Gomawo {Ryu}

Pensive, je jetai un coup d'oeil à ma montre, assise à mon bureau, j'attendais une livraison importante du Musée de Tokyo. Un prêt pour une exposition qui se tiendrait dans trois semaines. Evidement, c'était a moi de me charger de l'organisation de l'événement et je le faisais avec plaisir. J'avouai facilement que j'aimais cela, après tout, j'étais assez organisée et méticuleuse, un trait de caractère que beaucoup d'asiatiques partageaient d'ailleurs. Sans être particulièrement maniaque, j'aimai que chaque chose soit a sa place, que chaque personne sache exactement quel était leur responsabilité, ainsi, je m'assurai que tout s'emboiterait parfaitement et qu'il n'y aurait aucun faux pas. Du moins, je l'espérais fortement. J'avais la main posée sur le combiné de mon téléphone prête a décrocher pour appeler l'un de mes contacts a Tokyo lorsque l'on me prit de vitesse. Un léger coup fut donné a ma porte avant que le visage de mon assistant n'apparaisse dans l'embrasure.

"Yue Hue, le convoi vient d'arriver, tu veux assister a l'ouverture des caisses ?"

"Evidement, il faut nous assurer que tout est arrivé en bon état et voir si tout est là. Vas y je te rejoins, le temps de prendre la liste des objets."

Il hocha doucement la tête avant de disparaitre de nouveau, alors que je jetais un coup d'oeil par la fenêtre. il pleuvait. Mais il pleuvait toujours a Londres. Ironique. Je soupirai doucement avant de tirer un tiroir de mon bureau et d'en sortir une liste sur papier à en-tête. Je le parcouru rapidement avant de me lever, lissant machinalement le pantalon de mon tailleur avant de me saisir d'un stylo et de filer vers les entrepôts.

Je saluai quelques employés sur mon passage, réglai un ou deux problèmes avant de regarder ma montre et de me presser. Si je continuai ainsi, ils allaient décharger sans que je ne sois là pour superviser l'acte et si jamais il y avait un problème, j'en serais responsable, chose que je ne pouvais me permettre. je signai un dernier reçu avant de prendre les escaliers menant aux galeries. Mes talons frappaient le sol en une cadence presque martiale, assurée alors que je traversai la galerie dédiée a l'antique Egypte, admirant au passage les merveilles que recelaient les vitrines avec un petit sourire amusé. Etonnant de songer que Londres était la capitale de l'art Egyptien, l'île étant si éloignée de l'Afrique. C'était étrange et amusant par certain coté. Ironique par d'autre où comment voler légalement les trésors nationaux. Cela me fit sourire en coin alors que je tournai a un angle, les yeux plongés sur ma liste avant de m'arrêter subitement, levant les yeux, plutôt surprise à la vue d'un homme posté prêt de l'aile consacrée au japon antique.

"Je suis désolée monsieur, mais cette aile est fermée au public pour le moment."

Évidement, il était difficile de le savoir, me rendis je compte en remarquant l'absence du panneau habituel aussi avais je pris sur moi de m'adresser a un dos en premier lieu.

Serait-ce donc là une velléité de me replonger dans le passé? Est-ce donc la nostalgie qui me poussa à pénétrer dans le musée de Londres, à déambuler parmi ses couloirs et ses salles aux riches collections, jusqu'à m'intéresser à l'aile traitant de japon antique? Peut-être... Mon existence est longue, ridiculement courte pourtant, comparée à certaines créatures célestes et pourtant, je ne trouve nul accomplissement dans cette vie, offerte par une vipère. Chaque jour, je regrette de ne pas être mort de la façon dont je l'ai choisie, dans un sursaut d'honneur. Chaque minute, je revois le visage de ma bien aimée, son regard emplie de larmes muettes alors que je m'écroule. Je ne l'ai pas oubliée. Peut-être est-ce bien là ma seule chance : pouvoir me souvenir que je l'ai aimée, pouvoir chercher son âme à travers le monde. Si je n'avais tant vécu dans l'attente de la retrouver, je me serais sans doute déjà donné la mort pour cesser de jouer cette mascarade qui n'est pas moi.

Au fil des décennies, j'ai appris à connaître Azraëlle, à comprendre comment elle pouvait fonctionner, sa façon de jouer de tromperies et de faux semblants. Je sais qu'elle m'a piégé, je sais qu'elle m'a convoité et m'a eu. Jeune homme épris de justice et de droiture, trop naïf pour voir le mal quand il était à ses côtés. Une leçon amèrement apprise et retenue. Sans doute a-t-elle même prévenu mon Seigneur de ma trahison avec son épouse, afin de précipiter ma perte et refermer ses griffes avides autour de mon âme.

Âme qui n'est plus mienne, qui se perdra si je succombe, alors que celle de ma bien aimée reste humaine, lumineuse et douce. Pour elle, je dois endurer cette existence, je le lui ai promis. De la retrouver, de nous permettre de nous aimer dans une autre vie.

Au sein du musée, devant cette aile du passé, j'en viens à me dire que l'on ne peut échapper au destin. Et quand cette voix féminine m'interpelle et que je me retourne, surpris, je sens une sensation étrange m'envahir devant cette asiatique qui me fait désormais face. Un vertige. Et si tout n'était que question de fatalité? J'ai toujours été convaincu que le destin permettait à deux âmes sœurs de se retrouver, sans qu'il y ai besoin de chercher. Et alors que je sens le sol s'ouvrir sous mes pieds devant cette inconnue, ma conviction devient une certitude.

Certitude teintée de méfiance. La peur de m'illusionner, de me tromper, de penser que c'est elle et de déchanter. Elle n'est pas anglaise de naissance, sa voix chantante est teintée d'un accent doux à mes oreilles. Pas japonais pourtant. Je m'incline légèrement, en signe de contrition. Combien de temps s'est-il écoulé entre le moment où je me suis retourné et mon premier mouvement? Une seconde? Une heure?

"Veuillez m'excuser, je n'étais pas au courant."

J'ai beau parler plusieurs langues, un léger accent teinte également chacun de mes paroles. Mon visage est doux bien que fermé et je reste circonspect alors que mon cœur sembla vouloir bondir hors de ma poitrine en réaction à sa proximité.

"Savez-vous quand elle sera ouverte ?"

Banalités... Affligeantes banalités quand mon âme semble vibrer de nouveau, au diapason de la sienne, comme la reconnaissant quand ma tête se refuse à tout espoir.

J'avais toujours été pragmatique, rationnelle malgré un pays emplit de légendes et de mythes. Oui, j'avais toujours eut les pieds sur terre, me laissant parfois aller a la rêverie comme toute adolescente. Rêverie bien souvent amoureuse mais la vie se charge bien souvent de vous apprendre la réalité et détruit les chimères. Pourtant, tout cela renait étrangement alors qu'il se retourne pour me faire face. C'est un peu comme si on était subitement arraché au court du temps et jeté ailleurs, dans un monde qui ne tourne plus, qui s'est arrêté soudainement, figeant la vie dans son ensemble. Ma feuille m'échappa des doigts sans même que je ne m'en rende compte. Je connaissais cet homme. C'était une certitude que je ne pouvais m'expliquer. mais je le connaissais. J'aurais été incapable de dire où, ni comment. C'était dérangeant, terriblement dérangeant mais je n'arrivais pas a m'arracher a sa contemplation.

Japonais. Pour tous, les traits asiatiques se ressemblaient, ce qui était superbement faux. je ne repris réellement contenance que lorsqu'il me salua, de manière formelle et je fis de même, habituée au salut japonais.

"Vous ne pouviez pas le savoir, il semble que la pancarte ai disparue."

Je ne savais pas comment je faisais pour parler normalement, ni même pour me défaire de cette sensation absurde qui se disputait a la rationalité. Le coup de foudre, ce n'était bon que dans les livres. La vie était toute autre et pourtant, il me prenait un doute soudainement.

"Elle réouvrira dans trois semaines, pour l'exposition Kyõwa."

C'était idiot comme conversation...Vraiment...Pourquoi avais je l'impression de ne raconter que des bêtises alors que je ne faisais que donner un renseignement. Que répondre a une question.

"Excusez moi de vous demander ça mais...On ne se serait pas déjà rencontrer ? Votre visage m'est familier."

on pouvait sans doute penser a une technique de drague désuète mais ce n'était pas le cas. J'avais vécu au japon, peut être l'avais je croisé là bas. Cela dit, quelque chose me disait que non, c'était bel et bien la première fois que je le rencontrais. Alors pourquoi cette impression de le connaitre profondément ?

Temps qui suspens son vol, impression de sombrer soudainement dans le néant... Impression que j'avais maintes fois imaginé, sans pour autant jamais être préparé à cela. Se pouvait-il qu'enfin ma quête prenne fin? Qu'enfin je l'ai retrouvée? Après moins de deux siècles, nos âmes se seraient-elles enfin retrouvées? Oui, cela en a tout l'air, même si la méfiance est de mise, même s'il se peut que je me fourvoie, qu'elle ne soit pas sensible. L'âme peut-elle oublier? La mienne ne m'appartient plus et disparaîtra à ma mort, mais j'ai l'impression de retrouver l'éclat incomparable de celle d'Amaya, sous une autre apparence, tout aussi charmante. Cette femme est plus grande qu'Amaya, Coréenne si je ne m'abuse. Elle aurait pu renaître n'importe où, aussi bien en Amérique qu'en Europe, mais elle est restée fidèle à l'Asie.

Quand je la vois me rendre mon salut, j'ai l'impression d'être projeté brutalement plus de 170 ans en arrière, de revoir son sourire timide, son regard pétillant. Je l'ai chérie, protégée, pendant des années et nous ne nous sommes aimés d'une seule fois, une seule nuit fatale. Aujourd'hui, je n'ai plus de Seigneur terrestre à servir, les mœurs ont bien évolué. Discrètement, je jette un regard à ses mains... Son annulaire, dépourvu d'alliance. Que le passé ne se répète pas. Pourtant, tout était différent, j'étais un ange, j'étais immortel, je n'étais soumis qu'à Dieu. Ce Dieu auquel je ne croyais pas en étant humain. Ce Dieu idéalisé par les chrétiens... S'ils savaient... Mais je conservais mes croyances, notamment en la réincarnation et cette femme en était la preuve vivante.

Je ne répondis pas quand elle parla de cette pancarte disparue. Je pensais fortement à un tour du destin pour nous permettre cette rencontre, mais je ne voulais pas passer pour un séducteur en mal d'inspiration. Et je ne parvenais toujours pas à déterminer si elle avait vécu cette même impression étrange que moi. Je hochai la tête quand elle me renseigna sur la réouverture pour l'exposition.

"Bien. Je serais sans doute l'un des premiers à m'y rendre."

Mon regard se porta un instant sur cette aile interdite, qui me faisait penser à un couloir du temps dont elle aurait eu la clé. Pourtant, je retins mon souffle quand elle me demanda si nous ne nous étions pas déjà rencontré auparavant, mon visage lui semblant familier. Je fermai les yeux et comptai rapidement jusqu'à 10, résistant à l'envie folle de lui dire que nous nous étions aimés, au début du 19e siècle... A coup sûr, elle appellerait la sécurité pour chasser le fou dangereux que j'étais.

"Le votre m'est inconnu, j'en suis certain..."

L'exacte vérité. Ce n'était pas un mensonge, je l'avais connue, oui, mais sous une autre apparence.

"Je vis à Londres depuis plusieurs années maintenant. Êtes vous en Angleterre depuis longtemps?"

"Le mal du pays sans doute ?"

J'eus un léger sourire en essayant tant bien que mal de me défaire de ce sentiment étrange, tellement étrange que je tentais de le repousser de toute mes forces. J'étais une jeune femme moderne, cartésienne. Les romans d'amour étaient depuis longtemps enfermés dans mon armoire a prendre la poussière.

Cependant, je perdis mon combat intérieur en lui posant cette question. Impulsive question d'ailleurs. J'aurais sans doute préférer y réfléchir plus avant, prendre mes distances et surement que cette impression aurait disparue mais bizarrement, je n'avais pas non plus envie de partir. Un peu comme si il fallait a tout prix que je le garde sous mon regard ou non loin, sinon, il risquait de disparaitre a jamais.

Je baissais légèrement les yeux, avisant ma liste a terre. Je ne m'étais même pas rendu compte de l'avoir perdue. Déstabilisant. Il me répondit tandis que je ramassai ma fiche, affirmant que non, on ne s'était jamais vu auparavant. Je ne savais pas si je devais être déçue ou non de cela. Des sentiments contradictoires qui m'agitaient sans que je n'arrive réellement a les contrôler.

"Etrange."

murmurais je en me relevant, lissant ma veste d'une main avant de rejeter une mèche de mes cheveux pendue au milieu de mon front, échappée de mon chignon lâche. Ainsi, il était en Angleterre depuis un bon moment, confirmant sans le savoir le fait que nos routes ne s'étaient jamais croisées. Je me sentais stupide, voir idiote. Je n'avais pas le temps d'entamer une conversation, vraiment pas. La politesse aurait voulu que je m'incline de nouveau, que je m'excuse et que je tourne les talons. Mais je n'en fus pas capable, au contraire même.

"Je suis arrivée il y a deux ans après avoir obtenu mon diplôme au Japon. Le British Muséum voulait une spécialiste de l'histoire nippone pour diriger ce département."

Un sourire sans doute un peu timide, ce n'était pas vraiment mon genre d'étaler ma vie comme ça, mais les mots coulaient naturellement, tellement naturellement que cela faisait presque peur.

"On peut nommer cela ainsi."

Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas rendu au Japon. Cinq décennies. Il avait bien changé en deux siècles. Ce n'était pas le mal du pays, c'était le mal d'une époque. De la curiosité également, sur ce qu'allait exposer ce musée du Japon féodal. Bien que je ne sois pas si vieux, j'avais l'impression d'être plus proche de ce Japon là que celui de maintenant.

Je restais impassible alors qu'elle avait une sensation de déjà vu. Alors c'était bien elle, cela ne pouvait s'expliquer autrement. J'étais certain de ne jamais avoir croisé ce visage. Ajouté à cela cette impression de la reconnaître... C'était Amaya et elle avait des réminiscences de son autre vie. Je fus le plus sincère possible en répondant à sa question, même si je vis dans quelle perplexité je l'avais plongé.

"Pas tant que cela, les impressions de déjà vu sont assez fréquentes. Le subconscient reste un mystère, mais il essaie en général de faire passer un message qui nous échappe."

Que tu m'as connu, que tu m'as aimé... Je restais poli et courtois quand j'avais envie de la toucher, de dévorer ses lèvres. Une enfance passée à maîtriser la moindre émotion ne s'envolait pas si facilement, pas plus que d'être l'élève d'une femme comme Azraëlle. Je ne devais pas la brusquer, elle devait se souvenir seule, qu'importe que temps que cela prendrait. Il ne m'était pas compté.

Elle s'était baissée pour ramasser la feuille qui lui avait échappé. Si je ne montrais pas mes émotions, cette inattention aurait facilement pu me trahir pour un peu qu'elle m'ait connu. Je ne m'étais même pas baissé pour la ramasser pour elle, avant elle, comme l'exigeait la première des galanteries. Je ne voulais pas qu'elle parte, alors qu'elle avait surement beaucoup de travail. Mais je ne pouvais me résoudre à la voir s'échapper aussi engageais-je la conversation, chose dont je n'étais pas vraiment coutumier.

"Au Japon? Vous n'êtes pas japonaise pourtant... Pourquoi cet intérêt?"

Parce que tu as été japonaise, parce que tu as vécu dans ce pays, tu as aimé, tu y es morte... Tu m'y as vu mourir... Encore une fois, ton subconscient guide tes choix, mais tu ne sais pas encore ce qu'il essaie de te dire.

Impression de déjà vu..Non, c'était plus que cela. C'était bien plus. je n'avais pas l'impression de l'avoir déjà vu, j'avais l'impression de le connaitre. C'était diamétralement différent. Cette sensation de tout savoir de lui tout en ignorant qui il pouvait être. C'était déroutant. Je ne savais réellement comment réagir, ni quoi faire, quoi dire. J'avais 26 ans et j'avais le sentiment d'en avoir 15. Idiotie.

"Dans ce cas, je me demande bien quelle est la contenance du message."

riais je doucement parce qu'il avait raison quelque part, parce que la cartésienne que j'étais ne pouvait admettre cela, malgré les preuves scientifiques apportées, malgré la connaissance du conscient et du subconscient. Une impression de déjà vue nait en rêve, hors, je ne dormais pas. Le concept même de déjà vue perdait de son sens lorsque je le regardais, scrutant ces traits comme si ils m'avaient manqués. Atrocement manqués. je ne comprenais pas moi même mes réactions, ni même ces pulsations cardiaques qui ne semblaient pas vouloir me laisser en paix. Ce bouleversement que je ne comprenais pas et que, quelque part, je ne voulais pas comprendre, pas analyser froidement alors que rien n'était froid, rien n'était figé. Dis moi qui tu es, avais je envie de dire et pourtant, ces mots si forts ne se frayèrent pas de chemin sur mes lèvres. je me trouvais trop bavarde tout à coup. Comme si les vannes de mon esprit, de ma conscience s'étaient ouvertes, sans prévenir, sans signes avant coureur.

"Je suis coréenne, c'est exact."

répondis je tout en jetant un coup d'oeil sur ma liste. Liste qui me semblait tout a coup si dérisoire, sans importance. Comment expliquer ce que je ne comprenais pas moi même ? Difficile, tellement difficile. Pourquoi cet intérêt ? Je n'en savais rien. Je savais juste que j'avais été attirée par le Japon, comme un sort jeté dont je ne pouvais me défaire totalement.

"Je ne sais pas, mais pour tout vous dire, lorsque j'ai débarquée au Japon la première fois, j'avais l'impression étrange de rentrer chez moi. Etonnant non ?"

Un bruit de pas me décontenança et je tournai la tête pour apercevoir Stuart qui arrivait a notre rencontre, l'air visiblement inquiet.

"Yue hue ! Qu'est ce que tu fais ? On t'attend."

J'ouvris la bouche pour lui dire de disparaitre, de me laisser dans ce monde étrange dans lequel cet inconnu m'attirait mais je ne pouvais pas le faire, pas vraiment. Je souris a Stuart avant de répondre tranquillement, maitrisant l'élan de colère bizarre qui m'avait saisit lorsqu'il nous avait dérangé.

"J'arrive Stuart."

Et il tourna les talons, non sans jeter un regard intrigué sur cet inconnu qui me retenait malgré moi. Finalement, je posais de nouveau les yeux sur lui, sur les contours de ce visage avant de sourire légèrement.

"Je suis désolée, je dois vous laisser."

Et pourtant, je ne le voulais pas. Je ne le pouvais pas, comprenais je en m'inclinant légèrement, en tournant les talons avant de m'arrêter après quelques pas.

"Vous aimez l'art japonais n'est ce pas ? Voulez vous venir avec moi ?"

demandais je en le regardant par dessus mon épaule, surprise de mon impulsion soudaine.

Je me contentai d'un sourire énigmatique alors qu'elle se demandait quelle était la signification du message. Un sourire de façade, alors que j'avais envie de lui dire ce que je savais, de lui avouer que tout cela n'était que réminiscences d'une autre vie, une vie où je l'avais connue... Jusqu'à quel point pouvait-elle croire à ces histoires d'anges, de démons, de réincarnation? Je n'en avais malheureusement aucune idée, la connaissant depuis toujours et ignorant pourtant tout de cette femme, élevée dans un autre pays, née à une époque où les femmes sont plus libres et indépendantes, où les anciennes croyances se sont perdues. Elle devait trouver la solution seule et j'espérais que de m'avoir de nouveau dans sa vie allait l'aider à se rappeler de l'ancienne... Par ces impressions de me connaître, par des rêves, par des passions inexplicables, des savoirs même.

Je notai d'ailleurs sa passion pour le Japon alors qu'elle n'y était pas née dans cette vie. Elle y avait pourtant étudié et se retrouvait maintenant à la tête du département s'y rapportant. Et malgré tout cela, je restais courtois, poli, dissimulant cette émotion étouffante. J'aimais son âme. Avait-elle changé? Serais-je déçu par cette femme qui n'était pas totalement Amaya? Je n'avais pas beaucoup de façons de le savoir.

Elle était coréenne, confirmant ce que je pensais. Et je ne savais toujours pas son nom, tout comme elle ignorait le mien. Je ne discutais jamais avec des inconnus. Je n'étais déjà pas enclin à bavarder avec mes connaissances. Mais avec elle, cela me semblait simple, comme si notre complicité n'avait jamais disparu, comme si nous nous étions quittés hier. Elle-même devait trouver bien étrange cet échange.

"Il semble y avoir beaucoup de choses étranges autour de vous... Peut-être devriez-vous cesser de vous en étonner et tenter de les comprendre."

J'avais parlé d'une voix très douce, absolument pas moralisatrice, mais simplement un conseil. Ne lutte pas Amaya, accepte et comprends. Rappelle-toi. De moi. De nous.

Je redressai la tête quand un homme nous interrompit, pressant la jeune femme à venir. Yue Hue... Au moins connaissais-je son prénom. Qui me fit sourire intérieurement, la prononciation n'était pas différente de la japonaise, même si le sens et l'orthographe différaient. Il me semblait que je foudroyais cet homme du regard, lui promettant sans doute silencieusement mille tourments pour avoir rompu le charme. Yue Hue lui répondit qu'elle arrivait et il tourna les talons, alors que mon cœur ratait un battement. Je ne voulais pas qu'elle parte, pas maintenant... Elle s'excusa et je ne trouvai rien à dire pour la retenir, sans que cela paraisse des avances.

Je la laissais alors me tourner le dos et s'éloigner, incapable de bouger, de détacher mon regard de sa silhouette, comme hypnotisé. Et elle finit par s'arrêter, se retournant finalement et me proposant de venir avec elle. Une proposition qu'elle ne devait jamais faire à des inconnus, seulement dictée par ce qui nous liait, qui l'intriguait, mais qu'elle ne comprenait pas.

"Je suppose que c'est une proposition que vous ne faites pas au premier venue d'ordinaire."

J'esquissai un mince sourire en coin, avant de la rattraper en quelques longues enjambées.

"Rien ne me ferait plus plaisir."

Hormis un baiser, mais je gardai cette réflexion par devers moi, avant de lâcher subitement :

"Je m'appelle Ryu. Ryu Nakamura. Enchanté."

Je ne pouvais expliquer l'inexplicable, ce n'était pas possible. Tout irréelle que soit cet instant, il n'avait rien de tangible. Une ombre qui se dresse expirant de lumière, étrange contraste. Et un souffle qui vous murmure que cela est fini. Que tout commence.

"Beaucoup de choses étranges qu'il est dans ma nature de tenter de comprendre."

Mes lèvres s'étirèrent avec un rien d'amusement. La destinée était elle quelque chose de compréhensible ? De palpable ? De quantifiable ? J'aurais sans doute aimé que ce soit le cas mais cela ne marchait pas ainsi. Stuart arriva sur ces entrefaites, me forçant a revenir a la réalité en me rappelant pourquoi j'étais là. Je réussis a faire taire ce sentiment bizarre de colère et de déception aussi parce que je ne voulais pas partir, pas le quitter mais je n'avais pas le choix. C'était démentiel ce désir atroce qui me faisait peur, il n'y avait rien de rationel, rien de logique. Alors oui, j'allais partir et il disparaitrait de ma vie, c'était comme cela que ça devait ce passer non ? Mais au moment où je tournai les talons, lui tournai le dos, la folie sembla me posseder puisque je me retournai et que j'ouvrai la bouche faisant une proposition folle. Qu'est ce qu'il me prenait ? Pourquoi avoir dis ces mots ? Je savais pourquoi mais je ne comprenais pas. J'eus un léger rire a ces mots.

"Oui, mais après tout vous ne pouvez visiter l'aile nippone a cause d'une négligence de notre part, il est juste que j'équilibre non ?"

Il eu un étrange sourire, un sourire que j'aimais sans savoir pourquoi, en me rejoignant. Je détournai les yeux de son visage, troublée avant de reprendre ma marche vers les entrepôts, serrant les doigts sur ma liste.

"Park Yue Hue"

répondis je doucement en me prenant d'envie pour les contacts que pouvaient se permettre les européens, serrer la main ou faire la bise étaient des gestes ni naturels chez eux, hélas, pas chez moi. Ryu, répétais je mentalement alors que je ressentais une joie étrange a pouvoir le penser. Je secouai doucement la tête. Décidément je n'allais pas bien. Quelque chose ne tournait pas rond chez moi, il n'y avait pas d'autre explication alors que je me sentais troublée et terriblement a l'aise en même temps en marchant a ses cotés.

J'eus un sourire amusé en levant les yeux pour le regarder, une étincelle rieuse dans mes yeux sombres.

"Vous allez voir en avant première les pièces qui seront explosées dans trois semaines, je vous gâche un peu la surprise non ?"

"La justice est une valeur presque désuète aujourd'hui."

Je me fendis d'un petit sourire en coin, démentant ainsi la dureté de mes paroles. J'accordais beaucoup d'importance à ce genre de valeurs et j'étais ravi qu'elle ai conservé ces qualités. Je profitai d'être à sa hauteur pour me présenter et elle fit de même, me révélant ainsi son nom de famille en plus du prénom lâché par son collègue. Il était difficile de me tenir si près d'elle sans pour autant oser le moindre contact... Rien qu'effleurer sa main serait déjà un soulagement à cette frustration qui ne me quittait plus. A moins que cela ne soit l'étincelle qui mette le feu... Qui me donne envie de la prendre dans mes bras et de baiser ses lèvres. Je ne l'avais fait qu'une seule fois, lors de cette nuit fatale. J'étais resté plus de 10 ans à simplement la contempler, à ne jamais osé avoir un geste déplacé et la nuit où j'avais enfin décidé de l'approcher, de goûter la douceur de ses lèvres, d'explorer la beauté de son corps, nous avions été découverts...

Alors oui, j'avais faim d'elle. De celle qu'elle avait été, de celle qu'elle était désormais. Je trainais une frustration vieille de 170 ans. Pourtant, je devais me montrer pondéré, tempérer le feu qu'elle suscitait en moi pour la conquérir. Je devais reprendre toute ma cour amoureuse, car elle ne se souvenait de rien. Pour le moment.

Quand elle reprit la parole, un nouveau petit sourire dansa sur mes lèvres. Il n'y avait bien qu'elle pour susciter cette réaction chez moi. Mais je n'avais rien à lui cacher, aucun masque à porter, et je voulais qu'elle soit séduite par mon côté affable, par celui que j'avais été, pas celui que j'étais devenu, par la force des choses.

"Pas du tout. La surprise a été de vous rencontrer Yue Hue."

Sans doute allait-elle prendre cela pour une tentative de séduction un peu bateau, mais c'était pourtant mon sentiment. Elle était une surprise, merveilleuse, que j'attendais, sans oser espérer.

"Ne vous inquiétez pas, je payerais quand même mon billet pour assister à l'exposition dans quelques semaines."

"Vous croyez ? Je n'en serais pas si sure a votre place."

répondis je avec une pointe de rire dans la voix. non la justice n'était pas totalement morte. Pas encore. Mais je m'étonnais de cette façon qu'il avait de prendre une phrase banale, presque...entendue et d'en tirer une conclusion vraie. Je ne savais pas vraiment où me positionner par rapport a cela. il me semblait si perspicace, un peu comme si son regard pouvait traverser ma chair et percer les secrets de mon âme. C'était désagréable et si doux en même temps. une partie de moi refusait, renaclait, l'autre...L'autre était séduite, charmée. Je n'avais jamais eu a faire a ce genre de dualité. je ne savais pas comment réagir, songeais je en le conduisant bientôt devant un escalier qui semblait s'enfoncer dans la terre.

Je marquai un temps d'arrêt soudainement a ces mots. Surprise de me rencontrer ? vraiment ? N'était il au final qu'un énième dragueur de plus ? Figée, le visage froid, je le regardais soudainement dans les yeux. ne pouvant détacher mon regard du sien. Etait il sincère ? Jouait il ? Difficile de le savoir et pourtant, je savais que la réponse était quelque part dans ses prunelles sombres. J'aurais aimé fouillé dans ses iris, savoir ce qu'il pensait, ce qu'il ressentait, mais je n'avais que ténèbres et opacité. Il ne tenait qu'a moi de lui accorder ma confiance ou non et ce que me hurlait mon coeur était si irréel.

"J'ose espérer qu'elle est bonne dans ce cas."

finis je par dire en reprenant ma route, un léger sourire aux lèvres avant de m'arrêter devant une large porte que l'on dévinait aisément blindée. Fouillant mes poches, je trouvais ma carte et je la fis glisser dans la fente adéquate. Il y eu un bip et la porte glissa doucement sur la droite.

"Il serait dommage de la louper, même si vous avez pu voir les pièces avant tout le monde."

Je fis quelque pas a l'intérieur avant de me retourner, un index sur les lèvres.

"Mais chut, c'est notre secret."

Et pourtant... L'honneur, la justice, des valeurs jadis primordiales pour moi et aujourd'hui, foulées aux pieds... L'époque avait changé, le monde avait changé, les valeurs également. Mais comment aurais-je pu lui dire que j'avais connu un siècle où cela était plus important que tout? Que l'on mourrait pour l'honneur, le sourire aux lèvres? Une vision que les européens avaient beaucoup de difficultés à comprendre. Elle était coréenne, cela devait être plus naturel pour elle. Même si les Samouraï étaient censés avoir disparus depuis le milieu du 19e siècle et que leur principes avaient été repris par les kamikazes lors de la seconde guerre mondiale et que je risquais de passer pour un fou à parler de ça.

Je la suivis donc, non sans lui avouer que la surprise du jour, c'était bien ma rencontre avec elle. Peut-être avais-je été trop franc, car elle s'arrêta et me regarda étrangement, comme si elle cherchait à jauger la sincérité de mes paroles mais aussi mes intentions à son égard. J'avais raison, cela ressemblait à de la séduction de bas étage, chose que je voulais éviter. Je n'avais jamais été un charmeur. Je soutins calmement son regard et elle consentit finalement à répondre.

"Davantage que vous ne pouvez le concevoir Yue Hue."

Je marquai une pause, avant de reprendre, malgré moi :

"Désolé si cela vous semble de la drague de bas étage. Ça n'en est pas."

Enfin, j'essayais de lui être agréable et de la séduire, bien sûr, mais ce n'était pas une technique de drague bien huilée... Juste des paroles peut-être maladroites tant cela ne m'était pas coutumier. Elle ouvrit une porte à l'aide d'une carte magnétique et m'invita à entrer, avant de se retourner et de m'enjoindre à conserver ce secret juste pour nous. un vrai sourire illumina mon visage cette fois... un secret à partager. Anodin, comparé à celui que je détenais et qu'elle ignorait encore.

"Je serais muet comme une tombe à ce sujet."

Effectivement cela ressemblait a de la drague de bas étage. Je n'étais pas sensible a ce genre de rentre dedans aussi subtile qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Ce 'nétait pas la première fois que l'on m'abreuvait de jolis discours, déblatérant des mots tout fait, des formules banales et il était parfois étonnant de constater que certain pensait que cela marchait encore. Ce n'était pas vraiment le cas, bien souvent, je coupai court d'une manière franche mais polie. Seulement là, je me demandais si c'était réellement de la drague ou juste une manière maladroite pour lui de m'informer de son intérêt pour moi. Encore faudrait il qu'il soit intéressé déjà et cela, je n'en savais rien, tout comme j'étais incapable de dire pourquoi j'aimerais qu'il le soit. Oh j'avais eu des petits amis, c'est vrai, on avait pu me séduire de manière originale ou loufoque, mais je crois que j'étais plus sensible a sa manière a lui et a ses excuses, je failli répliquer que c'était dommage...Mais pour qui passerais je ? Évidemment...Alors je me contentai de sourire avec amusement.

"J'ose espérer que vous êtes plus original effectivement."

Après tout, il était plus que séduisant, grand, bien fait, je me doutais qu'il devait être l'objet de bien des fantasmes féminins même si j'étais incapable de comprendre pourquoi cette idée me déplaisait. Cette rencontre était par bien des cotés totalement irréelle, de même que mes pensées ou mes réactions, songeais je en ouvrant la porte des entrepôts sécurisés du Musée. Là encore, je faisais une bêtise même si j'en prendrais la responsabilité mais avouons le, je n'avais pas envie qu'il me tourne le dos, ni de le voir partir.

Il sourit a ma plaisanterie. Mais un vrai sourire qui me chamboula totalement et j'eus l'impression que mon coeur allait lacher avant de reprendre sa course folle et débridée. Bon sang ! Décontenancée et ayant du mal a retrouver le fil de la conversation, je lui fis signe de me suivre a travers un dédale d'étagères poussiéreuses remplies d'objets a la valeur marchande moindre mais chargé d'histoire.

"Vous connaissez l'Ere Kyõwa ?"

demandais je en ouvrant une seconde porte, toute simple celle là, sur mon équipe occupée a guider des livreurs transportant des caisses avec précautions.

"Excusez moi deux minutes."

fis je avec un léger sourire avant d'aller rejoindre Stuart pour lui confier la liste en lui demandant de vérifier a chaque ouverture de caisse. De toute manière, je connaissais cette liste par coeur, puis je revins auprès de Ryu. Levant les yeux sur son visage, j'eus un léger sourire.

"Évidemment, ils n'auront pas la beauté qu'ils auront durant l'exposition mais, si je ne m'abuse, chaque pièces est magnifique."

"Pour être sincère, je n'ai guère loisir de m'y exercer."

Comprenez par là que je n'étais pas du tout ce genre d'homme. Je ne l'avais jamais été et je ne le serais jamais. Il y avait bien eu des femmes qui m'avaient plu après Amaya, mais jamais jusqu'à faire battre mon cœur, jamais jusqu'à me rendre infidèle. Infidèle à sa mémoire, à notre amour à peine consommé. Ce n'était pas toujours évident, mais mon éducation stricte, le Samouraï que j'étais avait réussi à se préserver de toute tentation, de tout plaisir charnel. Je ne voulais qu'elle, je ne voulais m'offrir qu'à elle. Il y avait eu beaucoup de femmes éconduites, surtout à cette époque où elles étaient plus libres et m'abordaient sans complexes.

Je la suivais à travers le musée, la laissant ouvrir la porte sécurisée, mon regard détaillant son dos, sa silhouette, mise en valeur par le tailleur. Fine, mais musclée, elle devait s'exercer à quelque sport. J'avais terriblement envie de la connaître, de savoir quelle était sa vie, ce qu'elle aimait, ce qu'elle détestait... Tout. Je devais réapprendre à la connaître, pour être exact, car Yue Hue était forcément différente d'Amaya, mais non moins intéressante.

Elle fit de ce petit moment un secret et cela m'amusa suffisamment pour que je me détende complètement et souris spontanément, une chose que je ne faisais plus guère. Déjà auparavant, il n'y avait qu'Amaya pour m'arracher ces sourires, bien loin de mon visage austère et de ma mine grave. Je lui emboitai le pas à travers une série d'étagères et je ne pus m'empêcher de tout observer. L'ère Kyora... Je l'avais connue oui. Disons plutôt que j'étais né durant cette ère, qui s'était achevée deux ans plus tard. Très courte. Connu était un bien grand mot donc.

"Succédant à l'ère Kansei, précédant l'ère Bunka. 1801-1804."

3 ans, 3 petites années. Pourquoi s'intéressait-elle à cette ère en particulier, celle qui m'avait vu naître? Qui avait vu naître Amaya également. J'étais en proie à ces questionnements alors qu'elle s'éclipsait et revenait discrètement.

"Je n'en doute pas. Vous faites un métier passionnant. Vous remontez le cours de l'histoire à chaque pièce découverte. Vous arrangez chaque trouvaille pour la sublimer et partager vos connaissances. Pourquoi l'ère Kyōwa ?"

Pourquoi avais je cette impression intense de soulagement. Comme si une chape rassurante venait de glisser sur mes épaules, m'apportant sourire et rire au creux de mes iris sombres. Ces quelques mots avaient ils ce pouvoir de faire naitre larmes ou rires ? Ces mots à lui auraient ils se pouvoir sur moi ? Un murmure caché si loin au creux de moi m'apporta une réponse suave que je ne pouvais accepter car irréelle. Je ne préférai pas répondre, ayant peur que ce qui m'agitait sans que je ne puisse le contenir ne naisse dans ma voix. Une jalousie irrationnelle, qui n'avait pas lieu d'être comme un soulagement intense, une évidence qu'une partie de moi rejetait.

Au lieu de cela, je le conduisit a travers les dédales des entrepôts, a travers le temps avec cette sensation étrange de le remonter, lentement, doucement, comme une montre qui tournerait a l'envers, implacablement, malgré les résistances que je pourrais lui opposer. Une terreur bizarre qui s'éveillait en moi, opposé a l'envie de l'avoir a mes cotés...Comme ce sourire que j'aurais voulu mien a jamais soudainement, comme ça. Qui me troubla au point que je faillis bredouiller comme une adolescente. Mais je parvins a garder une certaine maitrise sur moi, lui demandant si il connaissait cette période, très courte au demeurant...J'eus une petite mimique de surprise en entendant sa réponse.

"Etes vous un connaisseur vous aussi ? il est rare que les gens se souviennent de ces petites périodes mais selon moi, c'est très dommage, bien que courtes, elles eurent leur impact sur l'histoire malgré tout."

répondis je avec un sourire admiratif devant ces connaissances, bien que je puisse me tromper et qu'il ne se souvienne juste de ses cours d'histoire bien évidemment.

Sa question suivante m'amena a réfléchir, laissant un léger silence s'installer avant que mon regard ne tombe sur une boite faite de bois noir, vernie, peinte a la main avec grâce et minutie. Je m'en approchais, enfilant au passage une paire de gants laissée sur une table avant de me saisir de cette boite, étrangement familière depuis que je l'avais vu un après midi d'ennui a Tokyo. J'ignorais le regard surpris de Stuart et revint auprès de Ryu, portant la boite a son regard.

"Elle a cent cinquante ans selon nos estimations. Elle ne vient pas de la dynastie Ming c'est un fait, mais elle reste un vestige de l'ouverture du Japon a l'occident. Bien que courte, cette période fut cruciale pour l'histoire nippone et empreinte de beaucoup de contes et légendes. Je ne sais pas quelle est l'histoire de cette boite, ni même ce qu'elle contint un jour, mais il suffit de la regarder pour laisser son imagination prendre le pas sur le réel. Sans doute était ce une boite a bijou, ou encore a secret, comme cela se faisait beaucoup a l'époque, mais plus que cela, on voit qu'elle n'a pas été faite par un maitre, non. Trop rugueuse sans doute, trop primaire et malgré tout, elle recèle une beauté peu commune."

je souris légèrement.

"Je suppose que c'est pour cela que je m'intéresse a cette ère."

"Un connaisseur? On peut dire cela oui... j'ai un certain savoir sur le Japon du 19e à nos jours."

De l'avoir vécu, d'avoir assisté à tous ces changements, ne pouvait que me rendre connaisseur, effectivement, plus qu'elle ne le serait jamais, malgré toutes ses études. Mais j'étais tout à fait enclin à lui révéler bien des choses que les livres d'histoire ne relataient pas, qu'on ne trouvait pas sur internet, une foultitude de petites anecdotes. J'étais curieusement flatté de voir sa surprise et son admiration devant ma réponse. Flatté de trouver grâce à ses yeux, de lui sembler intéressant. Que ce serait-il passé si elle ne s'était pas intéressée à moi? Si je lui avais semblé quelconque? Je n'osais même pas l'imaginer.

Je lui demandai pourquoi cette passion pour cette ère qui n'avait duré que quelques années. Elle ne répondit pas de suite, enfilant des gants et me montrant une petite boite dont elle commença à me retracer l'histoire, laissant son imagination vagabonder. Je souris doucement, pendu à ses lèvres, impressionné à mon tour par l'éclat de son regard alors qu'elle parlait, de la passion qui l'animait toute entière et la rendait tellement vivante.

- "Pour ses imperfections?"

Mon sourire était amusé.

"Je peux vous emprunter vos gants ? Je pense que j'ai quelque chose à vous montrer."

Elle me regarda, sceptique, se demandant si elle pouvait réellement confier un objet d'une telle valeur à un quasi inconnu. J'attendis patiemment et elle finit par reposer la boite et retirer les gants pour me les tendre. Je comprenais qu'il faille manipuler ces objets avec précaution dans l'enceinte d'un musée. Avec une extrême douceur, j'examinai la boite, avant de trouver ce que je cherchais. Un petit mécanisme qui permettait d'ouvrir un compartiment secret. Compartiment où il résidait toujours des mots doux, que je n'osai toucher tant le papier pouvait être friable.

"Elle contenait des secrets, sans doute dissimulés par les bijoux. Voici sans doute une preuve d'un amour vieux de 150 ans."

Je connaissais ce genre de boite et Amaya également. Elle y avait dissimulé mes propres déclarations. Je reposai la boite, avant d'ajouter :

"J'espère que vous ne m'en voulez pas d'avoir prouvé son usage alors que vous semblez apprécié imaginer."

"Intéressant, vous avez étudié ou ce n'est qu'un passe temps ?"

Demandais je, curieuse malgré moi, impressionnée aussi alors que cela était sans doute normal pour lui de s'intéresser au passé de son pays. Bien que je sois calée en histoire coréenne, j'avouais sans honte avoir privilégié le Japon, sans vraiment savoir pourquoi. Les cultures étaient différentes et en même temps, similaires. Puis ce fut a moi de m'emballer, prenant comme exemple une petite bois d'ébène travaillée a la main. On voyait bien qu'elle n'était pas une oeuvre majeure, mais elle était chargée d'histoire intime, parfois, je me demandais ce qu'elle avait vu, bien a l'abri sur une coiffeuse ou sur un petit coffret, quel était les secrets qu'elle détenait. Je n'avais pas réellement conscience de l'éclat de mes yeux, ni même de l'accent passionné de ma voix tandis que je parlais, un sourire aux lèvres.

"Oui, ses imperfections. Aucune histoire n'est parfaite, sinon, elle serait ennuyante. Tout est jalonné de guerre, de passion, rien n'est linéaire, c'est terriblement passionnant."

Je lui jetais un regard surpris lorsqu'il réclama mes gants, battant légèrement des paupières avant de risquer un coup d'oeil sur Stuart. j'étais sa supérieure, certes, mais ce que je faisais était clairement hors des règles, mais il ne semblait pas vraiment faire attention a moi, alors je déposai la boite sur une petite table, retirai mes gants que je lui tendis, l'observant tandis qu'il les enfilait a son tour avant de se saisir avec précaution de la boite. Curieuse, je me penchai sur ce qu'il faisait. Il manipulait la boite avec une connaissance que je ne lui aurait jamais deviné avant d'ouvrir un petit compartiment secret, ce qui me fit doucement rire.

Il y avait encore des lettres dans le compartiment et je levai un regard pétillant dans le sien.

"Bien vu. Le scanner avait détecté cela mais étant donné que ce n'est pas un objet majeur, Tokyo n'a jamais cherché a l'ouvrir, quel dommage."

Sans doute demanderais je au compartiment de restauration de s'occuper des lettres, elles seraient de toute premier ordre a exposer.

"Pourquoi vous en voudrais je ? J'ai beau être imaginative, je n'en reste pas moins très curieuse, je ferais analyser les billets et ce qu'ils contiennent accompagnerons cette boite, a partir de là...On peut toujours imaginer ce qu'il s'est passé non ?"

répliquais je avec un demi sourire amusé.

"Ce n'est qu'un passe temps, je suis loin d'avoir un bagage intellectuel aussi important que la responsable de l'exposition."

Je ris légèrement en disant cela. Pas tout à fait la vérité, pas tout à fait un mensonge. Je ne pouvais décemment pas lui avouer avoir vécu toutes ces ères et donc les connaître parfaitement. Je n'avais rien étudié du tout, mais ce n'était pas tout à fait un passe temps non plus. Je détestais avoir à lui mentir, à elle, mais j'y était malheureusement contraint pour le moment.

"Passionnant..."

Mon regard se détacha d'elle. La guerre, la passion... Oui, sans doute cela excitait-il l'imaginaire pour qui ne l'avait pas réellement vécu. Yue Hue devait en avoir une image romanesque, quelque peu éloignée de la vérité. J'avais connu la guerre, j'avais connu la passion. Et cela n'avait rien de passionnant comme elle le disait si bien, c'était juste terriblement tragique.

"C'est une façon de voir les choses."

Je préférai me concentrer sur sa trouvaille, lui demandant ses gants pour lui exposer un secret. Peut-être n'y avait-il rien dans la boite, peut-être que si, le seul moyen de le savoir était de l'ouvrir. Ce que je fis peu de temps après, révélant des lettres, abimées par le temps. Quelque part, il était étrange de penser que nous révélions un vieux secret.

"On peut imaginer oui..."

Je l'interrompis un instant, avant de demander, curieux :

- "Vous déterrez des objets anciens ayant appartenu à des gens décédés depuis longtemps. Cela ne vous semble jamais étrange? Ne vous faites-vous pas l'impression de violer leur intimité, leurs secrets?"

Un léger rire passa mes lèvres.

"C'est de la flatterie ?"

demandais je avec un soupçon de malice dans la voix. Je n'y croyais qu'a moitié parce qu'il n'avait pas l'air d'être du genre a lancer des compliments a tout va, du moins, je le sentais, parce qu'au final, je ne connaissais rien de lui, ou de ce qu'il pensait. Comment pouvais je être sure de quoique ce soit le concernant ? Pourtant, c'était comme une certitude qui s'imposait.

Je fronçais légèrement les sourcils.

"Vous avez l'air d'avoir un avis différent, puis je savoir lequel ?"

Pour moi, l'histoire était passionnante oui, peuplée de sang, de barbarie, je n'étais pas dupe bien sur, mais combien même, il y avait des aspects absolument magnifique et beau. Je penchais légèrement la tête sur le côté, curieuse de savoir ce qui pouvait tourner dans son esprit et qui m'échappait. Il avait un visage très beau mais c'était un peu comme un masque qu'il portait, du moins, en avais je la sensation confuse.

Mais j'oubliais bien vite tandis qu'il se penchait sur la boite, en révelant le trésor. Des lettres. Je ne savais pas ce qu'elles pouvaient contenir mais...Je les ferais traduire et les exposerait, comme un témoignage d'un temps passé.

Je haussais un sourcil a sa question avant de hocher lentement la tête.

"C'est vrai, on pourrait le voir ainsi. Mais je ne me vois pas comme une violeuse irrespectueuse, plutôt comme un témoin privilégié."

Je me détournai quelque peu, faisant signe a une jeune femme en pantalon de s'approcher avant de lui tendre la boite et de lui demander de la faire transmettre au service de restauration.

"Et puis, qui n'aime pas laisser sa marque dans l'histoire ?"

Je fis la moue quand elle demanda si c'était de la flatterie.

"Plutôt un compliment... Je n'aime pas la connotation que l'on donne à la flatterie, dans le but d'amadouer quelqu'un ou d'obtenir quelque chose de lui. C'était sincère et totalement gratuit."

Je me fendis d'un petit sourire pour appuyer ma sincérité, sourire qui se fana quand elle parla de guerre et de passion. Je n'étais pas tout à fait de son avis, pour avoir vécu quelque chose de tragique dans ces conditions, je ne trouvais pas cela aussi romanesque qu'elle et elle le remarqua bien évidemment. Je la regardais longuement, sans répondre dans un premier temps, les yeux insondables, noirs, avant de finalement déclarer lentement :

"J'ai connu une folle passion, mais elle était mariée. Je n'ai jamais pu l'aimer comme elle le méritait."

Je n'insistai pas à ce sujet. Encore une fois, j'énonçais la vérité, mais pas entièrement. Pourtant, je l'avais effectivement mal aimée. Une seule fois j'avais goûté son corps et cela nous avait été fatal. Si j'avais été plus fort, je me serais éloigné d'elle, je n'aurais jamais cherché à l'approcher si près. Azraëlle avait été celle qui m'avait fait perdre toute raison. A dessein.

"L'histoire est jalonnée de guerres sanglantes, d'hommes manquant à leurs femmes, à leurs mères, à leurs filles, de meurtres, de viols. Intéressant sans doute, mais sordide. Par avidité, cupidité, orgueil. Le simple reflet d'une humanité déficiente."

Avec délicatesse, je m'emparai du coffret et en révélai les secrets sous le regard émerveillé de Yue Hue. Oui, dommage que Tokyo ne se soit pas intéressé à ces écrits.

"S'ils étaient en bon état, je pourrais sans doute vous les déchiffrer."

Je m'enquis alors de son sentiment en violant ainsi des secrets ayant appartenu à d'autres, en touchant des objets qui avaient sans doute eu une signification symbolique pour leurs propriétaires. Elle se voyait comme un témoin privilégié.

"Ne pensez-vous pas que les momies auraient du rester dans leurs cercueils, leurs effets personnels dans leurs tombeaux? Cela ne vous gênerait-il pas qu'une partie de votre vie soit ainsi déshumanisée et exposée à la vue de personnes ne comprenant pas leur signification, leur portée?"

Moi si et j'eus un petit sourire triste quand elle me demanda qui ne souhaiterait pas marquer l'histoire.

"Et dans quel but Yue Hue?"

Un léger rire, un peu timide, s'échappa de ma gorge alors qu'il m'assurait que là n'était pas flatterie, juste un compliment.

"Dans ce cas...gamsahabnida*."

fis je avec un léger sourire amusé avant que le sujet de notre conversation ne s'assombrisse doucement. J'évoquais mon amour de l'histoire d'une manière sans doute trop rêveuse, même si je n'étais pas naïve au point d'en oublier les horreurs parfois. Mais il n'avait pas l'air de mon avis, ne contemplant que le côté sombre, terrible de l'horreur humaine. Mon regard s'adoucit quelque peu alors que je hochais la tête négativement, presque déstabilisée par son regard insistant, trop profond, trop sombre et tourmenté. Il y avait comme une souffrance muette dans ses iris noires et, bizarrement, j'avais la sensation d'un écho lointain.

"Vous l'avez aimée...C'est déjà un cadeau en soi."

Mais je voyais bien qu'il ne voulait plus s'étendre sur le sujet alors qu'il continuait. Je fronçais légèrement les sourcils, un sourire amusé aux lèvres.

"Non pas d'une humanité déficiente, juste de l'humanité. Je ne me leurre pas vous savez mais si vous ne vous arrêtez qu'a cela...Oubliez vous l'invention de l'écriture ? De la poudre ? De la science astrale ? Des stratégies géniales d'Alexandre le Grand ? Les élans patriotiques des Irlandais ?...Ne voyez pas juste le coté négatif."

répondis je tranquillement, une étincelle sereine logée au creux de mes iris aussi noires que les siennes.

Le coffret passa de mains en mains et voir le compartiment secret s'ouvrir me fit sourire largement. J'étais curieuse oui, je l'avouais sans honte mais aussi terriblement surprise qu'il puisse traduire un texte vieux d'un siècle et demi. Quoique, les idéogrammes n'avaient guère changés au court des siècles.

"Cela aurait été avec plaisir, malheureusement, il vaut mieux laisser faire le service spécialisé en la matière si nous ne voulons pas voir ces billets disparaitre en poussière."

fis je avec regrets alors que j'envoyais la boite au service en question, ne pouvant réprimer ma surprise a sa question. je pris le temps d'y réfléchir avant d'y répondre, m'attirant une autre série de question.

"Les momies sont un mauvais exemple savez vous ? Ramses II a subit plus d'un outrage avant d'être exposé ici, vol, détérioration, lorsqu'il a été restauré a Paris, il fut accueillit comme un véritable roi, pensez vous que cela soit lui manquer de respect ? Pourquoi les déshumaniser ? Chaque mot écrit est la preuve d'une vie et rare sont les personnes qui n'en comprennent pas le sens, ceux là évitent les musés bien souvent....Dites moi Ryu, pourquoi venez vous ici ?"

répliquais je avec un sourire, le regardant avec plus d'intensité, je ne savais pas comment ni pourquoi, mais je me laissais porter par notre conversation, opposant des arguments aux siens avec une aisance qui me surprenait. Parler ainsi avec un inconnu n'était pas réellement dans ma nature et pourtant, je me prenais au jeu.

"Le souvenir, Ryu, le souvenir, tout simplement."

J'inclinai légèrement la tête quand elle rit de ma défense et me remercia du compliment. Jolie et la tête bien faite. Je ne pouvais rêver mieux comme incarnation de mon aimée. J'aimais les femmes qui avaient de la conversation, de la répartie et des choses à m'apprendre. Même s'il était difficile de m'apprendre encore quoique ce soit. Cela arrivait pourtant, surtout dans des domaines que je ne maîtrisais pas ou auxquels je n'avais jamais cherché à m'intéresser.

Je n'aurais sans doute pas du lui livrer mon point de vue sur l'histoire. Point de vue sans doute entaché de ma propre histoire personnelle. Et qui donnait à la conversation un tour beaucoup moins badin et plus sombre. Si ça, ce n'était pas une preuve que je n'étais pas un simple séducteur du dimanche... Sinon, je devais vraiment revoir ma technique, parce que je doutais que c'était ainsi qu'il fallait s'y prendre.

"Peut-être."

Est-ce que l'aimer avait été suffisant? J'aurais aimé m'en convaincre, mais j'avais l'impression que pour un bref bonheur, il ne restait que des années des remords. Je souris malgré moi quand elle me lista quelques inventions qu'il aurait été dommage de ne pas citer. Et qui étaient des exemples du génie de l'homme, transmis à travers les siècles. De son courage aussi. Mais humain, je ne l'étais plus depuis longtemps, peut-être avait-elle raison, j'étais trop négatif.

"Vous avez sans doute raison Yue Hue. Je vois le verre à moitié vide quand vous le voyez à moitié plein. Gomèn Nasaï."

Je ne souhaitais pas assombrir son bel optimisme et au final, il était plutôt communicatif. Je m'intéressai donc à la fameuse boite et à ses écrits encore secrets, mais dont on pouvait deviner la nature : un échange entre deux amoureux, un fiancé à celle qu'il aimait, peut-être un amant et cela me rappelait trop violemment nos propres échanges interdits. Me forçant à une question qu'elle ne pouvait pas réellement comprendre. J'aurais détesté que 150 ans plus tard, quelqu'un lise mon amour pour elle et qu'il soit exhibé à la vue de tous.

"Les morts doivent rester dans leurs tombeaux. C'est de la violation de sépulture, que cela soit par curiosité intellectuelle ou par simple vandalisme cupide. Aimeriez-vous que votre dépouille soit exposée à la vue de tous? Que ce que vous avez écrit pour votre amant, dans la peur d'un mari jaloux soit révélé plusieurs siècles plus tard à des touristes curieux?"

Elle me demanda alors pourquoi je venais ici et je ne répondis pas, regardant autour de moi. Pas pour découvrir d'autres civilisations. Je savais que c'était important que nous sachions ce qui nous avait précédé, que nous comprenions et qu'il fallait les musées et les historiens pour cela. Mais cela me dérangeait.

"Je dois vous paraître radical et obtus, mais ce n'est pas le cas. Je comprends la nécessité de tout cela, pour transmettre le passé, le comprendre, écrire notre présent. J'espère ne pas vous offenser."

Sa réponse à la question à laquelle je n'avais pas répondu me plongea dans la contemplation alentour, alors que je répondais d'une voix lointaine :

"Ou la nostalgie d'une époque qui fut et ne sera plus jamais."

Je souris légèrement, la regardant de nouveau.

"A moins que ce ne soit le destin qui m'ait fait entrer dans ce musée aujourd'hui."

"Ne vous excusez pas pour ça, j'admets que chacun ai sa propre impression ou son propre avis, même si j'avoue aisément chercher bien souvent a le faire changer"

répondis je avec un petit sourire malicieux. parce que oui, j'adorais discuter a bâton rompus, débattre aussi, ce que les incultes nommaient de la masturbation cérébrale, mais ce n'était pas cela. C'était avant tout un échange entre deux individus et j'adorais cela. Je devais bien avoué que j'étais servie avec Ryu.

De même que je fus surprise de le voir connaitre un mécanisme vieux de plus d'un siècle. C'était surprenant, agréablement surprenant même et mon intention d'exposer les lettres nous amena sur une autre discution, tout aussi passionnante que la première d'ailleurs. J'écoutais avec attention ce qu'il disait, perdant la notion du temps d'ailleurs mais mon équipe pouvait se débrouiller sans moi n'est ce pas ? Alors au lieu de les superviser, je restai là dans un coin, discutant sans me préoccuper du monde extérieur, uniquement lui. C'était assez étrange en soi mais je m'y laissais prendre sans chercher a m'en défaire.

"C'est plutôt radicale comme position savez vous. Mais la cupidité ou la curiosité font parti du monde."

Je croisais légèrement les bras, fronçant les sourcils devant ces questions qui me poussaient a la réflexion.

"Je ne sais pas, quand a mes lettres...Une infidélité doit demeurée cacher alors que des amants ne rêvent que de déclamer au monde ce qui les lie. Je ne me prononcerais pas pour mon corps, mais mes lettres...Cela serait comme une reconnaissance, le témoignage d'un amour porté et obligé d'être caché."

Finalement, ma question dût le plonger dans ses propres pensées et j'eus un fin sourire. Lorsque l'on venait au musée, c'était pour se recueillir sur le passé, pas pour s'en moquer ou par curiosité morbide.

"Il n'y a aucune offense ne vous en faites pas."

Je haussais un sourcil surpris lorsqu'il répondit enfin a ma question, je ne pensais pas qu'il le ferait et sa réponse provoqua un léger rire de ma part. Etrangement, je souriais ou riais beaucoup^depuis que je lui parlais. Sans doute avait il raison quelque part mais encore fallait il croire a la destiné. Mais l'histoire m'avait apprit que certaine chose arrive sans que l'on ne puisse les pressentir alors pourquoi pas ?

"Peut être."

"De le faire par la force des mots est une qualité."

Plutôt que par la force des armes. Combien de guerres nées parce qu'un peuple voulait imposer sa volonté à un autre? Yue Hue était intelligente, lettrée et savait faire preuve d'une réflexion qui me ravissait. Je pressentais qu'il était impossible de s'ennuyer un jour avec elle et j'avais besoin de cela pour continuer de vivre. Pour tomber amoureux de Yue Hue et pas seulement du souvenir d'Amaya.

"Je sais."

Elle me fit part pourtant de son sentiment concernant les lettres et je souris malgré moi à son avis sur le sujet. Je n'avais pas vraiment le même. J'aurais détesté que d'autres soient témoins de cet amour intemporel. Pas elle. Cela n'aurait pas du m'étonner. Pourtant, certaines infidélités condamnaient à mort. A l'époque. Les choses étaient bien différentes aujourd'hui.

"Vous êtes une romantique."

Ce n'était pas une critique, juste une constatation amusée. Un peu émerveillée aussi, sans doute. Elle gardait une part de naïveté touchante. Elle me demanda pourquoi j'étais entré dans le musée. Pas pour assouvir ma curiosité, pas comme tous les autres. Non, sans doute par instinct. Un tour du destin. Et je le lui dis, ce qui la fit sourire. J'aimais beaucoup son sourire. J'étais heureux de le susciter, comme elle faisait naitre le mien.

"Peut-être? Vous n'avez pas d'avis tranché?"

Elle était prudente. Plus scientifique que croyante. Et pourtant, elle discutait avec un ange, mort il y a plus de 150 ans et qui l'avait connue sous une autre enveloppe corporelle. De quoi ébranler son cartésianisme.

"En quoi croyez-vous Yue Hue?"

un éclat fier arrima mon regard, comme si le fait qu'il m'approuve était vital. Comme si son avis m'importait tellement que je ne pouvais passer outre. Mais je ne renchéris pas. J'étais ainsi, capable de comprendre les avis des autres, mais aussi de chercher a les ranger aux miens. Notre discution était passionnante a plus d'un titre.

"Si vous le savez, vous devez admettre que l'humanité ne change que difficilement et qu'il est préférable de composer avec ses travers, d'en détourner le sens pour en faire ce que nous voulons. L'histoire est avant tout la curiosité, mais il ne tient qu'a nous qu'elle soit malsaine ou émerveillée."

répondis je calmement, dardant un regard franc sur son visage. Visage qui ne cessait de me hanter quelque part, tant l'impression de l'avoir déjà vu se renforçait, d'en avoir déjà caressé les contours d'un doigt. C'était stupide.

Mon regard se teinta de malice alors qu'il me taxait de romantisme.

"Oui et heureusement, je veux pouvoir croire en l'amour éternel, le prince charmant et le crapaud."

Enfin, y croyais je vraiment ? Quelque part oui. Je ne sais pas pourquoi mais j'étais persuadée que quelqu'un m'attendait et je désespérais de le rejoindre...Même si l'impression que ma course venait de s'achever ne cessait de me hanter.

"Mmmh...Non, parce que la destinée est une croyance, non un avis...Pourtant....Je me dis parfois que rien n'arrive par hasard, il est des actes ou des rencontres qui ne peuvent s'expliquer autrement...Alors sans doute qu'une partie de moi y croit."

admis je en hochant doucement la tête, esquissant un sourire presque timide mais aussi rêveur ce qui expliqua sans doute ma réponse suivante. Je n'ai pas réellement réfléchit, pas vraiment pensé et ma bouche s'anima malgré moi.

"En vous..."

Ce n'était qu'un murmure presque absent alors que je venais de m'en rendre compte, ouvrant un peu plus les yeux de surprise avant de rebondir malgré mon trouble...

"En l'homme, l'humanité."

Et pourtant, je ne pouvais oublier ces simples mots...Croire en lui...