confidences, ni ses petits papiers, mais elle m'avait confié Aaron et elle savait que j'étais un guerrier. Pourquoi me laisser en dehors de tout cela ?

Yue Hue ne semblait pas accepter l'idée que je sorte de sa vie et elle s'arracha à moi avec une expression de colère qui me surprit. Elle se rebellait à cette idée. C'était pourtant la seule chose à faire, la plus sure, la plus logique... La plus pénible pour moi également, même si je lui donnais l'impression d'être insensible à parlant si facilement de la quitter, de sortir de sa vie, d'accepter de ne plus jamais la revoir. C'était une erreur que de penser cela. Cela me lacérerait le cœur, mais je préférais encore la savoir vivante loin de moi, que morte à cause de moi. J'ouvris la bouche et la refermai aussitôt en la regardant. Etais-je égoïste de lui imposer ce choix ? Devais-je lui laisser comme elle le désirait ?

- Ce choix est le mauvais. Il est dicté par le cœur, pas par la raison. Ni la prudence...

Ma voix n'était qu'un murmure. Elle était revenue dans mes bras et j'avais toutes les peines du monde de faire taire les hurlements de mon cœur. De mon âme.

- Cette guerre n'est pas la tienne... Et tu sais aussi bien que moi que malheureusement, ce sont les innocents qui meurent. M'imposeras-tu la culpabilité d'avoir causé ta mort ?

Je me rendis compte de mon égoïsme à cet instant. De cette façon de jouer de ses sentiments, de la culpabiliser et je maudis soudainement l'enseignement angélique qui nous apprenait tout cela.

- Désolé. Je lutte contre certains principes inculqués, mais cela m'échappe parfois...

« je le sais, Ryu. Tu ne m’as rien caché, absolument rien. J’ai choisis en toute connaissance de cause. »

Mais le plus dur était sans doute que je pouvais comprendre ce qui le minait. La peur de me perdre comme moi j’étais terrifiée à l’idée de sa mort. Une idée insoutenable, beaucoup trop, mais son absence, je ne pouvais pas m’y résoudre. Même pour mon bien, même si il était persuadé que c’était le mieux a faire. Je ne voulais pas ça. Le rayer de ma vie. C’était impossible. Il me demandait l’impossible. J’étais prête à m’éloigner un peu oui, pour le rassurer, mais pas à totalement l’oublier. Non, ça jamais. Il m’avait donné tout ce que je voulais, tout ce que j’attendais. Une raison de vivre, de sourire même. J’eus un mouvement d’humeur, refusant catégoriquement sa solution. Pour moi, ce n’était pas la solution. Je ne voulais pas me cacher éternellement, tout comme il ne pourrait pas me protéger éternellement.

Je fus sans doute un peu fourbe et sournoise, mais j’exigeais d’avoir le choix, il ne pouvait pas décider pour moi, je le refusais. J’aurais sans doute dût me douter qu’il retournerait cet argument contre moi mais je ne me laissai pas faire.

« Bon ou mauvais, ce n’est pas à toi d’en décider, Ryu. Il reste mien, c’est tout. »

Je pouvais faire preuve d’une détermination sans faille et, malgré tout l’amour que je lui portais, je n’étais pas prêt de céder. Enfin, jusqu'à ce qu’il renchérisse, me faisant pâlir. Ce serait il de moi ? De mes propres sentiments contre moi-même ? Il savait que je ne supporterais pas e le voir souffrir et que l’idée de lui infliger une telle douleur que ma disparition provoquerait me donnait envie de vomir.

« Ne joue pas à ça avec moi, Ryu. Surtout pas pour me faire fléchir. Je suis assez grande pour savoir ce que je veux et en toute connaissance de cause. »

Répondis je un peu sèchement avant de m’adoucir devant ses excuses, dans ses yeux, je pouvais lire à quel point il était contrit d’avoir user de ce stratagème.

« Je te propose quelque chose… Laisse moi rester prêt de toi et si jamais cela devrait recommencer, je te laisserais partir. S’il te plait… »

Il ne lâcherait rien, je le savais, mais moi non plus. Je ne voulais pas d’une vie sans lui, pas après l’avoir connu, pas après qu’il eut si fortement embellie ma vie. Il garderait mon cœur avec lui et je n’aurais qu’un trou béant dans la poitrine sans lui.

Il était difficile de voir la situation m'échapper. J'avais pris pour habitude de pouvoir tout contrôler, tout planifier, une habitude acquise quand j'étais mortel et renforcée par mon apprentissage angélique qui ne permettait pas vraiment qu'un grain de sable vienne enrayer la machine. Mais Yue Hue n'était pas un pion et ne le serait jamais et elle avait encore son libre arbitre. En effet, je ne pouvais pas décider pour elle, à moins de disparaître de sa vie sans lui laisser le choix. Elle pourrait toujours essayer de me retrouver, si je décidais de disparaître, sa quête serait vouée à l'échec. Et cela, elle le savait. Peut-être était-ce cette conscience aiguë qui la rendait soudain si bravache, si déterminée. Ou tout simplement l'amour qui nous liait et que nous ne voulions pas abandonner, pas après toute cette souffrance et cette très longue séparation.

Je commis alors l'erreur de jouer de sa culpabilité. Une technique lâche et sournoise, tout à fait propre aux anges et que je regrettais d'avoir employé sitôt les mots sortis. Avant même qu'elle ne me réponde sèchement, consciente de la manœuvre. Si je pouvais user de tels stratagèmes avec les autres, il était hors de question que j'en use avec elle. Je m'excusais. Je l'aurais fait même sans qu'elle ne me sermonne. Je savais reconnaître mes erreurs. Je n'étais pas arrogant. Conscient de mes forces et de mes faiblesses, oui, mais jamais oh grand jamais je ne m'étais senti supérieur à qui que ce soit. J'avais apprit l'humilité et 2 siècles en tant qu'ange ne me l'avaient pas ôté, fort heureusement.

Cela calma instantanément Yue Hue qui se radoucit aussitôt. Elle essaya de marchander et j'hésitais, ma détermination profondément entamée par ses grands yeux suppliants, par sa propre volonté, par la faiblesse de mon amour pour elle. Raison, sentiments... Sentiments, raison... Les deux ne parvenaient pas à s'équilibrer dans la balance et je ne savais plus que faire. J'avais tellement envie de rester prêt d'elle, de profiter d'elle. Quitte à la mettre en danger ?

- Et si la prochaine fois était la dernière ? Je ne suis pas un super héros, je n'arriverais pas toujours à temps pour te sauver...

Deux fois déjà... Une fois à cause de pathétiques mortels qui avaient eu l'impudence de penser pouvoir profiter d'elle. Une fois par des démons qui avaient senti l'ange sur elle. Jamais deux sans trois disait-on, mais si la prochaine fois je n'arrivais pas à temps ?

- Je suis si faible dés lors qu'il s'agit de toi...

Ma volonté vacillait. Elle gagnait. Doucement, mais surement, elle minait mon esprit rationnel pour laisser la place belle à mon cœur égoïste.

« La prochaine fois, si il y en a une, Ryu. »

La première fois n’était qu’un hasard et sans doute mon esprit trop occupé par lui. C’était une erreur que j’avais faite, ni plus ni moins. Il avait été là, c’était vrai et jamais je ne pourrais jamais assez le remercier. Remercier le Ciel de l’avoir retrouvé, de l’avoir mit sur ma route, m’avoir redonner cette partie de moi qui me manquait. Maintenant que je comprenais, que je savais…Non, je ne voulais pas le voir disparaitre de mon existence, il me tuerait aussi sûrement que le ferait un démon et je serais idiote de le lui dire alors je gardais cela pour moi. Une fois déjà, je m’étais tuée pour lui. Aujourd’hui, je ne le ferais pas, mais je sais que je ne vivrais plus sans lui. Je ne ferais que survivre.

Je sentais qu’il cédait. Il cédait devant ma sincérité, devant mon désir, mon égoïsme et je m’en voulu durant une seconde et je glissais mes mains sur ses joues, les perdant dans ses cheveux.

« Je sais ce que je te demande. Crois moi, je le sais. Mais sans toi…ne me demande pas ça. Je sais que si tu le voulais, tu te passerais de ce que je pense, de ce que je veux, mais tu me respecte trop pour le faire, tu es trop honnête. »

Je nichai mon visage au creux de son cou, le serrant presque avidement contre moi.

« Je te le promets si cela recommence…Je te laisserais partir. »

Mais malgré cette promesse, je ne savais même pas si j’en serais capable, si je pourrais le supporter sans me laisser aller à l’égoïsme. L’amour pouvait il être aussi exclusif ? Aussi fort ? Jusqu’à lui, jamais je ne l’aurais cru. Pour moi ce n’était qu’une idée, un rêve mais maintenant, j’étais décidée à ne pas le laisser m’échapper. Etait ce le faire souffrir plus tard ? De nouveau, cette question de savoir si j’acceptais d’être comme lui s’imposa à mon esprit. Comme lui, je serais plus forte, plus résistante…Mais était ce réellement le bon moment, la bonne réaction ? En le regardant, mon cœur vibrait d’un oui tonitruant, mais mes pensées me soufflaient honteusement que ce serait choisir pour de mauvaises raisons.

Je posai mon front sur sa poitrine, si petite à côté de lui.

« S’il te plait…ramènes moi à la maison. »

Là où tu serais.

Je pinçai les lèvres. Il y aurait une prochaine fois, je n'étais pas assez naïf ou utopiste pour penser que cela n'arriverait plus jamais, surtout au vu de ce qu'il se tramait. Ce n'était que le début, je le sentais et cela n'aurait pas pu tomber dans un plus mauvais moment. Parce que si bénir Yue Hue était une évidence avant, avec tout ça, je me demandais si ce n'était pas l'exposer davantage au danger encore. Jeune ange, elle serait une proie facile. Humains et débarrassée de moi, pourquoi s'intéresserait-on à elle ? Oui, c'était là, la voix de la raison, ce qu'il convenait de faire et pourtant, je ne pouvais m'y résoudre, surtout alors qu'elle me suppliait de n'en rien faire. J'aurais aimé être plus fort, balayer mes doutes, verrouiller mon cœur et écouter ma raison, mais je n'y parvenais plus, elle m'avait trop manqué, j'étais trop dépendant de son amour, de son regard, de ses caresses. J'en avais assez de la solitude, tout simplement.

Je fermai les yeux quand ses doigts glissèrent sur mes joues et s'enfouirent dans mes cheveux, avant de planter mon regard dans le sien alors qu'elle reprenait la parole. Elle avait raison, visant juste à chaque parole. Je pourrais lui imposer mon choix pour la protéger, mais je m'étais déjà montré égoïste et il en avait résulté ma mort, sa souffrance et finalement son suicide. Je savais apprendre de mes erreurs.

- Ou trop amoureux pour démêler ce qui est raisonnable de ce que je veux.

J'avais répliqué avec une certaine amertume alors que je me sentais acculé, pris au piège et que la situation m'échappait inexorablement. Elle se serra contre moi et me fit une promesse. Je sentis mon sang se figer dans mes veines, avant de la repousser doucement, ma prenant par les épaules pour la regarder :

- Attention aux promesses que tu fais.

Je la repris dans mes bras et inspirai doucement pour mettre de l'ordre dans mes idées. Je pris une décision, une résolution, mais j'allais devoir agir vite pour ne as faiblir. Yue Hue posa sa tête contre ma poitrine, avant de me demander de la ramener chez elle. Oui, j'avais oublié où nous étions.

- D'accord.

Doucement, je la pris par les épaules, la soutenant et l'emmenant loin de là, jusqu'à sa voiture. Je pris le volant, avant de conduire jusqu'à son domicile. Je me garai, et descendis, lui ouvrant la portière et lui emboitant le pas jusque chez elle. Je me demandais si elle allait craquer à un moment donné, ou si la crise était passée. Si elle n'avait pas été là, j'aurais achevé mon travail, mais là, j'étais coincé.

- Ça va aller ?

J'étais inquiet à cause de son silence. Elle hocha la tête, mais me demanda de rester avec elle cette nuit. J'acceptais, sachant que cela ne faisait que retarder l'inéluctable. Je me glissais avec elle dans son lit, la prenant dans mes bras, avant de lui murmurer des paroles en japonais, comme quoi je l'aimais et veillerais sur elle, ne laissant plus jamais personne ne lui faire du mal. Peut-être que cela eut un effet hypnotique, ou simplement la fatigue qui eut raison d'elle, mais elle finit par s'endormir, lovée contre moi. J'attendis quelques heures, avant de m'échapper de son étreinte. Mon coeur était de plomb, alors que je me saisissais d'une feuille et d'un crayon, et m'assis à la table de la cuisine, avant de coucher les mots sur le papier.

Spoiler:

Je me relus, soupirant. J'étais mécontent de ces mots qui n'avaient pas la puissance de mes sentiments et ne retranscrivaient pas tout ce que j'aurais aimé lui dire. Mais il faudrait s'en contenter. Je laissai la feuille sur la table, me levant pour retourner dans la chambre. Silencieux comme une ombre, je me glissais près du lit, avant de déposer un baiser aussi léger qu'un battement d'ailes sur sa joue. Un baiser d'adieu.

A ce moment précis, mon cœur mourut. Je l'abandonnais dans cette chambre, avec cette femme qui comptait tant pour moi, que j'avais cherché toute ma vie et à laquelle je devais renoncer.

Je me détournais et quittais l'appartement, résolu à ne plus jamais y pénétrer. Jamais plus elle ne me verrait. Je garderais un œil sur elle, je deviendrais son ange gardien, au sens biblique du terme, mais elle n'en aurait pas conscience.

Je venais de nous condamner à l'enfer sur terre et en avoir conscience ne rendait que plus douloureux cela.

Mais elle vivrait, comme si je n'avais jamais interféré dans sa vie...

J’avais cru, naïve, que j’avais gagné. Que j’avais réussis à imposer ma volonté. Pourtant ce n’était pas le cas mais cela, je ne le saurais que bien plus tard, lorsque sa chaleur m’aura quitté, lorsqu’il m’aura privée de sa voix. Pour l’heure, je suis sûre qu’il restera avec moi. Parce que c’est ce que je veux, parce que c’est ce qu’il veut, au fond de lui. Quelque part, je m’en veux. Je l’ai forcé. Obligé. Mais je ne suis plus Amaya. Je suis Yue Hue, j’ai grandis dans ce monde moderne qui ne dénigre presque plus une femme. Je me suis élevée, j’ai imposé ma volonté aux hommes qui travaillaient pour moi et c’est cette femme-là qui l’oblige à m’écouter, à m’entendre, à prendre soin de mes pensées. Ryu, était-il réellement resté ancré dans cette époque où la femme n’était rien ? non, je me plaisais à croire que non. Alors il me ramena, me coucha même et si, notre étreinte au creux de mon lit n’avait rien de sexuelle, elle restait empreinte de tendresse, d’amour, de passion.

Sa respiration me berça, mon âme chantait avec lui. Je me sentais si bien que je m’endormis. Comme ça, sans un bruit. Juste confiante en nous, en notre avenir malgré ce qu’il était. J’avais choisis, je pouvais assumer quoiqu’il dise, quoiqu’il pense. Étais-je égoïste ? Peut-être, mais je voulais l’être pour nous. Juste pour nous.

C’est le manque qui me réveilla. Sans doute le moment où ma main avait voulu se resserrer s sur lui, sur sa présence et qu’elle n’avait rencontré que le vide. J’avais papillonné des paupières, un peu désorientée avant que tout ne me revienne en vrac, comme des souvenirs désordonnés.

« Ryu ? »

Mais la chambre était vide. Vide de lui. Etrangement, mon cœur se serra, comme ça, sans raison. Il n’était pas à mes côtés mais cela ne voulait pas dire qu’ il n’était pas là n’est-ce pas ? J’ai repoussé les draps pour me lever, tellement sûre de le trouver dans la cuisine, un sourire discret aux lèvres mais une lueur intense dans les yeux que je quittais ma chambre sans regret malgré la fatigue.

« Ryu ? »

Mais la seule chose qui m’accueillit fut un bout de papier blanc…Au début, je crois que j’ai eu peur de m’en approcher, une peur sourde, sans fondement. Du moins jusqu'à ce que je m’en saisisse, que je lise ces quelques phrases…A cet instant…Je suis morte. Mes jambes m’ont lâchée, ma bouche s’est ouverte et c’est un cri inhumain qui s’en échappa. Une douleur immonde. Une souffrance sans nom. La table ne fut d’aucun secours pour endiguer ma chute vertigineuse. J’avais l’impression que mon cœur n’était plus. Juste un trou. Vide. Sans fond. Un froid intense. Un hurlement de souffrance. Je n’arrivais même pas à pleurer.

Je m’effondrai à terre.

Le monde perdait de sa couleur, devenant gris, inexistant, oppressant…

Il m’avait juste quittée et moi…J’étais morte une seconde fois. Je n’étais rien sans lui…Plus rien…