Gomawo {Ryu}

"Cela semble si aisée à vous entendre."

A croire qu'elle pouvait effectivement rendre l'histoire merveilleuse, même nimbée de sang. Ma vie avait été jalonnée de devoirs, de fidélité, de trahison, d'amours contrariés. J'avais été trompé par Azraëlle, j'étais devenu un ange, dont la mission n'avait rien de glorieuse. Je m'en acquittais par devoir, encore une fois, servant un maître, Dieu, sans trop m'attacher au bien fondé de ses actions. Pourtant, j'éprouvais de l'amertume sur mon existence volée, amertume qui trouvait enfin son achèvement en sa présence.

Je lui fis remarquer qu'elle était romantique et elle ne nia pas, parlant même d'amour éternel, de prince charmant, de crapaud... Si j'étais sceptique pour les deux derniers, je ne pouvais qu'abonder dans le sens d'un amour éternel. Le mien pour elle l'était. Mon sourire se teinta de mystère.

"Pour les princes charmants et les crapauds, je ne saurais m'avancer... Mais je pense qu'un amour peut en effet être éternel... Et passer outre la mort et le temps."

Sans doute me prendrait-elle pour un romantique moi aussi, malgré mon pessimiste sur l'humanité. L'amour pouvait être création, mais aussi destruction. Combler et frustrer... j'avais connu les deux. J'avais vibré pour elle, pour un regard, pour un effleurement de sa main, ne vivant qu'au rythme de ses soupirs. Et j'avais tremblé de rage de ne pouvoir la posséder, de la faire mienne, de devoir sans cesse cacher ces tendres sentiments qu'elles faisait naître en moi.

Je lui parlais de destinée, lui demandant son avis sur la question, avis mitigé, avant que je ne l'encourage à en dire davantage.

"Et cette partie est sage."

Je m'enquis alors de ses croyances et sa réponse nous prit tous les deux au dépourvu. En moi. Elle croyait en moi. Sans me connaître, elle m'avait pourtant reconnue, sans s'en apercevoir. Je vis son visage changer de couleur alors qu'elle se rattrapait.

"Vous auriez raison..."

Juste un souffle de ma part. En réponse à son envie de croire en moi, pas en l'humanité. Je n'y croyais plus et m'en méfiais, restant sur mes gardes. L'humanité était devenu un terrain de chasse, malheureusement.

"Vous arrive-t-il de vous laisser guider par votre instinct Yue Hue? De l'écouter, sans chercher à comprendre?"

Crois en moi... Aime-moi.

Je penchais légèrement la tête sur le coté. Croyait il vraiment que l'amour pouvait être éternel ? La plupart des hommes n'y croyait pas. Ils se leurraient eux même ou s'en servaient d'excuse pour avoir le ventre de la femme qu'ils convoitaient. Pouvait on être amoureux pour des siècles ? D'ailleurs, l'avais je déjà été ? Etrange question dont la réponse errait quelque part en moi. Me faisant peur, trop pour que je la cherche, trop pour que je ne la dévoile...La destinée...Pourquoi semblait elle ête omniprésente entre nous ? Pourquoi avais je l'impression d'un croisement, d'une fin, d'un aboutissement...Comme si j'avais couru des kilomètres et venais de passer la ligne de départ ?

"Vous êtes un romantique."

répétais je sur le même ton que lui. Ce n'était pas une critique, ni même un jugement et...a vrai dire, c'était une notion qui se perdait. Voir un homme possédant la beauté du diable croire en l'amour éternel était quelque chose de rare. J'aurais sans doute cru a un mensonge si il avait été un autre, mais je n'y arrivais pas. Comme buvant ses paroles, lui donnant une confiance entière et irrationnelle. La destinée....Etait ce son oeuvre ? Je ne le savais vraiment pas et je répondis avec sincérité, perdue dans mes divagations étranges, irréelle, répondant sans même me rendre compte de la portée de mes mots. Je tentais de me rattraper et pourtant ses mots me touchèrent. Aurais je raison de croire en lui ? Pouvais je le faire ?

Je sursautais légèrement lorsqu'il me demanda si je pouvais me laisser guider par mon instinct, quelque chose qui erre au fond de vous, qui vous pousse a faire ce que votre conscience n'oserait jamais. Je sursautais. le regardant étrangement, troublée.

je ne sais pas ce qui motiva mes gestes, sans doute ce dont il parlait, ce qu'il sous entendait. Cet instinct étrange qui me poussait vers lui, qui me soufflait qu'il n'était qu'un tout, non pas un morceau de mon âme, mais elle tout entière. Comme si je pouvais mourir de sa haine. Alors mes paumes se posèrent sur ses joues. Je ne le connaissais pas. Non pas vraiment alors que mon esprit me criait qu'il savait tout de lui. Je ne sais pas pourquoi je me hissais sur la pointe des pieds, ignorant les regards, Stuart qui ouvrit des yeux ronds, bouche ouverte. Me laissais je parfois guider par mon instinct ? Oui...soufflait mon esprit alors que je posais mes lèvres sur les siennes. Chastes. Tendres. Aimantes tandis que l'ombre de mon regard disparaissait sous le voile de mes cils.

Cela ne dura qu'un instant, bref, oublié, une seconde qui ne s'étire pas dans le temps, qui, implacable, s'écoule.

"Oui."

Soufflais je en me repoussant, avalant une goulée d'air, déstabilisée, troublée...Presque effarée...Qu'avais je fait ?

"Non, juste honnête avec moi même."

Paroles énigmatiques qui ne l'aideraient pas vraiment à me comprendre. Je lui avais avoué ne pas être habitué à jouer les séducteurs, à ne pas être très doué pour charmer une femme et voilà que je parlais d'amour éternel. Je ne tombais pas amoureux facilement, et mon cœur était resté sien à jamais. J'aurais pu me détacher de son souvenir, j'avais rencontré quantité de femmes belles à se damner ou terriblement spirituelles, mais jamais aucune n'avait su se frayer un chemin jusqu'à cette place qu'elle occupait, envers et contre tout. J'avais fait une promesse. J'avais l'intention de la tenir. Sans doute étais-je un homme étrange à m'accrocher ainsi à un amour qui aurait pu être perdu... Bon nombre des anges que je connaissais n'avaient pas ces scrupules. Et séduire les humains était un excellent moyen de les amener à la bénédiction.

Je partageais au moins cela avec ma créatrice. Je ne m'étais donné à nulle autre qu'Amaya. Azraëlle ne s'était donnée à aucun homme. Peut-être méprisait-elle ma fidélité, mais elle admirait ma détermination. Nous avions quelques points communs, bien que je détestais l'admettre.

Yue Hue disait croire en moi. Une réponse instinctive qu'elle tenta bien de rattraper, mais je ne la laissais pas croire que son lapsus m'avait échappé et j'en profitais pour lui demander si elle savait faire confiance à son instinct, l'écouter sans poser de questions. Sa réponse avait été instinctive. Si elle pouvait davantage laisser son subconscient agir, alors qu'elle se souviendrait. Mes paroles la surprirent et elle me regarda lentement.

Jusqu'à ce que ses mains ne s'élèvent pour se poser sur mes joues. Mon être tout entier se tendit vers elle alors que j'espérais ce contact depuis tant de décennies. J'avais mal. Terriblement mal et pourtant je profitais de chaque seconde de ce contact entre elle et moi, le premier depuis 182 ans. Lentement, elle se hissa sur la pointe des pieds, jusqu'à ce que ses lèvres rencontrent les miennes et que je me sente aspiré par un violent vertige alors que je retrouvais le bonheur de l'embrasser, cette sensation unique, après laquelle je courais. Hébété, je ne la retins pas quand le baiser cessa, beaucoup trop bref à mon goût. Sa réponse me parvint à travers un épais brouillard. Je vacillai, le cœur battant, submergé par un désir vieux de 180 ans. Je n'avais qu'une envie, le prendre dans mes bras et l'embrasser avec toute la passion dévastatrice qu'elle m'inspirait. Mais elle ne comprendrait pas un tel déchainement des sens.

J'avalai une grande goulée d'air, avant de reprendre mes esprits, de me redresser et de masquer le trouble terrible qu'elle avait fait naître en moi. Je m'approchai d'elle, le dos de ma main venant caresser le velouté de sa joue, alors que j'exerçai un contrôle surhumain sur mes sens et mon corps.

"Alors écoutez-le le plus souvent possible."

Mon pouce vont souligner amoureusement le renflement de sa lèvre, alors que je souriais, le regard voilé.

"Vous savez n'est-ce pas? Qu'aujourd'hui et maintenant, nos vies qui se croisent nous emmènent sur un chemin commun. Comme la sensation de ne plus avoir de contrôle..."

J'hésitai un instant, avant de l'embrasser à mon tour, de façon bien moins chaste, bien moins retenue, pour murmurer contre ses lèvres :

"Crains-tu cela?"

Troublée, je le fixais avec des yeux agrandit par mes propres actes. Que venais je de faire ? Cela ne me ressemblait pas, vraiment pas. Comment avais je pu m'élever jusqu'a ses lèvres comme ça ? Comme si c'était une évidence certaine et que là était ma place.

Incrédule, je levais une main a mes lèvres étrangement brulantes alors que je n'avais fait que l'effleurer, le frôler.

Secouée, je voulu m'excuser mais je n'en eu pas le courage. Qu'aurais je pu dire d'ailleurs qui aurait été censé ? Aucuns mots ne me venaient a l'esprit.

Je faillis me dérober a sa main, terrifiée par son contact soudainement, j'avais terriblement peur ce que je pouvais ressentir, de ses tourbillons déchainés qui n'avaient aucun sens, aucune raison d'être et pourtant, hypnotisée par ses yeux, je le laissais faire.

Il murmurait des mots qui me faisaient peur. Non, c'était impossible d'être ainsi. La réalité n'était pas comme ça. Le coup de foudre n'existait pas et pourtant, quelque part, il avait raison, j'avais le sentiment irrationnel d'être a l'endroit où je devais être, avec qui je devais être. Je suffoquais intérieurement en luttant contre moi même, parce que cela ne pouvait pas exister malgré la voix qui me hurlait le contraire. je n'étais plus une enfant naïve et pourtant, je me laissais prendre à la douceur de ses yeux, de sa voix.

Je ne cherchais pas a esquiver ses lèvres, soupirant doucement contre elles. Sa question me fit papillonner des paupières, soufflée contre ma bouche, murmuré.

"Je...Je ne sais pas."

Oui, j'étais terrifiée, le trouble se lisait dans la mer agitée de mes iris. J'ouvrai de nouveau la bouche lorsque mon portable se mit a vibrer, me faisant sursauter violemment, m'arrachant a sa fascination, comme un brutal retour a la réalité.

Je décrochai presque machinalement, sans même regardé qui m'appelait. Je fermai les yeux en entendant la voix de mon frère, comme si il avait sentit mon trouble au délà des kilomètres qui nous séparaient.

"Oh...Oppa."

J'eus un léger sourire. Il n'avait guère le temps de me parler mais il voulait s'assurer que tout était prêt, de ma présence a son mariage. Sans doute tenterait il de me présenter un ou deux de ses amis mais maintenant...

"Oui, ma robe est prête...Celle là même que tu as choisis, je pouvais bien faire ça pour le mariage non ?"

riais je doucement en écho a son propre rire puis, il raccrocha, m'abandonnant alors que je rêvais de lui parler, de lui avouer. Je refermai mon portable lentement avant de lever les yeux sur Ryu.

"Désolée."

Peut-être étais-je allée trop vite. Tout cela la dépassait et contrairement à moi, elle ne savait rien des évènements, ne comprenant pas ce lien étrange déjà tissé entre nous et venant de se renouer. J'enfonçais les portes ouvertes et je voyais que cela ne la rassurait pas le moins du monde. Je ne voulais pas que le bien âtre que nous ressentions quand nous étions ensemble se détériore face à l'inexplicable. Elle n'était pas encore prête pour découvrir la vérité.

C'est donc avec un sourire contrit que je la relâchai, alors que son téléphone sonnait, nous arrachant à cette bulle d'intimité et nous projetant brutalement dans le présent. Soudainement, je haïssais la technologie.

Je n'avais pas l'intention d'écouter sa conversation, mais nous étions trop proches pour que ses paroles m'échappent. J'avais quelques rudiments de cette langue, sans la maîtriser complètement et les mots que je saisis me glacèrent soudainement le sang. Avec qui parlait-elle de mariage? Son fiancé? Naïvement, j'avais pensé qu'elle était célibataire et libre, mais je réalisais que ce n'était pas l'absence d'alliance qui garantissait la liberté de son cœur. Quand bien même elle m'avait embrassée, mue par son instinct, il y avait peut-être quelqu'un dans sa vie depuis un moment déjà.

J'espérais que non. Je ne voulais pas revivre les amours coupables des amants. Je en voulais pas chambouler encore une fois sa vie. Je la laissais discuter quelques minutes, ayant perdu quelques couleurs, avant qu'elle ne raccroche et s'excuse. Je m'étais éloigné légèrement, le visage fermé, le cœur au bord des lèvres.

"Ce n'est rien."

Je me forçai à sourire, sans grand résultat. Pourquoi ne pas prendre le taureau par les cornes et en avoir le cœur net?

"Vous allez vous marier?"

On ne pouvait pas faire plus clair, direct et explicite. Et je détestais de devoir lui demander cela, trahissant mon intérêt pour elle de façon flagrante. Bien que j'avais fait en sorte de prendre un air le plus dégagé possible.

Je me passais une main sur le front. Le retour a la réalité était écrasant, étouffant même. Une partie de moi n'en voulait pas, rêvait de remonter le temps et l'autre, n'aspirait qu'a une fuite étrange.

Ma main s'abaissa alors qu'il me demandait si j'allais me marier. Surprise, je le regardais quelques secondes sans rien dire prise par l'envie de me justifier, de lui assurer que non. Et même si c'était le cas...Si effectivement j'étais fiancée, prête a me marier avec un homme que je penserais unique dans ma vie...Cette rencontre aurait tout détruit.

Je secouais légèrement la tête.

"Moi non. Mon frère oui."

finis je par répondre, voulant voir ces ombres qui avaient envahie son visage disparaitre malgré cet air qu'il tentait d'afficher.

"Dans un mois pour être exacte."

Oui, il se marierait, j'aimais sa fiancée même si une partie de moi lui en voulait de me voler mon frère. Mais il ne pouvait vivre avec sa petite soeur.

Mon regard devint trouble alors que j'ajoutais :

"Et si c'était le cas...Sans doute devrais je rompre."

Parce que je n'aurais que lui en tête dorénavant, je le sentais comme une évidence.

Je la scrutais intensément, d'une façon fort malpolie sans doute. Elle se passa une main sur le front, comme en proie à un certain malaise intérieur, avant de me regarder en face quand je lui demandais si elle allait se marier. Cela ne me regardait en rien, elle aurait eu le droit de me dire de me mêler de mes affaires. Elle devait aussi s'étonner que je comprenne quelques mots de Coréens. Être japonais ne garantissais pas que je parle toutes les langues asiatiques, loin de là. Mais quand on vit plus de deux siècles, on s'occupe et l'apprentissage des langues était un excellent moyen.

J'étais pendu à ses lèvres, le cœur battant alors que j'attendais la réponse fatidique. Et finalement, elle secoua doucement la tête, m'avouant que ce n'était pas son mariage, mais celui de son frère. Je m'étais mépris sur le terme d'Oppa. Pas son fiancé, son frère. Le soulagement faillit me faire m'écrouler. Je me détendis ostensiblement, réprimant un soupir sonore qui aurait trahi mon sentiment à ce sujet. Enfin, si ce n'était déjà fait. Quel inconnu que vous veniez d'embrasser vous demandait si vous étiez fiancée, à moins d'avoir des vues sur vous?

"Cela doit vous paraitre déplacé que je vous demande cela..."

J'étais gênée soudainement. Et je venais de m'apercevoir que si je l'avais tutoyé juste après notre second baiser, j'étais revenu au vouvoiement de rigueur, comme si nous avions rêvé tout cela. Pourtant l'empreinte de feu laissée par ses lèvres sur les miennes suffisait à me convaincre que tout était réel.

"En Corée?"

Était-il resté là bas? Probablement au vu de ce qu'elle m'avait dit. Elle semblait être la seule de la famille à avoir bougé. Et enfin, elle avoua que si elle avait été fiancée, elle aurait sans doute rompu, maintenant que j'étais entré dans sa vie, tel un ouragan qui balaye tout sur son passage.

"Pour un inconnu?"

Un sourire amusé dansa sur mes lèvres, mais la flamme de mon regard n'avait rien de moqueuse.

Je secouai de nouveau la tête. Non, je n'arrivais pas a trouver sa question déplacée pourtant quelque part, venant d'un inconnu, elle l'était. Avait il réellement comprit la teneur de ma conversation ou juste saisit quelque bride a droite et a gauche. Et si cela avait été mon mariage...M'aurait il arraché a mon promis ? Comme dans les rêves que font souvent les petites filles. Avait il raison ? Etais je romantique ? Je ne savais pas vraiment mais j'eus a coeur de rectifier ce qu'il pensait. Non j'étais célibataire, totalement libre d'aimer qui je voulais aimer.

"Un point de vue neutre, oui, elle l'est. De mon point de vue, non, elle ne l'est pas."

Surtout au vu des baisers que nous avions pu échanger quelques minutes plus tôt. Stuart ne cessait de nous jeter des coups d'oeil intrigué, voir perplexe. Jamais il ne m'avait vu ainsi sans doute. Peut ^être me questionnerait il plus tard, avide et curieux. Il ne tenait qu'a moi d'y répondre ou non et a vrai dire, sans doute éluderais je, comme pour garder cela...A moi. Ne pas le partager.

"Oui, il travaille a la Maison Bleue. Cela fait un moment que je ne suis pas rentrée chez moi, c'est l'occasion."

souriais je tranquillement alors que mon âme bouillonnait littéralement. Je n'avais oublié aucun mot, aucune sensation, aucun sentiment. Je ne pouvais expliquer malgré tout. Ni mon comportement, ni le sien, ni cette magie qui semblait a l'oeuvre entre nous. Comme cette phrase qu'il ne rata pas et si son sourire demeurait rieur, ses yeux, eux, me disaient tout autre chose. Je pouvais combattre de toute mes forces, nier et refuser, je savais que c'était immuable, alors j'eus un sourire léger, répondant comme une plaisanterie.

"Pour vous."

Pas un vulgaire inconnu, pas un visage froid et de marbre...Il ne m'était pas inconnu. Vraiment pas...Et je me livrais sans pudeur presque alors que la peur étreignait mon coeur devant ce que je ne pouvais expliquer.

Je me sentais idiot... Idiot d'être jaloux, idiot, de m'immiscer dans sa vie privée, d'avoir tiré de mauvaises conclusions. j'aurais pensé qu'avec ma formation, ma longévité, les épreuves endurées, j'aurais été capable de l'approcher de façon moins maladroite, mais je m'étais lourdement trompé. Je n'avais jamais été très doué avec les femmes et même plutôt emprunté. D'avoir cru qu'elle puisse être fiancée, sur le point de se marier, de m'échapper encore une fois, m'avait fait commettre une impolitesse rare, dont je m'excusais. Sa réponse me rassura. J'étais indiscret, sans doute, mais cela ne la choquait pas. Non parce que nous étions liés sans qu'elle sache comment, ni pourquoi.

Je demandai alors si le mariage de son frère, Dieu merci, ce n'était que son frère, se déroulait en Corée. Elle m'apprit qu'il travaillait à la Maison Bleue et que ce serait l'occasion pour elle de retourner dans son pays natal.

"Depuis combien de temps n'y êtes-vous pas allée?"

Je l'observais et elle me faisait penser à de l'eau. Calme, sereine, mais je sentais pourtant qu'elle était capable de bouillonner et d'être pleine de vie. Qu'elle m'assure qu'elle aurait annulé un mariage s'il avait été le sien m'amusa et je lui demandai pourquoi elle le ferait pour un inconnu. Elle me corrigea : pas pour un inconnu... Pour moi. Et cela changeait tout. Ne croyait-elle donc pas eu destin? Je n'en étais plus si sûr. Elle se souvenait de moi. Et je lui inspirais confiance... voire du désir. Et peut-être davantage.

"Yue Hue, accepteriez-vous de me revoir? Accepteriez-vous une invitation à diner?"

"Une éternité ?"

répondis je dans un rire. Même si nous nous téléphonions souvent, même si internet pouvait abattre les distances, ma famille me manquait quand même. La Corée me manquait aussi. J'étais venue m'expatrier en Angleterre par gout du voyage, par curiosité aussi, mais je savais pertinemment que je ne finirais pas ma vie ici et quelque chose me disait que je la finirais là où il sera.

J'avais beaucoup de mal a contrôler ces pensées incohérentes et en même temps terriblement évidentes. Je ne les comprenais pas. Pourquoi si soudainement ? Pourquoi lui et pas un autre ?

Malgré tout, je répondis franchement a sa question, non je n'aurais pas abandonné pour un inconnu, loin de là, mais pour lui, je l'aurais fait sans un remord, ni l'once d'un regret, c'était ce qui était terrifiant en vérité.

Puis, je le regardais un instant sans rien dire devant sa demande, les ténèbres de mes iris s'agitait, pouvant laisser entre voir mon tourment intérieur. Enfin, était ce seulement une torture ? A vrai dire non pas du tout.

Une main se posa sur mon épaule et je sursautais légèrement en découvrant Stuart qui c'était approché.

-Excusez moi, commença-t-il avec un léger sourire, autant pour moi que pour Ryu d'ailleurs, le déchargement est fini, il faut que tu vienne signer les papiers de réception et le directeur veut te voir.

Je hochais légèrement la tête avant qu'il ne tourne les talons.

"Donnez moi votre main."

fis je soudainement en tendant la mienne et lorsque j'eus se doigts entre les miens, je sortis un stylo. J'aurais sans doute pu lui donner ma carte mais je n'en avais pas sur moi et mon numéro de portable ne figurait pas dessus. Alors tant pis, je l'inscrivis sur sa paume avant de lui faire fermer les doigts dessus.

"Je suis désolée, il faut que je vous laisse, Diana va vous raccompagner."

Pourtant, je n'avais pas envie de le laisser partir, ni même de retourner a mes obligations, j'aurais voulu éternellement rester auprès de lui et cela me fit sourire avec un rien d'amusement.

"Appelez moi."

Souris je avant de m'incliner légèrement en guise d'au revoir, là où j'aurais désiré faire bien plus.

Je m'interrogeais sur ce qu'elle pouvait ressentir à être ainsi déchirée entre deux personnalités, deux époques, deux familles, deux pays... Sans doute n'en avait-elle pas conscience, mais ressentait-elle un quelque chose qui lui disait qu'elle n'était pas complète, qu'il manquait des pièces au puzzle. Comment réagirait-elle en apprenant qu'elle avait déjà vécu, qu'elle avait eu une autre famille? Cela devait être terrible en vérité. J'avais l'impression de l'entrainer dans mon monde à moi, dans ma vérité, sans égards pour cette vie qu'elle vivait maintenant et qu'elle pensait totalement acquise. Étais-je égoïste de souhaiter qu'elle se souvienne? De l'écarteler entre ce qui et a été? Je me posais sincèrement la question alors que l'évocation de son frère et de son mariage l'ancrait dans ce présent.

Pourtant, je ne pouvais renoncer à elle, pas après l'avoir attendue tout ce temps. Deux vies d'homme ou presque, c'était long. Ridiculement court pour certains anges et séraphins, mais terriblement long pour moi qui vivait dans l'attente de la retrouver. Alors je risquais de lui demander un rendez-vous. Elle aurait pu refuser, luttant contre cette attirance étrange, effrayante, totalement irrationnelle alors qu'elle semblait avoir les pieds sur terre.

Un silence suivit ma demande alors qu'elle m'observait. Mon regard se détourna du sien pour regarder son collègue arriver et poser une main sur son épaule, réclamant son attention et rompant ainsi l'enchantement de ces retrouvailles. Je me contentai d'un hochement de tête bref à ses excuses et le regardais partit alors que Yue Hue me demandait ma main. Je la lui tendis après une infime hésitation, née de l'incompréhension et compris ce qu'elle voulait quand elle sortit un stylo et écrivit son numéro de téléphone sur ma paume, refermant mes doigts dessus, comme s'il eut s'agit d'un secret. Peut-être en était-ce un. Elle me demanda de l'appeler et je souris doucement.

- Merci.

De me donner l'occasion de te revoir. Oui, j'appellerais et sans doute plus rapidement qu'elle ne le pensait. La fameuse Diana me raccompagna en dehors du musée, y laissant mon joyau. Je caressai la paume de ma main avec un sourire, avant de m'en aller, ma quête ayant enfin prit fin. Maintenant, elle devait se souvenir...

[TERMINE]