Noël approche | Wilha

    Ah, Noël... S'il y avait une date fameuse, c'était bien celle la. Il y avait une certaine beauté, dans les fêtes de Noël ; les familles se réunissaient, les amis faisaient la fête, les gens s'offraient spontanément des cadeaux... Enfin, spontanément, le poids des traditions y était pour beaucoup, mais le geste n'en demeurait pas moins agréable. Bien entendu, cette année encore, Orpha ne se donnerait pas la peine de se plier au diktat populaire et ne ferait plaisir à personne ; même si elle avait voulu, il n'y avait bien que ses fidèles qu'elle voyait un tant soit peu régulièrement et elle ne se voyait pas leur ramener un paquet cadeau juste avant un rituel. Malgré elle, l'enfant-démon esquissa un sourire amusé. Rien que pour voir leur tête, ça vaudrait presque le coup, en fait... Mais c'était risquer de perdre une grande partie de sa crédibilité et s'il y avait une chose qu'Orpha aimait, c'était être diablement crédible.
    Mais si, un jour, elle devait se débarrasser de ses fanatiques, c'était une mise en scène qui pouvait se tenir.
    Chassant de ses pensées les fêtes de fin d'années, elle en revint à ses moutons, promenant un regard avisé sur le bétail qui lui faisait face. Il y en avait pour tous les goûts. Des grands, des petits, des ronds, des maigres... des noirs, des blancs, des asiatiques, des blonds, des bruns... Orpha n'avait pas encore arrêté son choix. Elle avait vu un ou deux spécimens qui avaient attiré son attention mais elle préférait se laisser encore le temps de la réflexion. Après tout, rien ne pressait, le solstice n'était que dans deux jours. Tout le reste était déjà prêt, il ne manquait que la matière première. Et c'était toujours mieux de la garder fraîche, disait-on dans le milieu.
    « Petite, tu n'as rien à faire là ! » Surprise, la concernée s'arracha à la contemplation de la foule pour baisser le regard. Un vigile la regardait, hésitant entre air surpris et yeux méchants. Poussant un soupir, Orpha maudit le zèle de cet employé modèle ; rares étaient ceux qui levaient la tête et la démone avait cru que se percher en hauteur lui permettrait d'être tranquille. Peine perdue. « Descends de là tout de suite ! — pause, puis regard légèrement paniqué — ça va aller, tu veux que je vienne te chercher ? »
    Allons bon, voilà qu'il craignait qu'elle ne se blessât. Levant les yeux au ciel, la démone se laissa simplement tomber, faisant fi d'une discrétion pourtant élémentaire chez le commun des siens. Le pauvre homme ne put retenir un cri effrayé qui attira l'attention des badauds ; ces derniers n'eurent cependant que l'occasion de voir un vigile regardant avec des yeux ronds une pré-adolescente de quinze ans à peine. « Bonne journée ! » lâcha-t-elle d'une voix joyeuse avant de le planter là. Intérieurement, elle fulminait.
    Revenue sur le plancher des vaches, elle était contrainte de se mêler à la populace et, du fait de sa petite taille, se frayer un chemin dans la foule n'était ni agréable ni évident. Tout Londres semblait s'être donné rendez-vous dans ce centre commercial — le plus grand de la ville — et il lui tardait de sortir de cet « enfer ». Agacée, elle finit par jouer de l'épaule et même si Orpha n'était pas une démone particulièrement puissante physiquement, loin s'en fallait, elle était assez énervée pour envoyer valser n'importe quel mortel... en l'occurrence, une gamine d'une dizaine d'années à peine qui se retrouva sur les fesses sans pouvoir comprendre ce qui lui arrivait. Fort heureusement, elle ne se blessa pas. Elle allait pour continuer son chemin sans un regard pour sa victime mais déjà, les humains aux alentours les regardaient.
    Foutue journée.
    Afin de ne pas attirer l'attention plus que cela, elle s'approcha de l'enfant et lui tendit la main, pour l'aider à se relever. « Désolée, » lâcha-t-elle et, comme s'ils n'avaient attendu que ça, les curieux cessèrent de s'intéresser à la scène. Ah, la bonne conscience collective... Orpha allait abandonner la gamine là quand cette dernière lui saisit la main pour se relever. Le contact éveilla toute la curiosité de l'enfant-démon et pour cause : il lui semblait qu'elle était en face d'une potentielle. Une bonne raison de supporter un peu plus la foule et ses inconvénients. « Ça va ? »
    Cette dernière question semblait plus sincère que les excuses précédentes.

Wilha dut se rendre à l’évidence elle avait perdu Tom et Myriam et dans toute cette cohue elle allait avoir du mal à les retrouver si elle ne réussissait pas à mettre la main sur son portable. Soupirant, la jeune fille fit toute les poches de son manteau ainsi que celle de son sac mais elle ne put trouver aucune trace de son mobile. Elle avait dut le laisser tomber quelque part ou on lui avait volé et elle ne s’en était pas rendu compte. Il n’y avait plus qu’une seule solution, retrouver l’accueil. L’enfant leva les yeux au ciel et réprima un cri de frustration, elle n’avait toujours pas trouvé de cadeau pour son frère et son oncle. L’accueil se trouvait trois étages plus bas. Elle perdait du temps. La jeune Arlington se retourna mais pas le temps de faire un pas de plus avant de se retrouver à deux bons mètres de sa position initiale sur les fesses sans trop savoir comment elle avait atterrie là.

-Aouch.

L’enfant n’avait pas eu le temps de refermer correctement son sac et une partie de son contenu se trouvait autour d’elle, alors que ce qui ressemblait bien à une démone miniature la dominait de son mètre cinquante, l’air profondément irrité. La blonde semblait plus encline à laisser là la jeune humaine mais se ravisa sous les regards des gens alentour. L’adolescente tendit la main à sa cadette, en marmonnant un vague désolé. Ce geste agi comme une sorte de signal et la foule qui entourait les deux jeunes filles se désintéressa d’elles, comme par magie. L’humaine se saisit de la main tendu même si elle sentait que l’intention n’y était pas, elle avait besoin d’un peu d’aide alors… Un frisson couru le long de la colonne vertébrale de la jeune fille qui laissa une étrange impression à la jeune Arlington.

-Ca va ?
-Oui. Juste…

L’humaine se tourna vers le contenu de son sac éparpillé par terre.

-Un peu d’aide ne serai pas de refus.

    La petite humaine ne perdait pas le nord. Retenant le rictus ironique qui lui chatouillait les lèvres Orpha haussa simplement les épaules. Si elle n'avait pas été une potentielle, l'enfant-démon ne se serait pas gênée pour lui rire au nez et l'abandonner là, elle et son « un peu d'aide ». Mais voilà, les gens comme elle étaient assez rares pour qu'Orpha fit l'effort de se montrer agréable, au moins en apparence. Aussi se contenta-t-elle d'hausser les épaules avant de se mettre à genoux en même temps que sa petite victime. Elle l'aida. Pas beaucoup certes, et sans le moindre enthousiasme, mais elle lui tendit deux ou trois bricoles.
    « Tu m'as tout l'air d'une enfant pleine de bonne volonté. Course de noël ? » Elle ne prit pas la peine de s'intéresser à la réponse, forcément affirmative. Qui ne faisait pas ses courses de noël, autour d'eux ? L'espèce humaine était passionnante ; capable de se déchirer sans l'aide de quiconque — qu'il était facile, dès lors, d'invoquer les méchants démons, quand la véritable noirceur résidait déjà dans leur cœur ! — mais sincèrement désireuse d'apporter un peu de paix à son prochain. Malheureusement, l'être humain ne se souciait guère de ce qu'il ne connaissait pas personnellement. « Et donc, tu te promènes seule ? Courageuse. Je ne savais pas les enfants de cette époque si débrouillard, » lâcha-t-elle pensivement et, se rendit-elle compte, maladroitement. Tout du moins, si elle voulait donner le change... Mais Orpha n'aimait pas faire semblant de n'être qu'une pauvre gamine de quinze ans, banale et insipide.
    Elle n'était définitivement pas faite pour se fondre dans la masse ; c'était du gâchis, selon certains qui arguaient qu'elle avait pourtant le physique parfait pour cela. Dans l'Angleterre du troisième millénaire, personne ne se méfiait des enfants.
    « Une enfant de ton âge, ça doit croire à la magie, non ? Au surnaturel. Au père noël peut-être, » ajouta-t-elle et ses lèvres se tordirent en un sourire amusé. Elle aurait pu passer pour une pré-adolescente hautaine et arrogante, pleine de mépris pour cette enfant qui s'était dressée sur son chemin, à elle... qui qu'elle fût. Ce n'était pas si loin de la vérité, sinon que c'était bien toute l'espèce humaine qu'Orpha méprisait. Si seulement son corps avait pu avoir dix ans de plus, son existence aurait été parfaite.

La démone lui donnait une drôle d’impression, mais sa dernière question avait eu l’air plus sincère que ses excuses et cela avait intrigué l’enfant qui en avait profité pour lui demander de l’aide. Elle l’avait quand même bousculée, elle lui devait bien ça. L’adolescente apporta son aide à l’enfant, sans vraiment y mettre du sien.
Alors qu’elle lui tendait un stylo plume, la démone demanda à la jeune humaine si elle faisait ses courses de noël. La jeune fille répondit par l’affirmative, se demandant vaguement ce qui motivait cette question, la réponse ne semblant pas intéressé son interlocutrice plus que ça. Son oncle lui avait démontré que les gens font toujours les choses pour une raison, comme chacun des coups sur un échiquier. Bon la vie n’était peut-être pas comme un jeu d’échec mais le raisonnement pouvait surement être transposé, dans une certaine mesure.

-Et donc, tu te promènes seule ? Courageuse. Je ne savais pas les enfants de cette époque si débrouillards.
-Je… Euh… de cette époque ?

Wilha détailla la démone des pieds à la tête l’air un peu surprise. Elle ne savait pas trop quoi penser de celle-ci, il y avait vraiment quelque chose de pas normale chez cette démone. L’enfant avait pourtant failli répondre le plus honnêtement du monde mais la formulation un peu étrange de la dernière phrase de la blonde l’avait retenu au dernier moment.

-Une enfant de ton âge, ça doit croire à la magie, non ? Au surnaturel. Au père noël peut-être.
-Hey, s’insurgea l’enfant. Je suis plus jeune que toi mais quand même, ajouta-t-elle presque boudeuse.

Wilha eu l’intention de continuer mais parut soudain songeuse. Si… était-elle vraiment si jeune ? Est-ce que les démons et les anges vivaient éternellement ? Dans les livres et les histoires, ils semblaient pouvoir vivre vraiment très vieux. Est-ce que son oncle accusait plus d’année que ce qu’il paraissait ? Et cette démone ?

-Non je ne crois plus au père noël, mais j’aimerai croire en la magie.

Peut-être qu’elle existait, mais avec ce qu’elle savait ce n’était pas pour autant qu’elle vivait dans un conte de fée.

    « Cette époque, oui. Le vingt-et-unième siècle. 2012, » énuméra-t-elle comme si elle récitait sa liste de course. « Tous les siècles ne se valent pas. » La démone ne releva pas l'impertinence discrète de sa cadette, la réponse ne l'importait de toute façon pas. Si vraiment elle voulait cette potentielle, elle la prendrai et les mortels qui l'accompagnaient ne pourraient que se maudire de l'avoir perdue de vue.
    Enfin, elle ne se sentait guère de kidnapper quelqu'un aujourd'hui. Elle avait un objectif plus urgent en tête et elle ne désirait pas gâcher le solstice d'hiver qui approchait en s'éparpillant. Cela ne devait pas l'empêcher, pourtant, de s'assurer de pouvoir retrouver cette jeune demoiselle facilement. Elle avait déjà son petit idée sur la question mais elle était prête à sacrifier quelques minutes de son précieux temps pour en apprendre un peu plus. Décidant que les civilités d'usage avaient assez duré, Orpha amena le surnaturel dans la conversation avec ironie et mépris. L'enfant-démon était certes une bien piètre comédienne — par manque de talent ou d'envie, là n'était pas la question — mais ce n'était pas l'unique raison qui la poussait à se comporter naturellement avec sa jeune amie. Elle avait en face d'elle une potentielle, une humaine qui pouvait toucher naturellement au monde merveilleux du surnaturel, sans avoir besoin de l'aide d'un immortel. Certains potentiels passaient leur vie dans l'ignorance, d'autres apprenaient beaucoup à force de recherche, de chance et de patience. Que savait donc cella là ? Elle était jeune, indubitablement, mais il suffisait que sa mère fut aussi une potentielle et... À cette idée, Orpha se sentit presque saliver. Ces choses là arrivaient. C'était rare, mais c'était possible.
    « Tu aimerais ? » releva la pré-adolescente avec un sourire moqueur mais une lueur indéniablement intéressée dans le regard. « Que veux-tu dire par là ? Que tu rêves de magie pour égayer ta vie morose... ou que tu la vois sans vraiment vouloir y croire ? »
    Dans un cas comme dans l'autre, pensa la démone, elle pouvait l'aider. Bien entendu, Orpha ne se voyait pas comme un clown qui utilisait la magie pour rendre le sourire à une gamine trop triste. Mais lui faire quelques démonstrations pour commencer à travailler avec elle son talent latent... Ça, c'était envisageable. Avec, bien entendu, l'ultime étape qui consistait à se lier et de supporter ses quelques caprices le temps de lui voler son âme et ses dons. Elles avaient le temps, avant tout ça.
    « Tu penses toujours que je ne suis qu'une gamine insolente, dis-moi ? » demanda finalement Orpha avec un sérieux moqueur ; la démone ne pouvait pas savoir que le don inné de sa future victime déclarée était justement de percer à jours les êtres comme elle.

Wilha se demandait si elle avait un don pour tomber sur les célestes les plus dérangés ou si ils étaient tous comme ça. La jeune fille se rappela tout de même qu’elle n’avait discuté qu’avec trois autres célestes et qu’elle ne pouvait pas vraiment en tirer de quelconque déduction sur l’état mental des célestes, sachant que son oncle et Azie ne semblaient pas plus atteint que ça. Loin s’en fallait.

-Tous les siècles ne se valent pas.
-Si tu le dis, marmonna l’enfant.

La blonde ne parlait clairement pas comme une adolescente. Elle paraissait avoir à peine trois à quatre ans de plus que la jeune fille et cela ne justifiait pas de parler comme si elle avait traversé les siècles. Mais plus que sa façon de parler des siècles passés, c’était ce qu’elle disait du présent qui perturbait encore plus la jeune Arlington. La démone parlait de magie comme d’une chose risible mais il y avait quelque chose dans l’aura de celle-ci qui démentait ses paroles. Et même, le simple fait d’en parler devait surement rendre l’idée de magie importante, car du peu qu’elle connaissait des célestes, ils ne parlaient jamais sans arrières pensées, du moins quand vous ne compreniez pas du premier coup.
Ou alors elle se faisait des idées et elle se moquait simplement de sa cadette.

-Tu aimerais ? Que veux-tu dire par là ? Que tu rêves de magie pour égayer ta vie morose… ou que tu la vois sans vraiment vouloir y croire ?

Wilha dut se rendre à l’évidence, la démone ne parlait pas du tout comme quelqu’un qui aurait l’âge qu’elle affichait et elle se souvint que son oncle avait dit quelque chose à ce sujet. Mais plus que l’âge surement canonique de la prétendue adolescente, c’était son discours sur la magie qui perturbait l’enfant Arlington. Elle affichait un certain dédain quand elle en parlait mais pourquoi en parler et insister surtout.

-Un peu des deux je suppose, répondit prudemment la jeune fille.

La magie existait-elle ? Le fait même que les anges et les démons existent suppose-t-il que la magie existe ? Dans tout ce qu’elle avait lu, la magie avait des règles strictes, qu’elle soit bénéfique, maléfique ou qu’elle ne soit qu’un outil et l’existence de créatures mythiques n’entrainait pas toujours celle de la magie…

Serait-ce vraiment prudent de continuer dans cette voie, de se poser de telles questions ? Son oncle lui avait dit que les démons étaient ce que l’on s’imaginait, qu’ils n’étaient pas tous mauvais mais ça voulait dire que certain pouvait l’être.

-Tu penses toujours que je ne suis qu’une gamine insolente, dis-moi ?
-Je n’ai jamais rien dit de tel et je n’ai jamais vraiment pensé que tu étais une gamine, plaisanta l’humaine. De nous deux, c’est surement moi qui suis la plus gamine des deux.

    Orpha fit la moue, soudainement pensive. Qui qu'elle fût, cette brave petite potentielle avait le don pour les réponses ambiguës. Un peu des deux, avait-elle dit... ou comment ne rien dire du tout. Un peu comme ce normand que l'enfant-démon avait connu, incapable de répondre autrement qu'avec son fameux p't'être bin qu'oui, p't'être bin qu'non. Elle s'en arrachait encore les cheveux. « En effet, approuva-t-elle. Une gamine qui aime tourner autour du pot, qui plus est. »
    Les mortels continuaient de déambuler autour d'eux dans leurs ridicules courses de Noël. Le cadre n'était pas forcément idéal, pour une démonstration. D'un autre côté, cela faisait plusieurs décennies qu'elle n'avait pas déclenché une panique générale. Malgré elle, elle sourit au souvenir de Budapest et elle chercha un instant du regard un quelconque équidé. Peine perdue, l'époque ne s'y prêtait pas. C'était bien dommage, elle avait fait un malheur, à l'époque.
    L'air de rien, elle posa sa main sur sa nuque, comme pour la masser, et laissa ses doigts glisser jusque dans son dos. Là, sa peau rencontra la lame aiguisée de sa dague sacrificielle, ce petit jouet qu'elle ne quittait jamais, et s'y frotta assez pour que perlât quelques gouttes de sang. Le picotement de la guérison s'allia bien vite à celui de la blessure elle-même et quand elle mit sa paume devant ses yeux, il n'y avait déjà plus de plaie, seulement un peu de sang. « Regarde, » intima-t-elle à sa cadette alors que le sang semblait prendre vie, dansant autour de son doigt avant de venir s'arrêter au milieu de son bras. Là, il se sculpta sous l'effet de sa volonté et prit la forme d'un chat. À peine plus grosse qu'un dé à couvre, la bête sembla miauler avant de s'étirer et de remonter le long du membre de la démone. Il se logea finalement sur son ongle et l'enfant-démon le regarda un instant avec affection avant de le porter à ses lèvres et de le récupérer du bout de sa langue.
    Son sang était toujours aussi délicieux.

Wilha devait admettre qu’elle n’essayait pas vraiment d’être claire et qu’elle noyait gentiment le poisson, mais elle n’avait pas vraiment confiance en cette démone. L’enfant ne savait pas trop pourquoi mais elle avait toujours suivi son instinct et ce n’était pas maintenant qu’elle ferait exception. Et puis elle ne savait pas vraiment mentir donc il fallait bien qu’elle dise la vérité sans la dire. Elle ne pouvait pas non plus dire à une parfaite inconnu qu’elle pouvait voir l’aura des célestes et différencier les démons des anges d’un simple coup d’œil, cela ne semblait pas très sage.
Alors que la démone semblait se poser des questions existentielles, la jeune fille tourna la tête vivement. Elle était certaine d’avoir aperçu Myriam mais quand elle avait tourné la tête, elle ne vit pas trace de la jeune femme. Cela rappela à l’enfant qu’elle n’était pas venue là pour parler magie avec une démone mais pour ses cadeaux de noël, il fallait qu’elle trouve un moyen de s’esquiver et retrouver Tom et Myriam. Là ! Tom était juste à l’étage au-dessus accompagné par un vigile…

-Regarde.

Reportant son attention sur la démone, elle s’apprêtait à lui annoncer de but en blanc qu’elle devait y aller mais ce qu’elle vit la retint. L’enfant Arlington n’était pas certaine de ce qu’elle avait vu, toutefois une chose était certaine, elle ne se souvenait pas de quoi que ce soit qui se transforme en chat et commence à gambader tout seul dans la paume des gens.
Le plus perturbant pour l’enfant n’était pourtant pas le fait qu’elle veniat de réaliser que c’était du sang qui gambadait sous forme de chat mais que la démone appréciait vraiment celui-ci. Elle n’arrivait jamais à lire les émotions de tous les jours de son oncle. La plus part du temps il fallait que ce soit vraiment une émotion forte, très forte et celle-là elle l’avait lu comme si elle était écrite noir sur blanc, effrayant.
L’enfant eu quelque mal à se ressaisir avant de finalement retrouver sa voix…

-Je savais que vous pouviez guérir mais…

… Peut-être aurait-il était mieux qu’elle ne la retrouve pas avant son cerveaux. La jeune fille resta la bouche ouverte un instant, un peu surprise et pas très rassurée quant à la réaction de son interlocutrice, avant de refermer la bouche et d'essayer de se ressaisir.

    « Je savais que vous pouviez guérir mais... » Orpha eut un haussement de sourcil révélateur. Elle ne pouvait pas de fait être plus surprise par les paroles à demi murmurées de sa jeune amie. L'enfant-démon posa ses mains sur ses hanches et prit une petite expression contrariée. « Vous, hein ? Mais on dirait que nous avons là une enfant qui en sait plus qu'elle le devrait. »
    Qui qu'elle fut, la gamine savait pour les démons ; elle ne connaissait peut-être pas leurs noms, mais au moins connaissait-elle leur point commun : la faculté de guérir. Soit dit en passant qu'Orpha en usait rarement, mais ce n'était là qu'un détail. Ce n'était pas forcément bon pour la démone, cela voulait dire qu'elle avait déjà été en contact avec un monde dont elle aurait dû tout ignorer. Cela voulait dire qu'Orpha passait après quelqu'un et c'était potentiellement dangereux si le quelqu'un n'était pas n'importe qui. Si l'enfant-démon avait survécu aussi longtemps, malgré ses petites particularités, c'était parce qu'elle avait fait tout son possible pour ne pas faire de vague sur le plan supérieur. Elle terrorisait les humains et ça lui suffisait largement.
    « Qu'est-ce que tu me caches, petite mortelle ? » demanda-t-elle. Son sourire cachait sa contrariété. « J'ai été plutôt honnête avec toi, non, j'apprécierai que tu me rendes la pareille.
    — Elle est là ! » Avec un grognement, Orpha tourna la tête pour voir arriver un vigile et sans doute deux amis de sa petite victime. Voilà qui allait compliquer les choses...

Oh ! Boulette.
La démone semblait… contrariée, plutôt énervée même.
Cette constatation laissa Wilha au bord de la crise de panique, ne sachant vraiment pas trop comment la blonde allait réagir et se demandant ce qu’il allait lui arriver. Sous le regard contrarié de son ainée, l’enfant se tordait les mains, anxieuses, l’air gênée. L’aura de la démone ne donnait plus aucune information quant à son état d’esprit et la pause de petite matrone de son interlocutrice n’était pas vraiment pour aider la jeune Arlington à deviner la suite des évènements. La démone pouvait soit n’en avoir rien à faire et juste se moquer de l’enfant, soit être franchement énervée et ça pouvait très mal tourner.

-Qu’est-ce que tu me caches, petite mortelle ? demanda la démone un sourire faux étirant ses traits. J’ai été plutôt honnête avec toi, non ? J’apprécierai que tu me rendes la pareille.
-Je ne cache rien de plus q…

Wilha avait l’impression d’entendre les pièces d’un jeu d’échec bouger, le claquement des pièces que l’on pose et le doux murmure du feutre glissant sur l’échiquier. Mais son hallucination auditive fut coupée court par une voix familière.

-Elle est là !
-…ue toi…

L’enfant sursauta de surprise. Se retournant, elle vit Myriam et Tom arriver accompagné par un vigile, une vague de soulagement couru le long de l’échine de l’enfant, éclairant son visage d’un sourire simplement heureux. Tournant le dos à la démone, l’humaine se dirigea vers les trois adultes.

-Myriam !
-Vous allez bien mademoiselle ? On pensait que vous vous étiez perdu.
-Je ne me suis pas perdu. Je vous ai perdu, rétorqua en riant l’enfant.
-Ne jouez pas la maligne jeune fille.

Malgré des paroles un peu rudes, la voix de Tom avait simplement un ton affectueux et si cela ne suffisait pas, celui-ci ébouriffa gentiment les cheveux de la jeune fille. Il se tourna ensuite vers le vigile pour le remercier, celui-ci conseilla aux domestiques de la jeune Arlington de garder un œil sur elle la prochaine fois.

-Tu nous présente ton amie ?
-Euh… c’est…

Ah oui ça, elle s'appelle comment cette démone ?

    Ah, se présenter. Forcément. En plus d'être assez impoli pour interrompre une conversation, voilà que les deux mortels — sans doute les protecteurs de la petite, ses chaperons ou peu importe le nom qu'on pouvait bien leur donner — étaient indiscrets, par dessus le marché. Impassible devant le petit manège affectueux de ce qui ressemblait à une petite famille, si on oubliait un peu le vouvoiement des adultes envers l'enfant dont ils avaient la garde, Orpha était restait silencieuse jusqu'à ce que les regard convergent vers elle. La démone ne se sentait pas du tout d'humeur à s'improviser un rôle, ce n'était pas son genre. La plus part du temps, elle se contentait d'agir de la façon la plus naturelle qui fût et sans aller jusqu'à se dévoiler, ne cacher rien de sa « maturité ».
    « Une bonne question, » asséna-t-elle, espérant que le message passerait, que la page était tournée et qu'il ne fallait rien espérer à essayer de revenir en arrière. « J'ai rencontré votre protégée par pur hasard et nous avons parler un petit peu. Elle possède une imagination débordante... Elle m'a parlé de démon et de magie, je n'ai pas trop compris. » Et la prétendue adolescente d'observer avec attention les réactions. Il était clair que l'enfant savait plus de chose qu'elle n'aurait dû et Orpha désirait savoir s'il en allait de même pour les... les domestiques ? Soudainement pensive, l'Enfant-démon ne put s'empêcher que cette potentielle avait vraiment beaucoup d'argument pour elle. Autrement dit, elle valait le coup de lui mettre le grappin dessus. « Enfin. J'imagine que tout va rentrer en ordre, désormais. Vous avez encore des achats à faire ? Je peux continuer à garder un œil sur elle, si vous voulez. Histoire qu'elle ne vous échappe pas une seconde fois. »
    Au fond, la réponse lui importait peu. L'affirmative lui ferait gagner un peu de temps, la négative la pousserait à les suivre discrètement. Dans les deux cas, elle obtiendrait ce qu'elle voulait. Elle obtenait toujours ce qu'elle voulait.

Wilha avait vu des célestes se comporter comme des humains, passer pour des humains au milieu de foule d’humains, dans des écoles ou dans la rue… et jouer leur rôle à la perfection. L’exemple de son oncle lui avait de plus fait naïvement supposer qu’ils préféraient tous se mêler aux humains et agir comme eux, mais comme les humains les célestes avaient, semble-t-il, tous leur travers et celle-là n’avait aucune envie qu’on la prenne pour une adolescente « normale ». Sa façon de parler, son choix de mot n’avait rien de commun pour une adolescente. Pourtant, l’idée qu’elle pouvait être autre chose que ce que son apparence suggérait ne vint pas effleurer l’esprit des serviteurs de la jeune Arlington. Loin de s’offusquer de l’effronterie de l’adolescente, Myriam n’en fit pas cas alors que Tom revenait vers eux après avoir assuré au vigile que l’incident précédent ne se reproduirait plus.

-…Elle possède une imagination débordante… Elle m’a parlé de démon et de magie, je n’ai pas trop compris.
-Cela décrit bien notre petite Wilha. Elle a toujours eu une imagination débordante.

Malgré toute l’affection que laissait paraitre la voix de Myriam la jeune fille était plutôt contrariée. C’était assez désagréable d’être pris pour une gamine écervelée coincée dans un monde imaginaire et puis ce n’était pas elle qui avait commencé à parler de magie et elle n’avait jamais parlé de démon non plus. L’enfant jeta un regard noir sur la démone, et formula silencieusement du bout des lèvres un mot, menteuse.

-Enfin. J’imagine que tout va rentrer en ordre, désormais. Vous avez encore des achats à faire ? Je peux continuer à garder un œil sur elle, si vous voulez. Histoire qu’elle ne vous échappe pas une seconde fois.
-C’est à Wilha qu’il faut poser cette question. As-tu trouvé ce qu’il te fallait ?
-Non pas encore. Je n’ai pas trop d’idée pour les cadeaux pour mon oncle et pour mon frère. Tu as une idée Myriam ?
-J’ai peut-être une petite idée mais cela doit venir de toi ?

La jeune fille pris un air dépité, un peu découragée, elle n’avait aucune idée pour ses cadeaux. Se tournant finalement, elle parut enfin se souvenir de la démone.

-Fais ce que tu veux, déclara la jeune fille à la démone.

Une certaine rancœur perçait dans la voix de la jeune fille, la démone l’avait fait passer pour une débile auprès de Myriam et de Tom, ce qui était loin de lui plaire.

-Mademoiselle !

Ce simple mot avec juste une teinte de reproche fit réagir l’enfant étrangement, celle-ci rentra la tête dans les épaules et prit une direction au hasard loin du petit groupe. Tom suivit immédiatement la jeune fille, comme s'il avait anticipé sa réaction.

    C'en était presque amusant ; il semblait que la petite demoiselle avait une réputation bien à elle. Ce n'était guère étonnant, au fond. Elle était une potentielle, elle ne vivait pas, a priori, dans le même monde que ses chaperons. Ces derniers ne semblaient au courant de rien, Orpha était tentée d'écarter l'idée d'un jeu d'acteur parfait tant leur réaction ne semblait pas étudier. Restait à savoir comment l'enfant avait acquis son savoir. Avait-elle déjà côtoyé un démon par le passé ? Elle ne semblait pas liée, mais cela ne voulait pas dire qu'Orpha, en s'intéressant à elle, n'entrait pas en concurrence avec un autre immortel. C'était typiquement le genre de détails qu'elle ne prenait jamais soin de négliger : toute potentielle qu'était ce nouveau sujet de curiosité, elle ne valait pas la peine d'entrer en guerre avec un ange ou un démon.
    « Ce n'est pas comme si j'avais beaucoup d'autres choses à faire, répondit Orpha avec un sourire légèrement ironique. Cela fait longtemps que vous vous occupez de Wilha ? » demanda-t-elle finalement après qu'ils eurent emboîté, avec plus ou moins de rapidité, le pas boudeur de la concernée.
    La petite potentielle semblait contrariée et décidée à mettre le plus de distance possible entre elle et le reste du monde — peine perdue, dans la foule d'un centre commercial. Loin de s'en émouvoir ou de culpabiliser, Orpha se demanda quel tour de magie elle pourrait à l'occasion lui montrer, histoire de repartir sur des bases scènes. Tous les potentiels étaient bien les mêmes, la magie les obsédait presque autour qu'elle et il suffisait de leur faire miroiter quelques folles promesses de puissance et de savoir pour en faire ce qu'on voulait, au moins au début. Après, ils avaient tendance à se comporter comme un insecte pris dans sa toile : effrayés mais incapables de s'en dépêtrer.
    « Elle a donc un oncle et un frère. » Sa voix s'était faite sensiblement plus douce et moins ironique. Elle ne parlait plus à une enfant mais à une adulte ; Orpha savait très bien que Myriam serait sans doute plus susceptible que sa protégée, surtout quand elle était supposée parler avec une adolescente. « Cela fait bien longtemps que je n'ai pas eu à offrir de cadeau à quiconque. » L'aveu, à brûle-pourpoint, devait faire oublier un temps la curiosité de la dame ; Orpha avait beau être une actrice perfectible, elle n'en demeurait pas moins connaisseuse de l'esprit humain et elle avait remarqué qu'une petite confession au tragique sous-entendu avait le don de déconcentrer ses interlocuteurs, qui en oubliaient parfois d'être méfiants.

-Ce n’est pas comme si j’avais beaucoup d’autres choses à faire.

Ces paroles n’étaient pas pour plaire à la jeune fille qui accéléra le pas, mettant le plus de distance qu’elle pouvait entre elle et la démone malgré, la foule compact qui les entourait. Autant dire qu’elle ne pouvait pas franchement s’éloigner, juste assez pour ne plus entendre la démone parler à Myriam.

-Cela fait longtemps que vous vous occupez de Wilha ?
-Cela fait… Oh ! Ca va déjà faire quelques années… Pourquoi cette question ?

Myriam jeta un regard curieux sur l’adolescente. Pas comme quelqu’un de suspicieux, mais plutôt comme quelqu’un de simplement curieux. Il n’y avait aucune malice dans la question, simplement une curiosité naturelle très mal réfrénée.

-Elle a donc un oncle et un frère… Cela fait bien longtemps que je n’ai plus eu à offrir de cadeau à quiconque.
-Qu’est-il arrivé ? Tu t’es brouillé avec tes parents ?

Toujours la même curiosité un peu déplacée, mais un air concerné polie et plutôt sincère.

-Je crois plutôt qu’elle leur a survécu.

La petite Arlington s’était arrêtée et venait de faire part à Tom d’une idée de cadeau pour son oncle. La jeune femme et la prétendue adolescente les avaient rattrapés, laissant Wilha entendre la remarque innocente de la démone. Il semblait plutôt clair que la jeune fille n’était toujours pas calmé et encore plutôt remonté contre la démone.

-Et donc tu penses que du Jazz lui conviendrait mieux ?
-Oui, Wilha, soupira Tom. Ne me regarde pas avec ces yeux la petite. C’est franchement désagréable de devoir supporter les caprices d’une gamine qui ne supporte pas les petites contrariétés.