Dangsin-eul saeng-gagnage | Ryu

Le théâtre. Du moins sa place centrale. Encore un endroit public, comme ceux où nous nous retrouvions régulièrement d’ailleurs. Cela était plus….prudent ? Je ne savais pas si ce mot était bien utilisé dans notre cas cela dit. Ce n’était pas la dangerosité qui nous retenait, mais juste un désir commun de voir autre chose entre nous que du sexe. Là où beaucoup franchissent la ligne rapidement, nous, nous prenions notre temps. Lentement, doucement. C’était difficile, je ne pouvais pas dire le contraire, aller contre ses propres envies tenait du miracle dans mon cas, mais c’était mieux ainsi. Je découvrais doucement quel homme Ryu était et plus le temps passait plus il m’apparaissait évident qu’il était parfait pour moi. Cela dit, je dormais mal, sans vraiment en comprendre la raison, me réveillant souvent en sursaut, la peau couverte de sueur et une étrange terreur lovée au creux de ma poitrine. Les images de mon rêve ne survivaient jamais au réveil mais après tout, peut être n’était ce qu’une passade qui ne durerait pas.

J’étais en retard et je n’aimais pas cela. J’aimais être ponctuelle, c’était la moindre des politesses mais pas cette fois. Un léger problème m’avait mise en retard, juste un coup de fil encore une fois sans interlocuteur. Depuis quelque temps,c es coups de fil se multipliaient a tel point que je me demandais si je n’allais pas changer de numéro. Mais pour l’heure, tout cela était bien loin dans mon esprit alors que je courais a moitié dans les rues, espérant réduire mon retard. Manque de chance, j’avais dût me garer un peu loin du théâtre ce qui m’obligeait a un léger trajet a pieds a travers de petites rues. Chose qui ne m’aurais pas dérangée si une silhouette masculine ne s’était soudainement dressée sur mon chemin.

-Hey ma jolie ! Tu vas où comme ça ?

Je serrais les doigts sur la lanière de mon sac, levant un regard aussi glacial qu’un pole nord sur l’importun avant de lui demander gentiment de dégager le passage.

« Là où vous n’allez pas, pourriez vous me laisser ? »

Ah mais si cela était si facile, cela se saurait. Non, monsieur était décidé a m’embêter, sa grosse main se posa sur mon poignet, très frêle comparé a ses doigts, mais toujours aucune once de peur dans mes yeux et cela du le déstabiliser un peu puisqu’une étincelle de surprise traversa son regard porcin.

« Lachez moi. »
-Allez ma petite geisha, fais pas ta begeule !

Bon, c’était apparemment un homme qui ne pouvait comprendre le mot « non ». Alors a mon tour, j’entourai son poignet de mes doigts fins avant de me servir de sa propre force contre lui, l’envoyant gentiment tester le sol de son fessier.

« Je vous avais dis de me lâcher. »

Fis je en remettant mon léger manteau en place avant de tourner les talons. Sauf qu’il y a des hommes qui ne s’avouent pas vaincu et surtout pas par une femme. A peine avais je fais trois pas qu’une main lourde s’abattit sur mon épaule, je me retournai, prête a le renvoyer a terre, mais lorsque je lui fis face, un jet liquide et corrosif m’explosa en plein visage, aspergeant mon derme. Cela brulait et je ne pus empêcher un léger cri de passer mes lèvres tout en portant mes mains a mon visage, reculant, aveuglée alors qu’un rire gras accompagnait mon mouvement.

Là, j’étais mal partie…

Ce soir, nous allions au théâtre et je faisais les 100 pas alors que je vérifiais ma montre toutes les 5 secondes en attendant Yue Hue. Un signe de nervosité assez inhabituel chez moi, mais j'étais mal à l'aise, pour un raison que je ne m'expliquais pas. Pourtant, il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. Elle n'avait que 10 minutes de retard, pas de quoi fouetter un chat, surtout qu'il était parfois difficile de se garer.

Pour l'occasion, je portais un pantalon à pinces et une chemise, un peu plus élégant que d'habitude. C'était la moindre des choses quand on sortait au théâtre ou à l'opéra. Surtout à l'opéra d'ailleurs. Je ne me lassais pas de ces sorties avec Yue Hue, toujours enrichissantes et qu'elle savait rendre drôles avec son humour léger. J'aimais sa conversation, toujours intéressante, pertinente quand elle était sérieuse, frivole quand elle plaisantait. Elle était cultivée et intelligente, deux qualités essentielles à mes yeux. Et j'étais ravi de pouvoir la suivre dans ce genre de discussions et de m'entendre dire que j'avais un savoir impressionnant. Rien de bien sorcier là dedans, j'avais eu du temps pour m'occuper l'esprit.

N'y tenant plus, je décidai de l'appeler, pour savoir où elle en était et si tout allait bien. Malheureusement, je n'eus le droit qu'au répondeur. Ce qui m'inquiéta davantage. Ce n'était vraiment pas son genre. Je finis par quitter le devant du théâtre pour faire un peu le tour, les sens aux aguets. Je ressentais cette impression étrange de danger imminent. Une sorte de 6e sens qui m'avait été bien utile tout au long de ma vie et que je n'avais jamais ignoré. Là encore, je sentais que je devais la trouver.

Ce que je fis, quand je la vis dans une ruelle proche, aux prises avec un homme. Elle semblait acculée et lui, trop sûr de lui. Je vis rouge immédiatement. Je ne savais pas s'il voulait juste lui voler son sac ou assouvir de bas instincts, mais je n'avais pas l'intention de le découvrir. Silencieux comme la mort, je fondis sur lui, le frappant violemment au niveau du cou du tranchant de la main, le faisant suffoquer, avant de le frapper en plein visage du plat de la main, lui cassant le nez au passage. Sans rien dire, sans un bruit, sinon le bruit écœurant du cartilage qui se fissure. Et son hurlement de douleur. Il recula précipitamment, surpris de l'attaque sans aucun doute. Ah, face à une femme, on faisait le fier, mais contre un homme, c'était une autre paire de manches!

Il sortit pourtant un couteau, l'agitant devant lui de façon pathétique. Je le désarmai sans aucune difficulté, avant de m'emparer de lui et de le projeter contre le mur avec une force peu commune pour un homme de mon gabarit. Et je contrôlais chacun de mes mouvements, lui donnant une leçon avec un calme anormal. Je n'étais même pas en colère. Sinon, il serait sans doute mort. Il s'affaissa contre le mur et je m'emparai de sa gorge, le soulevant sans difficultés.

- Alors on trouve amusant d'agresser les jeunes femmes? Est-ce toujours aussi drôle maintenant?

Je le frappai violemment contre le mur, sa tête cognant sans ménagement et il perdit connaissance dans des gargarismes non identifiés, sans doute à cause du sang qui s'écoulait de son nez dans sa gorge. Je lui jetai un regard de mépris pur, avant de remettre ma veste en place et de me tourner vers Yue Hue, me précipitant vers elle, beaucoup moins calme soudainement. Aveuglée par la bombe lacrymogène, elle avait le visage rouge et boursouflé.

- Laisse-moi voir.

J'avais parlé en coréen. Je ne le parlais pas couramment, mais j'avais quelques notions. J'espérais qu'elle m'avait reconnu également de ce fait.

- Tu vas bien ?

Hormis cette horrible sensation de brûlure évidemment.

- Pas de théâtre ce soir, il faut se débarrasser du produit.

Elle pouvait avoir l'impression de suffoquer, en plus de la brûlure. Une vraie saloperie. Bien pratique pour se défendre contre un agresseur, mais là, c'était l'agresseur qui s'en était servi sur sa victime. Je la pris alors dans mes bras, la soulevant pour ensuite l'emmener dans le café le plus proche, me moquant éperdument des regards interloqués des quelques clients pour filer directement dans les toilettes. De grandes toilettes spacieuses. Je la reposais au sol, avant de faire couler l'eau.

- Il faut que tu te débarrasses de ça.

Doucement je l'aidais à se mettre le visage sous l'eau, évitant les regards des femmes qui sortaient des toilettes et nous jetaient des regards curieux. Elles voyaient bien que quelque chose n'allait pas. J'avais posé une main sur le dos de Yue Hue, la laissant gérer toute seule le lavage.

Tout d’abord, je n’ai pas compris. Je sentais que l’on tirait sur mon sac et j’avais terriblement peur pour ma vertu. J’étais capable de me défendre oui, mais pas aveuglée comme je l’étais maintenant, pas avec cette impression douloureuse que l’on m’arrachait la peau, qu’on la brulait a une flamme vite. Je ne pouvais que reculer avant que mon dos ne heurte un mur. Je n’eus même pas le réflexe de hurler vraiment, c’était idiot, c’est lorsque l’on se faisait agresser que l’on perdait nos réflexes.

Puis, il y eu d’autres mouvements. Rapides. Secs. Des gémissements et j’avoue avoir sentit ma terreur décupler en me disant qu’ils étaient plusieurs. Non. C’était impossible ! Mais même aveuglée, je ne me laisserais pas faire. Et parmi tout ce chaos, une pensée lancinante, j’allais vraiment, être en retard. Il y eut des gémissements, des gargouillis que je ne comprenais pas, trop occupée a passer encore et encore mes paumes sur mon visage, a chercher, frénétiquement a me débarrasser du produit corrosif qui me faisait tant souffrir. Je voulais Ryu. C’était quelque chose qui ne me quittait pas alors que mon esprit scandait son prénom. Je ne m’en rendais pas forcément compte mais c’était.

Lorsqu’on me saisit les avant bras, mon premier réflexe fut de me débattre. De tenter de repousser ce contact que je n’arrivais pas a définir avant qu’une voix ne me parvienne.

« Ryu ? »

Un gémissement empreint de douleur parce que j’avais l’impression que l’on m’arrachait la peau en lambeaux, que mes yeux n’étaient qu’un puy brulant.

« Non…je ne vais pas mentir… »

Non je n’allais pas bien, pas vraiment. La douleur provoquait des nausées et pourtant, avoir Ryu auprès de moi m’apaisait étrangement. Je ne risquais plus rien n’est ce pas ? Il était fait pour me protéger, prendre soin de moi. M’aimer ? Je ne savais pas, moi par contre…Je me sentis soulevée et je passais mes bras autour de sa nuque, cachant mon visage dans son épaule, cherchant un apaisement a ma douleur qui ne venait pas. J’eus un léger gémissement de douleur. Je ne savais pas où il m’emmenait et cela me paraissait sans importance, pourtant j’entendais des rumeurs, des chuchotements sur notre passage. Le tintement caractéristique d’une clochette alors qu’il pénétrait dans un café et puis…L’eau.

Fraiche. Froide. Il me remis sur mes pieds et me penchai sur le lavabo, faisant couler l’eau, je n’attendis pas, fébrile, je faisais gicler l’eau sur mon visage, encore et encore, seulement consciente de la douleur et de sa paume au creux de mes reins. Un soupir de soulagement me prenait alors que le liquide apaisait la brulure sans pour autant la faire disparaitre. Je n’arrivais pas a voir correctement et a vrai dire, ne voulait même pas tenter d’ouvrir les yeux…

« Je croyais que l’on devait aller voir Phèdre, pas Ma Cité va craquer… »

Murmurais je en continuant de m’asperger généreusement….

Je prenais soin d'elle, me concentrant sur elle, pour ne pas songer à ce que cet homme lui avait fait et avait eu l'intention de lui faire. Si je n'étais pas intervenu à temps, comment cela aurait-il dégénéré? Toute douée soit-elle en combat, une fois aveuglée, elle ne pouvait pas faire grand chose. Avait-il l'intention de la violer? Je sentis mon poing se crisper sur le rebord du lavabo à cette idée alors que des images que j'aurais aimé ne pas imaginer surgissaient dans mon esprit.

Je l'observais alors qu'elle tentait de se laver le visage, d'éliminer le produit qu'elle avait reçu en plein visage. Si je n'avais pas été aussi habitué à gérer mes émotions et mes affects, j'aurais réduit cet homme en bouillie sous le coup d'une rage toute légitime. J'en avais le pouvoir. Cela aurait été d'une facilité dérisoire.

Ma main glissa dans les cheveux soyeux de Yue Hue, les retenant en arrière pour ne pas qu'ils soient trempés, alors qu'elle faisait une remarque concernant le programme de ce soir. Et elle trouvait encore le moyen de prendre cela à la légère.

- Cela aurait pu être meurtre dans une ruelle.

Son meurtre. Ou plutôt, celui de cet individu qui avait osé s'en prendre à elle.

- J'ai l'impression qu'il n'en voulait pas qu'à ton sac...

Je parlais d'une voix incroyablement calme, presque détachée. Mais je ressentais une certaine colère, glacée, pour cet homme. Et je résistais à l'envie de retourner en arrière pour lui régler son compte de façon définitive. Mais je n'étais pas un assassin et la colère était très mauvaise conseillère.

- Je me suis inquiété en voyant que tu n'arrivais pas et que tu ne répondais pas au téléphone. Une sorte de mauvais pressentiment. Et cela n'est pas ton genre d'être en retard.

Si cela l'avait été, peut-être que je ne serais pas parti à sa recherche, que je n'aurais pas senti qu'elle pouvait éventuellement être en danger.

- Si jamais les brûlures ne passent pas ou que tu n'arrives pas à voir, il faudra aller à l'hôpital.

Oui cela aurait pu. Mais inutile de penser a ce qu’il aurait pu se passer, cela ne servait a rien, enfin si, juste a me faire frémir par avance. L’eau coulait sur mon visage avec régularité, emportant avec elle un peu de cette sensation de brulure qui me tenaillait et me faisait pleurer. J’évitais soigneusement de me frotter les yeux malgré l’envie poignante qui me torturait de le faire. Il valait mieux éviter d’aggraver mon cas non ?

« Je ne sais pas… »

Je me souviens juste qu’il tirait sur mon sac, le reste…Je n’y avais pas trop fait attention et je préférais ne pas y penser d’ailleurs. Ryu semblait calme, tranquille et cela m’aidait a ne pas paniquer devant le fait d’être a moitié aveugle, même si mes mains tremblaient terriblement. Le contre coup certainement. Je ne pus empêcher un léger sourire de se peindre sur mes traits. C’était ma ponctualité qui m’avait sauvée ? Tant mieux.

« J’ai horreur d’être en retard et en même temps, là, je suis en colère contre moi-même et cet imbécile. Que tu passe ta soirée a me soigner n’était pas vraiment dans mes intentions. »

Ajoutais je en me relevant doucement, tentant d’ouvrir les yeux, chose difficile malgré les larmes qui ne cessait de couler dut au gaz.

« On va essayer d’éviter l’hopital…Qu’en penses tu ? »

En me retournant pour lui faire face, les yeux a moitié ouvert parce que je n’arrivais pas a faire mieux. Je devais offrir une drôle d’image. Le visage rougie et les yeux pleurant tout ce qu’ils pouvaient. Pas tellement celle que l’on se fait a l’idée de se rendre a un rende vous. Mais je savais que ça ne le ferait pas fuir pour autant, Ryu ne s’intéressait pas qu’a mon aspect. La brulure se faisait moins ressentir, c’était déjà ça de gagné, mais je ne savais pas combien de temps durerait les effets du gaz, j’avais de la chance que ce ne fut qu’une brève pression que j’avais reçu.

« J’ai l’impression d’avoir été passée au barbecue… »

Soupirais je avec une image soudainement tordante de rire, même si je n’étais pas vraiment dans l’humeur.

Je lançai un regard surpris à Yue Hue quand elle m'avoua être en colère contre elle même et contre cet homme. Contre lui, je voulais bien, mais contre elle même? Ce n'était en aucun cas sa faute. Et elle n'avait pas comprit que m'occuper d'elle était sans aucun doute mon activité favorite.

- Il y a des façons bien plus désagréables de s'occuper. Prendre soin de toi n'est pas un fardeau Yue Hue.

Elle se redressa alors lentement, après avoir passé un bon quart d'heure à se rincer le visage sous l'eau tiède. Il ne valait peut-être mieux pas qu'elle puisse se voir. Le visage gonflé, rougi, les yeux larmoyants, on voyait bien qu'elle avait été victime d'une agression à la bombe au poivre. Pas de théâtre donc. J'allais la remmener tout simplement chez elle, afin qu'elle récupère de ses émotions.

- Ce serait préférable en effet, mais si nous n'avons pas le choix... Je t'y conduirais.

Je n'étais pas un grand fan des hôpitaux. Sans compter que via les urgences, nous allions y passer des heures pour finalement pas grand chose si ce n'étaient des collyres antibiotiques dans le pire des cas. Autant attendre quelques heures. Elle n'avait pas prit énormément de gaz. Heureusement, je n'osais même pas imaginer le résultat. Je ne pus m'empêcher de rire doucement quand elle m'avoua avoir l'impression d'être passée au barbecue. Elle était quand même mieux qu'une vulgaire saucisse, mais les images que cela faisait naître dans mon esprit avaient au moins le mérite de chasser d'autres, beaucoup moins amusantes.

Je m'approchai alors d'elle, relevant son menton du bout des doigts, avant d'encadrer son visage de mes mains et de l'embrasser avec tendresse. Avec tout cela, je n'avais même pas pu la toucher, trop inquiet pour son bien être. Qu'elle ne soit pas à son avantage me passait totalement au dessus de la tête à vrai dire.

- Je vais te ramener chez toi, la soirée a été suffisamment riche en émotions.

J’eus un sourire un peu tremblant, sans doute a cause de cette douleur qui se faisait de plus en plus lancinante. J’espérais réellement que la plupart du produit avait déserté ma peau, même si je devais encore avoir mal un moment. Il me reprit mais tout de même.

« Essayons de voir cela autrement. Je suis plus agréable a supporter qu’une Phèdre mal jouée. Ma culpabilité s’en trouvera grandement soulagée. »

Bien que si notre soirée tombait a l’eau, ce n’était techniquement pas de ma faute, je le savais et j’imaginais déjà ce qu’il allait me dire. Mais j’étais en colère après moi de m’être faite avoir si stupidement. Car il n’y a pas d’autre mot. Je pratiquais un sport martial depuis des années et je m’étais faite bêtement avoir, comme une bleue. Je serrai doucement les dents. Enfin, inutile de revenir la dessus, j’étais consciente de mon erreur et en apprenais quelque chose . Je n’étais pas prête de remettre les pieds dans une ruelle sans être armée jusqu’aux dents. Alors louper Phèdre est une chose, devoir passer le reste du temps dans un hopital, en était une autre. Seulement, il avait raison.

« Seulement si il n’y a pas le choix, mais je pense que je survivrais. »

Du bout des doigts, je tâtonnais mon visage, ayant l’impression de me toucher avec des tisons chauffés a blanc sans que cela ne soit véritablement douloureux. C’était une impression étrange, bizarre mais pas trop douloureuse.

Je réussis a le faire rire, juste un peu et rien que cela me fit sourire. Oh pas franchement parce que j’avais peur d’y laisser la moitié de mon visage, mais quand même. Je le lui avais dit, il devait rire plus souvent, parce que j’adorais l’entendre rire. C’était un son qui me ravissait et me rendait en même temps mélancolique sans que je ne sache vraiment pourquoi.

Mes mains s’abaissèrent lorsqu’il me toucha doucement le menton, finissant par poser délicatement ses paumes sur mes joues, m’incitant a lever la tête vers lui. Ses lèvres étaient fraiches, sucrées, tendres aussi. Avec moi, elles pouvaient être ce qu’elles voulaient, simple reflet des émotions qui l’assaillaient lui alors qu’il les contrôlait si bien. Quelque chose qui m’avait surprise lorsque je m’en étais rendu compte. Toujours calme et serein, en toutes circonstances, sauf lorsqu’il se perdait sur mes lèvres.

« D’accord. »

Soupirais je, de toute façon, avait on le choix ? Je ne voyais pas clair de toute manière alors pourquoi aller au théâtre si c’était pour que je ne puisse pas voir la moitié de la pièce ? Sans doute pour profiter de sa présence, tout simplement. Finalement, je fouillai dans mon sac a l’aveuglette, en tira mes clés de voiture.

« Je crois que tu sera obligé de conduire par contre. »

Parce que là, hors de question que je m’y risque.

Yue Hue réussissait encore à garder le sens de l'humour malgré sa mésaventure et la douleur lancinante qu'elle devait encore ressentir désormais. Mais Yue Hue n'était pas le genre de fille à pleurer sur son sort ou se laisser abattre. Pas de théâtre ce soir donc. Et malgré son visage rougi, je ne résistai pas à l'envie de baiser ses lèvres. Délicatement, ma paume entourant son visage malmené sans lui faire mal. Je l'embrassai, me consumant comme à chaque fois que je m'emparais de ses lèvres au goût fruité.

Nous allions rentrer donc. J'allais la raccompagner chez elle et la laisser se reposer après ces mésaventures. Du moins était-ce ma chaste intention, mais l'emmener chez elle et me retrouver seul avec elle... voilà qui était propice à un dérapage, de la part de nous deux.

Elle fouilla dans son sac, à la recherche de ses clés de voiture, avant de me les tendre. Je m'en emparais alors, songeant, sans pour autant le dire à haute voix, que si je la ramenais avec sa voiture, je n'aurais aucun moyen de rentrer chez moi... Yue Hue songeait-elle à cela aussi? A me forcer à passer la nuit... avec elle? J'aurais peut être du lui faire remarquer, mais le désir insidieux de profiter du temps avec elle me scella les lèvres.

- Naturellement.

Je lui pris la main avec délicatesse, avant de l'entraîner à ma suite, sortant des toilettes sous le regard suspicieux du patron qui ne devait pas apprécier que nous nous soyons permis d'entrer dans son café sans commander. Poliment, je me dirigeai vers lui.

- Pardonnez-nous cette intrusion, mais mon amie a été agressée dans une ruelle proche et nous devions la débarrasser du produit...

Il suffisait de voir le visage de Yue Hue pour comprendre que je ne mentais pas. L'homme demanda alors si nous avions besoin d'aide et je déclinais gentiment, avant de sortir du café en compagnie de la jeune coréenne, la laissant m'indiquer où se trouvait sa voiture. L'homme qui l'avait agressé n'était plus là. Mais quelques tâches de sang témoignaient de ses blessures. Nous prîmes donc sa voiture et je conduisis jusque chez elle, suivant une fois de plus ses indications, avant de me garer et de pénétrer chez elle à ses côtés, ne lâchant pas sa main.

- Voilà.

Je n'avais jamais franchi le perron et je regardais avec curiosité la décoration intérieure. C'était décoré avec goût, dans l'air du temps sans être moderne à outrance. Et ça et là, il y avait des touches de décoration d'influence asiatique.

Je pestai intérieurement contre ma propre stupidité et la cupidité de cet homme alors que je voyais notre soirée se réduire a peau de chagrin. Las, il avait raison, je ne pouvais rien faire ce soir, la vue brouillée, le visage gonflé. Il était carrément inutile de vouloir sortir où que ce soit. Alors je lui tendis les clés de ma voiture sans songer qu’il ne pourrait effectivement pas rentrer chez lui si on laissait sa voiture sur place. Le plus simple aurait été qu’il me ramène en voiture et aurais je pris un taxi le lendemain pour récupérer ma voiture, mais sur le coup j’avoue ne pas y avoir pensé.

Je mêlai mes doigts aux siens, me laissant guider avec confiance et le visage du patron du café ne m’échappa pas malgré le flou qui semblait corrompre ma rétine. Je m’inclinai poliment en signe d’excuse avant de me laisser entrainer vers l’extérieur, sentant sur mon visage le vent frais du dehors, soupirant doucement devant la sensation bienfaisante que cela me procurait.

Le trajet se passa en silence, un silence seulement brisé par mes indications, souvent dites juste a temps étant donné que je voyais moyennement devant moi, néanmoins, la conduite de Ryu était fluide, douce et le parcours se passa sans heurts. Il fini par se garer devant chez moi, m’aidant a descendre de la voiture pour le conduire jusqu'à la porte de chez moi. Je mis un peu de temps a trouver mes clés mais la porte ne tarda pas a s’ouvrir sous ma pression. J’ôtais mes chaussures avant de laisser glisser mon manteau sur mes épaules et de l’accrocher a un porte manteau. Je soupirai lourdement. Adieu Phèdre, j’aurais tout de même aimé la voir.

« Fais comme chez toi. »

Souris je en lui indiquant le canapé avant de marcher vers la cuisine.

« Tu veux un thé ? »

C’était quand même la moindre des choses…Et puis je n’avais pas envie qu’il parte, je n’avais pas assez profité de sa présence. Et là, dans ma cuisine, je me rendis compte que c’était nous emmener en terrain miné que venir chez moi. Tant pis, je saurais faire taire mes bas instincts quand même !

Yue Hue m'indiqua de faire comme chez moi, avant de me demander si je voulais un thé, ce que j'acceptais bien volontiers. Cependant, je n'avais pas très envie de la laisser tout faire alors qu'elle n'avait pas encore récupéré toutes ses facultés, aussi la suivis-je dans la cuisine, avant de me coller dans son dos et de souffler :

- Dis-moi simplement où tout se trouve, je vais me débrouiller.

Sa proximité me troublait, mais je ne reculai pourtant pas, bien décidé à lutter contre mes pulsions plutôt que de tenter de les fuir. Je me demandais si Yue Hue ressentait le même trouble à mon contact en ce moment même, alors que l'air me semblait soudainement chargée en électricité. Une sorte d'alchimie puissante qui nous transcendait et était bien plus puissante que nous.

Je me décalai légèrement, lui laissant un peu d'air et recouvrant mes esprits, avant de commenter, de façon plus légère :

- J'aime beaucoup comment tu as allié modernité et tradition.

Si moi, j'étais résolument tourné vers le passé, Yue Hue, elle, vivant en total accord avec son temps, mais certaines touches dans la décoration me faisait songer que son âme se souvenait d'être bien plus âgée que cela. Je sentis le pendentif qu'Azraëlle m'avait restitué me brûler la peau alors que je me faisais cette réflexion et je résistais à l'envie de le lui montrer... Par curiosité, pour voir quelle serait sa réaction, si cela lui causerait des réminiscences, ou juste une impression de déjà vu. Cependant, avec son visage cramoisi et sa vue trouble, ce n'était sans doute pas le moment idéal pour tenter cette petite expérience et je m'abstins sagement de le lui montrer.

Pour l'instant.

J’eus l’impression que mes poumons se vidaient d’un seul coup lorsque je sentis la présence de Ryu derrière moi, me figeant tandis que son souffle caressait ma nuque. Mes doigts se crispèrent sur la boite de thé que je venais de sortir du placard et je fermai les yeux quelques secondes. Ce que je ressentais avec lui ne me faisait plus peur, c’était vrai, mais la violence qu’il déchainait avait toujours quelque chose d’irréel. Mon cœur s’emballa, comme a chaque fois qu’il me touchait ou me frôlait, déglutissant avec difficulté, je relâchai mon souffle doucement, résistant a l’envie de me retourner, de céder.

« Je…Je peux encore faire du thé tu sais. »

Murmurais je à mon tour, troublée a outrance, une sensation délicieuse qui courait le long de ma peau, oppressante aussi par cette résistance que j’y opposais. Je crois que depuis que j’étais venue diner chez lui, c’était la première fois que nous nous retrouvions totalement seuls…Doucement, mes doigts relâchèrent le paquet de thé avant que je ne lui indique où étaient les tasses et la théïère.

« Mais si tu y tiens… »

Ajoutais je lorsqu’il se décala alors que je retenais un gémissement de protestation. Cela devenait de plus en plus difficile, vraiment difficile. Je me laissai glisser sur une chaise, placée a coté d’une petite table de cuisine en le regardant s’afférer. Enfin, le regarder…Plutôt tenter de le faire, je ne voyais pas très nettement.

« Tu aime ? A vrai dire ce n’est pas vraiment difficile, si la maison de mes parents est très traditionnelle, les appartements que j’ai pu occupé en Corée ou ailleurs, eux étaient plutôt calqué sur le mode européen. J’aime beaucoup la modernité mais je n’en oublie pas mes racines. »

Expliquais je avec un léger sourire qui tira doucement sur ma peau sans me faire trop mal.

« Et puis je crois que je n’aurais pas réussit le même exploit que toi. »

Ajoutais je en riant, puis je pris une inspiration avant de reprendre plus sérieusement.

« Merci Ryu. »

Pour tout. Mon sauvetage, notre rencontre…Pour être entré dans ma vie en fait.

Ma main glissa le long de son bras pour s'emparer du sachet de thé qu'elle tenait l'instant d'avant. Caresse qui m'électrisa les sens, avant que je ne batte en retraite, incertain quant à l'issue de mon combat intérieur. J'avais pensé que ma volonté serait plus forte que mon désir, mais au vu des réactions quasi incontrôlables que Yue Hue provoquait chez moi, je n'étais finalement pas certain de gagner ce combat là. Ma frustration était sans doute trop grande, s'accumulant au fil des années, des décennies. Je n'étais qu'un homme et ne plus avoir connu de femmes depuis elle avait du miner ma résistance au désir. Jamais je n'avais désiré femme autant qu'elle. Il avait été facile de résister aux autres tentations, tant elles semblaient dérisoires comparées à Elle.

Yue Hue pouvait bien protester, je sentais que sa résistance s'était affaiblie et elle rendit les armes très vite, se contentant de s'asseoir, en m'indiquant où trouver la tasse et la théière. Je m'affairai en silence, avant de couler un regard vers elle quand elle reprit la parole, suite à mon compliment concernant son intérieur que je trouvais exquis. Mais cela ne m'étonnait pas d'elle. Elle me donna une explication et je souris en coin, avant de lâcher doucement :

- Ça se sent.

Ce mélange de modernité et d'attachement profond à ce qu'elle était et de la culture dont elle était issue. Un mélange que je n'avais pas su rendre vraiment, demeurant résolument traditionnel et ajoutant juste quelques touches de modernité bien pratique. Elle ajouta qu'elle n'aurait pas réussi le même exploit que moi en riant légèrement et je me contentai de hausser les épaules. Je n'étais pas tout à fait d'accord. Mon intérieur n'était que nostalgie, quand le sien était espoir.

Elle me remercia alors et je récupérai ma tasse fumante, avant de m'asseoir sur la chaise lui faisant face.

- Pour quoi au juste? Pour t'avoir débarrassé de cet homme? Cela ne sert à rien de me remercier. Je n'aurais pas supporté qu'il te blesse.

Evidemment qu’il n’était pas passé a côté du caractère double de mon intérieur. Et, si chez certain c’était impersonnel, ce n’était pas le cas chez moi. Il y avait des cadres avec des photos de ma famille. Un portrait de mon frère en costume lors de son entrée a la maison bleue. Des amis aussi, japonais, coréen, américain. Un peu de ma vie sur papier glacé en somme. Des toiles peintes d’idéogrammes, d’un geste gracieux. Le tout dans des couleurs chaudes et douces.

Je le regardai faire avec attention, rêveuse devant ses gestes calmes et calculés. Sereins. Comme si il était a l’aise et je devinais qu’il l’était. C’était assez étrange de s’en rendre compte quelque part, mais j’adorais sa présence chez moi. Il rendait mon nid, mon chez moi plus rassurant, plus doux sans doute.

Je le remercia soudainement, parce que je me rendais compte que je ne l’avais toujours pas fait, mais pas que pour cette agression. Non, c’était plus profond que cela. Quelque part, je lui étais reconnaissante d’être apparu devant moi. D’être là. Présent.

« Il y a de cela, j’ai beau savoir me défendre, aveuglée j’étais clairement mal partie. »

Je croisai les doigts sur la table, cherchant sans doute mes mots avant de me dire que cela ne servait a rien d’y réfléchir, juste a m’embrouiller l’esprit.

« Mais pas que…Je voulais aussi te remercier d’être là. »

Repris je avec un léger sourire, me contentant de peu de mots alors qu’il représentait tellement a mes yeux. J’étais toujours très pudique sur mes sentiments, quelques mots me suffisant facilement. Nul besoin de grand discours de mon point de vue.

Les remerciements de Yue Hue me surprirent et je n'en comprenais pas réellement la motivation. Si c'était pour être intervenu, il n'y avait vraiment pas de quoi me remercier, c'était plus que naturel. Je serais intervenu pour n'importe quelle femme dans la même situation, mais là, en plus, c'était celle que j'aimais et chérissais alors... La sauver, c'était me sauver dans le même temps. Et qui pourrait rester insensible à ce genre d'agression? Las, la société de maintenant était tellement individualiste qu'il se pouvait très bien que des hommes passent à proximité et préfèrent s'enfuir la tête dans le sable et fuir, faisant semblant de ne rien avoir entendu, que de voler au secours d'une jeune femme. J'avais sans doute l'esprit trop chevaleresque encore. Sans compter qu'un humain ne pouvait guère me tuer et que ces petites frappes ne pouvaient même pas me toucher avant que je ne les mette au tapis. Cela devait aider à avoir de l'assurance. Plus que le quidam de cette époque bien triste.

- N'importe qui l'aurait été.

Enfin presque. Il fallait savoir se servir de ses autres sens quand l'un était déficient, mais je doutais fort que l'on apprenne cela dans les dojo. Mon regard s'abaissa sur ses mains fines, avant qu'elle ne me remercie d'être là tout simplement. Une bouffée d'amour, violente, me traversa. Si elle savait... Si elle savait combien mon existence avait été vide de sens sans elle. Combien c'était à moi de la remercier de me rendre la flamme.

- Tu ne sauras jamais à quel point te rencontrer a bouleversé ma vie et je n'aurais pas assez d'un siècle pour te remercier d'avoir croisé ma route.

Même les mots semblaient dérisoires. Je vrillai mon regard dans le sien, espérant que ce maudit produit allait finir par cesser d'agir et cesser de la tourmenter. Je m'approchai d'elle, posant mes doigts sur ses tempes, avant de murmurer :

- Cela te fait-il toujours souffrir?

Et je regrettai amèrement de ne pas avoir le pouvoir de guérison des démons, en cet instant. Quelle vaste fumisterie que tout ceci.

Je haussai une épaule. Il avait raison, sans la vue, que nous restait il ? Nous nous reposions tellement sur ce sens. Aveuglée, je n’avais vraiment rien pu faire, la douleur monopolisant mon attention, m’empêchant de me concentrer. J’avais vraiment eut peur et sans lui…Je n’osais vraiment imaginer ce qu’il aurait pu m’arriver en fait. Je n’aimais pas vraiment me sentir faible, je me débrouillais seule depuis si longtemps maintenant que j’avais sans doute cru être intouchable…Mais la réalité me rappelait de façon crue qu’il n’en était rien. Alors le remercier, c’était la moindre des choses, pour cela oui mais pour tellement d’autre chose encore. Ce que je lui avouais doucement, dans un murmure.

Sa réponse me surprise un peu, de part son intensité, de par l’émotion qu’elle soulevait en moi. Je crois que c’est là, alors qu’il me regardait droit dans les yeux, qu’il me parlait de cette voix passionnée et étrangement blessée, que je compris ce qui me tenaillait depuis le début. Cette impression de perdre pied, irrémédiablement, cette sensation de ne se sentir bien qu’avec lui, complète, rassurée et sereine. Ce désir presque irrépressible qui nous torturait devant la résistance qu’on lui opposait.

« C’est très long un siècle… »

Soufflais je doucement, totalement captive de son regard profond, abyssale. Un siècle ne serait jamais suffisant…jamais. J’étais assoiffée, littéralement affamée de lui sans en comprendre la raison. J’avais la sensation que cet amour qui m’étouffait avait toujours été là, quelque part, profondément enfui en moi et que là, par la magie d’un seul regard, il s’éveillait violemment.

Je frémis doucement lorsqu’il posa ses doigts frais sur mes tempes avec une question dites avec langueur.

« Ca va mieux…Cela fait moins mal, c’est toujours aussi rouge ? »

Demandais je d’une voix un peu trop rauque, trouble dût a sa proximité soudaine et tellement espérée.

- Trop long.

Et je parlais d'expérience, même si elle ne pouvait absolument pas se douter que je parlais au sens littéral du terme et pas en exagérant un manque d'elle. 170 ans... Presque deux siècles. Une torture, une douleur lancinante, qui ne m'avait jamais vraiment quitté, même si j'avais apprit à vivre avec cette douleur continue, sourde, que je refusais de laisser régenter ma vie, mais que je n'étouffais pas pour autant.

Doucement, j'approchai mes doigts de sa peau blessée, rougie encore, lui demandant si cela allait mieux. Elle rétorqua que oui, me demandant si cela était toujours rouge.

- Tu veux la vérité ou la flatterie ?

J'esquissai un mince sourire, avant d'approcher mes lèvres de son visage, de baiser sa peau à vif, avec une sorte de vénération. Elle était vraiment la seule personne en ce monde qui soit digne de recevoir mes louanges. Dieu, Azraëlle... Tout cela n'était que poudre aux yeux et je ne leur étais fidèle que par devoir, surement pas par conviction. Elle, en revanche... Je ne cesserais jamais de l'honorer, de la chérir et la protégerais de tout mal, c'était impératif. Elle méritait d'être protégée.

Et de nouveau, je me posais la question : la bénir ne reviendrait-il pas à la condamner? Pouvais-je infliger cela à celle que j'aimais tant? Supporterait-elle cette duplicité, elle qui me semblait si droite, si pure... Je pouvais la bénir, l'arracher à l'école, mais quelle vie pour deux parias? Trop de questions, qui se bousculaient et qu'il me faudrait pourtant prendre en compte, afin de trouver des solutions. Mais pour le moment, je n'avais envie que d'une chose : elle. Nous étions complètement seuls, chez elle, et mes vieux démons revenaient me harceler, alors qu'une flèche de désir me traversait les reins avec violence.

Mes lèvres, suivirent le velouté de sa joue, avant de s'emparer de sa bouche, tandis que mes mains épousaient les courbes de son corps. Trois mois que nous sortions régulièrement ensemble, que nous discutions, que nous nous appréciions... Que je l'aimais.

« Sans doute oui… »

Alors que j’étais bien loin de me douter qu’il parlait de fait. De ses propres sentiments, de sa propre torture endurée. Non, je ne pouvais en avoir aucune idée, c’était impossible, cela allait a l’encontre de ce que je croyais savoir. De ce qu’il savait et qui me restait a apprendre dans doute. Je ne savais pas vraiment alors qu’il s’approchait pour regarder mon visage. Ma vision encore un peu floue m’empêchait de lire ses traits et pourtant, je les connaissais par cœur, tout comme la couleur si profonde de ses iris. Je les avais gravé au fur et a mesure de nos rencontres, de nos discutions.

« La flatterie ? »

Risquais je avec un petit sourire timide et malicieux. Je ne savais pas quelle tête j’avais, ni même dans quel état j’étais. Séduisante ? Belle ? Défigurée ? Et quelque part, je voulais qu’il me mente, sauvegarder ma fierté sans doute, une fierté toute féminine qui ne voulait pas que l’homme qu’il était la regarde avec dégout et répulsion ? Néanmoins, Ryu n’était pas un homme de mensonge, si vraiment c’était repoussant, il ne poserait pas ses lèvres sur ma peau rougie. Il ne les promènerait pas ainsi, provoquant un trouble sans fin, brulant autant dans mon âme que dans mon ventre.

Mes lèvres étaient déjà entrouvertes, désireuses des siennes, dans l’attente torturante de leur gout indéfinissable et intemporel. Pourtant, une partie de moi se souvenait que nous avions décidé d’attendre, que , sans doute, mon état n’était pas le plus propice a un tel rapprochement. Mais une autre partie n’aspirait qu’a cela après des mois passés a ne l’effleurer, le frôler, oubliant ma frustration dans ses mots, le son de sa voix capable de m’envouter. Je n’avais pas de doute quand a mon cœur, ni quand a mon corps qui ne semblait que lui appartenir.

J’accueillis son baiser avec un soupir terrifiant de plaisir, de douceur aussi malgré une violence latente, contenue alors que ma peau explosait, que ma chair se disloquait sous le désir destructeur qui l’envahissait. Mes doigts rampaient sur ses épaules, s’accrochaient a sa nuque comme si ma vie devait dépendre de son souffle. C’était comme retrouver un paradis après l’avoir perdu. Il me sembla que je murmurai son prénom, doucement, mon souffle contre ses lèvres chaudes et viriles.

Serions nous capable de nous arrêter ?

- Tu es magnifique...

La flatterie donc, même si ce petit incident ne changeait en rien ce que je pouvais éprouver pour elle, ni même la façon dont je la voyais. C'était son âme que je savais magnifique, même si son corps était plus qu'à mon goût. Mais eut-elle été laide que cela n'aurait rien changé à mes yeux. Je n'étais pas attaché à la beauté, c'était un concept trop superficiel, trop subjectif. J'aimais ce qu'elle était, ce qu'elle dégageait, sa façon d'être, de rire, son intelligence et sa répartie. Sa douceur, également. J'aimais même cette maladresse touchante dont elle faisait preuve quand elle était en ma compagnie, signe que je la troublais.

Pour appuyer ma réponse, je baisais sa peau rougie, espérant par là même que quelque magie effacerait les stigmates de son agression et la soulagerait, même si ce n'était qu'un vœu pieu et sans doute, complètement idiot. Avec délicatesse, je promenai mes lèvres sur chaque millimètre de sa peau, avant de descendre vers ses lèvres au goût sucré. Je savais parfaitement me contrôler, en temps normal, mais ce soir... Ce que je craignais depuis le dérapage de notre premier rendez-vous se produisait : je ne voulais plus exercer ce contrôle, je voulais retrouver la fusion de nos corps et de nos âmes.

Plus fébrile qu'à l'accoutumée, mes mains partaient à la découverte de son corps, en épousant la moindre courbe. Ses lèvres expiraient mon nom dans le plus mélodieux des soupirs, alors que ses mains m'invitaient à ne jamais la lâcher. Trois longs mois à se courtiser sans jamais aller au delà de chastes baisers, de peur de déraper. J'étais fixé, j'aimais Yue Hue, comme j'avais pu aimer Amaya. Je savais beaucoup d'elle. Et elle encore trop peu de moi. Après notre union, il me faudrait lever le voile sur ce que j'étais... Le supporterait-elle? Ne se sentirait-elle pas trahie? Horrifiée?

Je repoussai ces interrogations de mon esprit, cessant de l'embrasser un instant pour simplement lui avouer :

- Je t'aime Yue Hue. Je n'ai aucun doute là dessus et n'en concevrai jamais.

Bizarrement, le monde semblait s’effondrer sur ses bases. Se fondre lentement, doucement dans un univers où il n’avait pas lieux de vivre, pas lieu d’être. Trop froid, trop terne sans doute. Juste quelque chose qui me tentait les bras, qui me manquait cruellement. Pas ce manque dérisoire de quelques jours, quelques heures, non quelque chose de bien plus profond, plus intense. C’était comme renaitre, dans la douleur ou le plaisir, je ne savais plus vraiment alors que je perdais toute notion de temps, d’espace qu’il me semblait revivre ses gestes mille fois imaginés. Qu’il me semblait remonter lentement l’horloge de ma vie, recoller avec douceur les morceaux de mon âme. C’était exaltant, terrifiant aussi quelque part. C’était si fort et puissant, violent et brutal mais au creux de ce déchainement, une goutte unique, suprême d’amour, de douceur, de tendresse, de douleur…Cette souffrance qui semblait mourir après n’avoir que trop vécu.

Je ne savais réellement et qu’importe en cette minute terrible oscillant entre désir flamboyant et tendresse impérieuse. Valsant entre hésitation malhabile et avidité assurée. Un mélange étrange qui coulait dans mes veines, ravageant ce que je pensais vrai, logique, comme un caillou qui roule sur la terre, entrainant sa destruction sauf que là, ce n’était que joie, soupir.

J’ouvris des yeux a l’éclat trouble lorsque je l’entendis, une étincelle trop forte pour pouvoir être contenue dans cette orbe d’ébène. Peu importait finalement que mon visage soit gonflé, rougi ou même lacéré, non tout cela ne comptait plus. Le monde se réduisait si vite tout en devenant si immense juste parce qu’il m’avouait ce qu’il ressentait. Si je n’avais autant pleuré sans doute l’aurais je fait dans l’instant alors que j’aspirais son souffle porteur de tout ces mots, des mots qui n’étaient rien si il n’y avait cette fêlure, ce frémissement comme un écho lointain.

Doucement, impérieuse et en même temps soumises, mes paumes se posèrent sur ses joues, comme une caresse étrange, bizarre de par sa nature. Violente, avide et si soyeuse, quelque chose que je ne pensais pas pouvoir ressentir, jamais. Ce quelque chose qui berce vos rêves de petites filles et que la vie se charge de vous faire oublier dans la réalité…

« Ainsi ça existe vraiment… »

Le véritable amour. Celui qui fut chanté, acclamé, celui pour lequel on tua, on aima, on mourut…Il était juste là. Ni plus scintillant, ni plus brillant, comme une perle qui roule mais qui recèle l’existence, la vie, juste l’âme. Si discret mais si présent…

« J’ai l’impression de t’avoir toujours aimé… »

Comme une union ancestrale, décidé par les jeux du destin et indéfectible. Jadis, nous fûmes tant de fois amants…N’est ce pas ?

Je m'interrompis quand elle murmura que cela existait vraiment, la regardant avec incompréhension. Qu'est-ce qui existait vraiment ? L'amour ? Bien sûr qu'il existait! Et le notre avait défié le temps, les âges, la mort... Le destin. Parce qu'il existait des amours si grands, si puissants, qu'ils ne pouvaient mourir. J'étais mort par amour pour cette femme. Je m'étais parjuré, j'avais trahi mon seigneur pour enfin pouvoir goûter au fruit défendu. J'avais résisté vaillamment, pendant une décennie. Pouvait-on me qualifier de faible après toutes ces années à soupirer après elle en silence ? A me damner pour un seul regard de sa part, pour un seul sourire ? A ne vivre que dans l'attente de la voir ? j'avais essayé de lutter pourtant. De me persuader que cela n'était qu'une passade, que comme toute chose, ce qui était né pouvait mourir. Mais comme un brasier, cet amour n'avait fait que grandir, se nourrissant du temps, sans jamais devenir cendres.

- Les livres ne font jamais que s'inspirer de la réalité.

De la sublimer... Mais des amours magnifiques, il en existait et pas seulement dans les romans ou les films. Heureusement d'ailleurs ! Quelle triste vie que de courir après un idéal qu'il était impossible d'atteindre. Elle me confia son impression de m'avoir toujours aimé et je souris, mystérieux :

- Peut-être est-ce le cas...

Mes mains encadraient son visage avant que je ne murmure, mon sourire évanoui et une curieuse boule d'angoisse au creux de l'estomac :

- Je ne suis pas un impatient mais... Trois mois c'est long et j'ai envie... De goûter ta peau...

Je ponctuai chaque phrase d'un baiser, alors qu'une main descendait le long de son épaule... Lentement, sensuellement.

-Sans doute est ce le cas, murmurais je à mon tour.

J’étais persuadée de mes mots, de leur véracité a l’instant même où je les prononçais. Cela me semblait soudainement si évident. Rendant ce que les livres ou les films qualifiaient d’amour éternel une réalité possible, pour moi sans aucun doute possible. Je le sentais, c’était gravé en moi, au plus profond de mes chairs même. Peut être que cela dormait, attendant son heure, né avec moi mais qui jamais ne mourrait. Cela pouvait paraitre fou, totalement fou et pourtant, je ne le pensais que vrai alors que j’étais dans les bras de Ryu. Alors que son souffle effleurait le mien en une danse de plus en plus brulante.

Je sentis la caresse de ses paumes sur mes joues. Son sourire disparu en même temps que la flamme de ses iris décuplait. Une flamme dont la jumelle incendiait mon regard a ses mots. Des mots presque hésitants, c’était si doux de les entendre, tellement doux. Trois mois que nous nous fréquentions sans jamais franchir la limite. Trois mois que la frustration grandissait au même rythme que mon désir. En rêvais je la nuit ? Oui, certainement, tant il pouvait me manquer dans les heures les plus sombres. Je ne faisais pas d’erreur en le laissant m’aimer, c’était évident. Mon ventre se tordit soudainement, impatient, brulant aussi. Un désir tel que je n’en avais jamais connu pace que sublimé par ce que je ressentais pour lui, cette sensation toute puissante que me faisais me sentir enfin vivante et entière.

-Trois mois…C’est une torture, soufflais je en posant ma main sur l’unique restée sur mon visage alors que l’autre me ravissait d’une caresse languissante, Une torture sans nom…J’ai tellement envie que tu m’aime…

D’être à lui, comme je ne serais jamais plus a un autre, comme je n’avais jamais été a un autre d’ailleurs. Avant lui ce n’était qu’une étincelle, avec lui se serait l’absolu, après lui, ce ne serait que ténèbres sans fin, sans limite. Un froid intense, mais pour l’heure, je ne voulais que la chaleur de ses lèvres et de ses mains. L’indécence brulante de son corps, m’unir a lui. Pour toujours.

Oui mon amour, c'était le cas. Nous nous aimions depuis très longtemps et peut-être même depuis la nuit des temps. J'aimais cette idée que les âmes se retrouvaient au fil des âges, à travers les époques, liées à jamais, faites pour sans cesse s'unir, jusqu'à la prochaine vie. Peut-être que son âme et la mienne étaient beaucoup plus anciennes que je ne le pensais. Un amour de combien de temps. 1000 ans? Davantage encore? J'avais eu le coup de foudre quand je l'avais vu la première fois, il y a presque deux siècles? Un coup de foudre réciproque alors qu'elle était promise à un autre, à mon seigneur. Terrible destiné, qui ne pouvait finir que dans le sang et la mort.

Il était temps de mettre un terme à cette malédiction. j'avais aimé cette femme, je m'étais perdu pour elle, en elle, mais cette fois serait différente. Elle n'avait nul mari, nul autre amant, je n'étais lié à personne sinon à Dieu et Dieu se moquait bien de ce que je pouvais faire, tant que je lui amenais des âmes. Pas en grande quantité certes, mais de qualité.

Recruterais-je Yue Hue dans cette guerre absurde? Comment l'imaginer se fourvoyer dans cette vie, tromper les humains pour qu'ils nous rejoignent, sciemment? Je ne voulais pas de cette vie là pour elle et je doutais qu'elle en veuille pour elle. La bénir signifierait devenir un Séraphin pour moi. Terminées mes obligations envers l'école, alors que commenceraient les siennes. Ce n'était vraiment pas une décision que je pouvais prendre à la légère.

Sa main se posa sur la mienne, alors qu'elle me soufflait que trois mois, c'était long. Oui, terriblement, beaucoup trop... Et que dire de 170 ans? Sa réponse m'enflamma et j'oubliai tout, toute retenue. Mon souffle tremblant mêlé au sien, je l'embrassai, avant de lentement m'agenouiller devant elle, relevant son haut pour découvrir la fine peau de son ventre que j'embrassai avec vénération, avec tendresse et impatience également.

L'aimer à en perdre la raison.

L'aimer encore et toujours. Encore et pour toujours. Nous liant pour l'éternité. Si tu savais depuis combien de temps je t'attends, depuis combien de temps je rêve ce moment. La caresse de ses mains dans mes cheveux, mon prénom murmuré entre ses lèvres entrouvertes... J'avais l'impression d'être un débutant, de ne plus savoir comment m'y prendre, de la découvrir. Elle était la première de ma vie angélique et elle était déjà longue... Mais ce genre de chose était inné et rien ne s'oubliait. Cet instinct puissant, gravé dans nos gènes, dans notre histoire, qui me poussa à me redresser, dévorant ses lèvres, avant de lentement, dégrafer son chemisier, libérant sa poitrine. Ma main glissa derrière son dos, dégrafant le soutien gorge, non sans mal tant je n'étais pas habitué à ces sous vêtements modernes. Néanmoins, j'eus raison du bout de tissu, libérant sa poitrine et la prenant en coupe, avide d'y goûter.

Elle était assise sur la table, offerte, cambrée, ses mains dans mes cheveux. Lentement, mon autre main remonta le long de sa cuisse, et je commençai à la délester de ses boutons retenant son pantalon. J'étais pris d'une hâte qui ne m'était pas du tout familière, mais j'estimais que des décennies d'attente pouvaient enfin prendre fin aujourd'hui sans que je ne me sente honteux de céder aussi facilement.

Trois mois. C'était long et pourtant incroyablement court pour décider qu'on aimait quelqu'un. Mais je l'aimais depuis la nuit des temps... Et ce sentiment semblait totalement réciproque. Tellement que nous ne prenions même pas le temps de nous arrêter pour aller jusqu'à sa chambre pour nous aimer dans un endroit des plus conventionnels... Non, comme c'était parti, cela allait se faire dans cette cuisine, sur cette table... Il y avait mieux pour une première fois, mais cela ne me posait absolument aucun problème.

- Yue Hue... Je t'aime, depuis le commencement du monde et jusqu'à la fin des temps.

Envolée lyrique d'un amant passionné penserait-elle. Et pourtant, tout cela n'était que trop juste, même si elle n'en avait pas encore... conscience. Sous ma chemise, autour de mon cou, je sentais le pendentif qu'Azraëlle m'avait rendu, chaud contre ma peau. Symbole d'une autre époque. Mais d'un amour tout aussi fort.

Ma chair s'enflammait, mon esprit se perdait. il n'y avait plus de temps, plus d'espace, juste la sensation magique de ses mains, de ses paumes qui glissaient sur ma peau, me faisant frissonner si fort. Il avait tout les droits, absolument tous et je savais , comme un instinct profondément enfouit en moi. L'expression "Amour éternel" prenait tout son sens alors qu'il me ravissait de son étreinte.

Je ne sais pas comment je me retrouvai assise sur la table, mais cela n'avait pas d'importance tandis que je sentais le tissus de mon chemisier me quitter, s'effacer lentement, buvant a ses lèvres tout l'amour qu'il pouvait éprouver pour moi. Qu'il ne me quitte jamais ou j'en mourrais, pensée diffuse mais si puissante alors qu'un gémissement s'échappait de mes lèvres en sentant ses paumes autour de ma poitrine frémissante. Il parcourait ma peau avec avidité et tendresse, un mélange qui me faisait fondre mais par dessus tout, c'était une passion débridée trop longtemps contenue, trop longtemps bridée et qui explosait. Je me tortillai pour faire tomber mon pantalon, aucune pudeur, aucune honte, j'avais l'impression d'être magnifique sous son regard enflammé.

Mon regard se troubla a ses mots. Il disait vrai. C'était une certitude. Quelque chose me disait que rien n'était plus vrai, plus intense. Nous nous étions toujours unis, avions nous été créé ainsi ? Emue, je l'embrassai avec plus d'intensité, d'avidité. D'eux même, mes doigts partirent a la découverte de son corps, empreint d'une sorte d'hésitation mais en même temps d'assurance. J'apprenais, soupirant contre sa bouche, alors que je rencontrais la chaleur de sa peau, sa douceur, les déliés fins et puissants de ses flancs, repoussant toujours plus loin le tissus qui me gênait. Le bout de mes doigts touchèrent un pendentif qui pendait sur sa poitrine mais je n'y pris pas garde, trop occupée a le découvrir lui. Mon souffle s'emballait, brulant et je m'enhardis osant porter mes doigts a sa ceinture, frissonnant violemment sous le plaisir qui me subjuguait...Mes gestes étaient sans doute fébriles, saccadés mais on ne pouvait douté de la passion qui les portait.