Lyam Austec

J'ai toujours détesté le regard des autres, moi qui avais l'impression qu'on fixait mes défauts de manière impolie. Tout le monde disait que j'étais beau, que je ne devais pas m'en faire, mais mes cheveux frisés me donnaient des complexes lorsque je voyais ceux résolument plats des autres hommes. Si le brun cuivré me rendait plutôt ordinaire, les boucles me faisaient ressembler au bébé dans la crèche - rôle que j'avais même joué - et qui m'énervait. Mon nez était trop long, mes bras trop courts, mon buste pas assez musclé. Malgré que tout le monde ait cru que j'étais un sportif égocentrique, j'étais un grand timide au physique ingrat. Le temps améliorant les choses, j'avais fini par apprécier mes légères imperfections. Je m'étais même fais tatoué le dos en signe d'ultime rebellion envers ce corps que j'avais tant détesté.

On pourrait croire qu'un professeur émérite est un homme avec confiance, un homme qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. De fait, j'avais surtout été un grand timide qui regardait le sol. J'aimais l'histoire, j'aimais voir les yeux des gens briller, avides de connaissances, mais je n'aimais pas être le centre de l'attention. J'étais un rêveur, un romantique, qui aimait son métier mais qui aurait pu être ailleurs. C'était le contact qui m'intéressait, je n'étais pas fait pour être seul. Un petit garçon qui était aux côtés des autres, souriant, mais qui ne parlait guère. J'étais gentil et sympathique, peu prompt à la colère, aimé par mes élèves la majorité du temps. Ça me convenait.

Il y a des histoires extraordinaires, dont on veut tout connaître. Qui n’a jamais cédé à la tentation, la nuit tombée, de regarder une télé-réalité ? D’épier son voisin, seulement pour regarder si sa pelouse ne serait pas plus verte. On lit sur les vedettes, on est tristes lorsqu’ils sont tristes, heureux lorsqu’ils se marient. Pourtant, la mienne ne vaut rien. Pas de livre à écrire, en tout cas pas de ceux qui font des pages et des pages.
Je suis né. Un jour normal, dans une ville normale, avec une famille normale. Un enfant tout à fait normal. Tout ce qu’il y a de plus banal. J’étais le fils du milieu, avec un grand frère ainsi que deux sœurs, l’une plus âgée et l’autre plus jeune. Mon enfance passa entre batailles et maquillage. Le problème d’être le plus jeune, c’est qu’on est souvent le plus maltraité. On reçoit les biens des aînés qui ne sont jamais à notre taille, jamais à notre goût. Toujours passé de mode. Jamais le plus populaire donc, que ce soit auprès des filles ou auprès des garçons que j’aurais voulu pour amis.
Je baissais souvent la tête. Je ne me sentais pas tout à fait à l’aise dans le lycée, moi qui étais plutôt du genre timide. Je réussissais bien à l’école, mais j’avais peu d’amis. Les professeurs m’appréciaient, mais je préférais les livres aux gens. C’était une surprise pour tout le monde lorsque j’ai annoncé que j’allais devenir enseignant. De fait, c’était un choix basé sur le fait que je voulais apprendre à être moins introverti. Je devais accepter mes différences : non, mon physique n’était pas ingrat, non, ma bisexualité ne faisait pas de moi un monstre.
Et puis, malgré tout, je les aime bien mes petits élèves…